Je n’ai jamais été un habitué des crises d’angoisse. A l’occasion d’examens importants, avant d’aller à l’enterrement de mon frère, il m’est arrivé de paniquer. Ce soir, je n’ai pas de raison. Pourtant, je suis tendu, abattu, perdu. Je suis dans le brouillard, à l’étroit dans mon propre corps. Tout m’insupporte, rien ne me suffit. J’ai essayé de lire, mais ce n’était pas assez pour faire s’évader mon esprit. J’ai tenté de peindre, mais je ne voyais que du mauvais goût s’étaler sur la toile. Le sport n’a pas plus aidé, même l’effort n’a pas suffi à me décharger. Me décharger de quoi ? Trop d’énergie, de frustration ? Je suis là, dans cet immense salon de cet immense baraque (bien trop grande pour quelqu’un de seul –bien trop seul), j’ai tout pour moi, je n’ai pas le moindre motif valable pour me plaindre. Et pourtant, je suis malade. Dans ce fauteuil, recroquevillé, les poings serrant mes cheveux, je suis comme un drogué en manque. Un infini manque de but. Je suis en tête à tête avec moi-même, je n’ai plus l’excuse de mon frère pour faire tout ce qu’il aurait fait s’il était en vie, et c’était le but de ma vue ici : enfin vivre pour moi. Être moi-même, bâtir quelque chose en mon nom, et non pour Oliver. Mais par où commencer quand cela fait plus de quinze ans que « être moi-même » n’a plus de sens ? D’habitude, dans de tels moments, je sors, je marche jusqu’au centre-ville, je trouve un bar ou un pub au hasard, je traîne dedans, j’emmerde un type à peu près aussi costaud que moi, et mes poings se chargent du reste. Parfois, quand la baston va trop loin, je termine au poste, où il m’arrive de voir Camilla, ce qui me rend le sourire ; je me sens mieux, je rentre chez moi et je dors comme un bébé. Ce soir, je compte deux côtes fêlées, un genou qui a bien dérouillé, une pommette gonflée et la lèvre qui vient de terminer sa cicatrisation. Je ne peux pas me la jouer Fight Club encore une fois, à moins de tenir à finir à l’hosto. Alors je tourne en rond dans mon palace, comme un lion en cage. Finalement, je me lève, j’attrape les clés de ma voiture, et je roule.

Je roule jusqu’à la maison d’Elizabeth. Je frappe à la porte, et j’attends. Merde, quelle heure est-il ? Ma montre indique un peu plus de vingt-trois heures. Ethan doit dormir. Liz aussi, peut-être. Non, il y a de la lumière à l’intérieur. Je m’approche d’une fenêtre et pose mes mains de part et d’autre de mon visage pour voir à l’intérieur, mais je ne vois personne. Ah ! Liz est là. Je tapote doucement sur la vitre pour qu’elle me remarque et je lui fais signe de m’ouvrir. La porte à peine ouverte, je débite assez vite ; « Hey, hm, bonsoir. Désolé, j’aurais dû appeler, je n’y ai pas pensé avant d’arriver devant chez toi, je… Désolé. Est-ce que je dérange ? Je peux entrer ? Je ne veux pas déranger, c’est juste que j’ai vraiment… besoin de te voir. »

« Oh, et puis merde. » Je me permets de faire un pas en avant, poser un pied dans la maison, pousser un peu la porte ; j’attrape Liz par la hanche d’une main, la nuque de l’autre, et je colle mes lèvres aux siennes. Un autre pas en avant, je suis entrée, je ferme la porte derrière moi, à l’aveugle, parce que je n’ai pas lâché Liz. Je la colle au mur aussi doucement que possible –donc pas vraiment doucement, sur le moment je n’en sais foutrement rien- sans quitter ses lèvres. A vrai dire, je ne réfléchis plus.

Je ne suis pas comme cela, à aller chez une femme pour lui sauter dessus. Enfin, je crois. Quoi que, il faut croire que oui, je suis aussi comme ça. Je n’en sais rien. Je constate seulement que ce frisson qui a traversé mon corps dès le premier contact a eu l’effet d’une bombe intérieure ; ce sentiment de laisser aller, loin de tout contrôle, ressemble d’assez près à ce dont j’avais besoin pour aller mieux. Alors je continue à chercher le contact de la peau de Liz, source de chaleur réconfortante. Comme je le craignais, elle me repousse. Instantanément, je sens mon cœur et ma gorge se serrer, un sentiment entre la déception et la honte. Non, non Liz, ne me fais pas ça. Je ne sais pas si je serais capable de la regarder en face à nouveau si elle m’ordonnait de partir à cause de mon attitude –même si elle aurait raison. Je me laisse légèrement tomber vers l’avant, mon front contre le mur dont elle s’est dégagée. Elle me tourne le dos désormais, et sur le moment, je crois que c’est la vision la plus pénible que je puisse avoir.
Ce qu’il y a ? Je n’en sais rien, ça ne tourne pas rond chez moi. Je ne peux pas lui répondre. Rien ne me vient. Je me redresse après un instant silencieux et me mets devant elle. Je la prends délicatement par les bras, afin qu’elle ne se tourne pas à nouveau, et je dépose un baiser sur son front. « S’il te plaît, pas de questions… » je souffle avec quelques difficultés. « Je sais que c’est…bizarre. » Mais j’en ai besoin. Pas tellement pour l’acte physique en soi, mais pour être au plus proche d’une personne pour qui j’éprouve énormément d’affection. Liz est actuellement la femme la plus précieuse que j’ai, celle dont je suis le plus proche et qui se prête le plus à ce qu’on pourrait attendre d’une relation amoureuse. Je ne fais pas dans les coups d’un soir, je n’ai pas d’intérêt à tirer mon coup avec une parfaite inconnue. Je préfère trouver une réelle satisfaction à le faire avec une personne dont la présence me fait sentir bien. Et cette personne, en ce moment, c’est Liz. « C’est la dernière fois, je te promets. Ca n’arrivera plus… » Parce que si elle m’est assez chère pour être la seule femme vers qui je puisse me tourner ce soir, elle l’est aussi bien trop pour que je prenne le risque qu’elle se détourne de moi à cause de cela. Entre les mots, instinctivement, ma bouche est descendue embrasser sa tempe, sa joue, sa mâchoire, son cou. « On parlera après si tu veux. Après… » Je retrouve ses lèvres, les frôle, mais ne l’embrasse pas. J’attends un geste, une réponse, une permission.

Je prends la main de Liz et l’entraîne avec moi dans les escaliers sans me faire prier. Mes chaussures font un peu de bruit dans les couloirs, alors j’essaye de marcher avec précaution afin de ne pas réveiller Ethan. Il ne manquerait plus qu’il se réveille pour tout foutre en l’air. Il me semble n’avoir jamais eu à quémander du sexe. Cela doit être la première fois. Un sacré coup dans ma fierté et ma propre estime, mais ce sont deux choses dont je ne me préoccupe pas à cet instant. Je demanderais pardon demain, mais demain est un autre jour.
A peine arrivés dans la chambre de Liz, j’abaisse la fermeture éclair de sa robe, depuis ses omoplates jusqu’à ses reins. D’un léger mouvement d’épaule, elle se débarrasse du tissu qui tombe au sol. Vite, je la fais se retourner pour me faire face, j’attrape son visage pour récupérer ses lèvres. Je la serre contre moi, une main entre ses cheveux, l’autre passant doucement le long des courbes de son corps que je perçois, doux et chaud, à travers mes vêtements. Ils ne restent pas sur mon dos encore longtemps. Je la laisse prendre le soin de me désencombrer de cette chemise et de ce jean. J'avais déjà très furtivement ôté mes chaussures en bas de l'escalier.
Sans quitter sa bouche, je la guide jusqu’au lit et la soulève dans mes bras, aidé par ses jambes autour de ma taille, pour la déposer sur le matelas. Appuyé sur un bras pour ne pas l'écraser, ma main libre glisse à l'intérieur de ses cuisses. Elle a encore un goût d’alcool, de champagne. Ne buvant jamais, c’est le genre de détails que je note facilement. Je me demande si c’est cela qui l’a poussée à accepter, et si je suis donc en train d’abuser d’un moment de faiblesse, ou si elle a parfaitement conscience de ce qu’elle fait. Je ne me pardonnerais pas de ne pas avoir su remarquer qu’elle n’était pas dans son état normal.

Ce n'est pas une pensée qui me traverse souvent l'esprit, mais disons que la situation est exceptionnelle ; chouette, pas besoin de perdre un quart d'heure en préliminaires ! Cette fille lit dans mon esprit -ou peut-être sous-je simplement un livre ouvert. Je récupère le préservatif de sa main, et elle en profite pour glisser cette phrase qui restera à jamais gravée dans la catégorie ''sexe'' de la grand bibliothèque de ma mémoire. Je manquais d'éclater de rire. Liz me coupa dans mon élan -et dans ma respiration- en se jetant sur moi pour me retourner. Je me retrouve plaqué sur le matelas, une main sur ma bouche et une Liz en alerte sur moi. Là encore, j'ai follement envie de rire. Mais je capte le message : pas de bruit, le gosse s'est levé. En attendant qu'il retourne dans sa chambre, je passe une main dans le dos de la jeune femme, l'autre sur sa cuisse, un peu joueur, curieux de savoir si elle est si concentrée sur son petit garçon qu'elle ne réagirait pas. Ethan retourne se coucher avant que je puisse le savoir.
« L' ''étalon'' a jeté son dévolu sur toi ce soir, c'est plus qu'une chance, c'est un honneur. Tu n'as pas intérêt à me décevoir. »
Je souris, la remerciant intérieurement d'être un tel ange avec moi. Douce, docile, drôle et attentive à la fois. Je l'embrasse et m'occupe du préservatif à l'aveugle -ce qui est mal, ne refaites pas ça chez vous. Puis je me redresse, de manière à être assis, et elle sur moi. Mes mains sur ses hanches, j'accompagne son bassin qui se glisse sur le mien, me permettant d'entrer profondément en elle.
« Peut-être que c'est toi qui me suppliera de revenir finalement. » dis-je, taquin, un sourire en coin.

Spoiler:

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