C’était toujours la même chose, se répétait Hannah, une main dans sa chevelure et l’autre enroulée autour de son collier en diamants. L’objet, élégant et discret était un cadeau de Saul et depuis quelques jours, il ne quittait plus le cou d’Hannah. C’était sa manière à elle de se rassurer dans le fond et de faire passer les mauvais jours; ce n’était qu’un simple bijou et pourtant, la brune avait les épaules un peu moins lourdes en sentant la fine chaine en argent autour de son cou et particulier ce soir. Hannah se demandait à combien de gala son père comptait la trainer, à combien de personnes il comptait la présenter avant de se rendre compte qu’elle avait vraiment tourné la page et que ce genre d'événements mondains et pompeux au possible n’était tout simplement pas fait pour elle. Plus pour elle du moins, si avant, Hannah aurait adoré parader et jouer les princesses, ça avait perdu tout son attrait aujourd’hui, et ce n’était pas fêter son anniversaire récemment qui lui avaient fait ouvrir les yeux non. Cela datait de bien avant, elle était tout simplement fatiguée et voulait se concentrer sur des choses qui avaient de l’importance pour elle. Elle avait simplement suivi Nathan aujourd’hui car la cause qui était défendue ce soir et l'association en question étaient chers à ses yeux, le droit des enfants, qui était-elle pour ne pas se laisser attendrir par une cause si noble, et parce qu’elle avait déjà eu le plaisir de venir faire la lecture à quelques-uns des enfants du centre en question. Bien entendu, au bras de son père, Hannah ne s’était fait aucune illusion en passant les portes de l’hôtel qui avait été loué ce soir dans son élégante robe jaune. Pas d’enfant présent ce soir, une hôtesse se contentait de distribuer des dépliants avec les bouilles attendrissantes de chacun des dits enfants, tandis qu’on passait entre les grands esprits de ce monde avec du champagne et des petits fours hors de prix. La brune soupira et s'éloigna de Nathan, blasée au possible. Hannah se rappela d’une époque où elle avait défendu tout ceci, cet étalage flagrant de richesse, cette époque où elle l'avait même défendu et dit le comprendre; elle ne s’était jamais autant senti déconnectée de ce monde et pourtant, elle aurait dû prendre part aux festivités. Elle aurait dû saisir une coupe de champagne, faire la conversation et signer un chèque important à la fin de la soirée, juste parce que. Juste parce que c’était ce qu’on faisait dans ce genre d’endroit et c’était ce qui était attendu des gens comme Hannah. Cette étiquette lui collait mal à la peau et elle avait congédié son garde du corps, n’étant pas assez cruelle pour lui imposer une soirée de ce genre. Elle n’avait même plus l’alcool pour essayer de rendre tout ça un minimum vivable, elle fixa distraitement un des serveurs et son index s’enroula machinalement autour de son collier, elle n’en avait pas besoin, ce n’était pas le champagne qui allait la sauver de l’ennui et des sourires hypocrites. Hannah se pencha un instant sur le dépliant et reconnut quelques uns des enfants, comme Thomas qui avait occupé ses genoux pendant son histoire ou encore la petite Lisa qui avait insisté pour qu’Hannah renomme la princesse après elle tout au long de sa lecture. C’était pour eux toute cette levée de fond et pourtant, ils n’étaient pas présent ce soir. Hannah releva la tête, seulement pour rencontrer le regard d’une des amies de son père, elle sut que la confrontation était inévitable et elle lui offrit un sourire poli. « Hannah… ravie de te voir ici, pas de cavalier à ton bras à ce que je vois ? » La question arriva facilement, trop facilement d’ailleurs, elle arrivait toujours facilement et la brune eut un maigre sourire face à Esmée, une des principales donatrices de l'association et ravala la réplique acide qui lui brûlait la gorge et se contenta d’un simple : « Nous ne sommes pas toutes aussi chanceuse que vous Esmée, les vrais gentlemen se font rares… d’ailleurs où est donc votre moitié ? » « Surement en train de refaire le monde avec qui voudra donc bien l’écouter… regarder qu’est-ce que je vous disais. » Hannah suivit le regard d'Esmée vers son mari, qui était en pleine conversation avec un homme qui paraissait visiblement ennuyé. La brune aurait tourné le regard si elle ne connaissait pas ce visage, mais si, Saul lui avait présenté ce professeur en géopolitique il y a quelques jours de cela. Impossible d'oublier un visage comme le sien. « Hannah soyez donc un amour et aller sauver ce pauvre jeune homme…. S’il y a bien quelqu'un qui doit souffrir des discours trop longs de mon mari, cela doit être moi pas vrai ? » Cette remarque arracha l’ombre d’un rire à la brune qui ne se fit pas prier plus longtemps et qui n’hésita pas une seule seconde à s'immiscer dans la conversation entre les deux hommes. « Je savais bien que vous n’auriez jamais laissé Esmée venir seul Dylan, comment allez vous depuis le temps ? » « Oh Miss Siede  ! Ravi de vous voir. » En quelques battement de cils, l’homme oublia Hassan et après qu’Hannah lui ait juré de venir boire le thé avec lui le dimanche prochain, il les abandonna pour son épouse. Hannah observa le couple du coin de l’oeil, plutot fière du résultat avant de se tourner vers Hassan. « Je crois que vous pouvez passer le reste de la soirée tranquille Monsieur Jaafari. Quoi que, si vous me permettez, vous êtes bien la dernière personne que je m’attendais à croiser ici. Et oui, c’est un compliment.» Hannah avait plutôt tendance à associer les événements de ce genre aux hommes qui avaient une fortune et une certaine influence comme… Jamie en fait. Et dans leur cercle fermé de gens riches, on savait tout de suite qui en était et qui n’en était pas, et s’il y a quelques mois de cela Hannah aurait surement jugé Hassan sur la coupe de son costume ou son air perdu, elle se contenta de lui offrir un sourire.

La consommation de tabac d'Hassan n'en était pas au point d'avoir toujours des cigarettes sur lui, cela restait on ne peut plus occasionnel, une sorte de plaisir coupable qu'il partageait parfois avec Khadji père, lorsque sa femme et sa fille avaient le dos tourné. Mais ce soir-là, pourtant, il aurait donné cher pour une cigarette, ne serait-ce que pour en faire l'excuse idéale pour s'éclipser un moment et sortir prendre l'air, loin du brouhaha et surtout loin de certains qui s'écoutaient parler plus qu'ils ne souhaitaient entendre d'autres avis que le leur. Le dernier en date, le plus coriace, lui tenait la jambe depuis un bon quart-d'heure, faisant les questions et les réponses sans vraiment se soucier de ne pas savoir à qui il avait affaire. Soit, lui au moins n'avait pas eu une seconde ou deux de latence en entendant son nom de famille, comme le précédent. La vérité c'est qu'Hassan avait accepté d'être présent à cette soirée parce qu'on le lui avait demandé, et qu'il pensait naïvement se retrouver entouré uniquement de personnes qui s'intéressaient avec sincérité à la cause défendue. Oh il n'y avait sans doute pas que des mauvais bougres, personne qui jetterait l'un de ces enfants malade sous les roues d'une voitures ou même le laisserait pleurer au milieu d'une rue pluvieuse ... Mais ils s'intéressaient à cette cause de la même manière qu'ils s'intéressaient sans doute à la préservation d'une espèce rare de fleur, à la rénovation d'une fresque du dix-neuvième siècle, ou au sort des réfugiés de guerre : en faisant un chèque et en passant à autre chose plus vite qu'ils ne terminaient leur flûte de champagne. Au beau milieu de l'étalage de sa réussite professionnelle l'homme lui avait d'ailleurs proposé non pas à une, non pas à deux, mais à trois reprises de céder lui aussi au champagne qui passait régulièrement à portée de leurs mains, comme si le premier refus d'Hassan ne pouvait à ses yeux pas être autre chose que de l'hésitation ou de la timidité. Comme si un "merci, je ne bois pas" n'était pas une excuse valable.

Se contentant donc de hocher la tête à intervalles réguliers en attendant de trouver comment se débarrasser de son hôte sans risquer de paraitre impoli, le brun s'était presque senti sauvé par le gong lorsqu'une voix féminine s'était élevée derrière lui « Je savais bien que vous n’auriez jamais laissé Esmée venir seule Dylan, comment allez vous depuis le temps ? » Bien que lui donnant un très vague sentiment de familiarité, la voix en question avait mis quelques instants à réactiver sa mémoire, tandis que ses yeux se posaient sur la silhouette à qui elle appartenait. La robe et la coiffure changeaient mais pas suffisamment pour que ne soit pas reconnaissable la jeune femme croisée chez Saul quelques temps plus tôt. Toutefois incertain d'avoir encore sa place dans la conversation, le brun envisageait de s'éclipser après un sourire poli et un vague signe de tête lorsque l'autre s'était lui décidé à prendre congé, saluant chaleureusement la jeune femme avant de montrer un peu plus de retenue en saluant Hassan. « Je crois que vous pouvez passer le reste de la soirée tranquille Monsieur Jaafari. Quoi que, si vous me permettez, vous êtes bien la dernière personne que je m’attendais à croiser ici. Et oui, c’est un compliment. » Ou bien une manière polie de lui faire comprendre qu'il avait l'air d'un chien au milieu d'un jeu de quilles ? Aucune ironie ne semblant pourtant transparaître de la jeune femme, le brun avait donc consenti à n'y voir qu'un compliment, et souri à son tour « Je ne suis plus tout à fait certain de pourquoi je suis ici, pour tout vous avouer. » Fait qu'il ne manquerait assurément pas de mentionner à celle qui l'avait envoyé ici en premier lieu, probablement plus pour y échapper elle-même que pour les raisons innocemment avancées. « Mais je suppose que je pourrais sans mal vous retourner le compliment. » Probablement pour la simple et bonne raison qu'Hassan n'avait aucune idée de qui il croiserait ou ne croiserait pas ici ... Mais sans doute pas un visage connu, même vaguement. « Merci, en tout cas. Je ne savais pas comment m'en défaire ... Même s'il est charmant. » Il avait cru bon de devoir faire cette précision, ne souhaitant soudainement pas paraître impoli vis-à-vis de l'une des connaissances de la jeune femme. « Je crois qu'il a simplement un peu surestimé mon intérêt pour l'évolution du cours du pétrole. » Celui d'Hassan se limitant au prix que lui coûtait un plein d'essence, et encore, de manière totalement hypothétique puisqu'il n'avait pas encore cherché à en racheter une après avoir accidenté la précédente quelques mois en arrière. « Mais vous semblez connaître beaucoup de monde ici, je ne voudrais pas vous retenir inutilement ... » Elle semblait, sans aucun doute, beaucoup plus dans son élément que lui au milieu de ces gros portefeuilles, son salaire de professeur d'université ne rivalisant clairement pas.

Oui, Hassan avait l’air perdu, mais ce n’était pas forcément une mauvaise chose. Il fallait à voir une sacré volonté pour évoluer et survivre dans ce genre de soirées pompeuses au possible. Une force qu’Hannah ne se trouvait plus dernièrement et elle avait bien hâte de s’envoler pour New York dans quelques jours et mettre tout ça derrière elle. Pourtant, on aurait pu penser qu’elle pouvait briller dans la foule et se faire remarquer par son nom ou par sa fortune, mais elle n’en avait pas envie. Ou du moins plus envie. Elle qui était probablement la mieux placée pour faire la conversation avec toutes les personnes ici présentes, se sentait sur la touche et comprenait donc la position d’Hassan, probablement mieux que quiconque. « Pas de quoi. » répondit Hannah en guise de remerciements, un maigre sourire sur le visage. Elle l’écouta parler avec un sourcil dressé, se demandant de quelle manière il avait interprété ses propos. La brune était plutôt douée pour lire les gens et si avant cette soirée, elle et Hassan n’avaient échangé que quelques mots, cela semblait être sur le point de changer. Ou au moins, elle comptait bien tout faire pour. « J’apprécie un gentleman comme tout le monde, mais ne dites pas que vous comptez passer la soirée tout seul ? »  demanda Hannah, définitivement intriguée. Ils connaissaient tous les deux la réponse à cette question et l’actrice se demanda vraiment comment Hassan s’était retrouvé ici ce soir. Ça ne pouvait pas être juste parce qu’il s’ennuyait ou qu’il cherchait qui il pourrait dénigrer ce soir, non; c’était forcément les gens qui appartenaient au monde d’Hannah qui pensaient de la sorte. « Saul avait donc raison…. Hannah au fait, au cas où votre mémoire vous aurez fait défaut. » Ce qui était rarement le cas, mais on était jamais trop prudent et Hannah avait déjà établi qu’Hassan n’entrait définitivement pas dans la catégorie des hommes qu’elle fréquentait d’ordinaire. Un très grand compliment dans ce cas précis. « Vous savez ce qu’on dit à propos des amis des amis. Et je serai de bien meilleure compagnie que votre ennui je vous assure. Oh et j’ai oublié de vous dire… Je ne vous laisse pas vraiment le choix. » La dernière partie de sa phrase fut ajoutée avec un sourire poli, juste avant que la brune ne s’empare du bras droit d’Hassan, et le guide un peu à l’écart. Avoir un cavalier ou en l’occurence une cavalière était un bon moyen d’éviter de se faire happer par des conversations inutiles, ou dans le cas d’Hannah, on pouvait être un sujet de conversation à part entière mais ça… ce n’était pas comme si Hannah prenait la peine d’écouter tout ce qu’on disait sur elle, sobre ou pas, accompagnée ou non, elle ne l’avait jamais fait et n’allait certainement pas commencer aujourd’hui. « En fait… ce genre de soirée n’est pas vraiment bien compliquée. Personne ne connait vraiment personne, et on adore tous faire semblant. Personne n’est là pour la bonne cause ou pour soutenir la cause en question ce qui est tragique quand on y pense bien. » Hannah poussa un léger soupir avant de poursuivre sur sa lancée. « Je doute que les adjoints de la mairie ou les plus grands PDG de Brisbane aient vraiment envie de s’afficher avec un enfant malade... Je me demande même s'ils connaissent le nom de l’association… Mais je vous rassure je ne fais pas partie de cette catégorie d’hypocrites, d’ailleurs si vous ne faites rien demain à quinze heures c’est atelier lecture… il nous manque toujours quelqu’un pour le rôle du prince dans mes histoires, et j’ai beau être une bonne actrice, certaines performance nécessite souvent la présence d’un vrai gentleman. » Hannah les avait conduit vers le bar, un choix qui pouvait paraitre complètement stupide mais peu de personnes se trouvait au comptoir et à moins de faire un contact direct avec le barman, ils avaient la paix pour les vingts prochaines minutes. Hannah libéra enfin le bras d’Hassan et s’accouda contre le comptoir, pensive, ses yeux rivés sur la foule qui s’étalait devant eux.  « Pour survivre il vous suffit juste de trouver un poste d’observation assez confortable et attendre le bon moment pour s’éclipser. » Chose qu’Hannah avait fait assez souvent au final. Ce n’était indubitablement pas pour cultiver le mystère autour de sa propre personne, mais bien parce que la plupart des gens ici présent était complètement dénué de toute saveur et l’ennuyait tout simplement. « Si vous espériez faire une bonne action en venant ici ce soir… je pense que vous aurez compris que ce n’est pas vraiment la bonne opportunité. »

Qu’on se le dise, la nature d’Hassan résidait bien plus dans les troisièmes mi-temps au bar du coin – du moins à l’époque où, avant que sa santé ne fasse des siennes, il mettait encore les pieds au club de rugby – que dans les soirées où le port de la cravate était pratiquement une obligation. Il en acceptait quelques unes lorsque la situation l’exigeait (autrement dit quand son statut d’universitaire l’exigeait) mais il n’en raffolait pas, encore plus un soir comme celui-ci où il ne connaissait absolument personne et se retrouvait à devoir hocher la tête avec politesse à qui voudrait bien faire de lui le pigeon parfait pour écouter une histoire à laquelle personne d’autre n’avait témoigné d’intérêt. L’arrivée d’Hannah – Siede, si Hassan s’en remettait à ses souvenirs des présentations faites par Saul quelques temps plus tôt – venait donc de lui retirer une vraie épine du pied, bien qu’après l’avoir remerciée il ne se soit pas vu lui imposer de lui tenir compagnie, persuadée qu’elle avait bien plus utile ou intéressant à faire … Elle semblait dans son élément ici, contrairement à lui. « J'apprécie un gentleman comme tout le monde, mais ne dites pas que vous comptez passer la soirée tout seul ? » Sans trop savoir si la question était posée dans l'attente sincère d'une réponse, ou si tout cela n'était que purement rhétorique, Hassan n'avait pourtant pas pu s'empêcher de laisser le fond de sa pensée s'exprimer « Disons que j'attendais le moment opportun pour m’éclipser sans avoir l'air de fuir à toutes jambes. » Ce qui, dans un certain sens, aurait tout de même été préférable à l'éventualité de rester seul dans un coin, à prendre racine sans même un verre à la main pour donner le change puisqu'il lui semblait qu'absolument rien ne passe à sa portée qui ne soit pas du champagne. « Saul avait donc raison … Hannah au fait, au cas où votre mémoire vous aurait fait défaut. » Elle ne lui avait donc pas fait défaut, comme il l'avait simplement indiqué d'un signe de tête, bien qu'incapable en revanche de ne pas demander « Raison à propos de quoi ? » avec une certaine curiosité. Il espérait simplement que derrière le sous-entendu ne se cache pas un reproche sur il ne savait quel critère, mais il osait espérer qu'à en juger par le sourire de la jeune femme il n'en était rien. L'idée qu'elle soit comédienne et que son sourire puisse ne pas être un gage intégral de sincérité ne lui avait à vrai dire même pas traversé l'esprit, et pourtant il se souvenait aussi sans mal de cet autre détail mentionné par Saul lorsqu'il les avait présentés. « Vous savez ce qu'on dit à propos des amis des amis. Et je serais de bien meilleure compagnie que votre ennui je vous assure. Oh et j'ai oublié de vous dire … Je ne vous laisse pas vraiment le choix. » Laissant échapper un léger rire, surpris – mais pas forcément en mal – par la véhémence de la jeune femme, Hassan avait acquiescé d'un ton amusé « Et bien dans ce cas, je m'avoue vaincu. » laissant Hannah l'attraper par le bras et l'entraîner un peu plus loin, où bon lui semblait.

Il avait toujours soif, mais un poil moins envie de fumer que tout à l'heure, ce qui n'était probablement pas une mauvaise chose. Les quelques regards qu'il avait cru capter dans leur direction – indubitablement dirigés vers Hannah et non vers lui, comme on s'en doute – avaient eux néanmoins manqué de le mettre mal à l'aise, aussi le brun s'était-il rapidement reconcentré sur sa cavalière tandis qu'elle tâchait de lui expliquer « En fait … ce genre de soirée n'est pas vraiment bien compliquée. Personne ne connaît vraiment personne, et on adore tous faire semblant. Personne n'est là pour la bonne cause ou pour soutenir la cause en question ce qui est tragique quand on y pense bien. » Tragique, assurément, mais étonnant de moins en moins Hassan à mesure que ses oreilles avait traîné entre diverses brides de conversations alentours depuis son arrivée. « Je doute que les adjoints de la mairie ou les grands PDG de Brisbane aient vraiment envie de s'afficher avec un enfant malade … Je me demande même s'ils connaissent le nom de l'association … Mai je vous rassure je ne fais pas partie de cette catégorie d'hypocrites, d'ailleurs si vous ne faites rien demain à quinze heures c'est atelier lecture … il nous manque toujours quelqu'un pour le rôle du prince dans mes histoires, et j'ai beau être une bonne actrice, certaines performances nécessitent souvent la présence d'un vrai gentleman. » Sa proposition établie, la brune les avait mené jusqu'au bar où, l'esprit momentanément loin de la soif qu'il souhaitait étancher, Hassan avait accueilli la proposition avec un sourire calme « Que diriez-vous d'un échange de bons procédés, dans ce cas ? Mon intervention de prince demain à quinze heures, contre votre performance en Shéhérazade vendredi après-midi, même heure et même endroit … ? » Voilà donc, semblait-il, le point commun qui les avait mené tous les deux à se retrouver dans ce hall d'hôtel. « Si je comprends bien, j'ai devant moi la ''dame avec les trop jolis cheveux'' du mercredi après-midi ? Olivia parle de vous tout le temps. » Et dieu sait que les enfants à cet age-là, même malade, savaient se montrer bavards pour peu que leur sujet de conversation les passionne autant que la chevelure d'Hannah semblait passionner cette petite.

Profitant de ce que le barman passait à leur portée, Hassan avait laissé la jeune femme s'en remettre à ce qu'elle souhaitait, puis avait lui demandé un simple verre d'eau fraîche. S'accoudant au comptoir mais laissant ses yeux voguer au hasard de la foule, le brun avait laissé Hannah reprendre d'un ton qui prouvait sa connaissance du phénomène « Pour survivre il vous suffit juste de trouver un poste d'observation assez confortable et attendre le bon moment pour s'éclipser. » Au moins, Hassan pourrait se rassurer en se disant que sa solution de repli de tout à l'heure n'était pas entièrement dénuée de sens, à en juger par le conseil suggéré par la comédienne « Autrement dit j'ai devant moi une experte en la matière, dans ce genre de soirées ? » Rien de très étonnant là-dedans cela dit, le fait qu'elle se sente entre ses murs comme un poisson dans l'eau rassurante de son aquarium était palpable. « Si vous espériez faire une bonne action en venant ici ce soir … je pense que vous aurez compris que ce n'est pas vraiment la bonne opportunité. » Ça, autant dire qu'il s'était sacrément fait rouler dans la farine. « Je suis uniquement là parce que Bonnie – le petit bout de femme avec les lunettes rondes, vous voyez ? – est venue me voir pour me demander d'y aller à sa place … Un empêchement de dernière minute, parait-il, je commence à croire qu'elle a surtout eu la présence d'esprit de refiler la corvée au premier qui ne se méfierait pas. » Et Hassan, dans sa gentillesse emprunte de naïveté, avait donc été le candidat parfait au rôle de dindon de la farce.

Pour quelqu’un de son rang, faire la lecture à des enfants de malade était une action charitable, surement accomplie devant des tas de caméras pour se faire bien voir. Pas pour Hannah. La lecture avait toujours été une grande passion pour la brune, son premier vrai amour d’ailleurs et cela faisait déjà depuis quelques semaines qu’elle se rendait dans les salles de l’hôpital de Brisbane pour user d’un peu de son talent et impressionner les plus jeunes. Après tout, c’était de cette manière qu’Hannah avait réalisé qu’elle voulait devenir actrice. À force de venir narrer ses contes et ses pièces de théâtre préférés à son père et à force de le voir rire et rouler des yeux quand l’histoire n’avançait pas assez vite à son goût, elle avait fini par se dire qu’elle était douée pour quelque chose au final. Bien évidemment, dans l’établissement hospitalier, son public était beaucoup moins critique que son père mais ce n’était pas pour ça que la Siede appréciait moins l’exercice, bien au contraire. Aux mots d’Hassan, elle se passa une main dans ses mèches brunes, mèches dont il était question à cet instant précis. « Ravie de savoir que ma réputation me précède… Je ne vous cacherai pas que les enfants de l’association sont un public très réceptif et très facile à convaincre… Une chose rare dans mon milieu. » Et là Hannah ne faisait pas que référence à sa carrière d’actrice. Devoir se donner en spectacle devant les autres avait commencé à un très jeune âge, probablement à douze ans, dans un gala de charité tel que celui ci. C’était l’usage, de présenter sa progéniture au reste du monde ainsi et de s’attendre à ce qu’elle tire des leçons de sa première soirée dehors, face au reste du monde. Hannah n’y avait jamais vraiment cru dans le fond, elle à qui on avait rabâché des concepts de privilèges et de pouvoir toute sa vie, s’en moquait bien dans le fond et se contentait de vivre selon ses propres règles. Elle y avait laissé des plumes, plus d’une fois d’ailleurs, mais cela ne voulait pas dire qu’elle avait des regrets pour autant. Accoudée au bar, Hannah esquissa un maigre sourire alors qu’Hassan commandait de l'eau et elle en fit de même. Il l’aurait croisée il y a des semaines de cela, son choix de boisson aurait été bien différent mais ça, le brun n’avait pas vraiment besoin de le savoir. Une fois son verre en main, Hannah laissa échapper un léger rire tandis qu’Hassan lui expliquait pourquoi et comment il s’était retrouvé ici ce soir. Hannah avait vu juste, il était vraiment en dehors de sa zone de confort. « Vous vous êtes fait avoir comme un débutant mais ça ne veut pas dire que vous n’allez pas forcément passer une bonne soirée… surtout vu votre choix de boisson, il va vous falloir quelqu’un pour faire la conversation… Ou vous raconter les pires horreurs sur les invités, au choix. » Hannah eut un geste pour le défilé de costumes et de robes hors de prix qu’ils avaient devant eux. Si Hassan voulait savoir qui couchait avec qui et qui était au bord de la faillite financière et même émotionnelle chose souvent courante dans son monde, Hannah était la bonne personne à qui s’adresser. « Je trouve ça tout simplement ridicule… On pourrait tellement faire autre chose de notre temps non ? Ce genre de soirée n’aide en rien mon genre, et par mon genre je parle des quelques rares grandes fortunes qui foulent la terre australienne. » À peine eut-elle prononcé ces mots, qu'il était visiblement temps pour le discours du président de la fondation. Une salve d’applaudissements le précéda tandis qu’il montait sur la scène, tous les regards n’étaient que pour lui et un sourire mutin sur le visage, Hannah tira sur le bras d’Hassan. « Oh… c’est notre chance, venez ! » La brune fit de son mieux pour les guider vers une sortie la plus proche, c’était probablement la seule chance de la soirée qu’ils auraient alors autant la saisir. Hannah adressa un sourire aux serveurs qui leur jetèrent un regard surpris alors qu’ils passaient par les cuisines et elle ne se gêna absolument pas pour piquer quelques petits fours au passage et une bouteille d’eau. La sortie d’urgence fut plus qu’utile, Hannah poussa la porte avec une aisance folle, signe que ce n’était pas la première fois qu’elle se livrait à l’exercice. « Vous courrez plutôt vite pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude de ce genre de sortie. » fit-elle remarquer une fois dehors.

On aurait facilement pu s'imaginer qu'après y avoir été enfermé des semaines entières en tant que patient, Hassan se tienne aussi éloigné que possible de l'hôpital … Mais en réalité cela n'avait de toute façon aucun sens, Yasmine y travaillait, et il devait toujours venir y subir des examens visant à surveiller que sa rémission ne fasse pas subitement demi-tour, alors cet hôpital il en était tout sauf débarrassé. Et sa décision de donner chaque semaine quatre heures de son temps chaque semaine pour occuper l'esprit de ces gamins qui ne mettaient presque plus le nez en dehors de l'étage pédiatrie c'était un peu une thérapie à double-sens ; Cela faisait du bien aux enfants, sans doute, mais cela lui faisait aussi du bien à lui. On donnait de toute manière rarement de son temps sans raison, et si le brun n'était pas assez indiscret pour tenter de but en blanc de connaître celles qui animaient la jeune femme il ne doutait pas qu'elles devaient être bonnes. « Ravie de voir que ma réputation me précède … » avait-elle en tout cas répondu d'un ton amusé « Je ne vous cacherai pas que les enfants de l'association sont un public très réceptif et très facile à convaincre … Une chose rare dans mon milieu. » Il la croyait sur parole quant au fait qu'il s'agissait pour elle d'un public nouveau et en rien comparable avec n'importe quel autre public auquel elle ait pu faire face auparavant. Pour autant il n'aurait pas qualifié les enfants de forcément faciles à convaincre « Mais c'est un public qui peut se révéler sévère, étonnamment. Les enfants ont cette tendance à s'exprimer sans aucun filtre, c'est parfois déroutant … et en même temps on ne peut pas trouver plus sincère. » La capacité à savoir tenir sa langue et mentir par bienséance ou gentillesse venait plus tard, en grandissant, et possédait comme on le sait ses avantages mais également ses inconvénients. Reste qu'Hassan se sentait bien plus d'attaque à affronter l'éventuelle honnêteté exacerbé de n'importe quel enfant que la jungle mondaine dans laquelle il s'était retrouvé catapulté contre sa propre volonté, comme il s'était finalement décidé à l'admettre en saisissant le verre d'eau demandé quelques instants plus tôt. « Vous vous êtes fait avoir comme un débutant mais ça ne veut pas dire que vous n'allez pas forcément passer une bonne soirée … surtout vu votre choix de boisson, il va vous falloir quelqu'un pour faire la conversation … Ou vous raconter les pires horreurs sur les invités, au choix. » Le dos appuyé contre le bar, et le regard glissant sans jamais se fixer nul part sur le ballet de robes et de groupes en pleine conversation, il avait questionné « C'est donc le sujet de conversation que vous me proposez ? » sans trop savoir si la proposition lui passait au-dessus de la tête ou au contraire créait chez lui un certain malaise. Se moquer des déboires d'autrui n'était pas dans le tempérament d'Hassan, dont la gentillesse était la plus part du temps – trop – exacerbée.

Marquant une légère pause durant laquelle l'un et l'autre avaient bu une partie de leur verre d'eau, Hassan ayant d'ailleurs été surpris de la voir s'en tenir à la même chose que lui sans trop savoir si son envie d'eau minérale était réelle ou si elle faisait simplement partie de ces personnes qui, voyant quelque qui ne demandait pas d'alcool, se sentaient l'obligation d'en faire de même pour ne pas froisser leur interlocuteur. « Je trouve ça tout simplement ridicule … » avait-elle finalement repris dans un soupir en observant la foule, avant de reposer son regard sur lui « On pourrait tellement faire autre chose de notre temps non ? Ce genre de soirée n'aide en rien mon genre, et par genre je parle des quelques rares grandes fortunes qui foulent la terre australienne. » Si Hassan ne niait pas partager son point de vue concernant le fait qu'ils pourraient occuper leur temps de manière plus productive – ou tout au moins de manière plus intéressante – ailleurs, il doutait que les fortunes australiennes soient celles qui avaient le plus besoin d'aide … Mais on se doutait bien que son point de vue sur la question n'avait rien à voir avec celui que possédait Hannah. « Oh … c'est notre chance, venez ! » Ayant à peine eu le temps de suivre des yeux le Président de la fondation alors qu'il s'apprêtait à prendre la parole, chose dont on se demandait pourquoi il avait fait languir tout le monde en ne s'exprimant pas une heure plus tôt pour leur faire gagner du temps à tous, le brun avait senti la jeune femme le tirer à nouveau par le bras et s'était laissé entraîner sans se faire prier à travers les cuisines et jusqu'à la sortie de secours la plus proche. « Vous courrez plutôt vite pour quelqu'un qui n'a pas l'habitude de ce genre de sortie. » Leur butin se composant donc d'une bouteille d'eau et ses petits fours sucrés et salés qu'ils avaient décidé d'embarquer sur leur passage, tous les deux s'étaient arrêtés quelques pas plus loin pour reprendre leur souffle, Hassan laissant échapper un bref éclat de rire « On voit que vous n'avez jamais tenté d'échapper à une nuée d'élèves plein de questions une vieille de partiel. » Dans ces cas-là mieux valait connaître les itinéraires bis des couloirs de l'université et courir vite, hm. « La « sortie de secours » a rarement aussi bien porté son nom. » avait-il par ailleurs fait remarquer d'un ton amusé pour en revenir à leur sortie fracassante. « Vous n'avez pas laissé d'affaires à l'intérieur ? » Si garder sa veste n'avait pour Hassan - comme bon la majorité des hommes de l'assemblée - pas été un souci, il y avait fort à parier que la jeune femme, elle, avaut du abandonner quelques affaires au vestiaire à son arrivée, des affaires que leur sortie anticipée ne lui avait pas permis de réclamer auprès du personnel de l'entrée.

L'air extérieur plus lourd -été oblige - que l'intérieur climatisé de l'hôtel avait poussé Hassan à desserrer un peu sa cravate d'une main, l'autre tenant toujours une partie de leur butin de nourriture. Se permettant cette fois-ci d'être celui qui attrapait Hannah par le bras, il s'était justifié en avançant « On ne peut pas porter une telle robe et prendre racine près des poubelles. Les berges du fleuves sont juste à côté. » Et auraient le mérite de leur offrir une bien meilleure vue pour déguster ce qu'ils avaient subtilisé, peu importe que ce soit de l'eau minérale et quelques petits fours qui tenaient dans une seule main. Ils devaient probablement avoir une drôle d'allure, ainsi habillés alors que la quasi-totalité des gens qui profitaient de cette soirée estivale avaient dégainé le short ou la petite robe d'été, ainsi que les chaussures ouvertes. « Vous ne m'avez pas répondu tout à l'heure. » Leurs pas les avaient finalement mené jusqu'à la promenade au bord de laquelle une ballustrade longeait les quais permettant d'accéder à la Bribsane River. S'y adossant, Hassan avait repris « Je vous demandais à propos de quoi Saul avait raison. » Proposant d'un geste le partage des petits fours qui lui encombraient la main, il avait utilisé l'autre pour fouiller la poche intérieur de sa veste et en ressortir briquet et paquet de cigarettes « Vous fumez ? » avait-il proposé à nouveau, lui tendant le paquet après en avoir coincé une première entre ses lèvres. Lui se contentait d'un statut de fumeur occasionnel, la plupart du temps partagé avec Qasim ou Amjad - lorsque mère et fille avaientle dos tourné tout du moins - mais rares étaient les moments où l'envie de s'en griller une lui prenait s'il était seul.

« Moi mon entrainement vient d’années à éviter les photographes… au cas où vous vous demandiez comment j’arrive à courir sur des talons. » dit simplement Hannah alors qu’ils semblaient échanger des anecdotes, le plateau de petits fours dans sa main et la bouteille d’eau bien calée sous le bras. Elle réussit tout de même à soulever légèrement le pan de sa robe pour lui montrer que non, ça n’était pas sa vraie taille et que oui, ses chaussures-là lui permettaient de prendre 14 cm de plus de haut. Quelque chose de très basique pour la Siede. Elle esquissa un sourire alors que la chaleur de l’été et la nuit aussi les accueillaient, il n’y avait que dans ces moments-là qu’Hannah tolérait le fait qu’elle avait choisi, volontairement, de venir résider en Australie, un pays qui n’avait pas de vrai hiver, et aussi les seuls moments où elle pouvait sortir sans risque de prendre des coups de soleil. Une hantise dans le monde d’Hannah.  « Ne vous en faites pas pour moi, je fais dans le léger quand je viens à ce genre de soirée… des années d’expérience là encore. » Il était vrai que partir de cette façon pour le moins rapide n’était guère pratique, mais Hannah le faisait depuis si souvent qu'elle savait que son père n'allait pas la chercher dans la foule. Nathan devinerait tout seul que sa petite princesse s'était ennuyée des conversations et des faux sourires et qu’elle avait préféré mettre les voiles, littéralement. Il finirait par l’appeler d’ici d’une ou deux heures et ferait envoyer le chauffeur à la destination qu’elle lui indiquerait, une soirée normale pour les deux membres du clan Siede. « Était-ce un compliment ? » demanda Hannah à Hassan, un franc sourire sur les lèvres alors qu’il suggérait qu’ils s’éloignent davantage. Hannah le suivit tout simplement, à un autre moment et probablement avec un autre homme, elle aurait surement suggéré l’endroit où ils devraient se rendre et ce qu’ils devaient faire. Pas ce soir et certainement pas maintenant, comme elle l’avait dit il y a quelques jours de cela à Saul, c’était une nouvelle Hannah qui faisait face au monde et aux personnes qui l’entouraient désormais. Arrivés près du fleuve, la brune se permit de manger un peu, son premier vrai repas de la soirée et de la journée quand elle y pensait vraiment. Elle eut un léger rire à la nouvelle interrogation d’Hassan, elle fut tentée de lui demander si l’avis des autres comptait à ce point-là. Elle n’avait fait qu’évoquer cet ami qu’ils avaient en commun pour que l’autre brun se sente un peu moins seul il y a quelques minutes de cela.  « En disant que vous étiez un type bien… un peu suspicieux je dirais maintenant, mais bien. » Hannah faisait exprès de le taquiner, il ne le savait pas, mais dans le fond, l’avis de Saul commençait à compter de plus en plus dans la vie de la brune. Elle était certain qu’avoir l’autre brun dans sa vie lui permettrait d’avoir un quotidien plus sain qu’auparavant et un peu moins destructeur. Qui savait vraiment ce qu’Hannah aurait dit à Hassan s'ils s’étaient rencontrés il y a des semaines de cela ? Là où être téméraire et complètement imprévisible lui plaisait plus qu’autre chose. En parlant de ça, le voila qui lui proposait une cigarette, tentant, c’était le genre d'occasion rêvée pour apprendre à connaitre quelqu’un, Hannah le savait, mais elle préférait se tenir à ses nouvelles bonnes résolutions. « Non, j’essaye d’arrêter, ma dernière cigarette remonte à Novembre dernier. » Elle avait dit cela avec une certaine fierté avant de reprendre : « Mais ne vous en faites pas pour moi… » Hors de question qu'il se retienne pour elle, être poli et gentleman dans ce genre de cas ne marchait pas vraiment selon Hannah. Au moment où la brune disait cela, une jeune femme passa devant eux, d’abord obnubilée par son téléphone portable, elle releva la tête et cligna plusieurs fois des yeux face à leurs tenues avant de s’éloigner, leur jetant un regard suspect de temps à autre. Ils avaient vraiment l'air déplacé ici, peut-être que c’était pour un canular, ou alors ils tournaient un film, qui le savait vraiment… « Et nous passons officiellement pour des bêtes de foire… Les premiers regards, c’est comme ça que vous savez que vous faites vraiment parti de ce monde et que vous n’êtes pas juste quelqu’un de perdu dans la foule…. C’est terrifiant dit comme ça pas vrai ? »

Si l’éventualité que sa sortie prématurée – et fracassante – ne remonte aux oreilles de Bonnie lui avait bien traversé l'esprit à un moment donné, Hassan s’en inquiétait assez peu et même si disait qu’à l’avenir elle chercherait une autre âme que la sienne pour ce qui était de déléguer ce genre de tâches ingrates. Ou du moins l’était-elle à ses yeux, car il ne doutait pas que profiter des petits fours et du champagne dans le lobby d’un hôtel du centre-ville ne devait pas apparaître comme une corvée aux yeux de tout le monde. « Moi mon entraînement vient d'années à éviter les photographes … au cas où vous vous demandiez comment j’arrive à courir sur des talons. » Soulevant un pan de sa robe jaune pour appuyer ses dires, elle arborait une paire de talons à la hauteur vertigineuse, plus hauts que ceux qu’Hassan avait eu l’habitude de voir aux pieds de Joanne au fil des années « Je trouve déjà fascinant que les femmes soient capables de marcher élégamment avec des talons aussi hauts, alors courir ? » Chapeau, son entraînement avait visiblement fait ses preuves. Quant à Hassan il ne niait pas cela dit être le premier à admettre qu’une paire de jambes féminines juchées sur ce genre de chaussures était un plaisir pour les yeux. « Ne vous en faites pas pour moi. » avait-elle finalement repris tandis qu’il s’inquiétait du fait qu’elle ait pu lisser des affaires à l’intérieur et qu’il lui faudrait bien à un moment ou un autre récupérer. « Je fais dans le léger quad je viens à ce genre de soirées … des années d’expérience là encore. » Il n’en doutait pas. La robe de la jeune femme en revanche – dont le prix excédait probablement un mois de son salaire pourtant confortable de professeur d’université – lui semblait, si ce n’est un peu encombrante, mériter mieux que les poubelles d’arrière-cour au milieu desquelles ils se tenaient actuellement. « Était-ce un compliment ? » Pas entièrement certain de la rhétorique de cette question, le brun avait rendu son sourire à la jeune femme et secoué la tête en répondant « C’en était effectivement un. » avant de prendre avec elle le chemin de la promenade qui longeait le fleuve, tout proche.

La proximité de l’eau rafraichissant l’air, et sa cravate désormais desserrée juste assez pour ne plus lui donner l’impression d’étouffer – à moins que ce ne soit seulement la conversation qui soit moins étouffante que celle qu’Hassan s’efforçait d’entretenir avant l’irruption d’Hannah – il n’avait pu malgré tout s’empêcher de revenir sur un point précédemment éludé par la jeune femme. Non pas que Saul lui faisait l’effet d’un mauvais bougre, mais Hassan avait appris à se méfier de ceux qui le rangeaient dans une case en son absence. « En disant que vous étiez un type bien … un peu suspicieux je dirais maintenant, mais bien. » La réflexion lui avait arraché un vague sourire, et fait secouer la tête « Un peu, sans doute. Les mauvaises habitudes ont la vie dure. » Mais il ne lui semblait pas que ce soit ni le lieu ni le moment pour tenter d’expliquer d’où lui venait une telle habitude, aussi s’était-il contenté de chasser la conversation du même geste de la main qui lui avait permis de récupérer son paquet de cigarette dans la poche intérieur de sa veste, et d’en proposer une à la brune « Non, j’essaye d’arrêter, ma dernière cigarette remonte à Novembre dernier. » Au ton qu’elle avait utilisé elle semblait en retirer une certaine fierté, et alors qu’il s’apprêtait à faire marche arrière elle avait assuré « Mais ne vous en faites pas pour moi … » avec un tel aplomb qu’il n’avait finalement pas osé la contredire. Mais en se promettant malgré tout de ne pas faire durer cette cigarette plus que de raison. « J’avais réussi à arrêter, mon ex-femme n’aimait pas ça. Reprendre n’était sans doute pas un choix très judicieux, mais … » Mais le mal était fait maintenant, et malgré tout Hassan s’estimait fumeur trop occasionnel pour qu’arrêter à nouveau s’avère être un parcours du combattant. Il rêvait simplement de cette cigarette en particulier depuis bien trop longtemps ce soir pour avoir le courage d’y renoncer.

Tandis qu’elle se délectait des petits fours lui savourait sa dose de nicotine et s’était appuyé contre la balustrade, ne remarquant qu’après quelques instants la jeune fille qui s’était interrompue dans son trajet pour les observer d’un air suspicieux, la robe d’Hannah monopolisant probablement à elle seule une grande partie de son étonnement tandis qu’elle reprenait son chemin non sans jeter un ou deux regards en arrière « Et nous passons officiellement pour des bêtes de foire … Les premiers regards, c’est comme ça que vous savez que vous faites vraiment partie de ce monde et que vous n’êtes pas juste quelqu’un perdu dans la foule … C’est terrifiant dit comme ça pas vrai ? » Terrifiant n’était peut-être pas le mot qu’il aurait employé, mais l’idée que cela puisse être le quotidien – en pire – de certains n’était en effet pas une idée très alléchante. « Vous ne le vendez pas comme quelque chose de plaisant, en tout cas. » lui avait-il fait remarquer sans reproche, et d’un ton plutôt purement informatif. « Mais je suppose donc que quand vous parliez d’années d’expérience, ce n’était pas une exagération … Héritage familial ? » Le mot héritage lui semblait adéquat parce qu’il n’était n’avait de valeur ni positive ni négative, il ne s’agissait que d’un concept purement pratique concernant les éventuels fardeaux que pouvaient transmettre des parents à leurs enfants. « Désolé, je ne suis pas très … mondanités. » Il avait un peu peur que le terme paraisse péjoratif à la jeune femme alors que pourtant il n’en était rien. Il ne savait simplement pas comment le formuler autrement, et toujours est-il qu’il était tout le contraire d’incollable en ce qui concernait pouvoir, richesse et célébrité éventuelle.

Hannah avait l’habitude qu’on la reconnaisse dans la rue, elle s’était habituée depuis l’adolescence et de la manière la plus brutale qui soit bien évidemment. Sa première campagne publicitaire remontait à seize ans, déjà à l’époque, son air plus que perplexe avait été immortalisé devant les caméras pour une marque à peine connue… Chanel ce n’était rien, quoi qu’il en soit, Hannah se souvenait encore du moment où on lui avait tendu sa première couverture de magazine, la brune se retrouvant à devoir écrire son propre nom sur son visage. Une expérience plus qu’unique, et cette première fois là réussissait à rendre moins étrange et inconfortable toutes les fois qui avait suivi. On allait forcément la reconnaitre, c’était un fait qu’elle avait ancré en elle depuis longtemps, tout comme les paparazzi, la brune finissait par ne plus les voir, ils s’effaçaient dans le brouillard et bien trop souvent, Hannah se retrouvait à enfiler ses lunettes de soleil, non pas à cause de la lumière environnante, mais bien pour vivre dans cette presque réalité en noir et blanc, là où les flashs n’avaient pas vraiment leur place, ni plus, ni moins. Un monde un peu détaché du reste quand on y pensait; que personne ne s’étonne des réflexions parfois déplacées d’Hannah ou son manque d'intérêt pour ses pairs et leurs problèmes. Hannah ne les comprenait pas, même avec des gens du même rang qu’elle et un portefeuille tout aussi conséquent, elle jouait tout de même la comédie. La brune poussa un profond soupir, son regard couleur noisette posé sur la fumée qui émanait d’Hassan à présent. Pas de masque pour lui, ça ne servait à rien, lui, il n'en possédait pas, il se serait sûrement contenté d’un sourire gêné pour masquer le fond de sa pensée ou quelque chose de beaucoup plus innocent. « Vous savez ce qu’on dit à propos du naturel hmm ?… Et ne vous en faites vraiment pas pour moi, ça ne me dérange pas tant que ça. » La brune le rassura encore une fois, histoire qu’il n’écrase pas sa cigarette pour si peu. Hannah aurait pu lui dire que dans ce cas là, elle avait commencé la cigarette trop tôt. Là encore, la raison était totalement futile et superficielle et Hannah blâmait Lawrence qui aurait dû l’arrêter alors qu’elle copiait sa mauvaise habitude, habitude qui était restée pendant des années si bien que sa cigarette quotidienne qui était censée noircir uniquement ses poumons était devenue sa seule et unique raison de sortir de son lit certains jours. Hannah le voyait clairement depuis quelques semaines et elle savait qu’elle ne pouvait pas revenir à sa vie d’avant, pour certains c’était juste arrêter de fumer mais pour elle c’était plus que ça, c’était fermer la porte à une version d’elle-même qu’elle ne reverrait plus jamais, et qu’elle ne souhaitait pas recroiser dans le fond. « Des années, je dirai même près de trente ans d’existence… inutile de préciser, il serait dommage de vous donner mon vrai âge. » Hannah eut un maigre sourire, elle faisait ça depuis trop longtemps, parader comme un vulgaire trophée estampillé au nom de famille de ce cher Nathan. Un jour elle arriverait à dire non, y compris à son géniteur. Hannah qui fixait l'eau depuis quelques secondes se tourna complètement vers Hassan quand elle l’entendit formuler des excuses.  « Pas la peine de vous excuser, les conversations vides de tout sens c’était à l’intérieur, promis je ne vous mordrai pas si vous avez l’audace d’avoir une opinion qui vous sont propres et que vous êtes prêt à argumenter… Promis. » Hannah croisa les doigts pour prouver sa sincérité avant d’hausser les épaules. « Je suppose que le mieux à faire dans ce genre de cas, de soirée ou autre est de ne pas se laisser atteindre. Croyez-moi j’ai déjà vu ce que tout ça peut faire quand ça monte à la tête… » Pour quoi ? Une fois que le champagne était fini et que les donations faites, ils redeviendraient tous des noms qui n’en avaient strictement rien à faire de leur prochain, tout le monde retournerait dans sa limousine, loin des caméras, ni plus, ni moins. « Mais heureusement pour vous vous n’avez pas l’air d’un idiot fini.  » conclut Hannah, son sourire s’agrandissant.

Tout était sans aucun doute question d’habitude et d’éducation, Hannah semblait manier ce genre de soirées à la perfection mais Hassan, lui, peinait à se sentir à l’aise dans une ambiance aussi aisément sujette aux batailles d’ego des uns et des autres. Et l’hypocrisie, chercher de généreux donateurs pour aider une cause dont un budget plus qu’abusif venait de servir à louer la salle de conférence d’un hôtel hors de prix et y servir du champagne sans aucune demi-mesure, c’était de l’hypocrisie pure et simple. Il n’était pas tant question d’aider ou de participer à une cause que de se donner bonne conscience. La jeune femme elle aussi – et c’était le plus étonnant – semblait en être lasse, bien qu'avouant sans détour posséder un don certain pour maintenir les apparences intactes. « Des années, je dirais même près de trente ans d’existence … inutile de préciser, il serait dommage de vous donner mon vrai âge. » Affichant un brin de sourire tout en s'accoudant à la balustrade, il avait tapoté son index sur le haut de sa cigarette pour en faire tomber le trop plein de cendres, avant d'assurer avec juste ce qu’il fallait de détachement « Je ne me serais pas permis de poser la question. » et de porter à nouveau le bâton de tabac à ses lèvres. « Bien que je fasse volontiers partie de ceux qui ne voient pas le fait de vieillir comme une mauvaise chose. » Lui en tout cas n’avait pas peur de vieillir, et même au contraire les événements passés tendaient à lui faire voir le fait d’avancer dans la pyramide de l’âge d’une toute autre manière : on lui avait assuré qu’il ne verrait sans doute jamais 2015, après tout. S’excusant finalement de trouver bien peu de choses à dire ou à commenter sur ce qui ne devait être qu’une soirée comme les autres pour la jeune femme, Hassan avouait sans honte ne pas être coutumier de ce genre d’événements. « Pas la peine de vous excuser, les conversations vides de tout sens c’était à l’intérieur, promis je ne vous mordrai pas si vous avez l’audace d’avoir des opinions qui vous sont propres et que vous êtes prêt à argumenter … Promis. » Croisant les doigts tel un scout récitant sagement sa leçon, et tirant un nouveau sourire au brun, elle avait ajouté « Je suppose que le mieux à faire dans ce genre de cas, de soirée ou autre est de ne pas se laisser atteindre. Croyez-moi j’ai déjà vu tout ce que ça peut faire quand ça monte à la tête … Mais heureusement pour vous vous n’avez pas l'air d’un idiot fini. » Non sans trouver à l’actrice une façon bien particulière de formuler ce qui semblait être des compliments, Hassan avait néanmoins laissé échapper un rire franc, tirant un instant sur sa cigarette avant d’apporter une réponse. « Merci, je suppose. » Reprenant un brin de sérieux il avait expliqué « J’avais simplement espéré un peu plus de … comment dire ça, un peu plus d’intérêt ? L’homme dont vous m’avez tiré des griffes ne semblait même plus se souvenir du motif de la soirée. » Une honte aux yeux d’Hassan, une affligeante banalité aux yeux d’Hannah, probablement. Une excuse pour boire à l’œil – parce qu’il n’y avait pas plus pingre que quelqu’un qui avait de l’argent par-dessus la tête – et pour faire parader sa femme dans des bijoux hors-de-prix. « Je dois vous paraître naïf. » C’était souvent la réflexion qui lui était faite, comme s’il s’agissait d’un reproche, chaque fois qu’Hassan se heurtait au manque de désintéressement dont faisaient parfois preuve ses pairs. Recrachant une énième volute de fumée au-dessus de la balustrade qui les séparait du fleuve, le brun avait vu son regard attiré en même temps que celui d’Hannah par la voiture s’arrêtant à leur hauteur le long du trottoir. La vitre arrière se baissant et laissant apparaître un visage un brin sévère – mais dont le lien de parenté avec l’actrice ne faisait aucun doute – la conversation semblait vouée à en rester là, tandis que la jeune femme se tournait à nouveau vers Hassan pour en prendre congé. « Votre carrosse semble sur le point de redevenir citrouille. » Quoi que dans le cas présent on pourrait plutôt parler de citrouille qui redevenait carrosse. « Quinze heures, demain. Je n’ai pas oublié. » La conversation n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Et saluant une dernière fois la jeune femme après avoir adressé un signe de tête poli à l’homme déjà installé à l’arrière de la voiture et dont la patience semblait avoir ses limites, Hassan était retourné s’appuyer au-dessus du fleuve pour terminer sa cigarette, avant de se mettre en quête d’un taxi. Le chemin jusqu’à Logan City était encore long.