you can do what you want, the opportunity's on. and if you can find a new way, you can do it today.
(☆☆☆)
La nuit était tombée sur Brisbane, mais Saul ne semblait pas décidé à regagner le chemin de son domicile, pas plus qu'il n'était pour une fois occupé à plancher sur l'écriture de son prochain spectacle ou à se triturer les méninges au moment d'en attribuer les rôles, lorsque ce genre de tâches ne semblaient pas pouvoir attendre le lendemain matin. Aujourd'hui le brun se contentait en effet d'arpenter les rues de Fortitude Valley, sa guitare en bandoulière et son portable à la main, qu'il guettait comme s'il attendait frénétiquement des nouvelles. Et la raison pour laquelle il y jeta instantanément un coup d’œil lorsqu'il le sentit vibrer dans sa paume, c'est parce qu'il avait ce soir un rendez-vous auquel il accordait une importance toute particulière, et qui viendrait concrétiser plusieurs semaines de travail et de négociations. C'est alors le numéro d'Hannah qui s'afficha, celle-ci l'informant qu'elle n'était plus qu'à cinq minutes à pieds du bar devant lequel il l'attendait. Il s'agissait de l'un de ses lieux de prédilection, autant comme buveur modéré que comme producteur qui ne laissait jamais passé une occasion de débusquer de nouveaux talents, et c'était précisément la raison pour laquelle il lui avait donné rendez-vous ici. Plusieurs semaines s'étaient écoulées depuis que Saul avait tenté un coup de poker pour le moins périlleux : convaincre la comédienne de rejoindre sa compagnie et d'endosser par la même occasion le rôle clé de son prochain spectacle. Un double défi qu'il s'était lancé avec l'envie de se prouver qu'il avait le cran suffisant pour dompter un caractère comme celui d'Hannah, mais aussi de s'entourer d'un talent qui s'était gravé dans son esprit quelques années plus tôt. Les négociations avaient alors suivi leur court, et tous deux s'étaient récemment entendus pour passer la vitesse supérieure. Il y avait eu la rencontre avec le père de la jeune femme, diverses discussions entre ses collaborateurs et lui, et les premiers cours de chant dispensés par le meilleur professionnel qu'il avait pu trouver. Saul s'était donné du mal pour qu'Hannah se sente d'ors et déjà chez elle entre les murs de sa compagnie, et aujourd'hui il ne se voyait pas tant comme un producteur soucieux de la faire travailler dans les meilleurs conditions que comme un mentor qui lui voulait le plus grand bien. Et aujourd'hui, tandis qu'il lui sembla bientôt apercevoir la silhouette d'Hannah qui avançait dans sa direction, Saul comptait lui prouver qu'il avait déjà toute confiance en elle et en ses efforts, alors même que leur projet commun n'en était qu'à ses débuts. « Bonsoir, Hannah. » Sa voix s'éleva au moment où la jeune femme arriva à sa hauteur, et c'est dans un geste devenu une habitude qu'il lui fit la bise, alors même qu'ils s'étaient vus quelques heures plus tôt, avant de désigner la façade lumineuse du Canvas. « Tu dois te demander pourquoi j'ai tant insisté pour passer la soirée ici. » Ou disons, pourquoi il lui avait vendu cet endroit comme étant le seul de tout Brisbane à pouvoir rivaliser avec l'idée très précise qu'il semblait s'être fait de cette soirée. « Entre, tu vas vite comprendre. » La devançant le temps de lui ouvrir la porte, il laissa Hannah passer la première et constata bientôt que le bar n'avait pas désempli depuis la dernière fois qu'il s'y était été arrêté. Saul n'avait pas choisi ce soir par hasard, sachant que les propriétaires auraient fait installer la scène qui servait généralement aux amateurs de karaoké mais qui certains soirs donnaient lieu (heureusement) à des interprétations un peu moins scabreuses. « Tu vois cette scène ? C'est l'endroit où se sont produits plusieurs de nos interprètes, avant qu'ils n'obtiennent un rôle dans l'un de nos spectacles. Je viens ici chaque semaine depuis près de cinq ans, ma guitare à la main, et il m'arrive de les rejoindre sur scène pour les accompagner. » Ce soir encore, son instrument de prédilection avait répondu présent, parce qu'il était rare qu'il passe les portes de cet endroit sans envisager l'idée de s'y produire, alors que cette scène l'avait maintes fois tiré de sa solitude lorsqu'il était encore un étudiant esseulé. « C'est comme ça que beaucoup de mes collaborations ont commencé. La notre a débuté autrement, mais je t'avais dit que je serais curieux de t'entendre chanter lorsque tu aurais eu l'occasion de progresser … et j'ai bien peur que ce jour soit arrivé. » Il reprit dans un sourire, les yeux rivés vers une Hannah qu'il espérait réceptive à sa démarche, alors qu'il avait conscience de la prendre de court. « Ce n'est pas un piège. Je veux juste te mettre dans les conditions que tu connaîtras bientôt, et te faire rencontrer ton public. » Parce qu'il n'était plus question de jouer devant des amateurs de théâtre classique ou contemporain, ou des passionnés de joli langage et de dramaturgie pure. Saul le savait, le public de ses spectacles musicaux était différent de celui qu'il rencontrait le reste du temps. Plus ouvert d'esprit mais aussi plus difficile à captiver. Il savait qu'Hannah était taillée pour ce défi, mais son rôle était aussi de lui éviter toute mauvaise surprise, et de la mettre en conditions en prévision du jour J, qui arriverait plus vite qu'ils n'en avaient tous deux probablement conscience.
Dernière édition par Saul Masterson le Lun 10 Oct 2016 - 21:36, édité 3 fois
"Et nous retrouvons Hannah Siede à la sixième place. La New Yorkaise est basée en Australie depuis quatre ans à présent, étoile montante du théâtre, il est impossible d’avancer dans les rues de Brisbane sans voir une affiche de pub à son effigie et …" Hannah avait un franc sourire sur les lèvres alors qu’elle lisait et relisait l’article qui accompagnait son nom et les photos d’elle dans l’édition de GQ magazine de ce mois-ci. Même son père avait été impressionné qu’on ait considéré sa fille dans une liste des personnalités les plus influentes du pays, et Nathan Siede n’était pas un homme qu’on impressionnait facilement, bien au contraire. Si sa fille était matérialiste et perfectionniste au possible, Nathan était toutes ces qualité mais au centuple. La pomme ne tombait jamais bien loin du pommier comme on le disait souvent, et il y avait depuis bien longtemps qu’Hannah n’avait pas senti que son père était de son côté. C’était plutôt rafraichissant, il saluait tout simplement les efforts que faisaient la trentenaire pour mettre sa vie professionnelle en avant. Le fait qu’elle soit toujours célibataire et qu’il n’y ait aucun hériter en vue pour la lignée des Siede serait toujours un sujet de discorde, mais le père comme la fille avaient choisi de passer à autre chose. C’était bien pour ça que son père avait tenu à l’accompagner à son rendez vous chez Chanel, lui avait juré qu’il trouverait un moyen de l’éloigner de la presse à scandale et bien encore une fois pour cette raison qu’il avait tenu à rencontrer Saul. Avec une telle emprise sur tout, Nathan devenait difficile à remplacer et Hannah se demandait encore pourquoi son père n’avait pas encore compris qu’il serait impossible de trouver un homme qui serait à la hauteur et qui la protégerait autant que lui. Un tel homme n’existait pas et si Hannah eut un léger sourire en voyant les photos d’elle et Jamie dans la double page suivante, elle se secoua un peu en se rappelant qu’elle avait un rendez vous. Et si elle avait déjà prouvé à Saul qu’elle était déjà une diva avec ses exigences et la présence de son père, elle n’avait pas l’intention de lui donner une arme supplémentaire. Hannah rangea donc rapidement le magazine sur son bureau et finit par emprunter le chemin de la salle de bain. La journée avait été courte, elle s’était contentée de déjeuner avec son père, de bosser sur quelques croquis et de voir Saul à la salle qu’il avait loué pour sa compagnie. Demain, elle avait rendez vous avec le professeur de chant que Saul lui avait trouvé, ce dernier avait été plein de conseils et avait réussi à rassurer la Siede, une chose que peu de personne avait réussi à faire au fil des ans. Après tout, Hannah était actrice et mannequin, ce qui signifiait être jugée en permanence par une petite cours qui avait une idée très précise de ce qu’elle devait dire, faire ou être. C’était éreintant et c’était toujours mieux de savoir que certaines personnes ne se souciaient pas de ce genre de détail. Comme Saul. Mais cela ne voulait pas dire que la brune mit moins de temps que nécessaire à se préparer, après tout ça restait un de ses petits plaisirs personnels et après un temps fou à décider que ses cheveux seraient beaucoup mieux s’il tombait de part et d’autre de ses épaules, Hannah finit par opter pour un ensemble noir de chez Valentino, simple mais efficace. Elle ne savait absolument pas ce que Saul avait prévu pour elle ce soir, il lui avait juste parlé d’un bar et Hannah savait d’expérience qu’il valait mieux être pas assez habillée pour un endroit que beaucoup trop, l’inverse passait généralement moins. Le bar en question n’était pas très loin de sa propre demeure et Hannah choisit de conduire plutôt que de faire appel à son chauffeur, c’était un meilleur moyen de passer sous le radar et puis ça lui permettait de gagner du temps. Elle finit par envoyer un sms à Saul quand elle se trouva à quelques minutes de leur point de rendez vous. "Bonsoir… je veux surtout savoir où tu m’emmènes, tu étais tellement mystérieux cet après-midi, je dois admettre que je suis curieuse." révéla Hannah, lui faisant la bise en retour avec un franc sourire sur le visage. Hannah se laissa guider dans un premier temps, suivant Saul et passant la port du fameux établissement. Le bar était déjà rempli et le regard de la brune se porta automatiquement sur la scène, avant même que les explications de Saul arrivent. Elle se tourna aussitôt vers lui, un sourcil dressé. "Tu es certain que tu connais la définition du mot piège Saul ?" Hannah avait dit cela sur un ton qui se voulait à moitié vexée, elle ne l’était pas du tout, c’était bien le genre de Saul de l’emmener dans un bar où il avait découvert la plupart des ses talents. Il voulait juste voir si Hannah était du même niveau que les autres, questions de principe, et puis c’était elle qui avait dit qu’elle aimait les défis. Mais là on était loin de la zone de confort d’Hannah, très loin, et la brune savait également que Saul en avait parfaitement conscience. Elle finit par croiser les bras et lâcher un simple : "Très bien… je n’ai pas enfilé cette tenue pour rentrer chez moi de si tôt, allons déjà trouver une table et j’espère pour toi qu’il serve du bon whisky ici, sinon je ne risque pas de chanter." Le ton d’Hannah était mi-autoritaire et mi catégorique et elle n’hésita pas à attraper la main de Saul avant de la tirer vers le comptoir.
Si de prime abord les femmes comme Hannah tendaient à intimider Saul, lorsque celles-ci donnaient l'impression d'être parfaitement intraitables et déterminées à mettre le monde à leurs pieds, il était en revanche assez bien placé pour savoir qu'elles étaient rarement aussi inatteignables qu'elles aimaient le laisser penser. Il partageait la vie d'Elsie depuis onze ans, et sa femme n'était pas non plus réputée pour avoir un caractère évident, elle qui avait gravi les échelons et s'était imposée dans une société qui n'était pas la sienne sans jamais avoir besoin de personne, et qui encore aujourd'hui savait généralement comment s'y prendre pour obtenir des autres ce qu'elle désirait. Mais à coté de ça, la mère de ses enfants était aussi et surtout quelqu'un de sensible, qui avait toujours secrètement aspiré à l'amour, et à s'épanouir auprès de ceux qui avaient su voir plus loin que son fort tempérament et les grands airs qu'elle aimait parfois se donner, plus pour se protéger d'un monde qui ne lui avait pas toujours fait de cadeaux que par réelle envie de tromper les autres sur sa vraie nature. Et à mesure que Saul apprenait à connaître Hannah et qu'ils étaient tous deux amenés à passer de plus en plus de temps ensemble, le brun comprenait qu'il avait là aussi à faire à une jeune femme dont l'apparente froideur n'était peut être qu'une carapace qui lui servait à évoluer à couvert dans un milieu où elle faisait l'objet d'une attention perpétuelle, souvent malsaine, rarement désintéressée. C'est précisément cette ambivalence qu'il ressentait en sa compagnie qui l'avait inspiré dans son choix de s'entourer de la comédienne, convaincu que leurs différences pourraient devenir une force et les clés d'une collaboration réussie à plus d'un niveau. Alors ce soir, bien que conscient d'avoir pris un risque non négligeable en l'invitant à le rejoindre devant un bar où l'attendait une surprise de taille, Saul n'était pas particulièrement inquiet quant à la réaction qu'aurait Hannah lorsque celle-ci comprendrait face à quel nouveau défi il souhaitait la placer. Bientôt rejoint par la brune, il laissa alors planer un certain mystère quant aux raisons pour lesquelles il avait précisément choisi le Canvas pour les accueillir le temps de cette soirée. « Je ne voulais pas prendre le risque de cracher le morceau avant l'heure. Figure-toi que je comptais beaucoup sur l'effet de surprise. » Et sur ces mots, tandis qu'Hannah et lui gagnèrent l'intérieur du bar et se retrouvèrent bientôt face à une scène qui à elle seule en révéla déjà beaucoup sur ses intentions, c'est un Saul un brin joueur qui finit par abattre ses cartes et par confier à Hannah qu'il l'avait bel et bien conduite jusqu'ici avec l'envie de l'entendre chanter. Il lui avait déjà confié qu'il apprécierait d'obtenir d'elle une petite exclusivité, après que la comédienne ait pris quelques cours de chant avec un professeur de renom, et aujourd'hui lui semblait justement être le moment opportun pour la découvrir sous un jour nouveau, loin du registre où il l'avait jusqu'ici toujours connue. Sans surprise, Hannah parut légèrement déstabilisée, et c'est dans un sourire rassurant que Saul reprit la parole. « Allons, s'il y a bien une chose que tu m'as déjà prouvé, c'est que tu aimes les défis. Ce n'est pas une scène et une vingtaine de types passablement alcoolisés qui devraient te faire peur. » Il tentait par là de détendre l'atmosphère, sachant qu'elle était aussi joueuse que lui et qu'elle ne mettrait sans doute pas longtemps à saisir cette opportunité pour donner le meilleur d'elle-même et pour lui prouver – si tant est que ce soit encore nécessaire – qu'il ne s'y était pas trompé en se fiant à elle. Mais dans l'immédiat, il semblerait qu'Hannah espère profiter des délices du bar, ce qui lui prouva qu'elle ne perdait décidément jamais le nord. « Oui à ce propos, ne t'étonne pas si tu déclenches quelques bagarres avec ça sur le dos. J'ai vu pas mal de regards se tourner vers toi à notre arrivée, et je serais pas surpris que tu récoltes quelques demandes en mariage avant la fin de la soirée. » Saul confia par la suite, dans un sourire plus malicieux, bien placé pour imaginer ce que tous les hommes présents ce soir avaient du penser au moment où Hannah avait passé la porte du Canvas, sublimée par une tenue qui ne manquait pas de la mettre en valeur. Se laissant en tout cas entraîner jusqu'au bar, Saul ne perdit pas de temps pour interpeller la serveuse, qu'il connaissait pour fréquenter régulièrement les lieux. « Sers-nous deux whiskys, s'il te plaît. Et sans glaçon surtout. » Parce qu'Hannah l'avait prévenu, si le whisky n'était pas à la hauteur de ses exigences, il était peu probable qu'elle se laisse convaincre de monter sur scène. Et si Saul comptait aussi sur cette soirée pour apprendre à la connaître un peu mieux, l'idée restait quand même de lui offrir une occasion de se révéler en tant qu’interprète, auprès d'un public un peu différent de celui qu'elle pouvait côtoyer d'habitude. « On a quelque chose à fêter, toi et moi. » Saul reprit par la suite, au moment où la serveuse leur servit deux verres, saisissant le premier avant de tendre le second à la comédienne, dans un sourire là encore entendu. « Choisis la place que tu veux. Après tout, c'est à toi de voir si tu veux m'avoir directement dans ton champ de vision lorsque tu seras face à ton micro. » Glissant ces quelques mots sur un ton relativement amusé, Saul restait néanmoins persuadé qu'Hannah ne regretterait pas de se prêter au jeu, qu'elle ait ou non besoin de croiser un regard familier au moment où elle serait sur scène. Restait donc à espérer que ce whisky valait le coup, bien qu'il ait certainement d'autres arguments en réserve pour la convaincre de sauter le pas.
Hannah avait presque eu envie de faire demi-tour. Presque. C'était juste une question de principes et parce qu'elle avait un minimum de respect pour Saul au final, le tout teinté d'une certaine admiration qui finirait probablement par la perdre. Qu'il aille au diable, vraiment, la brune n'avait pas vraiment prévu d'être sous les feux des projecteurs ce soir. Pas plus que d'ordinaire, la vie d'Hannah était un défilé permanent et certains auraient pu dire que c'était uniquement pour cette raison-là qu'elle mettait des talons de 14 centimètres de haut. Non, c'était pour élancer sa taille fine et ensuite, si un paparazzi avait réussi à les suivre ici et ce soir, il aurait de quoi faire sensation. Mais ce n'était pas qu'à ça qui dérangeait Hannah ce soir, ce n'était pas sa scène. Non, c'était une autre scène vide et avec un micro et quelques instruments laissés à l'abandon pour les plus offrants ? Sans doute. Elle n'avait pas l'habitude de cet éclairage là ou d'avoir un public d'amateurs de musique. Non, ça allait être une expérience différente et pour quelqu'un qui aimait être en contrôle, ce n'était pas une très bonne sensation. C'était un peu comme sauter en parachute, seulement pour se rendre compte qu'on avait oublié le cordon de sécurité en plein milieu du saut. Hannah se passa une main dans les cheveux au moment où Saul commandait, un sourire presque hypocrite sur son visage. Ça aurait été un autre homme, elle aurait sans doute un peu plus protesté. Mais ce n'était pas un rendez vous galant, ni quelqu'un qui cherchait à la séduire, c'était de son travail dont il s'agissait et pour l'instant, c'était la seule chose qui donnait un sens à la vie d'Hannah. "Je déteste les surprises. Je sais que je ne te l'avais pas dit, mais maintenant tu le sais." dit-elle pour la simple mesure, histoire de préciser à Saul qu'elle n'appréciait pas spécialement d'être mise dans cette position. Mais elle ne lui disait pas non, elle ne lui disait pas oui, le doute planait encore et leurs verres arrivèrent enfin et Hannah s'abstint de saisir le sien, pour observer la clientèle du bar. Principalement masculine et avec la plupart des yeux tournés vers elle, mais Hannah était habituée à ce genre de regards. "Je ne t'ai pas dit ? Je ne paye jamais mes propres verres maintenant tu sais pourquoi." La Siede n'exagérait même pas, Saul ne se rendait sans doute pas compte à quel point tout ça pouvait être ridicule. Parfois, Hannah laissait tout ça lui monter à la tête, elle jouait les idiotes et les filles riches juste parce que ça en amusait certains, car ils aimaient se dire qu'ils pouvaient sauver cette petite âme en peine qu'elle était et lui donner une bonne raison d'écarter les jambes. Le tableau n'était pas particulièrement glorieux mais chacun repartait toujours avec ce qu'il voulait alors, personne ne se plaignait. Mais ce n'était pas une histoire pour cette minute précise, et Hannah n'avait pas particulièrement envie de jouer les idiotes, ça ne servait à rien de jouer la comédie devant Saul. Surtout pas maintenant, elle préférait garder ça pour la scène et pour les répétitions, là où tout ceci avait vraiment une valeur. Leurs verres finirent par arriver et Hannah s'intéressa de nouveau à Saul, elle roula des yeux cette fois-ci à sa dernière phrase et répliqua un simple: "Doucement. Saul, tu as l'air si pressé de me voir monter sur scène." Hannah marqua une pause, elle venait de se rendre compte que son ton était un brin agressif et ce n'était pas du tout son intention loin de là. Il fallait vraiment qu'elle lui explique comment elle fonctionnait, bien évidemment, dans le monde de la brune, tout était toujours compliqué et elle tira une cigarette de son sac et reprit un peu plus calmement. "Tu sais si tu veux que ça fonctionne entre toi et moi, sur le plan professionnel je veux dire, il va falloir qu'on se fasse confiance. Je pense que tu as compris que j'avais tendance à me débrouiller par mes propres moyens." La brune eut un haussement de sourcils, c'était un peu un euphémisme là, plus qu'une version adoucie de sa vie, on en était bien loin de la vérité. Son père lui avait appris à ne se fier à personne et à toujours douter, alors oui, Saul avait peut-être les meilleures intentions du monde, mais il arrivait beaucoup trop tard. Hannah tira son briquet de son sac tout aussi facilement et elle alluma le bâton de nicotine dans un geste qui se voulait expert, et après avoir tiré dessus, elle fixa de nouveau Saul. "Si je monte sur scène ce soir... quand je me déciderai... ça ne sera pas pour toi, mais bien pour moi." Encore une fois, l'actrice laissait planer le doute et ne se contenta pas d'un simple non, ça aurait été trop facile, et même si elle savait que Saul ne l'interpréterait pas comme un signe de faiblesse, elle ne pouvait pas dire non. "On va dire que c'est une autre condition : plus de surprises." Elle insista une dernière fois, avant de jongler entre sa cigarette, et son verre de whisky. Le verre fut rapidement vidé, Hannah buvait peut-être moins depuis certain temps, mais elle n'avait certainement pas oublié le gout du whisky ou comment le boire. "... Et il va me falloir quelque chose de plus fort que du whisky, vraiment, je n'ai jamais eu le trac, jamais de ma vie, même pas quand je suis montée sur scène à 18 ans. J'aurais pu choisir un pire partenaire pour ma première fois, hmm ?"
Il n'y avait que Saul pour prendre l'initiative de ce genre de soirées. Pour faire son coup en douce, puis pour se convaincre qu'Hannah ne se formaliserait pas de la surprise qu'il avait cru bon de lui préparer. Et pourtant, une partie de lui s'était attendue à ce que sa mine se décompose dès l'instant où elle aurait investi le bar et repéré la scène qui semblait attendre après elle, tout comme elle s'était attendue à ce que la brune se sente prise au piège dès lors qu'elle aurait compris quelle idée s'était faufilée dans un coin de son esprit, et pour quelle raison il l'avait conduite jusqu'ici. Et si Saul se plut dans un premier temps à s'amuser de la situation, mettant sa réaction sur le compte du fort caractère qu'il lui connaissait depuis leur première rencontre autant que sur le coup de la surprise, le brun ne mit pas longtemps à comprendre qu'Hannah était plus offensée qu'il l'avait cru au départ, elle qu'il soupçonnait maintenant de nourrir quelques envies de meurtre à son encontre. « Je savais bien que j'aurais du inclure une ligne à ce propos dans ton contrat. Tu aurais su à quoi t'attendre, au moins. » Saul lança pourtant, d'un ton qui cherchait probablement à détendre l'atmosphère, alors qu'il croyait décidément deviner que le second degré dont elle savait parfois faire preuve peinait ici à s'affirmer face à l'apparente contrariété d'Hannah. Mais loin de s'avouer vaincu, Saul ne perdit pas le nord et s'employa bientôt à leur commander deux verres de whisky, à la demande de la brune et parce que lui-même quittait rarement cet endroit sans avoir dégusté un verre ou deux. Et puis, c'est vrai, dans l'immédiat il n'était plus forcément aussi à l'aise que lorsqu'il l'avait accueillie à l'entrée du bar, se reprochant inévitablement de lui avoir peut être donné l'impression qu'il avait attendu la première occasion pour la trahir et la tourner en ridicule. « Je devrais peut être adopter la même technique, même si je doute de leur faire le même effet. » Il reprit par la suite, dans un rire un peu nerveux, au sujet de ces regards qui n'en finissaient plus de détailler la jeune femme, une chose certes compréhensible mais qu'il trouvait malgré tout assez désolante. Parce qu'il y avait à ses yeux plusieurs manières de signifier son intérêt à une jeune femme, et que jamais personne ne le surprendrait entrain de la fixer d'une façon qui laisserait penser qu'il n'attendait que le moment où il lui arracherait ses vêtements. Leurs verres leur furent finalement servis, et Saul profita de l'occasion pour revenir sur cette histoire de chanson, une idée qu'il regretta bien vite à la façon dont Hannah lui asséna des mots qui ne manquèrent pas de le troubler. Saul n'était pas quelqu'un de particulièrement susceptible, et il en fallait généralement beaucoup pour le heurter, mais ici le ton employé par la brune ne pouvait pas le laisser indifférent. Il se donnait du mal pour que leur collaboration se passe au mieux, pour la mettre en confiance dans ce projet qu'il savait ambitieux et éloigné de ce dont elle était habituée, alors c'est un pincement au cœur qu'il ressentit au moment où elle reprit la parole, et pourtant avec un léger sourire qu'il enchaîna. « Pressé de savoir si j'ai bien fait de me ruiner en te dégotant le meilleur professeur de la région, surtout. » Il s'essayait ici à un trait d'humour, mais le cœur n'y était pas. Il ne pouvait maintenant plus ignorer que la jeune femme lui tenait rigueur du programme qu'il avait cru bon de leur concocter, et ce n'était pas vraiment l'idée qu'il se faisait initialement de cette soirée. « Je plaisante. J'ai simplement hâte de découvrir ma vedette dans un nouveau registre. » Et cette fois, son ton se fit aussi sérieux que sincère, comme une manière de lui faire comprendre qu'il n'avait jamais voulu la piéger, mais simplement lui donner une occasion de lui démontrer qu'elle était largement digne de la confiance qu'il avait placé en elle. Sur ce point, il n'avait pas le moindre doute, même maintenant que l'ambiance se faisait un peu plus lourde et que Saul se sentait un peu seul, son verre à la main. L'écoutant bientôt reprendre, il se fit la réflexion qu'Hannah devait décidément s'être méprise sur ses intentions, elle qui semblait le voir comme un homme pressé de l'embarquer dans une situation dont elle ne voulait pas. « Hannah. » Il souffla alors, tout en déposant furtivement une main sur le bras de la brune. « Je ne suis pas ton ennemi, tu le sais n'est-ce pas ? » Et par là, il voulait dire qu'il était de son coté, et que la seule chose qu'il souhaitait était de l'accompagner au mieux dans ses projets futurs, et dans cette nouvelle voie qu'elle s'apprêtait à emprunter. Qu'importe cette scène, ce public ou cette soirée, il était son metteur en scène aussi bien qu'il était un ami qui lui voulait du bien, et rien d'autre. « Je suis désolé si je m'y suis mal pris, je voulais juste que tu comprennes que j'ai déjà entièrement confiance en toi et en tes progrès. » C'est tout. Ainsi si Hannah lui disait qu'elle refusait catégoriquement de se produire sur cette scène, il ne lui demanderait aucune explication. Il voulait qu'elle rencontre son futur public, qu'elle s'habitue à cette pression nouvelle, mais pas aux dépends de la confiance qu'elle pouvait lui porter. A sa prochaine remarque, Saul parvint à esquisser un sourire un peu plus prononcé. « Plus aucune ? Alors attends-moi ici, le temps que j'aille décommander la limousine qui devait nous attendre à la sortie ... » Il lâcha même un léger rire, ne tardant cependant pas à retrouver un ton beaucoup plus sérieux. « Plus de surprises, c'est d'accord. » Bonnes ou mauvaises, il avait bien intégré qu'Hannah n'appréciait pas particulièrement qu'on ne la mette pas dans la confidence, ainsi il est certain qu'il éviterait ce genre de risques à l'avenir. Il apprenait encore à composer avec son tempérament, et ce genre de situations l'aidaient au moins à la comprendre un peu mieux. Mais lorsque la brune émit l'idée de se faire servir quelque chose de plus fort que le verre de whisky qu'elle tenait dans la main, c'est dans une légère grimace que Saul s'adressa à nouveau à elle. « Tu es sûr que c'est l'unique raison pour laquelle tu sembles un peu à cran ? » Et par « à cran », il insinuait simplement qu'elle lui donnait l'impression de prendre les choses un peu à cœur, sous le coup du trac semble-t-il. Hésitant ensuite à poursuivre, il se lança finalement, tout en jouant avec son propre verre. « Je lis les journaux, Hannah. Je sais que j'ai prétendu que je me souvenais à peine de t'avoir déjà vue en couverture d'un de ces torchons, mais c'était uniquement parce que je ne me sentais pas en droit d'évoquer la question avec toi. » La question, ou disons sa vie privée et sentimentale, des sujets qu'il était difficile d'ignorer mais qui n'avaient pas eu leur place lors de leur conversation dans le café, pas plus que lors de la plupart de leurs autres échanges. Ici, parce que le cadre se voulait moins formel et qu'ils se connaissaient maintenant un petit peu mieux, Saul se permettait d'y faire indirectement allusion. « Si tu n'as simplement pas la tête à chanter ce soir, tu peux me le dire. Mais j'ai aucune intention de te regarder dévaliser le bar sans réagir. » Il ignorait si Hannah était tourmentée, ou bien si ses pensées voguaient simplement bien loin de ce bar, mais il était sérieux, plus qu'il n'en avait sans doute lui-même conscience. « Et ne compte pas sur ces types pour te payer quoi que ce soit, je compte bien leur mettre mon poing dans la figure avant qu'ils aient eu le temps de te faire la moindre proposition. » Là encore, son ton pouvait paraître amusé, mais il y demeurait malgré tout une pointe de sérieux. Saul n'oubliait pas qu'il était indirectement responsable de son artiste, et qu'en l'occurrence c'était lui qui l'avait invitée à passer la soirée ici. Il ignorait comment les choses se passaient lorsqu'Hannah sortait seule, mais il savait qu'avec lui il n'était pas question qu'elle se mette minable et laisse penser à quiconque qu'il était en droit de profiter de la situation. Saul n'était peut être pas un bagarreur dans l'âme, mais pour une fois les plans foireux de son demi-frère pourraient s'avérer riches en enseignements.
Hannah Sara Siede était une énigme, et peu pouvait dire vraiment la comprendre et encore moins pouvaient supporter sa compagnie. La brune se rendait volontairement insupportable, repoussait sciemment tout le monde pour que les regrets ne viennent pas et qu'on ne l'accuse de rien. C'était plus simple de passer sa vie seule, les personnages qu'elle jouait aimait, vivait et pleurait pour elle alors de quoi d'autre avait-elle besoin ? C'était sans doute pour ça qu'Hannah était une si bonne actrice, dans le fond, elle ne s'aimait pas vraiment, elle jouait en permanence pour pouvoir compenser cette fragilité qu'elle n'arrivait pas à dominer. Hannah était faible, trop fragile parfois dans la pénombre de sa propre chambre à coucher et au fil des jours, et au fil de ses cours de chants, elle avait bien compris que cette vulnérabilité était exposée, mise à nue lorsque sa petite voix fluette s'élevait dans une salle et qu'elle chantait. C'était... une expérience déroutante, il était plus difficile de jouer avec ses cordes vocales, et si elle ne doutait pas que Saul lui donne des rôles qui s'accordaient avec ses performances vocales, la brune venait tout juste de découvrir cette partie d'elle-même. La livrer à des inconnus était une autre paire de manches. Elle poussa un soupir, sans se soucier du nuage de fumée qu'elle envoya à Saul qui faisait de son mieux pour la rassurer à l'autre bout de la table. Hannah ne lui en voulait pas, bien au contraire, elle se demandait pourquoi, pourquoi est-ce que le metteur en scène n'avait pas encore laissé tomber, elle n'estimait pas en valoir la peine, ou alors si... Elle ne savait vraiment plus. Il se montra protecteur, un trait qu'Hannah ne lui connaissait pas et elle esquissa un maigre sourire, cigarette toujours coincée au bord des lèvres. "Saul, je suis une grande fille tu le sais ça, hmm ? Et même si j'apprécie ton inquiétude, quand je décide de boire, crois-moi, j'assume très bien et tu as de la chance je tiens très bien à l'alcool." fit remarquer la brune, pensive. Son regard passa de Saul à la scène et elle haussa les épaules. "Et je n'ai pas dit non." Encore une remarque dans le vide et Hannah se traita mentalement d'idiote et préféra élaborer, elle devait au moins ça à Saul, ce n'était pas un étranger. "Et je ne suis pas sur la défensive... enfin pas complètement, ce n'était pas particulièrement une bonne semaine si tu veux tout savoir. Être avec toi me permet un minimum de me détendre, ce qui lorsqu'on me connait veut dire beaucoup." Elle eut un léger rire, rire qui dans le fond se voulait plus que triste, mais elle laissait Saul interpréter ce qu'il voulait."Je n'aime pas les surprises c'est vrai, mais ça ne veut pas dire que je n'ai pas envie de te montrer mes progrès." La brune restait sa plus grande critique mais désormais qu'elle basculait dans ce domaine plus que nouveau, elle avait besoin de Saul. Et admettre ça n'était pas facile quand on était Hannah, pas facile du tout d'ailleurs... "Je veux te faire confiance Saul, vraiment, je n'ai qu'une seule parole et j'ai décidé de me lancer dans cette compagnie avec toi, ce n'est pas pour fait ma diva ou pour me rétracter à la dernière seconde. Juste la prochaine fois... demande okay ?" Hannah termina sa phrase dans un sourire et elle écrasa sa cigarette au moment où le barman se dirigeait vers la scène pour appeler les premiers musiciens intéressés. "Et je vais le faire... " lâcha Hannah dans un murmure, puis un peu plus fort elle ajouta : "Bien sur que je vais le faire." La brune abandonna ses chaussures, aussi simplement qu'elle les avait enfilé et elle adressa un clin d'oeil à Saul avant de se diriger vers la scène. Une simple conversation avec le barman, qui lui demanda si elle était inscrite et si elle avait son groupe, ce à quoi Hannah répondit que non et qu'elle comptait improviser, et elle se retrouva pieds nus sur scène. La brune fixa le public pendant trente secondes, elle était connue pour son imprévisibilité mais là, elle s'était étonnée elle-même. Elle trouva Saul toujours assis à leur table, à peine visible dans la lumière tamisée et elle se tourna vers la scène. Elle se pencha vers les instruments et seuls le piano lui inspira confiance et elle n'hésita pas à s'installer devant, ça n'avait rien avoir avec son propre piano mais elle pouvait improviser, comme elle l'avait dit. La brune respira un grand coup et ajusta le micro à sa hauteur avant de déclarer. "Bonsoir, je pense que des présentations sont de rigueur. Je m'appelle Hannah, c'est la première fois que je monte sur scène, c'est la première fois que je chante devant un public... je ne vous demande pas d'être indulgent, juste... d'être honnête. Il parait qu'on ne peut pas mentir devant un public et en plus il y a un piano... Je ne vais pas faire dans l'original, je suppose que vous la connaissez tous." Hannah ignora ses mains tremblantes et elle ajusta ses mèches brunes sur son visage de sorte à ne voir que les touches et pas le public. "My lover's got humour, she's the giggle at a funeral..."
A présent que Saul savait avec certitude qu'improviser ce genre de soirées n'était pas nécessairement l'idée du siècle, tout du moins lorsqu'il était question d'Hannah, le brun ne pouvait désormais plus qu'espérer que cette malheureuse initiative n'entacherait pas ce qu'il avait tenté de bâtir avec la comédienne ; à savoir une relation basée sur une confiance respective, loin des liens qui unissaient parfois des metteurs en scène à leurs artistes, dans un milieu qui favorisait fatalement les rapports artificiels et intéressés. Saul était convaincu depuis le départ que la personnalité d'Hannah ne se résumait pas à l'assurance qu'elle pouvait dégager, et pour cette raison il avait très tôt cherché à la comprendre, et à endosser le rôle que la jeune femme pourrait vouloir lui écrire. Celui d'un confident, d'un mentor ou simplement d'un ami. Saul était prêt à enfiler bien des costumes si ça pouvait permettre à Hannah de se révéler pleinement, non pas comme l'actrice réputée et talentueuse que toute une partie du monde connaissait déjà, mais comme une artiste qui savait aussi prendre des risques, sortir de sa zone de confort, et se mettre à nue. C'est pour ça qu'il lui avait proposé un rôle qu'il avait quasiment imaginé pour elle, et pour ça que ce soir il avait nourri l'envie d'entendre les premières notes de ce qui sonnerait probablement le début d'une nouvelle ère pour la brune. Mais à cet instant, Saul était forcé d'admettre qu'il était encore un peu tôt pour se risquer à ce genre d'expériences sans fragiliser les bases de leur relation. Hannah était Hannah, et bien qu'à présent habitué à son caractère, le brun n'en était pas moins soumis aux mêmes règles que les autres, et notamment à l'inflexibilité de la jeune femme lorsque celle-ci s'offusquait d'avoir été prise en traître. S'efforçant alors de la rassurer sur ses intentions, Saul eut à cœur de lui assurer qu'il n'était pas l'ennemi qu'elle s'était peut être imaginée, l'espace d'une seconde. Et parce qu'il tenait quoi qu'il arrive à ce que cette soirée ne se termine ni dans les larmes ni dans le sang, il se permit par la suite d'affirmer qu'il ne comptait pas la laisser noyer son appréhension dans l'alcool, encore moins s'il était condamné à admirer un défilé de prétendants venus lui proposer leurs faveurs. Hannah disait être une grande fille, et sur ce point-là il était prêt à la croire. Simplement Saul croyait avoir décelé en elle un instinct auto-destructeur qui tendait par moments à l'inquiéter. « Si ça veut dire que tu penses pouvoir attendre que la première ait eu lieu avant de nous faire un comas éthylique, alors je peux sans doute déjà m'estimer heureux. » Il souffla alors, dans un sourire mutin, prêt à aller dans son sens quand bien même il était lui-même bien placé pour savoir qu'on pouvait tenir l'alcool et pourtant se réveiller un beau jour avec les idées confuses. Quant au fait qu'elle n'ait effectivement pas refusé sa proposition, Saul ne se risqua pas à insister de plus belle, ayant bien compris que si Hannah devait bel et bien monter sur cette scène, il faudrait que ce soit parce qu'elle en aurait véritablement envie. L'écoutant alors poursuivre, c'est une moue teintée d'une légère émotion qu'il afficha par la suite, aux propos sous-entendus par la jeune femme. « J'en ai conscience. Et ça veut aussi dire beaucoup pour moi, parce que c'est la preuve que tu commences à baisser ta garde, et ça c'est tout ce que j'espérais lorsque nos chemins se sont recroisés. » Le jour où il était retombé sur Hannah et où il avait instantanément nourri l'envie de redécouvrir son talent, mais aussi celle de l'apprivoiser, peu à peu, comme une muse indomptable. Parce que chaque fois qu'il se remémorait leur première rencontre, le brun se rappelait combien la comédienne avait pu le déstabiliser, combien son aura avait agi sur lui comme un anesthésiant, ce dont peu d'artistes pouvaient se vanter. Aujourd'hui les choses avaient changé, Hannah comptait parmi les personne qui le mettaient le plus à l'aise – tout du moins quand il n'était pas question de ce genre de surprises – et c'était cette évolution qu'il chérissait tout particulièrement. « Si un jour tu avais besoin de parler, tu sais que je suis aussi là pour t'écouter. Et puis, je suis quasiment soumis au secret professionnel, alors tu aurais probablement tort d'hésiter. » Saul finit par reprendre, dans un plus fin sourire, loin d'imaginer qu'Hannah puisse le voir comme quelqu'un de suffisamment fiable pour vouloir lui confier certains pans de sa vie, mais tenant à ce que la comédienne sache qu'il n'était pas seulement un metteur en scène qui s'intéressait sincèrement à l'évolution de sa carrière. Acquiesçant par la suite, le brun ajouta. « Promis, je ferai les choses dans l'ordre la prochaine fois. » « La prochaine fois », si du moins il osait un jour retenter l'expérience, car pour le moment Saul avait retenu la leçon et attendrait certainement que cet épisode soit loin derrière eux pour l'inciter à nouveau à se produire en public. Et pourtant, alors qu'il n'osait décidément plus insister, la voix d'Hannah s'éleva à nouveau lorsque celle-ci laissa entendre qu'elle allait « le faire ». La voyant subitement s'éloigner pour rejoindre la scène, il eut alors à peine le temps de lui lancer un timide « Tu es sûre ? », et fut bientôt témoin – au même titre que tous les clients présents ce soir – du petit discours tenu par la jeune femme à son arrivée sur scène. Surpris autant qu'attentif, Saul esquissa un sourire attendri, lui qui aurait compris qu'Hannah ne veuille décidément pas se prêter à l'exercice dans ces conditions, et qui ici appréciait naturellement qu'elle se jette finalement à l'eau. Les yeux rivés vers la brune, il redoubla d'attention lorsque celle-ci se plaça derrière le piano, et entonna quelques premières notes. Sa voix résonna à travers les lieux, et si Saul n'avait jamais douté de son potentiel dans un registre pourtant assez éloigné de son domaine de prédilection, ici il réalisait qu'il était encore loin du compte lorsqu'il la pensait à la hauteur. Happé par l'émotion dégagée par la comédienne, le brun laissa ainsi son regard se perdre à travers la salle, autant touché par la résonance de sa voix que par les réactions perceptibles tout autour de lui. Alors, quand son interprétation prit fin, c'est avec sincérité qu'il se prêta au jeu des applaudissements, aussi dérisoires pouvaient ils être dans un moment où il brûlait surtout d'envie de la complimenter de vive voix. Alors, quittant sa place à son tour, il s'approcha de la scène et tendit une main vers elle, un sourire complice accroché à ses lèvres. « Entre nous, ils ne sont de toute façon pas connus pour être particulièrement indulgents. » Il voulait ici parler des spectateurs à qui la jeune femme s'était adressée quelques instants plus tôt, et qu'il connaissait pour être un public relativement difficile, tout du moins quand des amateurs s'improvisaient chanteurs au centre de cette scène. « Et pourtant regarde-les, ils ont tous délaissé leur verre dès l'instant où tu as commencé à chanter. Et je connais peu d'artistes qui ont eu droit à une telle ovation. » Il ignorait comment Hannah avait ressenti l'émotion qui avait envahi la salle et l'accueil qui lui avait été réservé, mais Saul s'adressait ici à la brune avec toute la bienveillance dont il était capable, bien décidé à la rassurer quant à sa capacité à toucher les autres autrement qu'en interprétant un personnage. « Hannah, tu es faite pour chanter. Je crois qu'une partie de moi l'a toujours su, mais à présent c'est tout mon être qui en est convaincu. » Au point qu'il regrettait presque d'avoir pu lui laisser le choix, lorsqu'il lui avait proposé ce fameux rôle quelques semaines plus tôt. Saul n'avait jamais douté du fait qu'Hannah puisse être taillée pour ce genre de défis, mais il n'imaginait peut être pas qu'il se prendrait une aussi grosse claque dès la première fois qu'il l'écouterait. « Et je t'ai trouvé très humble, tout à l'heure. » Il reprit, doucement, en référence aux quelques mots qu'elle avait soufflé dans son micro avant d'entamer sa chanson. Il imaginait facilement que ça n'était pas le genre de mots qu'on employait souvent pour la décrire, sachant quelle image Hannah se plaisait souvent à renvoyer, et pourtant c'était aussi la simplicité qui s'était d'abord dégagé d'elle qui l'avait touché en premier lieu. « Si ton professeur était ici, il y a une question qu'il te poserait sûrement. Alors, pourquoi avoir choisi cette chanson et pas une autre ? » Car lui aussi était curieux de savoir ce qui avait pu motiver ce choix. Si une petite partie d'elle s'était reconnue dans ce plaidoyer enflammé, qui défendait l'idée d'un amour qu'aucun jugement ne saurait altérer, ou si elle s'était plus généralement laissée séduire par la portée émotionnelle de ce message, et de cet air pour le moins addictif.
"Amen... Amen..." Hannah n'avait jamais été timide. Elle n'avait jamais eu le droit de l'être, dans son monde, c'était tout simplement impossible, le moindre de ses mouvements avait toujours été analysé, disséqué, et corrigé quand il le fallait. Il fallait se tenir droite, faire des sourires et savoir bien s'asseoir et jouer du piano pour amuser la galerie. Parfois, Hannah se demandait de quoi l'enfance des gens normaux était faite, si à eux aussi, on leur avait appris à cacher la moindre de leur émotion et de faire en sorte que rien ni personne ne puisse les briser. Même jouer du piano, cela aurait dû être une joie, un plaisir mais il n'y avait que récemment que la brune l'avait vraiment fait pour elle. Avant, il s'agissait juste d'amuser les clients de son père, impressionner la famille et les amis proches et de leur montrer à tous ce qu'Hannah Sara Siede pouvait faire. Mais la brune l'avait dit à Jamie, elle était fatiguée, fatiguée de jouer la comédie en permanence, fatiguée de regarder par dessus son épaule pour savoir si elle pouvait enfin avoir un moment de répit. Le monde, elle s'en était rendue compte, ne la méritait pas, ne méritait pas cette fragilité dont la nature l'avait dotée et qui lui permettait de voir les choses telles qu'elles étaient vraiment. Au grand bal des hypocrites, c'était elle la perdante, elle qui continuait de se plier au jeu alors qu'elle savait exactement comment faire pour terminer la partie, comment sortir et comment être heureuse. C'était peut-être pour ça qu'Hannah chantait ce soir, parce que face à ce piano, avec tous ses yeux braqué sur elle, il était tout simplement impossible de mentir devant un tel instrument et elle pouvait uniquement chanter ce qu'elle ressentait. Une chanson trop triste ? Pas assez selon Hannah, on ne faisait qu'effleurer la surface et le début de tout. Ce n'était pas que les journalistes, ou les fans incessants, ce n'était pas juste les regards ou le manque de nourriture, c'était tout ça à la fois, c'était un peu de Jamie, un peu de Lawrence et ce rêve idiot dont elle lui avait parlé. Auquel il n'avait pas cru. Mais Hannah n'avait pas besoin de tout ça, elle n'avait pas besoin des paillettes ou de tout ce luxe et un jour elle finirait par concilier ses livres préférés et quelques robes dans une valise et elle disparaitrait. Elle irait se terrer au fin fond de son pays natal, là où on ne voyait rien d'autre que des plaines et le soleil qui se couchait et tout irait bien. La dernière note arriva bien vite et Hannah fut sur ses deux pieds, face au public et aux quelques applaudissements. Elle se rendit compte que ça n'avait pas d'importance, qu'elle ne l'avait pas fait pour eux dans le fond mais bien pour elle. La brune ne savait pas vraiment où aller, cela semblait si dérisoire de bouger à cette seconde précise, elle serait surement restée plantée là, perdue dans le contre-coup de ses émotions si elle n'avait pas fini par apercevoir Saul et son sourire et surtout la main qu'il lui tendait. Hannah s'en empara rapidement et la serra sans doute un peu trop fort, mais c'était un guide comme un autre, et c'était précisément ce dont elle avait besoin à cette seconde précise. Elle ne lâcha pas cette main alors qu'ils regagnaient leurs sièges, Saul plus que généreux en compliments. La brune ne savait même pas si elle devait les accepter ou pas, c'était lui qui était responsable de tout ça après tout. Lui qui avait insisté, lui qui lui avait trouvé un professeur de chant et qui avait estimé qu'elle avait assez de talent. Hannah se demanda quelques secondes s'il possédait un truc que les autres n'avaient pas, quelque chose qui lui permettait de voir et de déceler la moindre once de talent que quelqu'un pouvait posséder. Ce genre de regard pouvait avoir des effets positifs et c'était précisément ce dont Hannah avait besoin. "Merci." lâcha t-elle dans un murmure. Elle se sentait épuisée, elle se sentait idiote, comme si elle avait passé toute l'année dernière à courir après quelque chose qui n'existait pas, en l'occurence sa relation avec Jamie. Il n'y en avait jamais eu pas vrai ? Pourquoi avoir choisi cette chanson ? Probablement parce que eux aussi avait du se cacher, parce que ça n'avait jamais été juste que ça ne soit pas elle et certainement pas juste qu'elle devienne la chose la plus importante de sa vie quand une autre l'avait délaissée. Parce que ça n'était pas juste."... Est-ce qu'on peut partir d'ici ?" dit Hannah sur un ton précipité, sa main quitta celle de Saul trop rapidement et elle s'empara de son sac pour chercher une autre cigarette mais elle le savait... il était trop tard pour ça... Ça n'était pas ça qu'il lui fallait, elle ne pouvait pas juste se noircir les poumons et hausser les épaules comme à chaque fois, non, elle avait eu mal à chaque fois et se retrouver sur scène n'avait fait que lui rappeler ça, qu'elle avait aimé comme une idiote et qu'elle avait eu le coeur brisé, ni plus ni moins. Et qu'elle continuait de sourire et de s'époumoner, et tout ça pour quoi, pour Jamie qui n'avait pas hésité une seule seconde à se pencher vers ses lèvres après une énième dispute avec Joanne. Comme si elle n'était rien du tout, comme s'il suffisait juste qu'il le veuille. Hannah respira profondément, essayant d'enfouir ça loin comme elle le faisait toujours, sauf que cette fois-ci ça ne marchait pas, ça ne fonctionnait tout simplement plus. "Désolée.... Désolée, il faut que j'y aille." Elle ne savait pas si Saul l'avait entendue mais elle eut la décence de lui adresser un faux sourire, les yeux déjà glacés par les larmes et elle fit de son mieux pour quitter le bar. Elle pensa à ses chaussures, elle pensa à la prochaine fois qu'elle allait voir le metteur en scène, mais son coeur ne faisait que se serrer, à tel point qu'elle ne réussit qu'à s'éloigner que de quelques mètres du bar, avant d'être incapable d'en faire plus. Ses genoux lâchèrent et les larmes arrivèrent et Hannah ne put les stopper, son seul geste de lucidité fut d'enfiler ses lunettes de soleil pour se donner un minimum de contenance. Parce qu'Hannah Siede ne pleurait pas n'est-ce pas ?
Qu'Hannah se décide finalement à rejoindre la scène, oui, ça le surprenait. Non pas parce qu'il avait douté ne serait-ce qu'une seule seconde de sa capacité à affronter la difficulté que représentait ce grand saut dans l'inconnu, et toutes ces choses auxquelles elle serait confrontée pour la toute première fois, sans qu'il ne soit plus question d'une scène à interpréter et d'un public à conquérir une fois de plus. Non, ce qui le surprenait ici, c'était qu'Hannah ait brusquement délaissé sa carapace de jeune femme déstabilisée par la surprise qu'il lui avait concocté, pour à présent grimper sur cette scène comme si elle l'avait déjà foulée des dizaines de fois. Loin d'être un coup de tête, sa décision lui semblait au contraire mûrement réfléchie, et guidée par l'envie de prouver quelque chose, non pas à Saul ou bien à ceux qui seraient ce soir son public, mais bien à elle-même. Parce qu'Hannah voyait certainement en cet exercice un symbolisme qui échappait encore à son metteur en scène, et c'était précisément ce qui le rendait si curieux de la découvrir sous ce jour inédit, dans un costume très éloigné de ceux auxquels elle l'avait habitué. Ainsi, quelle que soit ici la raison qui l'avait poussée à monter ces marches et à se placer face à ce piano, Saul était persuadé qu'elle ne regretterait pas de s'être ainsi prêtée au jeu. Et lorsque sa voix vint finalement envahir les lieux au rythme des notes qui s'échappaient du piano, c'est un Saul absolument admiratif qui assista à ce qui ressemblait décidément à une métamorphose. Hannah avait du talent à revendre, il le savait depuis des années maintenant, mais ici l'évidence le frappait d'une manière encore plus frontale que toutes les fois où il l'avait admiré sur scène. Parce qu'ici elle ne jouait aucun rôle, que chaque note semblait plus authentique que la précédente, et qu'Hannah ne pouvait pas se cacher derrière une ligne de texte, ou le tempérament d'un personnage qui n'était pas elle. Et Saul, qui ne la quitta pas des yeux tout le temps où elle se laissa emporter par la magie du moment, manqua plusieurs fois de s'abandonner à l'émotion ressentie par toute l'assemblée. Dans la salle, le public généralement si bruyant avait laissé place à des spectateurs attentifs, troublés par ce qui se jouait devant eux, tandis qu'Hannah leur montrait à quel point il était décidément possible de « vivre » une chanson. La dernière note retentit, et la salle resta plongée dans un silence cérémonieux pendant encore quelques secondes, avant que finalement la comédienne ait droit à l'ovation qu'elle méritait. Saul fut le premier à se lever et à la rejoindre tout près de la scène, lui tendant une main que la brune saisit avec force, tandis qu'il la complimentait. Mais alors que l'instant paraissait presque irréel, Saul comprit après quelques secondes que quelque chose n'allait pas. Lorsqu'Hannah lâcha brusquement sa main, puis lorsqu'elle se détourna de lui, et qu'enfin elle demanda à quitter le bar. « Hannah, est-ce que … ? » Il n'eut guère le temps de poursuivre que déjà la comédienne s'agitait, entreprenant de s'éloigner de lui avec l'idée de rejoindre la sortie. Saul, qui croyait avoir assisté à une véritable transformation quelques instants plus tôt, réalisait subitement qu'il s'était peut être mépris. Qu'Hannah avait peut être souffert de ce qu'elle venait de réaliser, sous ses yeux, et qu'il n'avait rien vu. « Hannah. » Il reprit alors, d'un ton suppliant, payant ce qu'il devait au bar avant de marcher à sa suite et de saisir délicatement son bras. « S'il te plaît, attends ... » Peu importe ce qui se bousculait actuellement dans sa tête et la raison pour laquelle elle ressentait ce vif désir de quitter cet endroit et de retrouver l'extérieur, il n'allait certainement pas la laisser terminer la soirée toute seule, alors qu'elle était visiblement bouleversée et que ça ne pouvait pas le laisser indifférent. « Je viens avec toi. » Son ton n'était peut être pas particulièrement autoritaire tandis que la voir dans cet état lui serrait littéralement le cœur, mais Saul ne lui faisait ici aucune proposition, il comptait bel et bien l'accompagner dehors. Il y tenait, c'était aussi son rôle. La soutenant alors que ses dernières forces semblaient l'avoir quitté, tous deux se dirigèrent lentement vers la sortie, et c'est un Saul véritablement soucieux de l'état de la comédienne qui hésita plusieurs fois à s'enquérir de son état. Avait-il seulement le droit, sachant qu'il était responsable de ce qu'elle traversait à cet instant ? N'était-ce pas lui et ses brillantes idées qui l'avaient conduite jusque là, après tout ? « Asseyons-nous ici, je … je nous appellerai un taxi dans quelques minutes, mais pour l'instant tu as besoin de te calmer, et moi j'ai besoin d'être sûr que ça va aller pour toi. » Et l'aidant à s’asseoir sur un banc situé à une centaine de mètres du Canvas, Saul prit place à coté d'elle, se tournant immédiatement vers Hannah avant de déposer une main sur la sienne, le regard inquiet. « Hannah, si … si j'ai dit quelque chose de mal, je suis profondément désolé. » Peut être aurait-il du la laisser respirer après sa performance, éviter de la congratuler sachant qu'il aurait de toute façon des centaines d'occasions de lui rappeler qu'il était fier d'elle et qu'il lui vouait une confiance et une admiration sans faille. Peut être qu'il avait été maladroit, qu'un mot avait suffi à changer la donne et à la plonger dans cet état. Et même si ça n'était pas le cas, que ça n'était pas directement sa faute, Saul se sentait terriblement coupable. « Cette soirée n'était vraiment pas une bonne idée, tu as le droit de m'en vouloir. » Il souffla tout bas, en serrant délicatement la main de la brune, avant d'ajouter. « Tu as le droit, Hannah. » Il s'était de toute façon préparé à cette idée voilà déjà plusieurs minutes, quand Hannah s'était légèrement offusquée de son initiative et qu'il avait cru l'avoir véritablement vexée. Alors ici, sachant dans quel état elle se trouvait, son amertume n'en serait que plus légitime. Se penchant finalement vers elle, Saul osa relever délicatement les lunettes de la brune, dans l'espoir de croiser son regard et d'y lire quoi que ce soit qui l'aiderait ou le rassurerait sur son état. « Ce n'est pas une honte de pleurer. Et quel que soit ce qui te rend si triste, je crois … que tu avais besoin d'évacuer tout ça. Est-ce que j'ai tort ? » Il savait bien comment était Hannah, combien elle pouvait aimer dissimuler ses sentiments derrière une façade qui faisait habilement illusion, laissant croire qu'aucune émotion ne saurait ébranler cette femme en apparence inatteignable, mais qui en vérité semblait porter le poids d'une intense souffrance. Il le savait, depuis le départ, et c'était pour ça qu'il n'avait aucun mal à imaginer qu'elle puisse elle aussi avoir parfois besoin de se soulager de ce qui l’oppressait. Elle l'avait dit elle-même un peu plus tôt, la semaine n'avait pas été évidente et peut être cela était-il à présent lié à son état. « Je te l'ai dit, je suis là pour toi. » Il le lui avait dit dans un autre contexte, mais Saul était ici d'autant plus disposé à être pour Hannah une oreille attentive, quelqu'un à qui elle n'aurait pas peur de confier ses doutes, ses peines, et qui ne la jugerait pas. Mais peut être était-il maintenant l'une des dernières personnes à qui elle voudrait livrer ce qu'elle avait sur le cœur, ainsi Saul n'insista pas davantage, préférant simplement ôter sa veste pour la déposer sur les épaules de la brune, un sourire bienveillant – mais néanmoins attristé – accroché à ses lèvres.
Si Hannah en avait eu la force, elle aurait hurlé. Elle s'en voulait d'être aussi faible, elle s'en voulait d'avoir les genoux qui flanchaient et elle voulait crier, hurler pour chasser la peine qu'elle ressentait et qui semblait engourdir chacun de ses membres. Elle ne voyait plus que cela à présent, sa propre douleur et il était impossible de respirer, impossible d'imaginer un futur ou quelque chose d'autre que cette nuit. Si elle avait pu arracher son propre visage et enfiler celui d'une autre, peut-être que cela l'aurait arrangé. Oh comme elle aurait voulu... comme elle aurait voulu avoir un coeur différent, être moins égoïste, moins lâche, être en mesure de pouvoir prendre la main des gens qui comptaient et de ne jamais les lâcher, ne jamais les faire fuir et les supplier de rester et de ne jamais la laisser. Dans le fond elle craignait la solitude plus que personne, mais elle s'y était habituée, elle avait accepté cette maitresse dans sa vie et maintenant elle vivait avec. Elle regardait cette meilleure amie poser ses mains sur sa gorge tous les soirs en se disant qu'il n'y avait absolument aucune échappatoire, aucun moyen de respirer, aucun moyen de voir autre chose que le néant. Elle ne pouvait pas, le moindre des sourires était banni et devait être maitrisé, contenu pour montrer au monde une image lisse et parfaite. Deux choses qu'Hannah n'était pas, sa froideur n'était qu'un énorme mur pour faire fuir et pour se protéger et pour ne pas montrer qu'elle aussi pouvait vivre tous comme les autres. Hannah se sentait glisser, plonger, pour ne plus jamais revenir et pour se laisser glisser vers le rien, un lieu où tout le monde finirait par l'oublier. Mais il n'en était rien, malgré les larmes salées qui coulaient sur ses joues, ses mains se refermèrent sur celles de Saul qu'elle refusa de lâcher et elle le laissa la guider. Hannah essaya de maitriser sa respiration mais son propre esprit refusa de se calmer et pendant les quelques premières minutes seules des sanglots lui échappèrent. Chose qui ne faisait que l'énerver davantage car quelque part, elle pouvait entendre la voix inquisitrice de son père qui critiquait sa faiblesse. Oh les choses auraient été tellement plus simples si elle avait été un homme pas vrai ? Dans un autre sanglot, Hannah laissa Saul lui retirer ses lunettes de soleil, le metteur en scène se voulant rassurant. Hannah aurait pu sourire si ses propres émotions ne la dépassaient pas, c'était la première fois qu'elle était incapable de se maitriser de la sorte et tous ses instincts lui dictaient de fuir et pourtant elle ne bougeait pas. Elle ne savait plus où fuir et même elle, dans le fond, était fatiguée de courir. Résignée, elle laissa sa tête reposer sur l'épaule de Saul et elle lui serra la main aussi fort qu'elle le pouvait. Juste quelques minutes, se disait Hannah, juste pour quelques minutes. "Ne dis pas ça." dit enfin l'actrice d'une voix faible aux derniers mots de Saul. "Les gens qui me disent ça finissent toujours par le regretter Saul, vraiment." Que pensait-il ? Qu'il était le seul à s'être perdu en promesse ? Qu'il était le seul qui avait cru pouvoir la sauver ? Non, il n'était pas le premier à s'approcher aussi près et si Hannah était un minimum honnête avec elle, elle devait avouer qu'elle appréciait trop Saul pour le laisser faire ça. Se perdre avec elle et tenter de déchiffrer l'énigme qu'elle était, ça ne servait à rien au final. Elle n'en valait tout simplement pas la peine. Personne ne pourrait la sauver de ses propres démons, ni Lawrence, ni Jamie, ni lui... personne ne pouvait vraiment. "Et ce n'est pas de ta faute c'est juste... il fallait que ça sorte d'une façon ou d'une autre." Hannah prit une grande inspiration et s'essuya sa joue du revers de la main. "Je crois que je suis juste fatiguée." confia Hannah en fermant les yeux. Fatiguée d'elle-même, fatiguée du cirque qu'était sa vie, et fatiguée de devoir toujours mentir, en permanence, tout le temps, sous le risque d'être jugée et critiquée. On lui avait donné le titre de reine sans lui demander son avis, sans lui expliquer les règles et maintenant sa couronne de diamants n'avait jamais été aussi lourde à porter. Elle était vulnérable et c'était cette vulnérabilité qu'elle devrait exploiter sur scène, Hannah n'était pas encore certaine de pouvoir se prêter à ce jeu-là. "Il va me falloir un peu d'adaptation, ce genre de performance est plus personnelle, plus intime et la dernière fois que j'ai été aussi vulnérable... les dernières fois où je l'ai été ça s'est mal fini Saul." La brune rouvrit les yeux et se décolla quelques peu du metteur en scène, sans pour autant lui lâcher la main. Elle lui devait un minimum d'explication, ce n'était pas juste sa surprise à lui qui avait déclenché ce tourbillon d'émotion. "Et même si j'essaye, je ne pense pas que j'en remettrai, la blessure est trop profonde." Lawrence, elle pouvait lui pardonner et oublier, ils étaient jeunes et essayer de renouer avec lui des années plus tard avait été une grossière erreur, ça Hannah le savait. Mais Jamie ? Plus Hannah essayait de mettre de la distance entre eux et plus ils ne faisaient que se rapprocher. "Je sais ce qu'on pense de moi. Que je suis la dernière des garces, mais ça aussi ce n'est qu'un rôle, on me croit incapable de faire attention à quoi que ce soit ou d'être en mesure d'aimer." Hannah eut un léger rire, plus pour elle que pour autre chose et elle finit par redonner leur liberté aux mains de Saul, enfin, seulement pour porter une cigarette à ses lèvres. "Ça n'a servi à rien, je l'ai aimé de toutes mes forces et ça n'a pas été assez." murmura t-elle dans un nuage de fumée, les larmes de nouveau au bord des yeux. Ça c'était une belle tragédie, du genre qu'on écrivait plus, c'était certain.
Une seconde avait suffi à ce que cette soirée bascule à nouveau, cette fois vers quelque chose que Saul n'avait ni prévu ni redouté, alors qu'une partie de lui savait pourtant depuis le départ, depuis qu'il avait revu Hannah, que le vase où la jeune femme s'employait à contenir ses émotions, et toutes les choses qui pouvaient l'atteindre en plein cœur, finirait par déborder. Face à lui, la jeune femme qu'il avait vu se métamorphoser sur scène seulement quelques instants plus tôt semblait brusquement terrassée par une peine implacable, face à laquelle Saul se retrouva alors impuissant. Et il détestait ça, avoir la sensation d'avoir indirectement provoqué son état, en l'ayant conduite jusqu'ici puis en l'ayant au départ incitée à se produire sur scène. Les larmes qu'il voyait perler au coin des yeux d'Hannah lui faisaient alors l'effet d'un coup de poing en plein ventre, et tout ce qu'il pouvait faire, c'était s'assurer qu'elle ne se retrouverait pas seule avec sa détresse. Ainsi entreprit-il de l'accompagner au moment où la brune demanda à quitter le bar, n'ayant pas la moindre intention de l'abandonner à son sort alors qu'il n'était pas certain qu'elle soit en état d'aligner deux pas sans défaillir. Ses mains se refermèrent alors sur les siennes tandis que tout son corps se tenait prêt à soutenir le sien le temps des quelques mètres qu'il leur faudrait parcourir afin de rejoindre un endroit un peu plus tranquille, où Hannah pourrait se poser et se remettre de ses émotions. Cet endroit, ce fut finalement un banc, situé à quelques mètres de l'entrée du Canvas et simplement éclairé par quelques lampadaires qui donnaient aux lieux une atmosphère presque mystique. Ils s'assirent alors, et Saul ne perdit pas une minute pour se tourner vers elle, l'esprit rempli de craintes et d'interrogations qu'il n'osait pas formuler, tandis que seule sa main – toujours fermement liée à la sienne – témoignait à cet instant de l'inquiétude dont il était envahi. Le brun cherchait ses mots, se reprochait d'avoir peut être dit quelque chose de maladroit, mais aussi et surtout d'avoir sans doute commis une première erreur en organisant cette soirée décidément mémorable pour de bonnes comme pour de mauvaises raisons. Parce qu'il y avait eu la métamorphose d'Hannah, bien sûr, et cette preuve supplémentaire de son talent décidément indéniable. Mais il y avait aussi eu sa réaction lorsqu'elle avait appris les intentions de Saul, et maintenant l'état dans lequel elle se retrouvait après avoir chanté. Une partie de lui, pourtant, savait que cet épisode les rapprocherait. Qu'à mesure qu'Hannah le laissait entrevoir la complexité de son être et tout ce que pouvait cacher l'habile carapace qu'elle aimait revêtir devant les autres, ils développaient plus qu'une passion commune pour un même art, plus que ce qui les avait au départ rapprochés. Saul, dans un nouveau souffle, finit alors par lui assurer de son soutien, lui promettant d'être là pour elle, que ce soit pour serrer sa main ou l'écouter vider tout ce qui inondait son cœur. Il la sentit déposer sa tête tout contre son épaule et eut à cet instant un sourire, bref et quasiment indécelable, à l'idée qu'elle semble aujourd'hui pouvoir se fier à lui. Mais aux paroles bientôt murmurées par la brune, c'est dans une moue plus triste qu'il reprit la parole. « Parce que tu te considères comme une cause perdue, mais moi ce n'est pas ainsi que je te vois. » Et quand bien même il n'y aurait rien à faire pour Hannah, Saul n'était pas du genre à se détourner de ceux qui comptaient pour lui, même lorsque parfois son aide était très mal reçue. Il se souvenait de toutes les fois où il avait tendu la main à son demi-frère pour s'entendre dire qu'il pouvait bien garder sa sollicitude. Et pourtant, aujourd'hui, il n'y avait pas un jour où son sort ne continuait pas de l'inquiéter. « Tu as le droit de me dire que tu ne me fais pas suffisamment confiance pour vouloir te reposer sur moi, ou qu'à tes yeux je ne serai jamais qu'un collègue que tu ne veux pas laisser entrer dans ta vie et qui aurait tort de prendre ton affection pour acquise ... » Il ajouta dans un nouveau souffle, posant sur Hannah un regard teinté d'une mélancolie qu'il s'efforça de dissimuler en esquissant un sourire à moitié boudeur, avant que son pouce ne vienne furtivement caresser le dessus de sa main. « Mais tu n'as pas le droit de me repousser sous prétexte que d'autres ont perdu leur temps avec toi. » Parce que lui se fichait de savoir que d'autres s'y étaient cassés les dents ou avaient amèrement regretté d'avoir voulu lui venir en aide. Il savait pourquoi il faisait ça, pourquoi le sort d'Hannah importait à ses yeux, et il était prêt à se montrer patient si ça pouvait l'aider à se sentir épaulée, entourée. La jeune femme reprit la parole, et il se sentit il est vrai quelques peur assuré qu'elle ne le tienne pas pour responsable de son état, quand bien même lui continuait indirectement de se le reprocher. « On peut rester là aussi longtemps que tu en auras besoin. » Aussi longtemps qu'elle aurait besoin de souffler, de se vider la tête, d'évacuer tout ce qui pouvait peser sur son cœur comme une charge qu'elle avait trop longtemps supportée. Il voyait bien qu'Hannah avait besoin de relâcher la pression, d'oublier les codes, les règles, les faux-semblants qui régissaient généralement sa vie. Ici il n'y avait personne pour la voir, personne pour lui reprocher de s'abandonner, personne pour écrire sur sa vie, sur ses choix. Alors oui ils pouvaient rester. Une heure, deux ou toute une partie de la nuit si besoin. « On prend toujours beaucoup de risques lorsqu'on se dévoile, que ce soit devant une ou cinq-cent personnes. Et la seule façon de ne plus en souffrir, c'est de ne plus se persuader qu'être vulnérable c'est forcément être faible. » Sa voix s'éleva à nouveau, tandis qu'il comprit qu'en évoquant sa vulnérabilité, Hannah faisait aussi écho à une dimension plus personnelle de sa vie. « Au contraire, c'est une preuve de courage de savoir se mettre à nu devant les autres, sans plus se soucier du reste. » De ce qu'on pensera de nous, des conséquences que cela aura sur une relation, de toutes ces choses auxquelles Hannah avait sans doute longtemps accordé de l'importance, mais dont elle apprendrait à s'affranchir, peu à peu. Elle avait commencé ce soir, et même si cet exercice s'était avéré éprouvant et douloureux, Saul était certain que tout lui paraîtrait de plus en plus naturel avec le temps. A sa prochaine confession, le brun posa sur elle un regard attristé, comprenant qu'elle portait décidément le poids d'une souffrance silencieuse depuis bien trop longtemps, avant que la suite ne l'amène à réagir, tandis qu'il capta à nouveau son regard. « Peu importe ce qui s'écrit dans les journaux, ceux qui tiennent à toi savent exactement qui tu es et combien tu gagnes à être connue, et aimée. » Peu importe l'image renvoyée par la presse, et la façon dont les journalistes s'arrêtaient volontiers à une façade qui ne la caractérisait pas. « Tu es magnifique Hannah. Ici tu l'es vraiment, et ceux qui ne le voient pas ne méritent probablement pas de découvrir celle que tu es tout au fond. » Il laissa à cet instant l'une de ses mains se déposer délicatement au niveau de son thorax, là où battait un cœur qu'il sentait meurtri et qu'une partie de lui s'emploierait maintenant à protéger. C'est pourquoi, lorsqu'Hannah rompit leur dernier contact puis qu'elle lui souffla quelques nouveaux mots teintés d'une fébrilité et d'une émotion particulières, Saul ne put une nouvelle fois rester insensible à sa détresse. « Aucun homme ne mérite que l'on pleure pour lui. » Ses lèvres soufflèrent alors, tandis que dans un geste réconfortant son bras vint s'enrouler autour de ses épaules. « J'ai vu combien tu étais bouleversée après voir chanté, tout à l'heure, et ce que cette chanson avait provoqué chez toi. Si cet homme a réussi à te mettre dans cet état sans même être ici … crois-tu vraiment qu'il te mérite ? » Cet homme, celui dont il connaissait en vérité le nom et sans doute bien plus de choses qu'il ne le voudrait. Parce que Jamie Keynes vivait dans son quartier, à quelques mètres seulement de chez lui, et que c'est son visage qui apparaissait bien souvent aux cotés de celui d'Hannah chaque fois que Saul avait la mauvaise idée de feuilleter un magazine qui lui rappelait toujours combien leurs situations étaient semblables et combien la brune endossait finalement le rôle dont Meg avait elle-même hérité à cause de lui. Aujourd'hui il ne savait pas exactement quel sentiment lui inspirait cet homme, mais difficile de lui écrire une éloge quand ses choix faisaient visiblement souffrir la comédienne. « Je sais que tu penses souvent à lui. Chaque fois que tu sembles distraite, rêveuse, je m'imagine qu'il est quelque part dans un coin de ta tête et je me dis … bon sang, j'aimerais tant qu'elle puisse comprendre qu'il n'est pas le seul homme qui saura l'aimer, et que quelque part quelqu'un attend probablement de pouvoir la rendre heureuse. » Saul avançait ici avec pudeur, ça n'était pas évident d'admettre que le bien être d'Hannah était pour lui souvent une source d'inquiétude. Comprendrait-elle seulement qu'il voulait son bien, et pas bafouer une histoire à laquelle elle avait sans doute toujours envie de croire ? Que tout ce qui lui importait, c'était qu'elle puisse envisager le bonheur ailleurs qu'entre les bras d'un seul homme, quand celui-ci ne l'avait visiblement pas épargnée ? « Je sais que tu as l'impression qu'il n'y aura toujours que lui et cet amour que tu veux tant recevoir de sa part, mais Hannah … tu es jeune, ravissante et talentueuse. L'amour aura beaucoup d'autres visages, et un jour tes souffrances te paraîtront bien loin, parce que tu auras rencontré celui qui n'aura de cesse de vouloir faire ton bonheur. » Et laissant sa main libre replacer distraitement l'une de ses mèches de cheveux derrière l'oreille de la brune, Saul reprit avec bienveillance. « Un homme qui sera toujours là pour essuyer les larmes qu'il t'aura fait verser. » Mais qui la plupart de temps préférerait ravaler sa fierté et étouffer sa colère plutôt qu'être la source de sa tristesse. Un homme qui serait le premier à lui tendre la main les soirs où sa peine se ferait trop forte. Un homme digne d'Hannah et de l'immensité de l'amour qu'elle était prête à offrir. « Tu n'es pas forcée de me croire, parce que je sais qu'aujourd'hui tout ça te semble inimaginable. Mais s'il te plaît, promets-moi de te protéger. » De ne pas pardonner ni oublier sitôt qu'elle aurait séché ses larmes et quitté ce banc. De réfléchir à la façon dont cette histoire l'avait déjà blessée et aux coups que son cœur continuerait de prendre tant qu'elle refuserait de s'offrir la sérénité à laquelle elle avait droit. Saul ne pouvait pas la forcer à s'épargner de nouvelles peines, tout ce qu'il pouvait faire c'était formuler cette demande, presque suppliée, et espérer qu'elle comprendrait qu'il ne l'aurait pas fait si son sort n'importait pas véritablement pour lui.
Dans le fond, Saul avait sans doute raison. Peut-etre que ce n'était qu'une question de confiance au final, et Hannah était incapable de l'accorder aux gens car elle considérait que c'était quelque chose de beaucoup trop précieux. Il suffisait de voir ce que Jamie en avait fait. Complètement piétinée, complètement éreintée, et tout ça pour quoi ? Voilà plus d'un an qu'ils tournaient en rond et qu'elle n'avait pas la moindre impression d'avoir avancé, elle était encore plus perdue, encore plus fatiguée et tout ça au nom d'un amour qui ne finirait jamais par éclore. Elle allait finir par se faner et dépérir toute seule parce qu'il était incapable de faire ce qui était juste, incapable de mettre fin à cette tourmente dans laquelle ils les avaient tous plongé parce qu'il était égoiste. Et pouvait-elle vraiment lui en vouloir ? Oui, Hannah le faisait, ce qui était surement le comble du comble. Cet homme qu'elle aimait tant, elle était également capable de le hair et de le renier, et meme souhaiter qu'il lui arrive les pires des choses, juste parce qu'elle le pouvait, juste parce que les choses étaient plus simples ainsi. Parce que l'inverse de l'amour n'était pas la haine mais bien l'indifférence et que meme lorsqu'ils essayaient, Hannah et Jamie n'arrivaient pas à s'éloigner vraiment l'un de l'autre et revenaient se heurter brutalement, presque comme deux aimants. C'était surement ça la plus grande tragédie de la vie d'Hannah, c'était ça la plus grande comédie qu'elle jouait, prétendre que tout ceci ne l'atteignait pas alors qu'elle était blessée. Prétendre que rien ne se brisait derrière ses sourires de marbre, alors qu'elle souriait par automatisme plus que par pur plaisir. Est-ce qu'elle était heureuse ainsi ? La question résonnait dans son esprit comme une sorte de claque assourdissante, comme si quelqu'un essayait de la narguer et de la prendre au piège de la sorte... comme si. La brune tira encore une fois sur sa cigarette et elle offrit un maigre sourire à Saul. "Si j'en crois les dires de mon père, aucun homme ne me mérite tu sais..." Nathan était surement celui qui avait le plus d'estime d'elle, cette estime avait un prix, comme une sorte d'accord qu'elle avait passé avec son géniteur, qui sous entendait qu'elle devait toujours plier l'échine face à lui et faire ce qui était mieux au nom de leur belle et grande famille. Hannah connaissait l'accord, elle ne s'était jamais vraiment plaint par le passé et elle savait que si elle voulait sortir de cette spirale infernale, elle n'avait qu'à lever le petit doigt et partir avec son propre argent, ses propres diamants et tout laisser tomber. Elle pouvait le faire, s'envoler et partir sans un regard en arrière. Mais non, des attaches, elle en possédait plein, plus qu'elle ne voulait l'admettre d'ailleurs et c'était presque genant au final. Comment pouvait-elle etre aussi forte et aussi faible à la fois. Ça semblait presque facile quand on entendait Saul en parler, sauf qu'Hannah en possédait bien des faiblesses et une énorme qui s'appelait Jamie. "Non, je ne pense pas tout le temps à lui." protesta la brune pour se donner un minimum de contenance, histoire de ne pas paraitre encore plus faible. Hannah poussa un énième soupir et fixa Saul pendant une longue minute. Ça ne servait à rien de lui mentir pas vrai ? Ils avaient largement dépassé ce stade. Peu était ceux qui pouvaient dire qu'ils avaient vu Hannah pleurer, et ils étaient encore moins nombreux ceux qui n'avaient pas eu la réputation détruite à cause de ce simple fait et qui pouvait encore raconter cette histoire. "Est-ce que je suis si transparente que ça ?" Pour quelqu'un qui était censé maitriser ses émotions, Hannah faisait une bien piètre actrice dès qu'un certain grand brun était concerné, que ce soit de près comme de loin d'ailleurs. "Je sais ce que je veux, c'est lui qui ne sait pas et qui hésite, cette situation n'est facile pour personne mais je me retrouve coincée dans tous les sens du terme et je n'en peux juste plus. J'aimerais pouvoir tout envoyer valser et passer à autre chose et m'affranchir de tout ce que je ressens pour lui. Vraiment. Ça rendrait les choses plus faciles." L'idée meme d'etre en couple et d'etre heureuse en l'étant était un paradoxe pour Hannah. Elle avait toujours su, toujours cru qu'elle finirait sa vie complètement seule, avec les bijoux de sa mère et sa longue chevelure pour seuls souvenirs d'une vie passée et oubliée. Rien de plus, rien de moins. Avoir quelqu'un qui ne pouvait pas se passer de vous était un concept effrayant et Hannah n'arrivait pas encore à imaginer sa vie de cette façon-là. Le plus simple aurait donc été d'abandonner cette partie-là d'elle et de continuer sans... si seulement. "Mais je ne peux pas me débarrasser de mon coeur Saul, je peux essayer autant que je veux, mais rien ne fonctionne comme ça." Sa tete lui dictait quelque chose, son coeur le contraire, et l'alcool et la cigarette lui disaient de tout envoyer valser, c'était une combinaison dangereuse, pas de doute là dessus mais on ne changeait pas d'un simple claquement de doigts, et certainement pas Hannah. Elle fut cependant touchée par l'élan soudain de sympathie de la part de Saul. Elle s'occuper de sa propre personne ? Elle n'avait jamais été en mesure de le faire, que ce soit avant ou maintenant, les choses n'avaient pas changé pour elle, Hannah restait dépendante de ses démons et de ses vices. "Je vais essayer, mais je ne te promets pas la lune, ça serait bien hypocrite de ma part." Elle eut un autre maigre sourire, comme si, comme si tout allait déjà mieux. "Merci de m'avoir écoutée."
Si Saul ne rechignait jamais à tendre la main à ceux qu'il ressentait le besoin d'aider et d'épauler, il avait plusieurs fois appris à ses dépends que son aide n'était pas toujours extrêmement bien reçue même lorsqu'elle était accompagnée des meilleures intentions. L'exemple le plus marquant restait bien évidemment son demi-frère, qu'il n'avait de cesse d'essayer de remettre dans le droit chemin depuis maintenant plusieurs années, mais qui se plaisait régulièrement à lui renvoyer ses bons sentiments à la figure, comme si la simple idée d'être secouru lui faisait horreur. Pourtant, son ingratitude n'avait jamais découragé son aîné, qui année après année ne désespérait pas de lui faire entendre raison sur un certain nombre de points qui aujourd'hui demeuraient une source de conflits entre les deux jeunes hommes. Parce que Saul le connaissait suffisamment bien pour savoir qu'il plaçait sa fierté avant beaucoup de choses, et qu'un jour viendrait où Abel se déciderait peut être à rendre les armes et à accepter l'idée que quelqu'un puisse être mieux placé que lui pour savoir qu'il gâchait ses chances de faire quelque chose de sa vie. Saul avait ainsi acquis une persévérance à toute épreuve, une persévérance qui lui était également utile lorsqu'il lui fallait composer avec les caractères et les états d'âmes de ses artistes, qui parfois n'étaient pas non plus parfaitement réceptifs à sa façon de les dompter. Alors face aux avertissements d'Hannah, Saul ne perdait rien de son envie d'être là pour elle, lorsqu'elle pourrait en avoir besoin. Qu'importe que certains l'aient regretté ou s'y soient déjà cassés les dents, il voulait simplement qu'elle se sente libre de se tourner vers lui lors de soirées comme celle-ci, où parler et vider son sac semblait être le seul moyen de composer avec sa peine. Une peine qu'elle devait vraisemblablement à une vie sentimentale tumultueuse, comme Saul l'avait suspecté dès lors qu'elle avait choisi de chanter une chanson au texte plus qu'équivoque et qu'il avait vu de quelle façon son interprétation était parvenue à la bouleverser. Et lui, qui n'ignorait rien des tourments qui étaient les siens depuis que la presse se faisait une joie de narrer les moindres rebondissements de la vie d'Hannah, avait bien du mal à cacher ce que lui provoquait l'idée qu'un cœur comme le sien coure désespérément après celui d'un homme qui jusqu'ici était surtout parvenu à lui causer de la peine. Il n'y avait qu'à voir ses larmes, ce soir, versées pour quelqu'un qui s'endormirait probablement auprès d'une autre. « Les pères sont comme ça, persuadés que rien ni personne n'est assez bien pour leur progéniture. Et c'est encore pire lorsqu'eux-mêmes ont toujours goûté à l'excellence. » Saul souffla en tout cas, dans l'esquisse d'un fin sourire. « Si j'avais écouté le mien, j'aurais tôt ou tard abandonné le théâtre pour revêtir un costume trois pièces et prendre les rênes de son empire, et j'aurais probablement fini par épouser la fille d'un politicien, ou comme lui une reine de beauté. » Et certainement pas une étudiante issue d'un milieu modeste, rencontrée alors qu'il étudiait pour vivre un jour de sa passion. Saul était bien placé pour savoir ce qu'impliquait le fait d'avoir un père puissant et fortuné, et à quel point ça pouvait être difficile à vivre à un âge où on espérait surtout pouvoir faire ses propres choix. Lui était finalement parvenu à s'affranchir de l'influence de son paternel et à lui faire entendre raison à plus d'un niveau, mais ça n'avait pas été une bataille sans effort et il se surprenait parfois encore à penser à celui qu'il aurait été s'il avait calqué sa vie sur celle que lui avait tracé son père. « Moralité, tous leurs conseils ne sont pas bons à prendre. » Et Hannah lui donnait ici l'impression d'en avoir aussi pris conscience, ainsi peut être finirait-elle aussi par imposer ses propres décisions à son père. Saul, en tout cas, suspectait depuis maintenant quelques temps que quelque chose tourmentait Hannah au plus profond de son être, et il lui suffisait parfois de poser les yeux sur elle pour comprendre où voguaient le plus souvent ses pensées. Et ce n'était pas les protestations de la brune qui parvinrent à lui enlever cette idée de la tête, aussi amusé soit-il par sa réaction. « J'en ai peur, car la perspicacité n'est généralement pas la première de mes qualités. » Dire qu'Hannah était totalement transparente serait un peu fort, parce qu'il connaissait peu de personnes qui savaient si habilement dissimuler leurs émotions lorsqu'elles revêtaient un masque qui ne laissait rien paraitre. Mais il avait rapidement compris où se situaient ses failles, et notamment l'une d'entre elles. Alors oui, Saul tentait ici de lui ouvrir les yeux, car aujourd'hui son cœur appartenait à un homme auquel elle ne se voyait pas renoncer, et sa jeunesse et son inexpérience lui donnaient la fausse impression qu'elle ne connaîtrait jamais l'amour ailleurs qu'auprès de lui. Pourtant il y croyait, pour elle, et parce qu'il aimait penser qu'un homme saurait un jour lui donner tout l'amour qu'elle attendait de recevoir. « Je ne te demande pas de changer la personne que tu es, parce que ce sont ces petites faiblesses qui me donnent l'impression de connaître la véritable Hannah. » Et lorsqu'on savait combien elle avait pu l'impressionner de prime abord, à une époque où il n'imaginait pas pouvoir un jour l'approcher d'aussi près et partager avec la comédienne des moments comme celui-ci, entre complicité et confidences, c'était loin d'être une impression anodine. « J'aimerais simplement que tu prennes le temps de te poser les bonnes questions, pour éviter que cette situation te fasse souffrir encore et encore, jusqu'au point où tu réaliseras que tu y as laissé beaucoup de ton temps et de ton énergie alors que le bonheur t'attendait peut être ailleurs. » Est-ce qu'il était nécessairement pessimiste s'il osait dire qu'il avait l'intime conviction que ce n'était pas en empruntant plus longtemps une voie encombrée d’embûches qu'elle finirait par être pleinement épanouie ? Peut être, mais il lui devait d'être parfaitement honnête pour espérer préserver la confiance qu'elle avait ce soir placée en lui. Saul était peut être ici pour lui remonter le moral, mais il ne l'aiderait pas en la poussant à tout prix dans une direction qui d'après lui risquerait de lui attirer plus de tourments. « Je ne te mentirai pas en disant que je pense que cet homme saura te combler de bonheur, parce que je suis bien placé pour savoir que ce genre de schéma a peu de chances de rendre qui que ce soit heureux. » Bien placé, parce qu'il savait que se perdre entre deux histoires était le meilleur moyen de faire souffrir un maximum de monde à l'arrivée. Qu'en l’occurrence, Hannah souffrait aujourd'hui comme il ferait inévitablement souffrir les deux femmes qui se partageaient son cœur, le jour où chacune d'elles comprendrait le double jeu qui avait été le sien pendant plus de deux ans. « Tout comme je ne nierai pas que je préférerais te savoir avec quelqu'un qui fera toujours de toi son premier choix. » Le brun ajouta par la suite, croisant son regard comme pour lui assurer qu'il ne cherchait pas à réveiller sa peine mais simplement à lui parler comme l'ami qu'il espérait être devenu à ses yeux. Peut être ne savait-il de cette histoire que ce que la presse avait bien voulu en dire, mais c'était suffisant pour qu'il soit convaincu qu'Hannah méritait mieux qu'une histoire dépendante d'une autre, née d'un malentendu ou bien parce qu'un homme aussi perdu que lui préférait jongler entre deux cœurs plutôt que de condamner le sien à une solitude méritée. « Mais tu es la seule à pouvoir faire en sorte d'aller mieux, et s'il y a la moindre chance pour que cet homme parvienne un jour à te redonner le sourire … alors je serai heureux pour toi. » Bien sûr il préférerait qu'Hannah débarque un beau jour dans son bureau pour lui annoncer qu'elle était tombée sous le charme d'un gentil comédien, un homme qui partagerait sa passion, qui la comprendrait mieux que personne et qui saurait peu à peu lui redonner envie de croire que le bonheur pouvait aussi sonner à sa porte. Mais ce qu'il souhaitait avant tout, c'était de ne plus la voir dans l'état qui était le sien ce soir. « Repense à tout ça après une bonne nuit de sommeil, et tu me feras déjà plaisir. » Il reprit alors, dans un sourire teinté de douceur, bien conscient qu'il valait sans doute mieux qu'Hannah ne lui fasse aucune promesse, si ce n'est celle de réfléchir à leur conversation. « Allez viens, je vais t'appeler un taxi. » Et séchant une dernière fois les larmes qui perlaient ses joues, il glissa sa main dans la sienne pour l'inciter à quitter ce banc, songeant qu'il était temps pour elle, comme pour lui, de baisser le rideau après une soirée riche en émotions.