Pour yourself a drink,
put on some lipstick & pull yourself together

Nous finissons par changer de sujet. La conversation sur ces fameux beaux-pères s’était essoufflée et à vrai dire quoi que je dise ou pense cela ne me ramènerai certainement pas mon Kyte. Ma nostalgie ne présageait rien de bien, depuis que Thomas et moi avions dû nous séparer, je m’accrochais à un tas de petits souvenirs plus ou moins bons. Je n’arrivais pas réellement à m’évacuer la tête; c’est vrai quoi, mon mari depuis dix ans me faisait cocus depuis des mois et je n’en savais rien. De quoi devenir fou. J’avais pourtant la chance d’être plutôt bien entourée, entre mes deux fabuleux enfants et mes amis en or, je réussissais un peu mieux à accepter la chose. Je m’étais un peu éterniser chez mon ami, laissant les petits avec la nounou. Elle ne m’en voudra pas de sortir un peu, la pauvre dame ne supportait plus de me voir me renfermer sur moi même et passait son temps à m’encourager de faire des rencontres. Ce fût la toute première personne à être au courant pour Thomas et moi. Je restais à la maison pour m’occuper de la petite pendant qu’Alex partait comme un grand à l’école. Parfois je le déposais et parfois c’était le car scolaire qui s’en chargeait. Mes journée n’étaient pas fameuse, alors oui, je pouvais rester un peu plus tard chez Jameson, même si ce n’était pas vraiment ce qui était prévu.

Et puis les lasagnes j’adore ça. Je ne suis pas la meilleure des cuistots, je dois l’avouer. Quand il s’agit du terroir de chez moi, je me démerde mais dés qu’il s’agit de faire autre chose, ça devient vite moins bien. Mon fils avait généralement le droit à des pâtes, du riz, des petits pois avec généralement des croquettes de poissons ou des nuggets. C’était simple à réaliser et facile à faire. Thomas aimait bien que je lui fasse de bons petits plats mais il n’avait jamais l’honnêteté de me dire lorsque c’était raté. Je suis Jaimie en cuisine, les mains dans la poche arrière du jean. Faut dire que j’ai pas fait un grand effort dans le choix de ma tenue. Je la regarde s’activé en cuisine, puis fini par également mettre la main à la pate en dressant la table. « Ça sent vraiment bon. » avouais-je bien que je ne doutais pas de ses talents culinaire. Jameson c’était un peu l’ami qui peut facilement vous irriter avec tout ses talents. J’avais beau essayé de lui trouver des défauts, ça ne venait pas. Elle était parfaite, je ne comprenais d’ailleurs pas comment elle pouvait être encore célibataire à l’heure qu’il est. Sa question m’arracha un petit sourire. A vrai dire, je n’avais pas réellement réfléchi à la question. Tout ce que je voulais s’était pouvoir m’évader. Devenir une autre personne en l’espace de quelques heures. « Je ne sais pas trop. » dis-je, tout en continuant de réfléchir. « Peut-être chanteuse dans un groupe de métal. Ou au contraire joueuse de harpe dans un Opéra. » finis-je par dire. Je ne sais pas vraiment dans lequel je me serais le mieux plu, mais tant qu’il s’agissait de musique , j’étais sure d’être heureuse. « Tu sais, j’ai une licence en marketing, j’ai pensé à me spécialisé par la suite en Finance et puis je me suis mariée. » avouais-je.

La table était dressée, et puisque je mourrais de faim, je ne me fis pas prier pour me servir. Un régale, un mot que j’avais répété la une dizaine de fois la tête dans mon assiette. Et puis je finis par dire : « J’ai l’impression de devenir vieille. » enfin pas sur que ça ne soit qu’une impression. Je m’approchais dangereusement des quarante ans et je restais un peu là, bête, à pleurer de mon sort tandis que Thomas lui m’avait vite remplacé. « enfin je veux dire que je n’ai que 35 ans et pourtant je me sens prisonnière d’un choix de vie qui ne me convient plus. » je soupirais. Je n’avais aucune idée de comment me sortir de là. Je prenais de l’âge, j’avais des enfants, j’étais seule et mon métier ne me faisait plus trop bander comme au début.

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Ida & Jameson

J’ai remercié Ida pour son aide d’un signe de tête et d’un sourire sincère, puis j’ai posé le plat de lasagnes au milieu de la table qu’elle venait de dresser. Ensuite je me suis installée et je nous ai servies, ne pouvant pas m’empêcher de lui demander au passage ce qu’elle aurait voulu faire comme métier. J’ai pris une bouchée de mes lasagnes, et manquai de les recracher en entendant sa réponse. J’ai avalé rapidement et posé une main sur ma bouche pour dissimuler à moitié l’immense sourire qui s’y dessinait.

- Chanteuse dans un groupe de métal ?!

J’ai répété, comme s’il pouvait y avoir le moindre doute. D’un côté, j’étais surprise par cette réponse. Mais de l’autre, elle ne m’étonnait absolument pas. C’était du Ida tout craché. Mon amie était faite de contrastes fascinants et ça la rendait d’autant plus intéressante à mes yeux.

- Ça aurait été marrant, j’aurais peut-être été fan de ton groupe. J’ai incliné la tête avec un sourire apologétique. Crois-le ou non, mais je suis une grande fan de ce style musical. J’irais même jusqu’à dire que j’ai un côté groupie presque totalement assumé.

J’ai plaisanté avec un petit rire. Le fait était que j’avais été le genre d’ado à écouter du rock à fond dans mes écouteurs, à me teindre les cheveux en noir de jais et à supplier Kyte de me trimballer à l’arrière de sa bécane pour m’amener à un concert en dehors de la ville. Avec le temps, je m’étais un peu assagie, et je ne faisais pas tellement attention aux nouveautés du genre, mais j’écoutais toujours mes vieux groupes de rock et de métal fétiches dans ma voiture. Et puis ça faisait bientôt sept ans que je me tapais régulièrement le chanteur de The Dirty Conviction. Aussi. Ida m’appris ensuite qu’elle avait une licence en marketing et j’ai secoué la tête, un sourire aux lèvres.

- Musicienne, mère de famille parfaite et diplômée d’école de commerce. Décidément, tu ne manques pas de me surprendre. J'ai dit avec amusement. Mais crois-moi, quelque part le mariage vaut certainement mieux que la finance.

J’ai dit avec un clin d’œil. Ida était énergique et inventive. Je ne la voyais vraiment pas penchée sur des lignes de comptes toute la journée. Ce boulot donnait certes un certain statut et une stabilité financière, il tuait à petit feu toute passion et désir de liberté. Sauf que finance ou pas, les choix d’Ida et la vie qu’elle menait n’avaient pas permis à sa flamme de s’épanouir comme elle l’aurait voulu. Mon cœur se serra avec elle lorsqu’elle me confia avoir l’impression de devenir vieille et se sentir prisonnière d’un choix de vie qui ne lui convenait plus. J’ai pincé les lèvres et hoché la tête, parce que je ne comprenais que trop bien ce qu’elle ressentait. Dans le fond, je vivais la même crise. J’avais foncé sans me poser de questions, et j’ouvrais les yeux à trente-six ans pour réaliser que je n’avais rien construit. J’avais dédié ma vie à des causes qui m’étaient chères, et je n’avais aucun regret là-dessus. Mais lorsque je rentrais à la maison après le boulot, je n’étais plus rien pour personne. A part une sorte de mère pour ma chienne. Une amie pour Ida. Un plan cul pour Zekh. Un sujet d’expérience pour Robin. Mon existence était décousue et j’étais tellement déconnectée de Jaimie, l’ado qui m’avait lancé dans toute cette aventure à la base, que je ne savais même pas comment la retrouver. Alors je me contentais d’être Maître Jameson Winters. Et l’avantage avec elle, c’est qu’elle n’avait aucun état d’âmes, alors me voiler la face était plutôt facile. Sauf quand l’alcool me montait à la tête, et qu’Ida m’ouvrait son cœur, dévoilant des doutes bien trop familiers.

- Ida, il n’est pas trop tard. Ce qu’il se passe avec Thomas, c’est pour toi une chance de te recentrer sur ce que tu veux, et ce qui te ferait vibrer. Et je sais que tu as tes enfants et que tout n’est pas aussi simple, mais je sais aussi que tu les aimes plus que tout au monde, et que si c’était à refaire, tu ne les effacerais pas. Je me trompe ? Mais il ne faut pas que ce rôle de mère t’empêche de te développer toi, en tant que femme. Tes possibilités sont sans fin.

Je nous ai resservi un verre de vin – à ce point de la soirée, j’avais littéralement abandonné l’idée de les compter, et je n’en avais plus rien à foutre. Et j’y ai à nouveau trempé mes lèvres, parce que je sentais que j’avais un peu besoin de courage pour parvenir à sortir les mots qui me brûlaient la gorge.

- Et si tu as besoin de te dégager du temps… je peux les garder de temps en temps, tes mômes… Freyja adorerait, et je t’avoue que je me demande un peu ce que ça fait, de m’occuper d’enfants. J’ai haussé les épaules (pour me la jouer cool et détachée) et j’ai senti un sourire nerveux étirer mes lèvres (autant pour l’attitude désinvolte). Parce que figures toi que moi aussi, je me sens un peu prisonnière de mes choix. Je veux dire, j’ai une carrière passionnante. Mais je crois que j’aurais bien aimé tomber amoureuse une fois ou deux. Et avoir des enfants. Je crois. En fait j'en sais rien.

©junne.

Pour yourself a drink,
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Décidément, Jameson me surprenait toujours. Ses lasagnes étaient un délice que je me resservirais bien une seconde fois. Je ne réussissais jamais à en faire d’aussi bon. D’ailleurs, la cuisine et moi n’étions pas très amie bien que j’essayais de m’y mettre sérieusement. Autant j’étais imbattable en pâtisserie, autant les plats salées pouvaient ressembler à du vomi de chien. Je me retrouvais donc souvent à faire les même plats, facile et sans trop de risque de me planter. Je la laissais donc s’installer pendant que nous continuons à discuter. Je ris, de bon coeur. « Oui, juste pour le plaisir de changer. De me défouler et … de me libérer. » avouais-je. Je n’aimais pas trop ce genre de musique mais ils avaient le mérite de ne respecter aucune règle et de s’amuser. On ne pouvait pas leur enlever la spontanéité de leur son, malgré que ça avait tendance à plus me briser les oreilles qu’autre chose. « Je veux bien te croire. » Jameson n’était pas comme les autres personnes que je côtoyais. Elle avait également une double facette qui m’impressionnait. Nous étions à la fois très différentes dans nos modes de vie et pourtant très similaires sur notre façon de pensé. Nos passés se ressemblaient, les milieux dans lequel nous avions grandi. Nous étions deux jeunes femmes qui venaient de loin et qui se battaient pour être accepté dans cette vie aussi bourgeoise que l’on voulait s’imposer. Je continuais de plaisanter : « me teindre les cheveux en rose. J’ai toujours rêvé d’avoir les cheveux roses. » continuais-je de fantasmer. J’imaginais bien Jameson quelques années plus tôt pleurer et suivre son groupe de musique préféré.Cette image me fit sourire. Ado, j’étais folle amoureuse d’un boysband néerlandais. Je ne comprenais pas un mot de ce qu’il disait et répétais phonétiquement les paroles de leur chanson comme on réciterait la bible. Je m’étais mise à coller des photos d’eux dans toute ma chambre, jusqu’à que ma mère ne les jette. Je me rappelle lui en avoir voulu très longtemps pour ça, me disant que mon bonheur l’irrité au point de me voler tout ce qui pouvait me rendre heureuse. De nouveau Jameson me lacha un compliment, je soupire : « Arrête, tu sais bien que non, je n’ai rien d’extraordinaire. » avouais-je. C’était d’ailleurs pour ça que Thomas avait préféré partir avec son petit ami. Il devait surement se demander ce qu’il m’avait trouvé la première fois : « Je ne regrette pas mes enfants. » lui dis-je en levant mon verre d’eau comme pour trinquer à leur honneur. Parce que c’est vrai que la façon dont je parlais aurait pu laisser le contraire, c’était à Thomas que j’en voulais. Je n’avais jamais penser devoir vivre sans lui. Pas maintenant en tout cas. Je ne voulais pas transmettre ma tristesse à mon amie, mais au fond, je n’avais pas beaucoup de monde à qui me confier. Je savais que Jameson me comprendrais.

De nouveau, je sentis les larmes me monter aux yeux. Je devenais skyzophrene. Je n’avais aucun contrôle sur mes sentiments et j’avais l’impression de passer du rire au larme en un rien de temps. Il suffisait pourtant que je me mette devant l’évidence pour paniquer. Qu’allons devenir? Qu’allais-je bien pouvoir faire pour me sortir de cette histoire. Je devais me reprendre plus rapidement que n’importe qui car je n’étais pas la seule dans cette histoire. C’était comme si Jameson avait lu dans mes pensées. Je me retint de pleurer de nouveau devant mon amie. Il fallait que j’oublie tout ça, mais plus je me disais qu’il fallait passer à autre chose et plus j’avais du mal. J’acceptais volontiers le verre de vin qu’elle venait de me resservir. J’en étais au combien -tième déjà? Ca m’importait peur cette fois ci. Il fallait juste que je vide ma tête, et peut être dans le fond Jaimie avait besoin de se vider un peu la tête aussi. « Je suis désolée de t’embêter avec tout ça. » finis-je par conclure. « Tu es un peu la soeur que je n’ai jamais eu. Et j’ai l’impression que tu es la seule à ne pas me prendre pour une pauvre femme. » C’était rare que je partage un peu mes sentiments. Je me montrais toujours très pudique de ce côté là et pourtant Jameson avait une place très importante, l’alcool m’avait légèrement délié la langue. Je la laissais me resservir une seconde fois, bien que je sentais qu’il fallait déboutonner le bouton de mon jean une fois le plat fini. « Alex adore Freyja. S’il pouvait, il viendrait tout les jours chez toi pour jouer avec. » dis-je. Mon fils rêvait d’adopter un chien. Il avait espéré au noel dernier qu’on lui en offre un. Il fut déçu en découvrant que nous lui avions pris une voiture télécommandée et un mini-drone pour enfant. Il n’était pas encore assez grand pour s’en occuper et avec Clara, je ne pouvais pas prendre le risque d’avoir un chien à sortir tout les jours. Il se contentait donc de rendre visite de temps en temps à Freyja qui l’avait également adopté. Puis mon regard s’est posée sur mon amie, elle avait envie de se confier, je ne m’étais pas trop montrée à l’écoute. Je lui fis un sourire sincère : « Ils sont fous tout ces hommes de passés à côté de la femme formidable que tu es. » Je lui pris la main. Parfois, les mots ne sont pas aussi fort que les gestes. J’étais sincère dans ce que je venais de dire. Jameson était belle, intelligente et drôle. La femme que j’aurais surement épousé si j’étais un homme. « Rien est perdu. Tu peux toujours tomber amoureuse et toujours avoir des enfants. Ce n’est pas le compliqué. » la réconfortais-je, bien que ces mots me faisaient plus de bien à moi qu’à elle.

La soirée allait bientôt s’achever. Il était tant de libérer la nounou et de mettre au lit les enfants. Je m’étais levée de table en remerciant sincèrement Jameson pour ce qu’elle faisait pour moi. Je la suppliais de passer un de ces jours pour voir les enfants et me tenir compagnie. Nos petites confidences me manquaient, j’avais l’impression de moins la voir. Je la saluais d’une grande accolade avant de quitter son chez elle pour marcher jusqu’à chez moi.

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Ida & Jameson

Avec un léger froncement de sourcils, j’ai secoué la tête et agité une main devant moi, comme pour effacer les doutes d’Ida. Je n’avais pas envie qu’elle s’imagine que l’écouter me pesait. En réalité, je me sentais étrangement proche de ma voisine que je considérais désormais comme une amie. Car derrière des styles de vie bien différents, se cachaient deux femmes à la personnalité plutôt semblable. Taillées dans la roche, durcies par la glace. Ou quelque chose comme ça.

- C’est parce que tu n’es pas une « pauvre femme ». Tu es une femme forte et indépendante. Et tu réussiras tout ce que tu entreprendras, je n’ai aucun doute là-dessus.

Je l’ai encouragée en levant mon verre à son honneur. J’étais persuadée de ce que j’avançais. Pour moi, Ida était une femme brillante qui s’était retrouvée prisonnière dans le rôle de mère et épouse, alors qu’elle avait les capacités de faire tout ce qu’elle souhaitait. Son divorce avec Thomas ne pourrait que lui être bénéfique, j’en étais persuadée. Il lui permettrait de se recentrer sur elle-même et de trouver sa voix. Et j’étais prête à l’aider avec ça. Garder ses enfants une fois de temps en temps, le weekend, ne me dérangeait pas le moins du monde. Ces êtres me rendaient un peu curieuse, et après les avoir évité pendant des années, parce qu’ils me confrontaient à ma peur de ne jamais en avoir, j’avais envie de les approcher à nouveau. De voir si ce serait un truc qui me brancherait, de m’en occuper, ou si je paniquais juste parce que la société décrétait qu’une femme de trente-six ans se devait avoir des mômes sous peine d’avoir foiré son existence. J’ai confié mes pensées à Ida, sans vraiment me rendre compte que je me laissais moi aussi bercer par la tournure intime que prenait notre conversation. Le vin n’y était pas pour rien, j’en étais certaine. Autrement je n’aurais jamais osé lui avouer que je rêvais secrètement de tomber amoureuse et de fonder une famille. Ma réaction d’Ida me surprit et me fit chaud au cœur. Ma main dans la sienne, je l’écoutai me dire que les hommes étaient « fous » d’être « passés à côté de moi ». Elle poursuivit en m’assurant que rien n’était perdu. Et dans le fond, je savais qu’elle n’avait pas tort, mais cette possibilité me terrifiait plus que je ne voulais me l’admettre. Parce que faire de la place à cet espoir sur lequel j’avais tiré un trait depuis de longues années me semblait aussi le meilleur moyen de rouvrir de vieilles plaies qui n’avaient jamais totalement cicatrisé. J’ai senti un nœud se former dans ma gorge et mes paupières se mirent à battre un peu plus rapidement alors que je m’efforçais de contenir l’émotion qui menaçait de me trahir. Pour reprendre contenance, j’ai fini par retirer la main et me détourner, me réfugiant dans mon verre de vin avec un petit rire ironique.

- C’est pas les hommes le problème. C’est moi. Les rares fois où j’aurais eu l’occasion de construire quelque chose, je me suis démerdée pour tout foutre en l’air.

Le regard dans le vague, j’ai reposé mon verre. Dans le fond, je ne regrettais pas vraiment mes choix. Elise, Wyatt, Joshua… Avec le recul, je savais bien que ces relations ne seraient allées nul-part, ou carrément à l’opposé de ce que je recherchais. Surtout dans le cas de Josh. Si j’avais su, je me serais même débarrassée de ce trou du cul bien plus tôt.

- Je crois que je ne suis pas faite pour les relations. A chaque fois que j’ai essayé, j’avais l’impression de ne pas être à ma place. De prendre un rôle qui n’était pas moi mais que l’autre voulait que je sois. Et ça me donnait l’impression d’étouffer. J’ai marqué une petite pause, et un sourire nostalgique a trouvé son chemin jusqu’à mes lèvres. Enfin, sauf une fois. Quand j’avais une vingtaine d’années, j’ai croisé le chemin d’un motard qui ne vivait que d’adrénaline et de liberté. Notre aventure n’a duré que quelques heures mais il m’a acceptée pour qui j’étais et m’a laissé l’espace d’être moi-même. Tu vois ce que je veux dire ? Je n’ai pas réalisé sur le moment à quel point c’était rare, de rencontrer quelqu’un comme ça. Sinon, je crois bien que j’aurais élu domicile à l’arrière de sa bécane au lieu de retrouver ma petite vie bien rangée... et le sale type que je fréquentais à l'époque !

J’ai conclu avec un petit rire nerveux, puis j’ai secoué la tête et reposé mon verre de vin désormais vide sur la table.

- Ah, ne m’écoute pas. Il se fait tard et le vin commence sérieusement à me monter à la tête.

J’ai avoué en étouffant un reniflement ironique. La soirée touchait à sa fin, nous le sentions toutes les deux. J’ai raccompagné Ida à la porte et l’ai aidée à enfiler son manteau, tandis qu’elle me remerciait encore une fois de l’avoir écoutée. Je lui ai assuré que ce n’était rien, et qu’elle était libre de venir me rendre visite aussi souvent qu’elle le souhaitait. Et étrangement, je le pensais. J’appréciais sa compagnie bien plus que la moyenne, et ça me surprenait toujours un peu. Alors quand elle m’a proposé de passer chez elle à l’occasion, j’ai hoché frénétiquement la tête, lui assurant que je serais de la partie. Puis je me suis laissée entraîner dans son étreinte et l’ai serrée contre moi, reposant ma tête contre son épaule. Après, elle s’est enfuie dans la nuit. Enroulée dans une veste bien trop large, j’ai appuyé ma tête contre le bois de ma porte et l’ai regardée traverser la route d’un pas leste. Je me suis assurée qu'elle était bien rentrée chez elle avant de refermer la porte sur le vide de ma maison, qui m’engouffra aussitôt.

©junne.