«Running out of breath, but I got stamina. Running now, I close my eyes and I see another mountain to climb. But I got stamina.»
Vous aviez beau chercher à fuir certaines choses afin de vous oublier, elles revenaient un jour ou l’autre à la surface. Soit parce que vous y pensiez ou soit parce que quelqu’un venait vous ramener à la réalité, n’hésitant pas à vous faire prendre conscience de l’étendue de vos erreurs. Non pas que Theo était aveugle, mais c’était plus facile pour lui d’étouffer les choses plutôt que de les affronter. Il avait souffert, certainement pas autant que les gens qu’il avait pu abandonner, mais quelque chose en lui s’était brisé et lui avait donné l’envie de tout abandonner, pour tout recommencer. Et il y était arrivé à Londres, du moins c’est ce qu’il avait cru jusqu’au moment où rentrer chez lui le soir en étant seul le torturait. Même en prison, cette impression de solitude n’avait pas existé, il avait toujours passé le plus clair de son temps avec celui qui partageait sa cellule, un mec qui lui ressemblait sur quelques points, qui avait tout gâché alors qu’il avait tout pour mener la vie la plus aboutie.
On ne pouvait pas tirer un trait sur plus de six années passées avec la même femme, dont quatre avec l’enfant qu’ils avaient eu ensemble. Theo avait appris à vivre avec eux et au fur et à mesure que les semaines défilaient à Londres, il se sentait de plus en plus mal… jusqu’à ce que Carlisle ne débarque suite à un vol long-courrier qui l’avait fait atterrir dans la capitale britannique. Sa venue avait été un peu le déclic, le coup de pied au cul qu’il lui fallait pour se sortir les doigts du cul. Il avait cherché à oublier l’impossible, à tirer un trait sur une page qu’il n’avait pas tourné car il en était incapable. Lorsque celui qui le connaissait presque mieux que personne lui avait parlé, lui avait expliqué sa façon de voir les choses, Theo n’avait pas cherché vraiment plus loin, il savait ce qu’il avait à faire. Il savait qu’il allait devoir revenir en Australie, mais il lui fallait réfléchir, ne pas partir sur un coup de tête et commettre des erreurs. Lorsque Carlisle était reparti, l’ex-trader avait pris contact avec son avocat afin de connaître ce qu’il devait faire, les obligations auxquelles il allait devoir se soumettre pour espérer faire évoluer son dossier, principalement concernant l’interdiction de voir son fils. Il savait que cet élément était la clé de beaucoup de ses problèmes, que du moment qu’il pourrait revoir son fils, un travail aurait été fait sur lui, sur sa personne. Mais il savait aussi que le chemin serait long.
C’est pour cette raison qu’en arrivant à Brisbane, il savait vers qui il allait devoir se tourner, il savait qu’il l’avait déçu mais il savait aussi qu’il restait cet ami sur lequel il a toujours pu compter et inversement. Le doigt posé sur la sonnette, il y resta quelques secondes avant qu’il ne se retire. Le regard posé sur la poignée, il entendit la clé tourner dans la serrure puis la porte s’ouvrir. Carlisle se tenait alors devant lui, presque étonné ou surpris, ce qui eut le don de faire sourire Theo. «Si tu pensais que j’allais encore perdre mon temps en Europe, tu te trompes…» Surtout que du temps, il en avait déjà bien trop perdu depuis un an et c’était le moment ou jamais de se réveiller «… ton coup de pied au cul est arrivé au bon moment et je compte remettre de l’ordre dans le foutoir que j’ai mis. » Il était sincère, ses sourcils s’étaient légèrement froncés, signe qu’il croyait en ce qu’il disait. Il y avait certes l’envie mais il y avait beaucoup d’incertitude et il savait que celui qui se tenait devant lui en serait la personne qui pourrait le soutenir et le relever au moment où il pourrait baisser les bras. «Ça me fait plaisir de te voir, vraiment…» Encore une fois, la sincérité y était. Il s'en voulait sur beaucoup de choses et il ne fallait pas penser qu'il avait tourné le dos uniquement à sa famille, il avait tourné le dos à tout ce qui était ici, y compris Carlisle.
Made by Neon Demon
Dernière édition par Theodore Laurens le Dim 02 Oct 2016, 15:23, édité 1 fois
Carlisle était rentré de son dernier voyage la veille, en début de soirée. Pour une fois, son heure d'atterrissage lui avait permis de passer une soirée en compagnie de sa fiancée. Ils s'étaient donnés rendez-vous directement au restaurant, mais Carlisle avait tout de même pris le temps de s'arrêter chez le fleuriste pour choisir un bouquet. Son choix s'était naturellement porté sur des roses rouges – ça n'avait rien d'original, mais ça avait au moins le mérite d'être efficace. Il s'était ensuite dépêché d'aller la rejoindre, impatient de la retrouver après presque une semaine d'absence. Ses vols longs-courriers l'accaparait beaucoup, et lorsqu'il avait l'occasion de rentrer chez lui, il essayait d'en profiter au maximum. Carlisle était en train de se repasser le film de sa soirée, lorsque le bruit de la sonnette de la porte d'entrée vint interrompre ses songes. Il se leva, et alla ouvrir. « Theo. » La voix de Carlisle se perdit dans un murmure. Sa main resta bloquée sur la porte, surpris par la vision à laquelle il avait droit. Theo. Son meilleur ami. En cher et en os. Theo, qui avait quitté l'Australie depuis de longs mois pour s'établir à Londres. Theo, qu'il avait essayé de convaincre à de multiples reprises de rentrer pour assumer sa vie et son rôle de père, sans jamais trop y croire au vu de ses réactions. « Tu es revenu. » Déclara-t-il calmement, se contentant de constater les faits à voix haute. C'était tellement surprenant, tellement inattendu qu'il avait un mal fou à le réaliser. Il était bel et bien debout, devant lui, à lui parler. À lui dire que les mots, durs mais justes, qu'il avait prononcé lorsqu'ils s'étaient vus à Londres, avaient été utiles. Ils avaient fait leur effet, et Theo avait fini par prendre suffisamment de recul pour se rendre compte que son meilleur ami avait raison. « Moi aussi, je suis content de te revoir. » Souffla-t-il, avant de combler l'espace qui les séparait. Les bras de Carlisle s'ouvrirent largement, avant de se refermer brusquement sur le corps de son meilleur ami. Là, c'était plus réel que jamais. Cette étreinte, Carlisle l'accueillit avec légèreté et soulagement. Il laissa échapper un petit rire, et se recula de quelques pas. « J'ai cru que tu ne reviendrais jamais. » Murmura-t-il, la voix légèrement tremblante. Il déglutit, cherchant à tout prix à masquer ses émotions et ses incertitudes. L'héritier Bishop avait mal vécu le départ de son meilleur ami. Il ne l'avait jamais dit, à personne. Il avait préféré garder pour lui ce vide que Theo avait laissé en lui. Du jour au lendemain, Carlisle avait perdu son meilleur ami, son confident, celui qu'il considérait comme son frère. Il avait perdu son double, et cette absence n'avait fait que creuser ses angoisses. Carlisle avait toujours été fragile – bien plus que son apparence pouvait le laisser supposer – et Theo l'avait toujours su. Il l'avait su, mais il avait quand même décidé de partir pour le vieux continent. Sans se retourner, sans prendre en compte les recommandations de son ami. Carlisle lui en avait voulu. Beaucoup. Sur le coup, ça lui avait fait du bien. Et puis le temps avait passé, et l'absence de Theo s'était faite de plus en plus lourde à porter. Alors, lorsqu'il avait eu l'opportunité d'atterrir à Londres, Carlisle n'avait pas hésité. Il était allé lui rendre visite, et lui avait fait part de sa façon de penser. « Entre, s'il te plait. » Dit-il en ouvrant grand la porte de son appartement. Tout un symbole : il lui ouvrait grand les bras, lui ouvrait grand la porte de son appartement, et le laissait à nouveau rentrer dans sa vie, comme si les mois ne s'étaient pas écoulés entre aujourd'hui, et la dernière visite de Theo en ces lieux. Carlisle se décala pour laisser Theo entrer, et le guida jusqu'au salon. Il l'invita à s'installer sur l'un des canapés, et prit place face à lui. « Tu veux boire quelque chose ? » Demanda-t-il, déjà debout pour aller leur chercher à boire. Une fois qu'ils seraient servis, ils pourraient se parler. Ils pourraient essayer de rattraper le temps perdu – ou plus exactement, essayer de mettre derrière eux les mois qui venaient de s'écouler.
«Running out of breath, but I got stamina. Running now, I close my eyes and I see another mountain to climb. But I got stamina.»
Se retrouver face à Carlisle c’était comme se retrouver face à un frère, face à une personne qui comptait énormément pour lui, envers qui il avait toujours été droit et honnête, pour qui il avait mis parfois de côté sa vie de famille afin d’être à ses côtés. Si Theo se rappelait avoir fait des choses pour lui, il n’oubliait pas ce que son meilleur ami avait fait à son tour pour sa personne. Revoir Carlisle à un moment de sa vie où les choses n’avaient pas beaucoup de sens, c’était un peu comme trouver une corde à laquelle s’accrocher pour ne pas tomber encore plus bas. Il savait pertinemment qu’en venant ici, il aurait une personne prête à l’aider, peu importe s’il avait déserté, il savait que l’amitié qui les unissait était forte, ils se connaissaient bien trop pour se tourner le dos indéfiniment et le pilote de ligne le fit comprendre en lui retournant le fait qu’il était content de le voir. «Tu dois bien être la seule personne à l’être» lui avait-il répondu en souriant brièvement avant qu’étreinte se fasse. Une étreinte qui lui fit du bien, la resserrant encore un peu avant de sourire en l’entendant rire, tapotant à quelques reprises sur son omoplate lorsqu’il se retira pour lui faire face à nouveau. Son murmure poussa Theo à baisser les yeux. Il connaissait beaucoup trop bien Carlisle pour comprendre ce que cela signifiait. Tout le monde le pensait imperturbable, fort et hermétique, mais il en était rien. C’était une personne sensible et très fragile intérieurement. Theo savait pertinemment que de lui avoir tourné le dos n’avait pas du être facile pour lui, il savait aussi qu’il comptait pouvoir rattraper cette erreur même si Carlisle n’allait pas lui le reprocher, il lui avait déjà tout dit à Londres et maintenant que Theo était de retour, un grand pas avait été fait. La voix de Carlisle l’invitant à entrer fit sortir Theo de ses pensées et il acquiesça brièvement en entrant dans le loft. Peu de choses avaient changé se dit-il, après tout Carlisle était le genre d’homme à être souvent en déplacement, l’aménagement de son intérieur devait très peu le préoccuper, il avait d’autres choses à faire, comme voir celle avec qui il partageait une partie de sa vie. Se dirigeant vers le canapé, il se tourna vers Carlisle qui lui proposait une boisson, il hésita quelques instants et osa «Si tu as une bière, je suis preneur… sinon un verre d’eau fera l’affaire» Il ne savait pas quand, mais bientôt l’alcool devrait être mis de côté, il allait devoir cesser certaines habitudes. S’installant sur le canapé, il resta quelques secondes à penser aux prochains rendez-vous qu’il devait prendre. Son retour à Brisbane s’annonçait comme un parcours du combattant où tous les coups devaient être pris, ne devant chercher à en éviter aucun.Se frottant le visage, il tenta de chasser tout cela de sa tête et quitta le canapé pour se diriger vers la cuisine et Carlisle «A Londres, je n’ai pas eu tellement l’occasion de te le dire mais… Mais je tenais à ce que tu saches que j’étais désolé d’être parti en laissant tout derrière moi. Je suis parti pour fuir tout ce qui me bouffait, j’avais aucune envie de passer un jour de plus dans cette ville en sachant que j’avais tout perdu» Son mariage, sa femme, son fils, son boulot, tout. Enfin, c’est ce qu’il avait pensé en partant à Londres mais peu à peu, il s’était rendu compte qu’il n’avait jamais perdu son meilleur ami, que lui avait toujours été là, il était même venu le voir en prison. Carlisle avait été plus que présent et Theo ne l’avait jamais remercié et avait pensé qu’à sa gueule. «Seulement j’avais pas tout perdu, j’ai été tellement égoïste en prenant cette décision que j’ai réussi à te mettre de côté alors que tu as été là pour moi pendant tout le long.» Il secoua la tête, rigolant en se sentant extrêmement bête en y repensant. Il s’en voulait énormément, enfin il s’en voulait pour beaucoup de choses et il avait l’impression que depuis une année, il n’avait jamais su prendre un seul bon choix… Il espérait que son retour à Brisbane en soit un.
« Pour le moment. » Assura Carlisle, conscient que son meilleur ami faisait probablement référence à Nina, son ex-femme. Il n'osa pas, dans l'immédiat, évoquer les troubles et les éventuels revers que Theo avait subi depuis son retour. L'héritier Bishop ne prenait pas cela à la légère, mais il préférait attendre que leurs retrouvailles soient dignement célébrées pour mentionner ce sujet épineux. « Et puis, il faut bien au moins une personne contente. » Plaisanta-t-il, essayant de dédramatiser maladroitement la situation. Carlisle devinait que les moments que vivaient actuellement Theo n'étaient ni tout rose, ni de tout repos. Il lui faudrait du temps pour se sortir du merdier dans lequel il s'était fourré, c'était certain. « On parlera de ça plus tard. » Décréta-t-il en décapsulant la bière de Theo. Puisqu'il avait fait le plus difficile – à savoir mettre son égo de côté et revenir au pays – Carlisle ne comptait pas le laisser en paix aussi facilement. Si Theo était là, c'est parce qu'il avait compris qu'il avait fait des conneries. Parce qu'il savait que quelque chose de mieux l'attendait ici. Son fils, notamment. Et peut-être même son ex-femme. « Sache simplement que je ne compte pas t'encourager sur cette voie là. » Précisa le pilote d'avion, au risque d'agacer son ami. Il n'y avait aucun sadisme de la part de Carlisle ; loin de lui l'idée de vouloir retourner le couteau dans le plaie de son ami. Il souffrait déjà suffisamment ainsi. Néanmoins, il souhaitait vraiment lui faire entendre son point de vue. Et il ferait tout pour l'aider à vaincre ses addictions, pour l'aider à combattre ses craintes, pour l'aider à renouer avec sa famille. Carlisle, plongé dans ses pensées, eut un mouvement de recul en voyant que son ami était venu le rejoindre à la cuisine. « Tu n'avais pas tout perdu, Theo. » Pas complètement, en tout cas. Mais fuir n'avait fait qu'empirer la situation – en tout cas, aux yeux de Carlisle. « Tu t'es persuadé que tu avais tout perdu, mais ce n'était pas le cas. » Il était resté, lui. Fidèle au poste. Fidèle à son ami. Il l'avait soutenu du mieux qu'il avait pu, contre vents et marées, sans pour autant cautionner ses erreurs. Ce soutien indéfectible avait d'ailleurs été source de tensions dans son couple, Cara n'ayant jamais compris comment Carlisle avait pu continuer d'apprécier son ami malgré ses débordements et autres fantaisies. « Je suis content que tu en sois conscient. » Déclara Carlisle, presque soulagé par les mots de son ami. Il les accueillait presque comme une délivrance, comme une preuve qu'il avait su être un bon ami. Cette sorte de déclaration lui fit un bien fou – lui, l'éternel inquiet, l'éternel angoissé, l'éternel incertain avait au moins réussi une chose. « Merci de me l'avoir dit. Ça me touche. » Murmura-t-il, esquissant un sourire maladroit. Son éducation stricte et droite l'empêchait de trop s'épancher sur ses sentiments et ses ressentis ; il était quasiment incapable de pouvoir mettre davantage de mots sur ce qu'il pouvait ressentir en cet instant précis. Il préféra donc se taire plutôt que de se ridiculiser. « Tu as faim ? » Puisqu'il était dans la cuisine, mieux valait anticiper sur les besoins de son ami dès maintenant. Carlisle ouvrit la porte du réfrigérateur et jeta un rapide coup d'oeil à l'intérieur, avant de se frotter l'arrière du crâne, mal à l'aise. « Visiblement, Cara a fui les supermarchés. » Commenta-t-il en voyant quelques restes éparpillés sur les différents étages. Ça n'était aucunement un reproche ; lui-même détestait cette tâche. Si cuisiner ne le dérangeait pas, faire les courses le rendait souvent dingue. « Voyons voir... Un reste de sushis, deux tomates et trois œufs. Omelette ? » Proposa le pilote en se retournant vers son ami. « Tu as un endroit où rester ce soir ? » Demanda le pilote, déjà prêt à accueillir Theo chez lui si cela s'avérait être nécessaire. Cara ferait sans doute la gueule, mais tant pis : il assumait et se confronterait à elle une fois de plus au sujet de Theo, si cela s'avérait être nécessaire. « Depuis combien de temps es-tu rentré, d'ailleurs ? » Interrogea-t-il en tirant une chaise pour s'installer face à Theo.
«Running out of breath, but I got stamina. Running now, I close my eyes and I see another mountain to climb. But I got stamina.»
Si seulement… Si seulement il n’était pas le seul à être heureux de le revoir. Theo savait que certaines choses avaient du s’ébruiter, s’il était parti à Londres c’était aussi parce que les offres d’emploi lui revenaient en pleine figure en lui faisant comprendre que ses antécédents l’empêchaient d’évoluer dans une banque. Il ne pouvait s’en vouloir qu’à lui-même au final, mais jamais il n’aurait pensé qu’il en serait à se retrouver sans travail aujourd’hui. «Et cette personne ce n’est pas n’importe qui, c’est toi» avoua-t-il le plus sincèrement possible. Il ne disait pas ça par gentillesse ou par désespoir, mais ils se connaissaient bien, trop bien. Si Carlisle était le seul à lui tendre les bras, ça lui serait suffisant… du moins il aimait le croire, il aimait penser que son meilleur ami serait celui qui saurait le tirer vers le haut, lui ouvrir les yeux sur certaines choses et pourquoi pas, le confronter davantage à la situation face à laquelle il se cachait encore par moment. Les yeux rivés sur la bière que venait de décapsuler Carlisle, Theo se mit à sourire brièvement à sa remarque. Il s’attendait à quelque chose et il savait que Carlisle se permettrait de pointer du doigt ce qui ne lui plairait pas… et cette bière l’était. Il n’avait pas voulu répondre quelque chose, il préférait lui répondre dans les semaines et mois à venir en éliminant peu à peu l’alcool de son quotidien. Il y croyait, il ferait le nécessaire mais il voulait qu’on lui laisse le temps. D’où son silence et ce besoin de dire ce qu’il avait sur le cœur à Carlisle, d’être sincère avec lui sur ce qu’il s’était passé à sa sortie de prison. Il se devait de savoir pourquoi il l’avait abandonné mais aussi de savoir qu’il était désolé d’être parti. Pour certains, ce n’était pas grand chose mais si Theo s’était excusé, c’était pour que Carlisle sache qu’il n’avait pas été oublié. Son meilleur ami était fragile, il avait même été instable par le passé et celui qui était divorcé depuis quelques mois désormais se refusait à être celui qui replongerait son meilleur ami dans ses travers. Ce murmure qu’il eut à l’égard de Theo fit sourire celui-ci, d’autant plus que son sourire. «Ce n’était pas dit pour te toucher, mais simplement pour te faire comprendre que je n’ai pas oublié ce que tu es et ce que tu seras toujours pour moi. Tu es un peu comme un frère, on a peut-être pas le même sang, mais on a partagé assez de choses pour que je me rende compte que tu es l’une ces trois personnes que je ne veux pas… ou ne plus décevoir» se corrigea-t-il en baissant le regard sur sa bière dont il prit une première gorgée. Il souffla un coup et haussa légèrement les épaules en s’essuyant les lèvres du revers de la main «Un peu, ouais…» Il s’approcha du frigo suite au commentaire de Carlisle et se mit à rire en voyant que celui-ci frôlait l’inutilité. «Va pour une omelette, ça fait longtemps que je n’en ai plus mangé…» répondit-il en s’écartant pour laisser Carlisle s’occuper des choses. Finissant par s’asseoir, il resta silencieux aux deux questions qui suivirent. Il s’était perdu dans ses pensées l’espace de quelques secondes, pourquoi? Il ne le savait même pas, mais lorsqu’il revint à lui, il vit Carlisle en face de lui après avoir tiré la chaise, certainement le bruit qui l’avait sorti de ses pensées. «J’ai trouvé un appartement, ne t’en fais pas pour ça. Et puis je n’ai pas envie de créer des tensions inutiles…» dit-il en faisant allusion à Cara. Il s’était toujours assez bien entendu avec elle mais les choses avaient changé lorsque Theo avait dérapé, Carlisle avait du en baver à cause de lui lorsqu’il venait le trouver en prison. «D’ailleurs, comment va Cara? Vous arrivez à trouver du temps pour vous malgré vos emplois respectifs?» demanda-t-il en oubliant de répondre à Carlisle au sujet de son arrivée. C’était sûrement peu important et puis Theo n’aimait pas être le centre des attentions, il voulait aussi s’assurer que Carlisle allait bien, que son couple l’allait tout autant. Il le savait très amoureux, mais il savait aussi que leurs professions respectives ne leur permettaient pas de se voir autant qu’ils le souhaiteraient.
Carlisle était touché par les propos de son ami. Il le connaissait suffisamment pour savoir qu'il ne se livrait jamais trop, et le pilote ne pouvait qu'être sensible à son soudain élan de sincérité. « Le temps fait des miracles, Theo. Il faudra que tu sois patient. » Dit Carlisle à voix basse, espérant qu'il ne se fourvoyait pas trop. Il espérait sincèrement que son meilleur ami puisse un jour trouver la paix intérieure, tout en réparant ses erreurs passées. Il espérait qu'un jour, Nina lui laisserait une chance avec Isaac. Une chance d'être un bon père, aimant et protecteur. « Il faudra que tu lui montres que tu as changé. » Il ne citait pas son prénom, mais évidemment, il parlait de Nina. Cette ex-femme bafouée, qui en avait eu marre d'être le souffre douleur de son mari et qui, un jour qui n'avait pas ressemblé à un autre, avait pris ses clics et ses clacs pour ne jamais revenir. Carlisle se demandait souvent à quel point ce brusque changement avait pu influer dans la vie de son meilleur ami. « Tout est question de confiance. Mais ne t'en fais pas. Je t'aiderai. » Promit-il en esquissant un léger sourire, plein d'encouragement. Il irait jusqu'à plaider sa cause, ou même servir de garde-fou pour que Theo puisse avoir une chance de revoir son fils. Cette dernière phrase sonna comme une conclusion pour Carlisle ; il ne voulait pas remuer trop longtemps les mauvais souvenirs. Il avait, comme à son habitude, dit ce qu'il avait à dire. Le pilote s'affaira derrière les fourneaux pendant quelques minutes ; tandis que l'omelette cuisait à feu doux, il se coupa les deux tomates qu'il sala à peine. Il servit ensuite Theo, et vint se poster face à lui pour manger. Cara hériterait donc des sushis – et si cela ne lui convenait pas, elle n'aurait qu'à rappeler le traiteur. « Ça va ? C'est mangeable ? » Carlisle aimait bien cuisiner, mais ne trouvait que rarement le temps de s'adonner à cette activité. Quand il rentrait après ses vols longs-courriers, il s'arrangeait pour être le plus disponible possible. Il partageait son temps entre sa vie conjugale, ses visites régulières à son père, et quelques heures de sport par semaine. Son emploi du temps était serré, et ne laissait que très peu de place à l'imprévu – une caractéristique qui avait souvent agacé sa fiancée. « Il n'y aura pas de tension. » Dit Carlisle d'une voix ferme, persuadé de ce qu'il avançait. Ou plus exactement, il n'y aurait aucune tension devant son ami – même si le pilote ne doutait pas du fait que sa fiancée ne se priverait pas de faire deux ou trois commentaires bien sentis. Elle avait été très clair à propos de Theo, et de ce qu'elle pensait de lui : il était indigne de confiance. Il ne méritait pas que Carlisle se préoccupe tant de lui. Il ne méritait pas qu'on l'aide ou qu'on le soutienne, peu importe la façon. Cara avait rangé Theo dans une case, et visiblement, elle ne ferait jamais marche arrière. « Si je te le propose, c'est parce que tu peux rester. Ou venir, quand tu le souhaites. » Après tout, il était ici chez lui autant que Cara était chez elle. Cet appartement, ils étaient deux à l'occuper et parfois, l'un devait faire des concessions pour que l'autre puisse vivre comme il l'entendait. Et pour Theo, Carlisle était prêt à affronter des tensions et surmonter quelques frictions dans son couple. Solidarité masculine, en quelque sorte. « Elle va bien. » Répondit le pilote, alors que son meilleur ami lui demandait des nouvelles de sa fiancée. « Ça va, on fait ce qu'on peut. On a l'habitude de se voir peu, mais de profiter de chaque instant que l'on passe ensemble. » Dit-il en haussant les épaules, habitué à cette relation particulière. Et pour cause : cela faisait dix ans qu'ils étaient ensemble. Dix ans au cours desquels ils avaient tous deux parcourus le monde – pas forcément ensemble, pas forcément dans la même direction, et rarement pour les mêmes raisons. « Cara voyage moins, ces derniers temps. Elle a du temps ici pour développer ses affaires, et ça lui plait. » Déclara-t-il, répétant ce qu'elle lui avait dit la veille. Désormais, elle se tenait éloignée des podiums et agissait en coulisses. Une promotion qui la rendait fière, et qui l'épanouissait au quotidien.
«Running out of breath, but I got stamina. Running now, I close my eyes and I see another mountain to climb. But I got stamina.»
Le temps faisait des miracles, mais le temps faisait aussi des dégâts. Pour Theo, le temps qui le tenait toujours un peu plus éloigné de son fils était une occasion pour que Nina refasse sa vie. Qu’elle refasse sa vie avec un autre et que cet autre puisse le remplacer aux yeux d’Isaac. C’était quelque chose qu’il redoutait, de pouvoir être remplacé, de pouvoir imaginer que si Nina avait quelqu’un, Isaac retrouve ce qu’il n’avait plus avec lui. Il ne savait rien de tout ça, il ne savait pas si son ex-femme avait tourné la page mais quelque chose en lui osait croire que ce qu’elle avait enduré la pousserait à mettre du temps à retrouver confiance en un homme. C’était peut-être mal de penser ainsi, mais Theo savait pertinemment que si un homme entrait dans la vie de Nina, ce serait une difficulté de plus, une difficulté contre laquelle il ne se sentait pas de lutter. «Je suis prêt à tout, je m’en fous de ce que l’on me demande de faire. Je veux juste pouvoir le revoir et passer du temps avec mon fils, c’est le droit de n’importe quel père, non?» demanda-t-il avec une once d’agacement dans la voie sans réellement attendre de réponse. Il savait qu’il était un père qui avait battu sa femme… et alcoolique qui plus est. Une image qu’il allait devoir effacer aux yeux d’un juge, de son ex-femme, d’avocats et même de son psychologue. Cependant, il essayait de ne plus penser qu’il était seul pour surmonter tout cela, il y avait des gens sur qui il pouvait compter et ces gens se réunissaient en une seule et unique personne à présent: Carlisle. Celui qui était devant lui, à faire abstraction du comportement de Theo à sa sortie de prison pour lui faire comprendre qu’il l’épaulerait. Ce genre d’ami qui se faisait rare et dont Theo se faisait la promesse intérieurement de ne plus repousser… surtout pas lui. Il regarda son ami dans les yeux à cet instant d’ailleurs «… Je sais que tu m’aideras, tu m’as toujours aidé. Et j’espère qu’un jour je pourrai te rendre la pareille» rétorqua-t-il en espérant qu’un jour, au fond de lui, ce soit Carlisle qui lui demande de l’aide. Peu importe la raison, il avait besoin que Carlisle comprenne bien qu’il était important pour lui et que si c’était lui qui était dans le besoin, Theo ferait tout ce qu’il pourrait pour améliorer la situation. Quelques minutes passèrent jusqu’à ce que Theo pose ses yeux sur l’omelette qu’avait fait Carlisle en un rien de temps, s’appliquant à la couper délicatement avant d’en manger une, deux puis trois bouchées en acquiesçant à la question de son ami «C’est excellent!» confirma-t-il d’un sourire en continuant de manger, n’oubliant pas d’avaler une nouvelle gorgée de sa bière tout en sachant qu’il aurait peut-être du opter pour un simple verre d’eau. Le sourire qu’il avait aux lèvres s’était élargi en entendant son meilleur ami se montrer ferme sur le fait qu’il puisse rester ici. Au fond de lui, Theo souriait en se doutant bien que des tensions, il y en aurait d’une manière ou d’une autre. Car Cara resterait silencieuse face à Theo, mais il savait pertinemment que Carlisle l’entendrait pour qu’elle lui fasse comprendre ce qu’elle pensait de tout ça. «C’est gentil Carlisle mais nous savons tous les deux ce qu’il en est. Autant éviter de créer des problèmes pour rien car tu peux me dire tout ce que tu veux, actuellement j’en suis un. Pas pour toi, mais pour les autres, oui» Il voulait juste que celui qui l’accueillait les bras ouverts comprenne qu’actuellement, un Theo dans les parages était synonyme de problèmes, surtout dans sa situation. Ne voulant pas s’attarder sur ce sujet et risquer de vexer son ami, il avait décidé de s’intéresser à lui, à son couple. Un couple qui existait depuis une bonne dizaine d’années s’il s’en souvenait bien, fiancé depuis au moins deux ans mais dont le mariage trainait. Sur ce point, Carlisle était comme Theo, lui aussi avait attendu longtemps avant de se marier à Nina, il l’avait même quittée pour qu’ils puissent mieux se retrouver. «Vous ne vous dites pas que parfois, ce serait mieux de profiter moins mais de passer davantage de temps ensemble? Vous êtes partis en vavances cette année ou vous avez encore du tirer un trait dessus?» demanda-t-il même si au fond, il se doutait déjà de la réponse. Ce qui surprit le plus Theo dans tout ça, c’est que Cara avait l’air d’avoir trouvé une situation plus stable, de s’être enfin posée dans sa vie professionnelle alors que Carlisle, lui, non. Evidemment son métier ne lui permettait pas d’être très présent. «C’est une bonne chose qu’elle ait pu se poser dans sa vie professionnelle. Et puis d’une certaine façon, c’est peut-être un moyen pour vous de pouvoir se consacrer davantage à votre couple puisque jusqu’ici, il passait après votre boulot» conclut-il en plantant sa fourchette dans l’omelette qu’il amena à ses lèvres en fixant Carlisle, cherchant à trouver davantage de réaction face à ce couple qui naviguait toujours sur cette même eau calme. A l’inverse de celle sur laquelle naviguait celui qui venait d’avaler son omelette.
Le pilote fut surpris par la réaction, qu'il jugeait quelque peu excessive, de son meilleur ami. Il n'avait pas pensé que mentionner son fils et son ex-femme entraînerait automatiquement un ton sec et tranchant. Il pouvait comprendre les difficultés de Theo à gérer cette situation complexe et douloureuse, mais il se priva pas de lui rappeler qu'il n'y était pas pour grand chose. « Détends-toi, Theo. Tu n'es pas en terrain ennemi. » Déclara Carlisle posément. Il ne souhaitait pas que son meilleur ami se braque à nouveau, mais il ne se laisserait pas non plus chahuter sans raison, alors qu'il ne voulait qu'arrondir les angles. « Je ne dis pas le contraire. » Assura Carlisle, se défendant d'avoir une quelconque pensée négative à l'idée de réunir Theo et son fils. Malheureusement pour son meilleur ami, ce n'était pas lui, l'homme à convaincre. Ce n'était pas lui contre qui il devrait se battre comme un forcené. Ce n'était pas lui qui faisait avancer les pièces maîtresses d'un jeu juridique aussi vaste que compliqué. « D'ailleurs, je n'ose même pas imaginer ce que tu peux ressentir en le sachant si proche, et en même temps si loin. Je ne voudrais en aucun cas être dans ta situation. Je ne pourrais pas le supporter. Ça me rendrait fou. » Avoua-t-il, en toute honnêteté. Le fils Bishop avait déjà démontré, par le passé, qu'il était un être discrètement fragile. Derrière ses grands yeux clairs et sa stabilité apparente, une part sombre et dangereuse de lui-même n'attendait qu'un faux pas pour se manifester avec violence. « Mais je sais que tu sauras surpasser tout ça. Et tôt ou tard, Nina t'autorisera à nouveau à voir Isaac. » Il en était intimement convaincu. Nina avait beau être une mère poule, elle était dévouée à son fils et ne voulait que son bien. Isaac grandissait, et poserait, inévitablement, des questions sur son père. « Commence par trouver un travail. C'est le meilleur conseil que je puisse te donner. » Parce qu'avoir un travail, c'est synonyme de stabilité, de sérieux, d'investissement. Tous les ingrédients dont Theo avait besoin, afin de se racheter une conduite aux yeux du monde entier – ou presque. « Chasser tes vieux démons deviendra ensuite plus simple, tu verras. » S'il s'investissait à fond dans quelque chose, nul doute que Theo trouverait la force de s'en sortir pleinement. En tout cas, Carlisle voulait y croire. Le pilote secoua la tête lorsque son ami lui avoua espérer pouvoir un jour lui renvoyer l'ascenseur ; il balaya ses paroles d'un revers de main, presque négligemment. Ça le touchait, évidemment. Mais son implication était naturelle, gratuite, désintéressée. « Tu m'as déjà aidé par le passé, et tu le sais très bien. » Inutile de revenir sur des douleurs passées, que Carlisle avait pris soin de masquer aux autres, sans pour autant jamais parvenir à s'en dépêtrer complètement. L'héritier Bishop préféra se concentrer sur la nourriture qui remplissait son assiette, et la discussion dévia progressivement vers sa fiancée. Carlisle laissa échapper un léger soupir en entendant Theo se considérer comme un problème, mais n'eut pas le courage de le contredire sur ce point. « Je ne désespère pas de la faire changer d'avis un jour. » Admit-il en haussant les épaules, presque navré par la situation. Mais la tâche lui paraissait presque insurmontable ; Cara s'était fait une opinion bien négative de Theo, et elle n'était pas prête de revenir dessus. « Et si elle reste campée sur ses positions, tant pis : ça ne nous empêchera pas de nous voir. » Déclara-t-il avec fermeté. Après tout, Carlisle tolérait bien certaines amies de sa femme, sans pour autant les apprécier. Garces et superficielles, elles étaient aussi stupides qu'insipides. Pourtant, jamais Carlisle ne se serait permis le quart des remarques que Cara avait pu faire à propos de son amitié avec Theo. Ce dernier poursuivit ses questions, auxquelles Carlisle répondit sans pudeur. « J'en sais rien. Je n'y ai jamais vraiment réfléchi, en fait. » Avoua le pilote du bout des lèvres. « Si je décide de me poser, je sais que mon père va rappliquer dans la foulée. » Et si Carlisle appréciait son père, il aimait nettement moins l'idée d'être installé derrière un grand bureau, aux commandes d'une entreprise prospère et rentable. Cette vie là, il ne la rêvait pas ; son père, en revanche, la rêvait pour lui. Sans compter qu'une interruption de sa vie de pilote chez Cathay Pacific l'obligerait à se positionner vis-à-vis de Cara – mariage, enfant, et autres tracas quotidiens. Ils n'en avaient pas l'habitude, et il craignait que la routine ne vienne briser leur si belle relation. « Détrompe-toi : notre couple a toujours été la priorité. Mais nous n'avons jamais voulu sacrifier ce qui nous tenait à cœur. »
Il se sentit bête en entendant Carlisle, il était presque gêné d’avoir laissé les mots s’échapper ainsi de sa bouche et l’espace de quelques secondes, il ne chercha pas à croiser le regard de son meilleur ami. Il y avait des choses qu’il devait apprendre à entendre, des choses qu’il devait accepter et le temps en faisait partie. Il savait être patient, c’était son point fort de base mais il faut croire que chaque homme avait sa propre faiblesse et la sienne venait d’être piquée à vif «Excuse-moi, c’était pas contre toi, c’est juste que…» Que c’est difficile. Il préféra conclure la phrase par un simple sourire et laisser la parole à Carlisle, il avait toujours été le plus doué pour parler, pour mettre des mots sur des choses, pour apaiser une situation et en l’écoutant, Theo cherchait à se décontracter, à oublier cette peine qui pouvait le pousser à faire les mauvais choix, comme celle de continuer à boire cette bière qu’il avait dans sa main «Il est là le problème Carlisle, c’est que cette situation ne me convient pas. J’ai envie que les choses bougent mais je dois me taire, j’ai pas le droit de commettre le moindre écart. J’ai mon avocat sur le dos, j’ai même commencé à voir un psychologue pour accélérer les démarches mais c’est pas suffisant» Il secoue la tête tout en parlant, il aurait voulu pouvoir dire en dire plus à celui qui se tenait face à lui mais il en avait pas la force, parce qu’il avait honte de cette situation dans laquelle il se trouvait, il avait honte d’être tombé aussi bas. Lorsqu’il entendit le prénom de Nina être prononcé par le pilote de ligne, Theo se contenta de sourire en haussant les sourcils. Si la conviction de Carlisle paraissait sincère, l’ancien trader connait bien trop Nina pour savoir qu’elle chercherait à tout pris à protéger Isaac. Il savait au fond qu’il n’avait pas que son psychologue à convaincre mais aussi Nina, qu’un jour ou l’autre il allait devoir se retrouver face à elle pour parler. Il ne savait pas ce que donnerait cette conversation, il ne savait même pas si elle lui adresserait le moindre mot, c’était un peu l’inconnu. Tout comme du point de vue professionnel «Je suis retourné à Londres pour en trouver, en espérant me faire des relations sur Brisbane, effacer cet extrait de casier judiciaire mais pour le moment je n’essuie que des refus. Mais ça finira par changer, tout comme les habitudes que je traîne derrière moi» dit-il en prenant la bière dans sa main, en la regardant longuement sans pour autant l’amener à ses lèvres. Il resta quelques instants à observer son contenu jusqu’à ce que Carlisle le ramène à la réalité en tentant de fuir un sujet qui restait sensible et sans insister, Theo ne chercha pas à aller plus loin. «Je le sais mais je te suis redevable pour beaucoup de choses Carlisle, c’est tout ce que je dirai» Un simple sourire aux lèvres pour prouver à son ami que même si ça avait été lui qui l’avait sauvé par le passé, Carlisle en avait fait tout autant, et même plus qu’il ne le pensait. Il avait le don de s’effacer un peu trop parfois mais ce meilleur ami donnait beaucoup de sa personne, parfois un peu trop et Theo ne voulait pas que ses problèmes puissent trop le toucher comme il avait déjà touché le couple qu’il formait avec Cara. «C’est à moi de la faire changer d’avis, pas à toi.» Dans le sens où il avait donné une image fausse de sa personne il y a plus d’un an et aujourd’hui, c’était à lui de la redorer un minimum pour que l’on voie en lui l’homme qu’il a toujours été, et pas celui qui était affecté à cause d’un incident avec sa mère qui remontant à quelques Noël. «Et je ne compte pas t’éviter, j’ai besoin de toi» Et comment qu’il aurait besoin de lui. Il ne le lui dirait certainement pas, mais Theo savait que Carlisle était le pilier contre lequel il pourrait s’appuyer peu importe ce qu’il se passerait. Il savait qu’il serait le seul pilier immobile à ne jamais l’abandonner. Il se raccrochait à lui d’une certaine façon et même s’il venait à peine de retrouver son meilleur ami, il en ressentait déjà le soutien, la force qu’il lui donnait et ça lui faisait énormément de bien. «Et s’il rapplique, c’est pour que tu prennes ce qu’il est prêt à te laisser, c’est ça?» Il posait la question tout en sachant la réponse, il connait bien trop ce sujet et il savait que c’était quelque chose qui l’angoissait. Pourtant, même si Carlisle aimait son métier, Theo se disait que de se retrouver aux commandes de l’entreprise de son père lui offrirait plus de stabilité, plus de temps pour faire avancer son couple. Mais il se disait aussi que peut-être Carlisle n’était pas prêt à voir sa relation prendre une autre direction et sa réponse au sujet de son couple le fit légèrement sourire. Terminant par se saisir du dernier morceau d’omelette à l’aide de sa fourchette, il s’en servit pour pointer son meilleur ami avec, un sourire plus large sur les lèvres. «Carlisle… Est-ce c’est moi ou tu parles pour toi?» Il laissa planer un petit silence et amena l’omelette à sa bouche avant de l’avaler tout en ne pouvant s’empêcher de sourire encore un peu plus. «Tu n’es pas prêt à sacrifier ta carrière de pilote, mais elle…» Il s’essuya les lèvres, cherchant juste à faire durer le suspense pour voir de quelle manière Carlisle réagirait, voir s’il prenait conscience ou non de ses paroles «…elle, elle s’est posée ici, ce qui veut dire qu’elle a bien du faire quelques sacrifices; plus de podiums, moins de voyages. C’était quand même quelque chose qu’elle faisait beaucoup alors si elle gère ses affaires sur Brisbane, ce n’est peut-être pas aussi anodin que ça». Levant ses mains, les paumes dirigées vers le plafond, il scella ses lèvres et se contenta simplement de regarder Carlisle. Apparemment, il y en avait un qui n’avait pas les yeux en face des trous et Theo se retrouvait en Carlisle car il avait été le même quelques années plus tôt
Le pilote soupira – non pas d'agacement, non pas d'indignation, mais plutôt de résignation. Les mots de Theo avaient été brutaux, mais ils étaient le reflet de l'impasse dans laquelle il était bloqué. Il n'avait fait qu'exprimer sa souffrance et son incapacité à faire changer les choses, en tout cas pour le moment. « Je sais. » Conclut Carlisle d'une voix neutre. Pas besoin de s'étendre sur le sujet ; l'héritier Bishop était clairvoyant, et ne souhaitait pas mettre son meilleur ami dans une situation inconfortable. Theo n'était pas un homme de mots ; il était un homme d'actes. Il était celui qui tendait une main précieuse lorsque vous étiez en train de sombrer. Il était celui qui passait à trois heures du matin pour jouer à la console, histoire de vous faire penser à autre chose. « Ces personnes sont là pour t'aider, pas pour te mettre des bâtons dans les roues. Ce sont des démarches qui prennent du temps, et il n'y a rien que tu puisses faire pour les accélérer. » Carlisle craignait que son meilleur ami ne craque avant d'être arrivé au terme des différentes procédures engagées. Il craignait qu'il ne s'oublie en route, et qu'il se laisse envahir par ses vieux démons, tapis dans l'ombre. Machinalement, Carlisle conseilla à Theo de tout faire pour retrouver un job. S'il parvenait à s'occuper toute la journée de manière sérieuse, cela ne ferait que renforcer son profil et prouver son envie de changement. « Tu veux que j'en touche deux mots à mon père ? » Demanda Carlisle, tout en étant convaincu qu'il allait essuyer un refus. Son meilleur ami n'avait jamais eu besoin de personne pour quoique ce soit, et il avait sa fierté. L'héritier Bishop ne lui en voudrait pas ; lui n'était pas très différent. « Tu veux que je la jette ? » Demanda-t-il en pointant du doigt la bière de son ami. Il ne voulait le forcer à rien, ni lui faire la morale à propos de l'alcool. Néanmoins, puisqu'il percevait une certaine hésitation, il se devait de pousser les choses dans le bon sens. « C'est moi qui dors avec elle. J'aurai moins de difficultés à la convaincre que toi. » Plaisanta-t-il en souriant. Mais Carlisle savait bien que susurrer des mots doux à l'oreille de sa fiancée ne suffirait pas à la faire changer d'avis. Elle n'avait jamais particulièrement apprécié Theodore – trop instable, trop secret, et peut-être aussi trop présent pour Carlisle. Ce dernier avait toujours eu une tendance naturelle à se tourner vers son meilleur ami, pour tout et n'importe quoi. Il lui faisait une confiance aveugle, et écoutait attentivement chacun des conseils qu'il lui prodiguait. « T'as intérêt. » Dit le pilote, un petit sourire au coin des lèvres. Maintenant que son meilleur ami était à nouveau dans le secteur, il était hors de question que Carlisle le laisse repartir. La conversation dévia vers le futur de Carlisle, et celui-ci baissa aussitôt les yeux. « Je ne veux pas de l'entreprise. » Avoua-t-il à voix basse, après avoir regardé à droite et à gauche. Comme s'il craignait d'être surpris par une personne extérieure, qui arriverait au mauvais moment. Son père, par exemple. Ou Cara – parce que même si elle ne disait rien, Carlisle devinait qu'elle espérait qu'il changerait d'avis. « Theodore, je vis de ma passion, et je suis diplômé en physique nucléaire. » Souffla le fils Bishop. « A quel moment se manifeste mon avis de reprendre l'entreprise familiale ? » Question purement théorique – elle ne se manifestait pas, tout simplement. L'Australien serait sans doute un bon manager, peut-être même un excellent dirigeant, mais il ne serait en aucun cas motivé. « Mon statut de pilote de ligne n'est pas incompatible avec une vie de famille. » Répondit Carlisle en haussant les épaules, convaincu. « Pas plus qu'une vie en tant que gérant d'entreprise, où je devrai faire bien plus d'heures et être nettement moins présent à la maison. » Il secoua finalement la tête, détestant cette désagréable impression d'être bloqué. « Peut-être. » Finit par dire le pilote après avoir attentivement écouté son meilleur ami. Est-ce qu'il avait été aveugle à ce point ? Est-ce que Cara avait quelque chose derrière la tête ? « Mais je ne lui ai jamais demandé tout ça. Je ne lui ai jamais reproché son mode de vie, et je l'ai toujours encouragée à faire ce dont elle rêvait. » Murmura Carlisle. « Et si elle a fait ça parce qu'elle avait une idée derrière la tête... » Il se tut un instant, mortifié. Theo avait le don de soulever des questions complexes, sur lesquelles Carlisle n'avait que trop peu d'emprise à son goût. « Elle aurait dû m'en parler. Parce que si ça foire, elle va tout me remettre sur le dos, et... » Et là, clairement, ça n'allait pas coller. Ni pour elle, ni pour lui. « Tu en penses quoi, toi ? Franchement ? » Demanda-t-il en déglutissant.
Evidemment il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même dans cette situation mais il ne comprenait pas que les choses soient si compliquées pour revoir son fils, il ne comprenait pas qu’on puisse continuer à lui retirer le droit de le voir alors qu’il n’avait jamais posé sa main sur lui et que jamais il ne le ferait; car son fils était la chose dont il était le plus fier et il était prêt à beaucoup de choses pour qu’il vive la plus belle vie qui soit… seulement il ne pouvait rien faire, si ce n’est donner une image d’un père absent qu’il refusait pourtant d’être «Je sais Carlisle, je le sais parfaitement.» Mais ça n’empêchait pas Theo de revenir sur ce qu’il pensait de tout ça, de faire comprendre à Carlisle le problème dans tout ça. «Seulement l’année prochaine, Isaac va commencer à faire ses classes. Je refuse que l’on continue à m’interdire de le voir d’ici là, on ne peut pas me priver de ça… Sa voix s’était peu à peu étouffée dans sa gorge qui avait fini par se nouer. C’était dur, beaucoup trop dur de s’imaginer manquer le parcours scolaire de son fils, de manquer ses premières questions sur un devoir, de ne pas pouvoir lui apprendre à quel point les chiffres étaient faciles à comprendre. C’était des choses bêtes, mais c’était des choses auxquelles il tenait énormément. Qui d’autre pourrait lui apprendre les mathématiques mieux que moi s’était-il mis à penser avec un sourire aux coins des lèvres. Il se raccrochait à ce genre de détails, à ce genre de choses qui lui permettait de croire qu’il était le seul à pouvoir être aussi proche de son fils. C’était important pour lui, comme de pouvoir retrouver un travail et même si la proposition de Carlisle était la bienvenue, Theo ne pouvait l’accepter «C’est sympa de proposer mais ça ira, je pense que c’est l’une de ces choses que je dois faire de mes propres moyens» Car même si c’était tentant de choisir la facilité, il voulait être capable de se débrouiller tout seul à certains niveaux et celui-ci en faisait partie contrairement à l’alcool où il savait qu’il aurait besoin d’aide. Et lorsque Carlisle indiqua la bière de son doigt, Theo avait décidé de prendre ça comme un signe, comme une invitation à faire quelque chose de bien et il repoussa alors la bouteille devant lui. Ce n’était qu’une bière, mais il fallait savoir se féliciter du moindre effort. Mais il fallait savoir rire aussi afin de remuer la merde qui lui bourrait le crâne et Carlisle savait y faire en insistant au sujet de Cara. C’était la première fois que Theo rigolait sincèrement depuis un moment et ça lui faisait sacrément du bien, tellement qu’il se contenta d’apprécier ce moment où tout son corps se détendait «Dans le pire des cas, elle te fera dormir sur le canapé si tu échoues» Rien qu’à cette idée, Theo ne pouvait s’empêcher de laisser un sourire prendre possession de ses lèvres, il se disait que ça pouvait être le genre de Cara si Carlisle décidait de trop insister et ça l’amusait… un peu du moins. Beaucoup plus que de voir son meilleur ami se torturer l’esprit lorsqu’ils en étaient venus à parler de son boulot, de son père. Ce n’était pas difficile de comprendre que Carlisle avait tout sauf cette envie de rerprendre l’affaire familiale. «A aucun moment, j’en suis bien conscient.» admit-il en soupirant légèrement, non pas par déception mais à cause de la complexité de la situation. Surtout lorsque la vie privée de son meilleur ami y était mêlée et que cette crainte de s’engager plus qu’il ne l’était avec Cara venait se faire ressentir au fur et à mesure de ses paroles. «Il n’est pas incompatible mais il te tiendrait éloigné, bien plus qu’en étant en train de gérer les affaires de ton père, tu serais presque toujours dans le coin, toujours à proximité et tu pourrais travailler depuis ici, sans nécessairement avoir le besoin d’aller au bureau.» répondit-il le plus honnêtement possible. Carlisle n’avait pas tort mais il ne se rendait pas compte que la proximité était essentielle au bien être d’une femme et Cara ne devait pas échapper à la règle. Le pilote de ligne avait cependant l’air de prendre peu à peu conscience de ce que tentait de lui expliquer l’ancien trader et il lut en Carlisle beaucoup de doutes, ou peut-être même une incompréhension vis-à-vis des décisions qu’avaient prises sa fiancée. Puis il finit par regarder Theo pour connaître son avis sur la chose. Il n’était pas forcément un expert mais il avait su faire attention à certaines choses en se mariant avec Nina, car elle n’avait jamais hésité à pointer du doigt ce qu’elle n’aimait pas… «Franchement? Vous devriez parler.» C’était la première chose qui lui était venue à l’esprit et sûrement la meilleure. «Simplement parce que Cara a l’air d’avoir envie d’une vie plus stable. Elle n’a peut-être pas osé t’en parler car elle sait que ça t’effraie d’une certaine manière…» Il leva la main pour que Carlisle ne le coupe pas et reprit. «Ne me regarde pas comme ça, tu sais aussi bien que moi que l’engagement n’est pas ton fort. Je ne veux pas me répéter mais vous êtes fiancés depuis quoi, environ trois ans?» Les yeux de Theo s’ouvrirent en grand et ses sourcils se haussèrent, surpris lui-même de se rendre compte que cela faisait aussi longtemps. «Bordel Carlisle, tu te rends compte qu’elle attend depuis trois ans? Tu sais ce que signifient des fiançailles? Tu sais ce qui est censé en découler?» Il osait penser que oui, mais il osait surtout espérer que Carlisle réagisse et se rende compte que c’était presque surprenant que Cara n’ait pas encore cherche à le mettre dos au mur. L’amour était une chose, mais le mariage une autre. En la demandant en fiançailles, il lui a déclaré son intention de l’épouser et pourtant, trois plus tard, ils ne l’étaient toujours pas. «Au final si elle ne t’en a pas parlé, c’est peut-être dans l’espoir que tu le remarques par toi-même.» avait-il conclu en se levant, laissant sa main tapoter l’épaule de Carlisle avant d’aller rincer l’assiette et de la placer dans le lave-vaisselle.
« Je suis sûr que d'ici là, les choses se seront améliorées. » Assura Carlisle, confiant. Il jouait néanmoins habilement avec le langage ; il avait préféré « améliorées » à « arrangées ». Son meilleur ami faisait tous les efforts possibles pour montrer qu'il était quelqu'un de bien, et l'héritier Bishop savait que ça finirait par payer. Il ne niait pas les erreurs qu'il avait pu commettre, notamment avec Nina ; mais il savait pertinemment qu'il ne ferait rien qui blesserait son fils. « On pourrait peut-être proposer à Nina de nous laisser Isaac pour une après-midi. » Proposa l'Australien, désireux d'atténuer les douleurs de son meilleur ami. Il pouvait essayer de faire valoir son droit de parrain auprès de l'ex-femme de Theo. « Je pense qu'elle a confiance en moi. » Il n'en était pas tout à fait sûr, mais il n'avait rien à perdre en demandant à Nina. Il ne risquait rien de plus qu'un refus. En attendant, Theo devait se soumettre aux règles, et cela passait par le fait de se trouver un travail. « J'étais sûr que tu refuserais. » Dit Carlisle avec un pauvre sourire. Il le trouvait fort et digne, malgré les défaites et les déceptions. Là où lui aurait tendance à s'effondrer et s'enfoncer un peu plus la tête sous l'eau, Theo se débattait comme un forcené. Le pilote était persuadé d'une chose : peu importe l'issue de tous ces combats, Theo en ressortirait changé, grandi. Et Carlisle, comme à son habitude, serait à ses côtés. « Tant que cet appartement sera à mon nom, crois-moi, je ne risque pas d'échouer sur le canapé. » Plaisanta l'héritier Bishop. Hors de question. Au pire, il irait élire domicile dans la chambre d'ami. Fort heureusement, il n'en était pas encore là avec sa fiancée – bien au contraire. La conversation prit à nouveau une tonalité plus sérieuse, et les garçons parlèrent librement de l'avenir incertain de Carlisle. Ce dernier éclata d'un rire sans joie, alors que Theo lui disait qu'il pourrait travailler depuis son domicile. « Tu connais mal papa Bishop. » Déclara-t-il simplement en secouant la tête. Le géniteur de Carlisle était un requin en affaire, et il n'envisageait pas que son fils exerce autrement la profession. Il devait être là, présent, sur tous les fronts. Gérer les relations commerciales et professionnelles, avoir un yeux sur les affaires judiciaires en cours, faire du relationnel. L'Australien connaissait déjà tout des tâches qui l'attendait. « Enfin, oublions. Je n'en suis pas là. Pas encore. » Rectifia-t-il aussitôt, le regard perdu dans le vide. Ses incertitudes ne firent que redoubler d'intention, alors qu'ils parlaient désormais de Cara. « J'avais dit que je l'épouserais, et franchement, je le ferai. » Déclara-t-il en haussant les épaules. Il n'était pas franchement hostile à cette idée, et pour cause : c'était lui qui l'avait demandée en mariage. C'était lui qui avait suggéré que leur relation franchisse une nouvelle étape. Pourquoi reculerait-il maintenant ? L'officialisation de leur relation avait été faite il y a dix ans ; un mariage n'y changerait rien. « Ça ne représente pas grand chose pour moi. Après tout, le mariage, ce n'est qu'une signature au bas d'un papier officiel. » Fit-il remarquer. Bon, il n'était pas sans ignorer que Cara ne voyait pas les choses ainsi – le mythe du prince charmant et du mariage en grande robe blanche continuaient de faire de la résistance, malgré les années qu'ils avaient déjà passé ensemble. « Je crois que ce n'est pas l'engagement qui me fait peur. C'est ce qui suit, en fait. » Avoua le pilote du bout des lèvres. L'enfant, qui devrait impérativement en découler. Carlisle craignait de ne pas être en mesure de gérer cette étape, qui lui faisait pourtant tellement envie. Il n'avait pas eu un modèle idéal, et il savait qu'il ne pourrait pas se consacrer autant qu'il le voudrait à ce bébé. Lorsque Theo lui fit remarquer que Cara attendait sans doute qu'il se bouge, la conclusion fut claire, limpide. « Tu as peut-être raison. » Dit-il dans un murmure. Peut-être que Cara n'avait pas voulu se confronter à lui frontalement, pour ne pas le brusquer ou le braquer. Mais Carlisle avait beaucoup de mal à envisager cette idée ; entre eux, tout avait toujours été limpide. Ils avaient toujours parlé, toujours communiqué, toujours tout partagé. Pourquoi est-ce que cette fois serait différente des précédentes ? « Prépare ton plus beau costume. Il se pourrait que tu sois mon témoin. » Plaisanta le pilote. Mais en tant que meilleur ami, il était évident que cette place de choix lui revenait de droit. Carlisle n'aurait voulu personne d'autre à ses côtés pour constater cette union solennelle.
Il espérait que les choses finiraient par s’améliorer, il l’espérait vivement… Mais il savait aussi que l’espoir c’était quelque chose de dangereux, ça pouvait vous laisser croire en des choses qui n’arriveraient jamais et vous pousseraient finalement à vous enfoncer encore un peu plus, à vous refermez sur vous-même et il ne le souhaitait pas. Cependant il ne pouvait pas tirer un trait sur ce qu’il désirait, c’était impossible. Tout comme l’idée de Carlisle. Theo l’avait regardé silencieusement sans rien dire, Carlisle ne se rendait certainement pas compte de la situation avec Nina. Elle ne savait même pas qu’il était de retour. Son meilleur ami avait la volonté de bien faire, l’ex-trader le savait parfaitement, mais il y avait des choses qu’il fallait savoir laisser de côté et demander à Nina la garde d’Isaac le temps d’un après-midi était perdu d’avance. «C’est trop tôt, elle ne sait même pas que je suis de retour en ville». Il laissa une main s’effacer dans ses cheveux tandis qu’il laissait son regard se perdre sur table, secouant la tête. «Ça lui fera sûrement pas plaisir de me savoir ici alors imagine si par-dessus ça, tu lui demandes la garde d’Isaac un après-midi…» Puis il ne voulait pas que la confiance qu’avait Nina en Carlisle puisse s’effacer. Il restait le parrain de son fils et il ne voulait en aucun cas que son ex-femme puisse douter à un seul instant de son meilleur ami. Il ne laisserait pas Carlisle prendre ce risque. Theo se devait d’abord de faire ses preuves, de se débrouiller de lui-même et de décanter les choses petit-à-petit, seul. Tout comme pour le travail, tout comme pour le logement, comme un peu tout. Theo était fier mais Theo savait quand il pouvait y arriver et il ne renoncerait pas… pas encore du moins. «On en reparlera dans quelques semaines quand je deviendrai votre sujet de conversation favori» lança-t-il pour poursuivre sur le même ton que Carlisle. Il le voyait mal sur le canapé, mais Cara restait une femme de caractère, une femme qui savait ce qu’elle voulait et d’une certaine manière, Theo l’imaginait bien renvoyer son homme sur le canapé sur un coup de tête. Et si cette image était amusante, la tête que tirait Carlisle au sujet de son père et de ses affaires l’étaient un peu moins. Il sentait qu’il n’était pas à l’aise face à ce sujet, que ça lui déplaisait de devoir réfléchir à ce sujet et Carlisle fit comprendre qu’il n’avait pas envie d’en parler ou du moins, que ce n’était pas à l’ordre du jour. Préférant ne pas insister, Theo se contenta de le regarder et de se mettre à détailler sa relation ou du moins, les fiançailles qui dataient depuis bien des années maintenant. Il ne pouvait se retenir de sourire en voyant Carlisle ainsi, à tenter de se défendre du temps qu’ils mettaient à se marier. Seulement il pensait beaucoup à ce que les choses représentaient pour lui et non pas à ce qu’elles pouvaient représenter pour une femme comme Cara «Pour toi, mais pour Cara c’est peut-être différent. C’est un pas de plus et surtout, c’est quelque chose d’officiel, quelque chose dont elle peut se souvenir.» Et peu importe ce qu’une femme dira, un mariage reste quelque chose qu’elles attendent une fois qu’il leur est promis. «Ce qui suit? Tu parles d’avoir des enfants?» Ça paraissait évident mais il voulait que Carlisle le dise clairement. Surtout qu’il ne se rendait pas compte que même si un enfant rimait avec des responsabilités, ça rimait surtout l’envie de faire les choses bien, de se dépasser pour offrir à un être ce qu’il y a de mieux. Theo n’avait pas de mal à voir Carlisle avec un enfant entre les mains et ce n’est pas anodin s’il avait fait de lui le parrain de son fils. Malgré le fait qu’il était un homme fragile, Carlisle restait quelqu’un de dévoué et il savait qu’il ne fuirait pas devant des responsabilités comme celle-ci, surtout pour Cara mais aussi pour lui-même en fin de compte. La preuve était que Carlisle avait pris le temps d’écouter Theo au sujet du mariage, assez pour admettre qu’il n’y avait pas forcément que du faux dans ce qu’il venait de dire et Theo ne put s’empêcher de rire en l’entendant. «Ne t’en fais pas, ce costume attend de sortir du placard depuis trois ans» glissa-t-il juste en guise de rappel des années qui avaient passé depuis ces fiançailles. «Plus sérieusement, quand ce jour viendra, je serai là… témoin ou non, je ne raterai ça pour rien au monde» Car il souhaitait voir Carlisle heureux, non pas qu’il était triste mais le mariage, mine de rien, c’était quelque chose de fort, quelque chose qui apportait énormément et vous poussait à vous rendre compte à quel point vous aimiez la personne à qui vous aviez juré fidélité.
Il était évident qu'il restait à Theo un long chemin à parcourir ; entre trouver un travail, rétablir des relations cordiales avec son ex-femme, et parvenir à gérer ses émotions, il était clair qu'il risquait de se tuer à la tâche dans les prochains mois. Les processus étaient longs et complexes, et il n'y avait aucune réussite quant à l'issue de ces différentes affaires. Mais quoiqu'il en soit, Carlisle serait là. Présent, fidèle au poste, prêt à le soutenir. Une épaule sur laquelle il pourrait se reposer si cela s'avérait nécessaire – et s'il était en mesure de mettre son égo de côté, aussi. « Ça va bien se passer, Theo. » Murmura le pilote du bout des lèvres. Pour le moment, ce n'était que des mots creux. Balancés un peu au hasard, pour réconforter son ami. « Ça finira par s'arranger. » Carlisle n'avait jamais été d'un optimisme débordant, mais il avait suffisamment confiance en son ami pour déroger à ses règles. Néanmoins, Carlisle donnait raison à son meilleur ami sur un point : la confiance que Nina avait en lui risquait de s'effriter, lorsqu'elle apprendrait que Theo était de retour en ville. Elle les connaissait pas ; elle savait pertinemment qu'ils étaient inséparables. Elle n'était pas la seule, d'ailleurs : Cara ne l'ignorait pas non plus. Les deux hommes n'hésitèrent d'ailleurs pas à en plaisanter, se moquant ouvertement du fort tempérament de la fiancée de Carlisle. « Elle se lassera avant moi. » Déclara l'héritier Bishop en haussant les épaules. Elle pourrait toujours essayer de le convaincre que Theo était la pire ordure que l'on puisse trouver sur cette Terre, l'Australien n'y croirait pas. Il savait ce que son meilleur ami valait, ce qu'il lui devait, et il avait naturellement toute confiance en lui. Le sujet de leur discussion glissa tout doucement vers les futures obligations familiales de Carlisle, et sans surprise, ce dernier se renfrogna rapidement. Theo eut la décence de ne pas insister, en voyant le malaise de son ami. Il n'était pas prêt, et tous deux le savaient parfaitement. Ils en revinrent à Cara, et aux attentes que celle-ci pouvaient avoir vis-à-vis de leur engagement. « Une robe blanche qui les empêche de respirer, des talons aiguilles qui meurtrissent leurs pieds, et un maquillage tellement lourd qu'elles étouffent dessous... » Lista Carlisle en levant les yeux au ciel, à la fois sceptique et amusé. « Je ne comprends pas comment cette journée peut faire rêver les femmes. » Ajouta-t-il en secouant la tête. Mais si Cara y tenait, très bien : il le ferait. Il l'aimait, et accepterait volontiers de se plier aux conventions pour lui faire plaisir. « Par exemple. » Répondit Carlisle, tout en restant relativement évasif. Bien sûr, qu'il parlait de ça. Bien sûr que l'épisode enfant le faisait réfléchir, et le laissait plein de doutes et d'incertitudes. « Tu parles ! Je suis sûr que Cara va me traîner chez le couturier pour me faire faire un costume sur mesure. » Un cauchemar l'attendait, en somme. Mais que ne ferait-il pas pour les beaux yeux de Cara... Ils rirent ensemble, et Carlisle approuva d'un signe de tête les propos de son ami. De toute façon, sa présence était requise – et ça, même Cara n'y pourrait rien. « Tu as assez mangé ? » Demanda Carlisle en se redressant, pour aller déposer son assiette et ses couverts dans le lave-vaisselle. Il se retourna vers son ami, prêt à le débarrasser. « Une partie, ça te dit ? » Proposa-t-il en souriant largement. Maintenant que Theo était de retour, leurs petites habitudes pouvaient reprendre de plus belle. Et s'il y avait bien une tradition à laquelle Carlisle ne voulait surtout pas déroger, c'était leur soirée playstation.
C’était trop d’optimisme à la fois, il savait pertinemment qu’il en fallait un minimum et qu’il fallait croire en ses chances. mais ce qui le dérangeait au fond, c’est que s’il était l’une des pièces qui pourraient mettre fin à ce calvaire, il devait aussi compter sur son avocat, sur sa capacité à faire le nécessaire pour venir balayer cette interdiction qui laissait jour après jour, un goût amer dans la gorge du britannique. Il acquiesça en entendant les paroles de Carlisle, il pinçait discrètement ses lèvres tout en laissant son regard se perdre sur la table. Il resta ainsi quelques secondes, se laissant embarquer dans ses émotions qui laissaient la crainte s’installer. La crainte de ne pas pouvoir revoir ce qu’il y avait de plus cher à ses yeux, la crainte d’être un homme qui devra se reconstruire de lui-même sans pouvoir trouver la force dans le regard de son fils. C’était peu mais en même temps beaucoup et ça l’obligeait finalement à relever la tête et à observer Carlisle, tendant d’afficher un sourire plus serin pour effacer ce qu’on pouvait lire dans ses yeux; le doute. «Si toi-même tu le penses c’est que ce sera le cas» répondit-il en étouffant un rire dans un soupire qui en disait cependant assez long. Il ne pouvait cependant pas ignorer le soutien de Carlisle, c’était le premier à se tenir à ses côtés, le premier à lui dire des mots qu’il avait besoin d’entendre et il se devait de les prendre en compte pour retrouver cette confiance qu’il avait perdue. Car au fond, elle était aussi là la clé, avoir confiance, croire en ses chances et croire en soi. Tout comme son meilleur ami croyait que sa fiancée serait la première à céder s’ils devaient faire chambre à part. Theo se contenta de rester songeur en dessinant un petit sourire dans le coin de ses lèvres. Ce n’est pas qu’il doutait de ce que disait Carlisle, mais la situation l’amuserait plus qu’autre chose. L’indifférence de Carlisle le faisait rire et il se demandait parfois comment est-ce que Cara pouvait le supporter, elle qui était bien plus démonstrative dans son genre, presque à l’opposé du pilote de ligne qui serait capable de ne pas décrocher un sourire d’une soirée et ce, même s’il s’y plaisait. Sur le moment et en venait sur le sujet du mariage, Theo ne put s’empêcher d’imaginer Carlisle devant l’autel, sans la moindre expression sur le visage. Un peu comme cet air qu’il avait en décrivant ce qu’une femme espérait pour son mariage. «Carlisle, c’est pourtant évident. Le mariage, c’est l’accomplissement de beaucoup de choses pour elle et c’est synonyme d’une vie de famille… Et avoir une famille, c’est le rêve de beaucoup d’entre elles.» dit-il tout en remarquant que Carlisle n’avait pas cherché à donner une réponse précise à sa question, obligeant Theo à le rassurer ou du moins, à lui donner son point de vue. «Tu sais, j’avais pas envie d’avoir d’enfants, je me sentais pas capable de quoi que ce soit. Et au final, je me suis trompé et c’est quelque chose qui rend fier, qui te change en une personne que tu ne connaissais pas mais qui vaut mieux que tu ne l’as jamais été» Et c’était vrai, Isaac avait été un déclic, ça lui avait fait voir les choses différemment et il savait qu’il était devenu une meilleure personne, plus attentive, plus présente en remettant certaines priorités à l’ordre du jour. «Evidemment, tu es plutôt mal tombé avec elle, prépare-toi déjà mentalement, ça va être long» plaça-t-il en se levant à son tour, repoussant la chaise en laissant ses mains trainer dans les poches. Il observait Carlisle ranger la vaisselle alors qu’il lui répondit positivement à sa question avant qu’il ne voie sourire son meilleur ami. Sa seconde question eut le don de le faire sourire tout autant et fit les gros yeux en se frottant les mains «Et comment que ça me dit… Tu crois que j’étais uniquement venu pour te dire que j’étais de retour?» Il éclata de rire et observa le canapé vers lequel il s’était rapidement dirigé pour s’y installer. La soirée venait tout juste de commencer et elle n’était prête de se terminer.