La tempête fait toujours sa petite apparition dans les flashs info tout au long de la journée. Des foyers sans électricité que la solidarité permet d'aider à vivre le temps que tout soit reconnecté au réseau. De grands arbres enfin découpés et dégagés des routes, et ces mêmes routes réparées, rebouchées, nettoyées, désengorgées des voitures laissées à l'abandon. Des animaux morts n'ayant pas eu la chance de rejoindre un abri naturel jonchent le sol des forêts alentours. Les poteaux électriques sont redressés progressivement, les câbles à haute tension à nouveau tendus d'un bout à l'autre des lignes avec grandes précautions. Le port qui avait été mis à sac par les bourrasques perd ses airs de cimetière de bord de mer. Un peu plus d'une semaine plus tard, donc, la vie retourne peu à peu à la normale. Ce vendredi là est particulièrement calme. Il fait partie de ces jours où le monde est clément avec ceux qui travaillent dur le reste du temps, et leur offre une petite pause bien méritée. Pas de rendez-vous importants, pas de montagne de mails, pas de téléphone épileptique, même pas d'imprévus sur les programmes de la journée ni de retard dans les horaires. La radio est un ballet, pour une fois, exécuté selon un timing à la précision chirurgicale. Pas d'émission pour moi cet après-midi, une édition spéciale m'a dévoré le créneau, mais pour mon plus grand plaisir je dois l'avouer. Je quitte la chaîne de bonne heure, et de bonne humeur. Je conduis tranquillement, presque trop lentement, jusqu'à l'immeuble où résident les parents de Joanne. La jeune femme s'est réfugiée chez eux pour le moment et s'y occupe de Daniel. Je ne suis pas attendu avant dix-neuf heures, comme tous les soirs. C'est pourtant bien plus tôt que je frappe à la porte. « Bonjour Jane. » La mère Prescott m'accueille avec un sourire pincé. « Je viens simplement voir Joanne. C'est enfin un peu plus calme à la radio aujourd'hui alors je me suis libéré plus tôt pour… passer un peu de temps ensemble, et avec Daniel. Si elle se sent assez en forme pour ça bien sûr. » L'on peut dire que je suis d'humeur à donner une chance à cette journée, à cette famille. Passer quelques heures tous les trois, ne serais-ce que pour que le petit puisse avoir son père et sa mère en même temps. Le temps est radieux, nous pourrions récupérer les chiens, traîner sur la plage ou sur l'esplanade. Essayer. Juste essayer. « Elle... » Jane n'a pas intérêt à dire un mot de travers. La situation est bien trop délicate. « Elle est sortie. Elle est partie il y a quelques minutes. » avoue-t-elle, la moue désolée. Elle sait à quel point il m'est difficile de me montrer si tôt. Quasiment impossible vu l'horaire de mon émission. « Sortie ? » Eh bien, moi qui m'inquiétais de sa forme. « Je ne sais pas quand est-ce qu'elle rentrera. » ajoute Jane. Visiblement, j'ai raté Joanne à peu de choses près, ainsi il y a plus de chances de la voir revenir dans plusieurs heures que dans une dizaine de minutes. Déçu, frustré, je soupire et croise les bras. « Est-ce que vous savez où elle est allée ? Je peux peut-être aller la chercher là-bas. » Question qui fâche. Hors de question de dire à l'ex-fiancé jaloux et possessif que sa fille vient de s'envoler chez son ex-mari. Son appartement pourrait finir soufflé par l'explosion de cet homme à la détonation facile. Alors Jane ne dit rien. Son silence rend absolument évident qu'elle me dissimule quelque chose. Braqué cette fois, je soupire de contrariété et me fait violence pour ne pas fusiller la mère Prescott du regard. « Bien. Je vais récupérer mon fils dans ce cas. » Je ne suis pas invité à entrer. Jane se contente de trouver Daniel et de le déposer dans mes bras. Le petit gazouille joyeusement, sa tétine dans la bouche, son doudou bien en main. Le petit n'hésite pas à crier sa joie lorsqu'il a la possibilité de se blottir contre moi. Il bat des bras et des jambes énergiquement, le regard pétillant. « Je le ramènerai dimanche soir. Dites à Joanne que nous sommes à la maison et qu'elle peut venir quand elle en a envie. » Il est incertain que la jeune femme ose en passer la porte, néanmoins, l'invitation est là, laissée à sa mère avec sincérité. Et sinon, eh bien, elle attendra dimanche soir avant de revoir Daniel, car je ne compte pas m'en séparer pendant ces prochains jours. Il grandit bien trop vite pour que je ne me permette pas de me l'accaparer le temps d'un week-end. Je garde l'espoir que Joanne viendra. Que nous soyons une famille pour lui un court instant. Daniel dans les bras, j'emprunte à nouveau l'ascenseur. Le petit s'amuse à dire au revoir à sa grand-mère avec sa petite main. Je me revois encore lui apprendre ce geste pour la première fois il n'y a pas si longtemps que cela. Une fois dans la cabine, il rit de son reflet, l'expérimente. Il a compris qu'il ne s'agit d'aucun autre bébé que lui-même dans le miroir. Il semble lointain le temps où il se vexait de constater que le bébé dans le miroir refusait de prendre son doudou lorsqu'il le lui donnait généreusement. Il a toujours cet ourson avec lui. Il ne le quitte quasiment jamais. J'ai lu que cela va de paire avec l'angoisse de la séparation ; le doudou devient la présence rassurante qui substitue celle de la mère le temps de son absence. « Tu vas passer le week-end avec papa. » lui dis-je une fois la ceinture du siège auto bien fixée. Je lui tapote le bout du nez, puis l'embrasse sur le front. Il commence à avoir le crâne bien chevelu. « Eh, et si on allait t'acheter de nouveaux livres, hm ? Ca fait longtemps. » Daniel tourne en rond avec les livres qu'il possède depuis des mois. Il est temps de découvrir d'autres formes, d'autres couleurs, d'autres animaux. Nous avons nos habitudes en la matière et nous nous rendons dans une librairie pour enfants dans notre quartier. En chemin, au bout de quelques minutes, je reconnais la silhouette de Joanne. Elle ne me remarque pas. « Sortie. » je siffle entre mes dents. Faire quoi, pourquoi, avec qui ? Aucune idée, mais il y a dans ces questions quelque chose que l'on ne veut pas me dire. La jeune femme ne rentre pas à la maison ; elle tourne juste avant notre rue. Maintenant, la question devient, chez qui va-t-elle ? Mes mains serrent le volant. Qu'importe. Qu'elle fasse ce qu'elle veut. Nous sortons de la librairie une bonne heure plus tard, après avoir arpenté les rayons et lu quelques petits livres sur place. Une fois à la maison, c'est crayonnage pour tout le monde. Daniel se tient parfaitement assis avec un excellent équilibre désormais. Les gribouillis en couleur sur le papier l'amusent beaucoup. Et moi, je le dessine lui. Tant pis si Joanne ne vient pas, un week-end entre nous nous fea le plus grand bien.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Jane n'était pas particulièrement enthousiaste de devoir annoncer à sa fille que Jamie était passé. Qu'il était pass et qu'il voulait passer du temps avec son fils et elle, contre toute attente. Les parents de Joanne ignoraient ce qui s'était passé entre eux, mais il fallait être aveugle pour voir que ce n'était pas tendu, encore une fois. Une aubaine pour eux pour tenter de lui faire comprendre qu'il n'était peut-être pas cela avec qui elle allait finir sa vie, mais Joanne ne voulait rien entendre. "Tu devrais te reposer, Joanne." avait dit Martin le lendemain matin, alors qu'elle enfilait une nouvelle fois son gilet. "Je ne peux pas rester éternellement ici, à dormir et à ne rien faire." lui répondit-elle en récupérant son sac à main. "Le médecin a dit qu'il faut que tu reprennes doucement." "Je ne vais rien faire d'inhabituel. Je veux juste passer du temps avec Jamie et Daniel, c'est tout." La jeune femme se fichait bien de ce que pensait ses parents, elle voulait aller les voir et elle allait le faire. Elle n'arrivait qu'en milieu d'après-midi à Logan City, les bras bien chargés. La jeune femme avait un avec elle un cabas avec tout un tas de choses. Etrangement, lorsqu'elle se retrouvait devant la porte d'entrée, elle ne saviat pas si elle pouvait entrer comme ça ou si elle devait sonner à la porte. Elle entendait les chiens aboyer juste derrière, ils devaient certainement savoir qui se trouvaient juste derrière, surtout Nunki et Sirius, qui devaient la repérer à des kilomètres. La jeune femme restait longuement là, jusqu'à ce qu'elle se décide qu'il valait mieux qu'elle sonnait. Son doigt frôlait la sonnette, celle-ci n'avait pas le temps de retentir que la porte s'ouvrait. Joanne avait toujours son coeur qui s'emballait dès qu'il apparaissait dans son champ de vision. "Bonjour." finit-elle par articuler au bout d'un long silence. "Mes parents m'ont dit que tu étais passé hier, et que je pouvais passer te voir, alors..." Elle haussa les épaules. "Je voulais arriver plutôt, mais il y avait un monde fou au supermarché. J'ai pris tout ce qu'il fallait pour préparer un dîner pour ce soir." Jamie finit par la laisser entrer. Les chiens se mêlaient au jambe de Joanne, tous particulièrement enthousiastes de revoir leur maîtresse. Celle-ci supposa que Daniel devait faire la sieste. Elle ne se sentait plus vraiment chez elle. Elle semblait connaître et ne pas connaître cet endroit. Joanne déposa le cabas sur le plan de travail afin de pouvoir tout en sortir et mettre le nécessaire au frais. "J'ai vu une autre recette de lasagnes végétariennes dans un magazine l'autre jour, je me suis dit que je pourrai essayer d'en faire pour ce soir. On pourrait peut-être même en fait goûter à Daniel, ça ne devrait pas être trop difficile à mâcher pour lui. Et j'ai pensé faire un clafoutis pour le dessert." dit-elle avec un sourire discret. Jane ne la laissait pas vraiment accéder aux cuisines ces derniers temps et il s'avérait que cela commençait vraiment à manquer à Joanne. Elle avait donc sauter sur l'occasion. Une fois qu'elle avait fini de tout ranger, elle jouait un peu avec ses doigts pendant quelques minutes. Au bout d'un certain temps, elle s'approcha de lui pour poser sa tête au niveau de son torse, et rien de plus. Son oreille collé contre lui, elle entendait son coeur battre. Le rythme était calme, posé, alors qu'elle s'entait le sien s'accélérer. Elle se moquait bien qu'il veuille l'étreindre ou non. Elle se décolla de lui ensuite. "Je ne sais pas ce qu'Hannah a pu te dire exactement, mais..." Joanne soupira. "Je sais que tu dois prendre une décision, tu me l'avais dit à l'hôpital. J'ai pris aussi des décisions de mon côté. L'une d'entre elles est que je refuse que tu sortes de ma vie. Je ne sais pas si elle est capable ou non de t'imposer quoi que ce soit, mais je ne veux pas être celle qu'on préfère évincer éternellement. Certains ont choisi la manière forte en partant loin d'ici, comme Sophia." Elle marqua une courte pause. "Tu aimeras la femme que tu voudras, et je respecterai ton choix. Mais il est hors de question que tu m'expulses de ta vie. Je veux que tu puisses passer du temps avec Daniel, et peut-être même un peu avec moi si tu le veux bien, qu'importe ce que nous sommes actuellement. Que si tu songes une seule seconde à repartir à Londres, je viendrai avec toi. Même si nous ne finissons que par être amis, ou... ou juste ce couple séparé qui partage la garde son enfant. Je prendrai tout ce que tu veux bien me donner, mais je ne te lâcherai pas, Jamie. Tu fais ce que tu veux avec Hannah, mais je resterai là." Peut-être là, dans cette maison. Qui sait, il la partagera avec Hannah plus tôt qu'on ne puisse le penser. Mais elle restera là, dans l'entourage de Jamie. "Tu es le père de notre fils, de notre plus grande source de bonheur. Tu sais tout ce que ça signifie pour moi. Tu sais toute l'importance que ça a pour moi, et tout ce qu'il y a derrière et qui a tout autant d'importance." De plus, Joanne n'avait toujours pas quitté sa bague de fiançailles. Le ton de Joanne laissait amplement comprendre qu'elle pensait le moindre de ses mots. Que lorsqu'elle disait être prête à partir à Londres s'il y allait également, elle le ferait. Elle se répétait sans cesse cette phrase que son médecin lui avait dit. Qu'elle aurait pu mourir. Si cela avait été le cas, quelle genre de relation aurait-elle laissé derrière elle avec Jamie ? Ca la travaillait constamment et cette annonce avait fait office d'électrochoc pour elle. Il n'y avait pas le temps, il n'y avait jamais laissé de temps. Alors autant dire ce qu'elle pensait tout bas et prendre un peu les devants avant qu'il ne soit trop tard.
Le lendemain, je me fais à l'idée que ce week-end sera en tête-à-tête entre moi et Daniel. Rien que lui et moi. Ce qui n'est pas plus mal. Je finis même par me dire que cette idée d'aller chercher Joanne chez ses parents était ridicule, presque infantile. Je me revois frapper à leur porte comme un petit garçon qui veut proposer à son amie de jouer au papa et à la maman. C'était un peu l'idée d'ailleurs. Une idée stupide. Les heures passent rythmées par les feuilles colorées qui s'empilent, les tâches de peinture sur le sol, les magazines déchirés juste pour faire du bruit, les musiques émises par tous ces jouets éducatifs. L'un d'eux traduit les formes et les couleurs qui le composent non seulement en anglais, mais aussi en français et en espagnol. Du coup, je sais désormais comment dire carré, rond, jaune ou rouge en trois langues différentes à force de les entendre raisonner dans le salon. Vers l'heure de la sieste, Daniel ne semble guère enclin à coopérer avec le sommeil, trop énergique pour aller dormir. Alors je l'installe dans ce cosy qui sera bientôt trop petit pour lui, à côté de moi, près du piano, et joue pour le bercer jusqu'à ce qu'il ferme les yeux et repose sa lourde tête sur ses joues dodues. Pendant qu'il se repose, je somnole également dans le salon. Il est parfois bon de ne rien faire. Ce sont les chiens qui s'agitent et m'avertissent que nous avons de la visite. J'ai atteint la porte presque au même moment où la jeune femme fut tentée de sonner -ce qui aurait réveillé Daniel en fanfare. Joanne, sur le pas de la porte, n'est pas venue les mains vides. « Tu n'aurais pas dû, nous aurions fait avec ce qu'il y a... » Les vivres ne manquent pas dans les placards et le réfrigérateur, même pour ceux d'un homme vivant seul depuis quelques jours. J'ai toujours su m'occuper de moi. Je laisse la petite blonde faire son chemin dans la maison entre les jouets du bébé et des chiens qui jonchent le sol et que je ne m'était pas décidé à ranger immédiatement. L'on pourrait presque se croire comme n'importe quel soir, à entendre Joanne proposer le menu du dîner. « C'est parfait. » dis-je tout bas, un peu nerveux. Je ne l'attendais plus. Nerveux, je reste planté là à la regarder ranger les quelques courses qu'elle a faites pour ce repas, avec une sensation de déjà-vu des plus troublantes. Silencieux, je ne sais pas sur quel sujet échanger avec la jeune femme sans que cela ne sonne faux et bizarre. Comme si plus rien de naturel ne pouvait avoir lieu quand nous sommes dans la même pièce. Elle s'approche, et Joanne pose finalement sa tête sur mon buste. Je réprime un frisson. Malgré mon malaise, je dépose délicatement une main sur ses cheveux. Le discours qui suit ce contact est à la fois inattendu et déconcertant. On pourrait croire que la jeune femme estime que nous sommes sur la fin, et qu'il est temps de prendre des dispositions pour la suite de cette inévitable séparation. Le choix ne m'appartient soudainement plus vraiment. Ce que Joanne m'assure avec détermination, c'est que nous ne laisserons pas un trou béant dans la vie l'un de l'autre ; nos existences ne sauraient être dénouées. Je ne saurais expliquer tout ce qui traverse mon esprit à cet instant, mais je ressens comme une grande gratitude et un certain soulagement. Je reste silencieux, incapable de répondre quoi que ce soit. Je ne saurais que lui répondre qui rien n'est acté. Alors je prends la jeune femme dans mes bras et la serre tout contre moi avec force. Mes lèvres déposent un long baiser sur son front. « Nous sommes liés pour toujours, quoi qu'il arrive. » je lui assure, mon regard dans le sien. Nous avons un fils, et en cela, nous sommes indissociables. Il est tout pour elle comme il est tout pour moi. Je souris légèrement. Néanmoins, je ne souhaite pas parler plus longtemps de ce sujet qui occupe bien assez de place dans mon esprit. « Mettons-nous au travail. » Jouons au papa et à la maman, en somme. Le dîner est préparé à quatre mains. Je nous sers un verre de vin chacun, pensant qu'un peu d'alcool ne nous ferait pas de mal pour être moins nerveux en la présence de l'autre. Je lance même un peu de musique pour couvrir l'inévitable silence. Des paroles ne sont pas toujours nécessaires. Lorsque nous fredonnons ensemble, dansons discrètement, découpons les légumes en rythme, cela fait revenir de loin un éclat de complicité qui allège l'air. Le plus difficile est sûrement de ne pas lui demander où elle était sortie la veille. Pourquoi est-ce qu'elle se trouvait dans le quartier, à pied, alors qu'elle devrait se reposer. Qui elle est allée visiter, puisqu'elle se rendait dans une rue strictement résidentielle. Bien des questions indiscrètes à contenir me brûlent les lèvres et me serrent le coeur. La jalousie paranoïaque n'est facile pour personne. L'on oublie trop souvent à quel point il est douloureux de sentir son coeur, ses tripes se tordre et former des nœuds toujours plus serrés. Puis toutes les petites pensées sont autant de coups de fourchette dans la chair qui enfoncent des idées tortueuses. Joanne a passé tant d'heure ici, seule, avec Daniel, tant de temps libre qu'elle a pu passer à arpenter les rues du quartier, rencontrer du monde. Rencontrer un homme, un voisin, qui la fera sentir moins seule. Quelqu'un qui l'écoutera raconter l'état désastreux de son couple, peut-être même pousser la trahison jusqu'à intimer les violences de ce fiancé trop possessif. Un homme qui redressera son joli visage au regard trop bas, et qui volera ses lèvres. Elle a eu tout le temps du monde de se trouver un amant qui sera pour elle un canaux de sauvetage lorsque tout aura coulé pour nous. Et c'est peut-être lui qu'elle à qui elle est allée rendre visite. C'est peut-être pour cette raison que Joanne semble si prête à me laisser partir. Parce qu'elle est déjà partie. Lorsque toutes ces pensées m'oppressent et appuient sur ma cage thoracique, je respire à chaque fois profondément. La jeune femme a très bien pu se faire une amie. Une autre femme que je ne connais pas, une voisine qui a peut-être elle aussi un chien ou un enfant. Une personne avec qui Joanne se serait bien entendue, qui serait parfois passée à la maison afin qu'elles se tiennent compagnie l'une l'autre sans que je ne le sache. Oui, elle a très bien pu vouloir rendre visite à une amie, avoir envie d'échapper aux nombreux soins de ses parents, à leur appartement, à sa condition de poupée fragile, et retrouver quelqu'un qui lui fasse oublier son voyage à la frontière de l'autre monde. Mes pensées vont d'une hypothèse à l'autre constamment, impossible d'équilibrer la balance de mes nerfs. Je sursaute légèrement lorsque le babyphone grésille. Daniel s'est réveillé, sûrement à cause du mélange de musique et d'odeurs qui grimpent jusqu'à l'étage. « Je m'en occupe. » dis-je en essuyant mes mains dans un torchon. Rapidement, je monte les escaliers deux à deux et arrive dans la chambre du petit qui, après s'être étiré en silence afin de bien émerger, gazouille en jouant avec ses mains et ses pieds. Tranquillement, je le dépose sur la table à langer ; il n'a aucun mal à faire comme si je n'étais as là et continuer de s'amuser tout seul pendant que je le change, gardant toujours une main sur son petit ventre afin qu'il ne gigote pas jusqu'au bord du meuble. Une fois propre et rhabillé, Daniel daigne m'offrir un sourire. « Viens là mon bonhomme. Devine qui est au rez-de-chaussée ? » Nous quittons la chambre et retournons à l'étage inférieur. « Regarde, c'est maman ! » Son petit cri de joie résonne dans le salon lorsqu'il aperçoit Joanne. Il en laisse tomber son doudou, tendant les bras vers elle pour réclamer un câlin. Le petit a droit à quelques gros bisous gorgés d'amour. L'un des pires aspects de l'hypothèse d'une séparation avec la jeune femme serait de ne plus pouvoir voir Daniel tous les jours. Elle en aurait forcément la garde. Le temps qu'elle le cajole, je reprends les préparations ou range et nettoie ce qui doit être retiré du plan de travail afin de faire de la place et occuper mes dix doigts. J'enfourne les lasagnes une fois terminées, et me ressers un verre de vin. « Est-ce que tu resteras cette nuit ? » je finis par demander, histoire d'avoir une idée du temps qu'elle compte passer ici. Combien de temps cette illusion de portrait de famille pourra durer.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Joanne se demandait si elle s'était bien exprimée, s'il avait bien compris tout ce qu'elle venait de lui dire. Elle se demandait s'il se rappelait lui dire qu'elle l'aimait, et qu'il avait prononcé ces mêmes mots. Elle avait tenu à lui dire que dans le pire des cas, s'ils se séparent afin qu'il puisse vivre un idylle avec quelqu'un d'autre, elle serait toujours là. La jeune femme savait au fond d'elle-même qu'elle ne pourrait jamais se défaire de lui. Et s'il ne voulait plus de lui comme compagne, il n'accepterait tout de même pas qu'un autre homme puisse l'approcher. Elle vivrait certainement très mal le jour où elle saurait qu'il aurait retiré la bague de son collier ou lorsqu'il lui demanderait de retirer la sienne. Elle redoutait tant ce jour là. Le silence de Jamie, l'incapacité à dire quoi que ce soit laissait supposer à Joanne que c'était ainsi que les choses devaient se passer. Joanne ne savait pas si elle pouvait se passer de son affection. Ses baisers, son toucher, son regard amoureux, absolument tout lui manquait. Et elle avait l'étrange sensation que cette période là était véritablement révolue. Elle avait rompu ce contact physique avec lui, se rendant bien compte que le simple fait de coller son front contre le torse le mettait mal à l'aise. Peut-être même que ça le révulsait. Mais une poignée de secondes plus tard, il s'approchait d'elle et la serra fermement dans ses bras. Il l'embrassa sur le front avec affection, faisant ensuite comprendre qu'il ne comptait pas non plus l'évincer totalement de sa vie. Mais qu'il abrège autant la conversation dérouta la jeune femme, ne sachant si cela était bon signe ou non. Il ne voulait pas en parler, ou plus en parler. Peut-être qu'il s'était déjà décidé. Joanne ne savait pas quoi dire. Il n'en avait jamais réellement discuté, et il y avait là une occasion, le temps que Daniel, mais Jamie n'en voulait apparemment pas. Il préférait se concentrer sur le repas du soir, et prétendre. Sans dire un mot, la jeune femme s'exécuta, le coeur un peu serré. Tout ceci n'était tellement pas naturel, et pourtant, il y avait certaines habitudes qui refaisaient surface. Une sensation bien étrange la parcourait. Un mélange de nostalgie et de naïveté, avec une certaine amertume et la parfaite conscience qu'au final, ils ne faisaient peut-être que ça pour Daniel. Malgré les quelques regards échangés, on devinait que chacun avait son lot de pensées. Joanne se demandait s'il avait revu Hannah, s'ils s'étaient à nouveau embrassés. Peut-être même qu'ils avaient couché ensemble, ce n'était pas comme si c'était leur première fois ensemble. Peut-être que c'était pour ça qu'il ne voulait pas en parler davantage. Il restait interdit à ce sujet. Et toujours ce pincement désagréable et inconfortable qui compressait constamment son coeur - qui ne ressemblait plus à grand chose. Jamie sauta sur l'occasion dès que le babyphone sonna, afin d'aller s'occuper de Daniel. Ils redescendaient quelques minutes plus tard. Dès que le petit voyait sa mère, ses yeux pétillaient de plus belle. Tout ceci n'a pas été facile pour lui, il n'avait pas vu sa mère pendant de nombreux jours. L'angoisse de séparation était on ne peut plus présente, autant pour la mère que pour le fils. "Mon trésor." dit-elle avec un sourire qui illuminait son visage. Elle tendit les bras pour le récupérer et le câliner. Il se blottit immédiatement contre elle, étant toujours aussi affectueux. Joanne lui glissa quelques mots d'amour et l'embrassait pendant que Jamie mettait un peu d'ordre à la cuisine. Daniel admirait longuement le visage de sa mère avec le plus adorable des sourires. "Maman reste pour dîner ce soir." lui dit-elle tout bas. "Tu vas goûter les lasagnes avec nous ?" lui demanda-t-elle avec un large sourire avant de le chatouiller un peu. Il était une véritable source de bonheur. "Tu veux aller jouer un petit peu ? Je crois que Nunki veut être un petit peu avec toi, regarde-le." Joanne installa Daniel sur son tapis de jeu, et lui donnait des jouets qu'elle savait qu'il aimait bien. Ben n'était jamais loin et le chien blanc se montrait toujours particulièrement curieux en entendant les sons qu'émettaient les jouets du petit. Ils étaient adorables tous ensemble. Lorsque Daniel vit sa mère se redresser, il la regarda avec inquiétude. "Je reste ce soir, mon trésor, je ne pars. Je suis juste là, avec Papa, d'accord ?" lui dit-elle avec un sourire rassurant. Il l'observa tout de même lorsqu'elle s'approchait de Jamie, et comprit rapidement qu'elle n'irait pas plus loin étant donné qu'elle ne mettait rien sur le dos. "Peut-être, oui." répondit-elle à Jamie. [color=#006699]"A moins que tu préfères que je ne dorme pas ici." |/color]Ce qu'elle pourrait comprendre aussi, elle ne lui en tenait pas rigueur. Avant de commencer à siroter son vin, Joanne sortit de son sac à main les nombreux cachets qu'elle devait encore prendre le soir. Elle avait hâte qu'on lui dise qu'elle n'en avait plus besoin. On lui avait qu'elle n'en avait plus pour très longtemps, encore heureux. Après avoir avalé le tout avec un verre d'eau, elle mit les pistaches qu'elle avait ramené dans un bol, afin de pouvoir les manger en même temps que de boire le vin. Les sujets de conversation manquaient cruellement. Tout sonnerait faux, ou ferait preuve d'hypocrisie, elle ne savait pas quoi aborder. Pourtant, ce n'était pas l'envie qui manquait, de discuter avec lui, d'avoir un peu de son attention. Parfois, Daniel interpellait ses parents par un cri, afin de leur montrer ce qu'il savait faire, et il n'en était pas peu fier. Il était toujours félicité dans tous les cas. "Tu... Tu as déjà eu cette thérapie de groupe, dont tu m'avais parlé la dernière fois ?" finit-elle par lui demander, se disant que c'était la seule chose dont il pouvait parler sans qu'un malaise ne s'installe vraiment.
Le verre de vin occupe mes dix doigts relativement efficacement. Il occupe ma bouche aussi qui ne sait absolument pas quoi dire, quel sujet aborder sans que cela ne sonne comme une scène d'un mauvais soap. Je prends simplement une fine gorgée de temps en temps en observant Joanne câliner Daniel, puis le déposer sur son tapis de jeu. Les chiens sont encore maladroits avec le petit, les frayeurs ne sont pas rares pour un camp comme pour l'autre. Ils apprennent à s'adapter à ce petit être, et lui, à vivre avec de vrais animaux, et non seulement ceux de ses livres. Il leur est interdit de mettre une patte sur le tapis de jeu, règle qu'ils commencent à assimiler et appliquer. C'est le domaine du petit maître, et une forme de distance de sécurité. Néanmoins, il est difficile d'encadrer les jeux entre eux ; Daniel prend désormais un malin plaisir à gambader à quatre pattes dans tout le salon, partir à l'aventure, et ses fidèles compagnons ne sont jamais loin. Ils sont tendres les uns avec les autres, très affectueux. Il est certain que notre fils ne manque pas d'amour, et n'en manquera jamais. Il est tout ce qu'il reste de ce que nous étions. Il dernier noyau dur d'une relation pourtant si forte et ancrée dans nos êtres. Qu'il est étrange d'avoir l'impression d'être deux étrangers sous le même toit. De vieux amis proches si longtemps perdus de vue qu'il semblerait que toute une vie se soit écoulée depuis la dernière fois que nous avons eu l'impression de ne pas croiser le regard d'un fantôme. Nous nous connaissons par coeur pourtant. Il y a tant de futilités à aborder pour faire semblant, parler de musique, de cinéma, de choses qu'elle aime, d'autres qui me plaisent, ce n'est pas comme si nous n'avions aucune idée de ce qui fait vibrer l'autre. Mais nos âmes sœurs dos à dos ne semblent même plus se reconnaître. L'on oublie tous les mots qui étaient avant si simples à prononcer. La seule phrase que je parviens à prononcer est une question qui me semble immédiatement déplacée et interprétable. Ce à quoi Joanne répond vaguement. « Non, non, ça ne me dérange pas. » je lui assure, ayant peur qu'elle ait pris cette interrogation comme une invitation à plier bagages juste après le dîner, un message mal dissimulé entre les lignes, alors qu'il s'agit bien du parfait contraire. « Ce que je voulais dire c'est que si tu veux rester, tu le peux. Tu n'as pas à te sentir obligée de repartir. » Elle n'a pas à se sentir obligée de retourner chez ses parents du tout après ce soir, pourrais-je ajouter, mais je m'abstiens. Il vaut peut-être mieux qu'elle reste chez eux à vrai dire. Qu'elle ne me subisse pas alors qu'elle est encore faible, et que je puisse être seul avec mes pensées le soir après le travail. Nous nous épargnons l'un l'autre une présence perturbante qui nous torture l'âme. Le silence s'installe une fois encore, lourd, pesant. Je reprends une gorgée de vin pour faire passer quelques pauvre secondes. Joanne tente à son tour de parler. Je pince mes lèvres, toujours gêné lorsqu'il s'agit d'évoquer ma thérapie. « Oui, j'y suis allé cette semaine. » je réponds en gardant le regard bas. Je ne veux pas vraiment d'encouragements, je ne suis pas un petit animal à qui l'on apprend à être propre. Je ne veux pas non plus de compassion, je ne suis pas mourant. En voyant la vérité en face, toute forme d'expression d'émotion, bienveillante ou non, vis-à-vis de cette information me hérisserait le poil. « C'était… juste une première séance histoire de me mettre dans le bain. Je n'ai même pas pris la parole. Je ne sais pas ce que j'aurais pu dire. » Bonjour, je m'appelle Jamie, je viens d'une famille de sociopathes, mon frère s'est pendu, j'ai entendu des voix pendant quinze ans, maintenant je suis incapable de contrôler mes émotions, je frappe ma fiancée, je me fais du mal, je suis attiré par une autre femme, je suis un jaloux maladif et un possessif viscéral doublé d'un paranoïaque, et je suis un père absent qui met son fils au milieu d'une situation sans issue. « En fait, je le sais, mais c'est plus compliqué de l'articuler à haute voix. » On comprend vite pourquoi. Encore une gorgée de vin. Sujet suivant je vous prie, je ne veux pas m'étaler sur ma prétendue maladie. Le silence persistant et n'étant brisé que par les jeux et les gazouillements de Daniel qui semer la pagaille dans le salon en s'assurant bien que nous le regardons faire, je soupire, n'en pouvant plus de tenir ma langue alors que mes entrailles se serrent jusqu'à me faire mal et me brûlent depuis la veille. « Tu... » Il n'y a pas de bonne manière de piquer une crise de jalousie. Je cherche néanmoins les mots pouvant me permettre d'arrondir les angles et de ne pas passer pour le monstre de contrôle que je suis en réalité en demandant des explications au sujet d'une sortie qui ne me regarde en strictement rien. « Ta mère n'a pas voulu me dire où tu étais allée hier, mais en venant ici je t'ai aperçue dans le quartier. Ca m'a étonné. » Euphémisme. Si je me suis retenu de klaxonner et de l’interpeller dans la rue, c'est uniquement parce que je suis parvenu à me résonner momentanément et m'empêcher d'agir sur le coup de l'émotion. Ce qui nécessite une belle dose de self control de ma part. « Qu'est-ce que tu étais venue faire dans le coin ? »
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Jamie n'avait apparemment pas très envie que la jeune femme ne songe à rentrer chez ses parents après le dîner. Du moins, c'était ce qu'elle comprenait. En revanche, ce qu'elle ne comprenait pas, c'était pourquoi. Pourquoi tenait-il tant à ce qu'elle reste ? Malgré l'amour dont ils se portaient pour l'un l'autre, la seule et dernière chose qui semblait encore les réunir était leur enfant. Tout ceci avait certainement un fond de bon sentiment, mais ce dont Jamie ne se rendait pas compte, c'était que la manière dont il avait parlé en tentant de se faire mieux comprendre rappeler à Joanne qu'elle n'était plus chez elle. Si tu veux rester, tu le peux, avait-il. Il avait son autorisation. Elle acquiesça d'un faible signe de tête, se disant qu'elle verra bien le moment venu. Dieu sait si des choses auront changé ou non après ces quelques heures passées ensemble. Joanne ne parvenait même pas à se projeter dans les heures qui allaient suivre. Au lieu de laisser le silence encore une fois régner et alourdir l'atmosphère, elle se mit à lui poser des questions concernant cette thérapie de groupe. Elle l'écouta avec attention sans faire le moindre commentaire. Le tout était déjà une belle punition qu'il s'infligeait, inutile de rajouter un commentaire. Mais les plus gentils d'entre eux pourraient être très mal pris. Sans grande surprise, il n'avait pas pris la parole. Il ne trouvait peut-être pas les bons mots ni l'élan nécessaire pour sans lancer dans sa tirade qui serait on ne peut plus longue. Après quoi, il n'y avait plus que Daniel et ses jeux qui remplissaient un peu la pièce de bruits, et heureusement. Joanne grignotait quelques pistaches et buvait également son vin. Il n'y avait plus que ça à faire pour combler le vide. Jamie reprit la parole après un long soupir. Cette question devait le perturber depuis la veille, depuis qu'il l'avait. Elle ne savait pas si elle devait voir cela comme un penchant de jalousie ou de possessivité ou simplement comme du harcèlement, avec son incapacité à ne pas lâcher prise sur ce qu'il dit lui appartenir. Joanne leva les yeux au ciel lorsqu'il mentionna sa mère - qui n'en ratait pas une depuis la veille, et elle soupira. Elle sentait bien qu'il pesait ses mots, qu'il avait pris du temps pour réfléchir à la tournure de sa phrase. La petite blonde le regarda quelques secondes. Elle se demandait s'il était véritablement nécessaire de lui dire la vérité, ou lui dire qu'elle était allé voir le voisin d'Hassan, Saul, avec qui elle avait sympathisé durant de bien tristes circonstances. Mais Joanne n'avait aucune raison de lui mentir. "Ma mère fait n'importe quoi, en ce moment." finit-elle par soupirer. Elle l'aimait beaucoup, mais elle trouvait que Jane enchaînait les erreurs ces derniers temps, et c'était Joanne qui devait rattraper à chaque fois. "Elle aurait très bien pu te le dire." Même si Jamie aurait finit par repartir de l'appartement en furie. "J'étais allée voir Hassan, il habite dans le quartier depuis quelques mois, je l'ai découvert hasardeusement." expliqua-t-elle, en toute sincérité. "Nous avions déjà un peu discuté il y a quelques semaines. Il m'a expliqué qu'il partait enseigné à Téhéran pour au moins un semestre. Et ma mère a jugé bon de lui laisser un message vocal en lui disant que j'étais dans le coma alors qu'il était encore là-bas, et qu'elle a quelque peu oublié de le recontacter pour lui dire que j'allais bien. Ca, elle me l'a confessée hier soir, et elle a rajouté ensuite qu'elle avait juré l'avoir vu. Alors je suis rapidement allée dans le quartier pour voir s'il était bien revenu, et pour lui dire, et qu'il voit lui-même, que je vais bien." Elle savait que les deux hommes étaient très loin de s'apprécier - elle ignorait cependant qu'ils s'étaient rencontrés avant qu'Hassan ne quitte le pays. Autant ne pas évoquer les bleus, le fait qu'il le savait, et Saul aussi, tout comme le baiser. Les circonstances ayant mené à ce dernier étaient très particulières, et Joanne avait peur de la réaction de Jamie si elle le lui disait. Lui trouvait inacceptable des états d'âme de la jeune femme lorsqu'elle apprenait qu'il avait embrassé Hannah. Dans l'autre sens, les réactions seraient différentes, poussées encore plus à l'excès, et Joanne ne voulait pas rompre le peu de relation qu'ils parvenaient à maintenir pour le moment. Elle n'allait pas certainement lui dire cela, parce qu'elle aura beau argumenter par la suite et lui assurer que ce n'était qu'un baiser, il n'en croirait pas un mot. Parce qu'Hassan était l'ex-mari, celui qui avait vécu près de dix années avec elle, et rien que ce fait là, qui restera à jamais inchangé, l'insupportait. Joanne voulait tant être entièrement honnête envers lui, mais elle n'allait pas donner ce détail - et encore moins dire qu'Hassan avait répondu à ce baiser et qu'il aurait même voulu qu'il dure plus longtemps- tant qu'il ne montrera qu'il peut être plus ou moins prêt à entendre ce genre de choses. Ce n'était pas une infidélité, rien de la sorte. Elle n'avait couché avec personne, ne s'était intéressé avec personne. Il y avait cependant ce fantôme de sa relation avec Hassan qui lui avait rappelé ces dix années de tendresse écourtées par un dernier geste d'amour de la part d'Hassan. Joanne se dit que c'était déjà beaucoup à encaisser pour Jamie, de savoir qu'elle ait pu revoir Hassan. Autant y aller par étape, et voir la manière dont il pouvait réagir face à une telle information.
Que Joanne me parle de manière aussi désinvolte de la réapparition de son ex-mari dans sa vie me laisse sans voix. Aux dernières nouvelles, en tout cas de ce que la jeune femme m'avait annoncé, il souhaitait garder de la distance vis-à-vis d'elle. Et à cet instant, elle me révèle tout naturellement, sans gêne, sans coup de semonce, l'avoir vu il y a quelques semaines et savoir depuis tout ce temps qu'il vit près de chez nous. Je cligne plusieurs fois des yeux tant la situation me semble irréelle. Elle se fiche de moi. Complètement. « Je vois. » je murmure en reprenant une gorgée de vin. Souffle typique lorsque je fais face à des paroles que mes oreilles n'apprécient guère, et qui laissent deviner que la digestion de cette information se fait avec grande peine. Voire pas du tout. Je demeure silencieux quelques secondes, retenant quelques mauvaises phrases assassines qui me brûlent les lèvres. « Je pense que ta mère a très bien fait de ne pas m'en dire un mot. » Dieu sait à quel point j'aurais pu sortir de mes gonds face à elle, enfonçant ainsi plus encore l'image bien sombre que Jane doit avoir de moi. De toute manière, la seule Prescott qui ait jamais été dans mon camp est décédée. Je suis le gendre et beau-frère dont personne ne veut. J'avoue que c'est une donnée qui pèse dans la balance. Epouser en arrière-plan une famille dont tous les membres vous détestent ou se méfient est d'une lourdeur insupportable. Cela leur rendrait service que nous nous séparions. Aucun d'entre eux n'a un jour véritablement cru que je sois capable de faire le bonheur de leur princesse. Je suppose que Hassan était le gendre idéal, lui. Que c'est une époque que tous regrettent, même Joanne. « Tu aurais pu l'appeler. » dis-je au bout d'un long moment de silence. Et pourquoi ne l'a-t-elle pas fait ? Pas pour montrer qu'elle va bien, non, sa simple voix au téléphone en aurait témoigné. Un ex-mari se contente bien d'une voix au bout du fil pour savoir que tout va bien. Non, si Joanne est allée jusqu'à chez lui, c'est parce qu'elle voulait le voir. Parce qu'elle en avait envie. En réfléchissant à cela, je fais quelques pas dans la cuisine qui m'éloignent de la jeune femme. Je fais le tour de l'îlot central, jusqu'à m'arrêter en route, poser mon verre à pied sur la surface du plan de travail, et appuyer mes mains sur le bord pour me pencher en direction de la petite blonde. Je trouve son regard, sérieux et foncièrement contrarié. « Tu as traversé toute une partie de la ville à pied quelques jours après ta sortie de l'hôpital pour aller le voir alors que tu aurais pu simplement l'appeler. » Cela en dit tellement long à mes yeux. Beaucoup trop même. Et j'avoue que plus l'information fait le tour de mon cerveau, plus mon échine se raidit et mes poils se hérissent. Je lui avais dit qu'elle ne l'oublierait jamais, qu'il fera partie de sa vie, et elle m'avait assuré le contraire. On oublie jamais son premier amour. « Et toi tu n'as pas jugé bon de me dire que vous vous revoyez. » Je ne peux pas m'empêcher de toiser, de dévisager Joanne avec le mépris et l'incompréhension typique face à l'injustice. J'ai toujours été honnête au sujet d'Hannah, autant que je pouvais l'être. J'ai avoué moi-même à Joanne lorsque j'ai souhaité que la comédienne refasse partie de ma vie. A l'hôpital, je lui ai rapporté notre soirée ensemble dans le détail et le choix qui m'est donné. Je n'ai même jamais prétendu que j'avais cessé d'avoir de l'affection pour elle, assumant au contraire la place de la jeune femme dans mon coeur. Depuis que je suis allé rechercher l'amitié d'Hannah, j'ai toujours été honnête avec Joanne, malgré les conséquences. Et Joanne ne me rend pas la pareille. Si je ne l'avais pas vue hier, si je ne l'avais pas interrogée aujourd'hui, je n'aurais sûrement jamais su que je pouvais croiser son ex-mari dans la rue juste à côté de chez moi, et qu'elle l'avait visité la veille avec un tout autre motif que de la simple courtoisie. Non, elle n'en aurait rien dit. Celle qui m'a reproché si sévèrement ma relation avec Hannah est loin, si loin de faire mieux quant à la sienne avec son ex-mari. Je pouffe de rire nerveusement. Je me sens pris pour le dernier des idiots. « C'est d'une ironie... » je souffle en quittant le salon pour me rendre dans le jardin, histoire de mettre de la distance entre moi et cette hypocrite. Je sors une cigarette de l'étui dans ma poche arrière et l'allume en fichant bien que Joanne désapprouve.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Joanne n'était pas fière d'elle. Elle avait préféré tout dire d'un coup, qu'importe le ton ou la manière dont il pouvait le prendre. Mais elle voulait jouer la carte de l'honnêteté au lieu de le lui cacher, à se demander s'il n'avait pas préféré qu'elle lui mente. Elle baissa les yeux, jouant nerveusement avec sa voix. Il suffit qu'il prononce les premiers mots pour savoir comment il prenait cette nouvelle. Elle n'aimait absolument pas lui parler de choses qui allaient nécessairement lui déplaire, tant elle craignait ses réactions. Cette fois-ci, elle ne s'était effectivement pas loupé, et il était devenu difficile pour lui de le regarder droit dans les yeux, elle n'apprécierait pas ce qu'elle y verrait. Il aurait effectivement perdu ses moyens devant la mère de Joanne et la situation ne se serait pas arrangée. Ses parents ignoraient de la violence dont il avait fait preuve à Joanne, celle-ci avait parfaitement su dissimuler ses bleus et trouver une excuse pour ne pas les voir trop fréquemment. "Il...Il ne répondait pas, j'ai essayé plusieurs fois." lui répondit-elle en parlant assez bas, la gorge serrée, s'attendant au pire. Elle le devina s'éloigner d'elle. Joanne savait bien que cette information allait à nouveau les éloigner, et ne faire qu'accentuer cette relation qui était impossible à définir. Histoire d'imposer un un mur physique entre, Jamie avait fait le tour des éléments de la cuisine pour se retrouver de l'autre côté. De là, il capta les yeux bordés de larmes de Joanne, comme il avait toujours su le faire. Lui qui disait avoir le coeur brisé, elle se demandait ce qu'il était désormais, en ayant appris cela. Il la regardait alors d'un air mauvais. Incapable de prononcer le moindre mot face à autant de mépris, Joanne encaissait, sans dire mot. Elle ne lui en tenait pas rigueur, elle admettait être entièrement fautive de ce début de querelle. "Jamie, je..." Mais il s'éloigna d'elle afin d'espérer de décompresser un peu en fumant une cigarette. Joanne le rejoignit. Ses pieds étaient dans l'herbe, mais elle restait suffisamment près de la baie vitrée pour que Daniel puisse la voir, et aussi surtout pour maintenir cette distance que Jamie avait voulu mettre entre eux. "Je voulais t'en parler." affirma-t-elle, d'une voix tremblante. "Vraiment. Mais je ne savais pas comment, ni quand. Il n'y a jamais de bons moments pour annoncer quelque chose qui va forcément déplaire. Et je ne me voyais pas te le dire un soir où tu rentrais tard du travail, épuisé, et que les seules paroles que nous aurions échangé depuis des lustres porteraient sur quelque chose qui te déplaisait." Joanne sentait son coeur battre à toute allure, mais ce n'était pas un rythme très agréable à ressentir. Elle avala difficilement sa salive avant de reprendre. "Je ne l'ai vu qu'une fois, deux avec hier. Mais avant ça, je ne l'ai pas revu, nous avions même pris de sacrées distances lorsque je t'en avais parlé. Je me promenais dans la rue, et je l'ai vu en train d'emménager, alors nous avons discuté une bonne partie de l'après-midi. C'est là qu'il m'a dit qu'il partait pour Téhéran pour une durée indéterminée, je ne pensais pas le revoir avant très longtemps." Le fait que son voyage ait été ainsi écourté était une véritable surprise pour elle, elle ne s'y attendait pas. "Et il ne répondait pas au téléphone, il ne répondait nulle part, c'est pour ça que je suis allée le voir." Joanne voulait être entièrement honnête avec Jamie, mais ça l'angoissait énormément de savoir ce qu'elle devait lui annoncer. Elle en tremblait même, imposant malgré elle un long moment de silence. Elle le laissait fumer autant de cigarettes qu'il le voulait, estimant qu'il en avait certainement besoin à ce moment là. "Nous... nous nous sommes... embrassés. Pas hier, la fois d'avant" parvint-elle à articuler malgré sa gorge étroitement serrée. "Mais nous avions vite compris que c'était une erreur et nous avions préféré l'oublier." Hassan était tout aussi fautif qu'elle. Il y avait répondu, et même, pendant un moment, son étreinte laissait comprendre qu'il ne voulait pas qu'elle s'en aille, qu'elle quitte ses lèvres. "Je le regrette." dit-elle avec toute sa sincérité et son honnêteté. Cela n'avait rien arrangé pour qui que ce soit. Hassan, Jamie, ou elle, ils en souffraient finalement tous les trois. Une belle erreur, un beau fiasco pour qu'elle s'enfonce dans une situation qui était déjà bien compliquée. "Tu avais raison, tu avais raison pour tout. Je me suis voilée la face pour beaucoup de choses." dit-elle d'un ton désolé. "Mais ça ne change rien à ce que je t'ai dit tout à l'heure. Où que t'ailles, je te suivrai, Jamie, je ne veux pas te lâcher." Hassan n'avait pas l'air d'être particulièrement prêt à avancer dans sa vie, ou du moins, il ne le montrait pas. Il ne voulait avoir personne à ses côtés, il se cherchait encore énormément. Et Joanne n'était pas un élément qui lui permettait d'avancer, au contraire. Même s'il avait dit qu'il y aurait toujours une place pour elle, elle était quelqu'un de sa vie passée. Si elle avait pensé qu'elle aurait un meilleur futur avec lui, elle ne serait pas venue voir Jamie. Elle n'aurait pas voulu accorder une chance à ce qui pouvait leur rester de couple, s'il en restait vraiment quelque chose. Joanne restait là, le regard bas, prête à encaisser l'équivalent de tout ce qu'elle avait pu lui faire subir lorsqu'il s'agissait d'Hannah et lui. "Je suis désolée Jamie, je ne voulais pas te faire subir ça. Mais c'est fait... et déteste-moi pour ça. Je...Je comprendrais que tu ne veuilles plus essayer quoi que ce soit avec moi. Mais moi, je continuerai, je te lâcherai pas." dit-elle avec une première larme qui coulait le long de sa joue.
Mes mains tremblent un peu. C'est le moment que je redoutais. Pourtant, pas besoin de boule de cristal pour l'avoir vu venir bien à l'avance. Cela a toujours été une évidence pour moi. Avec le temps, cette scène était devenue plus floue, plus terme, mais jamais elle ne s'est effacée, jamais elle n'a quitté son tiroir dans un coin de mon esprit, sombre et menaçant. Je pensais que je le verrais venir, c'est le seul détail à propos duquel j'ai été naïf. Je n'ai jamais cru que cet instant n'arriverait jamais, que sa possibilité pourrait un jour disparaître, je n'ai pas été crédule, pas même face à nos moments de bonheur. C'était il y a des mois de cela que j'avais donné à Joanne ma prophétie. Elle n'y croyait pas à ce moment-là. Mais elle y a cru l'autre jour, à l'hôpital. L'on oublie jamais son premier amour. Désormais je comprends pourquoi cette phrase fait soudainement sens pour elle. Et je comprends qu'elle se retourne contre moi. Je fume sans envie, juste pour occuper mes mains et mes lèvres. Mes pensées aussi, qui pendant un laps de temps trop court se résument à suivre le cheminement de la fumée inhalée qui se glisse dans ma gorge et dans mes poumons avant de faire le chemin inverse. C'est une parenthèse de courte durée, car Joanne ne tarde pas à venir également dans le jardin afin de continuer à s'expliquer. Même si je comprends qu'elle n'ait pas eu envie de me servir pareille nouvelle autour du repas du soir n'importe quel jour de la semaine choisi au hasard, je n'arrive pas à accepter cela comme excuse. Je lâche une sore de petit rire soufflé avec cynisme lorsqu'elle avoue avoir parlé une grande partie de cet après-midi là avec Hassan. Je me souviens de ce que celui-ci m'avait dit dans l’ascenseur. Si seulement c'était lui qui n'était pas revenu. Alors que mon regard abhorrait le visage de Joanne depuis plusieurs minutes, mes yeux ronds finissent par se poser sur elle, estomaqués, quand elle m'avoue avoir échangé un baiser avec son ex-mari. « Vous... » Ma voix s'étouffe. Tout le reste perd son sens. Que Joanne ait réalisé que c'était une erreur, qu'elle regrette, cela ne change rien. Je la dévisage avec un dégoût que je parviens à peine à contenir. Je pourrais cracher mon mépris sur ses chaussures. Dire que je la déteste est bien loin du compte. Je prends une dernière bouffée de tabac avant d'écraser ma cigarette à peine entamée de moitié. Autre point sur lequel j'ai été naïf ; j'ai toujours cru que Joanne me quitterait avant de faire le moindre pas de travers de la sorte. Je ne l'aurais jamais pensée capable de ce genre de trahison. « Après tout le cirque que tu m'as fait à propos d'Hannah, tu… Tu flirtes avec ton ex-mari ?! » Joanne n'a plus rien d'un ange débordant de vertus. Elle est très exactement comme moi. Aussi fautive que moi. Sauf qu'elle s'est toujours permise de faire croire le contraire en me blâmant sans cesse à propos de ma relation avec la comédienne. « Tu l'as embrassé. » Le dire et l'entendre à nouveau tout haut est un coup fatal dans ma poitrine. Mon esprit ne se risque même pas à imaginer la scène, sachant que cela me ferait certainement perdre mes moyens. Mon calme me surprend d'ailleurs, quoi qu'il est évident que je bous de l'intérieur. « Bien sûr que j'avais raison. Je t'avais dit dès le début que tu ne l'oubliera jamais, qu'il y aura toujours quelque chose pour lui. Il suffisait de te regarder pour que ce soit évident. » Son regard lorsqu'elle l'évoquait. Il est toujours si simple de lire en elle à travers ses yeux, même des pensées dont elle n'a pas conscience. « Tu l'aimeras toujours, et il t'aimera toujours. D'une manière ou d'une autre. » D'un autre type d'affection que celui qui les liait par le passé, néanmoins, une forme d'amour tout de même. Et cela, Joanne l'a toujours nié. « Je n'accepterai pas ça. Après toutes tes crises, tes scènes, tes dépressions au sujet d'Hannah. Ne compte pas sur moi pour laisser passer ça. » dis-je entre mes dents serrées, le regard noir. Je fais quelques pas et tourne le dos à la jeune femme un instant, les mains attrapant mes cheveux, comme si ôter Joanne de mon chambre de vision me permet d'accorder une pause à mon mental en miettes. Mais mes pensées ne se taisent pas, au contraire. Leurs voix grossissent et hurlent des horreurs. Je finis par les imaginer s'embrasser juste sous mes yeux. Je les imagine regretter le passer, Joanne tentée de partir avec lui, notre fils sous le bras. Il serait un peu l'enfant qu'ils n'ont jamais eu, n'est-ce pas ? « Tu l'as embrassé. » Cette donnée fait disjoncter mon cerveau, plus rien ne fonctionne correctement. Les alertes clignotent de partout alors qu'il devient difficile de penser, de voir, d'entendre, de respirer. « Tu... » Lorsque le torrent se calme, les nuages s'estompent et laissent entrevoir la lumière d'une vérité qui me semble soudainement si claire et nette que la vérité ne peut être autrement. Je fais me retourne et refait face à Joanne, m'approchant d'elle en la dévisageant toujours, mes maux de mon coeur me rappelant malheureusement que j'ai aimé ses traits si fort. « C'est pour ça toutes tes belles paroles, hein ? Maintenant tu te fiches bien de ce que je déciderai, tu as Hassan, et il a toujours été un mari si parfait pour toi. C'est pour ça que tu te dis prête à accepter ce que je choisirai de faire, ou à me laisser avoir Hannah dans ma vie. Parce que tu sais ce que c'est maintenant, n'est-ce pas ? Tu sais que tu ne vaux pas mieux au final. Tu sais quoi ? J'ai toujours su que ça arriverait. Qu'importe Daniel, qu'importe mon amour pour toi, j'ai toujours eu ce pressentiment dans un coin de ma tête. C'était évident. Tu ne voulais pas de ce divorce, ça t'a détruite. Tu l'aimais plus que tout, tu étais heureuse avec lui, plus que tu ne le seras jamais avec moi. Tu l'aimeras toujours, tu le sais très bien maintenant. Et j'ai toujours su qu'il te récupérerai en un claquement de doigts s'il te disait qu'il souhaite faire marche arrière. » Tout s'imbrique désormais. C'est cristallin. Encore une fois, une table nous sépare. Appuyé sur celle du jardin, penché vers la jeune femme, mon regard l'assassine, brillant de douleur, malgré ce rictus ironique qui demeure au coin de mes lèvres et qui ne démontre que la profondeur de la blessure. « N'essaye pas de me faire croire au couplet des regrets, Joanne. Si tu veux arrêter de te voiler la face, assume que tu as aimé chaque seconde de ce baiser et que tu aurais aimé qu'il dure bien plus longtemps. J'ai pas raison ? » Qu'elle a l'air idiote, avec ses yeux rougis par les larmes et son air désolé. « J'ai pas raison, Joanne ?! » j'hurle en frappant des deux poings sur la table pour la réveiller. Peut-être lui faire peur. Cela n'a plus d'importance.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Elle lui lançait qu'une bombe en pleine figure. Il l'avait amorcé en lui demandant ce qu'elle avait fait la veille dans le quartier, et Joanne ne voyait pas d'autres solutions que de tout lui dévoiler. Au point où ils en étaient, ça ne pouvait pas vraiment être pire, se disait-elle. Leur relation n'était déjà plus qu'un fantôme qui, dès qu'il les traversait, leur rappelait avec nostalgie ces bons moments. Des instants qu'ils ne pouvaient plus vivre désormais, parce que c'en était trop. Trop pour tous les deux. Joanne ne comprenait pas pourquoi elle s'accrochait encore tant à lui, pourquoi elle tenait tant à toujours faire partie de sa vie malgré ses erreurs. Pétrifiée, elle n'arrivait même plus à bouger. Elle n'aimait pas l'entendre hausser ainsi le ton, le regard qu'il lui lançait était assassin, noir. "Non, ce n'était pas du flirt." rétorqua-t-elle en fronçant les sourcils. "Ce n'était rien de tout ça, ni de semblable. C'est venu comme un cheveu sur la soupe." Ils étaient tous les deux dans un état de faiblesse, et il y avait ce reste de magnétisme qui avait largement usé de cet instant pour se manifester. Il répétait sans cesse cette phrase qui le mettait de plus en plus hors de lui. Joanne savait qu'il était facile de décrypter ses pensées, qu'il suffisait de regarder cette paire d'yeux. Mais s'il avait toujours été si certain de cela, pourquoi n'avait-il pas insisté ? Pourquoi s'était-il laissé croire qu'elle ne se mentait pas à elle-même, qu'elle ne faisait que se voiler la face, et lui avec ? Joanne restait interdite, ne sachant pas trop quoi rétorquer à ses dires. Elle se demandait si Hassan l'aimait toujours. De son côté, elle ne parlait peut-être pas d'amour, mais il y avait effectivement cette affection qui avait resurgi de nulle part avant qu'il ne parte à Téhéran. "Je ne t'ai jamais demandé de laisser passer ça." lui répondit-elle. Son regard la heurtait, la blessait. Comme un lion en cage, Jamie fit quelques pas en lui tournant le dos, ayant certainement l'espoir de retrouver un peu contenance après cette révélation. Il se retourna au bout de quelques secondes, le regard haineux au possible et se lança dans une tirade. "Non, ce n'était pas pour ça." dit-elle fermement avec des larmes de colère border ces yeux. "Je pensais chaque mot, il ne m'est pas venu une seule fois à l'esprit d'envisager un futur avec lui. Il arrive à peine à se gérer lui-même après tout ce qui a pu lui arriver, et se sent bien incapable de se charger d'un couple dont il ferait partie, en plus." Ca lui brûlait les lèvres, tant elle avait envie de lui dire quelles étaient les véritables raisons du divorce, pourquoi Hassan était venu du jour au lendemain sans prévenir, sans crier gare. "Oui, ce divorce m'a détruite. Il est venu de nulle part. Oui, j'étais inconsolable après, encore plus lorsque j'ai perdu son enfant peu de temps après. Si j'ai encore des sentiments pour lui ? Certainement, mais je ne sais pas ce que c'est, comme sentiment, et je ne sais pas quoi en faire. Oui, j'ai de l'affection pour lui. Mais ce n'est pas dans ses intentions de me récupérer en un claquement de doigts, comme ça. Il s'impose des freins dès qu'on se rapproche trop de lui." Joanne reprit un petit moment son souffle avant de reprendre et sursauta lorsque Jamie frappa violemment ses poings sur la table qui se trouvait à l'extérieur. Mais elle n'avait pas reculé, son regard n'était pas non plus devenu craintif, étrangement. "Je n'ai jamais dit non plus que je valais mieux que toi, nous avons chacun des torts et une valse d'erreur, chacun de notre côté. Je ne suis pas toute blanche non plus. Alors oui, je vais arrêter de me voiler la face, et oui, ce baiser m'a rappelé les dix ans de vie commune que j'ai pu avoir avec lui, mais je suis contente qu'il n'ait pas durer plus longtemps. Cela nous faisait plus de mal qu'autre chose, ça n'allait déboucher sur rien, si ce n'est une impasse. Il pense pareil, je le sais." dit-elle en toute franchise. "Si je t'ai toutes mes belles paroles, comme tu dis, ce n'était absolument pas par rapport à lui. C'est parce que je veux que tu sois heureux, Jamie, c'est tout. Que tu fasses ce que bon te semble de ta vie pour vivre heureux, c'est tout ce que je souhaite pour toi. Je voulais t'assurer que quoi qu'il arrive, je ne t'arracherai jamais Daniel, et je n'oublierai jamais tout ce que j'ai vécu avec toi. Parce que tu es le seul homme de cette fichue terre qui m'a permis d'envisager un futur, un lendemain qui n'était pas dans le brouillard le plus total. C'est à toi que j'ai dit je t'aime à l'hôpital l'autre jour, pas à Hassan." Il n'était pas là. Joanne n'avait pas vraiment d'où Hassan en était par rapport à ça, mais il semblait toujours ne pas vouloir d'une moitié qui pourrait l'épauler dans tous ses tracas. Elle savait qu'il avait de l'amour à donner, mais il ne le voulait pas pour le moment. Du moins, pas de ce genre d'amour, ce lui que l'on vit dans un couple, ce lui que l'on partage pendant près de dix ans avant que tout ne s'effondre. "C'est à toi que j'ai dit je t'aime, et à qui je le dirai encore." répéta-t-elle en le regardant droit dans les yeux. Le bruit qu'avait fait Jamie en tapant les poings sur la table avait effrayé Daniel, et on entendait celui-ci geindre au loin. Sans attendre, Joanne le prit dans ses bras et le rassura avant de revenir dans le jardin. Le petit n'avait pas à subir ça, il fallait espérer que leur querelles serait plus posée désormais. Blotti contre elle, le petit était à nouveau rassuré, il avait posé sa tête sur son épaule. Joanne venait à se demander comment le reste de la soirée devrait se passer après une telle dispute. Il était impossible de prétendre après de telles révélations. Ils se regardaient un peu en chien de faïence pendant un long moment. "Je devrais peut-être partir, je ne voudrais pas ruiner le reste de ton weekend, et Daniel a envie de passer du temps avec toi." dit-elle plus calmement. Elle aussi avait envie de passer du temps avec Jamie, mais ce n'était certainement plus réciproque désormais. Elle savait qu'il ne voulait plus essayer de faire quoi que ce soit pour eux. Joanne était déterminée à persévérer, mais elle se dit que ce soir-là, c'était peine perdue. Elle entra ensuite dans la maison afin de remettre le petit sur son tapis de jeu et lui présenter quelques jouets afin qu'il parvienne à nouveau à se distraire.
Cet élan de colère sur la table prouve que mon sang froid commence à me faire défaut, et que j'ai tout intérêt à trouver un moyen de calmer mes nerfs avant d'aller trop loin à nouveau. Je n'ai plus droit à ce genre d'erreur, jamais. Pourtant Dieu sait qu'à cet instant je pourrais me défouler sur Joanne jusqu'à rendre son petit minois méconnaissable. Elle ne cesse de me briser le coeur, de le piétiner, de faire si mal, de plus en plus mal, que je pourrais bien lui briser la mâchoire en juste retour. Je hais ces pensées dès qu'elles apparaissent, mais elles passent furtivement dans ma tête tout de même, et à chaque fois les images qui les accompagnent sont des plus séduisantes pour cette partie de moi qui demande vengeance et justice pour tout ce que la jeune femme m'a fait subir pendant les mois avant de finalement succomber pour son propre ex-mari. Que ce soit lui rend la chose encore plus douloureuse. Ce n'est pas un moment de faiblesse avec un homme qui profite de sa solitude et de sa vulnérabilité pour faire son chemin ; c'est un homme déjà bien installé dans son coeur qui n'a besoin que d'un mot pour raviver une flamme qui sera toujours plus belle et plus forte ce qu'elle qui a un jour brûlé pour moi dans la poitrine de Joanne. Le discours est différent désormais, la voilà qui affirme avoir bel et bien des sentiments pour Hassan. « De l'affection ? Oh, ça me rappelle quelque chose, tiens donc. » je siffle avec toujours cette ironie qui me sert jusqu'à présent de bouclier contre une réalité impossible de digérer pour quelqu'un comme moi. Mon pire ennemi a souillé ce qui m'appartient avec tout son consentement. Nous savons tous les deux ce que signifie d'avoir de l'affection désormais, Joanne ne peut pas faire comme si cette expression est toute innocente. Nous savons tous les deux qu'il s'agit d'une confession à demi mot. Et si elle pense que son ex-mari n'a aucun intention derrière la tête, c'est qu'elle est encore plus idiote et naïve que je ne le pensais. Non, la blanche colombe ne l'est plus tant que ça. Voire plus du tout. Je n'en crois pas un traître mot lorsqu'elle affirme ne pas avoir voulu que le baiser qu'elle a échangé avec Hassan dure. Alors qu'à l'entendre, l'on pourrait presque croire qu'elle regrette lesdits freins qu'il impose lorsqu'elle s'approche. « Quel dommage, hein ? » Le regard toujours mauvais, je toise la jeune femme qui croit sincèrement pouvoir me faire gober après cette révélation qu'elle se soucie de mon bonheur et que cela est sa seule motivation à se montrer soudainement compréhensive. « Et où était ta si belle abnégation pour mon bonheur quand tu piquais crise sur crise à propos d'Hannah ? » Quelle blague. Quel retournement de veste. « A ce sujet-là aussi tu te voiles la face. » je réponds sèchement alors que Joanne dit m'aimer. Il n'y a pas d'amour sans confiance et elle est incapable de me donner la sienne. Ce qu'elle aime, c'est de ne pas être seule, et d'avaler tout l'amour qu'un homme peut lui donner. Moi ou n'importe qui, puisque l'homme de sa vie a préféré divorcer et la mettre de côté. Si c'était lui qui avait été à son chevet à son réveil du coma, je parierais que c'est à lui qu'elle aurait juré son amour. Pendant que la jeune femme s'occupe de calmer Daniel qui commence à geindre, je tente également d retrouver mon sang froid. Néanmoins, les secondes passent et tout retour au contrôle de mes émotions me semble impossible. La tempête l'emporte largement sur mes barricades, tous les mots dépassent ma pensée mais traduisent la blessure béante avec laquelle Joanne compte me laisser. « Fais donc ! Va t'en. Je suis certain qu'une certaine personne t'accueillera à bras ouverts dans la rue d'à côté, tu devrais y aller. Filez revivre vos dix parfaites années de vie commune ! » Je suis le seul homme qui lui ait permis d'envisager un futur ? On ne fait pas pire comme mensonge. Elle en avait un avec Hassan, et jusqu'à preuve du contraire, elle l'a épousé pour cette raison. Je suis Joanne dans la maison, débordant d'une animosité qui s'infiltre dans mes veines comme le pire des venins. « S'il a de la chance, après un baiser, la nostalgie te fera écarter les jambes, et alors tu verras sur quel genre d'impasse ça débouchera et s'il en est si désintéressé que ça ! » Ma voix porte et résonne jusqu'au travers des murs. De l'autre côté, une oreille attentive écoute la dispute dont le ton continue de monter. Au moins, le moment est parfaitement choisi. Une main s'abat sur la porte et frappe trois fois. Je me fige, respire un coup et me rends jusqu'à l'entrée. Ils sont deux sur le paillasson à m'observer froidement et à jeter un coup d'oeil par dessus mon épaule afin de s'assurer que tout va bien à l'intérieur -pour le moment. « Jamie Keynes ? » Le regard inquiet en apercevant la voiture de police devant la maison, j'acquiesce silencieusement. « Vous allez nous suivre, s'il vous plaît. » Mon coeur s'affole, ma main serre la poignée de la porte pour s'y raccrocher, je ne comprends pas. Mais lorsque l'on un casier judiciaire, ce genre de phrase a de quoi faire trembler. Voyant que je ne réagis pas et que je ne compte pas bouger, l'homme du duo m'empoigne le bras et me tire hors de la maison. « Est-ce qu'il vous a fait ou s’apprêtait à vous faire du mal, mademoiselle ? » demande la policière à Joanne, pendant que l'on peut observer son collègue, par dessus son épaule, me passer les menottes lorsqu'il estime que mon passif -pas si passé que ça- justifie que l'on se méfie du moindre début d'agressivité de ma part. « On vous arrête pour violences domestiques. » Mon regard noir de haine se pose sur Joanne. Elle a parlé à la police. C'est elle.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Le regard de Jamie ne se désemplissait pas de haine, bien au contraire. Comme elle aurait pu s'y attendre, il ne croyait pas un traître mot de ce qu'elle pouvait dire, reprenant avec plaisir des termes qu'elle avait utilisé, et qu'il avait lui-même utilisé il y a des semaines de cela par rapport à Hannah. Une ironie particulièrement macabre qui empêchait Joanne de répondre ou de répliquer quoi que ce soit. Son regard lourd de sens en disait long. Il contredisait tout ce qu'elle pouvait lui dire, il n'en croyait pas un mot. Il la voyait comme une idiote, une naïve, une incompétente, une personne détestable. Il devait certainement regretter d'être tomber amoureux d'elle, de s'être ouvert à elle. Peut-être même qu'il regrettait que Daniel existe, qu'il y ait encore ce lien entre eux qui était indéfectible. Pour Joanne, la meilleure solution était de partir de la maison, de laisser passer du temps avec Daniel. Le père ne semblait vouloir que demander que ça, devenant particulièrement virulent, même par rapport à Hassan. Mais elle ne comptait certainement pas aller chez lui, il devait sûrement avoir à faire. Joanne avait l'intention de marcher, marcher le plus longuement possible. Jamie la suivait et c'était quelque chose de particulièrement angoissant pour elle. "Je n'irai chez personne, je rentre chez mes parents." rétorqua-t-elle doucement, alors que sa main caressait le visage de son fils. Jamie hurlait, et cela effrayait Daniel, il se rendait bien compte que quelque chose clochait. Elle se redressa et le regarda droit dans les yeux lorsqu'il devint presque vulgaire à ce sujet. Elle le regardait avec des yeux ronds, à la fois choquée et terrifiée. La sonnette de la porte d'entrée la fit sursauter et elle resta ensuite pétrifiée alors que Jamie allait ouvrir la porte. Joanne voyait des gyrophares tournées à l'extérieur, ainsi que des hommes en uniforme. La jeune femme prit un certain temps jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'on lui posait une question. "Non, non. C'est juste ... une dispute." bégaya-t-elle, la gorge serrée. Elle ne comprenait pas ce qui se passait, pour les policiers étaient là. On pouvait largement deviner sa surprise dans son regard. L'un des agents prit fermement le bras de Jamie une fois qu'il était menotté afin de l'embarquer avec eux. Il n'hésita pas à lui lancer un dernier regard assassin à la jeune femme, que l'un des policiers vit. "Allez, emmenez-le avant qu'il ne lui fasse à nouveau du mal." A peine Jamie avait mis le pied dehors que Joanne s'approcha du policier. "Je... Je ne comprends pas, Monsieur, il n'a rien fait." dit-elle, les yeux bordés de larmes, ayant horreur de voir Jamie ainsi menotté et traité. "Vraiment ?" Il ne la croyait pas, c'était évident. "Pourtant, la manière dont il vous parlait, avec un tel volume, ce n'est pas une simple dispute, Miss Prescott." "Mais, mais..." "Nous connaissons bien ce genre de situations, Madame. Les femmes battues ont toujours eu tendance à protéger leur conjoint, je ne me l'explique pas." "Mais je ne..." "Nous avons un témoin." Joanne arqua ses sourcils. "Pardont ?" "Il faut que j'y aille, Miss Prescott, excusez-moi, je ne peux pas vous en dire plus pour le moment. Reposez-vous, et occupez-vous de votre enfant." Joanne restait interdite, incapable d'articuler un autre mot. Il refermait la porte derrière lui, laissant Joanne toute seule. Elle restait quelques secondes là, ne comprenant pas ce qu'il venait de se passer. Qui aurait pu donc révéler ces secrets. Elle ne connaissait que deux personnes qui le savaient, elle ne savait pas si quelqu'un d'autre l'avait remarqué. Ou peut-être quelqu'un de la radio. La scène n'était pas passée inaperçue, cela s'était produit sur le parking. Elle sentait son coeur battre à toute allure. Elle se dirigea ensuite vers la cuisine afin de préparer un biberon copieux et quelques yaourts à emporter pour Daniel. "Mon chéri, nous allons voir Papa, il a des problèmes." lui expliqua-t-elle alors qu'elle cherchait rapidement le sac qu'elle prenait habituellement pour y mettre des affaires pour Daniel. De quoi le changer, le nourrir, l'hydrater et de quoi l'occuper. Et elle n'oublia pas d'éteindre le four en laissant les lasagnes telles quelles. Elle cherchait également un pull pour Jamie, et elle n'oubliait pas de prendre son sac à main, avec le chéquier à l'intérieur. Elle avait ce stupide espoir de pouvoir lui payer la caution. Une fois Daniel installé dans la voiture, elle se dirigea au commissariat. Son fils tenu par un bras, les sacs sur l'épaule de l'autre côté, elle demanda à voir Jamie. "Il est interrogé pour le moment." "Mais je lui ai ramené un pull, il a été arrêté, il n'avait qu'un t-shirt." dit-elle.On la regarda un peu de travers. "Je peux payer sa caution." dit-elle finalement. "Vous ne pouvez pas, non." Joanne paniqua un petit peu. Un des policiers qui avait arrêté Jamie reconnut la jeune femme et s'approcha d'elle. "Je vous avais dit de vous reposer." dit-il calmement. "Laissez-moi aller le voir, s'il vous plaît." demanda-t-elle encore une fois, les yeux bordés de larmes. L'agent soupira. "Vous ne pouvez pas Miss Prescott. Il est actuellement interrogé par des inspecteurs." "Alors je vais attendre." "Vous serez bien mieux chez vous." Joanne avait envie de répondre que ce n'était plus vraiment chez elle, mais ce serait un élément qu'ils pourraient utiliser contre Jamie. Sans dire mot, elle s'installa sur une chaise. "Pouvez-vous au moins lui donner ce pull ?" lui demanda-t-elle en tendant le vêtement. Le policier finit par le prendre, résigné. "Vous savez, qu'importe le lien qu'il peut y avoir entre vous et le témoin, cette personne là l'a dénoncé pour vous, pour votre sécurité. Et c'était ce qu'il fallait faire." Joanne baissa la tête, en gardant Daniel contre elle. Elle lui donnait de quoi manger, et lui lisait une histoire. Il n'en fallait pas plus pour qu'il s'endorme dans ses bras, avec sa chaleur qui était des plus réconfortante. Il y avait une horloge accroché non loin, elle avait les yeux rivés dessus. Les heures étaient nombreuses avant qu'il ne se passe quoi que ce soit. Les policiers qui avaient arrêté Jamie avaient reconnu Joanne, et la regardait régulièrement d'un air désolé, se demandant très certainement pourquoi elle se souciait tant d'un homme qui s'était montré particulièrement violent physiquement, et verbalement. Après tout, ils avaient été eux-même témoin de l'une de leurs disputes.
« James Keynes, on ne vous avait plus vu ici depuis longtemps. » Mes yeux roulent comme des billes, mais je n’émets aucune remarque au sujet de mon prénom, ne tenant ni à me faire capricieux, ni à dire quoi que ce soit en réalité. Bras croisés, un brin affalé sur ma chaise, j’attends surtout que le temps passe, que l’inspecteur me sorte son baratin, et que l’on me révèle ce que l’on compte faire de moi. J’observe le bureau, regarde au travers de l’homme face à moi comme s’il n’existait pas et que l’on me faisait bien trop patienter. Être désagréable ne m’avancera pas, mais je crois qu’en l’état actuel des choses, rien ne m’avancera. Alors autant agir avec autant d’agacement que cette situation m’en inspire. L’inspecteur parcourt mon dossier, qui est bien plus fin qu’il ne devrait l’être en réalité. Je ne passerai pas par la prise d’empreintes et les photographies si peu flatteuses avec mon nom sur une pancarte puisque tout est déjà là suite à l’altercation dans le bar où j’ai rencontré Joanne. Une première condamnation qui n’est certainement pas à mon avantage. « Vous avons reçu une déposition il y a quelques temps rapportant des violences de votre part à l’encontre de Joanne Prescott, votre compagne. Il s’agirait d’importants hématomes sur ses poignets suite à une dispute. Nous nous sommes penchés sur vous et visiblement vous n’en êtes pas à votre coup d’essai. » Nul besoin d’être plus précis que cela pour que je comprenne que la police s’est tournée vers le médecin de la jeune femme pour obtenir les renseignements d’ordre médicaux nécessaires à mon incrimination. Et Winters a été au premier rang lors de ma première véritable colère à l’encontre de Joanne ayant débouchée sur de la violence physique. Il en a certainement témoigné. « C’est elle qui a porté plainte ? » je demande dans un soupir. Je peux bien le savoir, cela ne changera rien désormais. Et je préfère être au courant des noms de chaque traître, elle la première si elle en fait partie. « Non, mais nous comptons bien l’inciter à le faire. Elle sera entendue à son tour. » Joanne ne pourra pas mentir à la police. Peut-être qu’elle ne portera pas plainte, mais ses mots suffiront à alimenter les poursuites à mon encontre. Je suis foutu. Lorsque cela se saura, et ce n’est qu’une question de temps, je le serai encore plus. « Vous serez tout de même placé en détention jusqu’à lundi où vous serez mis en accusation. » Mes yeux s’arrondissent et mon cœur fait un bond. « Vous êtes en train de me dire que je vais passer deux nuits en cellule ? » Est-ce vraiment en train de m’arriver, à moi ? Je ne réalise pas. C’est impensable. « Plus même, si jamais le juge ne peut pas vous voir lundi. Mais il est hors de question de vous remettre dehors et prendre le risque que vous vous en preniez à Miss Prescott, votre fils, ou que vous partiez en vendetta contre quiconque ayant pu vous dénoncer. » Je suppose que cela se tient, et même à mes yeux, cela n’est pas une mauvaise initiative de me garder éloigné de tous ceux sur qui ma colère pourrait passer. En revanche, que l’on pense que je puisse lever la main sur Daniel me fait serrer les dents. « Je ne m’en prendrais jamais à mon fils. » Le sourire narquois du policier me donne envie de lui offrir de bonnes raisons de me croire dangereux. « Je parie que vous vous disiez avant que vous ne lèveriez jamais la main sur votre compagne. » Cette fois, ma bouche reste scellée, je me mure dans le silence. Je n’écoute plus, je regarde les minutes passer, j’attends. Un autre homme entre dans le bureau pour me confier un pull que Joanne lui a demandé de me remettre. J’arque un sourcil. Ce n’est d’aucune consolation, néanmoins je peux apprécier le geste, malgré un soupir las. « J’aimerais passer un coup de téléphone. » dis-je au bout d’un moment. Il me faut un avocat, et le seul pouvant me défendre est tout indiqué. On me permet de retrouver son numéro dans mon portable avant de me le confisquer à nouveau. Je contacte Nathan Siede, le père d’Hannah. Je suppose qu’après pareil motif d’arrestation l’avocat ne souhaitera plus que je sois aperçu en compagnie de sa fille, néanmoins je suis un client comme un autre, un ami jusqu’à présent, qui a besoin de ses services aux honoraires si élevés. Il sera présent dans quelques heures. Bien que cela me semble inutile, on me garde menotté. Je ne suis pas immédiatement conduit dans ma cellule de détention provisoire. « On vous accorde une visite exceptionnelle, surveillée. » informe l’inspecter derrière la porte à une Joanne ayant patienté bien longtemps. « Après, il faudra faire une demande officielle. » Et cela peut demander du temps. La jeune femme entre dans la salle avec Daniel dans les bras. Le bruit de l’ouverture de la porte me fait tourner la tête, puis je saute sur mes jambes en apercevant le petit blottit contre elle. Je ne peux que déposer un baiser sur son front avant que le policier me fasse comprendre d’un simple regard que je ferais mieux de reculer. « Nous prendrons votre déposition quand vous aurez terminé. » ajoute l’inspecteur avant de nous laisser sous bonne garde. Après des heures passées à garder contenance, ma vue est embuée par un léger rideau de larmes. « Ton chevalier d’ex-mari a frappé on dirait. » dis-je d’une voix tremblante, étouffée par ma gorge serrée. Si ce n’est pas Joanne qui m’a dénoncé, cela ne peut être que lui. « Je sais que tu lui en a parlé. » Une révélation qui revient à avouer que je savais déjà qu’elle et lui s’étaient revus dans mon dos. Le baiser, en revanche, était l’information manquante justifiant toute l’attitude d’Hassan.
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Joanne berçait doucement Daniel, bien que celui-ci était déjà bien endormi. Il tenait fermement entre ses doigts le tissu du vêtement de sa mère. L'angoisse de la séparation était toujours bien là, il adorait passer son temps dans les bras de sa mère. Elle embrassait régulièrement ses cheveux bruns et lui chantonnait parfois quelques chansons alors que ses yeux restaient rivés sur l'horloge. Le temps était affreusement long. Personne ne daignait venir vers elle, pas même pour lui demander si ça allait, ou si elle avait envie d'un verre d'eau. Certaines l'ignoraient, d'autres la regardaient avec pitié ou tristesse lorsque l'on savait pourquoi elle était là et ce qui lui était arrivé. Au bout de longues heures d'attente, un officier s'approcha d'elle. "Veuillez-me suivre." dit-il d'un ton parfaitement neutre, quoi qu'un peu las. Il lui annonça que leur entrevue serait surveillée, et qu'ensuite, si elle voulait le voulait, elle devait faire une demande officielle. Des mots qui impressionnaient la jeune femme, toutes ces procédures la dépassaient. Elle acquiesça tout de même d'un signe de tête avant d'entrer dans la petite pièce. Jamie sauta sur ses jambes pour s'approcher d'eux et surtout embrasser la petite tête d'un Daniel endormi. Les yeux de la jeune femme restaient rivés sur ses poignets menottés et ça lui donnait même un haut-le-coeur. Le policier fit en sorte qu'une certaine distance soit maintenue entre elle et lui. Ca lui faisait tellement mal au coeur de le voir dans une telle situation. Voir ses yeux vers s'humidifier provoqua la même chose chez la jeune femme, s'en voulant terriblement qu'il soit dans un tel pétrin, alors qu'elle ne l'avait pas dénoncé. Elle ne le voulait pas. Jamie accusa immédiatement Hassan, persuadé qu'il était le témoin dont les forces d'autorité avaient besoin pour l'arrêter. En revanche, il ignorait que Saul était également au courant. Joanne avait fait de son mieux pour dissimuler ses bleus, mais c'était lorsqu'elle les oubliait un peu qu'ils devenaient un peu visible. Du moins, suffisamment pour que ça interpelle Saul et Hassan. Hassan était-il véritablement capable d'aller dénoncer Jamie ? Il ferait encore certainement n'importe quoi pour que Joanne soit en sécurité. Mais Saul avait dit à Joanne qu'il était tenté d'appeler la police. Elle les avait supplié de ne rien dire, elle avait tant espérer qu'ils tiennent parole. Mais l'un d'entre eux ne l'avait pas fait. Sa gorge se serra. Elle fixait désormais le policier, et craignait soudainement que ce qu'elle puisse dire finisse par se retourner contre lui. Elle restait longuement silencieuse. "Je..." Elle bégaya, puis regarda Jamie. "Je ne sais pas de quoi tu parles." dit-elle timidement, espérant qu'il comprenne sa démarche. A quel point cette entrevue était-elle surveillée ? Et si chacun des mots prononcés étaient utilisés par la suite ? Joanne en avait peur, elle en avait tellement peur. Elle baissa les yeux, ne sachant quoi articuler d'autre. "Fais attention à toi, d'accord ?" finit-elle par lui demander. "Je vais voir ce que je peux faire de mon côté." Même s'il n'y avait pas grand chose qu'elle pouvait véritablement faire pour l'aider. L'inspecteur finit par rentrer dans la pièce, pour conclure cette rencontre. D'une main sur son dos, il l'invita à sortir de là, mais elle se retourna légèrement pour pouvoir encore lui dire quelque chose. "Je t'aime, Jamie." Elle se fichait qu'il ne la croit pas, elle, elle savait que c'était ce qu'elle ressentait pour lui. L'inspecteur la conduisit alors dans son bureau. "Qui est celui qui témoigné ?" demanda Joanne, alors qu'il l'invita à s'asseoir sur une chaise. "Je ne peux pas vous le dire." répondit-il avec une certaine fermeté. "Mais cette personne a certifié avoir vu d'importants hématomes au niveau de vos poignets et a même dit que Mr. Keynes vous aurait giflé violemment." Il semblait déjà bien prêt à lui tirer les vers du nez pour avoir la déposition dont il avait besoin. On ressentait l'envie qu'il avait d'enfermer et de faire payer ce joli minois de si horribles actes. "Que s'est-il passé, exactement ? Pourquoi vous a-t-il fait ça ?" Joanne restait longuement muette, bien que ses yeux trahissaient ses émotions, à quel point elle était bouleversé par cette journée qui avait très rapidement viré au cauchemar. "Il ne s'est rien passé." dit-elle tout bas. "Rares sont les femmes qui osent parler des violences conjugales, c'est même très habituel. Il ne mérite en aucun cas votre pardon, ni votre protection." Elle ne dit rien, se contentant de bercer un peu Daniel qui commençait à se réveiller, certainement perturbé par le fait de ne pas s'être endormi à la maison. "Pensez à votre fils." "Jamie ne lui ferait de mal." lui rétorqua-t-elle sèchement, en fronçant les sourcils. Il continuait d'articuler des phrases, dans l'espoir de lui faire dire n'importe quoi, n'importe quel détail, mais la jeune femme restait silencieuse. C'était une chose qu'elle savait bien faire. Il y avait bien un temps où Jamie préférait qu'elle se taise. "Les policiers ont entendu votre querelle à travers la porte, fait-il souvent preuve de violences verbales, comme pour ce soir ?" Le verbal était bien plus fréquent que le physique. "Il y a toujours des disputes, dans un couple." Bien que cela était particulièrement rare avec Hassan, même en dix ans de vie commune. "Pas au point d'employer les mêmes mots que Mr. Keynes aient utilisé ce soir." répondit-il posément. Il lui expliqua ensuite qu'il allait rester au moins quarante-huit heures en cellule. Puis il enchaîna à nouveau pendant un long moment, dans l'espoir de la faire craquer. Joanne savait qu'il s'agissait du moment où elle devait se montrer particulièrement forte, et elle prenait énormément sur elle. "J'aimerais rentrer à la maison." demanda-t-elle au bout d'un moment. "Non, vous restez ici pour le moment. Je reviens." dit-il en se levant et comptant se rendre dans la pièce où se trouvait Jamie. "Soit, elle est vraiment très amoureuse de vous pour ne pas vouloir cracher le morceau, soit, vous l'avez tellement asséné de coups qu'elle n'ose pas dire un seul mot." Il s'installa sur la chaise en face de lui. "Personnellement, je pense qu'il s'agit plutôt de la seconde option."
Si notre couple n’était pas ce qu’il est, la présence de Joanne pendant cette trop courte entrevue serait mon unique source de réconfort et une parenthèse me permettant de reprendre mon souffle avant de plonger dans l’enfer qui m’attend. Moi qui prenais la détention pour un jeu il y a peu. Je ne m’inquiétais jamais des poursuites qui pourraient avoir lieu, m’en sortant toujours avec quelques heures derrière les barreaux, une nuit peut-être lorsque l’on tentait de m’effrayer un peu, puis un avertissement, une tape sur l’arrière du crâne et, dans le pire des cas, une amende. Je n’ai véritablement dépassé les bornes que le soir de cette fameuse altercation dans ce bar pendant laquelle, je l’ai réalisé bien trop tard, j’aurais pu faire bien plus de mal que ce ne fut le cas à mon adversaire. Certains qu’ils qu’il n’en aurait pas fallu beaucoup plus pour que son itinéraire passe de l’hôpital à la morgue. Alors, oui, je suppose que si ces détails sont notés dans mon dossier, on peut considérer que cela résume mon niveau de dangerosité, qui gagne un cran supplémentaire lorsque je perds le contrôle. Et alors, j’imagine que cela n’incite guère à m’ôter les menottes des poignets lorsque Joanne pénètre dans la salle où je suis confiné, même en la présence d’un agent. A mes yeux, il est évident que l’ex-mari de la jeune femme est celui qui est à l’origine de mon arrestation. Sûrement parce que le baiser échangé avec elle ne menait à une impasse qu’à cause de ma présence, et que me mettre ainsi à l’ombre provoque ma mise hors-jeu. Le voilà avec le champ libre, une allée royale grande ouverte droit devant lui. J’aurais dû me méfier, mais il semblait si insignifiant. Son regard de cocker, son passif, et même la pauvreté de ses menaces ne pouvaient pas me laisser penser que l’homme passerait un jour à l’acte. Mais il l’avait dit lui-même qu’il pourrait trouver le moyen de m’empêcher de nuire, et le voici, sous la forme de deux anneaux métalliques qui entravent mes mouvements et m’empêchent de prendre mon fils dans mes bras ne serait-ce que quelques secondes. Mon regard offusqué semble demander à Joanne si elle estime véritablement que le moment est bien choisi pour me mentir désormais, car il ne sert à rien de le nier ; elle a parlé à son ex-mari de notre dispute sur le parking de la chaîne et celui-ci s’est senti obligé de jouer au chevalier servant encore une fois. « J’ai déjà appelé un avocat, il ne va pas tarder. » dis-je entre mes dents serrées et en tentant de ravaler la peur qui se traduit dans mes yeux rougis. Siede me sortira de là, c’est certain. Il trouvera un moyen pour que je m’en sorte sans trop de casse. Quoi que je doute qu’il puisse m’épargner une injonction d’éloignement vis-à-vis de Joanne et Daniel, et l’idée d’être maintenu éloigné de force de mon fils me retourne les tripes. Le baiser que j’ai déposé sur son front pourrait être le dernier avant bien longtemps et cette pensée est absolument insupportable. « Rentre chez tes parents et prend soin de Daniel. » je reprends avant que l’on ne demande à Joanne de partir. Ils vont l’interroger désormais, la pousser à porter plainte, à m’enfoncer un peu plus. Pour sa sécurité, pour celle de Daniel, voire pour toute la communauté, qu’en sais-je. Ils forceront jusqu’à ce que cela marche. Qu’elle m’aime ou non n’y changera rien, elle finira par se rendre à l’évidence et comprendre que faire une déposition est la meilleure solution. Néanmoins, comme pour me rassurer quant à ses intentions, elle m’adresse ces mots d’amour à la volée. « Je sais. » je réponds tout bas. Mon cœur est trop incertain pour que je lui dise que moi aussi. Je suis laissé seul un long moment dans cette pièce, accompagné uniquement de mes pensées et de ma culpabilité. C’est certainement la manœuvre afin de me démoraliser, me laisser ressasser. Je m’assois, me relève, fais les cent pas inlassablement, jusqu’à ce que l’inspecteur revienne vers moi avec la certitude que la seule raison pour laquelle Joanne ne me dénonce pas est la peur que je lui inspire. « Je me fiche de ce que vous pensez. Et à partir de maintenant je ne dirai rien sans – la présence de mon avocat, je sais. » Mon regard se fait plus sombre face à cette interruption désinvolte. Quoi qu’il dise pendant les minutes suivantes, je me tiens à cet éphémère voeu de silence. J’ai conscience que toute parole prononcée pourra être retournée contre moi, et en l’état actuel des choses, j’ai bon espoir de me pouvoir encore m’en sortir. Mais pour cela, je ne dois pas pré-entraver le travail de mon avocat en répondant des mots que je pourrais regretter. « Vous êtes persuadé que les gens comme vous ne vont pas en prison, hein ? » Stoïque, je songe que si cela a été vrai un temps, aujourd’hui la justice tend à cesser de faire des cadeaux aux plus aisés et autres célébrités. Quoi qu’il est toujours possible de trouver un arrangement afin de s’éviter une couche supplémentaire de surpopulation carcérale. « Et tout le monde saura ce que vous avez fait. Certains sont déjà à l’entrée. » Oh, je suppose qu’il les a appelés lui-même, bien trop fier en avance d’un jugement qui me rendra coupable de ces violences et tâchera mon image à jamais. Il n’y a pas de rédemption possible dans de pareils cas aux yeux du public. L’implication de la presse permet de s’assurer que même si je devais m’en sortir juridiquement, personne ne puisse oublier ce que j’ai fait. « Je me demande qui voudra encore écouter la voix suave d’un agresseur de jeunes femmes après ça. » Je respire profondément afin de ne pas succomber à l’envie de serrer mes mains autour du cou de l’inspecteur afin qu’il cesse. « Vous devriez vous taire aussi en attendant mon avocat, sans quoi il vous en faudra un également. » Ce sont les derniers mots que je prononce. Lorsque l’homme comprend qu’il n’y a plus rien à tirer de moi, il appelle deux de ses collègues afin qu’ils me servent d’escorte. « Mettez-le en détention. »