Please don't ask me who or who you think I am. I could live without that, I'm just a modest human. Meet me at the corner and, tell me what to do. 'Cause I messed up on you. Had I known all that I do now, I'm guessing we're through now. Please don't ask me where, or where you think I've been. I've been a lot of places, but this could be my win.
« Tu me remontres celle-là? » il se presse un peu plus contre moi, curieux, alors que je fige complètement. C’est la première fois qu’il est là, si près, si intéressé aussi. Avant, c’était que des regards, des sourires, des blagues à la dérobée, rien de bien incriminant. Matt est disparu depuis le début de l’après-midi, en rencart avec une Anna, une Eva ou une Jenna, je sais plus. Jill est entrée en trombe pour partir tout aussi bruyamment. Et il ne reste que moi, que le canapé du living room, imprégné de nos vies et de mes craintes, mes questions, mon inconfort. Les piles de photographies qui traînent sur la table basse, les croquis qui les chevauchent et Ezra, surtout Ezra. Il est arrivé trop tôt, il s’est incrusté le sourire aux lèvres, il s’est affalé à mes côtés sur le canapé avec l’idée de fouiner dans ce que je pouvais bien faire, seule, un vendredi soir, et il est resté. D’abord quelques minutes, maintenant plus d’une heure. « C’est juste la lumière qui fait tout… » que je m’excuse, presque, lui passant le cliché qu’il veut détailler de ses iris. Ses doigts frôlent les miens, il rigole, il exagère, il empiète. Sa voix qui résonne, ses questions auxquelles je réponds du bout d’un sourire. Je rougis, j’ai le ventre qui bouille, les joues qui s’enflamment et je me trouve une excuse, n’importe quoi, pour sortir prendre l’air, rien qu’un peu. « Le jardinier – il a besoin d’aide pour sortir la pelle je crois. »
Il éclate alors que je file, honteuse. Chaque pas est d’une douleur, sentant son regard qui me suit jusqu’à l’entrée, son ton incrédule qui en rajoute « Et j’t’ai même pas dragué en plus, t’imagines! ».
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Le bout de papier entre les doigts, je sens la mauvaise idée à des miles à l’heure. Deb, dans un élan de bonté, de grandeur d’âme, et surtout d’amusement certain, s’est mis en tête de me faire oublier Bailey, Ezra, Noah et tout ce qui s’y relie de près ou de loin. Sur les faits, ses intentions étaient honorables, je n’en doute pas une seule minute. L’erreur, c’est lorsque j’ai accepté, lorsqu’après avoir retenu mon souffle le temps qu’elle insiste encore et encore, j’ai flanché. J’ignorais tout de son frère, j’ignorais son prénom complet, j’ignorais son métier, j’ignorais sa série télé préférée, le personnage qu’il jouait toujours à Mario Kart. J’ignorais surtout s’il n’était pas un fou furieux, le genre de mec qui t’entraîne dans une ruelle et qui… je m’égare. Deb voulait mon bien, et à un moment, je crois avoir voulu la même chose qu’elle. Oublier les hommes dans les bras d’un autre, relâcher la pression dans des draps inconnus. Quel plan horrible, quelle idée loin, loin, loin de tout ce que j’avais bien pu faire, dire, vivre et même concevoir depuis plus longtemps encore que je ne pouvais me souvenir. Mais voilà, force est d’admettre que j’avais abdiqué. Que j’avais cru être une autre, que la robe que j’avais enfilée m’avait donné assez d’assurance, de confiance, de force pour appeler un taxi et m’y blottir durant les quelques minutes qui me séparaient de ce fameux Ben. Que j’avais cru, vraiment et humblement, pouvoir tout oublier le temps d’une nuit, d’un inconnu, d’une idée folle, d’une folie passagère. Le bruit de la pluie qui s’écrase sur le toit de la voiture, le moteur qui vrombit et les doigts, toujours, crispés sur les quelques chiffres, le numéro, l’adresse, l’heure, tous aux bons soins de la sœur, la charitable.
Le conducteur croise mon regard dans le rétroviseur. « Va falloir y aller ma jolie, le compteur tourne. » Il sourit, s’attendant probablement à me sortir de mes pensées pour mon plus grand plaisir. Je frissonne déjà, j’ai honte, je regrette et je… et je sors. Décidée. J’y suis, je suis arrivée, je vais bien voir et j’aviserai ensuite. J’esquisse un pas, puis un autre, je passe sous la rembarde, me protège de l’averse et du vent pour finir par soupirer profondément, défaite. Le portable dans une main, je fais demi-tour, prête à demander un nouveau chauffeur le temps de retourner me blottir dans un grand lit vide, froid, heureusement absent d’un Bailey qui est disparu sous les tonnes de papiers à régler avant son procès. Lorsque. Lorsque je tombe sur lui, sur le mec en question, le frère. Face à face, collision. Aussi clichée soit-elle, aussi peu nécessaire, surtout. Je prends pour acquis qu’il n’a pas passé les 15 dernières minutes à me stalker lui aussi sur Facebook, je prends pour acquis que sa sœur ne lui a que dit la base « Petite brune, l’air perdu, voix hésitante. » avant de m’excuser brièvement et de m’esquiver à droite. Mais il me sourit. Eh merde, il m’a reconnue.
« Petite brune, l’air perdu, voix hésitante. » La description de Debra était à la fois peu flatteuse et amusante, c’était une drôle de manière de vendre son amie. Je n’ai pas vraiment cherché à savoir ce qui la poussait à vouloir jouer les entremetteuses. Tout d’abord parce que je n’ai jamais eu besoin de son aide pour garder mon lit chaud. Secondement parce qu’elle n’est pas Mère Theresa et fait rarement une bonne action juste pour le plaisir. Enfin, parce que ce court résumé ne correspond pas à mon type de femme –s’il faut en avoir un- et qu’elle m’aurait plus facilement convaincu à la réduisant à une paire de jambes dont la fonction d’ouverture fonctionne toujours parfaitement –parce qu’en chasse, c’est là le critère le plus important. « Je ne fais pas dans les coincées, tu sais. » je rétorque, peu emballé. Pourquoi les mots petite et brune sonnent comme des synonymes d’ennuyeuse et cul serré ? Parce que, d’expérience, c’est souvent le cas. Je me revois répéter à Dean pendant nos soirées étudiantes que tout ce qui se définit par petite brune n’est pas mon genre. C’est plutôt le sien d’ailleurs, Heidi en est la preuve. Néanmoins, tout ceci n’est qu’une grande excuse pour cacher aux yeux de ma sœur mon intense envie de procrastiner et me nourrir de chips jusqu’à ce que mort s’en suive –et ce n’est pas le genre de programme qui déplaît à un gosse de six ans. Elle n’est pas dupe. Debra me connaît par cœur après tout. Loan n’est toujours pas réapparue, l’inquiétude ne fait que monter. L’étincelle pour Amelia est morte dans l’œuf quand j’ai compris qu’elle s’accroche à Ezra comme une sangsue. J’ai bien assez à penser entre notre emménagement dans cet appartement du centre-ville, qui change radicalement de notre maison de lointaine banlieue, et mon changement de travail à venir. Que d’effrayantes responsabilités d’adulte qui me poussent à me réfugier dans un monde de pixels. Il lui suffit de me montrer la photo de la demoiselle en question pour que je sois enclin à réviser ma position. Et sans grand débat supplémentaire, j’accepte ce rendez-vous arrangé. Je fais même un effort vestimentaire. Le Ben avocat est constamment tiré à quatre épingles, le costume est un véritable uniforme à mes yeux, voire un déguisement que j’enfile tous les jours pour jouer au type sérieux. Le Ben chez lui aime traîner en jogging et hoodie sur lequel est inscrit Star Wars en grand, un stormtrooper dans le dos. Et si je ne tenais pas à conserver un minimum de dignité, j’achèterais un de ces casques qui permettent d’avoir une cannette de soda accrochée à la tête reliée à la bouche par une longue paille et permettant de garder les deux mains sur la manette de la console de jeux. L’idée, c’est de trouver un juste milieu pour sortir. Alors on mise sur un très grand classique ; le jean-chemise-blanche. Puisque Debra est l’instigatrice de tout ceci, elle ne verra bien sûr aucun inconvénient à m’épargner des frais de baby-sitter et rester à l’appartement pour garder Adam. Je lui colle un baiser sur le front, et je décolle, en retard. Parce que je suis le genre de type toujours en retard. Celui dont l’arrivée à l’heure est un principe qui va à l’encontre de sa génétique. Celui qui aime se faire attendre, et être accueilli par un « c’est pas trop tôt » ou « on ne t’attendais plus ». C’est pour cette raison que, étant arrivé sur le parking du pub bien trop tôt à mon goût, je passe un bon quart d’heure sur mon téléphone à faire péter des bonbons. Quand enfin je sors de la voiture et m’avance vers le point de rendez-vous, je tombe sur cette petite brune, l’air perdu. Et son visage, qui manque de s’écraser contre mon torse suite à son soudain volte-face, me revient immédiatement. « Ginny, c’est ça ? » je demande avant qu’elle ne puisse s’esquiver. Elle ne se serait pas arrêtée si cela n’était pas son nom. Je lui adresse un sourire. « Je suis Benjamin. Ben. » Elle doit s’en douter, mais cela éviter toute confusion possible avec je-ne-sais quel type qu’elle aurait connu en primaire et sur lequel elle serait tombée par hasard devant ce bar, forcée de prétendre qu’elle s’en souvient ou qu’elle l’appréciait. Mais peut-être suis-je une rencontre plus pénible qu’un ex camarade de classe, puisqu’en suivant des yeux la trajectoire que prenaient ses pas, je devine que le taxi sur le parking est le sien. « Quelque chose me dit que si vous comptez rejoindre votre taxi au bout d’un seul regard ça ne signifie pas que je peux monter aussi et espérer conclure direct. » J’espère la faire rire un peu, elle qui a l’air si perplexe, ou simplement sourire, mais mon air mi-joueur mi-sérieux n’aide en rien à saisir si ma phrase est une manière de faire du rentre dedans ou de briser la glace. « Je plaisante. » je précise. La légendaire subtilité de mon humour ne touche pas toujours tous les cœurs. La voiture attend encore. Je suppose que nous avons affaire à un conducteur soucieux, qui se demande sûrement si la jeune femme ne s’est pas fait accoster par un pervers dont il est susceptible de devoir la sauver. En stand by, il attend le signal qui lui fera comprendre qu’il peut partir se mettre en quête d’un autre client, et arrêter de perdre un précieux temps rimant avec argent. Un silence demeure, je sens la demoiselle qui hésite. Il est aisé de deviner que ce genre de rendez-vous ne ponctue pas son quotidien. Ce que je sais aussi, c’est qu’elle est mariée, et qu’elle a un petit garçon. Détails qui n’ont rien de rédhibitoire dans mon cas. Je ne perds pas mon temps en culpabilité pour les choix des autres. Quand la nervosité ambiante commence à devenir bizarre, je brise le silence pour un dernier coup d'essai : « Je ne sais pas si vous aimez la bière, mais vous auriez tort de partir sans goûter celles du McTavish. Juste une. »
Please don't ask me who or who you think I am. I could live without that, I'm just a modest human. Meet me at the corner and, tell me what to do. 'Cause I messed up on you. Had I known all that I do now, I'm guessing we're through now. Please don't ask me where, or where you think I've been. I've been a lot of places, but this could be my win.
Eh bam, ma fuite qui est avortée par son sourire de conquérant, du mec au timing parfait. Je prends le temps de lever la tête, honteuse, vraie gamine prise sur l’entrefaite alors que ma jeunesse passée sur les bancs d’école et en salle de révision ne me rappelle aucun moment où j'ai été la rebelle, celle qui fait des bêtises, qui se fait réprimander. Drôle de sensation, en bref. Et c’est sans compter les secondes que je mets pour finir par atteindre son regard, malicieux, amusé. J’ignore si ce sont les proportions qui rigolent dans leur coin, si l’impression d’être fautive rend la chose plus imposante, mais il me semble immense d’un coup. Grand, omniprésent, là, et immobile. Et toujours ce sourire qui s’élargit devant ma mine déconfite. J’en profite pour redresser les épaules, le dos, tenter de gagner un centimètre ou deux, espérant que le yoga fasse son travail sur ma colonne vertébrale et me donne le moindrement une posture plus importante. C’est assez de temps pour qu’il se présente, pour qu’il lance les hostilités. Oh, alors le prénom complet, c’est Benjamin. J’enregistre les quelques lettres supplémentaires, étant restée sur le surnom lancé à la va vite par sa sœur qui pensait déjà à autre chose, l’impression de le connaître un peu mieux. Pas un Benji, ou un Benoit. Loin d’un Bernard. Un Benjamin donc. Et une Ginny avec la tête qui part dans tous les sens de sentir ses iris qui suivent les quelques pas qui me séparaient de mon évasion si bien planifiée, sur papier. Double gêne, les joues qui tirent au vermeille, les pensées qui se multiplient, la cervelle qui a le tournis. Si seulement il n’avait pas l’air aussi sympa, aussi détaché, aussi relax. J’aurais pu prendre peur et simplement fuir sans me retourner. Pourquoi fallait-il que tout semble si facile que ça, si simple pour lui? Mine de rien, ça faisait du bien. Le malaise qui reste présent, l’envie de lui mentir que j’écarte sans même m’y attarder. Je le connais à peine, mais il arrive déjà à lire mes propres gestes sans effort. En même temps, ce n’est pas comme si j’avais joué le jeu dès le départ, comme si j’avais brouillé les cartes. J’allais partir, il m’a retenue. On passe à autre chose. Et puis le truc, c’est qu’il a l’air d’être un mec bien. À l’instar de Bailey, ou même d’Ezra. Il vaut mieux qu’une peureuse incapable d’aligner un mot puis un autre, il vaut mieux que mes mensonges, mes doutes, mes regards fuyants, mes pas incertains. Mais ça, c’était avant que le mec bien lâche sa pique, qu’il retienne mon attention fuyant quelques secondes plus tôt dans la direction du taxi toujours vrombissant. J’étouffe un rire, même pas étonnée, simplement amusée. Il faut dire que je côtoie la sœur et son humour particulier depuis plusieurs semaines déjà – et surtout qu’à une autre époque, l’humour faisait beaucoup plus partie de mon quotidien. Les bras qui se croisent sur ma poitrine, je soutiens son regard, pour prononcer mes premiers mots en sa présence, première impression. « En même temps, mon truc à moi comporte peut-être des menottes et un fouet. Et là, à savoir si après un regard vous n’aurez pas envie de fuir vous aussi. » Damn. Les mots qui sortent trop vite, la blague qui dans ma tête semblait si marrante risque de bien vite s’écraser sur le bitume. Je prends peur, je me complais dans ma capacité toujours aussi minime de rendre la partie avec le moins d’awkwardness possible et je reprends ses mots comme échappatoire. « Je plaisante. » En espérant qu’il ne soit pas comme le couple qui passe à nos côtés quelques secondes plus tard, me renvoyant un regard mélangeant dégoût et pitié. Oh, well.
La pluie continue de claquer, et je me sers du silence pesant comme excuse pour me pousser un peu dans l’entrée, l’invitant à faire de même pour sauver ce qu’il lui reste de vêtements. Et voilà qu’on retourne à la case départ, les prunelles qui se croisent, les questions qui restent en suspens. Ça me rappelle pourquoi j’avais refusé l’idée à la base. Puis à la seconde mention. M’enfin, je m’égare. J'en admet pourtant qu’il n’a pas été refroidit par ma mention si bien assumée de bondage et qu’il prépare même déjà le round 2. L’invitation qui flotte, la bière qui me semble être une bonne idée tout court, avec ou sans partenaire. Il est loin le temps où j’ai pris un verre, où je me suis posée sans rien d’autre pour apprécier la détente douce qu’un peu d’alcool peut faire sur mon corps plus que fatigué. Les doigts qui triturent l’endroit où mon alliance devrait siéger, alliance qui trône plutôt dans mon porte-monnaie comme si ça changeait quoi que ce soit, en pratique, comme en théorie. Les lèvres qui se pincent, la tête qui finit par acquiescer. J’ai laissé un moment raisonnable entre sa demande et ma réponse, assez raisonnable pour réaliser qu’une possible fuite signifierait aussi de rester dans mes vieilles attaches, mes vieux problèmes. Pas ce soir, pas maintenant. La voix de Debra qui résonne dans ma tête. « Lâche toi un peu, t’es chiante là. » pas très poétique, mais droite au but. Comme je l’aimais, pour ça. J’inspire, je souris, je lui ouvre la porte et je précède, comme si j’avais toujours fait ça. La blague. Deux places au bar se libèrent alors que je croise le regard du barman et je décide d’aller nous y installer. Le plan me semble efficace, pas trop intime, pas trop reculé. Et si l’envie me prend de sortir en trombe par les toilettes, il sera bien placé pour se retrouver entouré de potentielles candidates. Un grand cœur, un vrai…
Installée, on s’approche bien vite de nous, le carnet en main. « Pour moi, ce sera une Porter. » que je réponds naturellement, le laissant passer sa commande. J’en profite pour retirer ma veste, la vague de chaleur de l’endroit mélangée au stress si doux à mes sens se chargeant de jouer avec ma température corporelle. Au passage, je sens mon portable qui vibre, j’y porte rapidement attention. « Texte-moi en partant que je libère l’appart, tigresse. » dernier éloge de Deb, j’étouffe un rire, dégoûtée entre le surnom et le plan merdique dans lequel je m’enfonce à chaque nouvelle minute. Je sens le regard de Benjamin lorgner sur ce qui m’a fait rire plus tôt – j’en profite pour hausser les épaules, défaite. « C’est comme le lycée, et les 7 minutes au paradis. Mais plus longtemps que 7 minutes, et sans placard. » je roule des yeux devant mes mots qui creusent eux-mêmes mon fossé. « Ouais, dans le fond c’est pas du tout similaire, quoi. » Honnêtement, s’il reste encore quelques minutes à supporter ça, c’est qu’il est un Saint. La discussion n’étant pas ma plus grande force, surtout dans une situation où le flirt devrait prendre toute la place, je reporte bien vite mon attention sur le menu qui trône près de nous. Et d’un nachos, que je commande finalement. Là où certains réprimanderaient mon choix – je préfère relativiser. Dans l’état où je me trouve, j’arriverais aussi bien à me salir avec une poignée d’amandes et un verre d’eau qu’avec un plat recouvert de fromage et de salsa. Force est de l’admettre, déjà. Inspiration prise, je tourne maintenant mon visage dans sa direction, prête pour relancer le tout. Ou plutôt, essayer d’alléger la soirée, au moins pour lui. « Debra m’a dit que vous veniez d’Irlande, c’est bien ça? » Arf. C’est un essai quoi, on y va avec ce qu’on peut. « Le small talk et moi… tu m’aurais dit que vous veniez d’Hyrule déjà j’aurais plus de conversation, mais là, je crois qu’on va devoir attendre l’arrivée des chips pour que je sois plus loquace. Ou simplement droguer mon verre. »
Le facepalm que je m’afflige en pensée résonne jusqu’à mes omoplates. Deux en deux, la jolie.
La jeune femme est déjà un modèle atypique pour moi, en comparaison avec le reste du tableau de chasse ; elle l’est un peu plus lorsque je la devine hésitante entre l’échappatoire offerte par le taxi qui se traine, et l’idée de bel et bien passer cette soirée avec un parfait inconnu. Je comprends les demoiselles craintives, bien qu’elles ne soient pas celles que je fréquente le plus. Je comprends que s’engager à boire un verre avec un gaillard haut d’une tête de plus que soi puisse être effrayant et créer de la méfiance, je ne vais pas m’en offusquer. Je ne retiendrai pas non plus Ginny si son choix se porte sur la voiture orange qui n’a pas encore tourné dans le boulevard, même si regarder mon date prendre ses jambes à son cou n’est pas le genre de scénario auquel j’assiste en général. La moue perdue de la jeune femme et cette possibilité qu’elle me file entre les doigts se transforme subtilement en un défi à relever ; la rassurer, la faire rester, juste un verre. Ne pas être l’homme aux dents pointues tapis dans le noir et qui attends de pouvoir en croquer un bout. Ne sommes-nous pas là pour passer un agréable moment ? A vrai dire, je devine assez vite que Ginny n’est pas du genre à faire défiler les profils sur Tinder, amener chaque conquête dans le même bar et leur raconter à tous le même baratin avant de rapidement passer aux choses sérieux –en somme, rien à voir avec moi. Elle a la nervosité et la fragilité dans le regard d’une femme trop jeune pour avoir tiré un trait sur les flirts, qui ne se les autorise plus vraiment depuis longtemps. Quelqu’un qui en a pourtant bien besoin. Mon trait d’humour semble faire mouche –preuve d’un atome crochu ? Ce n’est pas tous les jours que mes blagues vaseuses font rire du premier coup. Elles demandent souvent un temps d’adaptation et la mise en veille de quelques neurones trop actifs, une mise à niveau en somme, un nivellement vers le bas. J’arque un sourcil étonné lorsque la jeune femme rétorque dans le même esprit. Ce n’est pas tant l’idée d’avoir éventuellement affaire à une sadomasochiste qui me laisse muet un instant que cette envie palpable de ne pas la voir filer juste pour échanger plus que deux phrases alors que sa compagnie m’est déjà plaisante, néanmoins la petite brune se sent forcée de justifier son propre humour. « Dommage. » dis-je en faisant la moue, haussant les épaules de résignation. Pas de fouet pour Ben, tant pis. Pour échapper à la pluie, nous nous agglutinons un peu plus sous le porche de l’établissement. Mon invitation reste sans réponse pendant de longues secondes, mais mon fin sourire ne faiblit pas. Je finis par croire qu’elle refusera poliment, n’ayant pas le courage de sortir de sa zone de confort ce soir. Après tout, qu’importe si je suis le frère de Deb, le frère d’une amie, je demeure un inconnu, la possibilité d’une perte de temps, d’une soirée ratée. Mon instinct me souffle le contraire. Qu’importe si le silence devient bizarre et gênant, j’attends, jusqu’à ce qu’un inespéré signe de tête marque enfin une approbation. Je lui emboîte le pas dans le pub et la laisse choisir la place à laquelle elle se sent à l’aise ; ce sera au comptoir, là où nous ne serons pas forcés de nous regarder en chien de faïence faute de face à face et où nos verres ne seront jamais vides. De la part de la crevette, je m’attends à une commande dans le registre du diabolo menthe ce qui me laissera me pavaner avec ma Guiness –et alors je pourrai embrayer sur ma fierté d’être irlandais, ce qui est en général un bon point de départ pour une conversation. Ce n’est pas ce qu’il se passe : Ginny prend une bière brune, et je me retrouve penaud à balbutier ; « La même chose. » Je commence à croire, doucement, qu’aucun des aspects de cette soirée ne sera comme je pourrais le prévoir. Comme quoi, il existe encore des terrains inconnus. « Je crois que dans le langage des grands, on appelle ça un rencard. » je réponds à son curieux démontage de sa propre comparaison. « Je sais, ça sonne très sérieux, mais ça ne l'est pas vraiment. Et si jamais, je crois bien qu'ils ont un placard où aller nous réfugier pendant sept minutes. » Ce qui sonne ne manière relativement inappropriée non ? « En tout cas je retiens que des sept minutes au paradis vous ne retirez de l'équation que le temps trop court et le placard, ce qui laisse le paradis généré par ma compagnie, et même si ce n'était pas intentionnel je vais m'en auto-congratuler. » Sur ce, les bières étant face à nous, je trinque en mon propre honneur avec ce narcissisme démesuré qui est bien plus une comédie permanente qu'un réel état d'esprit, faisant de moi un clown rarement au chômage. Des nachos accompagneront cette bière pour un rendez-vous dont le niveau de glamour ne cesse décidément pas de crever le plafond. Mais, eh, vous parlez à un grand garçon qui a pour passer de se nourrir de chips en jouant à la Playstation, les pieds sur la table, ce n'est pas moi qui vais me plaindre d'avoir ma ration quotidienne de gras. En revanche je serais d'habitude du genre à glisser une de ces vilaines vannes, comme quoi les jolies filles ne devraient pas ingurgiter ce genre d'odes à la cellulite, histoire de rappeler que si Lena Dunham n'est pas le modèle servant à façonner les Barbies ce n'est pas pour rien. Dans le cas présent, cela me semble particulièrement hors de propos. Ginny ne me semble pas être le genre de jeune femme qui en aurait quoi que ce soit à faire et cela ne la pousserait sûrement pas à me laisser sa part. Avant que le silence devienne trop bizarre, une tentative de small talk est engagée, et la mission est aussitôt avortée. « J'attendais justement l'occasion idéale pour tester ce petit flacon de GHB que je me triballe depuis quelques temps. J'ai toujours voulu essayer avec une nana à moitié consciente, ça me chauffe carrément. » Non, pas du tout, merci. « Je te laisse déterminer s'il s'agit encore d'une blague de mauvais goût ou non. » j'ajoute en laissant planer un pseudo-suspens souligné par un regard sur-mystérieux lancé par dessus ma bière pendant que je prends une gorgée. Ma crédibilité est détruite par une belle moustache de mousse qui trône au-dessus de ma lèvre alors que je reprends avec grand sérieux ; « Hyrule , hm ? En voilà une drôle de référence à entendre de la part d'une fille. D'une jolie fille je veux dire. Enfin, tu vois l'idée. » Le concept misogyne consistant à dire que les joueuses de Zelda sont forcément des nerd laides boutonneuses qui font matcher la couleur de la monture de leurs lunettes avec celles de leurs élastiques à cheveux et leurs chaussettes. Tout moi. Je devine un sourire amusé sur le visage de Ginny, mais je ne crois pas que mon sens de l'humour aigu en soit la cause ; son regard fixe ma bouche et alors seulement je réalise que je me tourne en ridicule depuis une poignée de secondes. Rapidement, je rase la moustache blanche d'un coup de serviette, et malgré ce petit coup de pied dans mon ego qui rougit mes pommettes, je poursuis comme si de rien n'était ; « Quoi qu'il en soit, si je devais venir d'ailleurs, ce serait d'Ivalice. Je ferais un pirate du ciel d'enfer. » Dire que Balthier est un modèle pour moi serait un euphémisme. C'est une idole, une âme sœur, le genre de personne qui succite tant d'admiration que l'on peut se retrouver dans certaines situations et se demander : what would Balthier do ? « J'ai même un tatouage. » Parce qu'un pirate se doit d'avoir au moins un tatouage, sorte de laisser passer dans le club, s'il en est un. Je replis ma jambe droite, pose le talon sur le bord de mon tabouret et relève un peu le bas de mon pantalon ; ma cheville est joliment ornée de la silhouette d'un chat assis dont la queue forme une clé de sol. A savoir, donc, le tatouage le plus ridicule qui puisse exister, une honte. Un motif que même les adolescentes aux cheveux décolorés à pointes roses qui pensent que la peau des vampires est faire de poussière d'étoiles et trouvent des réponses à leurs questionnements métaphysiques comme ''est-ce que mon beau-père est un trouduc parce qu'il me demande de faire la vaisselle ?'' n'oseraient pas se marquer sur la peau à vie. J'ai l'avantage d'avoir une bonne explication à ce sujet, celle que tous les mecs qui refusent de grandir sortent pour justifier leurs âneries ; j'ai perdu un pari. Merci Dean. « Maintenant que tu sais un truc super embarrassant à propos de moi et de mon anatomie (clin d'oeil racoleur pour la forme), je dois en savoir un à mon tour. » Cela me semble être un bon moyen de briser la glace de manière inhabituelle avec cette jeune femme complètement hors de mes standards, et ce, sans avoir à droguer son verre.
Please don't ask me who or who you think I am. I could live without that, I'm just a modest human. Meet me at the corner and, tell me what to do. 'Cause I messed up on you. Had I known all that I do now, I'm guessing we're through now. Please don't ask me where, or where you think I've been. I've been a lot of places, but this could be my win.
Un rencart? Je sens ma respiration qui bloque, contrite, entre pour ne pas ressortir. Par chance, j’ai encore le regard – apeuré – d’ancré sur mon portable. Portable que je ferme comme par habitude, bien rangé, silencieux pour la suite. On garde l’attention à ici, à maintenant, et à rien d’autre. Ce mot, ce qu’il dégage, ce qu’il implique. Vous aviez sous les yeux une fille qui n’avait eu que deux histoires dans sa vie, l’une s’étant terminée tellement douloureusement qu’elle me réveillait encore la nuit entre deux mauvais rêves, l’autre, de force, orchestrée par des parents avides de couvrir les apparences. Alors un rencart, ou l’idée de, me semblait bien floue, bien éloignée, bien indéfinie. Trop sérieux, les mains moites en aparté, sa remarque sur les grandes personnes qui dessine un sourire rassurant sur mon visage. L’éternelle gamine prise dans un corps d’adulte résonne à travers ses propos, comme si c’était exactement ça, comme si j’avais à penser ainsi, à me comporter comme tel, à essayer de savoir comment du moins. Est-ce que je devais rire à tous ses mots? Toucher mes cheveux, battre des cils, maximiser les contacts? La simple idée de jouer au jeu de la séduction me coupait toute envie de poursuivre, mais Ben rattrapa le tir en m’offrant une belle occasion, sur un plateau d’argent, de jouer du sarcasme encore un peu. À croire qu’il prenait plus de plaisir que moi à lancer les joutes verbales, à voir ce que j’avais à ajouter aux bêtises qu’il pouvait lui-même décocher. J’avais de l’expérience là-dedans, au moins, et si la soirée se déroulait autour de remarques bien cinglantes à l’humour noir assumé, ce serait déjà une petite victoire pour mon propre confort. « Pas si vite, cowboy. » je pique du revers des doigts une chips recouverte de salsa et d'autres délices. « C’est le nachos qui a gagné ce round, parce qu’honnêtement, quel paradis ne comporte pas son lot de fast food extra gras?! » je roule des yeux devant l’évidence. « Par contre, si tu te sens d’attaque pour compétitionner avec du fromage bien dégoulinant c’est là ta chance de briller. » autant que mes doigts, bien humectés, que j’essuie doucement sur la serviette de papier qui sied à ma droite. Tant qu’il parlait, tant qu’il piquait, je pouvais reprendre mon souffle, chasser ma culpabilité envers un mari probablement enfoui sous l’adultère répétitif, sous des promesses si anciennes faites à un amour de jeunesse bafoué. J’aurais bien pu envoyer tout balader il y avait longtemps, mais les principes, les valeurs, les idées préconçues m’avaient gardé de penser à autre chose qu’à mon gamin, qu’à tout ce qu’il signifiait pour moi durant les 6 dernières années, seule vraie raison de vivre. Alors oui, parle, rigole, dis n’importe quoi pour me garder loin du reste – et tout se passerait bien. Mieux. L’éclairage tamisé me suffit contre celui complètement absent d’un placard reclus. Les regards en coin du barman pour s’assurer que le niveau de nos verres est acceptable me vont, comparativement à ceux d’adolescents en pleine puberté qui se réjouissent déjà de voir l'air triomphant du capitaine de l’équipe de foot qui sortira avec les lèvres rosies par le gloss de la cheerleader en mal d’amour 7 minutes et 15 secondes plus tard. Alors je reste là, je prends même une gorgée de bière supplémentaire, je constate mes options, les accepte du moins. Et penche mon attention dans sa direction, un peu plus présente, un poil plus détendue aussi. Je crois. C’est la mention du GHB qui fait tout, pour être honnête. D’abord, m’arracher un éclat de rire supplémentaire – principalement parce que le couple croisé au début de la soirée est de retour, derrière Benjamin, et qu’encore une fois leur timing fait limite dans la perfection. Entre mon fouet et sa drogue, ils ne savent plus trop où se mettre, et c’est probablement ce qui rend la situation aussi belle. Ça, et la nouvelle pilosité facile de mon interlocuteur, qui s’est couronné de mousse sans vraiment s’en rendre compte. Je sourie, moqueuse, avant d’acquiescer de la tête alors qu’il efface le tout de sa manche. Il aurait attendu quelques secondes de plus et ç’aurait probablement été moi dans la même situation.
Son compliment lui, je le dénote d’une toux un peu trop nerveuse à mon goût. Jolie. Debra avait bien dit que Ben était du genre dragueur, le mec qui dit ce qu’on veut entendre, qui a sa façon bien à lui de charmer sans qu’on s’en rende compte, par petites parcelles, bien lourd, mais subtil. Elle avait pris un bon 5 minutes à me dire que je n’y verrais que du feu et que je finirais dans son lit sans même me poser la moindre question, et voilà qu’il enclenchait déjà la première tactique. Je sens mes doigts se resserrer sur mon verre, mon corps fusionner un peu plus avec le bar, avec le mur, le tabouret, n’importe quoi. Je n’étais pas hideuse, non, mais pas particulièrement éclatante non plus. J’étais la fille sympa, drôle, simple, celle avec qui on partageait une bière, un nachos et quelques impressions sur le dernier Final Fantasy et ses airs de korean boys band avant de passer le reste de la soirée à lorgner sur le décolleté de la belle suédoise stationnée au fond du bar. Pas celle qu’on remarque, qu’on regarde. Et ça m’allait, oh que ça me convenait parfaitement. La bière trouve facilement mes lèvres alors que je laisse couler, et le liquide et sa remarque, faisant fi de ce qui ne se rapporte pas à Zelda et à tout ce que ça avait pu représenter pour moi, adolescente. Un autre monde qui me permettait de chasser celui où j’étais la risée, la cible, le boulet. Dure époque qui avait été adoucie par les longues nuits blanches à sillonner A Link to the Past en long et en large. « J’y vais avec ce que je connais… » que je justifie naturellement, face au small talk que j’ai su aborder dans tout mon malaise. « Et puis si tu n’avais rien dit, j’aurais très bien pu me parler toute seule de la Death Mountain, et des cartes à l’échelle que je dessinais dans mes cahiers entre les cours au lycée. Ou de mon immense déception lorsqu’on m’a confirmé en classe de musique que je ne pouvais pas choisir l’ocarina comme instrument pour le spectacle de fin d’année. » La déprime avait été telle que j’avais fini par me plaquer au fond du groupe derrière le xylophone des rejetés pour le récital devant parents. Drôle de souvenir à ramener ici, que je réalise, prenant ma voix la plus naïve pour conclure. « Tu serais étonné de voir le nombre de filles qui aiment Zelda et ses dérivés. Une princesse, un château… what’s not to love? » Nunuche jusqu’au bout, en espérant qu’il casse un peu ses préjugés, à travers. Qui sait, peut-être que j’aurai fait beaucoup pour la cause, ou pas du tout. Un nachos et quelques secondes après, voilà qu’il se dévoile un peu plus, amenant Ivalice sur le sujet, rattrapant mon intérêt si facilement que c’en est presque effrayant. L’entrain au bout des lèvres, je me retiens de lui faire passer mon propre trivia test inspiré de FF XII, avant d’être interrompue par la grande révélation. Quelques secondes plus tard et Ben est à un mollet du bonheur, le tatouage bien assumé. Évidemment, l’artiste en moi laisse tout tomber pour se pencher à la hauteur du dit dessin, intriguée de voir le tout de plus près. Plus fort que moi, un nouvel éclat de rire perce mon silence et je ne peux qu’hocher positivement de la tête devant le travail de maître. Le pauvre, la jolie bourde quand même. De voir ce tatouage me rappelle direct Jill et ma visite chez un tatoueur, du haut de mes 18 ans, pleine d’attitude. J’avais décidé de m’émanciper, de prendre un nouveau virage, et j’avais laissé mon inspiration gribouiller le plus énorme et le plus emokid des tatouages, bien convaincue d’en orner mon bras gauche. Un simple 15 minutes avec ma sœur dans la salle d’attente à me laisser bercer par le bruit des aiguilles avait suffit à faire passer les doutes avant tout, persuadée que j’aurais regretté une heure à peine après avoir sauté le pas. L’envie s’était dissipée, quoi qu’elle revenait parfois, rebelle, s’immiscer dans ma tête. Je laisse mes rires de côté, avant de relever la tête vers lui. « En effet, tout pirate du ciel qui se respecte possède un tatouage, mais il te manque quand même un petit plus pour parfaire le look complet. » je pointe doucement son oreille, me redressant, retrouvant ma place sur la chaise. « Elle est où, la célèbre boucle d’oreille? » on ne peut pas mentionner ce jeu et ce métier sans penser à Balthier et à ses bijoux scintillants. « Si tu veux, on peut passer à la bijouterie du coin pour règler le tout. Je suis même prête à payer le premier anneau. Je déteste voir les gens ne pas accomplir de grandes ambitions pour cause d’accessoires manquants. » presque déçue, j’appuie son regard en espérant qu’il capitule, ce qui n’est évidemment pas le cas. Pour le moment.
Voilà donc qu’il me passe le micro, prêt à ce que je me dévoile un peu plus. Mince, ça allait là, on parlait de trucs sans conséquence, on oubliait le volet personnel un brin et ça me convenait plus que je ne l’aurais cru. Mais voilà que les projecteurs se braquaient sur ma mine tout sauf rassurée, et sur mon verre qui filait un peu trop rapidement à mon goût. Les idées se bousculent dans ma tête, me confirmant qu’il était trop tôt pour que j’aille trop loin, ou du moins, pour que j’ouvre un peu plus. En douceur, rien qui brusque. L’idée du siècle me traverse l’esprit lorsque ma tête se tourne vers notre semblant de repas, accompagnée de son humiliation à saveur de bière et de mon génie dont je doute de plus en plus. Quelques bouchées plus tard et je souris à pleines dents dans sa direction, les gencives recouvertes de nourriture, question de lui offrir une vue des plus dégeulasses. « On m’a toujours dit que j’avais un sourire particulier, unique même. » Son air horrifié entraîne un rire incontrôlable de mon côté, que j’étouffe d’une ultime lampée de bière. « Je me demande si c’est ce genre de révélation qu’on dévoile durant un rencart, ou si je n’ai pas eu le bon mémo. » la blague revient sur le tapis, le fameux rencart qui flotte au-dessus de ma tête comme une épée de Damoclès. J’avais pourtant ramené le terme par moi-même, et l’idée m’affole l’espace d'une poignée de secondes. Il retrouve pourtant constance, moi pareil, et je décide d’y aller fair en dégageant finement quelques mèches de mon cou, penchant la tête sur le côté, le regard vers le sol. Une tâche de naissance prend place sous mon lobe d’oreille gauche, un peu vers le centre de la nuque. Elle n’est pas énorme en soi, mais je me rappelle l’avoir scrutée dans tous les sens, Matt tenant un miroir à bout de bras afin que j’arrive à mieux la voir. Examen d’épiderme qui avait donné ceci comme conclusion. « C’est pas un tatouage, mais certains y voient une forme, un genre de cœur. Personnellement, j’ai toujours vu le champignon dans Mario Bros, mais il faut croire que ce n’est pas une référence assez évidente en société. » je finis par relâcher mes cheveux, redressant mon dos, me retirant de l’avant-scène en ayant répondu au mieux de mes forces. « C’est deux en deux, là. Le truc embarrassant, le truc sur l’anatomie… si je calcule bien, c’est ton tour, et deux fois plutôt qu’une. » Satisfaite, je m’en sors un peu mieux que ce que j’aurais pu croire, et ce n’est pas tant pour me déplaire. La clé restait de jouer avec le superflu. Benjamin s’apprête à ajouter quelque chose, mais ses paroles sont interrompues par un flot de cris provenant de l’entrée, exclamations féminines dénotant dans l’aigu, ribambelle de ladies entrant dans le bar et se dirigeant à nos côtés question de commander leur ration de margarita pour l’année. Il tente d’ajouter quelque chose et je tends l’oreille, mais sa voix ne peut absolument pas enterrer les conversations de nos nouvelles voisines, s’extasiant l’une sur l’autre. Bambi #1 sort même son portable, lançant une séance-selfie dans l’attente de leur commande. Je ne résiste même pas une seconde à l’envie de faire la conne avant d'inciter d'un geste à Ben de me suivre dans mon élan, du moins, s’il s’en sent la force. Je m’hausse du bout des bras sur mon tabouret et entame une séance de grimaces toutes plus horribles les unes que les autres, m’assurant d’être bien en vue derrière l’objectif, question de photobomber en chef le shooting improvisé qui se déroule sous nos yeux. La session prend vite fin et je retrouve ma place, enchantée de mon mauvais coup. Un moment passe avant que deux shooters finissent leur course devant nous. Incrédule, je laisse mon regard suivre les cris d’une des demoiselles, enjouée d’être si joyeuse et ayant elle-même un shot en main, qui lance « Vous êtes sur la photo, vous en méritez un comme nous! ». Elle lève le verre bien haut, insistant des prunelles pour qu’on la suive nous aussi « Premier rendez-vous ou vieux couple? ».
Il apparaît très clairement, dès le début de cette soirée, qu'il n'est pas question d'user des stratagèmes habituels. Car rien n'est comme d'habitude. Les regards de braise, les sourires mutins, les compliments glissés entre les lignes et les doigts baladeurs sont tous à laisser au placard ; rien de tout ceci ne paraît fonctionner avec la belle Ginny. Je crois, à vrai dire, que le concept même de séduction est à oublier dans un coin. Et je commence à croire que 'il doit se passer quoi que ce soit ce soir, cela relèvera du miracle pur et simple. On m'a vendu un rencart avec une demoiselle à décoincer, prête à se laisser tenter. Ce n'est pas ce que j'ai face à moi. D'ailleurs, je ne tarderai pas à me rendre compte que je ne mène plus vraiment la danse, et que le dérouler de cette soirée est aussi incertain et spontané que surprenant. Ce qui est à la fois déstabilisant et fascinant. Je regarde la jeune femme avec cet air de ne pas comprendre dans quelle dimension le passage de la porte du pub m'a fait atterrir, un univers dans lequel une femme se fiche bien de se nourrir de chips dégoulinantes de fromage face au type dont l'intention de la mettre dans on lit est absolument sans équivoque. Peut-être un monde où avoir les doigts gras est sexy. Je me sers également, au final, me pliant à la coutume locale. Et si être un beau grand brun n'est pas un argument assez persuasif pour les mœurs de cette planète, alors je m'adapte. « C'est très simple, je n'ai qu'à me couvrir de nachos. » je réponds avec assurance, mêlant excès de narcissisme et de gourmandise pour battre le plat dans le conception de paradis de la jeune femme. Et cette fois, je la défie de trouver quelque chose à redire. Ses joues s'empourpreront sûrement à nouveau, comme lorsque je lui ai expliqué que cette rencontre est supposée être un rencart. Le terme l'a mise mal à l'aise au possible, comme une adolescente. Ou comme une femme mariée qui réalise qu'elle ne devrait pas être là. Moi non plus, dirons certains. Faire des avances à une femme engagée auprès d'un autre, n'est-ce pas un manque cruel de vertu ? La tenter, la pousser au vice, avec la complicité de Debra, cela fait de nous deux diables. Je n'ai jamais été d'accord avec ce genre de principes visant à offrir au partenaire qui trompe une manière de se dédouaner ne serais-ce qu'un peu ; un adulte sait faire ses propres choix, et sait que cela n'est pas bien vu par la société de s'accorder un pas de côté. Pourquoi cela serait de la faute de l'autre homme, de l'autre femme, s'il prend la décision de répondre à cette envie ? Être un tentateur n'est pas une excuse pour être blâmé et blâmable. Il n'y a que celui qui décide de résister, ou qui n'y parvient pas, qui devra faire face à l'une ou l'autre des formes de regrets ; celui d'avoir dit oui, ou celui d'avoir dit non. Alors, si vous vous posez la question, oui, merci, je dors bien la nuit, même en me disant que je suis tout à fait capable d'être l'amant détesté d'une femme mariée -que je peux même en avoir envie. Ce n'est pas mon problème, et ne m'empêche pas de me regarder dans un miroir. Néanmoins, c'est un objectif qui paraît de plus en plus difficile à atteindre dans la mesure où Ginny ne me facilite pas la tâche. Du compliment que je lui glisse, il ne reste qu'un vague sourire gêné passant furtivement sur le coin de ses lèvres, et pas plus de réaction. Elle retourne immédiatement au sujet qui se trouve étonnamment dans sa zone de confort ; les jeux vidéos. La jeune femme me fait l'inventaire de l'étendue de sa passion pour Zelda et des conséquences sur sa jeunesse. Et je comprends, en passant, qu'insinuer maladroitement que les belles filles ne peuvent pas aimer ce genre de hobby n'est pas ce que j'ai articulé de plus brillant jusqu'à présent. « Ok, j'ai saisi, je garderai mes compliments sexistes pour moi. » dis-je en pouffant avant de me cacher derrière ma bière et une longue gorgée de boisson ambrée. Confidence pour confidence, je rends la pareille à la petite brune. Qu'elle comprenne ainsi qu'elle n'est pas la seule nerd dans la salle, loin de là. Retrousser mon pantalon et dévoiler cet affreux tatouage à ma cheville, c'est une manière de tomber le masque. Parce que, contrairement à elle, je n'ai jamais accepté d'être mis à l'écart et je le vivais bien trop mal pour ne pas me laisser influencer par la soif de popularité. Le geek en moi s'est caché derrière le type cool et charismatique, celui qui fait des blagues lourdes mais qui sait mettre de l'ambiance dans les soirées étudiantes et que l'on aime quand même. Celui dont on veut être l'ami ou l'amante. Mes véritables amis savent ce qu'il en est, comme Heidi qui m'a vu lever la voix sur mon fils après qu'il ait cassé une d mes figurines pendant notre déménagement parce que j'accorde bien trop d'importance à ce genre de choses. Alors si on me demande de quel instrument je joue, par exemple, je n'avouerai jamais que, comme Ginny, j'ai toujours rêvé de jouer de l'ocarina comme un Dieu. Au lieu de cela, je lèverai un peu le menton, dégainerai un joli regard, et arborerai fièrement mes talents de guitariste à minettes et de pianiste de jazz. Et c'est une sensation bizarre que de pouvoir être soi-même avec une inconnue. De ne pas réfléchir à mes paroles pour être certain de la toucher au coeur, tout comme elle se fiche bien de me séduire et encore moins de me faire languir. A l'écouter proposer de me faire percer l'oreille, la soirée se finirait très certainement comme Very Bad Trip, et non comme Fifty Shades. « C'est très chic de ta part. Tu crois qu'ils pourraient en profiter pour me crever un œil ? Quitte à parfaire le look, j'ai toujours voulu porter un cache-oeil. Ou peut-être, juste une grand balafre, comme ça ? » Mon doigt en forme de crochet traverse mon visage sur une grande diagonale tandis que je grimace comme un vieux loup de mer. « Comme ça je narrerai mon soit-disant combat contre le kraken pour séduire les dames. » Parce que cette partie là reste et demeurera d'actualité. Facile de comprendre que c'est au tour de Ginny de m'en dire un peu plus. C'est ainsi que ce genre de choses marchent, après tout. Pourtant, comme si elle avait été privée de tout contact avec la société pendant dix ans, la jeune femme reste silencieuse, et laisse deviner un éclat d'angoisse ; quoi dire qui fasse l'affaire ? Sa meilleure trouvaille consiste à se rendre hideuse et particulièrement dégoûtante en se montrant sous son meilleur jour d'adoratrice des nachos. J'arque un sourcil et grimace : ça, en revanche, je risque de m'en souvenir dans mon sommeil, et ce n'est pas vraiment le genre d'images que j'ai d'une belle femme suite à sa rencontre généralement. « Eh bien, je crois que c'est important de jouer cartes sur table dès le départ pour savoir à quoi s'en tenir. J'ai un chat tatoué sur la cheville, tu… a une passion dévorante pour les nachos. C'est bon à savoir. Je nous sens déjà tellement plus proches. » L'espace d'un instant, j'en oublie quel était l'objectif de la soirée. Je me fiche de ramener la jeune femme chez moi, seuls les rires importent. Mais parce que Ben est Ben, fort heureusement, cela ne dure pas plus de quelques secondes ; la vue que m'offre Ginny sur sa nuque me remet les idées en place. C'est un cou à goûter, ça. J'observe la petite tâche de naissance qu'elle m'indique et qui inspire tant de poésie à ceux qui la voient. « T'es sûre que c'est pas plutôt un rondoudou ? » je demande spontanément en plissant les yeux, comme si cela m'aiderait à mieux discerner le champignon, mais non, rien à faire. Et voilà que la balle est à nouveau dans mon camp. Je suis sauvé de ma panne d'inspiration par le gong -ou la clochette de la porte d'entrée du pub qui vomit un groupe de demoiselles sur le comptoir près de nous. Il n'est officiellement plus possible de s'entendre penser, pour ceux qui pensent. Alors que je m'efforce de poursuivre la conversation avec Ginny, je perds complètement son attention lorsqu'elle voit les jeunes femmes en flagrant délit de narcissisme, armées de caméras frontales. Elle se lange dans d'abominables grimaces qui me laissent pantois le temps de réaliser que, bon dieu, cette nana est décidément d'une autre planète. Une planète voisine de la mienne. Je me prends au jeu, surpris de me faire décoincer par celle que j'étais supposé entraîner dans mes bêtises. Je tire la langue, mes oreilles, louche, me déforme la bouche -et je parie que malgré mes efforts je reste carrément potable sur ces photos. Riant de notre intervention, je surprends l'apparition d'un shooter devant moi sous prétexte que nous faisons désormais partie de la petite fête des demoiselles. « Noces de bois ! » je m'exclame avant que Ginny ne puisse ouvrir la bouche, optant donc pour nous faire passer pour un vieux couple, mariés même, depuis cinq épanouissantes années. Ce qui déclenche immédiatement une avalanche de “Haaaaan c’est trop mignooooon !” et quelques échos de “Vous allez teeeeellement bien ensemble !” le tout pouvant m'être bien utile pour persuader mon date de ce soir de me laisser lui mettre les cheveux derrière l'oreille. Ce doit être la moins saoule de toutes qui se penche vers nous avec un air sérieux, façon Colombo. “Mais je vois pas de bague.” Moi-même étonné, je vérifie le doigt de Ginny ; pas de bague. Sûrement sa conscience lui a-t-elle soufflée de la retirer en ma compagnie. J'improvise alors ; « Elle est chez le bijoutier. Ma chère et tendre a perdu trente kilos dernièrement et la bague tombait de son petit doigt plus si potelé. » L'histoire suscite l'admiration et la jalousie de toutes ces adeptes des régimes de stars et autres idioties qui leur sont vendus dans les magazines féminins devant leur permettre d'avoir un ventre plat sans quitter leur lit, pendant que les marques s'arrangent pour transformer le trente-huit en trente-six et le quarante en trente-huit. Je me permets de passer mon bras autour des épaules de Ginny avec un large sourire colgate ; « Je suis très fier d’elle. » Les voilà qui nous regardent avec autant d'admiration que si elles avaient Johnny Depp et Vanessa Paradis réconciliés sous leurs yeux aux paupières qui papillonnent. Ce qui leur fait penser que le Brangélina a divorcé, et sérieux, y'a de quoi être trop dég' ; alors leur attention glisse très vite loin de nous et elles recommencent à piailler, faisant du comptoir une basse-cour improvisée. Mon regard trouve sur un feuillet par terre, certainement tombé d'une poche d'une des Barbie. Faisant l'acrobate, je me penche sur mon tabouret jusqu'à l'atteindre du bout des doigts -manquant de me les faire écraser par une paire de talons hauts par la même occasion. « Tu veux aller à Disney ? » je demande en me redressant, posant là la question comme un cheveu sur la soupe, mi-sérieux, mi-plaisantin. Puis je fais glisser le flyer devant Ginny afin qu'elle comprenne ; la publicité promet de faire gagner un séjour dans le parc d'attraction en Floride en suivant un lien pour participer sur internet.
Please don't ask me who or who you think I am. I could live without that, I'm just a modest human. Meet me at the corner and, tell me what to do. 'Cause I messed up on you. Had I known all that I do now, I'm guessing we're through now. Please don't ask me where, or where you think I've been. I've been a lot of places, but this could be my win.
C’était ça qui allégeait le reste : jouer à être une autre. Étrange parallèle lorsqu’on réalise que cette autre me ressemble beaucoup plus que la Ginny qui évolue sous mes yeux depuis les derniers mois, les dernières années. Elle parle de ce qu’elle aime, elle rigole, elle s’affiche dans tous ses malaises, elle s'affirme un peu plus fort, elle ne pense à rien, ne doute de rien. Être avec quelqu’un qui n’avait pas la moindre idée de ce qu’avait été vraiment ma vie, être en présence d’une personne qui ne connaissait ni mes problèmes, ni mes antécédents, ni ma situation, qui ne me passait pas sous microscope, qui n’avait même pas la moindre once de pitié, de rancune ou de jugement qui caresse ses iris à chacun de mes mots avait cet effet thérapeutique, calmant, soulageant qui m’avait manqué depuis plus loin que je me souvienne moi-même. Si jouer à être quelqu’un d’autre c'était ça au final, ça me suffisait. Et pourrait me suffire encore longtemps, très longtemps. La pression qui se dégage de mes épaules à chaque nouvelle blague, l’égoïsme qui prend la place et qui relègue mes obligations, mes responsabilités dans un dossier secret qui n’est pas à l’honneur ce soir, qui n’a pas lieu d’être alors que dans cet univers je suis Ginny, juste Ginny, me semble inespéré. Malgré les débuts chaotiques, malgré les mots qui se cherchent, malgré les mains moites qui s’assèchent, Ben me donne la latitude de mettre tout de côté le temps de lâcher prise un peu, de n’avoir rien à lui prouver, rien à lui faire accepter, rien à lui confesser autre que mes propres lubies, mes idées folles, mes comportements sociaux discutables. Retour en arrière bref qui me propulse à l’avant, avant tout ceci, alors que ce que j’aurais pu dire, ce que j’aurais pu faire si les 6 dernières années n’avaient pas eu lieu d’être. Comment est-ce que j’aurais répondu à ses allusions? Qu’est-ce qu’il aurait pu, dû dire pour que je cède à ses avances? Aurais-je réagis de la même façon, si l’alliance n’était pas au fond de mon portefeuille? Si le reste n’était pas en travers de ma tête, de mon coeur? Beaucoup de si et très peu de vrai, de concret. Pourtant, je suis curieuse. Il s'agite, il sourit, il réplique et je me demande, le plus honnêtement du monde, si à cette époque, si tout avait été différent, si dans une autre vie…. J’aurais pu. Et puis, s’il m’avait plu? Un nouveau si, et un bon, auquel j’agrafe son humour qui m’aurait probablement accroché, et ce côté bien nerd qui ressortait lorsqu’on grattait bien creux, qui venait casser l’image de Casanova au torse bombé qu’on m’avait vendue précédemment. À ça, j’ajouterais… et je m’arrête de suite, interdite, outrée par mes propres idées sales, ridiculement improbables. Ce n’était pas ok, ce n’était pas correct, ni avant, ni maintenant, et surtout, ce n’était pas moi. Vraie ou fausse Ginny, malgré la situation qui gravite autour de Bailey et d’Ezra, jamais je n’aurais été celle qui jouait, qui cachait, qui profitait, jamais au grand jamais. Alors pourquoi étais-je toujours là, pourquoi est-ce que je n’avais tout simplement pas filé? La question reste en suspens, incapable de trouver sa réponse, et je ravale d’une gorgée de bière en me promettant qu’une fois le verre terminé, je raviserai. D’ici là, plus le droit à ce genre de questions. Plus du tout. Heureusement, il retient bien vite le reste de s'immiscer trop creux alors qu’il relance son délire de pirate, espérant que le fameux bijoutier soit en mesure de lui crever l’oeil pour la peine. Le dégoût prend place sur tout le reste et j’éclate de rire pour pallier à ce plan absolument merdique et tout sauf sanitaire. « L’oeil, le tatouage, la boucle d’oreille, manque plus que la barbe tressée et on est prêts pour le Black Pearl volant! » je joins le geste à la parole en laissant mes doigts tapoter sa mâchoire imberbe, le temps de m’étonner de ma propre facilité à me la jouer tactile, mais surtout pour réaliser qu’encore une fois, c’est le naturel qui a pris toute la place plutôt que le comportement réservé et discret qui ressortait durant mes mauvais jours. Voilà qui surprend. Il ne semble pourtant pas retenir plus que quoi que ce soit, ni ce mouvement des plus suspects, profitant probablement du fait que je semblais plus à l’aise, moins sur mes gardes qu’au tout début de la soirée. Tout à son honneur de ne pas en faire de cas, parce que rien qu’à entendre ce qui se trame entre mes deux oreilles je n’ai pas besoin de plus de vague qu’il n’en faut. Parlant de naturel, c’est le sien qui agrippe les rennes, prétextant séduire les dames avec cette pseudo légende qu’il deviendrait. « Bien vu! Rien de plus séduisant qu'un héros puant le rhum et les créatures marines. J’illustrerai le conte où on racontera comment tu les auras toutes séduites d’un tatouage aussi viril que sentimental. » l’ironie frôle des niveaux encore inexplorés entre ses répliques et les miennes et je ne sais absolument pas quand nous pourrons nous arrêter à ajouter connerie sur connerie sur cette discussion qui m’amuse déjà plus que quoi que ce soit d’autre. À mon tour donc, et à sa silhouette de se pencher sur cette fameuse tache de naissance que j’ai eu la bonne idée d’exhiber - fair play. Le truc, c’est que prude comme je suis, l’idée fait tout de suite mouche. Le temps se suspend assez longtemps que je sente son souffle sur ma nuque, et la torsion qui se fait un plaisir de réduire mon ventre en bouillie. Par chance, Ben a la brillante idée de ramener les Pokémons sur le tapis, et j’oublie de ce fait la proximité que j’ai moi-même enclenchée, pensant déjà à confirmer ses dires une fois à proximité d'un miroir. La mélodie du fameux Jigglypuff vient tout naturellement se fredonner sans que j’ai à y réfléchir trop longtemps, et je hoche la tête au rythme de la chansonnette que je laisse aller, divertie. « Arf… c’est bon, je l’ai dans la tête jusqu’à la fin de la soirée si ça continue comme ça… » je m’avoue vaincue, lui laissant maintenant la parole. J’en ai assez fait pour ce soir que j’acquiesce à moi-même. Pourtant, Ben n’a pas le temps de reprendre le lead que déjà l’envahissement est déclaré. Nos nouvelles voisines débloquent des décibels plus aigus qu’un sifflet à chiot et mes oreilles fragiles n’arrivent plus du tout à capter ce que le jeune homme tente d’ajouter, ne se laissant pas abattre par le défi. Peine perdue, le concours de selfie se charge de me distraire complètement et voilà que je me donne littéralement en spectacle, profitant du moment pour laisser de côté les inhibitions qui pouvaient bien rester. À mon plus grand plaisir, je me retrouve bien vite avec un partenaire de crime, le Brody qui accepte de se prêter lui aussi dans une séance photo des plus grotesques. Deux gamins laissés à leur libre arbitre, voilà ce à quoi nous sommes réduits… et je ne m’en plains absolument pas. Là où Bailey aurait été du genre à m’immobiliser de suite, réprimandant le moindre de mes gestes trop haut, trop fort, trop rouge pour lui. Encore une fois, dégoutée par le propre comparatif que je viens de faire, je me ressaisis assez vite pour reprendre ma place, chasser l’affreuse pensée qui vient de passer par ici, lâcher les attaches de l’extérieur pour ne pas, ne surtout pas, mêler ces deux mondes complètement à l’opposé, différents. Mais pourquoi es-tu encore là Ginny? Deux shooters apparaissent devant Ben et moi et la surprise est complétée par les paroles de nos préférées qui se greffent bien vite à nous, dégageant la pression de cette drague improvisée le temps d’assister à leurs jérémiades. Je fais signe de tête, gratitude forcée, et prévois doucement glisser le verre vers la poubelle question de ne pas m’enfoncer encore plus que je suis en train de le faire, mais elles rappliquent de plus près, prononçant ce mot, cet affreux mot qui m’arrache une toux nerveuse. Mariés, mariée. L’annuaire qui brûle malgré l’absence de mon jonc, je laisse à Ben le soin de désamorcer leur approche intrusive, muette, coupable, prise sur le fait. Je me sens petite, toute petite sur ma chaise, glissant vers des abîmes encore inexplorées, et de sa voix maligne, de son esprit qui tourne à 100 à l’heure, il dégage toutes responsabilités en parlant de mon poids, de ma cure, de cette perte qui rend le nachos particulièrement fautif dans l’affaire. J'éloigne d’ailleurs le plat du revers du coude, profitant de leurs prunelles qui scintillent pour en rajouter une couche, maintenant plus amusée que je ne l’aurais cru. « C’est l’entraînement intensif dans les Lost Woods qui m’a sauvé. Je ne serais rien sans Kokiri. » la blague est trop délicieuse pour que je la laisse passer, alors que l’une d’elle arque la tête sur le côté, curieuse, un peu trop à mon goût. « C’est où ce gym? Connais pas. » « Bah oui Emily, c’est sur la 4e, tu prends Hashler... à gauche. » je me retiens de pouffer devant le spectacle hilarant de ces jolies créatures qui s'imaginent fermement que je parle là d’une salle de sport et de mon entraîneur privé… seigneur, qu’ont-elles fait pour mériter ceci? L'humiliation me fait presque oublier le geste qu’il esquisse, bras sur épaules, épaules sous bras, contact direct et prolongé. On fait quoi, là? Tu fais quoi, surtout? Elles repartent aussi vite qu’elles sont venues , et Ben dégage au même moment ce fameux bras qui avait soulevé à lui seul tant de nouvelles questions. Je respire, rassemblant mes esprits, retrouvant une minute de calme, de clarté peut-être même. Et Disney vient sur le tapis, complètement out of the blue. Hen, quoi? Je suis lente à la détente, me demandant avec empressement d’où est-ce qu’il peut bien se douter que Disney figure bien haut sur mon top 10 de destinations à visiter avant de mourir, coeur d’enfant jamais assez assumé pour le prouver, avant de voir le papier qu’il agite sous mes yeux. L’interrogation fait place à l’enthousiasme à peine contrôlé, et je laisse mon énorme sourire lui faire office de réponse. Jamais je n’avais gagné quoi ce que ce soit d’importance, sauf peut-être un paquet de timbres une fois, à l'effigie des fruits et des légumes du marché. Pour vous dire, l’appât de peut-être être une sur 1 million guide le reste alors que je sors vivement mon portable de mon sac, l’ouvrant de nouveau - faisant très attention de ne jeter pas un seul coup d’oeil vers l’onglet des notifications qui allume particulièrement trop rouge à mon goût (ohé, Noah était entre bonnes mains, c’était tout ce que j’avais à me dire pour le moment) - pour finir par me rendre sur la dite adresse web. Devant mes yeux intéressés et ceux avides de Benjamin, je fais glisser la page, les images de manèges, les regards rieurs, les promesses d’un voyage aller-simple au pays des rêves. Mon enfance qui défile à vitesse grand V, je finis par cliquer sur le bouton Participer en gras, bien lisible. L’entrain n’est pas encore craqué, les doutes et les remords n’ont pas encore eu le temps de faire le chemin à travers mes terminaisons nerveuses alors que les premières questions apparaissent, prenant la place de tout l’écran. « Le personnage de Disney qui te représente le mieux? Attends, j’essaie de deviner… » je le détaille de haut en bas alors qu’il esquisse une expression puis une autre. « Peter Pan? » mon sourire s’étire lorsque j’y vais du très prévisible Beauty pour ma part - rat de bibliothèque oblige. « Oh damn…. Ils veulent savoir ce qui fait que tu as gardé un coeur d’enfant après être devenu grand. À part mes fausses pièces d’identité, je ne vois pas. » j’éclate de rire, tout sauf candidate à ce genre de choses de toute façon. Et c’est là que ça se passe, c’est là que le choc vient terrasser le reste, c’est là que je me replace doucement sur mon siège pour en laisser tomber un item qui, d’un seul son, d’un seul contact avec le sol, me ramène directement à toutes ces attaches qui m’empêchent plus que tout de poursuivre sans le regretter. Malheureusement. Sans même l’avoir vu, je me penche tranquillement au sol, attrapant du bout des doigts l’anneau qui bien évidemment a choisi ce moment pour filer à l’extérieur de mes affaires. Le gardant entre mes doigts, voyant le potentiel de la connerie : l’inconnu choisi au peigne fin pour faire disparaître toutes vertus le temps de quelques culbutes, avec qui je prévois déjà m’envoler à l’autre bout du monde sans tenir compte du reste. Tout le reste. « Je suis désolée. » que je commence déjà, épuisée par mes propres réflexions incandescentes. Puis, décidée, je pousse les deux shooters dans sa direction. « La suite risque d’être nulle, à ta place je les prendrais tous les deux question que ça soit moins lourd à endurer. » à la catégorie de la meilleure technique de vente, je suis passée chef il y a longtemps. « J’imagine que Deb t’a déjà fait le portrait. Coincée, mariée, a besoin de s’amuser un peu… le pire, c’est que pendant une bonne fraction de seconde, j’ai cru qu’il s’agissait du meilleur plan possible. Je te jure. » mes yeux croisent les siens, et j’ignore quelle force me garde de m’arrêter, alors qu’attentif, il me fait signe de continuer. « Mais c’est pas moi - et ça ne le sera jamais. Me lancer dans quelque chose sans le faire pour vrai, jouer dans le dos de quelqu’un… même si c’est ce que je fais depuis que je suis entrée ici... » la culpabilité suit bien évidemment. « Je pense honnêtement que si j’étais un peu moins awkward et que le timing avait été meilleur, il y aurait pu avoir quelque chose, peut-être pas un truc énorme, mais quelque chose qui aurait pu se passer. Entre… nous deux. » Petit rappel : je détestais parler de ce genre de choses, surtout entourée d’autres oreilles un peu trop présentes à mon goût. « Mais je suis dans la pire impasse de ma vie, et je n’ai pas l’énergie ni le coeur de t'y mêler, même de l’extérieur. Tu mérites pas ça. » j’ignore depuis combien de temps je parle, et sincèrement, je trouve que c’est trop. Pourtant, le flot de paroles n’est pas prêt de se terminer et même si je doute qu’il a encore l’intérêt de rester - faut pas se voiler la face, malgré ma franchise et mes quelques bonnes blagues, je ne suis pas le prix de la perfection non plus, et il pourrait très bien être plus qu'emmerdé de devoir entendre ce genre de tirades alors qu’il n’était là que pour la baise, au final. « Je te forcerai pas à rester, sachant ça. Il y a des dizaines de filles dans ce bar qui ne demanderaient que de t’accueillir entre leurs jolis bras. Moi… je ne peux pas t’offrir plus pour le moment. Peut-être un jour, quand tout sera réglé de mon côté, mais… Si t’as toujours envie de possiblement aller crier comme un malade dans leur nouveau manège Star Wars, je suis prête à recommencer du début, et de la bonne façon. » il ne s’oppose pas, et peut-être un peu trop jovialement, je le prends pour un oui. Alors je me lance, finalité. Main tendue dans sa direction, je laisse aller le reste. « Je suis Ginny, mariée à un homme que... avec qui c'est compliqué, mais à qui je suis tout de même fidèle. Je suis maman, et mon gamin n’est pas dans la meilleure période de sa vie actuellement. Mon ex vient aussi de revenir dans le décor, et honnêtement, j’ignore où on en est tous les deux. » il ne répond toujours rien et franchement , son silence commence à faire un brin paniquer. « Je t'avais dit que ce serait lourd. » J’y vais donc de la stratégie sortie express la plus évidente. « Avec un peu de chance, Bambi Columbo voudra peut-être t'accompagner à Disney à ma place si on joue bien nos cartes avec elle. »
Le naturel avec lequel mon bras s'est passé sur les épaules de Ginny n'est pas une nouveauté pour un sans gêne sans mon genre, et alors que je sens la jeune femme se raidir, sa chair se crisper, je suis tout à mon aise avec ma prétendue petite femme près de moi, menant la troupe de Barbie en bateau. Elles n'y voient que du feu. Mes joues se pincent en un rictus étrange, mélange d'approbation et de rire moqueur fermement retenu face à l'ignorance des unes concernant la référence flagrante de la petite brune, et l'assurance démesurée des autres persuadées de savoir de quoi elle parle. Ces dernières ne parviennent qu'à se tourner en ridicule, le plus drôle étant que le comique de la situation ne saute qu'à nos yeux d'initiés tandis que les demoiselles se complaisent dans le monde qu'elles s'inventent. Même si je suis habituellement sociable, le premier à suivre à la lettre l'adage « plus on est de fous plus on rit », j'avoue me satisfaire que Ginny et moi ne soyons plus au centre de l'attention et puissions reprendre notre conversation. La curiosité qu'elle suscite chez moi me pousse à vouloir en savoir plus, et pour cela, je ne dois avoir la jeune femme que pour moi. Ainsi se poursuit le tête-à-tête, la bière descendant petit à petit. Je porte à l'attention de celle qui s'est prouvée aussi geek que moi le flyer que j'ai récupéré par terre avant qu'il ne fusionne avec le parquet grâce à l'effet collant de l'alcool qui tombera inévitablement sur le papier à un moment de la soirée, après s'être fait piétin allègrement. La question n'était pas sérieuse -ou l'était-elle ? Parfois je ne sais plus moi-même de quel côté de mes ambiguïtés je me trouve. Disons qu'une version comme l'autre de la réalité me convient, que si Ginny avait ri, j'aurais ri, et que si elle décidait de participer au tirage au sort, j'aurais suivi le mouvement avec le même enthousiasme. Je ne suis pas du genre à croire en ces concours. Je n'ai jamais rien gagné, et je ne connais personne qui ait déjà gagné quoi que ce soit. A mes yeux, ce genre d'attrape nigaud ne vise qu'à récolter les immenses fichiers de données personnelles qui feront le bonheur des publicitaires qui se feront une joie de saturer les boîtes mails de tous les naïfs à coups d'autres offres pour des produits ou des services dont ils n'ont pas besoin. Je ne suis pas contre la consommation, que ce soit dit, au contraire ; je suis le parfait exemple du type capable d'acheter compulsivement une immense figurine collector d'Iron Man à un prix absolument indécent -celle-ci trônait dans mon salon jusqu'à mon déménagement, merci Adam. Le fait est que je sais déjà si peu maîtriser mon argent que si les tentations se multiplient, je vivrai sous un pont et mon ils sera confié aux services sociaux. Ainsi, je me force à la raison qui me manque. Tout cela pour dire qu'il fallait une Ginny pour me pousser à participer au concours, car elle, sans hésiter, se lance sur le site internet et dans le questionnaire que personne ne lira -mais qui peut être amusant. Première question, sans originalité, pousse la jeune femme à faire une déduction particulièrement éclairée à mon sujet, et s'il est vrai que je vis au quotidien avec le syndrome de ce Peter Pan qu'elle nomme sans hésitation, il est un détail qui a son importance et change la donne. Ainsi, je corrige ; « Flynn Rider. Peter Pan ne chope jamais Wendy. » Quant à elle, son choix se porte sur Belle. Une information qui se glisse dans un coin de ma tête, dossier Ginny, et dont je décortique rapidement les qualités sous-entendues par le personnage pour compléter l'idée que je me fais de la jeune femme. La seconde question paraît plus ardue, mais je n'ai pas l'occasion d'y répondre, seulement de rire à l'option proposée par la belle brune et je percevoir le son de son alliance qui atterrit sur le sol. Soudainement, elle se décompose. Tout le poids du monde prend place sur ses épaules et voûte son dos. Je vois déjà le nuage noir de la culpabilité d'une épouse fidèle mettre un terme à ce qu'il pouvait rester de mes plans. Cela ne sera pas la première fois et peut-être pas la dernière. Je m'attends au discours habituel qui se terminera en moi seul sur ce tabouret, au comptoir, à la recherche d'une nouvelle conquête tandis que la jeune femme partira se réconcilier avec sa conscience aussi loin que possible de la tentation. Et je n'entendrai plus jamais parler d'elle. Habituellement, pareil scénario ne me ferait ni chaud, ni froid. Parce qu'il en faut plus pour atteindre la fierté d'un type rodé à ce genre d'expérience comme je le suis. J'ai tout entendu, toutes les excuses, tous les prétextes, et même si un rejet n'est jamais une douce mélodie pour l'ego, le coeur, lui, se remet parfaitement de l'abandon des espoirs qui n'ont pas existé. Le détachement et le désintérêt sentimental rendent les choses tellement plus faciles. Le problème, c'est que ce n'est pas ce que je ressens concernant Ginny. Et la perspective qu'elle me file entre les doigts, d'être le spectateur impuissant de sa fuite vers la porte du pub, fait naître un pincement particulier dans ma poitrine. Pourtant, avec un fin rictus résigné, j'écoute le flot de paroles à venir de la jeune femme sans penser à m'imposer à la fin. Je ne prends qu'une grande gorgée de bière, finissant ma pinte par la même occasion, avant d'offrir toute mon attention à Ginny. Je ne l’interromps pas, pas une fois, et la laisse vider son sac. Me livrer ses pensées sur sujet de cette soirée, et tous les « et si » qui n'auront jamais lieu. Il y aurait pu y avoir quelque chose, je ne sais pas quoi, mais je me dis que cela aurait chouette, quoi qu'il s'agisse. Je ne me suis jamais vraiment penché sur ce que je mérite ou pas, mon seul domaine de prétention est en matière de demoiselles, et les critères sont quasiment uniquement physiques. En matière de travail ou d'affection, je prends ce que l'on me donne, et je mets ma loyauté au service de tous, parfois même ceux qui ne le méritent pas. L'étape la plus délicate, avant d'accéder à pareil privilège, est de battre mon détachement et mon désintérêt. Ce que Ginny a réussi, sans même essayer, en moins de deux heures. Une fois encore, le scénario diffère de tout ce que je connais ; sa main délicate est tendue vers moi alors qu'elle effectue des présentations propres et trop honnêtes, laissant comprendre qu'elle ne partira pas si je décide de rester. Ce qu'elle traverse, en soi, ne me regarde pas, mais j'ajoute dans le dossier Ginny un mari, un fils et un ex, aka la trinité des bonnes raisons pour fuir. Et ce Ben qui flippe et panique comme un gosse dès qu'il est question de s'engager dans quoi que ce soit hurle que je dois prendre mes jambes à mon cou comme je l'ai toujours fait. Quelque chose d'autre garde mes fesses collées au tabouret et mon regard planté dans le sien. Le murmure d'une intuition qui me dit que, si me couvrir de nachos ne sera finalement pas suffisant pour battre l'appel des obligations liées à la vie sentimental de Ginny, je serais idiot de partir. Dieu sait que j'ai fait ds choses idiotes dans ma vie et que celle-ci ne serait pas la dernière, mais il est question, là, de ne pas manquer le coche. De ne pas passer à côté d'une chance qui ne se présentera peut-être pas deux fois. Absorbé par mes pensées, je n'ai pas pris la main de la jeune femme. Je ris, nerveusement, à l'idée de devoir me contenter d'une des Barbie d'à côté maintenant. Elles ne me paraissent d'aucun intérêt. « Peut-être, après que je lui aurai indiqué le dojo de Kokiri. » dis-je en haussant les épaules, instaurant un doute dont je suis réellement saisi. Pourquoi est-ce que je changerais mes habitudes maintenant ? Il n'est pas trop tard pour fuir. « Tu sais… » Ou peut-être que si. Car l'idée de quitter cette place me fait plus de peine que celle de rester. Je n'en ai tout bonnement pas envie. Ma main atteint la sienne, non pas pour la serrer, mais pour la poser sur le comptoir et la saisir entre mes doigts pour l'un des trop rares instants de sérieux qui ponctuent parfois ma vie. « Si ça peut te rassurer, je n’avais aucune intention de poser le genou à terre à la fin de la soirée. Ce n’est pas un verre qui nous engage à quoi que ce soit. Je suis le type qu’on appelle pour se vider la tête, le mec pas sérieux pour un soir. Ca peut s’arrêter là. Ta situation m’a l’air franchement compliquée, et je ne suis pas là pour rendre les choses plus indigestes. Tu n’as aucune obligation envers moi. Tu peux partir si c’est ce que ta conscience te dicte. Mais je pense que, même si ce n’est pas de la manière dont je pensais que cette soirée se terminerait, tu as besoin d’un lâcher prise. » Ma main libre fait lentement glisser le verre de Ginny de retour face à elle. « Et d’un shot. » j'ajoute avec un sourire. L'on est doué pour flirter et emballer les filles que si l'on est bon pour lire dans les gens. Décrypter les regards, les sourires, les petites manies qui sont autant d'indices pour se faufiler vers le coeur -ou le lit, dans mon cas- d'une personne. Je ne suis pas fin psychologue, néanmoins, je reconnais une personne qui a besoin d'une main tendue quand j'en vois une. « J’entends des histoires dingues tous les jours. C’est mon boulot. Être commis d’office, souvent, c’est être psy. Alors même si on ne dirait pas comme ça, je suis quelqu’un de doué pour écouter, et je peux entendre absolument n’importe quoi. Comprendre, je ne sais pas ; approuver, ça dépend ; mais entendre, aucun problème. Alors tout ce que tu dis là ne risque pas de te faire passer pour un monstre à mes yeux. J’en ai défendu, des vrais. Et ça ne me fera pas peur non plus. Je suis un pirate dans l’âme après tout, je n’ai peur de rien, et surtout je ne fuis pas la bataille lorsque au bout il y a… » Là, mon coeur prend un rythme inhabituel. Malgré les traits d'un humour bien plus fin que celui qu'on me connaît normalement, je la remarque, la sincérité, et je surprends ce mot au bord de mes lèvres sorti 'un vocabulaire d'un type qui ne semble pas être moi. Pourtant, je souffle ; « …un trésor. » Quoi ? Quoi ?! Qu'est-ce que tu dis là ? Qu'est-ce que tu fais, là ? « Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi. Pas au féminin en tout cas. » Tu devrais avoir honte de la niaiserie cachée dans le rire nerveux que tu viens de lâcher. Honnêtement, c'est pitoyable. T'en es arrivé à ce point, sérieusement ? Non, ne me dis pas que - « Je t’aime bien. Tu es différente. » Je prends conscience de mes paroles uniquement lorsqu'elles atteignent mes propres oreilles. Si je reconnais le son de ma voix, le contenu, lui, est inédit. Je sursaute en devinant le regard du barman posé sur nous, qui roule au ciel dès qu'il croise le mien. J'imagine qu'il est le parfait reflet de ma conscience actuellement, faute de criquet en haut de forme sur mon épaule. Le sérieux a assez duré, les bons sentiments aussi ; je m'éclaircis la gorge, me redresse, fait signe au barman de nous resservir la même chose, et me prépare à articuler je ne sais pas quoi qui cessera de nous faire passer pour une scène de film de Saint-Valentin. « J’admets que je suis déçu. Du coup, je ne vais pas pouvoir te ramener chez moi et te montrer ma grosse, très grosse… » Mon sourire idiot souligne le regard entendu que j'adresse à Ginny du coin de l'oeil. « … collection de DVD. » Quoi d'autre, voyons… « Mais tu ne paies rien pour attendre. » Deux nouvelles pintes ont remplacé nos verres vides sur le comptoir, de quoi faire passer tous ces beaux discours et passer à la suite. Je m'apprête à trinquer avec la jeune femme lorsque je saisis soudainement sa main que j'avais laissée ballante un peu plus tôt et la secoue vivement ; « Oh, j’allais oublier. Benjamin. J’ai un fils que j’ai découvert quand il avait deux ans et qui est plus mâture que moi, sa mère est portée disparue, je ne te tiendrai pas la porte, je ne te laisserai pas gagner à Mario Kart et je ne te ferai pas la cuisine. » Il ne me manque que le cheval blanc. Cette fois, les verres tintent, les nez plongent dans la mousse, et les moustaches qui en résultent donnent lieu à un un petit concours de grimaces. Les rires allègent l'atmosphère. Une fois la mousse disparue en un coup de langue, je reprends ; « Alors, maintenant que nous avons bien tout mis à plat, je n’ai qu’une seule question de la plus haute importance à te poser. » Sans gêne, je m'autorise à subtiliser le téléphone de Ginny. Mon pouce glisse sur l'écran de veille et j'ignore royalement un sms de je ne sais qui au passage ; la page du concours Disney réapparaît ; « "Qu’est-ce qui fait que tu as gardé un cœur d’enfant après être devenu grand ?" »
Please don't ask me who or who you think I am. I could live without that, I'm just a modest human. Meet me at the corner and, tell me what to do. 'Cause I messed up on you. Had I known all that I do now, I'm guessing we're through now. Please don't ask me where, or where you think I've been. I've been a lot of places, but this could be my win.
J’allais me brûler. Et pas les ailes, loin d’être un ange, de m’en sentir la douceur, l’immaculé. Me brûler les doigts surtout, le coeur, bien assurément. Pourtant je restais, je ne bougeais pas, j’entrais dans le jeu, dans la danse comme une seconde nature, profitant de quelques minutes de calme pour recharger l’énergie, pour adoucir les idées. Je ne me souvenais plus de la dernière soirée que je n’avais pas passée à l’hôpital, ou tout simplement à la maison. Ce rôle que j’arrivais à maîtriser jadis, ce rôle qu’on m’avait refilé au premier plan à Londres et que depuis 6 ans je peaufinais, tentant de mettre en berne tout le reste, m’appliquant à me comporter comme je le devais, comme on me l’avait fortement recommandé. La tête en veille, les sentiments au placard, autant Bailey qu’Ezra avaient eu droit à une Ginny qui ne pense qu’à la prochaine action, qui ne s’accorde pas une parole de trop, un geste de moins. En mode réaction, la réflexion qui prend le large. Et assurément, c’était cet éloignement qui lui faisait gagner en distraction - isolé de toutes mes erreurs, ne jugeant rien, ne connaissant rien que ce que je laissais voir, autant à lui qu’à sa soeur. Ben ne demande pas, il n’impose pas, il n’accuse pas, il est simplement là, passe le temps, rit un brin, revient à ce qui compte, au moment présent. À lui par le fait même. Et le concours apporte une autre dimension à la soirée, une improbable, une connerie qui promet de ne jamais arriver, mais qui vend tout de même du rêve. Autant y aller à fond dans le caricatural, autant discuter de ses Disney favoris plutôt que de mon mal-être, autant me cacher derrière des questions ciblant des enfants plutôt que de reprendre là où on l’avait laissé avant d’être interrompus. Pression qui se retire doucement le temps de faire défiler la page, qui donne matière aussi à l’éloigner encore plus de ce monde dans lequel j’évolue. Là, tout simplement, l’idée forge une barrière confortable, une séparation tranchée, un univers dans lequel j’étais la p’tite demoiselle impulsive, sans attaches, qui pouvait partir à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, si cela l’amenait là où Mickey était roi. Aussi ridicule que cela puisse paraître, l’alléchant aurait raison de mes quelques dernières gorgées de bière, et terminerait le tout sur une note amusante, excusant mon absence comme je l’avais prévue plus tôt. Pourquoi tu veux le garder loin de tout, justement? La question résonne, bien sûr sans trouver de réponse, l’évidence voulant que ce n’est que pour un soir, que pour une fois, et que la possibilité de se revoir à Orlando me paraît si absurde qu’elle m’empêcherait de laisser de faux espoirs, s’il m’en reste la force. Il amène Flynn sur le jeu maintenant, me corrigeant sur mon Peter Pan sorti tout seul, déduit trop vite. Je lève la tête de l’écran, détaille ses traits, ses yeux, sa mâchoire, première fois vraiment que je m’arrête pour le regarder, sous un prétexte idiot, mais un prétexte qui couvre le reste, qui camoufle. Il jouerait le rôle à la perfection, l’habit en plus, certainement. Réalisant que j’y suis depuis plus longtemps que je ne devrais, j’excuse, je blague « J’espère que tu sais aussi bien maîtriser l’art du sourcil actif que lui. » Ben laisse le geste confirmer mes paroles alors qu’il hausse un sourcil puis l’autre, m’arrachant un rire de gamine supplémentaire. Pour moi, Beauty s’impose, et pas pour les raisons mignonnes, celles qu’on pense tout de suite en la voyant. Les livres, déjà, mais c’est surtout dans son air ailleurs, son isolement et ses silences incertains que je me retrouve. En espérant qu’il n’y voit pas une autre pédante prétextant être le genre de fille mystérieuse qui voit au-delà des apparences - wait, pourquoi tu te demandes ce qu’il en pense, déjà? Hop, je saute à la question suivante sans plus de précisions, rigole sur ma fausse badassitude et… et laisse une partie de ma vie, la vraie, tiquer au sol. L’alliance, la révélation, aucune surprise ici si je me fie à l’expression qu’il renvoie, pas étonné, par outré. Il s’attendait sûrement à devoir dealer avec la suite, à pouvoir l’éviter surtout, ce que je lui offre, sur une plateau d’argent, fuite parfaite en lui annonçant que le reste sera probablement moins léger que nos débuts à saveurs de nachos, de Pokémons et de blagues d'initiés. Je jure, complètement confiante, qu’il s’excusera à la fin de ma première phrase. Qu’il prétextera un appel, qu’il ira à la salle de bain pour s’enfuir par la fenêtre, qu’il essuiera mon refus d’un sourire avant de tourner son tabouret vers là où l’action se situe, mais c’était bien mal le connaître apparemment. Je ne lui en aurais pas voulu, limite, j’aurais préféré, cela m’évitant d’aller un peu trop loin, un peu trop fort sur mes propres sentiments brouillés, sur ma culpabilité qui refait surface le plus naturellement du monde, entraînée. Mais il ne dit rien. Pas un mot, silence complet, m’encourageant même à poursuivre, à vider ce qui reste, à ne pas en laisser une goutte, à déballer la totale. Rassurée, je m'exécute, surprise de la facilité qu’il a à m’aider à travers tout ça sans rien faire de différent - pourtant, je n’ai pas l’impression de l'assommer avec mes remontrances, je ne sens pas de dégoût, d’ennui, d’emmerdement de sa part devant ma vie que j’élabore sans qu’il n’ait rien demandé de plus qu’un peu de chaleur humaine. Si secrète habituellement, la sensation est très étrange de lui en dire autant, pas tout, bien évidemment, mais de s’ouvrir sans retenir ce qui sort, sans le tourner dans tous les sens, sans le remettre en question. Comme si je voulais faire les choses bien, comme si je voulais le convaincre de quelque chose, me convaincre moi-même au passage. L’inspiration profonde qui suit ma tirade me donne la confiance nécessaire pour lui tendre la main, prête à prendre le fait qu’il soit resté comme un bon signe, comme le début de quelque chose de doux, de pas compliqué, bien loin de ce qu’il voulait à la base, bien mieux que ce à quoi moi, je m’attendais. Mes iris toujours accrochés aux siens, je sens par contre une petite brèche, une réflexion, probablement Ben qui repasse tout ce que je viens de lui déblatérer et qui pèse le pour et le contre. C’est cool, c’est ok, je peux attendre, je ne fais que ça, attendre. Ça me plait, ça me calme. Et puis, il ouvre la bouche, et il rebondit sur la blague de Kokiri, et il annonce ses couleurs. Un sourire fin vient caresser mes lèvres, le friendzoning qui tatoue ma peau depuis aussi loin que je me souvienne. À quoi est-ce que je m’attendais, de toute façon? Des amis, il devait en avoir à la tonne. Une de plus, dans le genre compliquée, difficile, effacée, c’était pas aussi alléchant que ça pouvait le paraître, quand on ne fait que déconner et ne pas voir plus loin. Je m’y sens à l’aise pourtant, retour à la case départ, à ce que je connais, Ginny qui doucement est reléguée à la place de bonne pote, Ginny et son charisme manquant, Ginny qui ne laisse aucune chance à quoi que ce soit de se construire, de toute manière. L’amour et l’affection étant deux concepts qui me semblaient si lointains depuis beaucoup trop longtemps. « Et puis il y a une pizzeria vraiment top tout près de la 4e et d’Hashler... » je reprends leurs propres mots, bonne joueuse. « Vous y arrêterez en chemin le temps de la distraire, ça devrait l’empêcher de réaliser l’erreur trop vite. » je retrouve doucement contenance, épuisée par mon trop plein de sincérité. Un regard empli de soulagement, teinté d’une touche de nostalgie aussi, de déception, plus tard et je me dis que c’était bien. C’était court, mais c’était exactement ce dont j’avais besoin. À plus tard Benjamin, merci pour tout. La main qui s’apprête à demander l’addition, Ben s’assure de la redescendre, y enlaçant ses doigts aux miens pour la peine. Je sursaute, bien sûr, incapable de voir là où j’ai manqué un bout, là où je n’ai pas interprété correctement la suite. Et sans douter, c’est lui qui prend maintenant la parole. Attentive, interdite, je laisse le contact passer, ce petit geste anodin ne m’effrayant pas, au contraire. Je n’y vois pas de charme comme plus tôt, pas de drague abusive - simplement un support, un soutien, de la douceur, un toucher qui me met à l’aise, tout sauf déplacé. Et il me rassure. Aucun engagement, aucune pression, aucune attache. Ses mots sont bien choisis, simples, sans artifices. Il se catégorise comme le mec pas sérieux, et alors que lui le diminue, le voit comme un type qu’on prend, puis qu’on jette, je me surprends à le remercier en silence d’être ce genre-là. En quelques minutes, en quelques mots il a su me calmer, il a su faire beaucoup plus avec si peu, souffler sans en souffrir. Son discours à lui tourne tranquillement autour de moi, et c’est probablement ce qui fait que je reste scotchée à ses lèvres, incapable de regarder, de penser à ailleurs. Ben me force à réfléchir, à me demander comment moi je vais, ce que j’en pense, au fond. Après n’avoir pensé qu’à Noah, qu’au mari, qu’à l’ex, qu’au frère, qu’à la famille, voilà qu’il me force sans vraiment le savoir à penser à moi. Étrange sensation compte tenu du fait que je me suis mise volontairement de côté depuis très, très longtemps. Même sans le vouloir, on m’a dicté quoi faire depuis la naissance de mon fils, on m’a prise par la main, on m’a protégée, on m’a montré le bon chemin, sécuritaire. Et voilà que lui, simple inconnu, nouvelle tête, me redonne mon pouvoir, mon contrôle, s’intéresse à ce que je pense, à ce dont j’ai besoin. Lâcher prise résonne, fait écho, trouve ancrage. Me fait promesse aussi, de jours meilleurs. Le shot suit et je roule bien malgré moi des yeux, réalisant que je ne m’en sortirai pas, pas sous sa surveillance en tout cas. « Si lâcher prise veut aussi dire être malade dans les toilettes, je compte sur toi pas seulement pour me vider la tête, mais aussi pour me tenir les cheveux. » que je laisse glisser, résolue, un peu plus légère aussi. Comment arrivait-il à faire ça si simplement? Ben trouve réponse à mon interrogation lorsqu’il s’épanche sur son boulot et je comprends un peu mieux sa facilité, ce quotidien qui doit être tout sauf simple à gérer, mais qu’il explique d’un naturel qui me garde avide d’en savoir plus. D’en comprendre plus surtout. Quelques bribes plus tard et ce ton professionnel me relaxe, m’adoucit. Il est bien loin de l’accusation, du dramatique, de la lourdeur et face aux cas qu’il doit régler à tous les jours mes tracas me semblent bien minimes, bien légers, insignifiants. Il n’en porte pas moins d’intérêt, alors qu’il précise qu’il peut tout entendre. Marquant un mémo entre deux pensées qui filent, je me promets de lui demander sa facture à la fin de la soirée, puisqu’à ce rythme il risque de me convaincre un peu trop facilement d’en dire plus, d’en dire trop. Simplement pour tester cette réputation de bonne oreille qu’il se donne lui-même, soyons clairs. À moins que je sache pertinemment, au fond de moi, depuis plus longtemps que je ne l’avouerai, qu’il pourrait être d’une bonne aide, qu’il pourrait vraiment m’épauler, qu’il arriverait très rapidement à trouver un point positif, à me faire rire, à rendre la confession plus facile, plus concrète aussi. Mais je me retiens, je me fais violence, me convainquant que oui, malgré tout, mon fardeau reste le mien et pas celui d’un autre, surtout pas. La simple idée de le savoir là me suffit, j’en tirerai moi-même mes propres conclusions plus tard. Le voilà qui conclut avec ce fameux pirate, ses envies de défendre et de… hen? Il parle de bataille, il s’arrête, il respire, et il insiste sur ce mot. Trésor. Mes doigts se resserrent sur les siens instinctivement et je mets plusieurs secondes à réaliser le geste, occupée à répéter encore et encore cette phrase, tentant de toutes mes forces d’y voir une faille, une mauvaise intention, un coup bien lourd qu’il a asséné pour tenter de conclure de la façon la plus sale et la plus cheesy qui soit. Je cherche le jeu à travers ses pupilles, je cherche le faux, je m’applique à retenir mon souffle, à rester alerte au moindre rictus hypocrite, mais rien. Je ne trouve rien. J’espère ne rien trouver, aussi. J’ai envie de croire qu’il dit vrai, j’espère qu’il dit vrai, je veux, qu’il dise vrai. Encore cette foutue impression de pouvoir lâcher prise, d’en avoir la force, le droit, devant sa propre conclusion, à savoir comment il réussit à y voir une fin, une lumière, sans rien connaître du merdier dans lequel il vient de se foutre à pieds joints. Un allié, voilà ce dont j’ai besoin. Voilà ce que je veux surtout, de lui. Un égal. Il est passé du stade de flirt sans lendemain à l’équipier, celui qui appui, celui qui soulève. Et il poursuit. Mon silence ne lui fait pas peur, ne l’arrête pas. Cette confiance, cette petite phrase surtout, et cette vérité. Dure, douce, claire, ambiante. Je t’aime bien. Tu es différente. Je suis mal, affreusement mal. Parce qu’il dit ce qu’il ne devrait pas dire, et parce que je le laisse faire. Parce que je reste muette, que je ne l’arrête pas, que je l'entends, que je l'accepte, et qu’il s’avance un peu trop à mon goût. Je fusionne avec le siège, mais je ne le lâche pas des yeux, je ne me défile pas. Déclaration pas particulièrement assumée, et encore une fois sans la moindre ombre de pression de sa part, pourtant, ce mot, et même son sens à la légère m’a toujours terrifié. Dans sa bouche, il roule sans rien attendre en retour, sans rien me demander, sans rien m’imposer, synonyme de soutien, rien que pour adoucir son propos probablement, et déjà c’est ce qui me permet de retrouver un peu de constance. Mais les mots sont là, ils restent, et je m’y attarde plus que je ne le devrais. Puis il y a la différence. Si toute ma vie cela avait été une malédiction, une outcast face aux autres, voilà qu’il le soulignait comme quelque chose de positif, de bien, de mieux. Je veux le remercier, pour tout et pour rien, mais je suis clouée, complètement assommée, et surtout, je veux absorber. La facilité dont il a désamorcé cette bombe que je transporte depuis trop longtemps… je refuse d’intervenir et de gâcher quoi que ce soit, je préfère et de loin vivre juste ça, tout ça. Et reprendre mes esprits au passage. Ce qu'il comprend alors que je n'ajoute rien de plus. Le moment passe finalement, l’intensité qui n’en finit plus de redescendre, et les sons ambiants recommencent à se faire une place vers mes tympans, les mouvements reprennent vie autour de nous. Moi, je me dis bêtement que ce soir, je n’ai besoin que de ça. Nous deux contre tout le reste, peu importe ce que ça signifie. Il sait que je ne peux rien lui offrir de plus, il sait que je n’en ai pas la force et pourtant il reste, il ne bouge pas, il n’a même pas l’air de s’en déranger, pas un pli. Si seulement il pouvait partager un peu, si seulement il arrivait à me donner une touche, fine, infime de ce calme qui le caractérisait, je sais, je sais que ça irait mieux. La main de Benjamin finit par quitter la mienne, il se replace, je fais de même et le souvenir de ce qui vient de se passer se glisse doucement là où ça compte. C’est bien, marquer la fin pour passer à autre chose. C’était assez de sentiments, assez de sérieux pour un soir, suffisamment du moins. Retour au Ben marrant, celui qui a su si rapidement me détendre à mon arrivée. De nouveaux verres finissent par se déposer devant nous, et je sursaute. Ma résolution de quitter après une pinte est déjà bien loin derrière, alors que je consens à une soirée hors du temps. Un coup d’oeil vers la bière à nouveau pleine et je réalise que c’est ici que je dois être, que tout me semble là, et quand ça devrait l’être. Drôle d’impression. Comme s’il avait entendu ma dernière demande, voilà qu’il relance la conversation avec une blague à double sens dont lui seul connaît le secret, et j’éclate devant la stupidité de la chose. Soulagée, à ma place, j’en profite pour approcher le verre de mes lèvres, faussement sur mes gardes. « J’ai vu vos petits regards en coin, au barman et à toi. D’après moi le premier verre était pour me rassurer… et si mon feeling est bon, celui-là doit être assaisonné au GHB. » force est d’admettre que j’avais de la suite dans les idées. Une gorgée de houblon plus tard et nous avons retrouvé nos bonnes habitudes, les épaules moins tendues. Je réalise aussi sur le tard qu’il n’est pas parti, qu’il est resté, avec tout ce que ça implique. Une jolie chaleur caresse mes joues maintenant qu’il en remet avec un nouveau contact, sa propre présentation, celle qu’il avait si habilement évitée un peu plus tôt. Mine de rien, sa vie semble elle aussi plutôt compliquée, et si je tique bien évidemment au sujet de la fameuse mère disparue, c’est sa finale qui m’arrache un rire supplémentaire. « C’est bien mal me connaître de croire que j’aurai besoin qu’on me laisse gagner à Mario Kart. T’es averti, jeune homme. » l’air de défi se dessine doucement, et s’accentue alors qu’il reprend là où on avait laissé Disney et le fameux concours. Ouais, allez, on le fait. Qu’est-ce qu’il y avait de pire derrière ça, de toute façon? Le coeur d’enfant me semble un bon moyen de remettre le truc, et je réponds, tout naturellement « Oh ça c’est facile. Tout le mérite va à Noah, mon fils. Mais pas comme tu peux penser hen, rien de bien cliché, du type À cause de lui je vois la vie à travers son regard… je te dirais que je vois la vie à travers ses Legos avec lesquels je joue trop souvent, ou les cookies que je lui subtilise sans qu’il s’en rende compte. » mauvaise, mauvaise mère. La vérité, c’était que je n’avais jamais vraiment joué d’autorité avec Noah - l’âge où je l’avais eu pesait beaucoup sur la balance, et quand cela était à propos, on avait une relation beaucoup plus d’égal à égal que de mère à fils. Jamais je ne me serais résolue à le débiliser d'une quelconque façon. Benjamin y va de sa propre explication, et passe de suite à la prochaine question que je lis par-dessus son épaule. On y demande pourquoi Disney, tout simplement. Ça, je sais, c’est facile, instinctif. « Parce que j’en rêve depuis que je suis toute petite, que je l’ai bien haut dans la liste des endroits à visiter, que je connais probablement tous les parcs par coeur, que je pourrais chanter toutes les chansons qui accompagnent la parade, parce que j’imagine le château comme la consécration, parce que… je prends ça un peu trop à coeur, je crois. C’est bon, t’as tout noté? » rire nerveux en prime, je réalise que trop tard mon engouement, mais voilà que ça ne me dérange pas, si c’est de Disney dont on parle. Chacun ses combats, ses priorités. La mienne était bien claire. La prochaine question et non la moindre tourne autour de l’attraction qu’on souhaite le plus faire et nécessite que Ben passe sur le programme entier pour que nous puissions avoir l’étendue complète du truc. Je cache à peine mon entrain, détaillant le tout avec avidité. « Le camp d’entraînement pour Jedi a l’air complètement fou… mais il y a la croisière dans la jungle aussi… et Ben! Il y a un parcours pour pirates! » mes yeux qui parcouraient l’écran s’accrochent direct au titre du manège qui semble tout indiqué pour mon acolyte et sa vocation bien assumée. Dernière question et non la moindre, avec qui. La réponse s’impose d’elle-même, et je lève la tête pour croiser son regard rieur. « Quatre? Je suis persuadée que Noah serait au summum de sa petite vie d’y aller… puis on aura besoin de ton propre gamin pour nous gérer, lui qui apparemment est si mature pour son âge. » clin d’oeil qui suit, qui confirme que je suis ok avec l’idée, aussi farfelue soit-elle. La possibilité de gagner étant encore une fois si loin de moi que je ne pense pas aux détails et à la possible 5e personne qui devra venir, infirmière attitrée, question de m’assurer que Noah soit en sécurité tout au long du voyage. Ben prend une pause le temps d’une gorgée, et j’en profite pour envoyer le formulaire le sourire aux lèvres, amusée, au cas où. Regard échangé, complicité qui se crée doucement, qui se solidifie surtout. La soirée qui coule, et le plan qui change un brin lorsqu’on entend une guitare se faire gratter au fond du pub, signe que le band acoustique qu’on voit affiché sur le mur de l’entrée fera son entrée sous peu. Musique d’ambiance que le barman nous précise, rien de bien glorieux, juste pour mettre un peu de son à travers les conversations qui se raccourcissent au rythme de la soirée qui s’allonge. Je fais signe à Benjamin qu’une banquette à quelques mètres vient de se libérer par miracle, ce qui m’arrange puisque le bar commence à être un peu plus bruyant, trop à mon sens. Sans grande cérémonie je me lève et il me suit, pour finir par aller nous installer dans un coin un peu plus près de la pseudo scène, mais surtout plus loin de là où l’action commençait à prendre des niveaux un peu trop intenses à mon goût. J’étais sauvage au fond, j’avais besoin de bribes de calme pour garder contenance. Allez savoir. Ben lui, profite de son nouveau siège pour s’en donner à coeur joie et laisse son corps s’y effondrer. Les coussins auront tôt fait de remplacer le bois dur des tabourets qui nous ont soutenus trop longtemps, et je rigole face à sa manière tout sauf gracieuse de se mettre à l’aise. Genoux qui se touchent, bras qui se rapprochent, et je m’entends à retardement ajouter cette petite, toute petite phrase que je regrette autant que j’assume. « Tu seras le premier à savoir… quand tout sera réglé de mon côté. » il n’a pas le temps de rien ajouter que déjà les premières mélodies emplissent le bar, sauvée par la musique. Un silence au potentiel confortable s’installe entre nous, même si je sais que j’ai été trop loin, trop vite. La blague vient de nouveau se glisser comme diversion, et je me penche dans sa direction, curieuse. « Ils ont A Whole New World dans leur répertoire, tu crois? »