S’il y avait bien une chose dont Scarlett avait besoin en ce moment, à cet instant précis, c’était d’une bonne nuit de sommeil. La brune ne savait  pas comment elle tenait encore debout, peut-être qu’elle aurait su elle avait prêté plus attention à ses cours plus jeune, mais là encore, la plus jeune des Warren en doutait sérieusement. Elle avait décidé de ne pas prêter à ce genre de détails et tant qu’elle ne tombait pas de sommeil en plein milieu de la rue... Tout allait bien. Oui, c’était déjà arrivé, une seule fois d’ailleurs, une fois de trop aurait dit certains mais Scarlett ne voyait pas les choses de la même façon que le commun des mortels. Là où beaucoup voyait ce simple lundi matin de septembre comme une bonne occasion de prendre une douche chaude et d’aller reprendre le travail ou les études, la brune se disait que c’était l’occasion parfaite pour un jour de repos. Et dire que c’était Beth qui avait réussi à la convaincre de s’inscrire à l’université, la conversation avait été longue et avait été le résultat d’une brève dispute avec leur mère et beaucoup de soupirs de la part de Scarlett. On pense à toi tu sais, on ne veut que ton bien, lui avait répété Elizabeth, avec ce ton maternel que la brune détestait tant. Elle n’était même pas mère, pas encore du moins, mais Beth semblait considéré sa grande soeur comme sa propre fille de seize ans qu’elle devait sermonné en permanence. Pour sa propre réussite personnelle et blablabla… sauf que les choses avaient bien changé depuis le temps où Beth s’était rendue à l’université et si Scarlett avait naïvement cru que l’arrivée du mois de septembre allait signifier le mois le plus ennuyeux de sa vie, elle avait eu tort. Les étudiants étaient les gens les plus stressés de la planète et pour eux la rentrée était synonyme de beaucoup, beaucoup d’alcool, de soirées très élaborées pour décider à quelle clique ils allaient appartenir et surtout dans quel lit ils allaient finir. Si tout cet ordre social dépassait Scarlett, elle devait admettre que l’alcool gratuit et la perspective de faire quelque chose hors de son appartement l’avait séduite. Elle avait laissé croire à un des idiots de sa promo qu’il serait son rendez vous pour la soirée et dès le premier shot de tequila, elle l’avait semé. Beaucoup trop idiot pour elle. Après la tequila, il y avait eu la vodka, et puis une autre soirée, et une autre. Scarlett n’avait pas vu le week-end défiler, tout ce qu’elle avait vu c’était les verres d’alcool, les piscines ouvertes, les toilettes enfin libres et surtout les billets verts. Son petit business commençait à devenir florissant et les quelques doses que son dealeur préféré lui avaient fourni avaient vite fini par disparaitre aux mains des plus offrants. Scar les trouvait tellement idiots, elle préférait se contenter de l’alcool, elle savait au moins ce qui la tuerait, mais si certains préféraient sniffer ou fumer, c’était leur problème.

Mais le lundi était là, avec sa lumière terrifiante et soudainement la robe de Scarlett était trop courte, ses talons trop haut et quand elle croisait la poitrine, tous les billets qu’elle avait habilement caché dans son soutient gorge ne faisaient que lui donner envie de se gratter et lui rappelaient qu’elle n’avait pas dormi depuis quarante huit heures. La logique voulait qu’elle rentre chez elle pour prendre une bonne douche et se rendre à ses propres cours. Mais Scarlett n’en avait guère envie, elle savait qu’une fois qu’elle serait seule chez elle, elle aurait envie de se précipiter sur son ordinateur pour oublier tous ses problèmes. Ce qui n’était pas non plus une bonne solution en soit. Il n’y avait qu’un seul endroit où Scarlett avait vraiment envie d’aller et après s’être mentalement traitée d'idiote, elle alla prendre le bus le plus proche pour se rendre en direction de Redcliffe. Elle ignora le regard que lui lança le chauffeur et préféra s’asseoir au fond, le front pressé contre la vitre, pensive. Son esprit dériva vers Moïra, qui elle devait se faire une joie de retourner à l’école, ou pas, ça n’était jamais marrant pour personne d’ailleurs, mais Scarlett était sûre et certaine que Tommy n’allait pas trop pousser la petite, ou lui dire de quelle façon se tenir ou comment répondre à certaines questions. C’était un bon père et ce peu importe ce qu’en pensait le reste du clan Warren à ce sujet. Scarlett manqua de louper son arrêt, elle était fatiguée à ce point là et elle abandonna ses chaussures avant d’arriver devant la porte de Tommy. Elle sonna dans le vide visiblement et elle tira son téléphone de son décolleté pour envoyer un bref message à son frère . « Je crashe ton appart pour quelques heures, c’est une urgence. Pas vraiment. Mais voilà. » Ceci étant dit, il ne lui fallut que cinq minutes pour réussir à ouvrir la porte du numéro 45 et encore moins pour trouver le chemin de la salle de bain et se servir de la douche, elle savait que Tommy comprendrait.

Les deux petites marchaient quatre ou cinq mètres devant lui, exerçant leur pouvoir de pipelettes en se racontant leurs week-ends respectifs pendant que Tommy écoutait d'une oreille distraite. Samedi les parents Warren avaient emmené Moïra à la plage pour pique-niquer et profiter des beaux jours qui revenaient doucement, la gardant jusqu'au lendemain où Tommy était venu la chercher, en tentant d'éviter au maximum de donner à sa mère une raison d'engager la conversation sur autre chose que des banalités. Dimanche le temps était moins clément et faute de plage Tommy avait emmené sa fille au parc, profitant de son jour de congé pour passer un peu de temps seul avec elle. Pas forcément au travers d'activités extraordinaires, il pouvait se contenter de la regarder jouer près des balançoires ou lui offrir une glace, il voyait déjà cela comme une chance après avoir passé deux ans et demi - presque - sans pouvoir ne serait-ce que lui parler. Un fait dont il ne se vantait bien évidemment pas auprès du premier venu, et qu'ignorait par exemple totalement la mère de la petite qui accompagnait Moïra. Habitant l'immeuble d'en face, Tommy et elle se partageaient les trajets jusqu'à l'école, le brun emmenant les filles le matin et la jeune femme allant les chercher en fin d'après-midi. Il ne saurait pas trop dire pourquoi mais il se sentait continuellement le besoin de faire bonne impression face à la mère de famille, comme si toute - presque - inconnue qu'elle était son jugement revêtait une importance particulière aux yeux de Tommy.

sms from scarlett a écrit:

Je crashe ton appart' pour quelques heures, c’est une urgence. Pas vraiment. Mais voilà.

sms from tommy a écrit:

J'amène les filles à l'école, je suis là dans vingt minutes. Depuis quand tu as les clefs de l'appartement ?

Pianotant sur son téléphone tout en gardant un œil sur Moïra et Stacy, Tommy avait attendu une réponse qui n'était pas venue, se demandant si sa sœur venait véritablement de sous-entendre qu'elle s'apprêtait à entrer par effraction dans son appartement. « Les filles ! On m'attend pour traverser. » Et on regardait des deux côtés, accessoirement, mais conscient de radoter un peu il s'était contenté de le penser très fort sans pour autant le dire. Traversant donc au pas, et en respectant le passage piétons puisque le brun tentait d'y faire attention lorsque Moïra était avec lui, il les avait laissé le distancer à nouveau et "faire la course" jusqu'à l'entrée de l'école « Papa ! Tu viens nous chercher ce soir ? » Tommy avait eu un vague air de surprise, qu'il avait tenté de réprimer. D'ordinaire Moïra demandait surtout après ses grands-parents, ou ses tantes, et égoïstement Tommy s'en agaçait un peu ; Qu'elle associe son jour de congé à la possibilité pour lui de venir la récupérer en fin de journée c'était le genre de détails qu'il rangeait précieusement dans un coin de sa tête avec le sentiment que les choses avançaient un peu. « Oui, maintenant file vous allez être en retard. » Il avait hésité un instant. Il aurait bien piqué un baiser sur sa joue mais n'avait pas envie de s'entendre dire comme la dernière fois que c'était "trop la honte" aussi il s'était abstenu, se contentant d'un sourire et d'agiter main lorsqu'avant de passer la grille Moïra s'était retournée pour lui faire un signe.

Le trajet du retour était lui allé beaucoup plus vite, Tommy ne prenant pas le temps de flâner en route ni la peine de réduire ses enjambées pour se caler au rythme des petites jambes des deux filles. Passant devant un coffee shop il s'était malgré tout arrêté pour acheter deux grands cafés et un assortiment de donuts, et avait débarqué devant la porte de son appartement pile à l'heure, dix-neuf minutes après le message envoyé à Scarlett. De quoi parfaire la preuve qu'il était devenu quelqu'un de ponctuel. Bien obligé avec le boulot, il n'était pas vraiment à cheval sur ce genre de principes mais il n'avait pas non plus envie de se faire - encore - virer. « Scar' ? » Sa serrure était intacte, c'était déjà une bonne chose, et entendant l'eau couler dans la salle de bain il en concluait qu'elle était parvenue à rentrer, peu importe le moyen. Déposant cafés et donuts sur la table côté cuisine, il avait ramassé ce qu'il pensait d'abord être un papier bon pour la poubelle avant de reconnaître un billet de cinq. « Tu sèmes ta fortune ? » Enroulée dans une serviette sa cadette avait passé la tête depuis la pprte de la salle de bain, observant le billet qu'il venait de ramasser. « Si t'as besoin de te changer y'a un sac de sport rouge dans un coin de ma chambre, fouille dedans je crois que y'a un short de sport plus ou moins à ta taille. » Plus ou moins à la taille de la propriétaire véritable du dit sac de sport, en tout cas, mais cela serait probablement plus ajusté que s'il lui proposait un de ses shorts à lui, hm. « Et y'a des tee-shirts dans ma penderie, fais comme chez toi ... je crois que t'as déja saisi le principe. » L'air gentiment moqueur - elle avait fait comme chez elle en rentrant sans l'attendre, aprês tout - il avait enfin pris le temps de retirer son blouson, et s'était installé sur l'une des chaises entourant la table avant de saisir un des gobelets de café.

Scarlett retrouva ses couleurs sous l'eau chaude et elle regarda l'eau noire être drainée par la tuyauterie, c'était tout son maquillage et toutes ses bêtises qui s'effaçaient. Comme si tout ce qu'elle avait fait ces deux derniers jours ne comptait pas vraiment et qu'elle pouvait recommencer depuis le début. Si seulement, parfois, Scarlett se disait qu'il y avait vraiment quelque chose qui clochait chez elle, peut-être que sa mère l'avait fait tomber une fois par terre quand elle était encore toute petite, et c'était bien pour ça qu'elle ne fonctionnait pas comme les autres. Qu'elle n'avait pas ce truc qui la poussait à arrêter, à ne pas continuer, à ne pas s'époumoner et à ne pas tirer sur une autre cigarette ou vider un nouveau verre. Elle était certaine que Beth ou Marius n'avait jamais eu ce genre de problèmes, ils étaient beaucoup trop droits et trop parfaits pour se laisser tenter comme ça. Et Meg alors ? Non, elle aussi devait essayer de suivre les exemples de ces deux ainés-là au final. Il n'y avait que Tommy qui pouvait comprendre et encore, Scar savait qu'elle ne pouvait pas tout lui dire. Il avait quelque chose à risquer lui, il avait un but dans sa vie, un vraie raison de se lever le matin et cette raison c'était Moïra. Scarlett ne savait même pas pourquoi elle songeait à tout ça alors que l'eau lui brulait la peau. Peut-être que c'était le début de la gueule de bois ou juste son esprit qui se concentrait sur des détails trop imprécis et trop imparfaits. Demain, c'était demain, elle n'y était pas encore alors ça ne servait vraiment à rien de s'inquiéter pour quelque chose comme ça. La brune entendit Tommy rentrer dans sa torpeur et il se dit qu'il n'aimerait vraiment pas la trouver en train de se poser des questions existentielles dans sa salle de bain. Question timing, il y avait mieux. Elle poussa un soupir et attrapa la première serviette qui lui tomba sous les mains, elle ignora son propre reflet dans le miroir, ce genre de virée sauvage était difficilement plus facile quand on avait que vingt ans et elle passa la tête en dehors de la salle de bain pour observer Tommy. "C'est noté, merci." Il ne posait pas de questions, il ne le faisait jamais et c'était tant mieux, Scarlett aurait été incapable de lui expliquer de toute façon, avant, elle lui disait tout mais depuis qu'il était parti loin de l'Australie du jour au lendemain, ça n'avait plus été pareil. La brune ne pourrait jamais lui en vouloir, il était parti faire sa vie tout simplement, mais si elle était honnête avec elle-même, elle savait que quelque chose manquait depuis ce jour-là.

"Tu sais que c'était facile de crocheter ta serrure Tom-Tom ? Si tu ne voulais pas que je rentre, il fallait faire un effort." lâcha Scarlett, elle lui tira la langue avant de tourner les talons en direction du sac. Elle revint dans le salon avec les cheveux mouillés et un peu plus vêtue, elle en profita pour se pencher et ramasser sa maigre fortune avant de s'installer à la table comme lui. Scarlett ignora Tommy pendant quelques secondes pour remettre de l'ordre dans ses billets, ranger se billet de cinq avec ses autres petits copains, et compter dix, cinquante, deux cent, trois cent... Scarlett releva la tête et se rendit compte que Tommy l'observait, compter l'argent de son affaire de dealeuse devant son grand frère n'était vraiment pas la meilleure idée qui soit, surtout quand la plupart des billets étaient plus que froissés et sentait surement l'alcool à plein nez, ou alors c'était l'imagination de Scarlett qui lui jouait encore des tours. "Partie de poker, c'est moi qui ai gagné." dit-elle, mentant surement très mal mais elle roula son butin dans une pile organisée et l'éloigna des yeux de Tommy. Pour se concentrer sur les donuts qu'il avait apportés. Elle mourrait de faim et elle savait qu'elle allait rentrer un frigo vide. "Au fait..." Scarlett ne fit pas de pause pour mâcher, ne se souciant absolument pas d'avoir la bouche pleine. "Si on te pose la question, je ne suis pas là, je suis censée être en cours comme une adulte responsable. Mais on va dire que je ne suis pas douée dans ce rôle-là Et puis c'était un long week-end, donc Beth peut bien me lâcher la grappe." Elle haussa les épaules et attrapa le café qui devait lui être réservé."Et toi ? Comment va Moïra ?"

Le rythme de vie de Tommy était totalement sans dessus dessous, que son organisme semblait ne plus jamais savoir à quel moment de la journée il avait affaire. Réveillé depuis quatre heures et demi il avait tourné en rond comme un lion en cage en attendant l'heure de réveiller Moïra puis de l'emmener à l'école, et était à peu près certain que le coup de barre lui tomberait dessus comme d'habitude en début d'après-midi. Il mettrait son réveil pour ne pas louper l'heure d'aller chercher la petite à l'école, grognerait en se réveillant parce que faire la sieste lui donnerait la migraine, et peinerait probablement à trouver le sommeil avant le milieu de la nuit une fois le soir venu, tant il s'était habitué à se coucher tard, une fois le McTavish fermé et le trajet de Bayside jusqu'à Redfliffe effectué. Il ne savait donc même plus si c'était une absence ou un trop plein de fatigue qui lui gardait les yeux grands ouverts et le rythme cardiaque un peu rapide ce matin, tandis qu'il regagnait l'appartement. A moins que ce ne soit la canette de Redbull qu'il avait englouti tandis que Moïra terminait de se brosser les dents ; Parfois Tommy avait l'impression d'encore entendre la voix réprobatrice d'Alice, lui reprochant sa consommation excessive de sodas. Que dirait-elle, aujourd'hui, en sachant qu'il avait également repris la cigarette, péniblement arrêtée depuis l'époque où elle était tombée enceinte ? Elle n'approuverait pas, sans doute. Mais elle n'était pas là, il n'y avait plus personne pour empêcher Tommy de prendre les mauvaises décisions, de la plus futile à la plus critique.

Il pressait aussi le pas à l'idée que Scarlett soit à la maison, parce qu'elle était bien la seule de Warren dont la visite était un plaisir et dont la compagnie lui mettait du baume au cœur. Parfois pourtant, il sentait bien que ses dix ans d'absence avaient changé la donne et creusé un fossé qui, s'il n'avait rien à voir avec celui qui les séparait des autres Warren, existait bel et bien. Parfois il faisait l'autruche, parfois il se disait simplement que cela s'effacerait avec le temps, mais la réalité c'est qu'il n'en avait pas la moindre idée. La seule vérité c'était que Scarett était encore une adolescente lorsqu'il était parti, et était une adulte désormais ; Peu importe l'avis de Beth à ce sujet. Tommy, lui, ne demandait que très rarement des comptes, probablement parce qu'il détestait par-dessus tout qu'on lui en demande également ; Rien d'étonnant donc à ce qu'il ne se montre pas inutilement curieux avec la jeune femme tandis qu'elle sortait de la salle de bain, se contentant de lui indiquer où trouver de quoi se changer, persuader qu'elle prendrait ses aises avec la même facilité que celle qui l'avait poussée à entrer dans l'appartement sans clefs. « Tu sais que c'était facile de crocheter ta serrure Tom-Tom ? Si tu ne voulais pas que je rentre, il fallait faire un effort. » lui avait-elle d'ailleurs lancé l'air de rien, disparaissant à la chambre tandis que Tommy répondait entre inquiétude et résignation « J'vais me sentir beaucoup plus serein quand je laisserai Moïra toute seule pour aller bosser maintenant, j'te remercie. » Marquant une pause, le temps de déposer ses affaires sur la table et son blouson sur une chaise, il avait pincé ses lèvres d'un air dubitatif et questionné « Tu penses que je devrais installer un verrou ? » suffisamment fort pour qu'elle l'entende depuis la pièce voisine. Une deuxième serrure après tout, ce n'était peut-être pas une si mauvaise idée ... Il allait sérieusement y réfléchir.

Réapparaissant affublée du short qu'il lui avait désigné et de l'un de ses tee-shirts, quelques mèches de cheveux dégoulinant contre son dos, elle avait ramassé ses affaires e était venue s'installer en face de lui, visiblement bien trop obnubilée par la fortune qu'elle comptait à voix basse pour remarquer le regard interrogateur que son frère posait actuellement sur elle. « Partie de poker, c'est moi qui ai gagné. » Elle n'était pas sa sœur pour rien, qu'on se le dise. Malgré tout une pointe d'appréhension venait de pincer son cœur, parce que le poker à lui cela n'avait pas toujours réussi ... ce n'était pas sans raison, que son contrôle judiciaire lui interdisait les jeux d'argent. « Tant que tu parviens à t'arrêter à temps ... » n'avait-il pas pu s'empêcher de murmurer, avant de reprendre d'un ton plus affirmé « J'espère que tu leur as au moins laissé leurs yeux pour pleurer ? » Sourire narquois en prime, il avait imité sa cadette et s'était emparé d'un donut avec la même ferveur que s'il n'avait pas mangé depuis trois jours. « Au fait ... Si on te pose la question, je ne suis pas là, je suis censée être en cours comme une adulte responsable. Mais on va dire que je ne suis pas douée dans ce rôle-là. Et puis c'était un long week-end, donc Beth peut bien me lâcher la grappe. » Laissant échapper un léger rire tandis que Scarlett terminait ce qu'elle avait dans la bouche, il avait bu une gorgée de café avant d'assurer « Je serais muet comme une tombe. Mais tu sais si vraiment ça ne te plait pas, tu peux toujours chercher autre chose ... N'en déplaise aux désirs de control freak de Beth. » Il n'était pas en train de lui suggérer d'abandonner purement et simplement ses études, il était persuadé que s'il le faisait cela lui retomberait encore une fois dessus, mais il ne trouvait pas nonplus judicieux de s'enfermer dans des études pour lesquelles elle n'avait aucun attrait.

Microbe miaulait à la fenêtre du balcon, comme souvent, et bien que tenté un instant d'ignorer ce "satané chat" errant qui avait adopté Tommy bien plus que lui ne l'avait adopté (du moins c'était ce que Tommy voulait faire croire) il avait fini par se lever pour lui ouvrir la porte et le laisser déhancher gracieusement jusqu'à la gamelle de croquettes laissée dans un coin de la cuisine. « Et toi ? Comment va Moïra ? » Retournant s'asseoir et saisissant à nouveauson café, le brun avait haussé les épaules avec une sorte de résignation légère « Toujours aussi motivée à aller à l'école le matin, ça au moins on est certain qu'elle le tient de sa mère et non pas de moi. » Parce que ce n'était pas arrivé en grandissant, d'aussi loin que Tomly se souvienne il avait toujours préféré l'école buissonnière, que ce soit pour aller faire du vélo, observer les femmes en bikini sur la plage, boire un coup ou compter fleurette, suivant les âges et les périodes. « Maman lui a mis dans la tête qu'elle devait s'inscrire au catéchisme, elle manque vraiment pas de culot. » La religion n'était pas la tasse de thé de Tommy - des messes où leurs parents les traînaient parfois plus jeunes il ne se rappelait que de l'ennui mortel et de son ventre qui gargouillait en attendant le repas - pas plus qu'elle n'était celle de la mère de Moïra, aussi le brun n'appréciait pas que ses parents profitent qu'il ait le dos tourné pour remplir la tête de leur petite-fille de ce qu'il considérait comme des balivernes.

"Tu sais que je te taquinais... t'inquiète pas pour la sécurité de ton appartement." dit Scarlett en haussant les épaules. Ce n'était visiblement pas le genre de blague à faire devant Tommy, quoi qu'elle comprenait, un autre être humain dépendait à cent pour cent de lui. Il devait donc être plus que vigilant. Une autre responsabilité supplémentaire, Scar adorait être tante mais elle se souvenait d'une époque où les choses étaient beaucoup plus simples et où son grand frère avait beaucoup moins d'attaches et qu'il faisait moins adulte. Est-ce que ce Tommy là lui manquait ? Dans un sens oui. Mais Scarlett avait assez de jugeote pour ne pas avoir de regrets, et puis à quoi bon ?  Ce n'était pas vraiment comme si elle pouvait retourner en arrière et faire en sorte qu'il ne se retrouve jamais en prison. Non, ce genre de souhait ou même de pensées était complètement inutilse. Scarlett s'étira donc comme un chat pour penser à autre chose et termina son donut pour en attraper un autre qui risquait de disparaitre aussi rapidement que le précédent. Elle n'aimait pas particulièrement trainer Tommy dans les disputes qu'elle avait avec le reste de la famille, déjà parce que tous semblait s'accorder pour dire qu'il avait une mauvaise influence sur elle alors qu'elle avait toujours été en mesure de prendre ses propres décisions. Si Tommy était quelque chose dans la vie de Scarlett c'était une constance, un point d'ancrage, une chose dont elle avait toujours eu besoin, elle qui flottait en permanence. Et plus d'une fois, il avait cherché à la raisonner, pas en imposant sa propre façon de penser comme certaines personnes de cette famille. "Si je pouvais vraiment faire ce que je voulais, la vie serait plus simple, et puis... j'ai un boulot, pas du genre qui plairait à Beth, mais ça paye les factures et ça me nourrit, qu'est-ce qui lui faut de plus ?"

Scarlett haussa les épaules, elle aurait adoré élaborer plus mais elle savait que même Tommy n'était pas si tolérant. Elle lui dirait probablement... un jour. Dans le fond, Scarlett ne voulait pas le décevoir, elle savait qu'il la sermonnerait, après tout c'était plus que mérité, mais revendre de la drogue n'était pas la pire chose selon la brune. Si jamais il osait s'aventurait sur les sites où elle faisait la plupart de son business et avouons-le, de son chiffre d'affaire, elle ne serait meme plus en mesure de le regarder en face. Ça, elle le savait. Donc au lieu de lui mentir, chose qu'elle aurait détesté faire, elle préférait ne pas tout lui dire, c'était plus simple comme ça. Plus simple pour elle, certes, mais ce n'était qu'un petit détail. La conversation ne resta pas focalisée sur elle très longtemps et Scarlett fit une grimace aux derniers mots de son frère. "Ew mon dieu, après on se demande pourquoi je ne passe plus à la maison le dimanche." Cela faisait près de deux mois qu'elle n'avait pas vu ses parents et ce n'était pas une perte selon Scarlett. À quoi bon de toute façon ? Pour leur dire que non, elle n'avait toujours pas trouvé de vrai métier, non, elle ne comptait pas les accompagner à la messe et que non, elle n'avait personne à leur présenter. Scarlett le savait que sur le plan de la réussite, elle échouait selon les critères de Miss et Mr Warren, elle était l'enfant raté, elle l'avait accepté depuis longtemps. Si eux aussi pouvait le faire, elle en serait éternellement reconnaissante. "Explique juste à Moira que c'est à elle de choisir si elle veut vraiment en apprendre plus sur jésus et tous ses potes chevelus. Il ne faut pas que vous la forciez dans un sens ou dans un autre." Scar hocha la tête, c'était toujours ça qui l'avait énervée dans la foi de ses parents, le fait qu'ils étaient incapable d'accepter un autre point de vue ou de se remettre en question. "On aurait pu penser qu'ils auraient retenu la leçon avec moi. Si un jour j'ai des enfants, ils ne rencontreront jamais leur grand parents, ça c'est certain." Et sur ce point, la brune était catégorique.

Personne ne serait surpris d'apprendre que Tommy n'approuvait pas la pression incessante que Beth mettait sur les épaules de Scarlett, comme si elle essayait ainsi de compenser le ratage de sa méthode auprès de Tommy, exemple parmi les exemples de ce qu'il ne fallait pas faire pour se faire accepter des Warren et de leur esprit obtus. Quelque part la benjamine payait un peu les pots cassés par Tommy, et pour cette raison le brun avait toujours un peu de culpabilité lorsque sa petite soeur se morfondait quant à ses cours, ou ses relations avec la plus âgée de leurs soeurs. Même s'il lui connaissait aussi un caractère suffisamment bien trempé pour ne pas se laisser faire si elle n'en avait véritablement pas envie. « Si je pouvais vraiment faire ce que je voulais, la vie serait plus simple, et puis ... j'ai un boulot, pas du genre qui plairait à Beth, mais ça paye les factures et ça me nourrit, qu'est-ce qui lui faut de plus ? » Ça, c'était bien la question à trois mille dollars, et avalant une gorgée de son café Tommy avait haussé les épaules, avec l'air résigné de celui qui ne cherchait plus à comprendre ou à tenter de faire valoir son point de vue. Il avait toujours tort à ce sujet, paraît-il. « La fille est presque aussi insatisfaite chronique que la mère, qu'est-ce que tu veux ... Regarde moi, ça a été la fin du monde quand elles ont appris que j'avais perdu mon boulot, et elles ont préféré ne retenir que ça plutôt que le fait que j'en ai retrouvé un autre. » Et dieu sait pourtant que Tommy n'avait pas fait le malin lors de sa brève période de chômage, s'imaginant pratiquement déjà leurs parents sauter sur l'occasion de s'accaparer Moïra, peut-être même déjà le téléphone dans une main pour appeler Marius et le prévenir que c'était le moment ou jamais pour lui de tenter d'en obtenir la garde. « J'sais bien que je devrais pas te dire ça ... mais on s'en fout, de l'avis de Beth. C'est ta vie, c'est toi qui décide. Franchement, Beth te donne l'impression d'être quelqu'un d'épanoui et d'équilibré ? » Probablement pas, elle était bien trop dans le contrôle permanent, et lâcher prise une fois dans sa vie ne lui ferait probablement pas de mal. Et la pousserait peut-être à cesser de couver le reste de ses frères et sœurs comme une mère de substitution. C'en était presque étonnant que Beth et leur mère ne se prennent pas le bec plus souvent.

Et puisqu'ils en étaient à parler de leur mère, Tommy n'avait pas su résister au besoin de confier à quelqu'un sa frustration concernant l'éducation que Warren Mère semblait vouloir apporter à sa petite-fille sans même juger utile de se poser la question de savoir si Tommy, lui, était d'accord. Parce qu'à coup sûr elle devait imaginer ses principes d'éducation comme parole d'évangile, dont Tommy avait fait l'erreur de s'affranchir et pour lesquels il devrait au moins avoir la présence d'esprit de ne pas priver sa progéniture. « Ew mon dieu, après on se demande pourquoi je ne passe plus à la maison le dimanche. » La réflexion, autant que l'expression sur le visage de sa soeur, avaient arrachés à Tommy un léger rire, après quoi il avait terminé son gobelet de café tandis que Scarlett reprenait avec un brin de sérieux « Explique juste à Moira que c'est à elle de choisir si elle veut vraiment en apprendre plus sur jésus et tous ses potes chevelus. Il ne faut pas que vous la forciez dans un sens ou dans un autre. » Le brun avait affiché un air légèrement dubitatif, légèrement surpris par la sagesse dont faisait preuve sa cadette dans sa réponse, quand lui n'était en réalité pas entièrement certain de vouloir se montrer si conciliant « Depuis quand tu fais preuve d'autant de sagesse, toi ? » avait-il néanmoins demandé d'un ton amusé, le bout de son index allant titiller le bout du nez de la jeune femme. « Mais je suppose que tu as raison. C'est juste que ... Alice était assez réfractaire à tout ce qui était religion. Et je ne sais pas si j'ai envie que quelqu'un bourre le crâne de Moïra de sornettes à base de "si tu n'es pas obéissante tu iras en enfer". » Bon, il exagérait sans doute un petit peu, l'esprit biaisé par ses propres souvenirs de dimanches à l'église interminables et de sermons du pasteur lui donnant l'impression d'être totalement incapable d'être quelqu'un de "bien" au sens où l'assemblée l'entendait. « On aurait pu penser qu'ils auraient retenu la leçon avec moi. Si un jour j'ai des enfants, ils ne rencontreront jamais leur grand parents, ça c'est certain. » Ce n'était pas Tommy qui lui jetterait la pierre ou tenterait de l'en dissuader. Il prenait sur lui désormais parce que Marius avait habitué Moïra à côtoyer le reste des Warren, et qu'il ne se voyait plus l'en priver, mais sans la disparition d'Alice Scarlett serait probablement restée la seule des Warren que Tommy aurait laissé approcher de son schéma familial canadien.

Se levant un instant, il était allé récupérer le paquet de cigarettes qu'il gardait dans la poche intérieur de son blouson, ainsi que son briquet, et revenant s'asseoir à sa place il avait tendu le paquet ouvert à sa soeur pour lui en proposer une. Il devait arrêter de fumer, il n'arrêtait pas de se dire qu'il fallait qu'il cesse, mais cela ne durait jamais plus de trois ou quatre jours. Faute de mieux, il se contentait donc d'éviter de fumer lorsque Moïra était dans l'appartement. « Tu sais ce qui est le pire ? Y'a eu un bref moment d'égoïsme où je me suis dit que ça serait elle, ma seule réussite à leurs yeux ... que même s'ils ne me prendraient jamais au sérieux pour le reste je leur aurait apporté leur premier petit-enfant. » Un rictus amer s'était dessiné sur ses lèvres, tant énoncé à voix haute cela lu semblait soudainement particulièrement stupide. « Mais je crois que faut qu'on se fasse à l'idée que quoi qu'on fasse, Marius, Beth et Meg l'auraient probablement fait mieux que nous. » Il n'arrivait même plus à s'en agacer, et finissait presque par se résigner. Reposant le briquet sur la table, il avait néanmoins retrouvé un semblant de sourire et demandé « Tu leur présenterais quand même leur oncle Tom-Tom ? »  d'un ton taquin.

« Encore une fois Tommy, si tu te soucies de l’opinion de papa et maman maintenant… c’est qu’il faut te poser de sérieuses questions. » dit tout simplement Scarlett en s’emparant de la cigarette qu’il lui tendait. La brune s’était fait une raison depuis longtemps, contenter ses géniteurs relevait de l’impossible et il était effrayant d’essayer de marcher dans le chemin tout tracé de ses ainés. Les empreintes étaient bien trop grandes, et elle ne faisait que se perdre, à tout copier coller et à croire que cela pouvait lui convenir. Elle avait essayé, pendant les dix premières années de sa vie, de se plier au modèle traditionnelle. D’être sage, d’écouter les conseils et les directives de tout le monde, d’aller à l’église, de ranger sa chambre et de rapporter des bonnes notes. Parce que c’était tout ce que tout le monde faisait alors bien entendu, c’était ce qu’il fallait faire. Sauf que les choses ne fonctionnaient pas ici et confronter à la réalité de sa propre personne, Scarlett s’était faite violence. Littéralement, elle avait préféré rentrer dans le mur, à plusieurs reprises, essayant de faire comprendre aux personnes de son entourage que ça ce n’était tout simplement pas elle. Dans le fond, ses crises et ses fugues n'avaient été que des appels au secours... Car elle ne pouvait pas croire en Dieu; s’en remettre à une entité invisible n’était tout simplement pas pour elle, tout ce qu’elle ne pouvait pas voir ou toucher n’existait tout simplement pas. L’école avait été un vrai calvaire pour elle, les heures de cours ressemblaient à des heures de punition où on la martelait d’un savoir immense qui ne lui servirait de toute façon à rien quand on y pensait. Qui avait besoin de savoir comment calculer des intégrales dans la vie de tous les jours ? Non, Scarlett avait toujours vu et accepté la vie pour ce qu’elle était. Quelque chose de tragique, d’éphémère et elle avait bien compris que cela ne servait à rien de se voiler la face et d’essayer de donner du sens quand tout pouvait finir en fumer comme ça, d’un simple claquement de doigt. En pensant de cette manière, on enlevait l’urgence de toutes les situations et on supprimait tous les soucis. « On se moque bien de ce qu’ils peuvent penser non ? » ajouta Scarlett en allumant sa cigarette et en observant Tommy faire de même. Le brun ne pourrait jamais penser comme elle, il ne pourrait jamais concevoir que rien n’avait de sens et qu’ils fonçaient tous dans le même mur, certains plus rapidement que d’autre, non, il avait une petite à élever et à émerveiller. Faire réaliser la superficialité de tout à Moïra aussi tôt aurait été bien cruel, autant la laisser profiter n’est-ce pas ? « Et je t’interdis de mettre toute cette pression sur ma nièce préférée d’abord. Elle est parfaite et toi aussi, celui qui dit le contraire, tu me l’envoies et je lui mets une droite bien placée tout simplement et le problème sera réglé. » Le ton de Scar était catégorique et elle eut un léger rire en s’imaginant défendre son grand frère et sa nièce contre les tracas du quotidien. Ça lui plaisait bien comme rôle. Apres tout, Scarlett était la mieux placée pour ne pas du tout accorder la moindre importance à tous les problèmes du quotidien, elle était connue pour. C’était bien pour ça qu’envisager un futur… non, ça ne lui correspondait pas, et s’imaginer avec un gros ventre et un petit être qui grandissait à l’intérieur d’elle… C’était juste un cauchemar. Jamais elle ne pourrait franchir cette étape. « Non mais tu m’imagines moi ? Enceinte… arrête tes bêtises ce n’est vraiment pas prêt d’arriver. » Déjà, se retint-elle d’ajouter, elle était incapable de rester sobre pendant neuf mois, ensuite, elle n’était vraiment pas équipée pour s’occuper d’une seule personne alors un autre être humain avec ses propres désirs et ses envies ? C’était la crise de nerfs assurée. « La partie conception aucun problème là dessus, mais tu oublies que je suis un repousse mec. Les filles avec un peu de jugeote ça leur fait peur. »

Parfois Tommy se donnait bonne conscience en se disant qu'il n'avait pas conservé les addictions les plus handicapantes, ou les plus dérangeantes. La cigarette et les boissons sucrées ce n'était pas bien méchant, en fin de compte ... Le pire qu'il puisse risquer était de finir avec du diabète ou un cancer du poumon, bon. Pas qu'il en rêve, mais certains parvenaient à fumer comme des pompiers toute leur vie et à mourir à un âge vénérable, alors le brun se disait qu'il n'y avait pas de raison de ne pas pouvoir y arriver ... Il était à peu près certain d'être déjà considéré comme ce genre de types dont on parvenait à se débarrasser encore plus difficilement que les mauvaises herbes dans un jardin. « Encore une fois Tommy, si tu te soucies de l’opinion de papa et maman maintenant … c’est qu’il faut te poser de sérieuses questions. On se moque bien de ce qu’ils peuvent penser non ? » Scarlett avait raison. En théorie, elle avait raison. Et Tommy était le premier à se désoler de commencer à flancher à ce sujet, non pas parce que porté par un soudain sens de la famille - c'était tout le contraire - mais parce qu'il ne voulait pas se sentir égoïstement responsable du fait que Moïra, elle, se retrouve la victime indirecte de son incapacité à entretenir des relations équilibrées avec le reste des Warren. Si ce n'était pas pour Moïra la question ne se poserait même pas. « Et je t’interdis de mettre toute cette pression sur ma nièce préférée d’abord. Elle est parfaite et toi aussi, celui qui dit le contraire, tu me l’envoies et je lui mets une droite bien placée tout simplement et le problème sera réglé. » Cédant pour de bon au ton taquin de sa sœur, Tommy avait laissé échapper un léger rire en même temps que la volute de fumée qui avait quitté sa bouche. « Cette fois il n'y aucun doute, j'ai eu une très trèèès mauvaise influence sur toi, jeune fille. » Ce qui dans la bouche des autres Warren aurait sonné comme un fait dont il fallait se désoler, ou tout au mieux une fatalité, dans la bouche de Tommy cela ne sonnait que comme une boutade pleine de la moquerie que lui inspirait cette accusation. Tommy ne pensait pas avoir influencé Scarlett à autre chose qu'à se détacher de la manière de faire trop bienpensante de leur famille, et de cela il ne se sentait pas devoir s'excuser.

Incapable pourtant de déceler le possible fond de vérité dans les paroles de sa cadette, tandis qu'elle évoquait de possible enfants dont elle serait la mère un jour, Tommy s'était engouffré dans la brèche presque avec curiosité. Il se demandait si cela faisait partie de ces choses qui avaient changé, durant les années d'éloignement qui avaient fatalement changé la dynamique de leur relation ... Parfois il oubliait que Scarlett n'était plus un bébé, et que sa petite sœur était une adulte à part entière. « Non mais tu m’imagines moi ? Enceinte … arrête tes bêtises ce n’est vraiment pas prêt d’arriver. » Vraiment ? « La partie conception aucun problème là dessus, mais tu oublies que je suis un repousse mec. Les filles avec un peu de jugeote ça leur fait peur. » Laissant échapper un nouveau rire, sa cigarette coincée entre ses lèvres partiellement gercées, il avait cessé de s'amuser avec le briquet dont il faisait jaillir la flamme depuis quelques instants « Ça nous enlève notre confiance en nous, cette impression de ne plus être les seuls à posséder un cerveau avec des neurones en état de fonctionner. » avait-il alors ironisé, non sans s'avouer qu'un fond de vérité subsistait peut-être dans cette boutade ; La confiance masculine s'ébranlait aisément, en fin de compte. « Mais bon, tout ce que je dis c'est que je suis passé expert en ce qui concerne le mode "panique automatique" lié à l'idée d'engendrer une quelconque descendance, alors si ça devait arriver un jour ... Je serais de ton côté, quoi qu'il arrive. » Il se sentait bête. Comme à chaque fois qu'il était question de faire état de ses sentiments ou de son attachement, d'ailleurs, et que sa petite soeur soit après Moïra la seconde prunelle de ses yeux n'y changeait rien. Finalement, après plusieurs secondes d'un silence durant lequel il était resté pensif, le brun avait pincé ses lèvres et questionné avec une pointe d'hésitation « T'as déjà songé à quitter Brisbane ? Pour de bon, j'veux dire. » Peut-être pas ... peut-être que malgré les autres Warren Scarlett se sentait à sa place, ici. « Parfois j'ai l'impression que cette ville ne veut pas de nous. » À moins que ce ne soit que de lui dont Brisbane ne voulait pas, et qu'il soit en train d'y intégrer injustement sa sœur.

Si Tommy commençait à l'imaginer en couple, pas de doute qu'il s'était trompé de soeur. Et pas qu'un peu. Elle n'était pas Meg, elle n'avait pas des rêves et des idées bien reçues plein la tête. Scar était un minimum réaliste, savait comment étaient les hommes la nuit et comment ils se comportaient le jour, une fois qu'ils avaient obtenue ce qu'ils voulaient le plus au monde. Dénier la réalité c'était juste stupide... tout aussi stupide que de s'enfermer dans une petite routine d'ailleurs mais Scarlett n'avait pas encore épuisé toutes ses cartes pour se considérer comme coincée.« Tu m'en poses des questions aujourd'hui, pour un peu et on pourrait presque te confondre avec Beth... presque. » dit-il enfin dans un nuage de fumée, pas habituée à autant de questions. Non pas que cela la dérange vraiment, c'était Tommy qui demandait, les choses auraient pu être bien différentes avec un autre membre du clan des Warren. Déjà, quelqu'un l'aurait déjà réprimandé sur sa façon de se tenir, ou alors sa cigarette au coin de ses lèvres et pas de doute qu'aucun n'aurait été aussi tolérant que Tommy en voyant Scarlett envahir leur appartement et ce avec une facilité déconcertante. Il parlait de quitter Brisbane et la brune se retint de lui demander s'il songeait partir encore une fois. Le voir quitter le continent avait été suffisamment douloureux par le passé et là encore, ce n'était pas forcément quelque chose que Scarlett était prête à admettre à voix haute. Elle l'avait toujorus dans ses choix, comme lui-meme l'avait fait et elle savait qu'elle serait la dernière personne à le juger. Mais elle partir pour de bon ? Non jamais. « J'en sais rien, ça me fait toujours bizarre de quitter Brisbane... j'ai essayé quand tu n'étais pas là. » Scarlett faisait référence à la brève période qu'elle avait passé à Melbourne quand Tommy se trouvait encore au Canada. Elle avait eu besoin de changer d'air et de s'éloigner de tout, comme à son habitude, elle n'avait prévenu personne, elle était partie du jour au lendemain, avec juste un sac sur les épaules et c'était avec beaucoup moins qu'elle était revenue à Brisbane. Rien de bien particulier lui était arrivé à Melbourne, elle s'était contentée de suivre les personnes qui partagaient sa vie à l'époque, se disant que c'était une bonne idée. Elle avait trouvé un boulot dans un fast food miteux et toutes les semaines elle dépensait sa paye au seul bar qui servait de la tequila décente et en s'oubliant dans les bras de celle ou de celui qui pouvait bien la supporter. Rien de plus, rien de moins. À Brisbane ou ailleurs, Scarlett vivait toujours de la même manière et elle vivait à petit feu. Ou alors de manière trop vive et attendait... attendait sagement qu'on vienne l'éteindre, si quelqu'un était en mesure de faire ça. « Mais je finis toujours pas revenir ici. » conclut la brune en tirant une nouvelle fois sur sa cigarette. Elle ne disait pas ça sur un ton défaitiste ou quoi que ce soit, si elle revenait toujours à Brisbane c'était bien qu'elle y était heureuse donc pourquoi chercher plus loin ? « La plupart des gens naissent et meurent au même endroit, et ils ne se passent rien de spectaculaire entre les deux moments, je ne vois pas pourquoi est-ce que ma vie devrait avoir un sens particulier... » Scarlett eut un autre haussement d'épaules avant de s'affaler encore une fois sur la table de Tommy. Ils avaient rarement ce genre de conversation et Scarlett ne savait pas pourquoi mais elle se sentait totalement vidée. Peut-être parce qu'elle venait d'admettre à la personne qui comptait le plus pour elle qu'elle n'avait pas vraiment de plans d'avenir et qu'elle s'en moquait ? Ça devait être ça... « Voilà que je me retrouve à philosopher, c'est sur, il va me falloir quelque chose de plus consistant que tes donuts pour m'aider à soigner ma gueule de bois. »  Scarletr se releva d'un simple coup, sa décision prise aussi instamment que possible et elle sortit les billets qu'elle avait fourré plus tôt dans sa poche, un grand sourire sur le visage.« Allez viens je t'invite. J'ai... au moins cent bonnes raison de t'inviter.»