| tell me and i'll write you a tragedy of drumbeats and tattoos / vittorio |
| | (#)Sam 15 Oct 2016 - 15:12 | |
| VITTORIO AND CHELSEA (tell me about the girl raised on cityscapes and ash and the boy born below starry skies and ageless trees. tell me how they met under grey skies and dreams, tell me how they stayed up watching the stars dance, tell me and i'll write you a tragedy of drumbeats and tattoos.) Il était tard. L’atmosphère était encore lourde malgré la nuit tombée depuis quelques heures ; la plupart des clients de la taverne avaient retrouvé le chemin jusque chez eux, à pieds ou mis de force dans un taxi, et, de mon côté, j’avais commencé à ranger la salle en attendant l’heure de fermeture. En attendant de pouvoir rentrer chez moi. En attendant. Je lavai la surface de plusieurs tables abandonnées, ramenant les verres vides derrière le comptoir, mettant de l’ordre dans les bouteilles et les shakers. Mes gestes étaient automatiques ; du coin de l’oeil, je surveillais les personnes qui étaient encore présentes mais mon esprit se trouvait loin, loin avec toutes ces choses qui me restaient à faire. Et il y en avait. Mes journées étaient désespérément trop courtes, les semaines passaient trop vite, les fins de mois arrivaient trop souvent à mon goût. J’étais piégée entre mes deux boulots, mon fils, ma famille, les papiers, les factures, les rendez-vous et ces amis que je ne voyais que trop peu souvent. J’avais l’impression de voir ma vie défiler sous mes yeux sans que je n’ai absolument aucune prise. Sans que je ne puisse y faire quoi que ce soit. Sans que je puisse profiter de tout ce temps qui m’était donné et que je gâchais avec les fatalités d’une existence. Parfois, je venais même par me demander si les autres ressentaient la même chose, si eux aussi avaient la sensation que leur existence ne serait jamais assez. Je pensais à cet homme d’affaire qui n’avait pas le temps de se consacrer à sa famille. Je pensais à cet artiste qui avait tout simplement décidé de vivre hors du temps. Je pensais à cette mère de trois enfants qui était sans cesse accusée de trop travailler. Je pensais à eux et je me rendais compte qu’au fond, même si le reste du monde jugeait que j’avais pris les mauvaises décisions, je ne regrettais en rien mon existence ; la vie était simple pour personne, après tout. Elle n’était pas simple pour moi et elle ne l’aurait sans doute pas été si j’avais fait d’autres choix. Si j’avais fait les choix que le reste du monde aurait voulu que je fasse. Bien au-delà de ça, je ne regrettais pas ; je ne regrettais pas d’être tombée enceinte, je ne regrettais pas Elias, je ne regrettais pas d’avoir abandonné mes études. Je ne regrettais pas de ne pas avoir eu plus de courage, je ne regrettais pas d’avoir laissé entrer Tom dans mon existence même si j’espérais de tout mon coeur de ne plus jamais le revoir. Je ne regrettais pas de ne plus parler à ma mère, je ne regrettais pas d’avoir deux boulots pour pouvoir m’en sortir, je ne regrettais pas de vivre dans un misérable studio qui donnait l’impression d’être à deux doigts de s’écrouler. Je ne regrettais pas chaque chemin que j’avais pris, non. Après tout, ils faisaient partie de moi. Ils s’étaient incrusté à chacun des pores de ma peau. J’acceptais la personne que j’étais, la personne que j’avais été, la personne que je serais. J’acceptais parce que je savais, désormais, que cela ne servait à rien de se battre contre la fatalité. Elle gagnerait toujours. De retour derrière le comptoir, je posai le torchon que j’avais dans les mains avant de me diriger vers l’homme qui y était accoudé depuis le début de la soirée. Je désignai le verre vide qu’il avait en face de lui. « Je peux vous débarrasser ? » demandai-je. Il me semblait grand. Une barbe lui mangeait la mâchoire et le bas des joues ; il avait le regard profond, comme s’il parvenait à s’immiscer jusqu’à mon âme rien qu’en observant mes prunelles. Depuis qu’il était entré dans le pub, il avait été là, simplement là. Il s’était installé au bar et avait demandé plusieurs fois à ce que je le resserve avec un accent qui me paraissait lointain. Pour le reste du temps, il s’était contenté de se perdre dans ses pensées. On pourrait croire que c’était en étant hôtesse de téléphone rose que j’en apprenais le plus sur des inconnus ; les maris qui appelaient pour ne pas tromper leurs femmes, les timides qui avaient besoin de compagnies, les marginaux qui avaient des fantasmes peu orthodoxes. Cependant, ce n’était pas le cas ; c’était ici, au McTavish, que je venais à en savoir bien plus que je ne l’aurais souhaité des clients. Des groupes d’amies se racontaient leurs dernières histoires de coeur. Des potes passaient une bonne partie de leur soirée à critiquer celui qui n’avait pas été invité. Des couples se disputaient. Cependant, au cours de la soirée, si j’avais réussi à savoir le nombre de conquêtes sexuelles d’une certaine Julia et à apprendre quelques faits sur les élections américaines, l’homme accoudé au comptoir demeurait un mystère. « Si vous voulez un dernier verre, vous pouvez, la fermeture est dans quinze minutes, » repris-je. Il ne restait plus que lui et une table d’amis qui riaient aux éclats en jouant aux cartes, un peu plus loin. « Vous avez été silencieux toute la soirée, à quoi est-ce que vous pensez ? » On m’avait déjà repris sur l’éthique, sur ce qui était poli ou non. Cependant, à cette heure avancée de la nuit, je n’avais pas envie de me formaliser sur ce qui était acceptable. Je lui offris un sourire en me demandant s’il demeurerait ou non un mystère. Au fond, si j’avais fini par me rendre compte que la vie était simple pour personne, c’était grâce à mon travail. Je rencontrais chaque jour des dizaines et des dizaines de personnes de tout horizon. Pourtant, aucune d’entre elles n’avaient l’air heureuses. Chacune d'entre elles semblaient sortir tout droit de sa propre tragédie.
|
| | | | (#)Jeu 27 Oct 2016 - 0:51 | |
| Les minutes s'égrainaient et l'aiguille des secondes tournait sur elle-même en cadence, impertubable métronome témoin des journées qui s'échappaient sans que rien ni personne ne soit en mesure de les retenir. Et pourtant le temps stagnait, chaque minute semblait durer des heures et fixant le fond de son verre - vide - d'un air morne Vittorio se demandait s'il verrait ou non le bout de cette soirée. Il avait avalé le décalage horaire depuis longtemps, avec presque un trop-plein d'assurance, et pourtant le temps ici à Brisbane lui semblait toujours aussi démesurément long. Hai fatto un errore répétait la petit voix doucereuse dans un coin de sa tête, sciocco romantico. Traverser la moitié du globe pour une femme qui n'était jamais revenue vers lui, et pour une soeur dont lui-même n'était pas encore certain de vouloir entièrement justifier l'existence. Signe à la barmaid pour qu'elle remplisse une troisième fois son verre, l'alcool lui donnait chaud mais il parvenait encore à réciter dans sa tête l'arrêt Granital de 1984, et pour lui cela signifiait qu'il était encore suffisamment sobre pour s'octroyer un verre supplémentaire. Il observait la barmaid. Pas de cette manière totalement indiscrète et insistante, pas comme s'il essayait lourdement d'attirer son attention, non ... Au contraire, il préférait l'observer à la dérobée, se contenter de la détailler du regard lorsqu'elle avait les yeux et l'attention ailleurs que sur lui. Il faisait avec elle ce qu'il faisait avec tant d'autres lorsqu'il se retrouvait ainsi spectateur extérieur, partait d'un détail pour imaginer toute une pléiade de possibilités, un roman de vie, des fêlures, des aspirations. Imaginer ce qui pouvait bien se cacher derrière la lueur d'incertitude qu'il croyait apercevoir dans ses yeux et qui tranchait avec le sourire engageant qu'elle adressait aux clients. Il l'observait, s'occupait l'esprit avec sa personne, et paradoxalement il était tellement plongé dans ses pensées qu'un sursaut léger lui avait échappé lorsqu'elle avait demandé « Je peux vous débarrasser ? » Son verre était vide à nouveau, et sans doute parce qu'elle l'avait vu hésiter une seconde ou deux elle avait ajouté « Si vous voulez un dernier verre, vous pouvez, la fermeture est dans quinze minutes. » Quinze minutes ? Relevant la tête, il avait remarqué le bar quasi-vide et l'unique table encore occupée ... et sa seule carcasse encore installée au comptoir. « Je ne dis pas non à un dernier, dans ce cas. » avait-il néanmoins soufflé avec un vague sourire, incapable de s'avouer qu'il repoussait simplement l'inévitable en refusant de rentrer. Bob n'était pas là ce soir, et contre toute attente le silence de la maison lui pesait. A lui qui avait pourtant vu comme LE luxe par excellence le fait d'avoir pu vivre dans son propre appartement après son exil à Rome, un appartement plus joli, moins miteux que la cage à lapin de son enfance, moins précaire que le canapé de ses potes. Faisant craquer ses phalanges avec un brin de délectation, il avait fait l'effort de ne pas se laisser à nouveau absorber par ses pensées tandis qu'il observait la blonde remplir à nouveau son verre du whisky auquel il avait tourné toute la soirée. « Vous avez été silencieux toute la soirée, à quoi est-ce que vous pensez ? » Un nouveau début de sourire, un peu las, s'était étiré sur ses lèvres tandis qu'il enroulait à nouveau ses doigts autour de son verre plein en remerciant la barmaid d'un signe de tête. « Vos clients habituels ont plutôt l'alcool bavard ? » L'alcool bavard, il avait entendu cette expression il y a peu et lui avait trouvé un côté presque amusant. Dans le milieu où il avait été élevé on utilisait quelque chose de plus imagé, on parlait d'avoir sa vie tenant au bout de la langue, et il est vrai que dans l'omerta de Scampia les balances mourraient rarement de leur belle mort. « Vous avez déjà eu le mal du pays ? » avait-il finalement questionné, répondant malgré tout du même coup à la question qu'elle-même avait posé juste avant. Rome lui manquait. Pour son climat, pour son paysage, pour son ambiance latine et pour les rires et les grandes tirades de ces italiens qui parlaient fort et beaucoup. Pour l'impression d'être chez lui, quant à Brisbane Vittorio ne se sentait que comme l'étranger peinant à s'ajuster à la vie australienne, en questionnant le style de vie et en écorchant la langue locale avec son accent plus tranchant qu'une lame de barbier.
|
| | | | (#)Ven 28 Oct 2016 - 23:04 | |
| VITTORIO AND CHELSEA (tell me about the girl raised on cityscapes and ash and the boy born below starry skies and ageless trees. tell me how they met under grey skies and dreams, tell me how they stayed up watching the stars dance, tell me and i'll write you a tragedy of drumbeats and tattoos.) Faire la fermeture du pub avait ses défauts, tant de défauts que j’avais arrêté de faire la liste depuis bien longtemps, désormais. Mais il n’y avait qu’à ce moment-là que j’avais la sensation de vivre hors du temps. Je ne savais pas si c’était la nuit tombée, à l’extérieur du bar, qui me donnait cette sensation ; ou alors, c’était seulement le peu de clientèle qui créait l’impression que le monde avait continué de tourner sans nous. Cependant, à chaque fois que je pouvais veiller aussi tard au travail, cela me frappait. La vie était différente dans les heures avancées de la soirée. La vie était différente lorsqu’on était encore debout et que le reste du monde était couché. La vie était différente, oui. Comme si elle était plus facile. Comme si elle nous accordait un temps de répit, comme si ses minutes s’allongeaient simplement pour que nous puissions nous reposer et profiter, tout simplement, sans être oppressé par l’aiguille qui défilait. Et, quelque part, c’était quelque chose d’incroyable de se dire que le reste du monde dormait lorsqu’on était là, les yeux grands ouverts, à poursuivre notre existence. C’était des minutes que nous avions que les autres ne voyaient pas passer. C’était une pause, un temps mort. C’était particulier et, malgré mon aversion pour les fermetures, j’appréciais cette particularité à chaque fois que je pouvais bien la vivre. Il ne me restait plus qu’un réel client ; le groupe d’amis m’avait fait savoir, quelques minutes plus tôt, qu’ils ne consommeraient plus. Et ce client avait été là depuis un moment, songeur, perdu ailleurs, si loin que je fus presque surprise qu’il m’entende lorsque je m’étais adressée à lui. « Je ne dis pas non à un dernier, dans ce cas. » J’esquissai un sourire, guère étonnée par sa réponse, au fond. C’était la première fois que je le voyais dans les parages mais il était comme toutes ces personnes qui venaient ici pour s’asseoir devant un verre, les épaules affaissées par leurs problèmes, par leur mal-être, aussi. Et, ces personnes, je les connaissais. Alors, j’avais presque l’impression de le connaître, lui. J’hochai la tête avant d’attraper une bouteille derrière moi ; je tendis le bras pour remplir son verre, plus généreuse qu’en période de rush, notant dans un coin de mon esprit qu’il faudrait absolument l’inviter à prendre un taxi pour rentrer chez lui. Puis, finalement, je lui demandai à quoi il pouvait bien penser. Cela avait été plus fort que moi ; d’ordinaire, les clients étaient plus enclins que lui à me parler et me heurter à son aura silencieuse m’intriguait. En guise de réponse, dans un premier temps, il m’offrit l’ébauche d’un sourire ; puis, finalement, vinrent les mots, seulement après qu’il ait bu une gorgée de son nouveau verre, comme pour noyer ce qu’il s’apprêtait à dire. « Vos clients habituels ont plutôt l'alcool bavard ? » me demanda-t-il et j’haussai les épaules, amusée. « Plus que vous, en tout cas, » répondis-je sans vraiment réfléchir, un sourire sur les lèvres. On me reprochait souvent ma familiarité mais, la vérité, c’était que je n’avais jamais vraiment appris les règles de conduite. Mais, également, je refusais d’être une personne que je n’étais pas, je refusais d’abandonner mon impulsivité et ma façon d’être. C’était tout ce que j’avais. Alors, je m’y accrochais. Je m’y accrochais parce que dans ce monde de faux-semblants j’avais l’impression que mon authenticité était presque précieuse. « Vous avez déjà eu le mal du pays ? » J’esquissai un sourire en l’entendant prononcer ces mots. Mon pays était l’Australie ; j’y étais née, j’avais grandi là, je mourrais probablement ici. Mais, au-delà de ça, j’avais toujours vécu à Brisbane, dans cette même ville, dans ses mêmes quartiers. Je n’étais que très rarement sortie de son enceinte, je n’avais jamais mis les pieds ailleurs. Cependant, je comprenais ce qu’il disait. Je comprenais ce sentiment d’avoir un trou béant dans la poitrine sans trop savoir pourquoi ni comment, ce sentiment de ne pas vraiment être à sa place quoi que l’on puisse faire. Ce sentiment, je ne l’avais pas eu en m’en allant, non. Je l’avais ressenti les rares fois où Tom avait pris Elias avec lui. Parce que mon fils était ma maison, mon chez-moi. Alors, oui. J’avais déjà eu le mal du pays d’une certaine manière, à ma façon. « Je suppose que non, » répondis-je finalement. Ma situation n’était pas comparable à la sienne. Je n’avais jamais été expatriée, malgré le manque que je ressentais lorsque mon fils était loin de moi. Au delà de cela, c’était lui accoudé à ce comptoir, lui qui avait probablement envie de parler, parler de ce pays qui lui manquait. C’était lui qui portait son fardeau. Lui qui avait les épaules affaissées par les problèmes comme tous ces autres personnes que je pouvais croiser dans le pub. Je l’observai avec attention, tentant d’attribuer un pays à cet accent qui rythmait ses mots. Il venait sans aucun doute d’un pays latin. Cependant, je n’en savais pas suffisamment dans ce domaine pour avoir une idée plus précise de ses origines. « C’est pas si mal, Brisbane. Même si ça doit pas mal vous changer de… L’Europe, » dis-je, avant d’ajouter sur le ton de la confidence. « Pitié, ne m’dites pas Amérique du Sud, j’aurais l’air vraiment bête. » J’esquissai un sourire à ma propre bêtise. Mes yeux, eux, s’arrêtèrent sur les tatouages qui ornaient ses bras. J’étais intriguée, oui. J’étais intriguée parce qu’il me rappelait tous ces gars que je connaissais et, pourtant, malgré ses ressemblances avec eux, il semblait être à mille lieux d’eux. « Ça fait longtemps que vous êtes ici ? » demandai-je finalement, lui offrant une nouvelle question. Une nouvelle question pour s’exprimer, une nouvelle question pour parler, finalement parler. Une nouvelle question pour en apprendre plus, également, et je ne cherchais même pas à le cacher.
|
| | | | (#)Mar 22 Nov 2016 - 0:19 | |
| C'était quelque chose que Vittorio pouvait se permettre en sa qualité de touriste et expatrié, passer toute une soirée attablé au comptoir d'un bar sans avoir à se soucier du qu'en dira-t-on. Ici il n'était personne, rien de plus qu'un anonyme parmi tant d'autres, dont on se foutait bien de savoir s'il restait là par volonté de ne pas rentrer chez lui, pour noyer un quelconque tracas ou même pour se chercher une nana susceptible d'être réceptive à ses talents de baratineur. Ce soir il ne noyait que l'ennui, et un léger coup de blues. Mais à Rome, où les réputations et les carrières se faisaient et se défaisaient en quelque lignes assassines en première page d'un journal, ou à celui des photos volées éditées dans un magazine aux allures de torchons, il s'agissait du genre d'écarts que Vittorio ne se serait jamais permis. Il avait mis des années à construire son image, lisse, sans le moindre accroc, à faire oublier ses manières de caïd, à gommer son phrasé de voyou ... Tout pour se donner l'air irréprochable. A Brisbane il était tranquille, il était qui il avait envie d'être, et il n'avait même pas à se sentir forcé de décliner lorsqu'on lui proposait un dernier verre comme la barmaid venait de le faire. Fait moins rare, elle en avait également profité pour engager la conversation, visiblement habituée à clients plus loquaces. « Plus que vous, en tout cas. » Un autre se serait peut-être formalisé de cette réponse du tac au tac, mais Vitto n'en avait ni l'envie ni la patience, et un fin sourire zébrant son visage il avait justifié d'une voix calme « Même alcoolisé, rien ne sort jamais de ma bouche sans que je ne l'ai décidé. » avant de porter à nouveau à ses lèvres le verre qu'elle venait de remplir de ce whisky auquel il carburait depuis son arrivée. Tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de dire quelque chose, c'était presque une règle de survie quand on venait de là où il venait. Était-ce alors le blues, le regain de solitude, ou bien simplement le fait que le visage sûr d'elle encadré par des mèches blonde, et la voix affirmée de la barmaid suffisaient à le convaincre de ne pas laisser sa tentative de converser se solder par un échec ? Toujours est-il que la gorge réchauffée par l'alcool Vitto avait posé sur elle un regard un brin curieux et apporté une réponse en forme de question. Il avait le mal du pays, mais doutait que l'on puisse vraiment comprendre ce qu'il voulait dire sans l'avoir expérimenté soi-même. « Je suppose que non. » Malgré lui, le blond n'avait pas pu retenir la légère moue de déception qui avait retroussé ses lèvres, tandis qu'il goûtait à nouveau à son whisky « C’est pas si mal, Brisbane. Même si ça doit pas mal vous changer de … L’Europe. » A son tour de grimacer légèrement, le nez plissé avec dubitation tandis qu'elle tentait de se rassurer « Pitié, ne m’dites pas Amérique du Sud, j’aurais l’air vraiment bête. » Laissant échapper un léger rire, l'italien avait reposé son verre sur le comptoir et secoué doucement la tête « C'est bon, votre honneur est sauf. » Mais qu'on se le dise aux oreilles de ces anglophones espagnol, italien ou français cela ne faisait pas grande différence ... Vitto ne l'avouerait pas, mais il trouvait qu'ils manquaient cruellement d'oreille. « On ne peut pas en dire autant de mon accent, si je comprends bien ? » Il jouait les déçus mais au fond il en avait parfaitement conscience, son accent restait déplorable, et rien que ce détail lui empêchait de se faire passer pour quoi que ce soit d'autre qu'un touriste, un poisson sorti de son bocal. Ne perd jamais cet accent, lui avait susurré un jour Kaecy à l'oreille, c'était peut-être bien la seule chose sur laquelle il ait tenu parole. « Ça fait longtemps que vous êtes ici ? » Il avait haussé les épaules, se demandant bien ce qui pouvait ou non être considéré comme "longtemps" aux yeux de son interlocutrice. « Quelques semaines, pas encore suffisamment pour avoir le réflexe de regarder du bon côté avant de traverser. » Ce qui lui avait déjà valu à une ou deux reprises quelques échanges fleuris avec des automobilistes, Vittorio pétri de mauvaise foi et persuadé que la manie des anglo-saxons à ne rien vouloir faire comme tout le monde était la seule fautive. Terminant d'une traite son verre de whisky, désireux de ne pas non plus y passer la nuit, l'italien n'avait pas perdu sa langue pourtant autant et planté son regard sur le profil de la barmaid en même temps que son verre sur le comptoir « Parlez-moi de Brisbane. Vous avez l'air de savoir de quoi vous parlez, quand vous me dites que ce n'est pas si mal ... Y'a des trésors cachés pour lesquels je peux être mis dans la confidence ? » Il ne demandait presque que cela, lui, des raisons de ne pas voir cette ville uniquement comme le radeau de fortune sur lequel il avait décidé de monter pour se sauver d'une situation déplaisante. « Promis, un ou deux petits conseils et après je prends le large et je vous laissez fermer boutique. » La dernière table en effet venait d'être libérée et ses occupants avaient quitté le bar en gloussant avec légèreté, adressant un "bonsoir" à la cantonade et retournant profiter de l'air nocturne toujours bienvenu après quelques verres et une longue soirée.
|
| | | | (#)Sam 26 Nov 2016 - 13:50 | |
| VITTORIO AND CHELSEA (tell me about the girl raised on cityscapes and ash and the boy born below starry skies and ageless trees. tell me how they met under grey skies and dreams, tell me how they stayed up watching the stars dance, tell me and i'll write you a tragedy of drumbeats and tattoos.) Je n’étais pas particulièrement douée pour cerner les autres, pour deviner l’essence de leur âme, pour me rendre compte de leur bagage personnel et de leur passé avant même qu’ils ne prononcent le moindre mot. Je n’étais pas particulièrement douée, non, parce que, la vérité, c’était que mon esprit allait trop vite pour s’attacher aux petits indices qu’ils semaient autour d’eux ; j’étais impulsive par nature, je m’enflammais au moindre détail, mes pensées se cognaient les unes contre les autres, encore et encore. J’avais la sale habitude de faire les mauvais choix, également, comme si j’attirais les problèmes sans le vouloir, comme si j’aimais les problèmes sans le savoir. Je n’aurais jamais fréquenté Alex si j’avais su que je me condamnais à entendre les personnes qu’il se mettait à dos frapper à ma porte durant des années. Je n’aurais jamais fréquenté Alex si j’avais su que la dégaine de voyou allait de paire, bien souvent, avec la vie de voyou ; je n’aurais jamais fréquenté Alex si j’avais su qu’il ne suffisait pas de le mettre dehors une première fois pour le rayer de mon existence. Je n’aurais jamais fréquenté Alex si j’avais su qu’il serait la raison pour laquelle j’avais été battue et laissée pour morte sur un trottoir. Si j’avais su, je ne l’aurais jamais fait. Pourtant, une part de moi savait que j’avais été consciente de tout cela la première fois que je m’étais jetée dans ses bras. Je n’étais pas particulièrement douée pour cerner les autres et, pourtant, j’avais quand même un certain don pour choisir le pire. Comme si, au fond, je savais que je ne faisais que de m’enfoncer chaque jour un peu plus. Comme si, au fond, je ne voulais que ça. « Même alcoolisé, rien ne sort jamais de ma bouche sans que je ne l'ai décidé, » me répondit-il et j’esquissai un sourire. Je ne savais pas si je le croyais ; Alex aurait été du genre à me dire la même chose et me prouver le contraire dans les cinq minutes qui suivaient. Alex, oui. Mais l’homme en face de moi n’était pas Alex. Je secouai la tête pour ne plus y penser, me concentrant sur mon interlocuteur et le bagage de mystères qu’il semblait traîner derrière lui. Mystères pour moi, évidences pour les autres, je n’en savais trop rien, au fond ; je n’avais pas l’habitude de me heurter à un mur de silence. « C'est bon, votre honneur est sauf, » dit-il après avoir ri de ma bêtise et je poussai un petit soupir de soulagement. J’avais l’habitude du ridicule mais cela ne voulait pas dire que j’appréciais forcément quand mon manque de culture et d’instruction était dévoilé au grand jour. « On ne peut pas en dire autant de mon accent, si je comprends bien ? » Un nouveau sourire apparut sur mes lèvres. J’haussai les épaules en le détaillant du regard. « Ne vous en faites pas, ici cet accent va en faire tomber plus d’un. » Puis, je désignais du menton une table derrière lui, propre, rangée, là où un groupe d’amies avaient été attablée durant une bonne partie de la soirée. « Table 7. L’une d’entre elles n’attendait que le moment où vous tourneriez la tête vers elle. Je suis presque sûre qu’elle a pu sentir de là où elle était que vous aviez un côté exotique. Table 32. Si vous aviez ouvert la bouche durant la soirée, elles auraient fendu sur vous comme des rapaces, » énumérai-je en désignant au fur et à mesure l’emplacement des tables. Je n’étais pas particulièrement douée pour cerner les autres, non, mais être employée au McTavish depuis plusieurs mois m’avait permis de connaître les personnes qui venaient régulièrement. D’anticiper leurs réactions. De les connaître, quelque part, même s’il ne voyait qu’une barmaid. Mais, lui, je ne le connaissais pas. Et à mesure que nous pouvions bien parler, à mesure qu’il pouvait me répondre, je me rendais compte qu’il avait cette retenue qui influençait sa façon d’être, comme s’il vivait avec pudeur. Je comprenais, au fond. « Quelques semaines, pas encore suffisamment pour avoir le réflexe de regarder du bon côté avant de traverser, » déclara-t-il et je me mis à rire. « J'me servirais pas de ce critère à votre place, ça fait vingt-six ans que j'suis là et j'regarde toujours pas du bon côté non plus. » Je fis la moue. La vérité, c’était que je ne regardais pas tout court avant de traverser. Je ne faisais pas attention non plus lorsque j’étais sur ma bicyclette ; généralement, j’étais la personne que l’on klaxonnait, celle qu’on insultait, celle qui venait crier encore plus fort et qui donnait des coups dans les pneus. « Parlez-moi de Brisbane. Vous avez l'air de savoir de quoi vous parlez, quand vous me dites que ce n'est pas si mal... Y'a des trésors cachés pour lesquels je peux être mis dans la confidence ? » me demanda-t-il finalement et je fus surprise de l’entendre formuler une question. Au même instant, le groupe d’amis se leva pour s’en aller, et je leurs souhaitais une bonne soirée en retour. Je fronçai les sourcils en les observant sortir, puis reportais mon attention sur l’homme du bar au moment où je constatais qu’ils avaient décidé de prendre un Uber, soulagée. « Promis, un ou deux petits conseils et après je prends le large et je vous laissez fermer boutique. » Il n’y avait plus que lui. Toujours accoudé au bar, un verre vide devant lui. J’haussai les épaules pour lui montrer que cela m’importait peu—Elias était chez ma soeur ce soir-là, de toutes manières, et je ne le verrais qu’en allant le chercher à l’heure du déjeuner—, puis je me munis d’une éponge avant de faire le tour du comptoir. « Vous pensez que je vais vous laisser rentrer dans cet état seul ? » lui demandai-je en me dirigeant vers la table que le groupe d’ami avait laissé derrière lui, seul table pas encore nettoyée. Je débarrassais les derniers verres, les ramenant au compoir. « Ma tarte pomme-cannelle est l’incontournable de la ville. On ne connait pas Brisbane tant qu’on ne l’a pas goûtée, » dis-je, postée à côté de lui. Je lui offris un sourire taquin avant de retourner à la table pour y passer un coup d’éponge. « Mon fils adore le Roma Street Parkland, un parc au milieu de la ville absolument magnifique, et la piscine à vagues du quartier de Wynnum. Pour ce qui est du reste… J’ai entendu les clients parler du Koala Sanctuary et de l’Île de Moreton, apparemment on peut même escalader le Story Bridge et avoir un panorama de toute la ville. » Je restai statique en songeant à ce que cela devait faire, d’être tout en haut et d’avoir Brisbane sous les yeux de cette manière. Je finis par secouer la tête et attraper une chaise, la retourner sur la table, et faire la même chose avec toutes les autres. Il y avait beaucoup de choses que je n’avais jamais eu l’occasion de faire. Je n’avais jamais eu les moyens, ni même le temps ; je m’en tenais à des on dit et à tout ce que je pouvais entendre parmi les clients. Je finis par revenir au comptoir, reprenant ma place, face à l’ homme du bar. « La vérité, c’est que j’connais pas Brisbane comme ça. Comme les touristes connaissent la ville, j’veux dire. Pour moi, Brisbane c’est mon fils qui joue du piano en plein air, c’est l’artiste de rue qui égaye ma journée, c’est connaître les rues que personne ne connait et qui sont pourtant les plus belles. » Je n’avais pas eu envie de mentir alors je ne l’avais pas fait ; mes yeux se posèrent sur ceux de l’homme qui me faisait face, cherchant à décrypter ce à quoi il pouvait bien penser. Je n’étais pas particulièrement douée pour cerner les autres, non. J’avais même tendance à être attirée par ceux qui ne me vaudraient que des ennuis. Il pouvait très bien être un tueur en série. Il l’était sans doute, à vrai dire. Parce que j’étais toujours là. Et je faisais toujours les mauvais choix.
|
| | | | (#)Ven 6 Jan 2017 - 21:09 | |
| Impossible pour Vittorio d'espérer camoufler son statut d'étranger, tant tout dans son comportement et son phrasé tendait à vendre la mèche. Mais il ne cherchait pas spécialement à inverser la tendance, pour le moment l'excuse des vacances ou de l'année sabbatique faisaient amplement l'affaire et on ne lui avait jamais posé plus de questions. Il n'était qu'un étranger parmi tant d'autres, dans ce pays qui faisait fantasmer bon nombre d'habitants des autres continents. « Ne vous en faites pas, ici cet accent va en faire tomber plus d’un. » lui avait par ailleurs fait remarquer la barmaid, affichant un sourire en coin « Table 7. L’une d’entre elles n’attendait que le moment où vous tourneriez la tête vers elle. Je suis presque sûre qu’elle a pu sentir de là où elle était que vous aviez un côté exotique. Table 32. Si vous aviez ouvert la bouche durant la soirée, elles auraient fendu sur vous comme des rapaces. » Amusé autant qu'intrigué, l'italien avait tourné la tête vers la fameuse table 32, et levé son verre de whisky à l'instant où, se sentant probablement observées, ses occupantes avaient relevé les yeux vers lui. « Vous êtes fine observatrice. » avait-il alors fait remarquer d'un ton légèrement amusé, tandis qu'il pivotait à nouveau pour faire face à la jeune femme coincée derrière son bar. « C'est l'habitude, qui fait que nos clients n'ont plus de secrets pour vous ? » Peut-être s'attendait-elle à ce qu'elle l'abandonne pour aller profiter d'une opportunité éventuelle auprès des occupantes de la table, mais c'était se tromper sur son compte ... Il portait son bagou et son côté beau parleur en bandoulière, mais s'autorisait à aller au bout des choses bien moins souvent qu'il n'avait envie de le faire croire, simple histoire de poudre jetée aux yeux. Puisqu'il se savait de toute manière incapable de donner le change pour prouver le contraire, Vittorio n'avait pas cherché non plus à cacher ses quelques difficultés d'adaptation à cette ville, et au mode de vie australien de façon plus générale. Anglo-saxons et européens n'avaient définitivement pas la même façon d'envisager les choses, surtout tout un tas de sujets ... Et la conduite en était définitivement un, même pour le piéton qu'était Vittorio, qui peinait déjà à se souvenir de regarder à gauche plutôt qu'à droite avant de traverser, et qui n'osait imaginer comment il s'en serait sorti s'il avait eu le permis de conduire et une voiture à faire rouler par ici. « J'me servirais pas de ce critère à votre place, ça fait vingt-six ans que j'suis là et j'regarde toujours pas du bon côté non plus. » Laissant échapper un nouveau rire, réellement amusé par le répondant de la jeune femme, il avait terminé son verre et décider de quémander ses conseils touristiques, probablement aiguisés si elle était en ville depuis sa naissance ... Du moins il supposait que vingt-six correspondait à sa naissance, elle ne semblait pas être beaucoup plus vieille. Plutôt que de répondre à sa question, elle avait néanmoins questionné à son tour « Vous pensez que je vais vous laisser rentrer dans cet état seul ? » sans doute rendue dubitative par sa promesse de débarrasser le plancher dès qu'elle aurait accédé à sa requête. « Je suis venu à vélo. » Il avait haussé les épaules, mais devant son air peu convaincu il avait capitulé « Je le pousserai pour rentrer, vi prometto. » Il était bien moins certain de parvenir à retrouver son chemin que de rentrer en un seul morceau, en réalité, mais inutile d'avouer à quel point son sens de l'orientation était déplorable, surtout alcoolisé. « Ma tarte pomme-cannelle est l’incontournable de la ville. On ne connait pas Brisbane tant qu’on ne l’a pas goûtée. » avait-elle finalement repris, un sourire entendu sur les lèvres, Vittorio se demandant s'il obtiendrait une réponse sérieuse à sa question, mais décidant malgré tout de saisir la perche supposément tendue « Si c'est une ruse pour tenter de me pousser à devenir un client régulier ... il se pourrait bien que cela fonctionne. Je vous l'ai dit, je ne demande qu'à connaître Brisbane, tarte pomme-cannelle inclue. » Et puis, trêve de plaisanterie, il trouvait à ce bar un certain charme ... Moins bruyant et moins tape à l'oeil que ceux de Pine Rivers et Fortitude Valley. En vérité il cherchait avant tout un déclic, quelque chose de moins entendu qu'un monument ou un musée sur lesquels se ruaient la majorité des touristes ... Non, Vittorio cherchait quelque chose d'un peu plus authentique. Quelque chose qui pourrait le persuader que Brisbane était une ville où il pourrait rester un moment, si d'aventure les deux femmes pour lesquelles il s'y étaient échouées ne valaient finalement pas qu'il s'y attarde. « Mon fils adore le Roma Street Parkland, un parc au milieu de la ville absolument magnifique, et la piscine à vagues du quartier de Wynnum. Pour ce qui est du reste … J’ai entendu les clients parler du Koala Sanctuary et de l’Île de Moreton, apparemment on peut même escalader le Story Bridge et avoir un panorama de toute la ville. » S'était pourtant décidée à lui confier la barmaid, avec le même ton et la même assurance qu'une guide touristique. Il connaissait déjà le Story Bridge, et regrettait presque de ne pas avoir d'enfant sous la main qui lui permettrait de se rendre au Koala Sanctuary sans perdre la face et admettre que la visite se faisait pour lui uniquement. « La vérité, c’est que j’connais pas Brisbane comme ça. Comme les touristes connaissent la ville, j’veux dire. Pour moi, Brisbane c’est mon fils qui joue du piano en plein air, c’est l’artiste de rue qui égaye ma journée, c’est connaître les rues que personne ne connait et qui sont pourtant les plus belles. » Sa curiosité piquée au vif, Vittorio avait appuyé l'un de ses coudes sur le comptoir tout en suivant des yeux la jeune femme, en plein nettoyage de fin de service. « D'accord, maintenant vous avez toute mon attention. Dites-moi qu'il y a plus intéressant que le quartier plan-plan dans lequel j'ai atterri - pas que je me plaigne, mon colocataire est un mec bien, vraiment - et les attrapes-touristes habituels. » La chaleur commençait à lui rougir l'extrémité des oreilles, c'était le premier des symptômes qui tendaient, chez lui, à prouver qu'il avait atteint les limites du raisonnable en terme de boisson. « Et si vous connaissez l'adresse d'un bon resto italien - un vrai de vrai, j'entends - je ne suis pas contre non plus. » Parce que leurs pizzas américaines, là, Vittorio trouvait que cela relevait carrément du sacrilège. Et il ne parlait même pas de ce jus de chaussette qu'ils servaient partout en osant appeler ça du café.
|
| | | | (#)Mar 21 Mar 2017 - 18:17 | |
| VITTORIO AND CHELSEA (tell me about the girl raised on cityscapes and ash and the boy born below starry skies and ageless trees. tell me how they met under grey skies and dreams, tell me how they stayed up watching the stars dance, tell me and i'll write you a tragedy of drumbeats and tattoos.) Les gens ne se rendaient probablement pas compte, non. Ils ne se rendaient pas compte que même si nous ne cherchions pas à les observer, on finissait toujours par en apprendre plus que nécessaire sur eux. Ils ne se rendaient pas compte que même s’ils avaient l’impression de vivre dans une bulle, cela n’était pas le cas. Une bulle ne pouvait pas exister dans un tel endroit. Ils n’étaient pas seuls au monde, dans cette taverne. Leur conversation ne les concernait pas qu’eux. Leurs interactions ne se faisaient pas que dans leur bande d’amis mais avec toutes les âmes qui pouvaient bien se retrouver là, le même soir. En venant débarrasser les tables, même si je n’avais absolument aucune intention d’entendre ce qu’ils pouvaient bien se dire, je finissais toujours par avoir des bribes venues me chatouiller les oreilles. Les confessions d’une jeune fille à sa meilleure amie. Les exploits d’un homme déballés à tous ses potes. Les dernières nouvelles d’un employé de banque. Les déboires narrés par un groupe d’étudiants. Les gens ne se rendaient probablement pas compte, non. Je n’étais qu’un fantôme, un automate, à leurs yeux. Je leur servais des verres. Je leur rendais leur monnaie. Je débarrassais leur table. Ils n’avaient pas conscience que je voyais et que j’entendais toutes ces choses. Je n’avais pas besoin de les cerner ; quelque part, ils s’offraient à moi comme des livres ouverts. Avec le temps, même, j’avais l’impression de connaître les habitués comme mes plus proches amis sans jamais leur avoir adressé la parole plus de quelques secondes. Sans jamais leur avoir dit autre chose que qu’est-ce que je peux vous servir et ça fera dix dollars. « Vous êtes fine observatrice, » déclara l’homme du bar et je ne pus m’empêcher de m’esclaffer en secouant la tête d’un air dépité. Cela n’avait rien avoir avec l’observation, voire même avec des qualités d’enquêtrice. Cela n’avait rien avoir avec moi. Non. Mais il ne pouvait pas se rendre compte. Il n’était pas installé du bon côté du comptoir. « C'est l'habitude, qui fait que nos clients n'ont plus de secrets pour vous ? » Je secouai la tête encore plus pour marquer la négation. « Absolument pas. C’est l’métier qui fait tout, » lui répondis-je, presque pensive. « Les gens ne s’rendent pas compte que j’suis là. Que j’entends même si j’veux pas entendre. Que je vois même si j’veux pas voir. Avec le temps j’finis par les connaître. Tous. Même s’ils ne me remarquent pas. » C’était la première fois que j’en parlais avec un client. La première fois que l’un d’entre eux me faisaient remarquer que j’étais observatrice alors que je ne l’étais pas. Cela était presque déroutant au fond. Parce que lui, l’ homme du bar, m’avait vu. Du moins, c’était rendu compte de ma présence d’une quelconque manière. « Je suis venu à vélo, » me répondit-il lorsque je lui avais annoncé très clairement que je ne pourrais pas le laisser repartir dans cet état. « Je le pousserai pour rentrer, vi prometto. » J’arquai un sourcil. J’avais du mal à l’imaginer réussir à s’orienter dans Brisbane, la nuit tombée, tout en trainant une bicyclette derrière lui. C’était sans doute répondre au cliché des étrangers. Oui. Sans doute. Mais je ne dis rien, préférant mettre le sujet de côté, préférant le laisser croire que cela suffirait sans doute de me faire une telle promesse. Ma responsabilité était de l’empêcher de prendre le volant. Pas de l’empêcher de s’aventurer dans les rues australiennes seul, avec son taux d’alcoolémie trop élevé pour l’aider à s’orienter correctement dans une ville qui n’était pas la sienne. Après tout, il m’avait bien demandé de lui parler de Brisbane. Après tout, cela se voyait qu’il ne savait pas encore très bien ce qu’il faisait là. Après tout, il ne semblait pas encore avoir compris l’essence même de cette ville. De cette communauté. De ce monde. « Si c'est une ruse pour tenter de me pousser à devenir un client régulier… Il se pourrait bien que cela fonctionne. Je vous l'ai dit, je ne demande qu'à connaître Brisbane, tarte pomme-cannelle inclue. » Je me mis à sourire, nettoyant la dernière table qui avait été occupée par un groupe d’amis. Puis, finalement, je poursuivis, m’attardant sur les lieux touristiques dans un premier temps, avant de finalement avouer que ce n’était pas de cette manière-là que je connaissais la ville. J’étais native, après tout. J’avais grandi dans ces rues. J’avais vu des immeubles se construire, des endroits disparaître. Je connaissais les odeurs et les bruits. C’était chez moi. « D'accord, maintenant vous avez toute mon attention. Dites-moi qu'il y a plus intéressant que le quartier plan-plan dans lequel j'ai atterri - pas que je me plaigne, mon colocataire est un mec bien, vraiment - et les attrapes-touristes habituels, » dit finalement l’homme du bar, avant d’ajouter. « Et si vous connaissez l'adresse d'un bon resto italien - un vrai de vrai, j'entends - je ne suis pas contre non plus. » Je me mis à rire, avant de secouer la tête, dépitée. « Vous allez m’faire une attaque cardiaque si j’vous dis que j’sais pas vraiment ce que c’est un vrai resto italien ? » demandai-je en tout sincérité. « J’suis jamais sortie de cette ville. J’peux pas avoir une vraie référence pour la nourriture italienne. » On pouvait croire que c’était triste. Quelque part, cela l’était sans doute. Mais je le vivais bien. Du moins, j’avais fini par m’y faire. « Brydon Street, par exemple. C’est un quartier résidentiel où on a l’impression d’être envahi par la nature. Il n’y a pas un bruit. Il y a même un espace vert où personne ne va. J’y vais quand j’ai besoin d’être seule, » finis-je par dire. « Autrement, vous pouvez vous balader du côté de Hampstead Road. Un peu plus fréquenté mais c’est là qu’on a le meilleur panorama sur le centre ville. Après, ça dépend ce que vous cherchez. » Je lui offris un sourire avant d’hausser les épaules.
|
| | | | (#)Ven 14 Avr 2017 - 20:50 | |
| Vittorio était d’avis que tout dans la vie n’était que question de choix, particulièrement ce que l’on décidait d’en faire. Il n’envisageait pas que l’on puisse se contenter du « moins pire » ou raisonner comme quelqu’un qui n’osait pas rester autrement que « à sa place » … Cela ne voulait rien dire, à sa place, l’italien estimait que la seule place qui était la sienne était celle qu’il s’était saigné aux quatre veines pour obtenir. Puis qu’il avait perdu. Et qu’il comptait bien récupérer un jour. Il se demandait quelle place son interlocutrice estimait être la sienne, il se demandait quelle était la véritable intention attachée à sa présence derrière ce bar : économiser en attendant mieux ? Se refaire après un mauvais virage ? « Absolument pas. C’est l’métier qui fait tout. » lui avait-elle en tout cas répondu avec l’aplomb de celle qui était là depuis longtemps, et cette pointe d’accent qui le déroutait toujours un peu chez les habitants de cette ville (un comble, compte tenu de l’accent italien presque caricatural avec lequel lui-même s’exprimait). « Les gens ne s’rendent pas compte que j’suis là. Que j’entends même j’veux pas entendre. Que je vois même si j’veux pas voir. Avec le temps j’finis par les connaître. Tous. Même s’ils ne me remarquent pas. » Le constat était un peu triste, et donnait l’impression que la jeune femme avait passé énormément de temps à se questionner sur les tenants et les aboutissants de son métier … Mais clairement pas pour en faire ressortir ce qu’elle estimerait en être les avantages. Affichant un sourire compatissant il avait fait remarquer « Vous avez passé un peu trop de temps de votre côté du bar, et pas assez du mien, si vous voulez mon avis. » Et si elle n’en voulait pas, et bien, trop tard. « Vous travaillez ici depuis longtemps ? » Peut-être était-ce l’alcool qui lui donnait l’impression de pouvoir poser ainsi des questions personnelles à une femme qu’il ne connaissait que depuis quelques minutes. Et connaître était un bien grand mot. Attrapant son verre, il avait pivoté sur son tabouret pour suivre des yeux la blonde tandis qu’elle repassait du côté clients du bar, éponge humide dans une main et chiffon dans l’autre, pour nettoyer la table récemment abandonnée par les derniers occupants. Vittorio était désormais officiellement le dernier client du bar. Et si une partie de lui savait qu’il serait temps pour lui de décoller afin de permettre à la jeune femme de fermer, le whisky qui lui déliait la langue le poussait à faire la conversation. « Vous allez m’faire une attaque cardiaque si j’vous dis que j’sais pas vraiment ce que c’est un vrai resto italien ? » Il avait fait mine de porter une main à son cœur « J’suis jamais sortie de cette ville. J’peux pas avoir une vraie référence pour la nourriture italienne. » Il trouvait cela tellement triste, faire un métier frustrant – du moins il semblait que cela la frustrait un peu – et n’avoir jamais passé la frontière de la ville dans laquelle elle avait vu le jour. C’était manquer un peu d’ambition, selon lui, bien qu’il ait préféré garder pour lui son opinion à ce sujet. « Généralement plus un resto revendique ses supposées origines, plus c’est du pipeau. » Du moins c’était ce qu’il avait cru remarquer. « Disons que si je trouve la perle rare, je vous embarque avec moi pour avoir un deuxième avis, d’ac ? » C’était une manière un peu cavalière de l’inviter au restaurant, certes, mais il en fallait plus pour stopper Vittorio. « Allez, voyager gustativement parlant c’est presque comme sortir de cette ville. » avait-il même ajouté pour plaider sa causer et tenter de la convaincre une bonne fois pour toutes. Reste qu’il avait toujours besoin d’elle – ou plutôt de ses conseils – pour tenter de trouver enfin les attraits de cette ville. Il avait bien tenté de s’en remettre à Bob tout d’abord, mais force était de constater que son colocataire passait un peu trop de temps le nez dans son travail et ne semblait pas mieux connaître la ville que n’importe quel touriste qui aurait lu le guide du routard pendant ses vingt-quatre heures d’avion. « Brydon Street, par exemple. C’est un quartier résidentiel où on a l’impression d’être envahi par la nature. Il n’y a pas un bruit. Il y a même un espace vert où personne ne va. J’y vais quand j’ai besoin d’être seule. » avait-elle alors commencé par lui indiquer. « Autrement, vous pouvez vous balader du côté de Hampstead Road. Un peu plus fréquenté mais c’est là qu’on a le meilleur panorama sur le centre-ville. Après, ça dépend ce que vous cherchez. » La dernière réflexion l’avait laissé pensif quelques instants, et terminant son verre une bonne fois pour toutes il avait haussé les épaules « Je ne sais pas trop ce que je cherche, pour ne rien vous cacher. » Il ne l’aidait pas beaucoup, certes, mais c’était la pure vérité … Il essayait simplement d’avoir le déclic. La petite étincelle qui rendrait son mal du pays un peu moins présent parce qu’il pourrait toujours se dire que Brisbane ce n’était pas si mal, même si ce n’était pas son Italie. « Mais Hampstead Road je connais, je crois. Il me semble que je suis déjà passé par là en vélo. » Une de ces nombreuses fois où son sens de l’orientation l’avait encore perdu, sans doute. « Parce contre l’autre que vous m’avez dit … ? Briden Street … Byden Street ? Bref, ça mérite que je me penche dessus. Même si pour ce qui est du silence je suis déjà servi là où je vis, à par les tondeuses à gazon le dimanche et les enfants à l’heure de sortie d’école c’est un peu le calme plat … » Et c’était un peu déroutant pour lui, d’ailleurs. A Rome il avait toujours vécu en centre-ville, il était habitué à l’animation perpétuelle, de jour comme de nuit. A Naples n’en parlons pas, les cages à lapins de Scampia avaient des murs plus fins que du papier à cigarette et l’on y avait sans cesse l’impression de vivre en colocation avec ses voisins de droite, de gauche, du dessous et du dessus. « Excusez-moi, je parle, je parle, mais vous devez espérer en silence que je déguerpisse pour pouvoir fermer. » Étirant ses bras, il était descendu de son tabouret non sans se laisser quelques secondes pour trouver son équilibre, prenant une grande inspiration. « Combien je vous dois ? » La main s’était déjà glissée dans la poche intérieure de sa veste pour y récupérer son portefeuille.
|
| | | | | | | | tell me and i'll write you a tragedy of drumbeats and tattoos / vittorio |
|
| |