Joanne aurait préféré qu'il ne lève même pas le regard. Elle aurait voulu qu'il l'ignore de bout en bout au lieu de la fixer un bref instant avec ces yeux verts, alors qu'il faisait pénétrer une femme dans son véhicule. Il n'avait pas la moindre idée de la douleur qu'il lui avait infligé par ce simple contact visuel. Peut-être qu'il faisait ça de manière volontaire, lui faire comprendre que lui passait à autre chose. A moins qu'il ne voulait la rendre jalouse, lui briser le coeur une nouvelle fois, comme si tous les mois précédents n'avaient pas suffi, depuis le jour de leur rupture. Depuis, Joanne refusait ses appels, ne répondait pas à ses messages. A vrai dire, elle ne voulait entendre parler de personne pendant ces quelques jours, ne pas trop donner de signe de vie afin qu'on lui fiche la paix. Daniel, lui, était bien heureux. Il avait sa mère rien que pour elle. La jeune femme avait uniquement informé Wesley qu'elle ne se rendrait pas à son cours de danse du jour. Et en parallèle, elle continuait de consulter les sites des musées de Brisbane. Joanne n'arrêtait pas de penser à ce que la mannequin avait dit, qu'il valait mieux pour tout le monde qu'elle retourne à sa petite vie, qu'elle n'avait jamais eu sa place durant les soirées mondaines. Au fond, jalouse ou pas, Mina avait certainement raison. Le Queenland Museum était un endroit qui donnait énormément envie, mais elle attendait toujours une réponse de leur part. Si une quelconque réponse positive venait à lui être transmise, Joanne ne se fera pas prier pour quitter son poste de directrice à son tour. Si Jamie voulait couper les ponts, alors c'était ce qu'elle allait faire. La jeune femme n'avait pas touché à sa boîte mail professionnelle depuis qu'elle avait reçu les lettres de démission; elle craignait en voir d'autres arriver avec d'autres mauvaises nouvelles à la clé. Joanne voyait certainement déjà les choses en grand, mais elle avait eu ses parents au téléphone, et leur avait demandé quelles seraient leur disponibilité pour garder Daniel, elle s'était déjà renseignée des frais auprès de la crèche. Bien sûr, si elle retrouvait son ancien travail, l'angoisse de séparation allait être réelle, autant pour la mère que pour l'enfant. Mais Joanne ne se voyait plus avoir l'obligation d'assister à certaines soirées à cause de son titre, à croiser des visages qu'elle ne voulait plus véritablement voir. Retomber dans l'anonymat, qu'on la laisse tranquille. Elle s'était déjà dit qu'elle pourrait faire pareil, uniquement pour faire réagir Jamie, voir ce qu'il dirait s'il savait qu'elle avait eu l'occasion d'avoir plusieurs partenaires sexuels en une semaine. Mais ça allait bien au-delà de ses principes, et elle ne pouvait pas. Les contacts de ce genre lui étaient impossibles en dehors d'une relation amoureuse. Elle ne se voyait pas coucher avec des inconnus juste pour le sexe, c'était inconcevable pour elle. Joanne voyait l'écran de son téléphone s'allumer régulièrement. Ele n'en avait cure. La petite blonde ressentait pourtant le besoin de hurler tout ce qu'elle avait sur le coeur, mais elle ne voyait pas à qui. Pas même à Wesley. Plongée dans ses pensées, elle sursauta vivement lorsque la sonnette de la maison retentit. Elle espérait que Daniel ne se réveillait pas de sa sieste, il s'était endormi assez tard dans l'après-midi. Elle s'approche de la porte avec nonchalance, et c'était sans grande surprise que Jamie était là. Elle était tout de même surprise de le voir sortir si tôt du travail, mais qu'importe. Ce n'était plus ses affaires. "Bonjour." dit-elle tout bas, uniquement par politesse. Joanne ne lui adressait même pas un sourire. Elle n'en avait pas la force, le sommeil lui manquant beaucoup ces derniers temps. "Daniel est encore au lit. Il s'est endormi tard, il a eu une grosse poussée de fièvre en début d'après-midi, ça le dérangeait." Et le petit avec l'une des joues particulièrement rouge, il était facile de deviner que c'était une dent qui poussait et qui lui faisait également mal. "Peut-être que tu devrais repasser d'ici une heure ou deux." suggéra-t-elle. Il n'avait certainement pas envie de converser avec elle, elle n'en avait pas le coeur. Sa salle à manger était assez mal rangé. Joanne s'était occupée ces derniers temps à mettre à jour son CV, à chercher les opportunités. Son ordinateurs étaient là, au milieu de feuilles de post-is sur lesquels elle avait notait des adresses mails ou des numéros de téléphone. En dehors de ça, sa maison était toujours impeccablement rangé, il fallait bien qu'elle trouve d'autres choses pour s'occuper. Et elle pensait beaucoup trop, comme d'habitude. Mais son esprit était bien plus vif et motivé à se torturer durant la nuit, ce qui lui causait quelques insomnies.
Now those were the days before you had to go away. Now I'm dancing by myself out in the rain. Now it's getting rather cold, and I just wanted you to know that if my dreams will ever be, will you come dancing next to me.
Ça y est, ma concentration se fait la belle. Mon cerveau est trop englué pour me laisser penser. La tête dans les mains, je force mes neurones à pédaler comme des roues enlisées dans la boue. Rien n'y fait. Et un barrage se forme entre moi et ma colère dès que je songe à m’énerver contre l’atonie de mes pensées, qui s'étend aux sensations, aux émotions. C'est la ponction qui me rend docile, l'anesthésie de tous ces nerfs fébriles qui menacent de s'embraser. Et petit à petit mes propres mains prennent des allures de mirage. Assommé, je me traîne jusqu'au canapé de mon bureau et m’allonge un moment. Quoique cela me donne l'angoissante impression d'attendre la mort. Il me fait toujours peu de temps pour m'assoupir. Je me réveille une petite demi-heure plus tard. Rien ne sert de s’acharner, la journée est terminée pour moi. Je réunis les affaires et frappe à la porte de mon collègue pour lui confier la machine jusqu'à demain, prétextant un rendez-vous extérieur. Puis je quitte les locaux avec un peu de soulagement ; depuis que j'ai réalisé qu'il m'est possible de partir, les journées chez ABC me semblent de moins en moins supportables. Finalement, il me tarde de tourner cette page aussi. Prendre le volant n’est peut-être pas ce qu'il y a de plus prudent, mais le risque ne me frôle pas l'esprit jusqu'à ce que je pile à ce feu rouge qui semble apparu de nulle part. Je profite de l'arrêt pour appeler le médecin et réclamer un rendez-vous rapidement ; il n’est pas question que cet état dure. Il doit y faire quelque chose. Qu’importe, quelque chose. L’appel suivant est pour Joanne, mais comme à chaque fois depuis le gala, elle ne décroche pas. La jeune femme fait la morte et c’est particulièrement frustrant. J’ai supposé qu’elle avait besoin d’être tranquille suite à la soirée à la galerie, mais plus le temps passe, plus j’ai l’impression qu’elle me fait payer son altercation avec Mina, faute de pouvoir se venger directement sur la mannequin. Elle m’oblige à passer à l’improviste et peut-être me retrouver face à la porte d’une maison vide, pris pour un idiot jusqu’au bout. Heureusement, lorsque je sonne, la jeune femme daigne m’ouvrir, les traits armés d’impassibilité. “Je ne serais pas passé pour rien si tu daignais répondre à mes messages. Ce n’est pas plaisant de devoir m'imposer de la sorte tu sais.” Ou qu’elle puisse penser que je n’ai que ça à faire de revenir dans deux heures. “Tu as perdu ton téléphone ?” je demande à tout hasard, laissant le bénéfice du doute à la petite blonde. Néanmoins, je doute que ce soit la raison de son silence radio. Quoi qu’il en soit, je ne compte pas m’amuser à repartir pour revenir plus tard, je ne serai pas sous sa botte à ce point. Je soupire et croise les bras, le regard dur laissant présager une conversation des plus déplaisantes –comme toutes celles qui débutent par “je crois qu'il faut qu'on parle”. Nous avons deux heures devant nous après tout, c’est amplement suffisant pour mettre la situation à plat et couper court aux dérives qui tendent à s’installer. Que les choses soient claires sur ce qui sera toléré et ce qui ne le sera pas. Qu’importe si Joanne ne m’invite pas à entrer, nous parlerons sur le palier s’il le faut. “Je ne suis pas responsable des horreurs que peut dire Mina et je ne peux pas l'empêcher de dire ce qu'elle pense, elle ne m'écoute pas et rien ne l’oblige à le faire. Je ne suis pas responsable de la manière dont ta soirée a tourné et crois-le ou non, j’en suis désolé.” La mienne s’est finalement plutôt bien conclue, ce dont elle doit se douter, mais elle ne peut pas non plus me le reprocher. “Et si tu décides de me faire la guerre parce que j'essaye de passer à autre chose, eh bien, c'est injuste. J'en ai le droit. Je ne vais pas me laisser stagner pendant un temps qui sera assez long à tes yeux pour qu'il te paraisse acceptable que j'aille voir ailleurs. Je suis fatigué de me sentir seul et triste, et je ne veux pas rester dans cet état. Je dois faire face à bien assez d’épreuves comme ça.” Me réadapter à mon traitement n’en est qu’une de plus sur une longue liste, mais pas des moindres. La lassitude, l’atonie, l’apathie sont insupportables. Même à cet instant il n’y a pas de nom pour ce que je ressens, cette somnolence des sentiments. Mais je m’y plie pour Daniel, je ne demande que le droit d’être un père pour lui. “Je t'ai laissée partir parce que c'était ce qu'il y avait de mieux à faire, et tu vas mieux depuis. Tu as l'air bien plus heureuse comme ça. Alors laisse moi partir aussi.”
Joanne ne regrettait certainement pas d'avoir ignoré la plupart des messages et des appels de son téléphone portable. Et ce n'était certainement pas la présence de Jamie devant son entrée qui allait lui faire changer d'avis. Malheureusement pour lui, le petit dormais profondément et elle avait préféré lui suggérer de repasser plus tard s'il voulait vraiment passer du temps avec son fils. Histoire de limiter la moindre conversation avec elle. La jeune femme soupira lorsqu'il demandait si elle avait perdu son téléphone. Il devrait savoir qu'elle aurait cherché à le prévenir différemment s'il était arrivé quoi que ce soit à son cellulaire. "Non, je ne l'ai pas perdu." répondit-elle tout de même, les traits toujours fatigués mais impassibles. Le regard de Jamie était quant à lui bien dur et s'imposa en croisant ses bras et faisant comprendre qu'il était temps de discuter de certains sujets fâcheux. Joanne avait à la fois envie et pas envie de l'entendre aborder ce sujet de discussion. Mais elle voulait savoir quel était son point de vue par rapport à tout ça. Elle ne comptait certainement pas l'inviter à l'intérieur. Elle n'en avait pas l'envie et les voix risquaient de s'élever et donc, de réveiller leur fils. Elle le laissa parler jusqu'au bout, ne manqua pas de souffler ou d'arquer les sourcils d'étonnement. A son tour, elle avait croisé les bras, ne sachant pas vraiment par où commencer. "Vraiment ? J'ai l'air plus heureuse comme ça, Jamie ?" Elle ne savait pas de quelle Joanne il parlait, mais ce n'était certainement pas elle. A moins qu'il ne se soit arrêté qu'à la petite blonde qui souriait devant le portrait d'une Lady qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau. Il se voilait la face, très certainement. Il ne pouvait pas s'arrêter sur ce qu'il voyait les peu de fois où il venait pour passer du temps avec Daniel. "Va voir ailleurs si ça te chante, Mina m'a bien laissée comprendre que tu arrivais bien à passer à autre chose ces derniers temps. Fais ce que tu veux de ta vie sexuelle, vraiment." lui lança-t-elle, les sourcils froncés. Elle ne le pensait pas si volage que ça, mais c'était apparemment un côté de lui qu'elle en connaissait pas. Encore un. "Et moi, combien de temps dois-je attendre pour qu'un autre me fasse sauter au plafond peut-être ? Il va avoir besoin de ton accord ?" Joanne savait pertinemment que si les situations étaient inversées en matière de consolation, les choses seraient bien différentes qu'elle ne l'était. "Je suis contente pour toi que tu parviennes à penser à autre chose, à faire ce que tu veux de ta vie. C'est ce que tu voulais en rompant avec moi, Jamie. Alors ne viens pas me reprocher que je ne te laisse pas d'air pour avancer parce que je ne m'interpose pas dans tes relations. Je te laisse faire, si tu ne l'avais pas remarqué. Je t'ai laissé partir avec cette belle brune l'autre soir." Les traits de son visage se radoucirent. "Mais pourquoi m'as-tu regardé à ce moment là, juste avant que tu ne partes avec elle ? Parce que je te faisais pitié ? Parce que je fumais et que je buvais en même temps ? Parce que j'étais aussi sur le départ ? Parce que tu espérais voir dans mes yeux de la jalousie ?" Jamie s'apitoyait sur son sort et espérait en sortir glorieux. Du moins, c'était ainsi que la petite blonde percevait les choses. "J'aurai franchement préféré que tu ne me lances pas un seul regard quand tu partais, c'est ça qui m'a le plus blessée, Jamie. J'aurais préféré que tu m'ignores et que tu partes avec elle sans avoir même noté ma présence." Les larmes au bord des yeux, Joanne avait senti sa gorge se serrer. "Si tu crois franchement que je vais mieux et que j'ai l'air plus heureuse, tu te fourres bien le doigt dans l'oeil. Je te laisse partir, ne viens pas me dire que je ne le fais pas." Elle passait ses doigts dans ses cheveux et expira longuement. "Si j'ai refusé de prendre n'importe quel appel ou de répondre à n'importe quel message, c'est parce que j'en avais assez. Ce n'est pas qu'à cause de toi. Mais pendant ces quelques jours, je ne voulais pas entendre ce genre de phrases que tu viens de me dire, ni entendre Ewan me dire s'il y avait d'autres démissions ou non, et me rappeler à quel point mes employés me trouvent nul, ou d'avoir des messages de Wes en tentant de me consoler par rapport à ce que Mina m'a dit, ou encore entendre des directeurs de musée me dire qu'il n'y a pas de place, ni de création de poste envisagée." Elle essuya succinctement ses joues. "Tant mieux pour elle si elle me trouve misérable et pitoyable, tant mieux pour les autres s'ils me trouvent nuls ou inutile, je ferai avec. Les soirées mondaines ne sont pas faites pour moi, je l'ai bien compris. Mais pendant ces quelques jours, tout ce que je voulais, c'être avec Daniel. Parce que s'il y a bien une chose que je sache faire sans qu'on puisse me reprocher quoi que ce soit, où personne n'a son mot à dire, c'est quand je suis maman. Daniel, les chiens et moi, c'est tout ce que je voulais. Alors oui, si j'ai refusé de répondre au moindre appel, ce n'était pas qu'à cause de toi. Moi aussi je suis fatiguée, Jamie." Il n'était pas le seul à subir l'ensemble de cette situation. "Et c'est tant mieux pour toi si tu as des amies qui te surprotègent au point de réduire à néant l'origine de toute ta peine. Mina a réussi tout ça sans le moindre effort, avec brio. Tant mieux pour toi si tu arrives à avancer." Il y en avait au moins un des deux qui parvenait à sortir la tête hors de l'eau.
Now those were the days before you had to go away. Now I'm dancing by myself out in the rain. Now it's getting rather cold, and I just wanted you to know that if my dreams will ever be, will you come dancing next to me.
Et nous voilà repartis pour une grande scène de mélodramatisme avec, comme à son habitude, Joanne dans le rôle de la pauvre petite blonde naïve et douce victime des tourments de la vie et de l’injustice de son ex-compagnon. C’est un scénario vu et revu, presque lassant. Son discours me laisse parfaitement désabusé. A vrai dire, je ne sais pas pourquoi je me fatigue encore à lui répondre, cela ne change jamais rien. Son accord pour coucher avec qui il me plaît ? Je n’en ai pas besoin, je m’en suis très bien passé. Son petit numéro à propos de ma possessivité ? Une preuve de plus qu’elle ne comprend rien à rien et s’obstine à voir du mal et des complots où il n’en existe pas. « Tu fais ce que je veux, Joanne. » C’est bien pour cette raison que j’ai rompu. Elle n’a aucune obligation envers moi et je n’en ai aucune envers elle. Entre nous deux, il n’y a plus que Daniel. Le comportement de la jeune femme me le rappelle à chaque fois. Que j’ai rompu pour son bien, elle refuse de l’imprimer. Faire ce qu’il me plaît ne m’a jamais intéressé, je ne me suis toujours battu que pour son bonheur ; le fait est que je suis absolument incapable de le lui donner, que tous mes efforts étaient vains, que je n’étais tout bonnement pas celui qui parviendrait à faire quoi que ce soit de bien pour elle. On dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions, et ce fut le cas pendant toute la durée de notre relation. Aujourd’hui encore, on dirait que ce sacrifice ne fait que du mal. Mais existe-t-il quelque chose sur cette planète qui n’heurte pas Joanne ? Même un regard, tout ce qu’il y a de plus innocent, suffit à la blesser. « Pardon ? Je rêve, tu me reproches de t’avoir simplement remarquée ? Je n’ai fait que noter que tu étais là, rien de plus ! C’aurait pu être toi comme n’importe qui d’autre. » Oui, j’ai eu de la peine pour elle, j’ai bien remarqué la cigarette entre ses doigts, et j’étais désolé qu’elle parte. Je n’ai pas cherché de jalousie dans ses yeux. Elle était là, et j’étais là, rien de plus. Qu’elle ne fasse pas comme si elle aurait été capable de ne pas me voir, même en le voulant. Du reste, le fond sonore manque de violons. Dépité, les épaules basses de l’abandon supportant mon expression lasse, le regard désapprobateur, je subis les complaintes d’une Joanne qui se complaît encore et toujours dans sa victimisation. J’imagine que cela serait plus supportable et m’inspirerait plus de compassion et d’empathie si cela ne faisait pas deux ans que la jeune femme se noie dans chaque foutu verre d’eau avant de me cracher à la figure ma capacité à aller de l’avant comme s’il fallait que j’en ai honte. « Ce n’est pas Mina le problème, tu le sais très bien. N’importe qui est capable de te réduire à néant Joanne, mais personne n’y arrive aussi bien que toi. » C’est pour ainsi dire son plus grand talent. Ruminer, ressasser, radoter et s’enfoncer toute seule dans un trou. « Tu voulais quelques jours de tranquillité pour être misérable dans ton coin ? Il suffisait de le dire. » je reprends en haussant les épaules. C’est son droit après tout, de vouloir un break, et cela se comprend. Je ne l’aurais pas jugée pour avoir besoin d’un moment de solitude. En revanche il n’y a pas de quoi en faire un drame shakespearien en quatre actes. « Mais arrête d’attendre du monde qu’il te comprenne et te prenne par la main malgré toi, et arrête de le lui reprocher quand ce n’est pas le cas. » Joanne ne veut pas d’aide ou de pitié, mais franchement, vous pourriez l’aider et avoir pitié d’elle, non, au lieu de rester là à ne rien faire ? Elle couine comme un chiot qui a peur d’être seul dans le noir, et à ce niveau, ma patience et ma tolérance sont à bout. Je soupire, avec un petit sourire. Finalement, moi aussi j’aurais préféré l’ignorer l’autre soir ; désormais, je me sens idiot d’avoir ressenti ce manque et de m’être senti navré pour elle, même d’avoir eu envie de lui retirer cette cigarette des lèvres –et pourquoi pas la remplacer par les miennes. « Tu sais, parfois tu me manques. Parfois je suis tenté de venir ici et implorer qu’on oublie tout ça, qu’on revienne en arrière et qu’on cesse de se faire du mal. Et parfois je suis tellement heureux d’en avoir terminé avec toi. » Et le reste du temps, je n’arrive pas à savoir si je veux continuer de l’aimer ou de la détester, s’il est plus simple d’essayer de rester un peu à ses côtés ou de n’en avoir rien à faire, je ne sais pas, et Joanne tire mon cœur d’un côté et de l’autre sans cesse jusqu’à en déchirer un bout. « Peut-être que te faire sauter ne te ferait pas de mal. » je lance, et je le regretterai sûrement plus tard. Dans une minute. Dans la seconde. Est-ce que je viens vraiment d’articuler ça ? Bon dieu… « Je reviendrai dans deux heures. » dis-je en prenant la fuite, direction ma voiture.
Oui, elle lui reprochait de l'avoir remarqué, en somme. Elle ne voulait pas de cette paire d'yeux verts rivés sur elle. Même si ce n'était pas fait exprès, que ce n'était que le pur fruit du hasard qu'il l'ait regardé elle et pas le groupe de fumeurs derrière, ni même la lune ou les magnifiques illuminations du musée. Il savait combien elle ne croyait pas au hasard et qu'au fond, tout était lié. Sur le moment, elle avait juste envie de fumer une cigarette devant ses yeux, en le défiant du regard, rien que pour le mettre en colère. Qu'il sorte de ses gonds malgré la médication. Elle le détestait tellement, sur le moment. Il l'écoutait avec une lassitude certaine, comme s'il avait déjà entendu et réécouté son récit des dizaines de fois. Il s'apitoyait, alors elle comptait bien faire la même chose. Qu'il ne croit pas être le seul malheureux dans l'histoire, il n'était pas le seul à en baver à cause des conséquences de tout ce qui s'était passé. Elle n'aimait pas les fréquentations de Jamie comme elle n'aimait pas s'imaginer s'il accueillait une femme différente tous les soirs dans son lit. Impossible de ne pas y penser maintenant qu'elle savait que monsieur allait se consoler avec toutes les mannequins qu'il avait sous la main. Jamie prenait la défense de son amie, répétant à son ex avec plaisir que le problème n'était autre que Joanne, et uniquement Joanne. "Oh oui, c'est vrai, j'avais oublié que le comportement de Mina est parfaitement irréprochable, blanche comme neige." rétorqua-t-elle d'un air mauvais. Elle savait que son esprit lui jouait constamment des tours, que pour elle, il n'y avait que complots et mutineries. Un soupçon de paranoïa né de son divorce avec Hassan. Le beau brun finit par sourire, et Joanne l'avait regardé avec une totale incompréhension. Pourquoi venait-il à sourire durant une telle querelle ? Voilà qu'il venait lui dire qu'il lui manquait, qu'il voulait oublier ces derniers mois pour reprendre leur relation. Jusqu'à ce qu'il vienne à la chute de son discours, exprimant son soulagement de ne plus être avec elle. Joanne acquiesça d'un signe de tête, faisant signe qu'elle avait bien entendu. Par contre, elle ne s'attendait certainement pas à la remarque qu'il sortait quelques minutes plus tard, sans la moindre gêne. Joanne n'en revenait tellement pas qu'elle ne parvenait pas à dire quoi que ce soit. Elle était à la fois choquée, outrée, être très en colère contre lui. Et puis elle se demandait si par là, il entendait qu'elle aille coucher avec un autre, ou si elle devait se faire sauter pour qu'elle soit définitivement rayée de la carte. Dans les deux cas, c'était incroyablement blessant. Elle n'avait toujours pas les mots lorsqu'il disait repasser d'ici deux heures pour voir Daniel. Elle avait envie de lui hurler dessus, de l'insulter de tous les noms possibles. Mais à la place, des larmes de rage coulaient le long de ses joues. Joanne le haïssait tant. Elle avait tellement envie de le mettre en colère, de le mettre hors de lui au possible. "T'es qu'un enfoiré." dit-elle tout bas, en le regardant rentrer dans sa voiture. Elle n'avait pas eu le temps de lui dire qu'elle ne voulait plus le voir désormais, qu'elle ne voulait plus qu'il vienne jusqu'à Toowong. Il la traiterait de tous les noms aussi, eh oui, il ne pourrait plus voir Daniel, mais qu'importe. Elle, elle ne voulait plus le revoir, plus jamais. Joanne ferma la porte, et retrouva le calme de sa maison. Il serait bien irresponsable de boire de sa part, et ça ne lui ressemblait absolument pas, mais ce n'était pas l'envie qui manquait. Son esprit bouillonnait, elle le haïssait tant. Joanne n'eut que très peu de temps pour retrouver contenance, car Daniel se réveillait de sa sieste, et lui n'avait rien à subir de tout ça. L'avantage, c'est qu'avec lui, elle parvenait à tout oublier. Elle jouait avec lui, lui raconter des histoires, lui montrait comment caresser les chiens. Jusqu'à ce qu'elle entende la sonnette retentit, et elle perdait tout sourire. Joanne se trouvait cruelle de ne pas vouloir ouvrir et le laisser voir leur fils. En ouvrant la porte, elle ne lui adressa pas un seul regard, pas un seul mot. Elle le laissait entrer et se contenta de dire. Son dîner est dans le frigo, tu sais où se trouve le reste." Joanne savait qu'il ne ferait pas de mal à Daniel et que tout ce que Jamie voulait, c'était de passer du temps avec lui. C'est pourquoi elle montait à l'étage pour aller dans sa chambre. Elle ne voulait même plus prétendre faire autre chose en le surveillant, elle avait laissé sa table de la salle à manger en désordre, n'ayant aucunement rangé la paperasse pour ses recherches d'emploi alors qu'elle n'avait même pas encore quitté sa place dans la fondation. Joanne avait pris un livre avec elle, mais elle ne parvenait pas à se concentrer suffisamment pour comprendre ce qu'elle lisait. Pendant tout ce temps, elle restait installée sur son lit, ou elle faisait les cent pas de sa chambre, à faire ce qu'elle savait le mieux faire : ressasser au moindre mot qu'il avait prononcé. De rage, elle avait envie d'exécuter à la lettre son si bon conseil, qu'importe tout ce qu'il sous-entendait en disant cela. Il avait vite regretté ses paroles, mais s'il l'avait dit, c'était qu'il le pensait. Dès qu'elle avait entendu ses pas pour aller dans la chambre de Daniel afin de le coucher, Joanne en profita pour retourner au rez-de-chaussée, et ouvrir une bouteille de vin qu'elle ne pensait jamais ouvrir en comptant la boire seule. Mais elle s'en fichait, elle n'était pas à ça près. Elle but un premier verre, puis un deuxième, et un troisième. Lorsque Jamie était redescendu, elle se maudissait de ne pas avoir réussi à éviter de croiser son regard.
Now those were the days before you had to go away. Now I'm dancing by myself out in the rain. Now it's getting rather cold, and I just wanted you to know that if my dreams will ever be, will you come dancing next to me.
Elle a raison. Ses mots me frappent en plein coeur, mais elle a raison ; j'ai le comportement d'un enfoiré, ni plus ni moins. L'insulte m'a tout bonnement échappé, comme une incontrôlable pensée furtive qui décida de traverser mes lèvres avant mon cerveau. Mes oreilles l'ont découverte en même temps que celles de la jeune femme. Joanne est blessée, et elle peut l'être légitimement. Je fuis, je lui tourne le dos et rejoins ma voiture. Je me réfugie dans l'habitacle dont les vitres légèrement tintées dissimulent un peu mon propre choc. D'un court coup d'oeil, je devine les larmes qui roulent sur les joues de mon ex-fiancée. Mon œuvre. Mais pourquoi dire une chose pareille ? Je ne peux même ps le retirer, pas maintenant du moins. Tout d'abord parce qu'une partie de moi le pense, et qu'il serait hypocrite d'affirmer le contraire. L'autre croit plutôt que je mourrai un peu de l'intérieur le jour où Joanne fréquentera un homme et couchera avec quelqu'un d'autre. De toute manière, sur le coup, elle ne croirai pas un seul mot de mes remords. Et puis, revenir la queue entre les jambes au milieu d'une dispute ne ferait que me décrédibiliser. Je ne saurais même pas comment lui dire que je regrette et que les mots ont dépassé ma pensée. Ce n'est pas une manière de parler à la mère de mon fils. Ni de parler à qui que ce soit. J'ai démarré la voiture et quitté le quartier depuis longtemps, mais je suis complètement absorbé par mes pensées. Je me demande encore la si la scène était réelle, ou si je dois m'attendre à me réveiller d'un mauvais rêve. Je ne rente pas chez moi, pour si peu de temps cela n'a pas de sens. Je roule dans la ville dans but pendant un long moment. Finalement, je m'arrête non loin du Story Bridge, et je parcoure Kangaroo Point à pied en long et en large jusqu'à ce qu'il soit temps de retourner chez Joanne. Franchement, il aurait été plus respectueux de ne pas oser me montrer, ne pas revenir, et même ne pas donner signe de vie pendant une semaine. Je tenir à distance de Daniel aurait été ma punition. Pourtant à mon arrivée, même la jeune femme n'a pas à coeur de m'empêcher de le voir, et pour cela je lui en suis profondément reconnaissant. C'aurait été une vengeance facile que n'importe qui aurait adoptée. Cela me fait chérir d'autant plus ce moment avec mon fils. A cause de sa quenotte en pleine poussée, le garçon est moins vif que d'habitude, plus fatigué. Il est très demandeur de câlins et de petits spectacles de marionnettes avec ses peluches afin de s'occuper sans effort. Je lui chante des chansons et lui lit autant d'histoires qu'il le veut avant et après le repas. Il a peu d'appétit ce soir, mais seulement à cause de la douleur. A côté de ça, il tient toujours autant à tenir la cuillère lui-même, avec un peu de supervision. Il ne tient pas éveillé longtemps après le dîner. Il s'endort en caressant les chiens, la douceur du poil lui rappelant peut-être le confort de son lit et la compagnie de son doudou. Il couine un peu de protestation quand il se rend compte, même somnolant, que je manque d'oublier sa peluche en quittant le salon. Un bébé ne perd jamais le nord à ce sujet. Il sombre définitivement sur un air de Leonard Cohen, les membres ballants et la bouche ouverte amortie par sa grosse joue écrasée sur ma chemise. Désormais il est difficile de quitter sa chambre, me rendre au rez-de-chaussée et savoir que je croiserai Joanne ; que la meilleure stratégie à adopter est de l'ignorer, traverser le séjour d'une traite et passer la porte. Je tarde à en trouver le courage, et même une fois la dernière marche de l'escalier atteinte, le plan tombe à l'eau ; mon regard tombe droit dans celui de la jeune femme au bord de son verre de vin. Je prends une grande inspiration et avance un pas après l'autre, craintif. Elle peut bien m'insulter encore une fois, plusieurs fois, cela ne serait que justice. « Je… Je n'aurais pas dû dire ça, tout à l'heure. C'était grossier et… Je n'ai pas d'excuse, et j'ai vraiment honte… » Là, est-ce qu'elle comprend à quel point il est trop facile de demander pardon ? Pourquoi je n'accepte pas les excuses ? Je conçois les regrets, mais ils ne suffisent pas. Et mes mots ne suffisent pas. Je souffle, accablé. Si j'avais des doutes sur sa haine à mon encontre auparavant, désormais ce n'est plus le cas. « Joanne, je ne veux pas de guerre. » Mais si elle en décide autrement, si elle préfère enterrer toute possibilité de s'entendre, je le respecterai.
Joanne aurait préféré être un peu plus alcoolisée à ce moment là. Dès que leur regard s'était croisé, qu'importe le message qui pouvait être transmis au travers de ces iris. Jamie avait la tête de quelqu'un qui était pris en flagrant délit, ayant certainement l'intention de sortir de la maison sans être remarqué. C'était plutôt raté. Elle continuait de boire régulièrement de boire des gorgées dans son verre, le remplir lorsque celui-ci était vide. Jamie finit par s'approcher d'elle avec hésitation, ne sachant quelle distance il devait désormais imposer entre eux. Ce n'était certainement pas elle qui comptait faire le premier pas vers, ou dire quoi que ce soit. Il semblait regretter ce qu'il avait osé lui balancer un peu plus tôt. Pas d'excuse, pas de pardon. A vrai dire, cette fois-ci, elle ne le lui aurait pas accordé s'il l'avait demandé. "Au moins, tu exprimes haut et fort ce que tu penses de moi, ce n'est pas plus mal." rétorqua-t-elle, le regard toujours impassible, furax. "Au moins, je le sais maintenant." Il l'avait déjà traité de tous les noms, lui avait déjà dit bien des choses qu'il pensait tout bas, mais il avait atteint un certain niveau ce jour-là. Et voilà qu'il voulait baisser les armes et déclarer qu'il ne voulait pas de conflit entre eux. Après tout ça, après tout ce qu'il avait dit, il disait ne pas vouloir de conflit. Elle arqua un sourcil, remplit à nouveau son verre pour le vider assez rapidement. La jeune femme s'approcha ensuite de lui, ne quittant pas son regard, et finit par se retrouver un peu trop près de lui. Qu'importe. Elle commençait à avoir ses légers tournis dus à l'alcool. "Alors qu'est-ce que tu veux, Jamie ?" lui souffla-t-elle tout bas, en plissant légèrement les yeux. "Qu'est-ce que tu veux, mh ?" Son ton s'était radouci, mais cela ne voulait pas dire qu'elle était apaisée et qu'elle enterrait également la hache de guerre. Joanne venait à se demander si elle l'avait pardonné trop facilement, toutes ces fois précédentes, où il lui demandait pardon. Comme le soir après leur querelle, où il avait marqué pour de nombreuses semaines ses poignets et traité de tous les noms possibles et imaginables. Cette fois-ci, les choses allaient être bien différentes. Elle ne se serait jamais permise de l'insulter de la sorte, aussi librement et ouvertement. Elle ne penserait jamais de choses aussi méchantes pour lui, bien qu'elle avait tous les crédits possibles pour le faire. Même si cette pratique était bien trop éloignée de ses principes, Joanne était capable de coucher avec un homme, juste un soir. Juste pour voir la tête qu'il ferait s'il la voyait entrer dans la voiture d'un autre homme en laissant deviner la suite des événements. S'il allait accepter l'idée qu'un autre l'embrasse là où il avait largement marqué son territoire. C'est lui qui avait voulu rompre, ça n'allait certainement rien lui faire, pas vrai ? Joanne se surprenait à ne jamais baisser les yeux une seule fois, et pourtant, c'était insupportable que de continuer à le regarder et se rappeler tout ce qu'il y avait eu un jour dans cette paires d'iris verts. Un long moment de silence régna entre eux, Joanne n'avait pas véritablement agrandi la distance. "Il vaudrait peut-être mieux que je quitte mon poste à la fondation. Comme ça, plus de démissions, plus d'hécatombe, plus de galas." Dieu sait combien la petite blonde tenait à cette fondation, à quel point elle s'y était attachée et s'était donnée pour tenter de l'améliorer. Mais elle s'était rendue compte que ce n'était pas un poste pour elle. Elle ne savait pas d'où était venue cette idée de Jamie de la penser parfaite pour ce titre. "Je me débrouillerai pour trouver quelque chose... n'importe quoi. Mais je pense que tu sais autant que moi que c'est certainement la meilleure chose à faire. Trouver quelqu'un de plus compétent à la fondation, tout ça." Joanne se resservit encore un verre, à vrai dire, elle venait de vider la bouteille, à son grand désarroi. "Comme ça, tu ne me verras plus aux galas non plus. Et avec tout ça, tu ne pourras plus dire que je ne te laisse pas partir, Jamie. Bien qu'elle ne s'était jamais interposée dans ses plans, du moins pas volontairement. Elle n'y pouvait rien, s'il ne pouvait pas s'empêcher de la regarder, de veiller plus ou moins sur elle. D'un tiroir de la cuisine, elle sortit un paquet de cigarettes qu'elle avait confisqué à Wesley. Ce n'était pas comme si elle en consommait excessivement, et à vrai dire, le goût ne lui était pas très agréable mais elle en avait envie. Elle laissa le paquet sur l'un des éléments de cuisine, si jamais il voulait en prendre une aussi. Joanne se dirigea ensuite vers la baie vitrée pour fumer à l'extérieur, il était hors de question de polluer l'air intérieur de nicotine. Elle non plus ne voulait pas de relation conflictuelle avec lui, cela ne rendrait que leur vie bien moins agréable et ce n'était pas non plus ce qu'il avait de mieux pour Daniel. Et désormais, ce petit bout de chou était bien la dernière chose qu'ils avaient en commun.
Now those were the days before you had to go away. Now I'm dancing by myself out in the rain. Now it's getting rather cold, and I just wanted you to know that if my dreams will ever be, will you come dancing next to me.
Cette fois, pas de pardon. Après toutes les erreurs que j'ai pu commettre, les horreurs que j'ai pu dire ou faire, j'ai finalement laissé échapper la goutte d'eau qui fait déborder le vase. S'il restait quelque chose à ruiner, je l'ai fait. S'il restait de la place sur la poitrine de Joanne pour un dernier coup de couteau, le voilà. C'est un œuvre complète désormais, achevée. La jeune femme me déteste, je suis un paria sous son toit, un parasite dans sa vie. Elle remplit son verre de vin et le vide comme s'il s'agissait d'eau. Je suis bien trop désabusé par son mélodramatisme pour que cela n'importe. La petite blonde peut bien se saouler si elle le veut, ce ne sont plus mes affaires. Elle n'aura pas ma compassion en se montrant pitoyable, et elle égratigne mon respect pour elle en se faisant toujours plus misérable. « Ce que je veux n'a pas d'importance. » je réponds d'une voix lasse, le regard lourd. « Ce que je voudrais pour toi, c'est uniquement que tu sois heureuse, et que tu sois capable de te battre pour ça. » Mais Joanne n'est pas une battante. Je ne saurais pas dire ce qu'elle est au juste. Elle me fatigue. Je ne vais plus tenter de rebâtir sur ses ruines et lui redonner de la splendeur. C'est un effort qu'elle n'a jamais respecté ; elle n'en veut pas, elle préfère ses sombres pensées au reste. Et elle finira seule dans le noir, une fois que tous ceux qui auront voulu l'aider seront épuisés. « Ne fais pas comme si ta décision n'était pas déjà prise, j'ai vu les papiers sur la table. » dis-je tout bas au sujet de son hypothétique démission. Je crois plutôt qu'elle comptait me mettre devant le fait accompli et me prendre encore une fois pour un idiot, sous couvert d'être la victime de toutes ces lettres de démission. Elle n'est pas la victime que d'un manque de caractère et de hargne. Et en effet, contrairement à ce que je pensais, elle n'est pas taillée pour diriger la fondation. Sa place est dans les sous-sols des musées, loin de la lumière, loin des vivants. « Je te trouverai un remplaçant rapidement. » Ainsi, nous serons tous deux débarrassés d'une épine dans notre pied. Nous n'aurons pus à souffrir de l’ambiguïté d'un lien professionnel par dessus les miettes de notre relation. Ce ne sont pas les personnes compétentes qui manquent. En revanche, ce sera une nouvelle égratignure sur mon image ; celui qui a été assez idiot et aveuglé par l'amour pour mettre sa fiancée sans expérience à la tête d'une institution pareille et qui réalise son erreur de débutant (et de parfait crétin). Joanne sort un paquet de cigarettes et s'en va fumer dehors. Je roule des yeux au ciel, demandant à quiconque se cachant derrière les nuages si vraiment cela ne s'arrêtera jamais. Elle ne cherche qu'à me faire réagir, me dis-je, et je ne tomberai pas dans ce panneau. Franchement désabusé, je me dirige vers la porte de la maison. Puis je fais demi-tour et rejoins Joanne dans le jardin. « Je ne sais pas ce que tu cherches à faire, et je m'en fiche bien. » Boire à l'excès devant moi, fumer devant moi, vraiment ? Qu'est-ce qu'elle croit susciter comme réaction en se montrant aussi navrante ? « Mais franchement, regarde-toi. » Un pauvre petit animal bon à piquer. « Incapable d'être seule, incapable de se laisser aimer, constamment en train de faire trois pas en arrière pour un pas en avant. Tu te laisses définir par le regard que portent les autres sur toi, et pourtant tu le fuis. Tu veux aider sans accepter d'en être capable, tu refuses d'être aidée quand tu en as besoin puis tu te plains d'être seule. Tu veux une belle vie mais tu refuse de croire que tu la mérites. Tu vois des complots partout visant à t'empêcher d'être heureuse mais tu es ton unique obstacle. Le grand plan de l'univers visant à te foutre au fond n'existe pas. Tu construis un mur entre toi et les autres, et tu mets toi-même ton bonheur hors de portée. Ou quand il est devant toi, tu lui craches à la figure que ce n'est pas assez. Pas assez pour que tu ailles mieux. » C'est ce qu'elle m'a fait, et cette plaie-là est encore béante. Elle ne cessera pas de saigner avant longtemps. « Et alors que tu n'as aucune volonté de te battre, tu obliges ceux qui t'aiment à faire un choix : couler avec toi, ou te regarder te noyer perpétuellement. J'ai choisi. Quand Daniel sera plus grand, je ne crois pas que tu veuilles qu'il se retrouve face à ce choix aussi. » Un choix qui lui fera du mal. Un choix que je lui épargnerai en le prenant avec moi si d'ici là Joanne ne s'est pas reprise en main. Je la prend par les épaules délicatement. Je pourrais la secouer comme un runier jusqu'à ce qu'elle se bouge, mais non ; je plante mon regard dans le sien, plus sérieux que jamais. « La question Joanne, c'est ce que toi tu veux. Qu'est-ce que tu veux ? Qui es-tu ? » Je n'attends pas de réponse. Du moins, rien de cohérent de sa part. Dans un élan dramatique elle me répondra qu'elle n'est personne, qu'elle n'est rien -ou seulement la mère de Daniel, point c'est tout. Elle ira exactement dans le sens de mes paroles et geindra qu'elle ne veut rien, que de toute manière elle ne mérite rien, que rien n'a de sens et que je n'ai qu'à la laisser être ce petit tas de rien. Qu'elle puisse être un cas aussi désespéré est ce qui m'atteint le plus, c'est ce qui rougit mon regard de peine. Pas les effluves d'alcool, pas la cigarette, pour ça je pourrais lui rire au nez. C'est de savoir que ce discours était vain avant d'avoir commencé, et que chaque mot est inutile ; qu'elle n'écoutera pas, ne comprendra pas, n'agira pas. Que je ne peux pas l'aider. Et qu'au mieux, si rompre ne l'a pas sauvée de moi, cela m'aura sauvé d'elle. Je pars avant d'avoir à souffrir de la réponse que je sais qu'elle me donnera. Je ne pourrais pas supporter de l'entendre. Je la laisse là avec ces phrases qu'elle noircira et qu'elle utilisera pour continuer de creuser plus profondément. Cette fois je quitte la maison.