«You, shimmy shook my bone, leaving me stranded all in love on my own. What do you think of me? Where am I now? Baby where do I sleep?»
Etait-ce un rêve qui s’annonçait ou l’un de ces cauchemars dont on se rappelait de tout dans les moindres détails? Il n’en savait rien et il ne savait pas s’il désirait réellement le savoir. Il ne savait pas s’il devait faire ces quelques pas pour se retrouver à côté d’elle, ces quelques pas qui lui permettraient de lui adresser la parole. Il était figé au bout de ce rayon tandis qu’elle avait le regard posé sur un emballage qu’elle tenait entre ses mains. Il savait qu’elle finirait par le voir, il savait qu’il finirait par devoir lui parler mais est-ce qu’aujourd’hui était le jour pour ça? Il n’était de retour à Brisbane que depuis quelques semaines et il ne s’était pas encore demandé de quelle manière il tenterait de la contacter. Il ne pouvait pas se présenter chez eux… ou plutôt chez elle. Isaac y serait sûrement et il ne comptait pas commettre la moindre erreur, il ne pouvait de toute façon pas se le permettre. Son psychologue avait été clair dès le début, la moindre faute ne ferait que retarder l’échéance, il devrait en assumer les conséquences. Après tout, ce n’est pas comme s’il ne les assumait pas depuis un an, entre le divorce qu’il n’avait pas eu le choix d’accepter, la pension qu’il versait, la peine de prison qu’il avait décidé de s’infliger, il ne faisait rien pour les fuir… ou du moins, depuis qu’il était revenu en Australie après avoir tenté de s'oublier à Londres.
Sortant de ses pensées lorsqu’une vieille femme lui demanda de se pousser afin qu’elle puisse passer, il se recula sans pour autant détacher son regard de cette femme dans le rayon. Il souriait. Un an sans l’avoir vue, sans l’avoir entendue, un an sans elle. Il y avait beaucoup de choses qui se passaient en lui, mais l’envie de sourire était son seul désire à ce moment, parce qu’il y avait des choses qui ne changeaient pas. Pas en l’espace d’une année, pas même après ce qu’il s’était passé. Les erreurs commises n’influaient en rien sur ce qu’il pouvait éprouver pour elle, il savait que lorsqu’il la reverrait, certaines choses n’auraient pas changé. Il ne voulait pas se le reprocher même s’il savait qu’il aurait du se faire une raison. Les mauvais moments étaient ceux qu’elle retiendrait en le revoyant, tandis que lui préférerait se rappeler des bons en la voyant là, à juste quelques mètres. Il aurait très bien pu en rester là, profiter de la regarder encore quelques secondes avant de passer son chemin et de rentrer. Il aurait pu et sûrement qu’il aurait du le faire, mais il n’avait fait que fuir jusqu’à aujourd’hui, il était temps d’affronter la réalité des choses, quitte à ce qu’elle fasse ressurgir tout ce qu’il avait enfui pour pouvoir dessiner ce sourire sur ses lèvres.
C’est en l'observant déposer l’emballage dans le rayon et en levant le regard vers quelque chose situé au-dessus d’elle qu’il se décida à faire un pas, suivi d’autres. Au fur et à mesure qu’il s’approchait, il entendait en lui cette voix qui lui disait de faire marche arrière, cette foutue voix qui le connaissait bien trop mais encore une fois, il décidait d’aller à l’encontre de ce qu’elle disait. Seulement cette fois c’était différent et lorsqu’il aperçut Nina se hisser sur la pointe de ses pieds pour tirer sur un carton d’aliments, il en vit deux autres venir avec… «Fais attention!» Il déposa par-terre le panier qu’il tenait dans sa main et allongea sa foulée pour se retrouver aux côtés de celle qui était son ex-femme, les mains posées sur les deux cartons qui avaient menacé de tomber en même temps que celui qu’elle désirait «Apparemment avec toi, il y a des choses qui ne changent pas avec le temps.» Son regard glissa alors sur celui de cette femme avec qui il avait vécu pendant des années, il y resta quelques secondes avant de se rendre compte que le sourire qu’il avait aux lèvres en s’élançant dans ce rayon avait disparu. S’il pensait que cette piqûre de rappel sur sa maladresse était la chose à dire, il en était soudainement moins sûr. Ses yeux se posèrent alors sur le carton qu’elle tenait entre les mains, incapable de la regarder droit dans les yeux une seconde de plus. S’il n’avait pas réfléchi à comment il s’y prendrait pour lui parler, il se rendait compte que de l’accoster de pareille façon dans ce centre-commercial ne faisait pas partie des meilleures. Encore une fois, peut-être que j’aurais dû écouter cette voix au lieu de n’en faire qu’à ma tête…
Made by Neon Demon
Dernière édition par Theodore Laurens le Lun 3 Oct 2016 - 6:18, édité 1 fois
« Isn't it strange how a life can be changed ? In the flicker of the sweetest smile, we were married in spring. You know I wouldn't change a thing without that innocent kiss, what a life I'd have missed. »
Un an. Trois-cent soixante cinq jours. Cinquante-deux semaines depuis l’acte formel du juge. Depuis ma libération… Ou plutôt une année entière qui s’était écoulée et pendant laquelle le trou béant formé dans ma poitrine n’avait cessé de prendre de l’ampleur. C’est très dur une rupture. Elle vous prend, vous envoie valser dans les quatre coins de la pièce, vous submerge jusqu’à presque vous noyer, puis vous sort la tête de l’eau pour vous incendier par la suite. Les éléments se déchaînent, les saisons défilent, les interminables minutes s’égrènent tous les soirs avant de s’endormir, seule dans un immense lit vide, un bateau à la dérive dans une nuit noire. Tous les soirs. Mon quotidien est loin d’être meilleur. Il est dénué de violence, certes, mais il est d’une paix presque inquiétante. Ou plutôt d’une solitude impossible à parer. J’ai mon fils, que j’aime bien évidemment par-delà toutes les frontières, j’ai ma famille, mes amis, une psychologue qui me sert parfois aussi, et un chien que j’ai adopté il y a quelques mois… Mais malgré ça, je suis seule. La reconstruction s’avère bien plus complexe que ce que j’avais imaginé. Il m’arrive de sortir lorsque je ne suis pas de garde et que ma baby-sitter est disponible. La plupart du temps avec Ian et ses amis. Je m’amuse, souvent avec quelques bières pour me rappeler mes jeunes années, et puis je rentre dans ma grande maison et je me sens vide. Et puis il y a eu les rencards. Des rendez-vous bidons, arrangés de toutes pièces par toutes ces personnes qui veulent me revoir heureuse. Mais rien n’y a fait : je suis méfiante, blasée, fermée comme une huître. Je ne sais pas vraiment dire si j’ai peur ou si je n’ai tout simplement plus envie d’être aimée, ou même désirée. Je suis une coquille vide et brisée. Mais je cache tout cela derrière des sourires, des rires, des blagues maladroites, des accouchements maitrisés, des câlins et des histoires avant d’aller se coucher. Je le cache plutôt bien, mais à l’intérieur je vis un enfer. « Heu… ma p’tite dame, je sais pas si vous le voyez, mais y a une file de gens qui vous insultent là derrière. J’dis ça j’dis rien ! » Je secoue la tête et plonge mon regard dans celui de mon interlocuteur : un piéton attendant que le feu devienne vert pour traverser. Mes yeux jonglent dans tous les sens, et je me vois dès lors obligée de mettre les gaz pour déguerpir et échapper aux quolibets des conducteurs derrière moi. Mes pensées me perdront, je le sais. Je finis alors par arriver dans le grand parking du supermarché, où je gare maladroitement ma Volvo. Je pousse nonchalamment mon caddie dans l’entrée et regarde ensuite ma montre. J’ai exactement quarante-cinq minutes avant que Leah ne ramène Isaac de l’école, et je dois avoir préparé un semblant de goûter entre temps. Je soupire et me lance alors dans le remplissage de mon caddie, une corvée dont je me passerai volontiers mais que mes obligations de mère modèle (et pro-bio) m’empêchent de faire. J’attrape les premières victuailles sans vraiment faire attention au monde qui m’entoure, concentrée dans la tâche qui m’incombe, et j’atterris ensuite dans le rayon des conserves. Le léger obstacle du jour réside dans une boîte de concentré de tomate, coincée dans un carton éloigné, au plus haut de l’étalage. Je me hisse alors sur la pointe des pieds, persuadée de pouvoir mener à bien ma mission. « Fais attention ! » Une voix bien trop familière, des mains qui rattrapent le fameux carton et je manque de tomber à la renverse une nouvelle fois en découvrant l’identité de mon sauveur. « Apparemment avec toi, il y a des choses qui ne changent pas avec le temps. » ironise-t-il en plongeant son regard dans le mien. Le carton en main, je recule, d’un pas, de deux pour finir par buter contre mon caddie, où je dépose fébrilement la boîte de concentré de tomate. Je ne sais pas vraiment que faire du reste du carton, alors je le dépose sur l’étagère, les bras tremblants. Mon regard se durcit, mes pupilles se dilatent, et je finis par marmonner à l’attention de mon ex-mari : « J’aurais préféré que tu laisses le carton me tomber dessus. » Rancunière, moi ?
«You, shimmy shook my bone, leaving me stranded all in love on my own. What do you think of me? Where am I now? Baby where do I sleep?»
Un pas suivi d’autres, un pas qui en avait dit long. Si son regard avait pu s’attarder sur celui de son ex-femme, son sourire avait disparu presque aussitôt. Pourquoi? Parce qu’il avait l’impression de revoir la même femme qu’il y a une année lorsqu’ils s’étaient vus face au juge, une femme peu rassurée, une femme qui avait cherché à mettre une distance entre eux afin qu’il ne puisse l’atteindre. Ça faisait mal, ça vous prenait au plus profond de vous-même et venait vous arracher quelque chose en vous, quelque chose que vous pensiez avoir perdu mais qui existait encore. La voir agir ainsi ne lui rappelait pas la celle qu’il avait épousée, qui avait un tempérament à tenir tête, à vous regarder droit dans les yeux sans montrer le moindre signe de faiblesse car elle était forte. Elle avait été forte jusqu’à ce qu’il ne vienne la détruire, la rendant alors toujours un peu plus vulnérable et qu’elle n’ose même plus se défendre. Ses bras tremblant au moment où elle avait déposé le carton était un autre signe parmi tant d’autres, car ça n’allait pas être le dernier. Il allait devoir prendre sur lui, accepter le fait que tout ce qu’il s’était passé jusqu’à aujourd’hui et qu’il se passerait ensuite serait de sa faute. Il était prêt à l’assumer mais il se rendait compte désormais de la difficulté de la tâche, que les remords qu’il avait eus jusqu’ici ne seraient rien à côté de ce qu’elle pourrait lui montrer en se tenant simplement devant lui. «J’aurais préféré que tu laisses le carton me tomber dessus.» Ça en disait long, il aurait pu en sourire mais il n’en avait pas vraiment l’envie et certainement qu’elle non plus. «Je n’en doute pas…» s’était-il contenté de lui répondre à mi-voix, faisant quelques pas en arrière pour attraper le panier qu’il avait laissé par-terre, avant de se rapprocher à nouveau de Nina et de son caddie sans pour autant chercher à réduire la distance qu’elle avait mise entre eux.
Silencieux, il avait l’impression que les secondes étaient en train de défiler mais il n’en était rien. Il pensait juste à énormément de choses en la voyant, autant aux bonnes qu’aux mauvaises, mais en aucun cas il n’essayait de trouver ce qu’il allait pouvoir lui dire car il en était incapable… jusqu’à ce qu’un coup de pouce n’arrive à leur hauteur, un jeune garçon d’environ sept ou huit ans qui suivait ses parents. Le regard un peu plus sombre, il reporta son attention sur celle qu’il aurait aimé retrouver contre lui plutôt qu’à un bon mètre. «Je ne sais pas si le juge t’a appelé mais je suis en train de faire le nécessaire pour lever l’interdiction qui ne me permet pas de voir Isaac» lâcha-t-il d’une voix calme même si en lui, c’était beaucoup de colère et beaucoup de douleurs qui se percutaient. Cependant il n’en voulait pas à Nina, il comprenait sa décision, tout père qui aimait son fils se devait de comprendre qu’une mère voulait protéger son enfant. Au fond de lui, il aimait à se dire que si elle l’avait privé de voir son fils, c’était aussi pour qu’il réagisse, pour qu’il fasse les efforts nécessaires afin de retrouver une certaine stabilité dans sa manière d’être. Peut-être qu’il se trompait, mais ça faisait partie du peu de choses qui lui permettaient de croire que son ex-femme cherchait aussi à ce qu’il redevienne l’homme qu’elle avait épousé. Malgré tout, la situation était trop inconfortable pour qu’il puisse se sentir à l’aise et ça n’allait pas changer de sitôt. «Mais t’en fais pas, ça va prendre du temps…» ajouta-t-il non pas pour la rassurer, mais pour se rappeler combien le chemin allait être long et ce petit face-à-face avec elle lui montrait déjà toute l’ampleur de la tâche. «… je ne cherche pas à précipiter les choses mais simplement à les faire comme il le faut. » Son regard s’était adouci, parce qu’il était sincère, il ne cherchait pas à mentir. Il ne comptait pas tricher pour pouvoir retrouver Isaac, il assumerait, il ferait ce qui lui serait demandé. Et j'ai déjà commencé pour tout te dire, car j'y tiens…
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Dernière édition par Theodore Laurens le Lun 3 Oct 2016 - 6:18, édité 1 fois
« Isn't it strange how a life can be changed ? In the flicker of the sweetest smile, we were married in spring. You know I wouldn't change a thing without that innocent kiss, what a life I'd have missed. »
Mais qu’est-ce qu’il fiche ici ? Est-il revenu pour de bon ? Ou est-ce que ma tête me joue des tours, me poussant même à complètement halluciner ? Toutes ces questions se bousculent dans ma tête alors que mes membres se mettent à perdre le contrôle. La gravité est étrangement plus pesante, me poussant presque tout contre elle. Oui, c’est ça, j’ai envie de me terrer dans le sol, bien loin, pour échapper à lui, à l’emprise qu’il exerce toujours malgré lui, malgré moi. Je ne peux croire qu’il soit là, devant moi, en chair et en os. Je ne peux croire qu’il fasse ses courses, comme un homme lambda, ce genre d’homme qui rentrera surement chez lui, ses sacs de course en main, qui embrassera sa femme aimante et qui se fera aider par ses enfants qui jouaient gaiement dans le jardin quelques secondes auparavant. J’ai envie de crier au monde qu’il n’est pas cet homme, qu’il n’est qu’un monstre, qu’il ne mérite pas de voir la lumière du jour parce qu’il m’a plongé toute entière dans l’obscurité. Mais rien ne sort. Comme d’habitude. Sauf cette phrase d’une tristesse et d’une impuissance sans fin. « Je n’en doute pas… » me répond-il, dans un souffle, d’une voix penaude. Il s’abaisse ensuite pour attraper son panier et j’essaye de me donner une contenance, m’approchant à mon tour de mon caddie pour faire demi-tour le plus vite possible et m’en aller de ce maudit supermarché. Au diable le goûter, j’irai acheter une glace à Isaac. Un enfant s’approche d’ailleurs de moi, de nous, et nos regards se perdent avec mélancolie sur cet être qui semble banalement suivre ses parents. Il est sage, il me fait penser à mon fils et sans que je ne le comprenne, mon regard se pose à nouveau sur Theo. Ce dernier semble avoir la même réaction. « Je ne sais pas si le juge t’a appelé mais je suis en train de faire le nécessaire pour lever l’interdiction qui ne me permet pas de voir Isaac. » Mes yeux s’écarquillent et je sens ma bile remonter tout doucement dans mon estomac. Le calme de sa phrase, sa détermination à vouloir renouer avec notre enfant me laissent sans voix. « Mais t’en fais pas, ça va prendre du temps… » Chaque mot qu’il prononce m’assassine. «… je ne cherche pas à précipiter les choses mais simplement à les faire comme il le faut. » Le monde autour semble tourner au ralenti, les mots de Theo résonnent en écho dans les airs, suspendus, comme des couteaux prêts à m’assaillir. Et puis soudainement, mon regard se durcit, se remplit d’une encre noire. Tout me revient, tout ce malheur, cette rage, cette rancoeur. Je respire un grand coup et lâche alors d’un air sec : « Non, je ne suis pas au courant. Et je ne m’en fais pas, parce que je sais que tu ne pourras pas le revoir. Ni maintenant, ni jamais. » Je pousse mon caddie pour le déstabiliser et m’approche un peu plus de lui. « Je ne sais pas pourquoi tu es revenu, mais si c’est pour Isaac sache que c’est une très mauvaise idée. » La lionne en moi bouillonne d’envie de lui sauter dessus, mais je me retiens. Ou du moins j’essaye. « Tu devrais même avoir honte de croire que tu pourrais remonter la pente. » La colère retombe vite, et je sens déjà les larmes perler dans le coin de mes yeux qui ont vu tant de malheur. Je respire à nouveau et trouve alors la force nécessaire de pousser mon caddie dans le rayon.
«You, shimmy shook my bone, leaving me stranded all in love on my own. What do you think of me? Where am I now? Baby where do I sleep?»
Ce regard qu’ils partagèrent l’espace de quelques secondes lorsque cet enfant passa à leur hauteur le ramena quelques années en arrière. L’espace d’un instant, il avait cru apercevoir dans les yeux de Nina cette douceur qu’elle dégageait lorsque leur fils réclamait ce câlin dont il ne pouvait se passer avant de fermer les yeux. Rien qu’un souvenir, rien que cette image de sa femme et de son fils, rien qu’un rappel de ce qu’était sa vie avec eux, rien que cela lui permettait de comprendre pour quoi il était ici et pour quoi il était prêt à payer de sa personne. Nostalgique, il n’avait pas réfléchi aux conséquences de ses paroles, à celles qui lui procuraient la force de croire en lui. Des paroles qui frappaient de plein fouet Nina, mais il ne s’en rendait pas compte. Trop aveuglé par ce besoin de lui dire qu’il s’apprêtait à faire tout ce qui était nécessaire pour changer les choses, il en oubliait qu’il touchait certainement au point le plus sensible de son ex-femme; leur fils Isaac. «Non, je ne suis pas au courant. Et je ne m’en fais pas, parce que je sais que tu ne pourras pas le revoir. Ni maintenant, ni jamais.» Les derniers mots le foudroient, ses lèvres s’écartent légèrement dans un signe d’incompréhension mais il ne peut rien dire, déboussolé par sa réaction et le mouvement de son caddie. Son regard se perd dans la noirceur de ses globes oculaires. «Je ne sais pas pourquoi tu es revenu, mais si c’est pour Isaac sache que c’est une très mauvaise idée.» Ses yeux se plissent, il se pince les lèvres tout en sentant sa main gauche se refermer dans sa poche. «Tu devrais même avoir honte de croire que tu pourrais remonter la pente.» Il a envie de hurler, de lui crier de retirer chacun des mots qu’elle venait de lui planter dans la chair. C’était douloureux. En l’espace de quelques secondes, il était passé du rêve à la réalité, elle l’avait ramené sur terre en quelques phrases, en quelques mots. Il sentit sa gorge se nouer, quelque chose l’empêchant de respirer. Il ne savait pas si c’était de la colère ou de la peur, la peur qu’il ne puisse jamais revoir son fils. Tu ne pourras pas le revoir. Ni maintenant, ni jamais Il expira tout en laissant ces mots raisonner en lui, tout comme il laissa tomber le panier qu’il tenait. Il ne lui fallut que peu de temps pour arriver à la hauteur de Nina et sans hésiter, sans même la toucher, sa main se déposa sur le caddie qu’elle poussait afin de l’arrêter. «Tu peux pas… Tu peux pas me dire ça, t’as pas le droit.» souffla-t-il les dents serrés, le regard posé sur le sol avant qu’il ne cherche le sien dont les yeux paraissaient presque remplis de larmes. Il finit par rigoler, nerveusement et se mit même à sourire, un peu comme en étant désespéré, perdu parce qu’il ne comprenait pas, pas maintenant en tout cas. «J’ai passé une putain d’année à avoir honte de moi, de ce que je t’ai fait, de ce que je nous ai fait. Alors ne viens pas me dire que je dois encore l'être quand je pense pouvoir remonter la pente.» Il finit par retirer sa main du caddie, cherchant par réflexe l’alliance qui ne se trouvait plus à son doigt. «Et encore moins lorsqu’il s’agit d’Isaac. Je ne vais pas avoir honte de croire en moi quand je sais que j’ai toutes les raisons du monde de me battre pour lui.» Sa mâchoire se resserra sur ses derniers mots, son regard ne cilla pas mais il sentit comme des picotements dans ses yeux. «Je suis prêt à accepter beaucoup de choses tu sais, mais il y en a certaines pour lesquelles je me dois de me battre et pour lesquelles je ferai ce qu’il faut pour.» Il se racla la gorge et soutenait le regard de son ex-femme. Il ne lui déclarait pas la guerre, mais plutôt l’amour qu’il portait à son fils. A notre fils et à toi aussi…
« Isn't it strange how a life can be changed ? In the flicker of the sweetest smile, we were married in spring. You know I wouldn't change a thing without that innocent kiss, what a life I'd have missed. »
La Nina qui vient de tenir tête à son ex-mari est loin d’être la même que celle d’il y a quelques années. Je m’étonne moi-même de mon comportement, de ma soudaine force, à croire que j’avais préparé ce moment depuis des années. Peut-être que ces séances chez le psychologue m’ont appris quelque chose après tout… Moi qui pensait que je perdais du temps et de l’argent, je dois bien me féliciter de mon audace. Theo ouvre la bouche dans un signe d’incompréhension, mêlé à un ébahissement certain. Il ne l’avait pas vue venir celle-là, hein ? Je le toise, soulève un peu plus le menton et lui lance une dernière phrase assassine. Je suis pleine d’une colère qui ne semble pas pouvoir s’estomper avec le temps, d’une rancoeur que j’éprouve envers celui qui m’a donné mais aussi repris les plus belles années de ma vie. Je me doute que ces quelques mots doivent le toucher en plein coeur, si tant est qu’il en ait réellement un. Mais après avoir éprouvé une satisfaction certaine de l’avoir blessé, c’est l’amertume d’un amour pas vraiment dissipé qui prend le pas sur mes sentiments. La tristesse et la mélancolie s’emparent de ma cage thoracique et se frayent un passage en direction de mes yeux noircis par ma haine passagère. Je sens que je ne peux montrer cette faiblesse, surtout pas à lui, surtout pas après l’avoir mitraillé de la sorte, alors je pousse mon caddie avec détermination. Je ne sais pas si j’aurai encore la force de terminer mes courses, et je pense de plus en plus à abandonner le chariot au milieu du rayon pour partir en courant. Mais Theo passe sa main dessus pour me freiner dans mon déplacement. l« Tu peux pas… Tu peux pas me dire ça, t’as pas le droit. » Il me faut tout le courage du monde pour essayer de ravaler mes larmes et relever mon regard dans sa direction. l« J’ai passé une putain d’année à avoir honte de moi, de ce que je t’ai fait, de ce que je nous ai fait. Alors ne viens pas me dire que je dois encore l'être quand je pense pouvoir remonter la pente. » Je serre les tempes, j’essaye de paraître calme, même si j’ai envie d’exploser. Il détourne le regard pour le poser plus bas, et il finit par lâcher le caddie. l« Et encore moins lorsqu’il s’agit d’Isaac. Je ne vais pas avoir honte de croire en moi quand je sais que j’ai toutes les raisons du monde de me battre pour lui. » Il relève alors ses yeux pour les plonger dans les miens. l« Je suis prêt à accepter beaucoup de choses tu sais, mais il y en a certaines pour lesquelles je me dois de me battre et pour lesquelles je ferai ce qu’il faut pour. » Cette fois c’est trop, et je sens une larme couler le long de ma joue. Il est trop tard pour la reprendre, pour respirer, pour m’en aller. Je remarque qu’il est aussi gagné par l’émotion mais il serre bien trop les mâchoires que pour se laisser aller. Le temps semble arrêté, et les passants nous bousculant semblent venus d’un autre monde. « C’est trop tard, Theo… » je finis par murmurer. « Tu nous a fait trop de mal, bien trop de mal. Je ne te laisserai pas revenir dans nos vies, pas dans celle d’Isaac… » Je manque d’air. « Tu dois aller de l’avant… Oublier… » Une autre larme vient se perdre sur ma joue. « Efface-nous et recommence une nouvelle vie, c’est tout ce qu’il te reste à faire. » Je finis par lâcher mon caddie et je commence à m’éloigner. « C’est fini Theo. » Je tourne les talons et quitte le magasin. Ma vue est brouillée par toutes les autres larmes venues se déferler sur mon visage, et la vue de ma voiture est salvatrice, je vais pouvoir exploser dans le plus grand des silences...