Je rentre dans le studio avec une pointe d’excitation. C’est la première fois qu’une telle opportunité s’offre à moi. Et même si je suis conscient que c’est parce que le réalisateur est un de mes amis, avoir à composer la musique pour un court métrage a réveillé quelque chose en moi. Lucas m’a passé le scénario il y a quelques mois et aujourd’hui commence le tournage. Toute une équipe a été engagée pour ce projet qui tient à cœur à Lucas. Il faut dire que pour une fois il a le financement nécessaire pour faire quelque chose de bien. L’histoire est plutôt sympa mais il compte apparemment sur la mise en scène et je peux voir la lueur dans ses yeux. « J’ai fait écouter la musique à l’équipe ils ont été emballés. » Son excitation est palpable et la mienne est presque aussi imposante. Nous marchons dans les coulisses pendant plusieurs secondes avant de déboucher enfin sur la plateau qui a été décoré pour l’occasion. « Ca devrait coller parfaitement à l’histoire. » Je ne sers pas à grande chose aujourd’hui mais Lucas m’ayant invité je ne voulais pas manquer l’occasion de voir son projet se monter. Je jette un coup d’œil aux alentours, un buffet bien garnit attire mon attention et Lucas ne manque pas de le remarquer. « Vas-y ! De toute façon j’ai quelques détails à régler je te retrouve après. » Je ne me le fait pas dire deux fois et me diriger vers le buffet où deux ou trois personnes parlent entre elles. Ne les connaissant pas je reste avec mes petits fours et mon verre de jus d’orange à observer un peu les alentours. C’est alors que mon regard se pose sur le cameraman qui remonte le regard au même moment. « Putain… » Je manque de m’étouffer, sentant une parti du petit four passer dans le mauvais conduit. Je tousse quelques fois avant de prendre une gorgée de jus pour essayer de me reprendre et je me retourne pour ne plus lui faire face. C’est un attitude de gamin mais je ne pensais pas croiser Kael ici. Je reste un moment comme ça avant de finir par arrêter de faire l’enfant et me retourner. Je regard Kael et lui fait un signe de tête tentant une salutation sobre. Comment est-ce qu’on est supposé se comporter quand on croise son demi frère dont on vient d’apprendre l’existence sur un plateau de tournage. Dans ma tête ça grouille de questions mais faire le premier pas pour le moment me semble impossible, sans compter le fait qu’on ne c’est pas vraiment quitté en bon terme. Il faut dire que me comparer à mon père n’était pas vraiment la meilleure de choses à faire pour espérer une bonne relation. Et pour ma part je n’ai pas été tendre non plus. « Tu le connais ? » Lucas revient et il n’a pas manqué mon signe de tête. « Non… Enfin oui mais pas très bien. » Je ne compte pas m’étendre sur le sujet avec Lucas, même si je l’aime beaucoup, la double vie de mon perte est tout de même un sujet sensible. « Viens on va le saluer. » « Nooonn je… » Pas le temps de protester que Lucas a déjà pris le chemin le menant à Kael je le suis de prêt baissant un peu la tête pas vraiment enchanté de devoir parler à mon demi-frère. « Kael c’est ça ? J’ai cru comprendre que vous vous connaissiez avec Elio. » Il lui offre une poignée de main professionnelle alors que je me contente d’un demi sourire un peu mal à l’aise. Je n’ai pas du tout envie de laver notre linge sale en public. « Salut Kael. » Je lui tends à mon tour la main essayant de faire bonne figure. « Je ne savais pas que… Tu étais encore en ville. » Je pensais qu’après ses menaces à notre père il serait retourné voir sa famille. Apparemment j’avais tord.
C'était un travail de dernière minute. Et à vrai dire, il aurait aimé s'en soustraire parce qu'il avait son voyage jusqu'à GoldCoast à préparer. Mais un de ces amis cadreurs lui avait demandé de le remplacé à la dernière minute sur un projet sur lequel il travaillait. Kael n'avait pas mis longtemps à accepter. Après tout, c'était un juste retour des choses puisque Kurt l'avait guidé dans Brisbane pour lui montrer les endroits où il achetait son matériel. Cela avait sauvé la vie de Kael qui était cassé un trépied et une épaulière en moins de deux semaines. Donc, le voilà dans ce petit studio. Il ne savait pas trop à quoi s'attendre à vrai dire. Son pote ne lui avait pas trop parlé de ce projet. Et à vrai dire, le cadreur préférait se renseigner quand il arrivait sur les lieux. Il avait donc pris son matériel et il avait remplit le coffre de sa voiture. Parce que oui, finalement, Kael avait investi dans un véhicule. Il avait enfin reçu son permis australien. Il était temps. Prendre le taxi, cela ne durait qu'un temps, surtout que son matériel était quand même pas mal encombrant. Et qu'il ne pouvait pas se déplacer comme il le souhaitait. Maintenant c'était plus simple. Surtout depuis que Kara était en ville. Ils pouvaient faire comme à Chicago et partir en week-end quand leurs emplois du temps le leur permettaient. C'était chouette. Donc il avait pris sa voiture et il était arrivé une petite heure à l'avance sur les lieux du tournage. Il n'était pas seul à être sur les lieux. Il y avait deux autres cameramen. Kael les salua, engageant la conversation avec eux et un des techniciens du plateau. Ce dernier expliqua ce qu'il attendait de l'américain. Puis il avait pris quelques minutes pour découvrir les lieux avant de s'occuper de s'installer et de mettre en place son matériel. Kael devait s'occuper du travelling. Il avait donc apporté son steadycam. Il avait posé le harnais autour de sa taille, le clipsant sur le ventre avant d'assembler les deux parties du stabilisateur. Heureusement que ses côtes cassées étaient une histoire ancienne, sinon cela aurait été compliqué pour lui de supporter les douze kilos de son matériel. Kael posa ensuite sa caméra et alluma la visée hors caméra. Il faisait quelques réglages sans trop s'occuper des gens autour de lui. Quand il faisait son boulot, il entrait dans sa bulle. Et c'était donc tout à fait par hasard que son regard mordoré en accrocha un autre alors qu'il releva son visage de son écran de retour. Elio ? Ce dernier lui tourna rapidement le dos. Bouffon. Savoir que le barman était là, le mettait un peu sur les dents mais bon. Il était là pour faire un boulot, il n'allait pas s'occuper de lui. Parce qu'on ne pouvait pas dire que leur dernière discussion s'était bien passé. En fait, il l'avait encore un peu mauvaise Kael. Mais c'était surtout à nouveau le comportement d'Elio qui lui tapait sur les nerfs. Le steadycamer régla le son de ses deux micros posés au dessus de sa caméra. Il était entrain d'aligner les niveaux de son quand il entendait une voix l'accoster. Il releva son visage sur le type en question. Le réalisateur s'il avait bien suivi ce qu'on lui avait dit une heure plus tôt. L'américain serra la main du type sans toutefois répondre à son affirmation. Elio resta en retrait. Apparemment mal à l'aise par la situation. D'ailleurs Kael se demandait ce qu'il foutait là. Le type les laissa, interpellait par une des actrices. Seul avec Elio, ce dernier tendit la main à Kael. « T'as retrouvé la parole ?» Répondait ce dernier avant d'ignorer la main qu'il lui tendait. C'est bon, ils n'étaient que tous les deux. Ils n'allaient pas jouer la comédie de l'amitié. « Excuse-moi mais jsuis un peu occupé. » Il n'y avait pas d'agressivité dans sa voix, juste de la lassitude, par rapport à toute cette histoire. Le cadreur tendit ensuite la main pour placer correctement les micros. Sérieusement. Il croyait que la poisse l'avait abandonné mais il s'était apparemment trompé. Cette situation était un peu étrange. Surtout qu'au début, sans savoir qui était qui, ils s'entendaient plutôt bien. Kael ne lui avait jamais menti. Il s'était montré tel qu'il était... Il avait juste omis de préciser son nom de famille. Mais ça changeait quoi dans le fond ? Pas grand chose pour Kael. Mais cela n'avait pas été la même chose pour Elio. Et vu la situation dans laquelle ils étaient plongés tous les deux, il préférait garder ses distances. Elio lui avait fait comprendre qu'il aurait préféré ne rien savoir. Et bien voilà, ils y étaient. Ils étaient deux inconnus l'un en face de l'autre.
Maintenant que Lucas m’a mis dans ce pétrin il se casse. Je devrais sans doute être un peu agacé mais je n’ai pas envi qu’il ne se pose plus de questions que ça. Je reste donc bêtement la main tendue alors que Kael me refuse cette poignée de main. « Je vois… C’est donc comme ça que ça va se passer. » Je sens que son attitude va vite m’agacer. Dire que c’est moi que l’on traite de gamin de toute évidence je ne suis pas le seul à avoir de la peine à grandir. Faut croire que c’est de famille. On doit tenir ça de notre faux jeton de père. « T'as retrouvé la parole ?» Je lèvre un sourcil au ciel un peu étonné par son ton. « Je pensais pas qu’on avait grand chose à se dire. » Et de toute évidence j’avais raison puisque c’est le silence qui s’installe entre nous. Evidement je pourrais en profiter pour lui poser toutes les questions qui me trottent dans la tête et auxquelles il a peut-être des réponses mais c’est mon stupide ego qui prend le dessus. Je n’ai pas du tout envie de faire le premier pas. J’ai l’impression que Kael c’est bien foutu de moi avec son petit jeu. Depuis le début il savait la vérité et est venu trainer dans mon bar comme si de rien n’était. Il aurait eu milles opportunités meilleures que cette fameuse soirée pour me dire la vérité si ça lui tenait tant à cœur. « Excuse-moi mais jsuis un peu occupé. » « Ouais c’est ça. » Je n’avais pas franchement envie d’essayer d’avoir une conversation avec un mur. J’avais d’ailleurs entrepris de lui tourner le dos pour partir avant de me décider à faire demi tour . « Tu sais quoi ? T’as le droit d’être en colère ou tout ce que tu veux ! Mais je suis pas notre père ! Tu veux faire ton petit con avec quelqu’un va le voir lui ! Je n’ai pas à payer pour ces erreurs ! Je pensais qu’on pourrait au moins se conduire comme des gens civilisé. » Nous étions tous les deux les victimes de ce petit jeu que mon père avait joué pendant des années et j’aurais voulu trouver un moyen de ne pas voir Kael comme un ennemi mais plutôt comme un allié. Pourtant dès que mon regard se posait sur lui je ne voyais que les erreurs de mon père – ce mensonge énorme qui avait guidé ma vie. « Si il doit y avoir un petite guguerre entre nous, tu sauras que ce n’est pas moi qui l’ai voulu ! » Il avait décidé de me juger en quelques secondes et uniquement par mes erreurs alors que je venais d’apprendre que mon père nous avait menti pendant des années et caché tout une famille qui était aussi la mienne. Même si je détestais cette idée, Kael était mon demi frère… Nous avions eu le même père ignoble et horrible pour tenir son rôle. Quelque part il était peut-être la personne la mieux placée pour me comprendre même si en posant mon regard sur lui je ne voyais qu’un petit con arrogant pour le moment. Il m’avait pourtant semblé à premier vu que c’était un bon type.
Aux premiers mots d'Elio, Kael resta silencieux. Il se foutait de lui, là ? Parce que c'était l'impression qu'il avait en l'entendant parler. Le barman inversait les rôles. « Arrête cette comédie. C'est pas toi qui a tourné le dos quand nos regards ce sont croisés ? » Lui, il était là, tranquille à préparer son matériel. Parce qu'il avait été embauché pour faire un boulot et qu'il comptait le faire. « Si ton pote ne t'avais pas mené jusqu'à moi, tu ne m'aurais même pas adressé la parole. Alors fais pas comme si t'avais quelque chose à me dire. » Franchement, il s'en foutait un peu. C'était encore le bordel chez lui à cause de toute cette histoire et il ne pensait qu'à lui. C'était quoi cette attitude ? Kael en avait eu assez sur la tronche pour se montrer sympa et gentil avec tout le monde. Il avait le droit de vouloir se préserver un peu. Peu importe si ça plaisait au barman ou non. Franchement là, il avait juste envie qu'on lui foute la paix avec cette histoire. Mais apparemment c'était trop demandé. Kael avait posé son regard sur son retour d'écran. Il ne voyait pas ce qu'ils avaient à se dire tous les deux. Même s'il est vrai qu'ils s'étaient bien entendus quand ils s'étaient rencontrés. Mais le cadreur était persuadé qu'Elio croyait qu'il avait joué avec lui depuis le départ, ce qui était faux. Oui il avait voulu le connaître. C'était normal non. Et sur quoi lui avait-il menti ? Sur rien. Il avait été franc avec lui. Aux paroles suivantes d'Elio, il reporta son attention sur lui. « Je crois que j'ai dépassé le stade de la colère depuis un moment. Alors me dis pas c'que je dois faire. » S'il y avait une chose qu'il détestait, c'était que les gens essaient de se mettre à sa place. « Et j'en ai fini avec cette histoire. Il a été voir ma mère, c'est tout ce que je voulais. » Même s'il n'était toujours pas certain d'avoir pris la bonne décision . Peut-être qu'il aurait du en parler à sa mère. Lui laisser à elle, le choix, la décision à prendre. Mais depuis toujours Kael protégeait les siens. Il pensait à eux avec lui et cela n'allait pas changer. Puis aux mots suivants, le cadreur reporta son regard mordoré sur le barman. « Une guerre ? Mais de quoi tu parles ? J'ai pas voulu de ce merdier. » Pour le coup, ils étaient dans la même situation. Mais Kael était fatigué d'avoir ces reproches à la tronche, d'avoir des leçons de moral. Il n'était pas venu pour ça. Ça tombait bien. Un des techniciens l’interpella : « Oh Kael, on va commencé dans cinq minutes. T'as tout ce qu'il faut ? » Le cadreur acquiesça de la tête. Puis une fois le technicien loin d'eux, l'américain ajouta : « Je suis pas là pour mettre un peu plus le bordel dans ta vie. Jcrois qu'on a eu notre dose tous les deux. Alors on pourrait en rester là, tu crois pas ? » Ouais parce que là, ça commençait à lui peser tout ça. Il n'était même plus en colère, juste épuisé par ces dernières semaines.
Face à Kael je commençais à avoir la certitude que lui et moi n’étions pas fait pour nous entendre. Si durant une soirée les choses avaient été simples, elles avaient bien vite dérapées si bien que je me demandais encore comment tout ça était arrivé. « Arrête cette comédie. C'est pas toi qui a tourné le dos quand nos regards ce sont croisés ? « Si ton pote ne t'avais pas mené jusqu'à moi, tu ne m'aurais même pas adressé la parole. Alors fais pas comme si t'avais quelque chose à me dire. » Je secoue la tête légèrement agacé, un rire un peu lasse sortant de ma bouche. « C’est marrant, Victor fait exactement la même chose. » Je me passais la langue nerveusement à l’intérieur de ma bouche. J’avais volontairement utilisé le nom de notre père plutôt que de le citer comme tel, pas désireux de signifier mon lien de parenté avec lui. « Il prend plaisir à ressortir toujours ce qui est le plus mauvais… Ou c’est peut-être la seule chose qu’il sait voir. » Du moins c’est ce qu’il avait toujours fait avec moi. Se concentrant sur tous mes échecs plutôt que de tenter de me soutenir. Kael semblait faire la même chose, se concentrant sur cet instant de malaise que j’avais eu en oubliant que j’avais tout de même essayé de me rattraper certes avec un basique signe de tête mais tout de même. « J’étais un peu surpris merde ! » J’avais même failli m’étrangler avec ce stupide petit four. « Je pensais que t’étais reparti chez toi. » Apparemment j’avais eu tord. Je croyais qu’il n’était là que pour parler à notre père, de toute évidence autre chose le retenait ici sans que je ne sache quoi.
« Je crois que j'ai dépassé le stade de la colère depuis un moment. Alors me dis pas c'que je dois faire. » Une fois de plus j’avais légèrement rie enfonçant mes mains dans mes poches avec malaise. « Tant mieux pour toi ! Il se trouve que moi je suis en colère… J’ai juste imaginé que ça pourrait te faire le même effet. » J’avais l’impression de ne pas être légitime avec lui. De ne pas avoir le droit d’être agacé, énerve, choqué. Comme si peu importe ce que je ressentais c’était la mauvaise réaction. « Tu sais quoi… Va te faire foutre. » Ma phrase à peine fini nous avions été interrompu par un collègue de Kael qui le prévenait qu’ils allaient bientôt commencer. Me rappelant soudainement où nous étions. « Je suis pas là pour mettre un peu plus le bordel dans ta vie. Jcrois qu'on a eu notre dose tous les deux. Alors on pourrait en rester là, tu crois pas ? » « Je crois que c’est un peu tard maintenant… C’est déjà le bordel. » Que croyait-il ? Qu’une telle nouvelle ne me chamboulerait pas ? Que j’allais m’en gratter ? Je savais pourtant qu’il avait raison, la distance était peut-être la meilleure des attitudes et malgré tout quelque chose me poussait à rester là. A le regarder. « Je comprends pas… » Me passant une main dans les cheveux j’étais resté un instant silencieux comme si pour une fois je cherchais les bons mots. « Pourquoi t’es venu dans ce bar ? Pourquoi t’es venu me voir avant, que tu me l’as dit ? Si de toute façon t’avais déjà pris la décision que tu voulais en rester là, qu’est ce que c’est supposé m’apporter ? » Ou alors il l’avait pris la décision après. « Laisse tomber… Je vais te laisser bosser. » Je n’étais pas sur d’avoir envie d’avoir la réponse si c’était pour m’en prendre plein les dents une nouvelles fois. Je n’étais même pas sur de le mériter cet attitude pour une fois.
Il fronça les sourcils aux paroles d'Elio. Pourquoi est-ce qu'il lui parlait de ça ? Qu'est-ce que Victor venait faire ici ? Il parlait de lui là, de sa réaction, pas celle d'une tierce personne. Qu'il ai au moins le courage de l'admettre. « Je vous pas pourquoi tu le mêles à ça. C'était pas de lui dont je parlais. » Répondait-il un peu agacé par le comportement condescendant du barman. Il n'avait fait que mettre des mots sur l'attitude de barman. Kael n'avait même pas été agressif dans ses paroles. Il lui avait parlé calmement mais Elio semblait être en colère. Et c'est lui qui parlait d'une « guguerre ». Apparemment oui, il était le plus en colère des deux. « Et bien non, je suis toujours là. » Il avait trouvé un boulot et il avait signé un contrat. Malgré ce qui s'était passé, il n'avait pas l'intention d'envoyer tout ça à la corbeille. Il aimait ce qu'il faisait. Même si cela le faisait travailler à l'autre bout du monde, bien loin de sa famille. « Je crois que tu penses beaucoup trop. Ce serait mieux de poser les questions aux gens. Ça t'éviterai un coup de sang. » Parce qu'il semblait sur le point de lui foutre son poing dans la tronche. Kael avait dépassé ce stade. La colère qu'il avait en lui les premiers temps, avait fait place à de la tristesse et l'impression de ne pas avoir été à la hauteur. Maintenant que sa mère était au courant, qu'elle avait définitivement mis un terme à cette relation, il avait laissé la colère de côté sachant qu'elle ne servirai à rien, hormis à le rendre encore moins disponible pour les siens. Sa mère, ses sœurs avaient besoin de lui. Et c'était ce qui était le plus important pour lui. Le reste n'avait pas d'importance. « Et bien encore une fois, t'es dans l'erreur. » Elio avait un peu trop tendance à penser et à agir pour les autres. Il n'essayait même pas de l'écouter. Il était plein de haine et Kael savait que ça ne servait à rien de vouloir parler avec lui dans ces conditions. Mais il commençait à l'agacer là, sérieusement. Et c'était peut-être lui qui allait lui foutre sur la gueule. « Mais tu voulais que je fasse quoi ? Que j laisse cet enfoiré continuer sa comédie, qu'il méprise ma mère et la tienne ? Qu'il continue de mentir à tout le monde ? C'est ça que tu voulais ? » Kael avait légèrement haussé la voix et quelques techniciens présents avaient posé le regard sur lui. « Ouais, t'as rien compris du tout Harrington. » S'il n'avait pas compris ça sans qu'il lui explique, cela voulait dire qu'ils étaient définitivement pas sur la même longueur d'ondes. Est-ce qu'il aurait pas ressenti l'envie, le besoin de le connaître s'il avait eu cette possibilité ? Kael avait su du jour au lendemain qu'il avait un frère, un demi-frère. Et cela l'avait rendu curieux. Il voulait savoir qui il était, comment il était et ce qu'il faisait dans la vie. Il pensait avoir affaire à un mec imbu de lui-même, à l'image de leur géniteur. Au lieu de ça et contre toute attente, Kael s'était découvert des points communs avec lui. Pourquoi il était venu vers lui ? Ça lui apparaissait tellement logique. Kael avait observé Elio. Ce dernier semblait aussi perdu qu'il l'était. « Peut-être parce que t'avais rien demandé. J'ai pas payé pour ça non plus. Ça m'est tombé dessus, comme toi. On s'était bien entendu et je pensais que tu avais le droit de savoir avant que je lui parle. » Kael aurait pu tout balancer. Mais Elio méritait de le savoir avant. Il ne savait pas trop pourquoi. Il se reconnaissait en lui. Ils avaient pas mal de points communs malgré les circonstances. « Et je ne cherchais pas à me faire du fric sur vous. » Ouais ça, Kael ne l'avait pas digéré. Il n'était pas venu pour le fric. Il voulait juste que ce connard sort de sa vie une fois pour toute. Il soupira intérieurement avant qu'une sonnerie ne fasse entendre. C'était le signal de l'enregistrement. Kael jeta un œil à Elio avait de se mettre au boulot. Il avait presque oublié qu'il était là pour une autre raison. L'américain reposa son attention sur ce qui se passait devant lui. Quoique Elio puisse penser, il n'était pas là pour foutre sa vie en l'air. Parce qu'il n'y avait pas que sa vie à lui qui avait subi les conséquences de tout ça.
Je la voyais clairement maintenant, cette partie de William en lui m’apparaissait plus distinctement et j’avais l’intuition que quelque part il devait en être de même pour Kael à mon égard. Que c’était peut-être ce qui rendait notre entente impossible. Cette impression qu’il avait malheureusement déteint sur chacun de nous. « Je vous pas pourquoi tu le mêles à ça. C'était pas de lui dont je parlais. » Fronçant les sourcils j’avais secoué un peu la tête. « Et moi je te parle de lui… Parce que je vois mieux la ressemblance maintenant. » Au premier abord ça ne m’avait évidement pas sauté au visage. Nous nous étions bien entendus et pas une seconde je n’avais ce soir là douté de son honnêteté. « Puis que je sache c’est à cause de lui qu’on est dans cette situation ! » Et je lui en voulais pour ça, parce qu’en plus d’être un connard incapable de prendre soin de sa famille il en avait fait une deuxième, qu’il n’avait de toute évidence pas mieux traité que nous. « Et bien non, je suis toujours là. » « Je vois ça… » Et je ne savais pas quoi en penser. Quelque part j’étais content de savoir qu’il était là que j’avais la possibilité d’en savoir plus – si je souhaitais et si Kael acceptait de répondre à mes questions. D’un autre côté il me semblait que les choses auraient été bien plus simples si il avait simplement repris l’avion pour rentrer chez lui et que l’on n’entende plus jamais parlé l’un de l’autre. « Je crois que tu penses beaucoup trop. Ce serait mieux de poser les questions aux gens. Ça t'éviterai un coup de sang. » C’était son attitude qui me faisait sortir de mes gonds. Il semblait se trouver absolument supérieur à moi pour je ne sais quelle raison et j’avais de la peine à supporter son petit air d’agacement quand il posait les yeux sur moi. « C’est pas comme si j’avais vraiment eu l’occasion de te questionner ! » Que je me souvienne, il s’était contenté de foutre un poing dans la figure de notre père avant de partir ce fameux soir. Je ne me souvienne pas qu’il se soit à un seul moment inquiété de savoir si j’avais des questions. J’avais été bien obligé de m’imaginer ce que lui aussi pouvait ressentir. Mais il me semblait bien plus insensible que moi à toute cette situation. Ou alors c’était simplement le temps qui lui permettait d’avoir un peu plus de recule.
J’avais de la peine à comprendre pourquoi lui avait cette soudaine animosité à mon égard. Je n’étais pas responsable de toute cette histoire de merde. Que je sache ce n’était pas moi qui avait menti et joué une sorte de double jeu. « Mais tu voulais que je fasse quoi ? Que j laisse cet enfoiré continuer sa comédie, qu'il méprise ma mère et la tienne ? Qu'il continue de mentir à tout le monde ? C'est ça que tu voulais ? » Je secouais la tête de plus en plus agacé par cette conversation. « Mais est-ce que j’ai dit ça putain ? Non ! » Je m’étais retenu de lui dire que l’actuelle femme de mon père n’était pas ma mère. J’aurais pensé qu’en la voyant il l’aurait deviné. Une blonde aux yeux bleus – aucune ressemblance avec moi. « J’aurais juste apprécié ne pas le savoir deux secondes avant ! Et que tu ne joues pas ce petit jeu avec moi au bar… » J’avais encore de la peine à comprendre son attitude. Il semblait estimer pour sa part que c’était tout à fait normal. Je doutais pourtant qu’il en aurait été de même si les rôles avaient été inversés. « Ouais, t'as rien compris du tout Harrington. » Décidément ce mec n’avait aucune sensibilité. Alors que je tentais de lui faire comprendre ce que je ressentais il en profitait pour se foutre de ma gueule et me renvoyer une fois de plus mes faux pas à la gueule. C’était insupportable. « Peut-être parce que t'avais rien demandé. J'ai pas payé pour ça non plus. Ça m'est tombé dessus, comme toi. On s'était bien entendu et je pensais que tu avais le droit de savoir avant que je lui parle. » Baissant un peu les yeux j’avais commencé à entrevoir son raisonnement. Même si à mon sens me balancer l’info en présence de tout ce monde et 3 minutes avant la confrontation avec moi père était tout aussi brutale. Il avait pourtant eu l’occasion de faire les choses mieux. Il savait où je bossais non… Il me semblait même qu’une sorte d’amitié avait commencé à se lier entre nous… Du moins c’est ce que j’avais cru. « Et je ne cherchais pas à me faire du fric sur vous. » J’avais secoué la tête sans trop savoir à quoi il faisait référence avant de me souvenir de mes propos ce soir là. « Je le sais, tu me l’as déjà dit. » Pour moi c’était un sujet clos. Ca m’était sorti comme ça, parce que les gens qui entouraient mon père étaient souvent du type vénal et que ça n’aurait pas été si étonnant que l’un de ses fils soit un peu comme lui. « De toute façon je m’en fous moi… Je touche pas à l’argent sale de mon père… Il en fait bien ce qu’il veut. » Et si il devait le distiller à ses enfants cachés pour qu’ils ferment leurs gueules alors c’était bien son problème.
A la suite de cette conversation Kael avait du retourner à son travail. Je m’étais alors éloigné sans plus de mots. Retrouvant mon ami qui avait commencé à me charrier en me demandant si c’était un ancien petit ami. J’avais évincé le sujet préférant encore qu’il croit ça plutôt que de lui avouer la vérité. Les premières scènes avaient été tournées et quand la pause était arrivée Kael et moi avions gardé une certaine distance. Cependant après plusieurs minutes et un peu par hasard nous nous étions retrouvés à côté devant le buffet. J’avais relevé le regard vers lui ne sachant trop quoi lui dire. J’aurais bien pu parler de son travail, mais le sujet m’était bien trop inconnu pour que je m’y aventure. « T’en as combien… Des sœurs ? » C’était plutôt abrupte comme entrée en matière mais la question me brulait les lèvres depuis que j’avais appris leur existence. Je ne pouvais m’empêcher de me poser des questions sur cette famille qui partageait une partie de mon patrimoine génétique… Même si ce n’était clairement pas la meilleure partie puisque c’était celui de mon père.
Le regard mordoré de Kael restait posé sur Elio. Il ne comprenait pas pourquoi ce dernier venait le chercher avec ses remarques à la con. Et pourquoi il insistait tant à faire le lien avec leur géniteur et lui. Ils n'avaient aucun point commun. Kael était bien heureux de ne pas lui ressemblant. D'avoir davantage hérité de sa mère qui était une femme formidable et la meilleure mère du monde. Non, il ne voulait rien savoir de leur père. Ni maintenant, ni plus tard. Cela faisait déjà des années qu'il avait tiré un trait sur lui. Kael serra les dents à la remarque d'Elio. « Tu te fous d'moi Tu viens me voir pour parler de lui? » Franchement, il n'avait pas encore compris que leur géniteur, il ne voulait plus en entendre parler ? Kael était bien heureux sans lui. Il n'avait pas besoin de ce connard pour faire sa vie et être heureux. Ils avaient réussi à s'en sortir sans lui. Mais ça, Elio ne pouvait pas le savoir. Il le jugeait sans le connaître. Tout en se plaignant de ne rien savoir sur lui. C'était paradoxal. « Je sais pas si c'est utile. Parce que t'as l'air déjà de tout connaître sur moi. » Il semblait savoir ce qu'il pouvait ressentir. Alors qu'il n'était pas du tout à sa place. Il ne le connaissait pas. Il ne savait pas qui il était. Alors ce genre de remarque, il pouvait les garder. Puis aux paroles suivantes d'Elio, il fronça les sourcils. « Un ptit jeu ? J'ai jamais joué la comédie ! » Kael avait juste voulu le connaître. Il ne lui avait jamais menti. Jamais. Il n'avait pas abordé certains sujets mais c'était normal en même temps. Kael était encore sous le choc de cette révélation au moment où il avait fait la connaissance d'Elio. Enfin, c'était inutile de parler avec lui. Vu qu'il semblait déjà s'être fait une opinion, à quoi bon lui donner tort ? Et puis ce n'était plus important maintenant. Ils pensaient qu'ils pouvaient s'entendre. Mais Kael s'était trompé. Vu la situation, il n'était pas sûr qu'il puisse s'entendre et se parler normalement.
Pour l'instant, il était là pour faire un boulot et il allait le faire. Il essayait de mettre tout ça, dans un coin de sa tête pour rester concentré sur ce qu'il faisait. Peut-être que ce boulot pourrait lui offrir d'autres opportunités. Et c'était ainsi que Kael bossait en freelance. Il se faisait une réputation de bouche à oreille. Et cela fonctionnait. Il avait pas mal de contrat en cours. Kael aimait ce qu'il faisait. Et s'il n'avait pas eu un contrat fixe, il serait reparti aux États-Unis. Seulement, il avait eu l'opportunité de travailler ici en Australie. Et il l'avait saisi. Et il aimait travailler comme ça. Ouais, il avait pris ça comme une opportunité à saisir et pas comme un moyen de se rapprocher de cette seconde famille. Parce que Kael était persuadé qu'Elio ne voulait rien savoir sur eux. Pourquoi voudrait-il les connaître ? Kael venait bouleverser la tranquillité de sa vie. Et Elio n'avait pas signé pour ça. Probablement pas. Lui non plus n'avait pas signé pour ça. Quand il avait fait des recherches sur le net pour un de ses reportages, il était tombé par hasard sur un nom de famille qui l'avait interpellé. Parce qu'il avait le même. Non il ne s'attendait pas à tout ça. Peut-être que s'il avait eu le choix, il n'aurait pas voulu savoir. Seulement cela n'avait pas été le cas. Et forcément, il avait été curieux d'en savoir plus sur cette famille australienne. Et puis il avait voulu comprendre. Comprendre pourquoi leur géniteur avait fait ça. Pourquoi il les avait délaissé. Pourquoi il ne s'était pas occupé de ses sœurs. Pourquoi il avait fait d'eux, une seconde famille clandestine. Le cadreur ne comprenait pas. Et il ne comprendra sûrement jamais. Kael avait décidé de prendre sur lui. Parce qu'il n'était pas seul. Parce qu'il avait des sœurs sur lesquelles il devait veiller. Il l'avait toujours fait. Et il allait continuer. Pour elle, il devait être un roc. Peut-être qu'Elio ne le comprenait pas. Peut-être qu'il le trouvait insensible sur le sujet, ce qui n'était pourtant pas le cas. Mais tant pis, le principal était que ses sœurs soient protégées de tout ça. Et pour l'instant, il avait réussi à limiter les dégâts. Le cadreur se trouvait près du buffet pendant la pause quand Elio lui adressa à nouveau la parole. Il leva ses yeux sur lui, un peu surprise par sa questions. Comment savait-il qu'il avait des sœurs ? Puis, il se rappela des mots qu'il avait dit à leur géniteur. Kael resta un instant silencieux avant de se servir un verre de jus d'orange. Il fut tenté de ne rien lui dire. Après tout, qu'est-ce que cela pouvait lui faire ? A quoi bon savoir ? Et puis, le cadreur s'était dit que si la situation avait été inversée, peut-être que lui aussi, aurait voulu savoir. Mais en même temps, il ne savait pas si Elio était prêt à entendre. Kael but une gorgée de jus d'orange. Il reporta ensuite son attention sur le barman. De toute façon, il se disait que c'était Elio qui voulait savoir. Lui qui voulait aborder le sujet. « Cinq. » Kael était cerné par les filles. Mais il avait grandi comme ça. Parfois cela lui avait manqué de ne pas avoir un frère. Maintenant il en avait un, sans vraiment l'avoir. Parce qu'ils étaient des étrangers. Et que les choses s'étaient plutôt mal passées entre eux. Ce qu'il regrettait un peu. Mais il ne pouvait pas changer les choses et modifier le passé. « J'ai une jumelle. Et quatre petites sœurs de 23, 16, 9 et 5 ans. » Il garda son regard sur Elio. Forcément, il était surpris. Et il comprenait. « Autant te dire que je vis l'enfer. » Le seule mâle avec toutes ces filles. Mis il plaisantait. Il adorait ses sœurs plus que tout. Il se sacrifierai pour elles sans hésiter. Un fin sourire s'était affiché sur ses lèvres avant qu'il ne reporte son attention sur le barman. « Non, en fait, elles sont chouettes... » Autant dire qu'elles n'avaient pas hérité de leur géniteur. Kael était plus détendu quand il parlait de ses sœurs. Mais il se rendait compte que c'était peut-être pas la même chose pour Elio. Il se passa une main sur la nuque. Drôle de situation quand même...
Je ne comprenais pas Kael, sur bien des points. Et il semblait plutôt évident que lui non plus ne me comprenait pas, ce qui avait de quoi créer une certaine tension et rendre l’atmosphère entre nous invivable. « Je sais pas si c'est utile. Parce que t'as l'air déjà de tout connaître sur moi. » Kael semblait se chercher des excuses, bien désireux de me mettre tous les problème de notre relation sur mon dos. A mon sens je ne méritais pas ça et j’étais loin d’être prêt à me laisser faire. C’était bien lui qui avait induit ce contact étrange entre nous en venant trainer dans mon bar – en faisant comme si de rien n’était. « Un ptit jeu ? J'ai jamais joué la comédie ! » Fronçant les sourcils je me demandais à quel point il pensait vraiment qu’il n’avait pas abusé de ma confiance. « Tu t’es bien gardé de me dire qui tu étais… T’es venu trainer autour de moi pendant des semaines sans rien me dire… Tu m’as laissé croire que t’étais un client parmi d’autre alors que tu savais tout ! » Peut-être qu’avec un peu de recule j’aurais su voir la situation sous un œil différent mais pour le moment j’en étais bien incapable et Kael avait beau tenter de se justifier ça ne changeait pas mon point de vu.
Pendant quelques minutes Kael et moi avions été séparé par son travail. Ce n’était sans doute pas plus mal – le temps pour nous de nous calmer un peu – enfin surtout pour moi. Au final une partie de mon esprit continuait à se poser tant de questions et j’étais bien conscient qu’il était le seul à pourvoir me donner les réponses que j’attendais. Mon père étant un menteur professionnel je n’avais aucune confiance en lui. Alors quand je m’étais retrouvé à ses côtés, j’avais posé un peu timidement la question qui me brûlait les lèvres depuis que Kael avait parlé de sœurs. Pendant un instant il m’avait semblé voir de l’hésitation dans les yeux de mon demi-frère, comme si l’idée de se dévoiler sur le sujet ne l’enchantait pas du tout. Et pourtant il avait enchaîné. « Cinq. » Mon cœur s’était mis à battre plus fort mes jambes à chancelle sur le coup de cette nouvelle. Incapable de dire un mot j’étais resté stupéfait. Cinq sœurs… Il y avait cinq filles quelque part dans ce monde qui avaient en parti le même sang que moi – cinq demis sœurs. « J'ai une jumelle. Et quatre petites sœurs de 23, 16, 9 et 5 ans. » Mes yeux toujours posé dans ceux de Kael je n’avais pu échapper qu’un « Putain… » Totalement décontenancé face à cette nouvelle. « Autant te dire que je vis l'enfer. » Un léger rire était sorti de ma bouche se mêlant à celui de Kael. Pour la première fois depuis que la bombe avait été lâchée nous semblions partager autre chose que de la rancœur. « Non, en fait, elles sont chouettes... » Hochant un peu la tête je ne trouvais pas les mots. Mon esprit tentait de se faire à l’idée – d’imaginer ce que pouvait bien être cette famille – a quoi devaient ressembler ses filles. « C’était pas juste une histoire comme ça alors… Il a bel et bien crée toute une autre famille. » Toutes ses absences se faisaient d’un coup tellement plus logique. Cette distance qu’il avait mise avec nous, parfois pendant des semaines, prétendant que c’était pour le travail. « Cinq ans bordel… Ta plus jeune sœur à la même âge que ses petits fils. » J’avais ris un peu nerveusement tellement je me sentais dégouté par ce père qui avait même réussi à faire des nous des sortes d’ennemis. Je ne pouvais m’empêcher de me dire qu’il adorait l’idée qu’on se déchire. « T’as quel âge Kael ? » je commençais à percevoir des failles, mon demi frère devait avoir le même âge que moi plus ou moins ce qui voulait dire que ce petit jeu existait déjà à l’époque de ma mère… Ce qui voulait dire que la seconde famille. C’était nous… « Ecoute je suis désolé pour ma réaction… Je peux être un peu con parfois mais… J’ai de la peine à digérer la nouvelle. Je veux dire ça devrait pas être si étonnant… William est un connard je le sais depuis toujours… Mais toute une famille… 5 filles et toi à qui il impose ça aussi. Ca dépasse ce que je suis capable de comprendre pour le moment. » Ou d’accepter. C’était un peu trop.
A quoi bon expliquer les choses à Elio, puisqu'il semblait déjà avoir son opinion sur l'attitude de Kael. Ouais peut-être qu'il n'avait pas pris la bonne décision. Mais c'était la sienne, il l'assumait. C'était facile pour Elio de prétendre qu'il aurait agi différemment puisqu'il n'était pas dans la situation du cadreur. Facile de faire des reproches dans ce cas là. Voilà pourquoi l'américain n'avait même pas pris la peine de lui répondre une nouvelle fois sur le sujet. A quoi bon. Elio était têtu et il ne voyait qu'une mascarade. Alors que pour Kael, cela avait été un moyen de le connaître. Après tout, il était là pour s'assurer que sa famille n'allait pas souffrir davantage, pas pour se faire des amis. Et c'était peut-être mieux comme ça. Vu tout ce que lui avait dit Elio. Kael n'avait pas envie de s'étendre sur le sujet. Et puis franchement, il doutait qu'Elio aurait agi différemment si Kael lui avait tout balancé à la tronche la première fois qu'il s'était vu.
Ce n'était qu'une fois tous les deux devant le buffet, que la conversation avait reprit. Kael n'aurait pas perdu de temps à essayer avec Elio vu que leurs discussions ne menaient à rien. Il était juste là pour faire un boulot. Il avait envie de bien le faire même si Elio continuait à lui tourner autour. C'était le barman qui avait reprit la conversation. Il se posait des questions sur ses sœurs. Pourquoi ? Kael n'en savait rien. Elio n'avait pas montré le moindre intérêt pour sa famille jusqu'à maintenant. Et Kael aurait préféré que ce soit comme ça, jusqu'à ce qu'ils se séparent à nouveau. Le barman voulait savoir combien de sœurs partageaient son existence. Bien sûr, Elio était surpris. Et il y avait de quoi. Oui c'était une grande famille. Kael était très famille et il était très proches de ses sœurs. Il les adorait. Et c'était pour elle, qu'il avait fait en sorte de connaître un minimum Elio avant de lâcher la bombe. Parce qu'il pensait à elles. Et il ne voulait pas qu'elles souffrent davantage. C'était ça qui inquiétait le plus Kael et pourquoi au final, il avait pris son temps pour révéler la vérité. Aux paroles d'Elio, le cadreur reportait son attention sur lui, son verre toujours à la main. « C'est ce que je me suis dit quand j'ai vu cette photo où vous étiez tous les trois à un gala. » Oui Kael avait cru à une liaison sans lendemain, sans conséquence. Mais il s'était trompé. Puis l'américain fut un peu surpris d'apprendre qu'Elio avait des enfants, des garçons. Il aurait bien posé une question là dessus pour en être certain. Mais il ne voulait pas que sa curiosité soit mal interprétée. Puis à sa question sur son âge, il fut un peu surpris. Puis il comprit où il voulait en venir. Même si clairement, cela n'allait rien changer à la situation. « Vingt-sept ans. Et toi ? » Oui, malgré lui, Kael voulait savoir également. Ce n’était peut-être pas une bonne idée. Mais que ce soit une réponse ou une autre, cela n'allait rien changé, comme il l'avait songé des secondes plus tôt. Kael ne s'attendait pas à ce qu'Elio parle davantage et lui parle envie de son ressenti vis à vis de toute cette histoire. Il garda ses yeux mordorés sur le barman. Il resta silencieux quelques instants avant de reprendre la parole. « Je ne l'ai toujours pas digéré non plus. Alors jte dois aussi des excuses. J'ai pas été cool avec toi alors que tu n'y es pour rien. Mais c'est différemment pour lui, je lui en veux encore. Comme tu dis, il a sciemment joué avec nous pendant toutes ces années. Ce n'était pas qu'une liaison, qu'un accident. Il a voulu cette famille avec ma mère... » Oui, et ça, Kael ne pourra jamais accepter le comportement de ce minable qui leur avait menti pendant toutes ces années. Il aurait pu agir différemment mais il ne l'avait pas fait. Il avait été lâche et maintenant tout le monde en soufrait. « Mais je comprends maintenant pourquoi il n'était jamais là, pourquoi il était toujours en voyage. Et pourquoi il a toujours refusé d'épouser ma mère. Il était déjà marié. Mais ça, il s'est bien gardé de lui dire. »
C’était presque étrange. Cette impression que pour la première fois depuis que nous nous étions vu à ce gala Kael et moi avions une vraie conversation. Evidement je l’avais senti hésitant comme si livrer un pan de cette vie de famille lui était plus difficile que prévu - même en sachant qui j’étais. Ou peut-être surtout en sachant qui j’étais. Il avait pourtant fini par me parler de ses soeurs, nombreuses soeurs qui par conséquences étaient aussi les miennes… Toute cette autre famille que mon père avait su dissimuler pendant des années. « C'est ce que je me suis dit quand j'ai vu cette photo où vous étiez tous les trois à un gala. » Un peu étonné je n’avais pas tenté de dissimuler mes émotions. « C’est comme ça ? Que t’as su que j’existais ? Avec une photo ? » Il y avait fort à parier que ma soeur Leah était aussi sur cette photo - je ne me souvenais pas avoir beaucoup posé avec lui depuis que Leah était décédée. Je l’avais plutôt évité comme la peste - et il en avait fait de même. La mort de ma jeune soeur ayant montré un peu plus le côté égoïste de mon père qui - plutôt que de nous soutenir avait préféré se faire encore plus absent. « Vingt-sept ans. Et toi ? » Je sentais mon coeur battre un peu plus vite dans ma poitrine à cette réponse. Je devais à peine avoir quelques mois quand mon père avait eu son premier enfant avec cette autre femme. « 29… Je les ai un il y a un mois… » Nous avions sans doute à peine 1ans de différence.
Finalement j’avais pris le parti de présenter des excuses pour mon comportement. Même si j’estimais ma colère légitime je savais que Kael n’était pas le bon objet, que tout comme moi il était un victime de la vie qu’avait mené notre père. « Je ne l'ai toujours pas digéré non plus. Alors jte dois aussi des excuses. J'ai pas été cool avec toi alors que tu n'y es pour rien. Mais c'est différemment pour lui, je lui en veux encore. Comme tu dis, il a sciemment joué avec nous pendant toutes ces années. Ce n'était pas qu'une liaison, qu'un accident. Il a voulu cette famille avec ma mère... » Les mots étaient douloureux parce que quelque part je me sentais à part - je me sentais privé d’une famille qui était aussi la mienne. Leah était morte et je m’étais retrouvé seul - j’avais cru l’être. Le seul enfant d’un père exigant et déçu de ma minable carrière comme il le disait lui même. « C’est vraiment un connard putain. » Ca m’avait presque fait rire tellement je trouvais la situation pitoyable. « Mais je comprends maintenant pourquoi il n'était jamais là, pourquoi il était toujours en voyage. Et pourquoi il a toujours refusé d'épouser ma mère. Il était déjà marié. Mais ça, il s'est bien gardé de lui dire. » Marié à ma belle mère… Marié à ma mère avant ça. « Il était pas plus là pour nous tu sais… » Même dans ses moments où il était en ville il rentrait tard, il s’absentait si longtemps que parfois j’oublie presque son existence ce qui avait quelque chose de libérateur. « Mais je m’en plains pas… On était bien mieux sans lui. » Ma soeur elle avait bien plus souffert de l’absence de notre père que moi. Peut-être parce qu’avec elle, il avait certaines attentions, une certaine douceur qui jamais ne m’avait été réservée. « Comment il est avec toi ? Et…enfin avec tes soeurs ? » J’étais tout aussi intéressé de connaitre la relation que mon frère avait pu nouer avec notre paternel - commençant à imaginer qu’elle devait être aussi conflictuelle que la mienne au vu de ses choix de vie. Mais puis qu’il était supposé être le fils caché peut-être que mon père n’avait jamais eu les mêmes exigences.
Pour la première fois depuis qu'ils s'étaient rencontrés, les deux Harrington avaient enfin une conversation normale. Cela étonnait un peu Kael. Mais quand Elio laissait tomber son côté « monsieur je sais tout » et son agressivité de côté, il pouvait être d'une compagnie agréable. En tout cas, ils ne s'étaient pas encore tapés dessus. Donc c'était bon signe. En même temps, il était facile d'adoucir Kael en parlant de ses sœurs. C'était peut-être ça aussi qui l'avait rendu un peu plus cool, et plus disposé à écouter ce que pouvait lui dire le barman. Cela ne voulait pas dire pour autant qu'ils étaient potes. Mais au moins, ils pouvaient avoir une conversation comme deux personnes civilisées. « Ouais...une foutue photographie. » Et il regrettait encore maintenant de l'avoir vu. Mais bon, au moins à présent, sa famille était au courant. Elle ne vivait plus dans le mensonge comme cela avait été le cas toutes les années auparavant. « Je l'ai reconnu et je me suis demandé ce qu'il foutait sur ce cliché. Alors j'ai cherché et j'ai découvert votre existence. » C'était aussi simple que ça. C'était le pur hasard qui avait bouleversé sa vie. Finalement le cadreur n'en était pas mécontent de savoir. Il avait bien compris au cours de ses années, que quelque chose clochait. Que les absences et le manque d'intérêt de son géniteur n'était pas seulement du à une surcharge de travail... Vingt-neuf ans... alors c'était eux la seconde famille comme il s'en doutait. Elio devait avoir à peine quelques mois quand leur père avait fait la rencontre d'une pianiste de talent. Pianiste qui avait tout abandonné par amour pour lui. Preuve une nouvelle fois, que l'amour ne rencontrait que des emmerdes.
Elio et Kael étaient dans la même situation. Même si Kael l'avait appris avant le barman. Cela ne voulait pas dire pour autant que c'était plus facile à encaisser. Et en vérité Kael n'était pas en colère contre Elio. Pas du tout. En fait, c'était surtout vers le connard que sa colère était dirigée. Comme il le disait à Elio, son père avait sciemment menti. Ce n'était pas seulement une passade, une liaison de quelques jours, de quelques mois. Non, il avait décidé de fonder une famille alors qu'il en avait déjà une. Voilà ce que ne comprenait pas Kael. Pendant toutes ces années, il avait menti, alors qu'il avait l'opportunité de dire la vérité à plusieurs reprises. Sauf que cette vérité, il n'avait pas voulu la dévoiler. Il avait joué un double jeu. Et maintenant c'était ses enfants qui en payaient le prix. Ouais c'était un connard et encore le mot était faible. Aux mots d'Elio, Kael acquiesça de la tête. « Nous aussi... » Ouais sauf que c'est beaucoup plus compliqué pour les plus jeunes. Kiara était la plus perturbée par tout ça. Elle ne comprenait pas pourquoi son père ne venait pas la voir. Pourquoi il n'était pas là lors de ses spectacles scolaires, pourquoi il ne lisait pas d'histoires le soir avant d'aller dormir... Mais elle avait pu compter sur ses sœurs et sur Kael qui se comportait avec elle, comme un père. Seulement un père, elle n'en avait qu'un. Mais c'était un connard de la pire espèce. « Il n'était pas... » Commença-t-il par répondre à la question de Kael sur ses relations avec leur géniteur. « Je le connais à peine. On a jamais été très proche. Je n'étais pas assez bien pour lui, pas assez intelligent. Il n'a pas accepté que je lâche mes études à dix-huit ans pour que je devienne cadreur. » Mais il s'en foutait. A cette époque, Kael était certain de ce qu'il voulait faire dans sa vie. Et sa mère l'avait soutenu dans ce sens. « Et c'était un peu pareil avec les filles... Il n'était jamais là. Il venait de temps en temps, mais jamais très longtemps. Mais elles se sont habituées à la situation. Je crois que c'est pour Kiara que c'est plus difficile. Elle est trop petite pour comprendre. Elle finit par penser que son père ne l'aime pas. » Kael serra les dents. Ça lui brisait le cœur d'entendre ces mots de la bouche de cette petite princesse.
Si apprendre la nouvelle de la bouche de Kael quelques minutes avant qu’il ne confronte notre père avait été relativement dur, je pouvais imaginer que pour Kael la découverte de ce secret n’avait pas du être plus facile. « Ouais...une foutue photographie. » Je ne pouvais qu’imaginer le choc que cette photo avait du être. Ce qui lui était alors passé par la tête. « Je l'ai reconnu et je me suis demandé ce qu'il foutait sur ce cliché. Alors j'ai cherché et j'ai découvert votre existence. » Je pince légèrement les lèvres presque un peu coupable. Je sais pourtant qu’il n’y a pas de raison pour que je ressente ça, que ce n’est pas ma faute mais celle de notre foutu géniteur. « Il y avait qui sur cette photo ? » J’ai besoin de savoir ce qu’il croit connaitre et ce qu’il connait vraiment de ma famille. Est-ce qu’il sait pour Leah ? Est-ce qu’il sait qu’Erin n’est pas ma mère ? Ou est-ce qu’il connait l’existence des jumeaux ? J’ai tellement de zone d’ombre dans cette histoire et je ne sais même pas par où commencer. A quel point il connait cette seconde famille que nous représentons pour lui.
Finalement je m’aventure sur un sujet un peu plus sensible. Notre père lui même et son comportement envers eux. J’ai un peu peur d’entendre ce qu’il va me dire mais je peux pourtant voir dans son regard son dégout pour notre géniteur - qui ne fait que faire écho au mien. « Il n'était pas... » Je pense que cette phrase là à elle toute seule pourrait résumer notre père. Il n’était rien dans nos vies qu’une géniteur trop exigent, qu’une absence. « Je le connais à peine. On a jamais été très proche. Je n'étais pas assez bien pour lui, pas assez intelligent. Il n'a pas accepté que je lâche mes études à dix-huit ans pour que je devienne cadreur. » Un léger sourire se dessine sur mon visage parce que le parallèle avec ma relation avec lui est impressionnante. Il n’a même pas su faire mieux avec ce deuxième fils. Il n’a fait que de répéter les mêmes erreurs. « Oh crois moi que je te comprends sur ce point… » J’attends pourtant la suite pour savoir si il s’est au moins rattrapé avec ses filles. « Et c'était un peu pareil avec les filles... Il n'était jamais là. Il venait de temps en temps, mais jamais très longtemps. Mais elles se sont habituées à la situation. Je crois que c'est pour Kiara que c'est plus difficile. Elle est trop petite pour comprendre. Elle finit par penser que son père ne l'aime pas. » Baissant le regard je me sens mal pour elle - je ne la connais pas et pourtant je trouve ça injuste. « J’aimerais pouvoir dire qu’elle se trompe… » Mais je ne suis pas sûr que mon père sache aimer - du moins pas comme un père devrait aimer ses filles. « Heureusement qu’elles t’ont… Ca doit leur faire d’un bien d’avoir un figure masculine un peu plus… » Je ne trouve pas le mot que je voudrais dire. « Aimante. » Je peux voir qu’il aime ses soeurs dans son regard, la façon dont il parle d’elle.
Toute cette situation découlait d'une simple photo. Enfin en partie. C'était de cette façon que Kael avait découvert l'existence de cette seconde famille. La trahison de son géniteur. Il avait menti pendant des années mais maintenant son cinéma était terminé. Kael avait mis un terme à tout ça. Mais cela n'avait pas été facile. Parce qu'il avait causer de la peine à sa mère, à ses sœurs. Cela n'aurait pas du se passer comme ça. Cela n'aurait pas du être le cadreur qui découvre tout ça. Et pourtant, cela s'était passé comme ça. Il était tombé sur une photo. Une simple photo. « Lui, toi et une femme, ta mère probablement. » En tout cas, c'était ce qu'il en avait déduit. « Erin. » En même temps, il n'y avait pas fait trop attention. Il avait été bien trop choqué pour faire attention aux détails. Parce que pour Kael, il s’agissait de simples détails. Il ne savait rien de plus sur la vie de leur géniteur ici. Cela importait peu. Au final, c'était ce qu'il avait fait contre sa famille, le tort qu'il avait causé et ce qu'il allait devoir réparer. Voilà ce qui était important pour Kael.
Parce que de tout façon, l'américain ne pouvait pas avoir de point de comparaison quand il regardait sa famille et celle d'Elio. Parce qu'au final, il ne connaissait pas leur géniteur. Il avait été un fantôme pendant toutes ces années. Rien de plus. Kael ne le connaissait pas. Et c'était un peu la même chose pour ces sœurs. Mais au final, qu'est-ce qu'ils avaient perdu ? Pas grand chose. Kael s'en rendait compte aux propos d'Elio. Il semblait avoir été aussi absent dans la vie de ce dernier que dans la leur. « Oui, j'imagine que te voir derrière un bar ne doit pas également l'enchanter. » Surtout que leur paternel semblait très attaché aux apparences. Apparences qu'ils voulaient lisses, propres, sans fautes notes. Sauf que les fausses notes, c'était lui-même qui les jouait. « Peu importe... » Commençait le cadreur quand Elio parlait de Kiara. « Elle comprendra plus tard. Il vaut mieux qu'elle reste avec des personnes qui l'aiment, qui la soutiennent et lui donnent envie de croire en ses rêves. Plutôt qu'attendre un geste d'un homme qui n'a jamais été présent pour elle, qui n'a jamais vu à quel point elle était exceptionnelle. » Au final, c'était lui qui perdait quelque chose. Lui qui ratait des moments uniques. Lui qui avait fait le choix de procréer mais de ne pas assumer. Ils ne perdaient rien. Kael reposa ensuite son attention sur Elio quand il reprit la parole. C'est vrai qu'il aimait ses sœurs. Il s'était d'ailleurs substitué à leur père au fur et à mesure des années. Il avait rempli un rôle qui au départ n'était pas le sien. C'était lui qui les faisait répéter leurs leçons, qui venait les voir à leurs spectacles de fin d'années. Lui qui les rassure quand il y avait de l'orage où quand elles avaient des peines. « C'est pas difficile de faire mieux que lui. » Et c'était exactement la sensation que ressentait Kael. En fin de comptes, ils s'en sortaient plutôt bien sans lui. Maintenant que la mascarade allait cesser, peut-être que leur mère allait enfin vivre pour elle et essayer d'être heureuse.
Je n’étais pas sûr de savoir ce que j’espérais. Que Leah soit sur cette photo ou pas ? Si elle y était alors il me faudrait à un moment ou à un autre aborder ce sujet ce qui ne me plaisait que moyennement. Si au contraire elle n’y était pas alors j’avais peur qu’elle ne devienne qu’une sorte de secret que l’on cache sans oser l’aborder. « Lui, toi et une femme, ta mère probablement. » J’avais plissé légèrement les yeux avant de me souvenir que déjà la première fois Kael avait pris Erin pour ma mère. Il semblait pourtant assez évident au vu de mon teint mate et des mes origines que je pouvais difficilement être le fils de notre père et d’Erin qui était aussi blanche qu’on peut l’être avec ses yeux bleutés. Mais Kael n’avait de toute évidence pas poussé le recherches aussi loin. « Erin. » J’essayais de me souvenir si j’avais annoncé son nom à un moment. « Tu connais même son nom ? » J’avais encore de la peine à comprendre ce que Kael savait ou non de notre histoire familiale mais au final ça avait peut-être peu d’importance. Si je me sentais irrémédiablement attiré par cette famille que je ne connaissais pas et que je ressentais le besoin d’en savoir un peu plus, ça ne semblait pas être son cas.
Au final pourtant nous partagions un élément primordial dans nos vies… Un père. Et qu’il ait été absente ou pas ne semblaient pas changer le fait qu’il avait été aussi mauvais avec sa famille en Amérique qu’avec nous. « Oui, j'imagine que te voir derrière un bar ne doit pas également l'enchanter. » J’avais ri un peu parce que c’était encore très loin de la vérité. « Et je te laisse imaginer qu’il ne c’est pas privé de me le faire comprendre. » Si il y avait une chose qu’on ne pouvait pas reprocher à notre père c’était d’avoir fait preuve d’hypocrisie en ce qui concernait sa déception totale concernant mon avenir. Pour le reste par contre… « Peu importe... Elle comprendra plus tard. Il vaut mieux qu'elle reste avec des personnes qui l'aiment, qui la soutiennent et lui donnent envie de croire en ses rêves. Plutôt qu'attendre un geste d'un homme qui n'a jamais été présent pour elle, qui n'a jamais vu à quel point elle était exceptionnelle. » Ce n’est pas de la faute de la petite fille, elle était juste née du mauvais géniteur et j’espérais sincèrement qu’avec le temps elle le comprendrait. Comme nous avions tous fini par le faire. « C'est pas difficile de faire mieux que lui. » Je ne pouvais que hocher la tête à cette affirmation avant qu’une ne voix ne se fasse entendre pour annoncer que le travail reprenait. « Ecoute Kael, je vais y aller mais… J’espère sincèrement qu’on pourra s’entendre… Ou au moins se supporter quand on se voit. On est pas des ennemies… » Il semblait d’accord avec moi mais pour m’en assuré j’avais tendu ma main vers lui espérant qu’il la serre pour tenter de former une alliance. C’était sans doute le mieux que nous pouvions faire dans cette situation.