| | | (#)Dim 31 Juil 2016 - 18:09 | |
| WHAT KIND OF MAN (saul masterson) Alexis a (enfin) concédé à rester quelques jours du côté de Logan City, après n’y avoir fait que de brefs passages ces dernières semaines, se contentant généralement d’y revenir une fois tous les trois jours pour donner signe de vie à Damian et emporter quelques vêtements avant de filer, une nouvelle fois, à l’anglaise. Mais aujourd’hui son mari est dans la tourmente suite à une sombre histoire de procès pour erreur médicale et la russe décide lui offrir la seule chose qu’elle est capable de lui offrir : sa présence. Elle est pourtant convaincue que ce n’est pas une grande idée ; le fait de rester si près de lui de façon régulière. C’est là tout l’intérêt de ses allers-retours express, celui de ne pas croiser son mari et de s’abstenir ainsi de passer du temps avec lui. Car les choses sont claires depuis le début entre eux : il s’agit d’un mariage uniquement sur le papier, rien d’autre ne doit entrer en ligne de compte et Lexis déroge de plus en plus à une règle imposée dès le départ qu’elle était pourtant certaine de suivre sans peine. Le souci, c’est que Lexis n’a jamais été particulièrement douée pour s’en tenir aux règles, son passé en est la meilleure preuve. Alors elle préfère également déroger à celle qui consiste à inviter les jeunes mariés à passer le plus clair de leur temps ensemble. Elle n’a pas réellement besoin de se forcer pour celle-ci, consciente que son mariage ne ressemble en rien à ce qu’on attend d’une telle institution. Par conséquent, elle n’aurait aucune obligation à rester près de Damian en ces temps difficiles pour lui, bien même s’il l’a rassuré sur le fait que ce procès va être classé rapidement et qu’il ne risque quasiment rien, mais elle s’en sent le devoir. Parce que Lexis, elle sait qu’elle est redevable envers celui qui est son mari, et que pour l’instant elle n’a pas su montrer la gratitude qui est la sienne en vue de la situation, certes complexe, mais qui a le mérite d’être la plus agréable pour la jeune femme en vue des circonstances. Et puis, elle est humaine Lexis, tout simplement, que ce soit son mari ou un simple ami – Damian oscillant dans l’une et l’autre des catégories – elle ne peut rester insensible (bien que ce serait plus simple) à une telle situation. Elle n’a pas le mot rassurant, l’attitude chaleureuse qui caractérise les personnes vers lesquelles on se tourne avec facilité lorsque la vie vous rappelle qu’est est là et prête à frapper à tout moment, mais elle a cette présence, effacée et discrète, qui met en confiance. Alexis ne parle pas beaucoup, elle préfère écouter, elle n’est pas réellement affectueuse ni douée pour changer les idées, mais elle est là. Quoi qu’on lui demande, ou qu’on ne lui demande pas, elle est là, jamais loin. Discrète mais présente, renfermée mais sensible, elle ne sait peut-être pas jouer son rôle comme il le faudrait, mais elle le prend à cœur. C’est exactement ce qui se passe à l’heure actuelle avec Damian, qu’elle ne peut décemment pas ignorer dans un tel moment. Alors elle est là. Pendant quelques jours, peut-être un peu plus longtemps si les nuages qui planent au-dessus de sa personne ne daignent pas disparaître avec la facilité qu’il a évoquée, elle sera là jusqu’à ce qu’il n’ait plus besoin d’elle comme tant d’autres avant lui.
Mais c’est aujourd’hui au tour de son mari de déserté le domicile conjugal, ses obligations l’amenant à passer quelques heures à l’hôpital. Lexis n’ayant rien de la parfaite épouse qui attend sagement son mari à la maison, elle décide de faire bon usage de cet après-midi et de ne pas rester enfermée dans cette maison. Elle souhaite peut-être offrir son soutien par la présence à Damian, mais rien ne l’empêche de poursuivre ses rêves de liberté quand celui-ci n’est pas là. Brisbane est encore un terrain relativement inconnu à ses yeux et elle fait de son mieux pour s’adapter à cette ville qui n’était pas son premier choix (ni même dans ses choix tout court) de destination quand elle rêvait de quitter la Russie. Et en réalité, elle a de moins en moins besoin de se forcer pour trouver un certain intérêt à cette ville. Alexis a toujours été attirée par l’envie de liberté et même si elle n’a pas su mener à bien ces envies, les grands espaces que lui offre Brisbane lui en donne l’impression. Logan City est un quartier qu’elle apprécie pour cela malgré le fait qu’elle n’y soit pas toujours ; c’est un coin tranquille où la nature semble avoir eu raison de l’urbanisation. Mais comme Logan City n’a désormais plus de secret pour elle, elle entreprend aujourd’hui de rejoindre la banlieue côtière de la ville et plus particulièrement la forêt de mangroves sur laquelle elle s’est renseignée sans pour autant l’avoir déjà vue de ses propres yeux. Et aujourd’hui, il est temps de remédier à cela. Elle a du temps devant elle (détail qui a son importance quand on dépend des transports publics) et une curiosité qui ne demande qu’à être satisfaite. Le coin est plus beau à l’aube parait-il, elle compte bien en faire l’expérience un autre jour, mais pour l’instant elle veut surtout découvrir le territoire plus qu’elle ne veut l’admirer. Alors Lexis prépare ses affaires, n’oublie pas (pour une fois) de se munir de son portable dans l’hypothèse où son sens de l’orientation déciderait de lui faire défaut au milieu de nulle part et quitte la maison l’esprit tranquille, pour une fois.
Et ce ne fut que le temps de quelques minutes, jusqu’à ce que la silhouette d’un voisin qu’elle ne reconnait que trop bien se dessine à l’horizon et semble se rapprocher. Cette silhouette, c’est celle de Saul Masterson, probablement l’un des seuls voisins dont elle connait le nom pour en avoir vaguement entendu parler dans les journaux. Un illustre metteur en scène et producteur qui est aussi et surtout un homme bien trop curieux à son goût. Elle est vigilante, Alexis, parfois paranoïaque, les regards insistants que lui lance Saul ne lui ont pas échappé. Elle fait mine de les ignorer, mais ils l’inquiètent plus qu’ils ne le devraient. Si au départ elle a pu croire à un pervers ayant besoin d’une nouvelle distraction, il s’est finalement avéré plus intéressé par ses faits et gestes que par sa silhouette. Si dans un sens c’est rassurant pour une jeune femme dont le corps a été l’objet d’une transaction, cela s’avère en réalité pas moins inquiétant car elle est par conséquent incapable de deviner ce qui se cache dans l’esprit de cet homme qui semble vouloir la connaître plus qu’elle ne le veut. Et si son premier réflexe consiste à fuir et à prétendre ne pas l’avoir vu, lorsqu’il finit par arriver à son niveau et lui barrer le passage au niveau des bosquets, Lexis n’a d’autre choix que de relever la tête et d’affronter le regard de cet indésirable interlocuteur. Silencieuse durant un bref instant, elle finit par prendre la parole. « Je peux vous aider ? » Demande-t-elle d’une voix qu’elle découvre plus agressive qu’elle n’en a l’habitude. Mais le fait est que cet homme dégage une aura dont la jeune femme se passerait volontiers, celle d’un danger qu’elle n’a que trop bien connu auparavant. |
| | | | (#)Lun 1 Aoû 2016 - 21:18 | |
| Logan City était un quartier tranquille. Et Saul, lui, avait toujours su qu'il voudrait vivre dans ce cadre apaisant, derrière les murs colorés d'une charmante et spacieuse demeure, sous un porche élégant, dans un vaste jardin. Il l'avait toujours su, parce qu'après avoir passé de longues années à Pine Rivers, dans un appartement de haut standing perché en haut d'une tour froide et écrasante qui n'avait pour elle que la vue qu'elle offrait sur toute la ville et l'impression de grandeur et de contrôle qu'elle pouvait conférer, il avait été certain de ne pas vouloir élever ses enfants dans un environnement aussi surfait. On pouvait lui reprocher d'accorder une immense importance à son travail, de vivre au rythme de ses journées effrénées et de ne plus compter les heures chaque fois qu'il était question de mener à bien un projet d'envergure, pour autant Saul ne ressemblait pas à son père sur un point : là où ce dernier s'était installé à deux pas de ses bureaux précisément pour ne jamais avoir à se déconnecter de ce dont il avait fait une priorité absolue, Saul tenait quant à lui à ce qu'une frontière se dresse entre sa vie professionnelle et celle qu'il menait auprès des siens. C'est en ça que la quiétude de Logan City était la bienvenue, quand après de longues heures passées à enchaîner d'intenses répétitions et à mener de front ses différentes fonctions au sein de sa compagnie, il était agréable pour lui de retrouver un cadre accueillant, où il n'était plus un producteur mais simplement un mari, un père de famille, un voisin. Et c'est précisément parce que la tranquillité propre au quartier lui tenait à cœur que Saul s'inquiétait facilement de ce qui pourrait lui nuire. Ainsi, dernièrement, son attention s'était portée sur l'habitation de l'un de ses voisins. Damian Wheeler, un homme qu'il connaissait essentiellement pour le saluer de temps à autres quand ils étaient amenés à se croiser, semblait fréquemment recevoir la visite d'une jeune femme, qui elle lui était totalement inconnue. Saul ignorait qui elle était, et quelle était la nature de sa relation avec son voisin, mais il savait néanmoins une chose : il n'était pas rare que cette jeune femme disparaisse du voisinage pendant plusieurs jours, puis réapparaisse après quelques temps, pour ensuite s'évaporer de nouveau. Quelques rondes et observations menées depuis son porche avaient alors suffi à étayer ses soupçons, tandis que la jolie blonde ne lui avait jamais semblé particulièrement impatiente à l'idée de s'intégrer à cette petite communauté. Pour quelle raison voudrait-elle se faire aussi discrète, et pourquoi était-il finalement aussi difficile d'identifier les raisons de sa présence chez son voisin ? Saul se posait ces questions depuis déjà quelques temps, au point d'avoir même entrepris de vagues recherches destinées à en apprendre un peu plus sur cette mystérieuse résidente. Des recherches qui jusqu'ici n'avaient rien donné, ou presque, ce qui n'était pas nécessairement une bonne nouvelle lorsque comme lui on espérait trouver quelque chose qui viendrait nous rassurer quant au fait que notre famille pourrait continuer à vivre au calme, et en sécurité. Alors, à présent résigné à accepter l'idée que cette jeune femme ne viendrait pas directement lui ôter ses doutes, Saul s'était aujourd'hui mis en tête d'aller au bout de son idée, celle d'en avoir le cœur net. Profitant de n'être plus attendu au siège de sa compagnie avant sa réunion de ce soir, il avait en effet attendu, patiemment, que la demoiselle qu'il avait cru voir réapparaître quelques jours plus tôt quitte la maison où elle semblait vivre, afin d'amorcer une rencontre. Après ça ? Il aviserait. Et tandis qu'elle gagna finalement l'extérieur et que sa silhouette apparut dans son champ de vision, c'est sans plus réfléchir qu'il quitta son territoire pour s'approcher d'elle, posément, comme un loup en chasse qui craindrait de faire fuir sa proie. Il voulait comprendre, mettre un certain nombre de mots sur les questions qui continuaient de le tarauder, mais il savait que le meilleur moyen d'arriver à ses fins était d'afficher une figure confiante et non pas celle d'un voisin qui commençait à s'imaginer toutes sortes de scénarios. La jeune femme l'accosta finalement la première, après l'avoir semble-t-il vu arriver de loin, et Saul tenta de faire abstraction du fait qu'elle ne semble pas le faire avec beaucoup d'envie, ou du moins d'enthousiasme. « Oui, à vrai dire ça fait déjà quelques temps que j’espérais avoir l'occasion de vous rencontrer. » Et tendant une main vers elle alors qu'un fin sourire s'était accroché à ses lèvres, il reprit, avec une certaine chaleur. « Saul Masterson. » Il ignorait si la méfiance qu'il croyait sentir à présent qu'il l'avait face à lui disparaîtrait maintenant qu'elle pouvait associer un nom à son visage, si elle ne l'avait pas attendu pour se faire une idée de son identité ou bien encore si elle attendait simplement le bon moment pour l'assommer avec la première chose qui lui tomberait sous la main. Dans un cas comme dans les autres, il poursuivit. « Nous sommes voisins. J'habite au 24, vous m'avez peut être déjà aperçu dans les environs, ou bien ma femme peut être. » Pour ça, sans doute faudrait-il que la jeune femme l'observe avec la même attention que celle qu'il lui accordait de son coté depuis un certain temps, et à vrai dire il n'était pas certain de savoir si ce serait une très bonne chose, ayant conscience – malgré tout – qu'étudier les moindres faits et gestes de ses voisins témoignait d'une certaine tendance à la paranoïa. « J'ai cru comprendre que vous viviez chez Monsieur Wheeler ? » Les yeux rivés vers le siens, il tenta dans un premier temps de surprendre une réaction, quoi que ce soit qui viendrait appuyer les doutes qu'il nourrissait quant à ce que pouvait englober cette cohabitation assez peu banale d'un point de vue extérieur. « Je me suis dit que si nous devions vivre au même endroit, il serait préférable que je vienne me présenter. » C'était en vérité le seul moyen qu'il avait trouvé pour entrer en contact avec elle, n'étant initialement pas de ces voisins entreprenants qui vous sautent à la gorge pour vous noyer sous tous leurs bons sentiments dès qu'il vous prend l'envie de poser un pied en dehors de chez vous. « Est-ce que j'ai eu tort ? » Il se permit finalement de demander, toujours avec une bienveillance qu'il ne tenait pas à perdre au profit d'un ton plus suspicieux, ayant bien noté le début d'animosité qu'elle lui avait servi quelques instants plus tôt et croyant à cet instant deviner qu'elle se serait décidément bien passée de cette entrevue. Parce qu'il tombait mal, ou pour une toute autre raison ? |
| | | | (#)Lun 8 Aoû 2016 - 23:01 | |
| Cela fait désormais un an que Lexis s’est installée chez Damian et après tout ce temps, la jeune femme n’a toujours pas jugé nécessaire de faire la connaissance de ceux qu’elle croise régulièrement dans les rues de ce quartier qu’elle connait désormais comme sa poche, bien qu’elle sera amenée à le quitter tôt ou tard. C’est une des raisons pour laquelle elle s’est toujours abstenue de se lier aux autres habitants de Logan City, parce que son séjour ici n’est que temporaire et que chaque jour qui passe la rapproche de la date de son déménagement, ainsi il est inutile de prendre le risque de s’attacher à des personnes avec lesquelles elle finira inévitablement par perdre contact. S’ajoute à cela le fait que sa relation avec Damian est complexe et qu’elle ignore de quelle façon elle peut se présenter aux autres. Elle est son épouse uniquement aux yeux de la loi, pour les autres ce détail doit rester dissimulé. Elle peut difficilement prétendre qu’elle est une nièce éloignée en vue de son accent russe qu’elle peine à faire disparaître totalement et jouer la carte de l’amitié n’estompera pas les regards tantôt accusateurs, tantôt interrogateurs des voisins qui se focalisent sur leur première impression qui est dans cette situation marquée par une différence d’âge assez conséquente entre le propriétaire et la locataire. Sans parler de la réserve naturelle de Lexis qui la pousse à se montrer discrète et à rester en retrait, si les autres ne viennent pas vers elle alors elle ne sera pas celle qui fera cet effort. Ainsi, après un an ici, la russe n’a toujours pas retenu le nom de ses voisins directs et découvrent chaque jour de nouvelles têtes au détour d’une rue de ce quartier bien trop peuplé à son goût et, lorsqu’elle fait preuve de mauvaise foi comme aujourd’hui, mal peuplé. Par des gens qui semblent parfaitement lisses en apparence mais qui sont la représentation la plus parfaite des petits bourgeois qui n’apprécient pas que l’on change leur habitude. C’est ainsi qu’elle perçoit Saul, l’un de seuls dont elle a retenu l’identité de par sa popularité à laquelle il est difficile d’échapper autant ici qu’au centre ville, depuis que celui-ci semble surveiller les moindres de ses allées et venues. Alexis sait parfaitement jouer la carte de la ravissante idiote, mais elle n’en reste pas moins extrêmement vigilante de par ses expériences passées. Ainsi, quand quelqu’un pose son regard de façon trop insistante sur elle, il est peu probable qu’elle ne le remarque pas. Et malgré la discrétion dont semble faire preuve Saul, elle n’est pas stupide. Il est difficile d’échapper à cette surveillance qu’il mène envers elle, comportement qui l’agace autant qu’il l’inquiète. Et si Lexis a toujours pris soin de faire abstraction de ce détail en sachant que ce jeu ne se limitait jusqu’à aujourd’hui qu’à quelques regards, elle n’en est plus capable maintenant qu’il décide de la confronter directement. Du moins, c’est ainsi qu’elle ressent son approche lorsqu’elle quitte la maison de Damian pour vaquer à ses propres occupations (comme toujours) et qu’elle comprend qu’il ne compte pas poursuivre sa route quand il sera à son niveau. Alors elle lance les hostilités la première, d’un ton loin de celui, peu audible et assuré, qu’elle emploie habituellement. Cette fois-ci, elle fait preuve d’une pointe d’agressivité mais surtout de beaucoup de fermeté, bien décidée à ne plus faire preuve de la passivité qui la caractérise et à enfin mettre une étiquette sur ce Saul. Est-il simplement un Jeff Jefferies en puissance ou une réelle menace pour le secret qu’elle a jusqu’ici si bien réussi à dissimuler ?
Attendant sa réponse tout en guettant les alentours et réalisant ainsi qu’ils sont à l’abri des regards indiscrets, ce qui est autant un mal qu’un bien du point de vue de la jeune femme, Lexis n’est pas particulièrement surprise lorsque Saul lui annonce qu’il nourrissait l’espoir de la rencontrer depuis un certain temps. « Ah oui ? » Demande-t-elle, avec la fausse naïveté dont elle a l’habitude de faire usage. Elle a besoin de connaître ses réelles intentions et n’étant pas adepte de la confrontation directe, la jeune femme emploie les moyens à sa disposition. Glissant sa main dans celle de Saul plus par politesse que par réelle envie, elle s’en détache toutefois rapidement. « Je sais qui vous êtes. » Elle laisse entendre, sincère tout en voulant lui signifier qu’il n’est pas un total inconnu pour elle et pas seulement de par son travail qui l’expose parfois à la lumière. « Alexis Cosworth. » Cosworth, le nom qu’elle s’est inventée en sachant qu’elle ne peut guère se présenter comme une Wheeler puisque cela renseigne aisément ses interlocuteurs sur le lien qu’elle peut entretenir avec Damian alors que celui-ci se doit de rester un secret. Et si on lui pose la question de son accent qui dénote avec son identité, là-aussi la réponse est toute trouvée. Elle a adapté son nom de famille au pays pour qu’on cesse de l’écorcher, puisque cela semble être la spécialité dans le coin lorsqu’on possède un nom sortant un peu trop des sentiers battus. « Oui, c’est le cas. Il faut dire que c’est difficile de vous rater, monsieur Masterson. » Elle lance, avec un sourire discret manquant cruellement de sincérité. Encore une fois, à défaut de parvenir à le confronter directement, elle use de sous-entendus naïfs. S’il est lui difficile d’ignorer le metteur en scène, il n’en est pas de même pour sa femme sur laquelle elle est, dans l’immédiat, bien incapable de mettre un visage. Elle sera bien évidemment plus vigilante les prochains jours, afin de savoir si l’épouse suit les pas de son cher mari quand il est question de surveiller les voisins. Et si c’est le cas, inutile de préciser que Lexis redoublera d’efforts pour se tenir éloignée du couple Masterson. Confrontée ensuite à la question qu’elle appréhendait, la jeune femme se contente d’acquiescer timidement. « Il me loue une chambre, oui. » Ce n’est encore une fois pas la vérité, mais Alexis n’hésite pas à user et abuser du mensonge quand il est question de protéger ses intérêts. Esquissant par la suite un sourire amusé – mais pas dans le bon sens, à la réflexion de Saul, elle se contente de croiser les bras sur sa poitrine alors qu’elle marque un temps d’arrêt quand il lui demande s’il a eu tort. « Je ne dirais pas cela, simplement que vous prenez votre temps pour venir vous présenter étant donné que je vis ici depuis plusieurs mois et que cela ne vous a certainement pas échappé. Mais mieux vaut tard que jamais, comme on dit. » Ce n’est pas dans ses habitudes d’être sur la défensive, mais Lexis est consciente que la première intention de son voisin n’est pas simplement de se présenter, sans quoi il l’aurait fait depuis bien longtemps déjà. Certes, elle est restée cloitrée à l’intérieur durant de nombreuses semaines, se remettant de ses graves blessures, mais elle écume les rues depuis un certain temps, sous la surveillance de Saul depuis plusieurs semaines, alors il est peu probable qu’il n’ait pas pu venir à sa rencontre plus tôt. « Ne le prenez pas mal, votre intention est tout à fait louable, mais je ne pense pas qu’il soit important que nous fassions connaissance à ce stade, puisque je ne suis ici que temporairement. Damian m’a loué une chambre à bas prix le temps que je trouve un travail stable et que je puisse suffisamment mettre de côté pour assumer un logement, ce qui ne devrait plus tarder, alors ne vous habituez pas à ma présence. » En d’autres termes, lorsque Damian réalisera qu’il en a assez d’être lié à une femme qui ne l’est que sur le papier et qu’il aura d’autres envies, le divorce sera officialisé et Lexis quittera ce quartier qu’elle a – malgré tout – appris à aimer. La jeune femme se montre plus bavarde qu’à l’accoutumée, mais elle peut difficilement se montrer évasive alors que Saul se veut entreprenant et curieux, pas forcément par ses paroles, mais par ses gestes, ses regards et son comportement général depuis plusieurs semaines. « Je ne veux pas être désagréable, encore une fois j’apprécie le geste, mais comprenez que ce n’est pas nécessaire, vous avez certainement d’autres voisins avec lesquels faire connaissance et qui ne partiront pas d’ici avant longtemps. » Et qu’il a donc tout le loisir d’aller déranger, mais elle se passe bien de le dire à voix haute. « Alors je vous souhaite une bonne journée. » Elle glisse finalement avec, cette fois-ci, un sourire presque sincère à l’idée de le quitter, non sans nourrir l’espoir d’avoir été suffisamment convaincante pour que son regard curieux ne se glisse plus sur elle à la moindre occasion.
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| | | | (#)Jeu 11 Aoû 2016 - 17:30 | |
| Saul était de ces voisins qu'il valait toujours mieux avoir de son coté. Sociable et bienveillant au premier abord, il pouvait facilement devenir suspicieux lorsque les circonstances le recommandaient. Car s'il était un homme juste et qu'il aimait le contact humain, il était aussi et surtout un père de famille qui tenait à ce que la paix continue de régner dans le quartier où il élevait ses enfants. Ainsi, s'il était fréquent d'obtenir de sa part un sourire sincère et des salutations enthousiastes, il arrivait aussi qu'ils ne soient pour lui qu'un moyen d'avancer masqué vis à vis de ceux qu'il tendait à vouloir surveiller. C'est ainsi qu'il avait procédé avec l'un de ses voisins, quelques mois plus tôt, alors qu'il le soupçonnait de maltraiter son chien et qu'il lui avait fallu trouver un moyen d'en avoir le cœur net. Saul avait alors enfilé son costume d'homme respectable. Un homme qu'on voyait jouer avec ses enfants devant le domicile familial, et qui avait la réputation d'être aimable et complaisant avec ses co-citoyens, n'hésitant jamais à aider une voisine à porter ses sacs de courses ou à indiquer son chemin à un touriste. Un homme connu, aussi, qui voyait son nom placardé sur tout un tas d'affiches en centre-ville et qui savait rester accessible en dépit de son début de notoriété. Un homme à qui on serait tenté de faire confiance, et c'était précisément l'erreur qu'avait commise son voisin, quand déjà Saul s'était mis en tête de lui faire avouer ses travers d'une façon ou d'une autre. Il n'y était peut être pas parvenu, du moins pas totalement, mais cet épisode l'avait conforté dans l'idée qu'on ne connaissait jamais totalement ceux qui vivaient à deux pas de chez nous. Et c'était d'autant plus vrai, sans doute, lorsque quelqu'un qu'il ne connaissait jusqu'ici que de vue lui avait déjà donné de bonnes raisons de s'intéresser à ses faits et gestes. C'était précisément le cas de la jeune femme qu'il avait suivi du regard tandis qu'elle avait quitté le domicile de l'un de ses voisins, et à la rencontre de qui il s'était décidé à aller. Cette jeune femme ne lui était pas totalement inconnue puisque cela faisait déjà quelques temps que Saul lui destinait une attention particulière, principalement animée par son envie de comprendre les raisons de sa présence dans le quartier, lui qui avait été plusieurs fois témoin de ses allées et venues et qui doutait de plus en plus du fait d'avoir à faire à une voisine comme les autres. Il s'était alors approché d'elle, ignorant à ce moment-là qu'elle lui destinerait une méfiance qui compliquerait sensiblement le but qu'il s'était fixé, celui d'en savoir d'ors et déjà davantage sur son compte à l'issue de ce premier échange. Interrogé plus ou moins implicitement sur les raisons de sa venue, il prétexta alors avoir longtemps caressé l'espoir d'aller à sa rencontre, ce qui n'était pas tout à fait inexact mais sous-entendait qu'il s'était approché avec la seule envie de faire sa connaissance, ce qui était déjà beaucoup moins véridique. Acquiesçant alors silencieusement à la façon dont elle sembla s'étonner de sa réponse tout en se présentant, c'est bientôt par un fin sourire qu'il accueillit l'idée que la demoiselle semble savoir à qui elle avait à faire. Amatrice de théâtre, ou bien simplement une citadine avertie ? La question n'effleura son esprit que l'espace de quelques secondes, avant qu'elle ne décline à son tour son identité. « Enchanté Alexis. » Saul souffla, sincère dans la mesure où il appréciait effectivement de pouvoir mettre un nom sur un visage qu'il avait bien souvent observé et qui maintenant avait au moins le mérite de ne plus lui être tout à fait inconnue. « Est-ce que je peux vous demander d'où vous vient cet accent ? » Il n'hésita pas à demander, par la suite, songeant que cette question loin d'être anodine ne paraîtrait sans doute pas trop suspecte si on tenait compte du fait que l'accent en question était assez prononcé et que ses intentions étaient clairement d'en apprendre davantage sur sa voisine. Celle-ci le surprit à nouveau à la manière dont elle reprit bientôt la parole, et Saul se fendit d'un sourire amusé. « J'espère que vous sous-entendez par là que mon travail vous est familier, et non que je suis un voisin exubérant qui se donne volontiers en spectacle. » Il était peu probable que ce soit ce qu'elle ait voulu dire, quand bien même il ne s'agissait pas d'un compliment comme il aima d'abord le penser, car Saul avait beaucoup de défauts pour lui mais certainement pas celui d'être incapable de se tenir en public, dieu merci. Questionnant en tout cas la jeune femme sur les raisons de sa présence au domicile de son voisin – une question loin d'être innocente lorsque c'était précisément le point qui l'intriguait depuis des semaines – Saul accueillit la réponse de la blonde avec une mine encore un peu plus curieuse. « Mais pas tous les soirs. » Il nota, spontanément, avant d'ajouter. « Je veux dire, il m'a semblé remarquer que vous vous absentiez parfois pendant plusieurs jours. Est-ce que vous avez un autre petit pied-à-terre à Brisbane ? » Saul prenait ici un risque, il le savait. En lui précisant qu'il avait déjà eu l'occasion de noter qu'elle s'absentait de temps à autres pour ne revenir qu'après plusieurs jours, il laissait très clairement à la jeune femme l'occasion de supposer qu'il s'intéressait tout particulièrement à elle, et ce depuis quelques temps déjà. C'était un risque calculé, un risque qui pourrait même s'avérer payant si la blonde avait une quelconque raison de déprécier l'idée qu'il puisse lui avoir porté un certain intérêt. Celle-ci, en tout cas, ne manqua pas de répartie lorsqu'il fut question de lui asséner qu'il s'était fait attendre pour entamer les présentations. Alexis était dans le vrai, plus encore qu'elle ne l'imaginait sans doute. « C'est vrai, et j'en suis confus. Je crois que j'ai simplement redouté que tous les habitants à deux kilomètres à la ronde aient la même idée que moi, et que vous vous retrouviez envahie par une bande de voisins un peu trop entreprenants. C'est généralement pas le meilleur moyen de donner envie à quelqu'un de s'éterniser dans le quartier. » Et bien que cette excuse s'avère crédible lorsqu'on le savait peu désireux d'envahir les autres dans leur espace vital – tout du moins lorsqu'il n'était pas question de recueillir des informations à leur sujet – ici Saul balayait simplement un obstacle du revers de la main, toujours caché derrière les bonnes intentions qu'il prétendait avoir depuis le début de cet échange. Des attentions qui, si elles n'étaient pas pour autant mauvaises, n'étaient pas aussi louables que ce qu'il aimait laisser penser. La voix d'Alexis s'éleva à nouveau lorsque la jeune femme lui fit remarquer que cette rencontre était sans doute assez vaine si l'on tenait compte du fait qu'elle ne resterait pas longtemps dans le voisinage. Et si Saul lui aurait déjà donné tort en temps normal, ici il était d'autant plus déterminé à prolonger cet échange, voir à en initier d'autres dans un futur proche. « Je comprends, mais il serait dommage de se croiser à l'avenir en s'adressant tout juste un sourire, vous ne croyez pas ? Nous n'aurons peut être ni le temps ni l'occasion de sympathiser, mais rien ne nous empêche de discuter comme deux voisins, sans forcément que ça doive nous mener quelque part. » Mais la jeune femme, qui semblait être sur la défensive depuis le début de la rencontre, et qui peut être voyait ici une occasion de se soustraire à sa compagnie et de poursuivre sa route sans plus être importunée par le premier curieux venu, ne perdit pas de temps pour amorcer sa sortie. « Alexis, permettez-moi d'insister. » Il souffla alors, sa main quittant à ce moment-là le long de son corps pour se saisir délicatement du bras de la jeune femme, comme un réflexe dont il fut le premier à s'étonner, raison pour laquelle il la lâcha presque aussitôt, sans doute déstabilisé par la façon dont ce geste semblait avoir manifesté son besoin de comprendre, de la comprendre. Comme un acte manqué qu'il n'avait pas vu venir, lui non plus. « Je ne veux pas vous mettre mal à l'aise, mais je pense que nous ne perdrions rien à échanger plus de quelques mots. Je n'ai pas non plus la prétention de penser que je suis le voisin le plus intéressant sur lequel vous pourriez tomber, mais je suis le seul que vous ayez sous le coude, alors pourquoi ne pas simplement en profiter pour bavarder ? » Bavarder comme il le ferait avec n'importe qui, finalement. Un voisin, un commerçant avec qui il aurait sympathisé ou bien un admirateur qui l'arrêterait en pleine rue. Saul était sociable, et si ici ses intentions n'étaient pas totalement désintéressées, il trouverait véritablement dommage qu'Alexis les prive d'une occasion de dépasser le stade des brèves salutations. « Si vous êtes pressée, je peux tout aussi bien vous accompagner. J'ai une voiture dont je ne me sers pas assez souvent, et un peu de temps devant moi, ce qui n'est pas loin d'être exceptionnel quand on me connait. » Il reprit par la suite, en désignant vaguement le véhicule qui stationnait dans son allée, et dont l'état laissait effectivement penser qu'il n'en faisait usage que lorsqu'il ne pouvait pas gagner quelques précieuses minutes en voyageant en taxi. « Vous n'avez rien à craindre. J'attends généralement la tombée de la nuit pour m'en prendre à mes voisines, c'est moins risqué et beaucoup plus commode lorsqu'on a un emploi du temps comme le mien. » Ses lèvres, étirées en un sourire amusé, dessinèrent bientôt une légère grimace lorsqu'il réalisa que l'heure n'était peut être pas à ce genre de tentatives d'humour. « Désolé, c'était pas … nécessairement la meilleure blague à faire. » Pas alors que sa voisine semblait déjà pressée de le quitter, et compte tenu du fait qu'elle n'avait après tout aucun moyen d'être tout à fait certaine que le voisin qui lui tenait la jambe depuis déjà quelques minutes n'était pas un psychopathe en liberté qui attendait de pouvoir assouvir ses pulsions meurtrières. Non, c'est certain, il aurait mieux valu qu'il s'abstienne de vouloir détendre l'atmosphère, d'autant plus alors qu'il fondait jusqu'ici beaucoup d'espoirs sur cette rencontre. |
| | | | (#)Sam 20 Aoû 2016 - 18:52 | |
| Si, pendant longtemps, Alexis a accordé aveuglément sa confiance aux autres, ses expériences passées ont fait d’elle une personne qui se veut désormais méfiante envers ces mêmes personnes, raison pour laquelle elle n’est pas particulièrement sociable et peu encline à aller vers les autres, ce qui explique qu’après un an dans ce quartier, ses voisins soient encore, pour la plupart, de parfaits inconnus. Saul peut se vanter de ne pas être rangé dans cette catégorie car outre son statut de célébrité du coin qu’il traîne, elle l’a surtout identifié comme étant un voisin un peu trop observateur (et curieux, comme elle s’apprête à l’apprendre) à son goût. Et si cette observation était commune à tous les voisins, elle ne trouverait rien à redire, mais en l’occurrence il s’agit d’une véritable surveillance et la jeune femme n’est pas à l’aise avec cette idée. Car être l’objet d’une surveillance, elle l’a été trop bien souvent au cours de sa vie, que ce soit lorsqu’elle fut sous le joug de Timur sans en avoir conscience ou lorsqu’elle fut emprisonnée au détriment de ses complices. Saul n’en est pas encore à une telle extrémité, mais elle ne parvient pas à se raisonner. Un brin paranoïaque, Lexis ne peut s’empêcher de se dire que cet intérêt pour sa personne n’est pas forcément pour son bien, un bien dont elle veut faire sa priorité aujourd’hui, après de trop nombreuses années à l’avoir dénigré. Ce n’est pas anodin si elle ne cherche jamais à attirer l’attention sur elle, à être invisible aux yeux du monde et à se fondre dans la masse, c’est un moyen de protéger les choses qu’elle cache et qu’elle ne supporterait pas de voir étalées au grand jour. De sa naïveté durant sa relation avec Timur, à ses occupations illégales quand elle est arrivée sur le territoire australien, en passant par le fait qu’elle ne soit pas digne de confiance en vue de son comportement envers ses codétenues, sans oublier son mariage blanc avec Damian qui pourrait l’exclure du pays et laisser ce dernier dans une situation inconfortable si leur manège venait un jour à être découvert… La demoiselle préfère donc user et abuser de méfiance et de paranoïa plutôt que de prendre le risque de se retrouver exposée et d’impliquer Damian dans tout cela, et face au comportement de son voisin, elle ne peut s’empêcher d’imaginer divers scénarios tous autant défavorable pour elle les uns des autres.
Car elle a essayé de se raisonner, Lexis. De se dire que le regard constamment posé sur sa personne de Saul dès qu’elle met un pied dehors n’avait rien d’intrigant ou inquiétant, qu’il n’était question que d’une curiosité envers cette nouvelle voisine. Mais les semaines ont passé et la méfiance qu’elle perçoit dans le comportement de Saul n’a pas diminué. En réalité, elle est surprise qu’il soit le premier à remarquer sa présence, elle qui occupe les lieux depuis un an maintenant, avec ses incessants aller-retours sans que cela semble poser problème à quiconque. Mais surprise ne veut pas dire satisfaite et la situation s’avère désagréable pour Lexis, qui prend soin d’être désormais irréprochable et qui ne voudrait pas éveiller les soupçons sur sa personne, sur la nature de sa relation avec Damian qui pourrait la renvoyer en Russie sans possibilité de retour si cela venait à être découvert. Alors oui, elle est paranoïaque, mais c’est une nécessité. Et elle ne compte pas laisser Saul et son apparente bienveillance la berner. Car si pendant de trop longues années elle n’a pas su lire les réelles intentions des gens, elle est désormais une experte en la matière. Et Masterson ne fait rien pour atténuer ses doutes, quand il lui annonce que cela fait un certain temps qu’il nourrit l’espoir de venir à sa rencontre. Les questions s’enchaînent et s’emmêlent dans l’esprit de la russe. Pourquoi maintenant ? Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Pourquoi cette envie de la rencontrer, alors que tant d’autres ne se sont pas donné cette peine ? Tentant de garder un certain contrôle sur cette situation qui lui échappe pourtant, elle admet connaître l’identité de son interlocuteur. À vrai dire, difficile de ne pas avoir entendu parler de Saul Masterson, ce dernier étant une véritable célébrité locale. Elle devrait être flattée de vivre si près de lui, pourtant elle ne perçoit pas cela comme une chance. Se présentant à son tour avec un nom de famille qu’elle a inventé (comme son prénom, en réalité), pour ne pas révéler la véritable nature de son lien avec Damian, elle hésite un instant avant de répondre « de même » à la réflexion de son voisin. Il n’est probablement pas dupe, son air renfrogné démontre qu’elle n’est pas particulièrement enchantée, mais elle prend à cœur les règles de politesse. « Est-ce que je peux vous laisser le soin de le deviner ? » Elle propose, non sans un sourire malicieux qui ne se veut cette fois pas feint, curieuse d’affirmer ou d’infirmer la proposition de Saul, sans toutefois omettre la possibilité d’arranger – encore une fois – la vérité de façon à ce que celle-ci lui convienne. « En effet. Il est difficile de passer à côté de vous lorsqu’on vit à Brisbane. » Et si elle a toujours entendu parler de l’homme en des termes élogieux, il se pourrait que son avis personnel soit en total opposition avec l’avis général. « Exubérant ne serait pas le temps que j’utiliserais pour vous décrire en tant que voisin. Observateur ou curieux me semblent plus appropriés. » Elle s’ose à dire, elle-même surprise par cette soudaine franchise dont elle fait preuve. Mais le fait est qu’elle n’est pas en confiance et comme à chaque fois que cela est le cas ; le calme et la docilité dont elle fait preuve habituellement tendent à disparaître au profit d’une maigre répartie et une agressivité bien dissimulée. La question qu’elle redoute tant est finalement posée et elle s’en sort avec facilité – selon elle – l’idée qu’elle puisse louer une chambre à Damian étant parfaitement crédible de son point de vue. Car sa maison est grande et qu’il est seul ; et malgré ses moyens l’idée de ne pas bénéficier de cette maison pour lui tout seul n’est pas choquante. En soi, parler de colocation pour définir la raison de sa présence n’est pas si éloignée de la réalité, bien qu’un bout de papier soit à prendre un compte. Un bout de papier dont Saul ne doit jamais apprendre l’existence. Si jusqu’ici Lexis a tenté d’apparaître un minimum courtoise, quitte à opter pour l’hypocrisie, il se pourrait qu’elle décide de définitivement envoyer valser ce masque de façade quand Saul lui fait remarquer qu’elle n’est pas présente dans le quartier tous les soirs. Et lorsqu’il précise qu’il a remarqué qu’elle s’absentait parfois pendant plusieurs jours, Lexis est réellement enveloppée d’un malaise que rien ne pourra désormais dissiper. Tentant toutefois de faire bonne figure, elle ne prend plus la peine d’être agréable. « Non, mais j’ai une vie personnelle. C’est un problème ? » Certes, sa vie personnelle est en réalité inexistante, mais c’est un détail que Saul n’a pas besoin de connaître. Le fait est qu’elle a désormais la preuve qu’il la surveille et cela lui déplaît. Alors Lexis, se sentant menacée, abandonne sa carapace dans laquelle elle se cache dès que les choses ne tournent pas en sa faveur. Elle n’aime pas les conflits, elle les fuit comme la peste, mais si tenir à tête Saul est le seul moyen de se préserver, la nécessité l’emporte sur sa personnalité. « Je ne pense pas avoir de compte à vous rendre sur mes absences. » Elle précise, sincère. Car même s’il était question d’un voisin curieux mais sans aucune idée derrière la tête, elle ne voit pas en quoi le fait qu’elle s’absente parfois pendant plusieurs jours le regarde. C’est sa vie, pas la sienne et il semblerait bon qu’il s’en souvienne.
Faisant ensuite remarquer au voisin que si on ne peut pas parler de tort dans son intervention, on peut toutefois noter le temps qu’il a pris pour venir se présenter – d’autant plus s’il nourrissait l’espoir de la rencontrer depuis un certain temps – point sur lequel elle ne manque pas d’appuyer. Ne sachant pas se positionner sur sa justification, elle se contente de hausser les épaules dans un premier temps. « J’apprécie la bienveillance. Mais sachez qu’évoquer dès la première rencontre les allées et venues de vos voisins n’est pas non plus le meilleur moyen de leur donner envie de s’éterniser dans le coin. C'est un petit conseil pour la prochaine fois que vous irez à la rencontre d’un nouveau voisin. » Elle dit cela en toute innocence, bien évidemment. Lexis ne peut s’empêcher de remettre cela sur le tapis, étant véritablement curieuse (et inquiète) de constater qu’il a pris note de ses déplacements. Et bien que désireuse d’en savoir plus sur les raisons qui poussent Saul à lui porter un certain intérêt, sa véritable nature reprend bien vite le dessus et elle tente de s’échapper de cette rencontre indésirable, en évoquant son séjour temporaire qui ne justifie pas qu’ils nouent de grandes relations. « Je ne crois pas, c’est une situation qui me conviendrait parfaitement, à dire vrai. Vous m’avez l’air très sociable, Saul, et j’imagine que vous appréciez nouer des relations avec vos voisins, mais ce n’est pas mon cas. Encore moins quand ces relations sont vouées à n’être que temporaires. Mais je suis navrée que ce ne soit pas un avis qui soit partagé. » Véritablement navrée, il va sans dire. Elle se voit contrainte d’insister, consciente que de son côté Saul n’est pas désireux de mettre un terme à cette rencontre ; ainsi elle prend les devants en tentant – vainement – de poursuivre son chemin. Vainement, car c’est bientôt la main de son voisin qui vient se poser sur son bras pour l’empêcher de lui fausser compagnie. Un geste bref, bien vite interrompu par celui l’ayant initié, mais qui déstabilise la jeune femme au point où elle ne lui offre qu’un regard noir en guise de réponse. Il fut peut-être délicat dans son geste, il n’empêche que la jeune femme associe celui-ci à la façon dont Timur et Cruz se saisissaient d’elle les derniers temps de leur relation, et par conséquent, Saul ne lui apparaît définitivement plus comme un voisin bienveillant. « Parce que je n’en ai pas envie. Que ça vous plaise ou non, mon avis entre en ligne de compte. Et sachez que vous me mettez déjà mal à l’aise. » Elle admet d’une voix assurée. Peut-être est-ce là quelque chose qu’il recherche, et si tel est le cas il a parfaitement réussi son coup, mais Alexis n’est pas à l’aise en sa compagnie et elle veut par conséquent ne pas se l’imposer plus longtemps. « Non merci. Et on m’a appris à ne pas monter en voiture avec un inconnu, vous voyez. » Peste-t-elle non sans une ironie nouvelle. Et les paroles qui sont les siennes par la suite n’arrangent pas les choses. « En effet. » Rétorque-t-elle quand il s’excuse, avant d’ajouter sans tarder « vous me mettez définitivement mal à l’aise » bien que cela ne semble pas réellement avoir d’impact puisqu’elle se répète. Prenant une grande inspiration après s’être voulue muette quelques instants le temps de réfléchir à ce qu’elle s’apprête à dire, ne sachant pas s’il s’agit d’une bonne idée ou non, elle se décide finalement à reprendre la parole. « Et si on arrêtait de jouer à cela, Saul ? Et que vous me disiez clairement ce que vous me voulez ? » Cette fois, sa voix est plus hésitante, Lexis sachant qu’elle vient de lancer les hostilités, des hostilités dont elle se tient habituellement éloignée. Et ce n’est pas sans raison, elle qui se veut toujours en retrait car elle arrive rarement à faire entendre sa voix s’apprête à devoir en faire usage comme jamais auparavant.
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| | | | (#)Jeu 25 Aoû 2016 - 19:18 | |
| A une certaine époque de sa vie, Saul n'avait encore aucun mal à imaginer chez autrui le fond le plus noble et les meilleures intentions. Il avait passé toute une partie de sa vie au sein d'une communauté chaleureuse, et dans un foyer qui – s'il avait pu être atypique par bien des aspects – avait été aimant. C'est dans ce climat rassurant qu'il avait développé son amour des autres et son goût pour le contact humain. C'est aussi à cette époque qu'il s'était ouvert à l'art, et à tout ce qui revêtait pour lui d'une jolie manière de représenter le monde qui l'entourait. Mais les années avaient passé, Saul avait changé d'univers, d'environnement, avait fait des rencontres qui avaient changé sa perspective de certaines choses, avait connu des peines et des désillusions qui l'avaient averti sur ce qu'on pouvait parfois trouver chez ceux qu'on croyait pourtant connaître. Il y avait eu sa mère, la façon dont elle s'était détournée de lui et avait refait sa vie comme si son père et lui appartenaient à une existence dont elle ne voulait plus. Son demi-frère, qui des années plus tard s'était rebellé en utilisant toutes les armes qu'on avait pu mettre à sa disposition, y compris l'amour que son aîné lui portait. Et bien d'autres à qui il avait pardonné, pourtant, mais grâce à qui il savait aujourd'hui qu'on ne pouvait jamais totalement se fier à ceux dont on était le plus proche. Alors les inconnus, ceux qui apparaissaient un beau jour dans votre vie pour y semer un vent de doute et de suspicion, étaient d'autant plus à craindre qu'ils n'avaient généralement pas autant de scrupules à bouleverser votre existence et mettre à mal votre quiétude. Saul l'avait à nouveau vérifié en rencontrant Vidal, un homme qui le tenait sous sa coupe, ne reculant devant aucun stratagème pour asseoir sa supériorité et son influence, et dont il se reprochait chaque jour d'avoir croisé la route. Par le biais de son travail, aussi, grâce auquel il était amené à rencontrer des professionnels de tous genres, de tous milieux, et dont les prétendus principes n'étaient parfois qu'un voile dissimulant les pires intentions. Combien de fois un metteur en scène s'était approprié son travail, à l'époque où il écrivait pour le compte des autres, profitant ainsi du fait qu'il n'ait jamais voulu profiter de l'influence de son père pour se lancer dans le milieu du spectacle ? Combien de fois une comédienne avait tenté de s'attirer ses faveurs simplement dans l'espoir de se voir offrir le rôle de sa vie ? Et combien de fois avait-il été témoin de la perversion qui gangrenait silencieusement chaque milieu où la célébrité n'était jamais loin et où beaucoup étaient prêts à tout pour se l'approprier ? Adversité, corruption, toutes ces choses avaient fini de lui apprendre l'une des règles fondamentales de la société d'aujourd'hui : la méfiance était la clé d'une vie salutaire. Alors oui, ici Saul avait laissé parler les doutes qu'il nourrissait depuis déjà un certain temps, et s'était risqué à rencontrer celle qu'il suspectait d'avoir quelque chose à cacher. Il ignorait quoi, c'était précisément l'objet de cette rencontre, tout du moins c'était les intentions qu'il s'efforçait de cacher derrière de grands sourires et une démarche amicale. Mais aussitôt arrivé à la hauteur de sa voisine, Saul comprit que la jolie blonde n'était peut être pas aussi dupe qu'il l'avait espéré. Semblant sur la défensive, elle lui donna dans un premier temps l'impression de subir cette rencontre, une impression qui se confirma d'autant plus lorsqu'Alexis prétexta être enchantée de faire sa connaissance, d'un ton qui ne se voulait probablement pas particulièrement convaincant. « Europe de l'Est ? » Le brun souffla néanmoins, loin de laisser ses observations le déstabiliser alors qu'il avait trop à gagner à éterniser cet échange, qu'il espérait riche en enseignements. Une partie de lui s'était attendue à ce que sa voisine ne lui livre pas sur un plateau une information qui pourrait précisément l'aider à la cerner – ou tout du moins à la connaître – mais il préférait s'amuser du fait qu'elle semble vouloir lui donner du fil à retordre. Pour autant, qu'elle ne s'y trompe pas, le temps des rires ne durerait pas. « J'ai travaillé à plusieurs reprises avec le Théâtre Bolchoï, en Russie. J'ai toujours trouvé que Moscou était trop vaste et qu'on y mangeait rien d'exceptionnel, mais je dois bien reconnaître que ce pays a beaucoup d'autres attraits. » Et insistant sur la fin de sa phrase tout en lui lançant un regard entendu, il resta un instant à la fixer, silencieux, un sourire en coin. Il aurait eu bien des raisons de faire du charme à une aussi jolie jeune femme s'il n'était pas trop focalisé sur l'objectif qu'il s'était fixé, ainsi Saul se contentait ici de la tester, pensant que si sa simple présence suffisait à la rendre fébrile, ce genre d'insinuations pourraient avoir des effets insoupçonnés. Souriant à nouveau lorsqu'Alexis laissa entendre qu'il était bel et bien difficile de le rater, et choisissant de le prendre comme un compliment, le brun afficha un léger rictus à la prochaine affirmation de la blonde. « Vous apprendrez qu'un bon voisin est un voisin attentif à tout ce qui se passe autour de chez lui. » Il avait compris, bien sûr, qu'à travers ces quelques mots Alexis s'était employée à lui faire passer un message et à laisser entendre qu'elle n'aimait pas particulièrement la curiosité dont il pouvait faire preuve, notamment à son égard. Et si Saul avait encore des doutes quant au fait qu'elle ait parfaitement conscience du jeu auquel il était entrain de jouer, il en était maintenant d'autant plus certain. Mais loin de l'inquiéter ou de compromettre ses plans, il préféra bientôt jouer la carte de la franchise, après l'avoir questionnée sur la nature de sa relation avec Damian Wheeler et admettre sans vergogne qu'il s'était effectivement intéressé à ses faits et gestes, et d'une manière plus assidue qu'elle se l'était probablement imaginée au départ. Là encore, sans doute espérait-il une réaction, quoi que ce soit qui viendrait lui confirmer que la jeune femme n'avait pas la conscience tout à fait tranquille, ou en tout cas qu'elle avait quelques bonnes raisons de déprécier l'idée qu'il veille à ce point à se tenir au courant du moindre de ses déplacements. Et comme il s'y était attendu, le ton employé par Alexis se fit plus froid, plus sec, presque incisif. Piquée ou en tout cas animée d'une contrariété qu'elle ne cherchait plus à cacher, la jeune femme ne prenait plus de gants. Et bien que ne la poussant pas dans ses retranchements par plaisir, Saul était forcé d'avouer que c'était ce qu'il espérait. « Tout dépend à quoi vous l'occupez. » Il reprit ainsi, d'un ton qui se voulait tout aussi spontané, sans plus craindre désormais de dépasser les bornes. C'était le cas, il le savait – et encore une fois il n'aimait pas nécessairement l'idée de mettre une demoiselle mal à l'aise simplement pour éclairer ses soupçons – mais l'heure n'était plus vraiment à la subtilité, et ça n'était peut être pas un mal. Pour autant, animé de sentiments contradictoires et rattrapé par une nature qui s'opposait en vérité à ce qu'il était entrain de faire, de dire, Saul reprit plus calmement. « Excusez-moi, ça ne me regarde évidemment pas. » Et bien qu'une partie de lui était tentée de penser que si dans la mesure où ses soupçons n'étaient que plus grands depuis que cet échange avait commencé, Saul savait qu'il n'était pas dans son intérêt de la faire fuir en lui donnant d'excellentes raisons d'écourter cette conversation. Mais à la façon dont Alexis reprit bientôt la parole, il comprit que certaines de ses précédentes confessions l'avaient suffisamment marquée pour qu'elle y fasse de nouveau allusion, lui faisant habilement remarquer que sa façon de faire n'était peut être pas idéale si comme il le disait, son intention n'était aucunement de lui donner envie de fuir le quartier à la quatrième vitesse. « Pour ma défense, si j'ai pu donner l'impression de faire régulièrement ce genre de choses, je n'ai pas si souvent le temps et l'occasion d'aller à la rencontre du voisinage. » Il admit alors, conscient que son numéro du voisin soucieux de faire la connaissance de chaque nouveau venu paraissait bien moins convaincant maintenant qu'il se permettait une démarche un peu plus franche, noyée sous moins de faux-semblants. Peut être qu'Alexis n'en serait que d'autant plus convaincue qu'elle bénéficiait là d'un traitement de faveur, et que Saul ne changeait pas ses habitudes sans avoir une petite idée derrière la tête, ainsi il ne fut pas particulièrement étonné que sa voisine cherche bientôt à se dérober. Selon elle, cette rencontre perdait de son intérêt dans la mesure où elle ne prévoyait pas de s'éterniser dans le quartier, et si Saul n'aurait probablement pas insisté dans d'autres circonstances, ici il ne pouvait décidément pas se permettre de la laisser s'éclipser. Ça lui coûtait, pourtant, d'être cet homme entreprenant qui rendait cet échange pénible autant pour elle que pour lui. Il aurait aimé pouvoir faire abstraction de ses doutes, et du fait que l'attitude de sa jeune voisine ne fasse en somme que les confirmer, mais son besoin de savoir, de comprendre, était plus fort que son désir de la laisser tranquille et de leur épargner une suite moins agréable. Alors, tandis que la blonde insista sur ses précédents propos, c'est dans un élan spontané que le brun se saisit de son bras, doucement, mais d'une manière qui en disait malgré tout assez long sur son envie et son besoin de poursuivre ce qui ressemblait de plus en plus à des hostilités. Réparant sa maladresse en rangeant sa main le long de son corps comme pour se convaincre que rien ne s'était passé, Saul comprit que la méfiance que lui destinait Alexis avait atteint son paroxysme, raison pour laquelle il eut sans doute tort de se risquer par la suite à un humour pour le moins inapproprié. Nouvelle erreur, nouvelle preuve qu'il n'intimidait pas ses voisins tous les jours, et nouvelle occasion pour la jeune femme de lui asséner son envie de lui faire faux bond. Alors, résigné à jouer pour de bon la carte du voisin antipathique, Saul soupira. « Croyez-moi, ça ne me plaît pas d'insister alors que je vois bien qu'éterniser cet échange est la dernière chose dont vous avez envie. » Il était sincère, pour autant l'expression qu'il affichait démontrait qu'il n'avait plus l'intention de la prendre pour une imbécile, lui non plus. « Mais je n'ai pas l'intention de m'en aller. Tout comme je n'ai pas l'intention de vous laisser partir. » Il ajouta alors, d'un ton qui trahissait peut être encore légèrement la difficulté que représentait pour lui le fait de paraître si froid, si déterminé, à quelques mètres seulement de son foyer, de ses enfants, de la vie d'homme tranquille qu'il menait il y a encore quelques minutes. Et alors qu'Alexis laissa tomber le dernier masque qui pouvait encore le tromper sur sa perspicacité et le fait qu'elle voit parfaitement clair dans son jeu, Saul décida de faire de même. « Très bien. » Et s'approcha d'un pas ou d'eux comme pour emprisonner ses prochaines paroles au sein d'un cadre restreint qui ajouterait à la tension qui les entourait, le brun reprit. « Je ne suis pas venu uniquement pour faire votre connaissance, j'imagine que ça ne vous aura pas échappé. » Et s'il se permettait de l'affirmer, c'est parce qu'à présent il était convaincu d'avoir trouvé une adversaire aussi maligne et déterminée que lui, qui avait tout autant conscience que ce qui se jouait ici n'avait rien d'innocent ou bien d'anodin, et tout d'un conflit qui s'annonçait féroce. « Je ne sais pas qui vous êtes, ni pourquoi vous semblez à ce point inquiète à l'idée que je puisse m'intéresser à vous et à vos habitudes, mais je sais reconnaître un mensonge lorsque j'en entends un, et tout dans votre attitude me laisse penser que vous ne me rejetez pas seulement par pudeur ou par timidité. » C'était ce qu'il avait pu penser, au départ, lorsqu'Alexis lui était apparue comme une jeune femme fébrile, prise de court par la façon dont il s'était imposé à sa compagnie et incapable de formuler clairement sa gêne et son mécontentement. « Alors je vais me permettre un conseil à mon tour. Si vous ne voulez pas que vos voisins s'imaginent que vous cachez certaines choses, évitez de vous comporter comme si c'était le cas. Logan City est un quartier tranquille, on détone facilement lorsqu'on agit comme vous le faites. » Et par là, tandis que son regard se voulait à nouveau insistant, il ne cherchait décidément plus à prétendre avoir pu l'observer par hasard, et sans véritable désir d'avoir toujours un œil sur elle et sur ses petites habitudes. Haussant finalement les épaules, il poursuivit. « Vous savez, Alexis, je peux être un voisin adorable. Je peux vous saluer poliment, vous inviter à des barbecues et vous prêter du sucre ou tout ce dont vous pourriez avoir besoin chaque fois qu'il vous prendrait l'envie de sonner à ma porte. » C'était à vrai dire ce qu'il était quatre-vingt-dix pour-cents du temps : quelqu'un de serviable, qui trouvait toujours une minute pour dépanner un voisin ou pour se montrer courtois. Mais parce qu'ici il ne jouait décidément pas la même partition, la suite se voulut assez prévisible. « Mais je peux aussi devenir une plaie, une gêne de chaque instant, et vous oppresser jusqu'à ce que vous ne vous sentiez plus chez vous dans votre propre rue. » Ce serait un rôle de composition, un rôle dans lequel il s'était d’ailleurs glissé voilà déjà quelques minutes, et un vrai défi pour quelqu'un à qui sa conscience laissait déjà peu de répit. Mais un rôle qu'il lui fallait endosser maintenant qu'il était à peu près certain de ne rien obtenir d'elle avec de grands sourires et des phrases toutes faites, chargées de bons sentiments. « Je ne veux pas en arriver là, mais ne me sous-estimez pas, et jouez franc jeu avec moi. Car je ne baisserai ma garde que lorsque je saurai exactement à qui j'ai à faire, ainsi il est dans votre intérêt de ne pas me compliquer la tâche. » Croisant les bras comme pour donner un impact supplémentaire à ses propos, Saul resta ensuite silencieux, plombant volontairement cette ambiance déjà lourde, qui se faisait plus pénible à mesure que chacun déposait ses cartes sur la table. Ne s'encombrant plus ni de subtilité ni de diplomatie, il était bien décidé à se faire entendre, qu'importe que ses derniers scrupules s'accrochent encore désespérément à lui. |
| | | | (#)Mer 31 Aoû 2016 - 23:39 | |
| En réalité, bien chanceux est celui qui échappe à la méfiance dont Lexis fait constamment preuve, tant celle-ci est prédominante dans ses relations avec les autres. Damian, Nathan, Théodora, ils sont tous passés par ce stade où chacun de leur geste fut analysé par la blonde et où chacune de leur phrase fut décortiquée afin de s’assurer de la sincérité de celle-ci, avant de s’autoriser à baisser sa garde et à les laisser entrer dans sa vie, à des degrés différents. Quant aux autres, il est difficile d’envisager qu’ils puissent franchir cette barrière qu’elle impose entre elle et eux, le traitement qu’elle réserve à Saul n’est par conséquent pas réellement une exception de la part de Lexis. Mais là où il aurait pu subir la même méfiance qu’elle réserve au commun des mortels, se contentant d’être un type qu’elle salue à l’occasion sans chercher à nouer le moindre contact avec lui et l’oubliant aussitôt disparu de son champ de vision, il a fallu qu’il se lance sur un terrain plus glissant, celui d’apprendre à connaître une voisine qui n’en demande pas autant. Elle a toujours été négligeable, Alexis, elle l’est toujours et si lorsqu’elle était adolescente cette perspective ne lui convenait pas, aujourd’hui elle ne souhaite pas s’en défaire. À vrai dire, bien même si elle le voulait, elle n’est pas sûre qu’elle y parviendrait. Et jusqu’ici, nombreux sont ceux à la considérer effectivement comme un élément du décor, à tel point qu’il n’est pas rare que ses salutations d’usage se perdent dans le vide ou que son visage ne s’imprègne pas dans l’esprit d’interlocuteurs qu’elle côtoie pourtant quasi quotidiennement. Si d’autres pourraient être vexés par ce flagrant manque d’intérêt, il n’en est rien du côté de la jeune russe qui recherche justement ce désintérêt permanent envers sa personne. Le fait que Saul ne daigne pas entrer dans le moule qu’elle impose aux autres la rend curieuse autant que cela l'inquiète. Saul en veut plus que le commun des mortels, bien plus que ce qu’elle est disposée à offrir, autant à lui qu’au reste du monde. Il s’est mis en tête de cerner une jeune femme qui n’y est pas parvenue elle-même, lui laissant ainsi un champ d’interprétation aussi vague que dangereux. Dans une telle situation, difficile de paraître ravie de faire la rencontre qu’un homme que, paradoxalement, elle a déjà l’impression de connaître. Elle s’est forgé une image de lui à laquelle elle tient, une image probablement très éloignée de la réalité mais qui la rassure dans son comportement à adopter. Celui d’une hypocrite, un masque qu’elle a revêtu déjà bien trop souvent à son goût et dont elle est pourtant indissociable au quotidien. Car même avec Damian, elle le porte, elle se cache derrière celui-ci, derrière les beaux sourires qu’il promet et les mensonges qu’il respire.
Un masque qui la protège, mais qui ne l’empêche pas d’être sur la défensive, même au détour d’une conversation d’apparence parfaitement anodine. Son accent la poursuit et ce n’est pourtant pas faute de faire de son mieux pour atténuer celui-ci, mais elle n’y parvient pas. C’est un rappel constant de qui elle est véritablement, de cette personne qu’elle souhaite laisser derrière elle et qu’elle met tant d’énergie à oublier, mais qui persiste à se rappeler à elle dès qu’elle ouvre la bouche. « Bien joué. » Elle répond brièvement après qu’il s'est essayé à son jeu de devinette avec un succès tout relatif, ciblant une zone plus qu’un pays, de quoi satisfaire la russe avant qu’il se montre plus précis en reprenant la parole. « Je ne peux malheureusement pas confirmer vos dires, je n’ai jamais mis les pieds à Moscou. » Elle rétorque, ignorant volontairement la fin de sa réflexion. Ce n’est pas spécifiquement dirigé contre Saul, mais Lexis est devenue particulièrement insensible aux réflexions sur son physique, ayant bien trop souvent été considérée uniquement par celui-ci avant d’être perçue comme l’être humain qu’elle est et si pour beaucoup cela relève d’un compliment voire d’une brève tentative de séduction, de son côté le moindre commentaire dans ce sens la renvoie au marché dont elle fut une victime – heureusement – collatérale. Après un instant d’hésitation, Lexis a décidé de ne pas cacher le fait que Moscou n’est pas un endroit familier pour elle. Elle aurait pu laisser entendre le contraire pourtant, afin d’induire en erreur un Saul visiblement décidé à en apprendre plus sur elle, mais elle ne souhaite pas qu’il se mette en tête d’associer certains scandales qui ont particulièrement éclaboussé la capitale à elle. De plus, si contrairement à elle il est familier avec la troisième Rome, il lui sera plus difficile de s’éloigner de ce qu’il connaît. Il est aussi question de le déstabiliser à son tour comme lui prend plaisir à le faire depuis quelques instants. Et si elle n’a pas son talent avec les mots pour se montrer plus incisive, elle n’en est pas moins déterminée. Quant à la possibilité qu’il puisse être un voisin exubérant se mettant en spectacle à la moindre occasion, elle balaie rapidement cette idée, non sans se permettre de lui révéler sa première impression sur lui. Et si Lexis persistait encore à faire preuve d’une pointe de tolérance à l’égard du metteur en scène en mettant sa méfiance exagérée sur le compte de la paranoïa, la façon dont il la prend presque de haut – de son point de vue – lui déplaît fortement. Sans parler de ses propos non dénués de sous-entendus, répondant ainsi à la joute verbale qu’elle a engagée et confirmant par la même occasion la bienveillance factice dont fait preuve Saul à son égard. « Vous apprendrez que les gens peuvent avoir des visions différentes des choses. Pour ma part, un bon voisin est celui qui s’occupe de ses affaires. » Et il ne s’agit pas seulement d’une énième pique destinée à son voisin, mais d’une opinion qu’elle ose affirmer. Probablement parce que sa précédente vie de quartier avant d’emménager ici se résumait à deux expériences peu agréables, Kirov et la prison, où, définitivement, il faisait bon de ne pas être attentif à tout ce qui se passait autour de soi et où il était plus que conseillé de garder son nez dans ses affaires. Et lorsque de son côté, elle ne s'est pas tenue à cette règle, elle l’a amèrement regretté, son corps peut en témoigner.
Alexis n’échappe évidemment pas à la question à laquelle elle s’est préparé depuis son emménagement dans le quartier, c'est-à-dire la raison pour laquelle elle se permet parfois d’aller et venir librement dans la maison vingt-et-une de la rue, alors qu’elle n’en est ni la propriétaire, ni la locataire officielle. À une telle question, elle sait exactement que répondre. Il s’agit d’une colocation, certes simplifiée pour satisfaire la curiosité de Saul, mais plus proche – pour une fois – de la vérité que du mensonge. Toutefois, si elle peut comprendre la question de Saul, elle ne parvient pas à faire preuve de la même compréhension lorsqu’il évoque la durée de ses séjours, ou plutôt la durée de ses absences. Elle trouve en sa réflexion la dernière preuve qui lui manquait pour avoir la certitude que le regard que Saul pose sur elle n’a rien d’innocent, mais qu’il s’agit bel et bien d’une menace à sa tranquillité dans ce quartier et, par extension, à sa sécurité acquise dans ce pays. Sa question est parfaitement déplacée, comme elle tente de le lui faire comprendre. Il n’a pas à savoir que la vie personnelle qu’elle évoque est inexistante, l’idée reste la même. La façon dont elle occupe ses journées ne le concerne pas, quand bien même cela la tient éloigné du quartier durant quelques jours. En l’occurrence, ses absences n’ont rien à voir avec des activités illégales ou amorales qu’il semble sous-entendre. Faisant les gros yeux quelques instants à l’entente des propos de Saul, estimant définitivement qu’il s’aventure sur un terrain qui ne le concerne absolument pas, la réserve dont elle fait preuve s’estompe à mesure qu’il force l’entrée de sa sphère personnelle. Une sphère personnelle qu’elle monte de toutes pièces pour l’occasion, dans l’espoir qu’il daigne enfin rester à sa place. Celui d’un homme supposément respectable, bien qu’elle peine de plus en plus à l’imaginer comme cela, bien que ce soit la façon dont tout le monde lui a vendu ce grand metteur en scène avant cette rencontre. « Vous désirez peut-être le numéro de mon conjoint, ou celui du bureau où je travaille ? Ou même mieux, les adresses afin de compléter l’agenda de mes déplacements ? » Elle ne prête plus attention au ton agressif de sa voix, estimant que, cette fois-ci, il a parfaitement mérité qu’elle se comporte de la sorte sans qu’elle essaie de dissimuler un agacement qui prend le dessus sur la passivité dont elle fait habituellement preuve. Le véritable problème n’est pas qu’il s’intéresse à la façon dont elle occupe ses journées, le problème est qu’il découvre la façon dont elle les occupait il y a quelques années. Lorsqu’il s’excuse, Lexis ne parvient plus à afficher le visage de la voisine compréhensive et ouverte, mais se découvre de plus en plus comme étant une jeune femme menacée et inquiète dont les barrières l’empêchant de se laisser emporter s’effondrent les uns après les autres. « Pour la prochaine fois, ce serait bon de vous en souvenir avant de poser des questions parfaitement déplacées. » Car même si elle ignore encore à quel jeu exactement il se prête avec elle, cela ne l’empêche pas de la respecter, notion dont il semble s’éloigner de minute en minute en lui forçant la main de cette façon. Pour ma défense, elle sourit légèrement, car le fait est qu’elle se fiche bien de sa défense, elle a un avis bien tranché – ce qui est suffisamment rare pour être souligné – sur Saul pour ne pas envisager de revenir en arrière, ni maintenant ni dans le futur. « Je vois, alors un conseil : abstenez-vous, vous n’êtes pas encore prêt. » Elle crache d’une voix glaciale, dénuée de toute tentative de sauver les apparences, consciente que cela l’épuise plus que cela se révèle réellement efficace. Elle fait toutefois preuve d’une étonnante sincérité, pensant vraiment qu’il est préférable pour lui de s’abstenir d’aller à la rencontre de ses voisins si c’est pour faire preuve d’un tel comportement, parfaitement inadéquat et déplacé, d’autant plus venant d’un homme public à l’image irréprochable, pour l’instant. Définitivement perturbée par la façon dont Saul a évoqué ses déplacements, Lexis ne se montre pas réceptive à ses tentatives de la convaincre de changer d’avis alors qu’elle ne voit pas l’intérêt de faire connaissance avec lui à ce stade. Si elle n’était déjà pas séduite par cette idée avant d’être confrontée à lui, elle n’envisage plus la possibilité de faire marche arrière suite aux déclarations de Saul, qui l’ont convaincue qu’il n’a absolument rien à voir avec la réputation qu’est pourtant la sienne, au point où elle se pose sérieusement la question de savoir comment il est parvenu à obtenir cette image d’homme propre sous tous rapports, quand ses scrupules sont proportionnels aux sourires à foison qu’il offre aux voisins quand il se promène dans ce quartier. La preuve en est encore lorsqu’il se saisit de son bras pour la maintenir en place, un geste qui d’apparence n’a rien de brutal, mais qui l'est pour une personne comme Lexis. Il peut s’estimer heureux qu’elle ne soit pas de ceux qui font preuve de violence physique, mais qui se contentent de la recevoir, sans quoi sa frêle main se serait déjà déposée sur sa joue dans un claquement faible, mais pas dénué d’effort. « Alors pourquoi vous insistez ? » Elle demande d’une voix qui se veut cette fois-ci presque suppliante, trahissant le malaise qui l’enveloppe depuis quelques instants, depuis qu’elle a réellement pris la mesure de ce qui se passe et de la situation dans laquelle elle s’est à nouveau mise sans réellement le vouloir. Et c’est presque un regard embrumé qu’elle adresse à son voisin lorsque le ton froid et les mots qui se succèdent la frappent de plein fouet et se rappellent à elle de la plus douloureuse des manières, alors que la voix de Timur se fraie un chemin jusqu’à son esprit. Il est toujours là, constamment présent dans son esprit avec sa voix si reconnaissable qu’elle ne parvient pas à oublier, mais il s’affiche désormais face à elle l’espace d’un instant, un bref instant où elle lâche prise et révèle la gamine terrorisée tapie en elle depuis de trop nombreuses années, alors que la jeune femme lutte pour reprendre sa place et la neutralité dont elle essaie de faire preuve depuis le début de la rencontre. Il lui faut bien quelques instants, mais sa solution se trouve dans le fait de changer de sujet de manière radicale, mettant un terme à ces faux-semblants qui animent la conversation depuis le départ, afin de faire preuve d’une franchise que ni l’un ni l’autre ne considéraient comme une priorité jusqu’ici. Et cela lui coûte, à Lexis, de se montrer aussi directe, de lancer les hostilités alors qu’il s’agit pourtant d’une de ces hantises, pour faire taire Timur qui continue de marteler son esprit en renchérissant sur les propos de Saul, mais c’est la seule option qui se présente à elle pour le moment, hormis celle qui consiste à laisser couler quelques larmes sur ses joues, signe d’une faiblesse qu’elle ne fera pas le plaisir d’exposer face à Saul. Et ce soudain besoin de franchise, aussi redouté que cela est pour Lexis est nécessaire. Car elle n’est pour l’instant que bercée de certitudes qui n'en sont pas tout à fait et elle a besoin de se positionner sur Saul pour ne pas se contenter d’enclencher son mécanisme de défense qui consiste à fuir et à faire la sourde oreille, mais bel et bien à envisager une riposte une fois que ses véritables intentions seront connues.
La jeune femme sent son estomac se nouer dans l’attente de mots de Saul alors que la confiance qu’elle essayait de faire transparaître semble avoir définitivement disparu et qu'il n'y a plus qu’elle et ses regrets. Regrets de ne pas avoir fui quand l’occasion s’est présentée à elle, regrets d’avoir provoqué un Saul désormais prêt à l’écraser, regrets d’avoir voulu cette conversation à laquelle elle donnerait désormais tout pour échapper. Il fait un pas en avant ; elle en fait un arrière par réflexe, alors qu’elle acquiesce silencieusement aux paroles de Saul, non sans tenter de se maîtriser alors qu’elle ne contrôle déjà plus rien. Et elle écoute, les émotions se bousculant en elle, du tremblement lié à la crainte au poing serré lié à la colère. « C’est étonnant que votre comportement à vous n’ait jamais détoné, dans ce cas. » Elle souffle, galvanisée par la colère, alors qu’elle tente de soutenir son regard dans une tentative de ne pas paraître plus faible qu’elle ne l’est déjà face à lui. Si elle semble cacher des choses, de son côté, il souhaite d’une façon presque malsaine s’immiscer dans l’intimité des autres. « Croyez-le ou non, mon comportement n’a rien d’étrange. Et s’il vous intéresse tant que cela, expliquez-moi comment je suis censée me comporter quand un type de votre âge n’arrête pas de me surveiller du coin de l’œil et semble tenir un agenda de mes déplacements ? Et qu’il ne trouve rien de mieux à faire que d’exiger des détails sur ce que je fais de mon temps libre lors de notre première rencontre ? Si mon comportement vous semble être le plus étrange des deux, laissez-moi vous dire qu’il est peut-être temps d’ouvrir les yeux sur vos agissements. » Elle ose dire, d’une voix qui tente de garder un certain calme. Si Saul lui est apparu et lui apparaît encore comme quelqu’un qui, en apparence du moins, semble être doté d’un bon fond, elle n’en est en réalité pas si sûre et la façon dont il s’est saisi de son bras quelques instants auparavant l’oblige à une certaine méfiance. Méfiance qui n’est qu’accentuée par le regard insistant dont il la gratifie depuis le début de la révélation de ses attentions, ce regard qui lui est si familier depuis maintenant quelques semaines. Et alors qu’elle ne pensait pas que la conversation pouvait prendre une tournure encore plus désagréable, les prochaines paroles de Saul ne font que lui confirmer qu’il n’est pas aussi dénué de scrupules qu’il tente de le faire croire, bien au contraire. Car la dernière fois qu’elle a fait face à un tel chantage – puisqu’il est question de cela – ce fut lorsqu’elle était encore en prison, et que le chantage a fini par attenter à sa vie. « Ce n’est pas déjà ce que vous faites ? » Elle demande avec un sourire naïf qui cache une vraie crainte qu’il n’expose cette vérité qu’elle met tant d’énergie à dissimuler et dont la révélation signerait son retour définitif en Russie. Inenvisageable. Si pour se préserver, elle doit faire preuve d’un courage et d’une provocation qui ne lui ressemblent pas, elle est prête à en user et abuser. « J’ignore la raison pour laquelle il vous semble justifié d’exiger des informations personnelles d’une voisine qui ne veut visiblement pas, à raison, les partager avec vous, mais vos menaces n’y changeront rien. Je ne sais pas ce que je vous ai fait ni la raison pour laquelle vous supposez que vous êtes en droit d’agir comme vous le faites, mais une chose est certaine : si vous persistez à être sur mon dos comme c'est déjà le cas, la prochaine fois que l’on se croisera ce sera autour d’une plainte pour harcèlement au commissariat du coin. » La jeune femme n’ira jamais jusque-là, elle le sait, mais ce n’est pas le cas de Saul. Et si lui se permet de la menacer impunément, elle estime qu’elle est en droit de s’y essayer à son tour. Un juste retour des choses, en somme. « La plainte n’aboutira jamais, car après tout vous êtes Saul Masterson, mais votre réputation, elle… Je ne suis pas certaine qu’elle s’en relève totalement. » Totalement, car elle n’est pas dupe, elle sait qu’elle ne fait pas le poids face à cet homme, mais si elle peut se permettre d’entacher sa réputation, même légèrement, elle fera tout son possible pour que ce soit le cas. Zieutant la ruelle, elle finit par désigner celle-ci d’un bref signe de la tête. « Vous permettez ? Ou vous allez encore me retenir par la force ? » Elle termine, faisant référence à la façon dont il a saisi son bras auparavant. Il n’a pas fait usage de force, mais puisqu’elle a l’air d’être la seule à adopter un comportement inadéquat, elle ne se prive pas pour accentuer les torts dont il a fait preuve depuis le début de la rencontre et qu’il persiste pourtant à ignorer.
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| | | | (#)Mar 6 Sep 2016 - 0:51 | |
| Si Saul avait toujours été plus exigeant envers lui-même qu'envers les autres, au point parfois de détoner légèrement au cœur d'un milieu où régnait une véritable course à l'excellence et de s'attirer les foudres de ceux qui attendaient souvent de lui qu'il s'affirme et range ses scrupules au placard, il n'y avait pas de pire erreur à commettre que de s'imaginer qu'il était dépourvu de détermination. Au contraire, si contrairement à beaucoup d'hommes à responsabilités il n'était pas particulièrement friand de tout ce qui s'apparentait à un rapport de force, il y avait des situations qui justifiaient parfois que sa bonhomie apparente et sa convivialité laissent place à un masque un peu moins attrayant, reflet d'une partie de sa personnalité qui éclatait parfois à la figure de ceux qui avaient le malheur de sous-estimer sa capacité à se dépourvoir de sa légendaire diplomatie. Parce qu'au même titre qu'il était sans doute difficile d'imaginer qu'un homme qui semblait vivre pour sa famille et qui renvoyait l'image d'un mari et d'un père moralement irréprochables puisse mener de front deux existences parfaitement incompatibles, peu de gens imaginaient sans doute qu'il puisse de temps à autres se défaire de ses scrupules et prendre le taureau par les cornes avec la ferme intention de se faire entendre. Saul n'avait pas un mauvais fond, tout du moins il ne sortait jamais de ses gonds avec l'envie délibérée de heurter ou de blesser quelqu'un, tout comme il ne le faisait jamais gratuitement ou sans avoir au préalable établi qu'il s'agissait de sa seule chance de faire entendre son point de vue. Il savait être direct quand les circonstances l'imposaient, se défaire de certains de ses principes et formuler des mots ou des idées qui n'avaient généralement pas leur place dans son vocabulaire, mais il gardait toujours bien en tête que l'affrontement ne pouvait pas être une solution à tout, et que dans une grande majorité des cas il pouvait même causer plus de problèmes qu'en régler. Mais ici, alors que sa jeune voisine se montrait aussi distante qu'évasive et continuait de lui donner l'impression qu'il n'aurait pas pu plus mal tomber lorsqu'il s'était approché d'elle avec l'intention (du moins officielle) de faire sa connaissance, Saul voyait sa suspicion grandir, notamment lorsqu'elle sembla vouloir retarder le moment où il en saurait un peu plus sur son compte, sur celle qu'elle était et sur la vie qu'elle avait jusqu'ici mené. C'est ainsi que la blonde lui laissa le soin de deviner l'endroit dont elle pouvait être originaire, et Saul fit manifestement preuve d'une certaine intuition – en plus d'un certain bagou, au moment où il tenta sans succès de la déstabiliser – puisqu'il ne fut pas contredit lorsqu'il supposa que sa voisine pouvait venir d'Europe de l'Est, et plus précisément de Russie. Il avait peu de mérite, ayant souvent voyagé dans cette partie du monde, bien qu'ici la jeune femme semble dire que Moscou ne lui était pas familière. Un élément qui – s'il était aussi véridique qu'il l'espérait – pourrait lui permettre de réduire son champs de recherches s'il entreprenait de se renseigner sur son compte. « Tout comme je n'ai jamais mis les pieds à Cuzco ou Arequipa. C'est un comble lorsque d'autres peuvent se vanter de connaître notre pays mieux que nous, vous ne pensez pas ? » « Notre », puisqu'encore une fois Alexis ne l'avait pas contredit sur le fait qu'elle puisse effectivement être originaire de Russie, et qu'il était encore suffisamment détendu pour ne pas s'imaginer qu'il puisse s'agir d'une fausse piste. Détendu, pour autant, il le fut peut être un peu moins par la suite, lorsque la jeune femme et lui furent amenés à débattre sur ses qualités de voisin. Alexis pointa du doigt la curiosité dont il semblait faire preuve, du moins à son égard, et Saul ironisa quant à l'idée qu'il puisse simplement être un voisin attentif, à l'affût de ce qui se tramait autour de chez lui. Ce n'était d'ailleurs pas loin de la vérité, les raisons pour lesquelles il se méfiait de sa voisine étant précisément qu'il craignait pour le calme et la sûreté de sa famille. Toutefois, il était forcé de lui reconnaître qu'elle l'avait mieux cerné qu'il ne l'aurait cru – et espéré – au départ, quand il paraissait évident que ses intentions lui apparaissaient maintenant assez clairement. Mais loin de s'en inquiéter, Saul préféra jouer d'un peu de provocation, y compris au moment où Alexis lui précisa que son avis sur la question n'était pas nécessairement le même, et qu'en l'occurrence elle ne verrait pas d'inconvénient à ce qu'il s'occupe davantage de ses propres affaires. « Dans ce cas, j'ai bien peur qu'à ce niveau-là Logan City vous déçoive. Vous savez, ici certains occupent le quartier depuis plusieurs décennies, alors il n'est pas rare d'attirer l'attention de quelques couples de retraités lorsqu'on débarque dans le voisinage. » Et bien qu'il y ait une grande part de vérité derrière ses affirmations, ici il se servait essentiellement de cet argument pour appuyer ses propos, omettant volontairement de se compter parmi les voisins les plus inquisiteurs, sachant de toute façon ce qu'elle en pensait et n'étant toujours pas décidé à admettre qu'à bien des égards son attitude pouvait porter à confusion. « A vrai dire, je pensais qu'une jeune femme de votre âge se sentirait plus à l'aise au cœur de l'effervescence de Fortitude Valley, d'autant plus si vous aimez tant passer inaperçue. » Insistant sur la fin de sa phrase, Saul esquissa un bref sourire, sous-entendant ici que s'il n'était peut être pas commun qu'un voisin s'intéresse à ce point aux faits et gestes de ceux qui vivaient à deux pas de chez lui, la façon dont elle semblait vouloir se fondre dans le paysage ne l'était pas beaucoup plus. Ici Alexis lui donnait véritablement l'impression de vouloir se faire oublier, sans jamais attirer l'attention ni sur sa personne ni sur ses agissements, quand c'était précisément son attitude qui tendait à intriguer le brun. Parce que s'il n'était pas rare que certains de ses voisins semblent aspirer à la quiétude et à la discrétion, ici il avait véritablement le sentiment qu'Alexis aurait préféré se faire renverser par une voiture plutôt que d'entamer cet échange, auquel elle donnait de plus en plus l'impression de participer sous la contrainte. Mais Saul, qui pressentait décidément que l'attitude de sa voisine n'était pas tout à fait anodine et pouvait d'une manière ou d'une autre rejoindre les doutes qu'il avait nourri à son sujet, ne perdit pas de temps pour la questionner sur le détail qui avait au départ motivé son envie d'aller à sa rencontre. Parce que si les observations qu'il avait mené sur son compte lui avaient appris une chose, c'est qu'Alexis n'adoptait pas un comportement des plus communs, tout du moins si l'on se référait à la fréquence à laquelle il lui arrivait de rejoindre puis de quitter le domicile de Damian Wheeler. Et si les explications de la blonde auraient pu le convaincre qu'il s'était simplement fait des idées lorsqu'il s'était imaginé que ce drôle de manège pouvait cacher des pratiques un brin douteuses, la façon qu'elle eut bientôt de lui reprocher son indiscrétion le troubla au point que Saul perdit lui-même le sang froid qu'il avait jusqu'ici préservé. Il savait, bien sûr, qu'il n'avait aucun droit de la questionner sur ce qui appartenait à sa sphère privée. Mais l'idée qu'elle ait pu jusqu'ici adopter l'attitude d'une voisine tout juste perturbée par ses démonstrations d'intérêt, alors qu'ici elle lui donnait l'impression de se retenir de lui asséner deux baffes, tendait à lui prouver qu'Alexis n'était décidément pas la dernière des idiotes, et qu'elle savait en l'occurrence comment tromper son monde. Alors, fort de cette conviction, Saul se départit lui aussi de sa diplomatie au moment d'ironiser sur les propos de la blonde. « Pourquoi pas. Après tout, si un type est supposé débarquer pour me faire passer l'envie d'embêter sa copine, je suis pas contre l'idée d'échanger quelques banalités avant de me retrouver avec la mâchoire fracassée. » Soutenant son regard, Saul poussa finalement un long soupire, signe qu'il regrettait la franchise dont il avait à nouveau fait preuve, mais aussi et surtout la tournure que semblait prendre cet échange. Il était certes déterminé à éclaircir les doutes qu'il nourrissait à l'égard d'Alexis, mais il ne s'était pas approché d'elle avec l'intention de lui balancer des horreurs ou de prendre part à un combat de réparties. « C'est ridicule. » Ça l'était, dans la mesure où cet affrontement totalement gratuit ne lui apportait aucune information utile sur la vie de sa voisine – hormis peut être le fait qu'elle était à prendre avec des pincettes – et faisait ressortir certains cotés de sa personnalité dont il n'était pas particulièrement fier. C'est pourquoi il entreprit finalement de s'excuser, loin d'imaginer que ça puisse rattraper quoi que ce soit, mais parce qu'il aimait certainement se dire que c'était encore ce qui l'empêchait d'agir comme l’ordure qu'il ne voulait pas devenir. Il était ainsi sincère lorsqu'il reconnaissait s'aventurer sur un terrain qui ne le regardait pas, et « déplacées » était certainement le qualificatif approprié pour parler de ses interrogations, tout comme de plusieurs de ses démarches depuis le début de cette conversation. Et pourtant, persuadé que reculer ne ferait que compromettre encore davantage ses chances d'éclaircir certaines des zones d'ombre qui semblaient entourer sa voisine – en plus d'induire cette dernière en erreur en lui laissant penser qu'il comptait clore le chapitre – Saul tenta une nouvelle ironie au moment de qualifier la maladresse dont il faisait justement preuve. Une maladresse qui selon lui s'expliquait par le fait qu'il ne rencontrait pas ses voisins tous les jours, une excuse qui ne fut pas accueillie avec beaucoup de chaleur par une Lexis qu'il sentait de plus en plus agacée. « J'imagine qu'on peut malgré tout voir le bon coté des choses : les chances pour que je tombe deux fois sur une voisine aussi méfiante sont certainement proches de zéro. » Saul formula alors pour toute réponse, et d'un ton qui ressemblait à une tentative d'humour qui ne se voulait pas particulièrement convaincante. Il avait parfaitement intégré que Lexis et lui ne deviendraient pas des voisins inséparables qui riraient de leurs boutades respectives autour d'un savoureux barbecue, ainsi il était plus ou moins résigné quant à l'avenir de leurs rapports. Des rapports que Lexis comptait même visiblement s'épargner, à la façon dont la jeune femme laissa entendre qu'elle ne voyait aucune raison de continuer à faire mutuellement connaissance alors qu'elle ne s'éterniserait pas dans le quartier. Conscient que l'animosité qui régnait dans l'air depuis déjà quelques minutes ne l'aiderait pas à revenir sur sa décision, Saul se retrouva alors face à un imprévu des plus fâcheux, lui qui gardait jusqu'ici l'espoir d'obtenir tôt ou tard des informations qui l'aideraient à cerner sa voisine. Ainsi c'est dans un geste sans doute un peu désespéré qu'il saisit le bras de la jeune femme, porté par une maladresse qui se manifestait cette fois autrement qu'à travers des répliques malvenues. Troublé, le brun tenta de corriger le tir, d'abord en retirant cette main qui n'aurait jamais du entrer en contact avec elle, puis en affirmant qu'il n'insistait pas par plaisir ou par envie de la pousser au plus loin dans ses retranchements. S'il se montrait pressant et déterminé, c'était parce qu'il ne voyait pas d'autre attitude à adopter face à une Alexis qui n'ignorait désormais plus grand chose de ses intentions et savait pertinemment qu'il n'était pas le voisin tout à fait désintéressé qu'il avait prétendu être au départ. Lorsque la voix de la blonde s'éleva à nouveau, le ton qu'elle employa lui fit alors l'effet d'un canif qu'on lui planterait en plein milieu de l'estomac. Parce qu'il pouvait se donner tous les grands airs du monde, revêtir le costume de l'ordure de service et ignorer sa conscience lorsqu'elle se rappelait à son bon souvenir, Saul n'était en rien l'homme insensible qui n'aurait eu aucun mal à s’accommoder de cette situation. Ici, les supplications d'Alexis ne le laissaient pas indifférent, pas plus que l'idée que cette jeune femme n'oublierait pas cet échange de si tôt, ni la façon dont il s'était employé à le rendre éprouvant pour elle comme pour lui. « Parce qu'il n'est pas seulement question de vous, ou de moi. » Il reprit alors, cette fois dépourvu de l'assurance qu'il avait jusqu'ici manifesté, mais sans que son regard se fasse pour autant fuyant. Saul pensait à sa femme, à ses enfants, aux amis qu'il s'était fait dans le voisinage. A toutes ces personnes qui avaient motivé son envie d'aller à la rencontre de la blonde, lorsque ses doutes s'étaient mués en soupçons et que son imagination parfois alarmante avait fait le reste. Il s'était approché avec l'intention d'en avoir le cœur net, d'infirmer ou de confirmer ses doutes. Et que savait-il à présent de plus qu'hier ou la semaine dernière ? Peu de choses, si ce n'est qu'Alexis ne comptait pas la coopération parmi la liste de ses qualités. Dans ces conditions, et alors qu'il ne pouvait probablement compter que sur lui-même pour faire la lumière sur ses interrogations, pouvait-il prendre le risque de confronter sa famille à une situation déplaisante, remettre en question leur sécurité et leur tranquillité d'esprit, pour quelqu'un qui disait subir cet échange mais qui ne semblait pourtant pas décidée à lui dire ce qu'il voulait entendre ? Saul n'avait pas le tempérament d'un bourreau, mais il dut par la suite endosser un costume encore un peu moins confortable, lorsque vint le moment de lever le voile sur ses véritables intentions. Alexis n'était plus dupe de rien, il le savait et ne lui ferait pas l'affront de jouer double jeu plus longtemps. C'est ainsi qu'il fit preuve d'une franchise encore plus incisive qu'auparavant, se confiant aussi bien sur les soupçons qu'il avait nourri à son égard que sur sa détermination à toute épreuve, que ni ses plaintes ni ses reproches ne sauraient altérer. Saul savait qu'il n'était définitivement plus dans son intérêt de s'accrocher à ses scrupules, et que l'heure n'était plus aux courbettes et aux faux-semblants. Alexis souligna une fois de plus son comportement, et il haussa les épaules. « Une preuve de plus qu'il ne faut pas toujours prendre ce que racontent les journaux pour argent comptant. » Il insinuait par là que quelle que soit la manière dont elle avait pu entendre parler de lui et les raisons pour lesquelles elle s'était persuadée qu'il n'avait jamais fait de vagues, il y avait certains épisodes de sa vie que la presse ne penserait pas nécessairement à relayer. Parce qu'on préférait généralement se focaliser sur l'homme qu'il était prétendument une fois son costume de metteur en scène enfilé, mais si cet échange leur prouvait bien une chose à l'un comme à l'autre, c'est que Saul savait parfois se montrer vindicatif dans un cadre un peu plus privé. Ce qu'il se gardait bien de dire, en l’occurrence, c'est qu'il avait eu son lot de mésententes, notamment avec l'un de ses voisins, qui se souviendrait longtemps des courriers qu'il lui avait fait parvenir des mois durant. L'affaire n'avait pas abouti, elle avait même probablement été étouffée à la demande de son père, mais à l'époque déjà Saul avait pris le risque de se mettre en mauvaise posture pour suivre une intuition. Et encore aujourd'hui, même alors que cette histoire lui avait valu une jolie amende, il continuait de penser qu'il avait bien agi. Mais tandis qu'Alexis alla plus loin dans ses accusations, c'est les bras fermement croisés contre son torse et la mine dure que Saul reprit. « Vous vous voilez la face, Alexis. Si vous vouliez vraiment avoir la paix et vous éviter cette mauvaise posture, vous n'auriez sûrement pas usé d'autant de mystère au sujet de détails a priori anodins. Alors je ne sais pas si vous l'avez fait par provocation ou parce que comme je le pense vous avez vos raisons pour vouloir en dire un minimum, mais je suis convaincu qu'une personne qui n'a rien à cacher se serait épargné ce genre de parades. » Parce qu'il continuait de s'étonner du fait qu'elle n'ait même pas consenti à lui révéler d'elle-même l'endroit dont elle était originaire, ou qu'elle se soit si brusquement braquée lorsqu'il avait tenté d'en savoir plus sur ses occupations extérieurs. Sa façon d'agir avait été maladroite, mais plutôt que de dissiper ses doutes, Alexis lui en avait inspiré de nouveaux à la manière qu'elle avait eu de réagir. Saul tâcha en tous les cas de se montrer plus clair encore au moment de lui faire savoir qu'il ne tenait qu'à elle d'améliorer leurs rapports, et de s'épargner par la même occasion de nombreuses contrariétés. Saul ne lui rendrait pas la vie impossible de bon cœur, mais il ne comptait pas lui laisser miroiter une tranquillité qu'il ne serait pas disposé à lui accorder tant qu'elle ne se serait pas montrée parfaitement franche avec lui. « Je ne sais pas, à vous de me dire si je me montre suffisamment clair ou bien si vous avez encore la moindre raison de penser que tout ça n'est rien de plus que du bluff. » Parce qu'aussi mal à l'aise était-il à l'idée de devoir un jour mettre ses menaces à exécution en s’immisçant dans la vie d'Alexis d'une manière plus intrusive encore, ici il n'était pas question de paroles en l'air. Il l'avait dit, il pouvait être un voisin des plus charmants, mais encore faudrait-il pour ça qu'il ait la certitude de pouvoir se fier à la personne qui vivait à seulement quelques mètres de là où dormaient ses enfants. Or, à cet instant précis, on ne pouvait pas dire qu'Alexis lui inspire une confiance aveugle. Celle-ci lui fit en tout cas comprendre qu'elle ne comptait pas se laisser faire sans réagir, et Saul, qui l'avait vu évoluer tout au long de leur échange en une jeune femme manifestement implacable et déterminée, la croyait sur parole lorsqu'elle se disait prête à prendre des mesures. Pour autant, il s'efforça de préserver une mine inexpressive, qui cachait en vérité l'angoisse qu'il nourrissait quant au fait que tout ça prenne finalement des proportions démesurées. « Ça va peut être vous surprendre, mais mes rapports avec la police n'ont jamais été particulièrement cordiaux. C'est pourquoi je ne compte pas m'en remettre à eux si je dois un jour découvrir que mes soupçons étaient fondés, et que vous m'avez délibérément pris pour un imbécile. » Et tandis que son regard se fit plus insistant, et que tout dans son expression corporelle laissait penser – à tort – qu'il était parfaitement maître de ses émotions, Saul ajouta. « Et vous n'êtes pas la première à menacer de nuire à mon image. La dernière personne à s'y être essayée peut certes se vanter d'avoir renfloué son compte en banque, mais j'ai bien peur qu'elle découvre à ses dépends qu'on ne me fait pas chanter sans en supporter tôt ou tard les conséquences. » Une manière comme une autre d'insinuer qu'il pouvait se passer de l'intervention des forces de l'ordre ou de toute entité qui ne lui serait jamais d'une aussi grande utilité que les propres moyens dont il disposait. Ce n'était pas l'exacte vérité dans la mesure où il n'avait jamais fait jouer ses relations pour régler quelle qu'affaire que ce soit, pour autant Saul n'était pas nécessairement prêt à passer l'éponge sur certains préjudices, et s'il évoquait ici à demi-mot le chantage dont il était victime depuis plusieurs semaines, c'est parce que pour la première fois de sa vie il se sentait prêt à contourner ses principes pour laver son honneur. « Mais allez-y. Ma femme est à la maison et elle nous observe probablement depuis la vitre de la cuisine, vous n'avez qu'à vous retourner pour l'alerter sur mon comportement. Je suis sûr que vous attireriez son attention en me collant une gifle, peut être même qu'en attendant un peu mes enfants auraient une chance d'assister à la scène. » Son ironie se voulait cinglante, mais Saul ne comptait pas l'empêcher de hurler à tout le voisinage qu'il agissait avec elle comme un bourreau sans cœur, tout juste bon à la retenir contre son gré. « Mais vous n'êtes pas comme ça, je me trompe ? » Il reprit cette fois d'une voix plus calme, persuadé qu'Alexis aurait déjà fait son possible pour le placer dans une situation inconfortable si elle l'avait vraiment voulu. Ce qu'elle semblait vouloir, c'était plutôt se soustraire pour de bon à sa compagnie, comme sa prochaine réplique le laissa à nouveau entendre. Et tandis que la fin ne fut pas sans faire écho à l'incident survenu quelques instants plus tôt, au moment où Saul s'était permis un geste qu'il avait aussitôt regretté, c'est la gorge serrée qu'il reprit la parole, subitement dépourvu qu'une partie de son assurance. « Ce n'était pas … » Ses lèvres soufflèrent avec une certaine fébrilité, tandis qu'il soutenait cette fois son regard avec l'espoir qu'elle se fierait à sa parole. « Je ne voulais pas vous faire peur. Je sais que vous ne me croirez probablement pas, mais je regrette mon geste. » Un geste peut être bref mais qu'il n'aurait de cesse de se reprocher, n'ayant jamais levé la main sur une femme et ne comptant en aucun cas commencer aujourd'hui. Alexis avait certainement mille et unes raisons de penser qu'il n'était ni appréciable ni particulièrement rassurant, mais il ne voudrait pas qu'elle s'imagine qu'elle courrait le moindre risque en se tenant simplement face à lui, alors qu'il avait lui-même été pris de court par un malheureux réflexe. « Allez-y. » Saul finit par souffler, pas tant par résignation que parce qu'il n'était peut être plus tout à fait en conditions pour poursuivre dans la voie qu'il avait jusqu'ici emprunté. A cet instant, il était comme frappé par l'évidence, lorsqu'il posait un regard rétrospectif sur la façon dont son comportement de ces quinze dernières minutes contrastait avec l'homme qu'il était le reste du temps. Il n'aimait pas avoir le sentiment de pouvoir brusquement basculer dans une animosité qui ne lui plaisait pas, aussi nécessaire soit-elle, et sans doute estimait-il aussi qu'il était encore temps d'éviter que cet échange dérape plus que de raison. « Mais réfléchissez à ce que je vous ai dit, Alexis. Je vous le demande comme un service. » Un service qu'elle leur rendrait à l'un comme à l'autre, parce qu'elle était encore la seule à pouvoir leur éviter de se déclarer une guerre ouverte, quand la seule et unique chose que désirait Saul était en soi d'obtenir d'elle des informations plus convaincantes que celles qu'elle avait jusqu'ici consenti à lui donner. Des informations qu'il obtiendrait de toute façon d'une manière ou d'une autre, mais qui quelles qu'elles soient seraient beaucoup mieux accueillies de la bouche de la jeune femme que de celle d'un détective chevronné. Il lui laissait ici une occasion d'empêcher une suite qui serait sûrement aussi déplaisante pour l'un que pour l'autre. Il lui laissait le choix. |
| | | | (#)Ven 9 Sep 2016 - 1:51 | |
| Si Alexis parvenait à mettre sa mauvaise foi de côté l’espace de quelques secondes, elle comprendrait que si la conversation n’est pas aussi naturelle qu’elle devrait l’être entre deux voisins qui font connaissance ce n’est pas uniquement à cause de l’attitude de Saul, mais aussi en partie à cause de la sienne. Il est vrai que sa personnalité et sa façon d’agir font qu’il est rare qu’elle agisse naturellement sans connaître un minimum son interlocuteur – et encore, même en étant lié à celui-ci, elle reste constamment sur ses gardes – et si elle se plaît à rejeter la faute du malaise qui les entoure depuis qu’ils se sont arrêtés tous les deux pour converser avec l’autre sur Saul, elle n’est pourtant pas irréprochable. Pour autant, il ne s’agit pas réellement de mauvaise foi de la part de la jeune femme, mais plus d’un comportement qui lui est désormais habituel sans qu’elle songe à la remettre en question. C’est probablement par envie de se protéger qu’elle n’est pas capable de réaliser quel message son attitude renvoie aux autres, mais elle pourrait effectivement faire quelques efforts auprès de ce voisin qui – bien qu’elle doute que l’innocence qu’il affiche sur son visage soit le reflet de ses idées – a pris le temps de s’intéresser à elle quand tant d’autres préfèrent poursuivre leur chemin sans même lui adresser un regard. Pourtant, cet intérêt est loin de la flatter et c’est la raison pour laquelle elle n’arrive pas à passer outre son a priori concernant Saul et percevant celui-ci uniquement comme l’homme qui a tendance à l’observer plus qu’il ne le devrait que comme un voisin qui vient se renseigner sur ceux qui vivent dans la même rue. La blonde pourrait faire des efforts qui sont à sa portée, comme paraître plus enchantée à l’idée de converser avec ce voisin, décrocher un sourire sincère et non pas forcé, ne pas donner l’impression de s’impatienter et d’attendre avec soulagement l’issue de cette rencontre quand cela ne fait que quelques instants qu’ils se font face. Mais elle n’arrive pas à faire semblant, car pas une seconde l’idée qu’il puisse l’observer pour des raisons qui ne laissent aucune place à l’inquiétude lui effleure l’esprit. Peut-être qu’elle est jolie, peut-être que son visage lui rappelle quelqu’un, peut-être qu’il a simplement tendance à observer ce qui se passe autour de lui avec attention sans pour autant que cela soit inquiétant. Elle n’y a pas songé un seul instant, car Lexis est beaucoup trop méfiante pour s’autoriser à baisser sa garde, pas même pour un geste en apparence aussi anodin qu’un regard. Pas même pour s’autoriser à lui révéler sa nationalité, une information qui n’a pourtant rien de personnel tant ses origines se dévoilent à chaque fois qu’elle ouvre la bouche. Mais c’est plus fort qu’elle ; elle préfère ne pas en dire assez qu’en dire trop, quitte à ce que cela lui porte préjudice comme cela semble être le cas durant cette rencontre. Toutefois, ce n’est pas uniquement pour lui qu’elle s’abstient de dévoiler ce détail, mais aussi pour elle qui tente par tous les moyens de ne plus être rattachée à ce pays dont elle ne veut plus se souvenir. Elle fait de son mieux pour masquer son accent, ce n’est pas encore un succès puisqu’en fin de compte elle n’évolue pas sur le territoire australien depuis si longtemps, mais elle a l’espoir que d’ici quelques années ses origines ne lui reviennent pas constamment en plein visage. Il parvient cependant à deviner sans difficulté qu’elle est originaire de Russie et la jeune femme le félicite brièvement pour sa perspicacité qui n’en est pas vraiment puisque quiconque ayant une certaine oreille pour deviner les accents du monde parviendrait à cette même conclusion. Alexis prend toutefois soin, quand il évoque Moscou, de lui faire savoir qu’elle ne vient pas de la capitale, dans une nouvelle tentative de ne pas lui distiller d’informations qu’il serait amené à utiliser contre elle, s’imaginant que la Russie est un pays suffisamment étendu pour qu’il ne découvre jamais la ville d'où elle est originaire ou, au mieux, qu’il se focalise sur d’autres grandes villes. Il pourra difficilement connaître les détails de sa vie dans le pays, mais Saul lui apparaît comme quelqu’un de suffisamment cultivé et curieux – comme elle en fait l’expérience depuis maintenant quelques semaines – pour se renseigner sur ce qui pourrait entacher la réputation de la jeune femme. Découvrant par la suite que de son côté Saul semble être originaire du Pérou, la demoiselle se contente de hausser les épaules à ses paroles. Manquant de préciser que la Russie n’est son pays que sur le papier, elle se ravise rapidement en prenant conscience que cela pourrait l’aiguiller sur l’amour qu’elle porte à cet endroit. « Mais rien ne nous empêche de nous rattraper si l’occasion se présente. » Elle précise, bien que cela lui coûte. De son côté, occasion ou non, elle a tiré un trait sur Kirov depuis suffisamment longtemps pour ne pas envisager la possibilité d’y retourner, même le temps de quelques jours, sans que cela lui provoque des frissons d’angoisse.
Alors que Saul craint d’être perçu comme un voisin exubérant, Alexis ne tarde pas à le présenter plutôt comme un voisin curieux, en espérant qu’il comprenne tout seul qu’il ne s’agit pas d’un compliment. Il semblerait pourtant que l’homme décide de le prendre comme tel, à en croire sa réflexion. Un bon voisin est un voisin attentif et Lexis se surprend à le contredire, ou du moins à donner son avis sur la question. Car pour elle, un bon voisin n’est pas de ceux qui guettent les faits et gestes du quartier, mais qui sait justement s’occuper de ses affaires. De manière générale, cela vaut pour tout le monde du point de vue d’Alexis, elle n’a jamais compris que l’on s’intéresse à ce que fait son voisin, son collègue ou son ami si celui-ci ne veut pas partager certains éléments de sa vie. Esquissant un fin sourire à la réflexion de Saul, elle ne manque pas d’insister sur un détail qui prend toute son importance dans le cadre de cette rencontre. « Pas que les retraités, il faut croire. Mais je n’oublie pas que tout ceci est temporaire et sera bientôt de l’histoire ancienne. » Déçue ou non du quartier, que Saul ne se fasse pas d’idée, elle n’est pas ici pour rester éternellement ainsi elle ne dérangera pas ces « couples de retraités » encore longtemps. Son sourire disparaît toutefois lorsqu’il lui suggère un autre quartier, en insistant sur le fait qu’elle aime passer inaperçue. Choisissant d’ignorer délibérément la remarque, elle hausse les épaules. « J’en prends note pour quand je chercherai mon futur logement. » Ou pas, se faisant soudainement la réflexion qu’il serait capable de venir l’épier jusqu’à son nouveau lieu de vie et cette petite rencontre lui suffit pour être convaincue d’une chose : plus elle est loin de Saul Masterson, mieux elle se porte. Elle ne préfère plus remettre sur le tapis le sujet de sa discrétion qui a l’air de réellement perturber son voisin au plus haut point, ne voyant plus l’intérêt d’insister auprès de lui pour lui faire comprendre que certaines personnes apprécient effectivement de ne pas attirer l’attention sur eux puisque c’est un concept qu’il a visiblement de la peine à envisager. Alors qu’elle évoque sa colocation avec Damian – ce qui n’est qu’un semi mensonge – Saul dépasse les limites de l’indiscrétion lorsqu’il lui demande explicitement de justifier sa vie privée et les raisons pour lesquelles elle ne revient pas tous les soirs à la maison vingt-et-une du quartier. Agacée, non pas parce qu’elle n’apprécie pas Saul, mais parce que venant de lui ou d’un autre, elle trouve la réflexion parfaitement déplacée et qu’elle est libre d’occuper son temps comme elle le souhaite sans qu’elle doive se justifier auprès d’un illustre inconnu – ne l’oublions pas – elle ne cache cette fois plus son énervement. Et alors qu’elle avait encore l’espoir qu’il prenne conscience de son méfait, il préfère continuer sur le chemin de la provocation, de quoi réellement agacer la blonde qui est pourtant du genre passive. Affichant un air étonné empreint d’une certaine perplexité alors qu’il évoque l’envie d’échanger des banalités avant de se retrouver avec la mâchoire fracassée pour reprendre ses propos, Lexis décide de continuer sur le même chemin que le sien. « Je ne manquerai pas de lui donner votre adresse, dans ce cas. » Si ce petit ami en question fût créé dans l’unique but de se protéger, Saul peut toutefois s’estimer chanceux que la jeune femme soit dénuée de scrupules – contrairement à lui – car les contacts pouvant faire passer un sale quart d’heure au metteur en scène ne manquent pas. Des contacts sur lesquels elle est bien décidée à tirer un trait, pour le plus grand bonheur de Saul. « Vous êtes ridicule. » Elle se surprend à dire, affichant une mine horrifiée alors qu’elle réalise que les mots ne sont pas restés au stade de pensées. Hésitant un instant à s’excuser puisque c’est son réflexe le plus naturel après avoir laissé échapper une telle horreur, elle se ravise rapidement en songeant au fait que Saul ne mérite en aucun cas qu’elle s’excuse auprès de lui.
Et Saul finit pourtant par s’excuser, un geste qui n’est cependant pas très bien accueilli de la part de la jeune femme qui ne les accepte pas. Ce serait beaucoup trop facile qu’elle passe l’éponge après le comportement qu’il tend à montrer depuis qu’il s’est mis sur son chemin voilà quelques dizaines de minutes. Il tente de se justifier d’une façon bien peu convaincante aux yeux de la jeune femme, qui ne manque pas de lui donner un conseil qui lui sera probablement d’une grande utilité s’il s’y tient : c'est-à-dire ne pas reproduire le même schéma qu’avec elle avec un autre voisin qui lui est inconnu, au risque de faire fuir celui-ci. « J’aime penser que, dans le monde dans lequel nous vivons, il est préférable d’être trop méfiant que pas assez. » Elle précise alors qu’il lui signale qu’il y a peu de chances qu’il tombe à nouveau sur une voisine comme elle, c’est-à-dire particulièrement méfiante. Une remarque qui n’arrange pas la situation et qui a – encore une fois – tendance à agacer la jeune femme plus qu’elle ne l’amuse. Elle perçoit cette réflexion comme une critique qui se veut gratuite et qui s’ajoute à la liste de sous-entendus peu discrets dont il use et abuse depuis leur rencontre. Elle ne se fait certes pas prier pour agir de la sorte à son tour, cependant elle n’aurait rien à lui reprocher s’il n’avait pas cette envie de fouiller dans sa vie. Si en temps normal Lexis fait de son mieux pour ne pas se mettre les gens à dos car outre son envie de discrétion elle n’est pas foncièrement méchante et vit plutôt mal le fait d’agacer ou d’attrister quelqu’un contre son gré, elle ne s’en formalise pas concernant Saul et se permet même de lui faire remarquer qu’il est inutile d’essayer d’entretenir des relations de bon voisinage alors qu’il n’est pas prévu qu’elle s’éternise dans le coin. À vrai dire, elle aurait pu tenir ce même discours auprès d’autres voisins – d’une façon un peu plus subtile cependant – mais dans ce cas précis, il s’agit surtout d’un moyen de se débarrasser de Saul. De toute évidence, cette courte entrevue leur permet de comprendre, l’un comme l’autre, qu’il va leur être difficile d’avoir des rapports chaleureux, ainsi elle ne voit pas l’intérêt de se forcer. Elle n’est pas mal élevée, si elle le croise dans la rue elle n’hésitera pas à le saluer, mais qu’il ne compte pas sur elle pour lui demander des nouvelles de sa famille ou de son prochain spectacle.
Et si elle ne comptait pas revenir sur sa décision, cela lui apparaît encore moins envisageable lorsqu’il se saisit de son bras. Un geste qui ne se veut pas réellement menaçant, elle l’a bien compris, mais qu’elle peine toutefois à pardonner. Alexis veut bien reconnaître qu’elle est capable de se montrer particulièrement rancunière lors d’un contact physique non voulu ou non initié de sa part, mais dans le contexte de leur échange elle ne parvient pas à trouver celui-ci anodin. La jeune femme pourrait presque sourire lorsqu’il précise que cela ne lui plaît pas d’insister tant cela lui semble faux, s’il n’ajoutait pas rapidement qu’il n’a aucune intention de s’en aller tout comme il n’a pas l’intention de la laisser partir. L’agacement fait place à la tourmente et Lexis se retrouve véritablement déstabilisée à la suite de ses paroles qui la renvoient à la pire époque de sa vie, une époque qu’elle tente désespérément d’oublier mais qui s’accroche à elle et qui lui revient violemment au visage quand elle perçoit enfin celui de Saul. Un homme qui n’a visiblement plus aucun scrupule et qui obtiendra d’elle ce qu’il veut, de gré ou de force. Le masque de la jeune femme s’effondre pendant quelques instants et elle n’arrive plus à soutenir le regard de Saul en tentant de se montrer aussi déterminée que lui, affichant désormais une mine véritablement inquiète et presque apeurée. Pas par la faute de son voisin – ou pas totalement – mais surtout par la faute des souvenirs qui lui reviennent en mémoire face à ces paroles qu’elle a trop souvent entendues et dont le simple rappel suffit à lui provoquer des frissons. Elle ne relève la tête que lorsqu’il précise qu’il ne s’agit pas seulement d’elle ou lui. Un regard qui se veut un peu perdu, ne comprenant pas – ou ne voulant pas comprendre – ce qu’il entend par là. De qui est-il question s’il ne s’agit pas uniquement de lui ou elle ? Pour la première fois, elle ne renchérit pas alors que son cerveau s’active pour comprendre ce dont, en réalité, elle se doute déjà. Mais peut-être qu’elle ne veut pas l’admettre, qu’elle est incapable d’envisager la possibilité d’être une menace pour les autres alors qu’elle a toujours songé qu’il s’agissait d’eux pour elle. Mais elle n’est pas une menace, Lexis, bien même si elle est passée par la case prison, elle n’a jamais été capable d’atteindre physiquement ou mentalement aux autres, se contentant de quelques larcins qui n’impliquaient aucune violence physique ou violation de domicile, à l’exception de son dernier vol en date. Et encore, la maison qu’elle avait dans le viseur n’était à ce moment-là pas occupée, sans quoi elle n’aurait pas été capable de commettre un tel crime. Mais cette possibilité, Lexis ne parvient pas à l’envisager et ce ne sera le cas que lorsque Saul formulera ses craintes de manière claire et concise, sans quoi elle ne songe qu’au fait qu’il soit un peu trop curieux quant à sa personne, sans réellement en imaginer la raison. Et alors qu’elle se veut perdue, Saul se veut lui imperturbable, n’hésitant pas à continuer sur un chemin que Lexis associe de plus en plus à une agression. Une situation dont elle serait une énième fois la victime, un rôle qui ne lui convient plus, raison pour laquelle elle parvient à se ressaisir – avec difficulté – pour enfin demander des comptes à Saul et cesser des sympathies qui n’en sont pas vraiment et entrant ainsi directement dans le vif du sujet. Cela paraît anodin, mais pour Lexis un tel affrontement initié par elle-même tient d’un véritable défi qu’elle ne se pensait pas capable de relever. Peut-être que Saul n’a finalement pas que des défauts et que dans l’agacement qu’il provoque à Lexis il parvient à l’aider à se découvrir un tempérament dont elle avait oublié l’existence. Une chose est certaine ; elle n’est pas aussi indifférente à Saul qu’elle ne le voudrait, passant par plusieurs émotions face auxquelles elle n’aime pas être confrontée. La peur, l’agacement, la franchise. La franchise, qu’elle évite soigneusement en cachant son histoire autant que sa véritable identité au reste du monde, qu’elle ne peut cette fois-ci éviter. Elle a besoin de connaître les intentions de Saul pour mieux les appréhender. Elle n’est pas sûre qu’il se montre explicite dans ses reproches, mais elle ne peut concevoir de ne pas tenter sa chance. Elle appréhende déjà la réponse de son voisin ; au point où elle aimerait déjà revenir sur sa question, tout en sachant pertinemment que celle-ci est nécessaire. Et alors qu’il évoque son comportement une nouvelle fois, elle en fait de même. Elle persiste et signe ; si son comportement à elle semble particulier, le sien l’est tout autant. Elle se veut trop discrète ; il est trop curieux. Elle ne voit pas pourquoi les torts ne devraient s’abattre que sur elle, elle ne le trouve pas aussi propre qu’il le prétend. « Je le constate de la plus belle des façons. » Elle lance, dans une tentative d’être impassible, alors qu’elle le détaille. Elle se permet ce geste, car il représente un bel exemple de ce qu’il affirme. Agréable sur le papier ; sans scrupules en réalité. Dans tous les cas, la publicité entourant Saul Masterson est, de son point de vue, mensongère. Il est peut-être un talentueux metteur en scène et un homme a priori sans scandale, il n’en reste pas moins un homme prêt à tout pour obtenir ce qu’il veut, comme elle le constate amèrement. Elle tente évidemment de se défendre face aux accusations de Saul, étant encore une fois trop bornée pour songer au fait que son comportement puisse effectivement prêter à confusion, alors que Saul insiste une nouvelle fois sur celui-ci. Il n’a pas tort, mais Lexis refuse de l’admettre. Si elle est parfaitement capable de se remettre en question quand la situation l’impose ou qu’elle est suffisamment en confiance avec son interlocuteur pour y songer sérieusement, ce cas de figure ne risque pas de se présenter en compagnie de Saul qui la met particulièrement mal à l’aise. « Vous savez quoi ? Je suis fatiguée d’essayer de me défendre tandis que vous faites mon procès. Pensez ce que vous voulez, je suis désolée d’être trop réservée ou mal à l’aise pour confier des détails parfaitement anodins au premier venu, si cela fait de moi quelqu’un de louche, qu’il en soit ainsi. » Et cette fois-ci, il ne s’agit pas d’une tentative pour atténuer les soupçons que Saul a sur elle – pour une raison qu’elle ignore toujours – mais d’une certaine lassitude qui la pousse à la vérité. Que la rencontre lui soit désagréable ou non, c’est dans sa nature d’être particulièrement réservée, parfois trop et de ne pas nécessairement savoir comment se comporter avec les autres. Elle s’essaie rarement à plaisanter, car son sens de l’humour n’est pas toujours bien accepté, elle s’évite les conversations sur la pluie et le beau temps où elle finit toujours par donner l’impression d’être totalement désintéressée alors que ce n’est pas le cas, elle n’est pas suffisamment en confiance avec quiconque pour justifier son comportement par les événements qu’elle a pu vivre… Des éléments qui font qu’elle apparaît souvent comme quelqu’un de désagréable alors qu’elle est pleine de bonnes intentions. Certes, elle ne l’est pas auprès de Saul, mais si son comportement est particulier, la vérité est qu’il est simplement accentué par rapport à son attitude habituelle.
Saul se veut bientôt plus menaçant, ne cachant plus le fait qu’il est capable de l’oppresser au point où elle ne sentirait plus à l’aise dans ce quartier. C’est pourtant déjà ce qu’il fait, comme elle ne peut pas s’empêcher de lui faire remarquer. « C’est très clair, ne vous en faites pas. » Elle soupire par la suite. Son envie de lui pourrir la vie est bien plus clair que les raisons derrière cette envie, qu’il se rassure. Et même si elle tente de ne pas lui faire le plaisir de le montrer, le fait qu’il s’intéresse à elle l’inquiète de plus en plus, d’autant plus qu’elle a maintenant la confirmation qu’il est véritablement déterminé à percer le mystère qu’elle représente. Tentant un ultime coup de bluff, la jeune femme évoque la possibilité d’une plainte pour harcèlement, qui serait justifiée de son point de vue, mais qu’elle doute de voir aboutir, surtout en vue de la réputation de son voisin. C’est une évidence, elle ne fait pas le poids face à lui ainsi elle va probablement s’éviter des procédures inutiles qu’elle n’envisage de toute façon pas sérieusement. « En voici une bonne nouvelle. Pour moi, j’entends. » Elle esquisse un fin sourire. En réalité, elle n’est pas sûre que ce soit une bonne nouvelle, mais s’il est peu probable qu’il s’en remette à la police s’il vient à découvrir des détails sur sa vie – son mariage blanc, par exemple – cela signifie qu’elle peut se montrer plus détendue. Légèrement plus détendue. Elle ignore volontairement sa remarque sur le fait qu’elle le prenne éventuellement pour un imbécile et se contente de hausser les épaules concernant les diverses menaces qu’il a déjà pu expérimenter. « Donc, je n’ai pas le droit de vous placer dans une position délicate, mais de votre côté vous avez ce droit ? Intéressant. » Elle soupire une nouvelle fois. Ce n’est pas explicitement ce qu’il a laissé entendre, mais s’il la menace de conséquences si elle ose le placer dans une situation délicate alors que de son côté il ne semble attendre que cela, elle interprète la situation comme telle. Et alors qu’il évoque ses enfants et qu’il précise qu’elle n’est pas capable de faire un scandale devant eux, elle acquiesce. « Effectivement. Contrairement à vous, je ne suis pas totalement dénuée de morale. » Le menacer et passer à l’action sont deux choses totalement différentes et si elle se trouve un certain goût pour la première option, elle n’est pas prête à passer à la seconde. Intérêt nouvellement découvert pour les menaces ou non, elle a toujours envie de se soustraire à sa compagnie comme elle ne tarde pas à le faire comprendre une nouvelle fois, faisant alors écho à l’incident d’il y a quelques minutes dans l’espoir qu’il lui permette enfin de s’échapper. Présentant une nouvelle fois ses excuses pour son geste, la jeune femme balaie celles-ci d’un geste de la tête. « C’est vrai, j’ai de la peine à croire à des excuses sincères quand celles-ci se glissent entre deux menaces. » Qu’il le regrette sincèrement lui importe peu, tant cela souffle le chaud et le froid par rapport aux réflexions dont il fait preuve depuis le début de leur conversation. Il lui est par conséquent difficile d’imaginer qu’il puisse être sincère. Accueillant avec un sourire soulagé l’autorisation du metteur en scène à ce qu’elle poursuive son chemin, elle fait un pas avant de s’arrêter et de soutenir son regard comme jamais auparavant. « Je ne vous dois rien. » Elle assène avec une détermination nouvelle en guise de conclusion à cette rencontre dont elle essaie de s’échapper depuis le début. Car qu’il représente désormais une menace pour elle ne change rien au fait qu’elle n’a aucune envie de lui dévoiler des informations qu’il serait amené à utiliser contre elle. Et sur cette ultime réflexion, la jeune femme poursuit son chemin sans se retourner, soulagée de mettre un terme à cette entrevue non désirée mais inquiète quant aux moyens que Saul emploiera pour obtenir les réponses qu’il souhaite, tout en songeant à l’endroit qu’elle va occuper cette nuit, revenir ici lui semblant être à la fois la meilleure option mais également la moins envisageable.
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