C ameron hurlait. Je l'entendais alors que le box que j'occupais était à plusieurs mètres du sien. Il avait mal et il avait besoin de moi, mais je ne pouvais pas le rejoindre car des médecins s'affairaient aussi autour de moi. J'avais beau leur dire que je n'avais rien, que ça pouvait attendre, il n'y en avait pas un qui m'écoutait. Des larmes de frustration se mirent à couler sur mes joues, je n'arrivais pas à comprendre pourquoi on m'empêchait d'aller voir mon enfant alors que la seule douleur que je ressentais était dans le coude. Je n'allais pas mourir d'un truc au coude, si ?
"Il va bien. Il a probablement la jambe cassée, mais il est avec le meilleur chirurgien traumato de l'hôpital. Il est entre de bonnes mains." La voie calme et posée de l'infirmière m'avait apaisé, je l'écoutais et je ne me débattais plus - ce qui devait franchement aider les soignants qui s'occupaient de moi -. "On va bien s'occuper de lui et après vous pourrez aller le voir." Ce n'était pas après que je voulais le voir, c'était maintenant. Cameron et moi étions très fusionnels, toujours ensemble, sans son père... Gosh qu'est ce que j'aurais aimé qu'Andrew soit là, il aurait su quoi faire. Il savait toujours quoi faire. Un produit glacé fut injecté dans mes veines et je me sentis partir, comme aspirée par le sommeil. "Qu'est ce que vous m'avez donné ?" "Détendez vous madame, ça va aller."
En me réveillant, la bouche pâteuse et le bras en écharpe, je n'avais aucune idée de là où j'étais. Fin si, j'étais à l'hôpital, mais je ne reconnaissais pas la chambre. Cameron n'était pas là et la panique revint puissance mille. Où était mon bébé ? Etait ce si compliqué de me dire où était Cameron ? Comme une malade, je me mis à appuyer sur la sonnette pour que quelqu'un vienne. Je m'attendais à une infirmière, mais l'homme qui rentra dans la pièce me laissa sans voie. Dans d'autres circonstances j'aurais cru à une caméra cachée, mais... "Andrew ?"

Andrew était en salle de traumato numéro deux. Avec cette blouse de couleur jaune, un peu transparente, qu'il n'aimait pas vraiment à dire vrai. La blouse bleue transparente qu'il pouvait avoir au bloc, il ne l'aimait guère plus. Mais elle était bleue. Il préférait le bleu. Enfin, là n'était pas la question. Le gosse était un peu combatif. Il n'avait pas envie de se laisser faire et c'était compliqué pour Andrew. D'autant plus que lorsqu'il avait vu le visage du gosse, ça l'avait carrément perturbé. Et pas qu'un peu. Ce gosse, il avait l'impression de se voir lorsqu'il était tout petit. Andrew n'irait pas jusqu'à dire qu'il lui ressemblait comme deux gouttes d'eau. Mais ouais ... Ce petit ... C'était perturbant. Et il fallait qu'il reste concentré sur les soins à apporter. "Allez mon grand. Ca va bien se passer." Andrew jeta un coup d'oeil à l'infirmière juste à côté, lui demandant d'injecter un calmant. Parce que le gosse s'agitait beaucoup. Il bougeait beaucoup. Beaucoup trop. Et c'était pas possible de bosser dans ces conditions là. Trop compliqué. Alors, ils attendirent quelques minutes. Le temps que le gamin se calme et s'endorme. Andrew avait déjà fait l'examen neuro. Donc il savait que ça allait bien de ce côté là. Maintenant, il allait falloir s'occuper de cette jambe un peu en mauvais état. Un plâtre ? Non. Le gamin allait devoir rester quelques jours à l'hosto. Donc, pas de plâtre pour le moment. Non. Avant qu'il parte. "On lui fait des radios de la jambe et un scanner, qu'on s'assure que tout va bien. Le radiologue stabilisera sa jambe. Si t'as besoin de moi, tu me bipes." L'infirmière eut un hochement de la tête. "Et pour la mère ?" Ah oui. La mère. De ce qu'il avait entendu, elle avait fait pas mal de bruit. Ouais. Pas bien contente d'être séparée de son fils et de ne pas avoir des nouvelles de ce dernier. "J'vais aller la voir." Andrew récupéra sa tablette tactile, là où il faisait le suivi des patients. Pratique cette petite chose mine de rien. Et pas qu'un peu. "Alors alors ..." Il jeta un coup d'oeil sur la chambre où la patiente était. Il reconnut aussitôt le nom. Alana McRollins ... Il la connaissait bien. Il la connaissait très bien. Donc, le petit Cameron était son fils ... Fallait pas être sorcier pour faire le rapprochement. Non. Andrew n'était pas dupe. Après, elle avait peut-être une explication. Il n'allait rien dire. Il allait voir ... ce qu'elle allait dire ou ne pas dire. Il poussa la porte, après avoir pris une lente inspiration. "Bonjour Alana." Au fond, il était quand même content de la voir. Parce que ça faisait un petit moment qu'ils s'étaient pas vus ... Une dizaine d'années à bien y penser. L'âge du gamin.

A ndrew. Mon Andrew était dans ma chambre d'hôpital ? C'était impossible... Et pourtant il était là. Tout mon corps se tendit et ma respiration s'accéléra, je ne pouvais pas le gérer lui maintenant, je devais savoir pour Cameron. Mon fils, fin notre fils... Oh m**de ! S'il l'avait vu, il avait surement du faire le rapprochement. Cameron ressemblait à son père, et même s'ils ne s'étaient jamais rencontrés, mon petit avait quelques traits de caractères en commun avec son paternel.
"Comment il va ?" J'étais tellement angoissée que je ne ressentais aucune joie de le revoir. En fait je craignais qu'il me fasse une scène et qu'il veuille prendre mon grand bébé. C'était idiot parce que ça ne lui ressemblait pas, mais je n'avais jamais été du genre à cacher un enfant à son père et pourtant... "Je..." Il fallait que je lui dise, que je me force à lui raconter ce morceau de notre histoire dont il n'avait pas été témoin. "Je voulais te le dire, mais tu m'as envoyé ce mail ou tu disais que c'était mieux si on arrêtait de se voir et je ne voulais pas t'imposer un enfant que tu ne voulais pas."
Andrew n'avait eu son mot à dire, jamais, et c'était de ma faute. Je le savais. Il avait toujours été tellement mieux que moi - c'était surement pour ça que je l'aimais encore aujourd'hui, mais que je ne lui en disais rien -, je ne le méritais pas. De toute façon il était marié, jamais une nana comme moi ne pourrait l'intéresser, je n'avais été qu'une solution temporaire pour qu'il puisse satisfaire ses besoins primaires.
Une sensation d'oppression arriva, comme si j'avais un poids sur la poitrine, j'étais en train de faire une crise d'angoisse. Non Alana ! Pas devant lui. Précipitament, j'arrachais la perfusion qui était dans mon bras et je me levais avec pour but de m'enfuir d'ici, de partir. Mais il était sur mon chemin, deux têtes plus grands que moi. J'étais foutue. Si j'arrivais à me calmer, je finirais quand même par pleurer parce que je me sentais mal de ce que je leur avais fait. Autant à Andrew qu'à Cameron, je les avais privé l'un de l'autre.
"Je veux juste aller le voir. S'il te plait."

Ca faisait étrange de la revoir ici. Et pas qu'un peu à dire vrai. Il aurait, sans doute, aimé la revoir dans d'autres circonstances. Ou ne pas la revoir du tout ... Non. C'était pas son genre. Dans le sens où ... Ils avaient été bien ensemble. Seulement, ils n'avaient pas forcément besoin des mêmes choses à cette époque là. Et ça l'avait dérangée. De partir. De s'éloigner. De rester loin d'elle. Mais il avait eu l'impression que c'était la seule chose à faire. Pour avancer. Pour qu'elle avance. Pour que lui avance également. Et maintenant ... Maintenant, il apprenait qu'elle lui avait caché des choses. Cette vie ... cette famille. Bon, elle n'avait pas encore avoué. Elle n'avait rien dit. Mais il le sentait. Au fond de ses tripes. Voir ce gosse, ce gamin, là, allongé sur le brancard, et Andrew en train de s'occuper de lui ... Ouais ... Il savait qu'il y avait quelque chose. C'était pas une certitude. Il ne savait pas quoi encore. Mais elle finirait par le lui dire. Quoi qu'il en soit, elle semblait pas si ravie que cela de le voir. Sans doute qu'elle était plus préoccupée par son fils que par autre chose. Ce qui était compréhensible. "Il va bien. On va devoir le garder quelques jours à l'hôpital. Histoire qu'on stabilise un peu sa jambe et on pourra plâtrer après ça." Il ne lui parlait pas du trauma crânien ou quoi que ce soit dans ce genre qu'il avait pu subir. Ca, pour le moment, Andrew n'avait pas encore le résultat. Non. Il était en train de passer ce scanner et il en saurait bien plus assez vite. Ou du moins, le pensait-il. Tout en regardant Andrew, Alana tenta ... Et bien, elle lui dévoila tout. En fait, le médecin avait pensé qu'il allait devoir lutter avec elle pour obtenir la vérité. Mais non. Elle avait tout dévoilé. Et elle mettait ça sur le dos du médecin. A cause de cet email qu'il avait pu envoyer. "Alors donc c'est vrai ... C'est pas mon esprit qui m'a joué des tours quand j'me suis occupé de lui." Il secoua la tête et serra un peu le poing. Il n'allait pas lui faire un esclandre. Pas maintenant. Non. Elle n'avait pas besoin de cela. Elle était fatiguée. Elle venait de subir un choc. Elle avait eu un accident. Elle devait s'en remettre. Alors oui, il n'allait pas relever le fait que ... qu'elle lui balançait ça au visage, comme si c'était sa faute. Subitement, Alana se leva. Elle avait même arraché sa perfusion. "Hé ! Mais ça va pas !" D'autant plus qu'arracher une perfusion comme ça, ça ne se faisait pas, c'était dangereux. L'aiguille pouvait rester dans le bras et tout ça. D'ailleurs, du sang commença quelque peu à s'écouler à cause de son geste vif. Andrew avait attrapé des compresses. Manquerait plus qu'elle se vide de son sang. De toute manière, elle ne sortirait pas de cette pièce. Pas maintenant. Il y veillerait. "Tu ne peux pas le voir maintenant. On est en train de lui faire des examens." Le médecin appliqua la compresse à l'endroit où elle avait arraché la perfusion. Faudrait qu'il la remette en place ... A l'autre bras sans doute. Il verrait bien. "Pourquoi t'as une chambre double à ton avis ? Tu le verras bien assez tôt. Dès qu'on aura fini de s'occuper de lui." Son ton était peut-être un peu froid. Il se voulait autoritaire. Il n'avait pas envie qu'elle fasse n'importe quoi. Et c'était pas parce que ... parce qu'elle lui avait caché la vérité. Mais parce qu'elle n'avait pas à se promener dans tout l'hôpital à la recherche de son fils. On lui ramènerait assez rapidement. "Alors maintenant, tu vas retourner dans ton lit." Ouais. Sinon, il lui ferait la piqûre qui va bien. C'était pas son rôle mais il le ferait s'il le fallait.

L e secret n'en était plus un, Andrew savait que Cameron était son fils. Et il m'en voulait. Oh, il ne disait rien et son visage arrivait encore à rester à peu près neutre, mais le reste de son corps le trahissait. Je lisais en lui comme dans un livre ouvert.
Andrew et moi n'avions jamais eu de relation sérieuse. Depuis nos débuts dans l'armée ça n'avait été que des coups d'un soir. Certes on s'entendait bien, mais ça s'arrêtait là. Si seulement... Avec sa gueule d'ange, je m'étais attachée à lui, j'étais tombée sous son charme et encore aujourd'hui j'avais du mal à ne pas fondre pour lui. Mais ça il ne le voyait pas, car pour lui je n'étais qu'une femme parmi tant d'autre. Forcément, il pouvait avoir toutes les femmes qu'il voulait, il était bel homme, chirurgien, intelligent, gentil et le meilleur amant que j'ai pu avoir dans ma vie. La femme qui avait réussi à lui mettre la bague au doigt était bien chanceuse.
"Ne me le prend pas." Je lui avais volé les dix premières années de la vie de son fils, mais je ne voulais pas qu'il me fasse pareil maintenant. J'avais peur de le voir disparaitre avec mon garçon, ce qui provoqua en moi une grosse crise d'angoisse. Animé d'un instant de détachement par rapport à la réalité, j'enlevais la perfusion que j'avais dans le bras pour pouvoir aller retrouver Cameron, mais il m'arrêta au bout de trois pas. J'aurais du savoir qu'il ne me laisserait pas passer. "Il a dix ans, il doit avoir peur. Il n'a jamais été séparé de moi." Du moins pas dans une situation stressante.
Ecoutant quand même Andrew, je retourna m'assoir sur le bord du lit, acceptant le fait qu'il ai à me tenir le bras pour que le sang ne coule pas partout. Je n'avais pas réfléchi avant d'agir, ce n'était pas moi, ça ne me ressemblait tellement pas. Je n'arrivais pas à agir correctement parce que mon instinct de maman prenait le dessus.
"Dis ce que tu as à dire Andrew. Je préfère que tu me cries dessus quand il n'est pas là." Dans ma tête mes mots étaient dits avec plus de mordants, la réalité était bien différente. J'appréhendais sa réponse, je sentais qu'il allait me faire du mal - sans forcément le vouloir -. "Je ne veux pas qu'il voit son père en train de me crier dessus, ce n'est pas l'homme que je lui ai décrit." Cameron connaissait Andrew en théorie, il avait même vu des photos de lui quand nous étions gamins. Pour lui son père était un héros, un super homme qui sauvait des vies. Je lui avais aussi avoué assez tôt - dès qu'il avait pu comprendre - que son père ne savait pas qu'il existait. J'avais été honnête avec mon garçon, bien plus qu'avec mon ancien collègue de l'armée/voisin/ami/amant/l'homme que je n'aurais jamais.
Je me rallongea, je n'avais rien à faire de plus tant qu'il était là. Reprenant la compression avec les compresses qu'il tenait sur mon bras, je me tourna sur le côté pour lui faire dos. Cette situation était stérile et je ne voyais pas pourquoi je devais m'y engager plus longtemps. Andrew n'était plus l'homme que je connaissais et Cameron n'était pas encore là. Je n'avais même pas de nouvelles de lui. "De toute façon, avec toutes les nanas que tu te tapais dans le régiment, tu devais bien te douter que tu finirais pas en mettre une en cloque." Dis-je amer. Deux femmes - avec qui je n'avais pas du tout d'affinité, c'était un peu les pestes du groupe - étaient venues me voir pour me 'féliciter' de l'heureux évènement, tout en faisant clairement comprendre qu'elles aussi avaient eu les faveurs d'Andrew. Je n'avais jamais voulu les croire, mais là j'avais besoin de lui en vouloir, alors je trouvais là où je pouvais. "J'ai essayé de faire ce qui était le plus juste pour nous deux, mais tu as vite tourné la page..."

Alana semblait perdue. Elle voulait son fils. Elle voulait le voir maintenant. Seulement, ce n'était pas possible. On était en train de lui faire des examens. Et Andrew ne pensait pas que c'était une bonne idée qu'elle le voit maintenant. Une fois qu'on aurait terminé les examens, oui, à ce moment là, Cameron serait installé dans la chambre. Et elle l'aurait pour elle toute seule. C'était peut-être cruel de la faire attendre comme ça mais ce n'était nullement pour l'embêter ou bien pour être méchant avec elle. C'était pour les soins, tout simplement. Alana avait peur. Elle avait peur qu'il lui enlève. "Mais je vais pas te le prendre." Il secoua la tête. Il était peut-être son père. Enfin, son père biologique. Il en avait le nom mais cela ne voulait pas dire qu'il se sentait père. Ca venait juste de lui tomber sur le coin de la figure et il avait besoin de temps pour digérer tout cela. Et c'était bien normal d'ailleurs. Mais Alana paniquait. Son fils avait besoin d'elle. Andrew l'empêcha d'aller plus loin. "Il est sédaté. Pour les examens. Il dort. Et il est entre de bonnes mains." C'était plutôt elle qui avait besoin de lui. Pas l'inverse. En ce moment en tout cas. Alors, fallait qu'elle arrête son cirque. Dans la mesure du possible. Elle s'était assise. Andrew avait récupéré de la bande adhésive qu'il plaça dans le creux du bras d'Alana, comme elle avait arraché sa perfusion. Elle voulait qu'il gueule. Qu'il lui dise ce qu'il avait sur le coeur. Maintenant. Et pas quand Cameron était là. Seulement, il n'avait pas envie de ... Il n'avait pas envie de hurler. De crier. C'était pas son tempérament. Oui. Il pouvait se mettre en colère. Oui. Ca pouvait lui arriver. Seulement, c'était pas son style. Pas à l'hôpital. Les chambres étaient tout de même insonorisées mais tout de même. "Qu'est-ce que tu veux que je dise ? Que je suis déçu ?" Oui. Il l'était. "Que j'pensais pas que tu pourrais être capable de me cacher ça ?" A croire qu'il ne la connaissait pas après tout. Alana s'était tournée. Elle lui tournait le dos. Comme si elle ne voulait pas le voir. Pas l'affronter. Enfin, elle l'affrontait à sa manière. En traître. "Pardon ?" Ouais, il n'en croyait pas ses oreilles. Lui ? Se taper toutes les nanas du régiment ? "C'est quoi cette histoire ?" Il s'était tapé Alana, oui. Les autres, non. "Non mais c'est n'importe quoi ! On n'était pas du genre exclusif, ok, mais t'es la seule avec qui j'ai été aussi loin !" N'importe quoi ! Il n'était pas un enfoiré de première. Non. Il était pas du genre à prendre et à jeter. Adepte d'un coup du soir ? Non. Pas vraiment. Cette relation avec Alana, c'était important. Il pensait que c'était sérieux. C'était leur carrière respective qui les avait un peu éloignés. Mais c'était tout. "Qui t'as foutu cette idée dans le crâne ?" Il n'était pas un coureur de jupon. Alana avait choisi cette voie parce que ... Parce que c'était plus simple. Parce que c'était mieux. "Le plus juste pour qui ? Pour toi je présume !" Il avait haussé un peu le ton. Lui qui gardait son calme dans la mesure du possible ... Là ... Ca devenait difficile mine de rien. "Et si j'ai tourné la page, c'est parce que j'ai reçu un foutu mail de ta part qui me disait que tu voulais plus me voir !" A croire que ... c'était peut-être pas elle qui lui avait envoyé. Mais une de ces pestes du régiment qui voulait à tout prix l'avoir dans son lit.

A ndrew n'arrivait pas à me rassurer. Il n'avait aucune idée de ce qu'être parent voulait dire, de l'inquiétude que l'on pouvait ressentir au moindre petit bobo de son enfant. Je ne lui en voulais pas pour ça, c'était moi qui l'avait tenu à l'écart de Cameron. "Pourquoi tu ne t'occupes pas de lui ?" Malgré ce qu'il se passait entre nous, le père de mon fils était encore le médecin en qui j'avais le plus confiance. Je l'avais vu travailler et je savais qu'il était extrêmement doué dans ce qu'il faisait.
J'avais demandé au chirurgien de dire ce qu'il avait à dire avant que Cameron ne revienne. Il lui fallut quelques secondes avant de se lancer, mais quand il commença, ce n'était pas avec des pincettes. Je pouvais le voir monter en pression, sa voie s'élevait de plus en plus et une veine au niveau de son cou pulsait violemment. Ne supportant pas ce conflit, je me tourna pour ne plus qu'il me voit, pour me protéger de sa colère. Andrew arrivait à me faire me sentir comme une moins que rien, une petite idiote qui n'avait rien comprit à la vie. Il avait surement raison. "Je sais que tu as couché avec Kelly et Victoria. Mais ça ne devrait pas me déranger, on n'était pas exclusif après tout." J'étais plus qu'amer en le disant parce que j'avais cru avoir quelque chose de spécial avec lui. Gosh, j'avais même pensé que je comptais pour lui, alors que je n'étais qu'une parmi tant d'autres. Andrew n'arrivait plus à garder son calme, il n'était pas loin de crier et ça ne lui ressemblait tellement pas, seulement sa dernière phrase me dérangea. "Je ne t'ai jamais envoyé un mail comme ça ! Andrew, j'étais enceinte de ton enfant, tu crois vraiment que je t'aurais rayé de ma vie ? J'avais la trouille et je ne savais pas comment te l'annoncer, mais je voulais vraiment le faire. Je t'avais écrit une lettre et je la trimballais partout avec moi, mais je n'osais pas te l'envoyer. Tu étais pleins d'ambitions, je ne faisais pas partie de tes plans, encore moins un bébé. J'avais tellement peur de ta réaction... Puis il y a eu ton mail et j'ai décidé que j'allais m'en sortir seule, que j'allais essayer au moins." Qui avait bien pu envoyer ce mail si ce n'était pas moi ?
Être enceinte seule n'avait pas été une partie de plaisir, surtout dans l'armée. Tout le monde avait son avis sur l'identité du père, certains m'avait tourné le dos, d'autres avaient changé leurs regards sur moi... J'avais passé un mauvais quart d'heure. Cameron aussi. Je n'avais pas été très à l'écoute de mon corps pendant ma grossesse, j'avais fonctionné sur auto pilote jusqu'à ce que je me retrouve à l'hôpital, branchée de partout, avec pour ordre simple de rester au lit pour les deux derniers mois qu'il me restait.

Elle était inquiète. Trop inquiète. Et lui, il ne pouvait rien faire pour la rassurer. Peut-être qu'il n'arrivait pas à la rassurer parce qu'ils avaient un passé. Un vécu. Parce qu'ils avaient été intimes. Parce qu'il était en colère qu'elle lui ait caché des choses. Andrew secoua quelque peu la tête. Qu'est-ce qu'il pouvait faire par rapport à tout cela ? A croire que c'était un dialogue de sourd entre eux. "Alana, je suis chirurgien. Pas manip radio. Pas radiologue non plus." Il secoua la tête. "J'l'ai soigné. Et j'vais continuer à le suivre quand il reviendra de la radio. Mais pour le moment, il est entre les mains des spécialistes." Il ne pouvait pas tout faire. Il savait faire pas mal de choses. Il s'y connaissait avec les entorses et tout ça. Il en avait soigné quand il était au Mali. A l'armée également. Et là, il préférait faire les choses ... correctement. Avec ses collègues. Parce que émotionnellement, ça allait le toucher. Et si ça le touchait, il ne pourrait pas faire son travail correctement. Enfin. Ils discutaient. Ou plutôt, il exprimait sa colère. Ses doutes. Sa déception. Un peu ... fâché quand même qu'elle ait cru qu'il avait pu se taper d'autres nanas quand il était à l'armée. Il eut un rire jaune quand elle lui parla de deux femmes avec qui il aurait couché. "Ouais ... Sans doute dans leurs rêves. Parce que je n'ai jamais été dans leur lit. Et c'est pas faute d'avoir essayé de m'attirer à de nombreuses reprises." Victoria était la plus garde des deux. Elle avait tenté tout un tas de stratagèmes pour l'avoir dans son lit. Andrew n'avait pas réagi favorablement à ses demandes. A chaque fois. Et pourtant, c'était pas faute d'avoir essayé. La seule fois où elle avait vraiment été dans son lit ? Andrew était en mission, à l'extérieur. Il était rentré, vanné, prêt à se coucher. Et il avait eu la désagréable surprise de la retrouver à poil dans son lit. Sans doute avait-elle pensé que ça fonctionnerait et que le militaire passerait à l'acte. Raté. "J'présume que c'est elles que te l'ont dit ? Elles t'ont dit aussi que j'ai demandé à ce qu'elles ne m'approchent plus ?" Il avait fait une demande au Général. "Tu t'es jamais demandé pourquoi elles ont changé subitement d'unité ?" Du jour au lendemain ? Parce qu'Andrew ne se sentait pas à l'aise. Et parce qu'il ne voulait pas qu'elles restent dans les parages. Quant au mail, ouais ... S'il lui avait envoyé un mail lui disant que c'était mieux qu'ils restent loin de l'autre, qu'ils tournent la page, c'était parce que lui-même avait reçu un mail de ce genre indiquant qu'elle ne voulait plus le voir. "Et tu crois quoi ? Que j'aurais pu vraiment te tourner le dos si j'avais su ?" Certes, il n'aspirait pas à avoir une famille. Pas à ce moment là. Mais c'est dans les imprévus que les meilleures choses arrivent. Ouais. "Certes, j'avais des ambitions. Mais c'est rien par rapport à avoir un enfant. Et j'aurais pris mes responsabilités !" Maintenant qu'il savait ? Il prendrait ses responsabilités aussi. Comment, il n'en savait rien encore. Il verrait bien.

I l avait raison et je le savais. Il ne pouvait actuellement rien faire pour Cameron, mais j'aurais été plus rassuré s'il avait été avec lui plutôt qu'avec moi. "Ok... J'ai juste besoin de savoir qu'il est entre de bonnes mains et tu es le meilleur." Ce n'était pas dit pour le flatter, je le pensais vraiment. J'avais vu Andrew à l’œuvre plusieurs fois sur le terrain et il avait un don.
Plus la discussion avançait et plus je me rendais compte à quel point j'avais été stupide de croire ces deux greluches. J'aurais du comprendre qu'elle se foutait de moi, mais j'avais foncé dans le mur. A cause d'elles - et de ma stupidité - je n'avais pas fait les bons choix. J'avais poussé Andrew loin de moi. Loin de son fils. "Je pensais qu'elles avaient été muté. Pourquoi tu ne m'as rien dit ?" Parce qu'on ne parlait plus à l'époque, qu'on se contentait de ce qu'on avait à faire avant de retourner chacun dans sa chambre. Faire l'amour c'était bien plus facile que de parler de sentiments. J'aurais préféré être dans son lit plutôt que d'avoir à parler avec lui à cet instant. "Tu aurais fait quoi au juste ?" Demandais-je sur la défensive. Il me reprochait de ne pas lui avoir dit qu'il allait être père, mais il n'avait pas la moindre idée de ce que ça avait pu être pour moi.  "J'étais folle amoureuse et je grappillais les miettes que tu voulais bien me donner, je n'étais pas importante pour toi. Cameron ne l'aurait pas été non plus." Depuis plus de 20 ans on se tournait autour. Une fois ensemble, une fois pas, je l'avais aimé et le voir partir m'avait brisé, mais j'avais eu son fils et ça m'avait aidé à survivre. Je m'étais raccrochée à son cadeau d'adieu en quelque sorte. "Je n'étais qu'un passe temps." Par le passé, j'avais déjà eu ce genre de pensées. J'avais essayé de me convaincre que ce n'était pas si grave si je lui cachais sa paternité, parce que de toute façon je ne comptais pas. Mais au fond de moi je savais que ce n'était pas vrai, en tout cas pas totalement.

Il n'était pas radiologue. Il n'était pas neurologue. Donc, oui, Andrew avait donné le cas à un de ses collègues. Et il assurerait, à nouveau, le suivi plus tard. Quand le petit serait revenu dans la chambre. A moins que ... Et bien, à moins qu'il laisse carrément le cas. Ce qui était possible. Il ne savait pas si Alana voulait de lui auprès d'eux, même si elle disait le contraire. C'était peut-être juste pour sauver les apparences. "Le meilleur sur certains points mais pas pour tout." crut-il bon de préciser. En tout cas, Andrew était blessé. Blessé par cette nouvelle. Par la manière dont il l'apprenait. Est-ce qu'elle aurait fini par lui en parler si .... si elle n'avait pas eu cet accident ? L'ancien militaire venait à en douter mine de rien. Si ça se trouvait, elle aurait gardé ça pour elle. Et lui, il n'aurait jamais su. Et ça, c'était moche. Quoi qu'il en soit, oui, il n'avait jamais couché avec Victoria et Kelly. Non. Ces deux dingues ... même pas en rêve. Alana avait pensé qu'elles avaient été mutées, comme ça, sans raison. Mais non. Si elles étaient parties, il en était responsable. "Elles l'ont été ... mutées." Il eut un hochement de la tête. "Mais c'est parce qu'elles me harcelaient et que j'ai préféré prendre les devants en demandant une faveur." Et elles avaient été éjectées. A son plus grand bonheur. Enfin. Il aurait aimé savoir avant. Il aurait aimé pouvoir donner son avis. Seulement, pour Alana, c'était pas ... Et bien, c'était différent. Elle avait cherché à se protéger. A protéger leur enfant. Elle doutait qu'il aurait pu être là. Parce qu'elle n'était qu'une distraction. Parce qu'elle n'était pas importante. "Mais d'où tu penses ça ?" La goutte d'eau qui faisait déborder le vase quand elle en vint à dire qu'elle n'était qu'un passe-temps pour lui. "Tu crois vraiment que je pensais ça de toi, de nous ?!" Il avait haussé un peu le ton. Beaucoup même. Et c'est là qu'on toqua à la porte et qu'une infirmière pointa le bout de son nez. "Andrew, on a les résultats." Il avait un regard noir. Pas contre sa collègue mais contre Alana. "Dis-moi." Andrew s'était rapproché de sa collègue et regardait les résultats. "J'aime pas cette tâche." Une tâche noire, prémisse d'une hémorragie. "Réserve-moi un bloc. On le monte tout de suite." L'infirmière eut un hochement de la tête et elle partit aussitôt. Andrew se tourna vers Alana. "Comme tu n'es qu'un passe-temps, tu m'excuseras, mais j'vais aller opérer Cameron avant qu'il ne me fasse une hémorragie." Ouais. Un peu abrupte la manière dont il lui avait dit ça, hein, mais bon. C'était pour bien lui faire comprendre que c'était pas un passe-temps. Qu'il avait toujours tenu à elle. Avant de passer la porte, il s'arrêta. "Oh, et pour éviter tout conflit d'intérêt, j'aurais pu refiler le cas à un collègue. Mais non, tu vois, je sais prendre mes responsabilités. Et quand je commence quelque chose, je le termine." Et il l'avait laissée en plan. Sans rien dire de plus. Sans aucune autre explication. Il la laissait ... dans le noir. Sans informations. C'était cruel. Pas gentil. Mais il parlait au plus pressé. Et le plus pressé, pour le moment, c'était Cameron. Et pas Alana ou bien ses sentiments.

L es données que j'avais aujourd'hui étaient bien différentes de celles que j'avais eu lorsque j'avais pris la décision de laisser Andrew en dehors de la vie de Cameron. Je ne l'aurais pas laissé partir si j'avais su que j'étais spéciale pour lui, que l'on avait quelque chose de réelle. J'aurais tenté ma chance. La vie aurait été tellement plus belle à trois plutôt qu'à deux.
Une infirmière débarqua dans la chambre avant que je ne puisse répondre et elle donna des papiers à Andrew. Apparement il y avait un soucis avec Cameron et l'angoisse remonta d'un cran. J'aurais aimé qu'il prenne une minute pour m'expliquer, mais il avait tellement de colère contre moi qu'il me balança juste que mon bébé faisait une hémorragie. Où ? Est ce que c'était grave ? Mes questions restèrent en suspend dans ma tête, car ses derniers mots me scotchèrent. Il était juste méchant, cruel, pour une décision que j'avais prise dix ans auparavant sans connaitre tous les aboutissants de l'histoire. Je m'étais plantée et il me le faisait payer.

Plusieurs heures s'étaient écoulées et je n'avais toujours pas de nouvelles. J'avais essayé d'en obtenir auprès des infirmières, mais rien ne filtrait - je devais déjà avoir l'étiquette de la femme qui avait énervé le grand et prestigieux docteur Miriyan -. J'étais en terrain hostile, et pourtant j'avais baissé ma garde. Je pleurais, je suffoquais à cause de ce trop pleins d'émotions. Je ne pouvais rien contrôler. J'étais obligée d'attendre. Cette attente interminable se termina lorsqu'un brancardier ramena Cameron dans la chambre. Il était encore endormi - ou inconscient - et des tas de câbles étaient reliés à son petit corps fragile. La vision de mon garçon dans cet état m'obligea à m'arrêter à un mètre de son lit, j'aurais voulu aller lui prendre la main, mais je n'arrivais pas à m'approcher de lui. J'avais fait ça, j'en étais responsable... "Je suis désolée poussin." Pour l'accident, pour son père, j'avais de quoi être désolée aujourd'hui. Sentant les larmes revenir dans mes yeux, je sortis de la chambre, je ne voulais pas que la première chose qu'il voit en se réveillant soit sa mère en pleur. Mais à peine avais-je refermé la porte derrière moi que je vis Andrew au bout du couloir. Après ce qu'il m'avait dit un peu plus tôt, je n'étais pas sure de vouloir le voir. Alors quand il fut assez prêt de moi, et en rassemblant mes forces pour ne pas avoir l'air d'une loque, je lui avoua ce que j'avais sur le cœur. "Je suis désolée de t'avoir tenu à l'écart de Cameron. Je pensais... clairement je n'aurais pas du penser. J'aurais du te le dire et te laisser décider." J'avais fait les mauvais choix, pris les mauvaises décisions. "Tu devrais aller le voir, te présenter... Il connait tout de toi, fin tout ce que je savais de toi à l'époque." J'avais envie de partir, de les laisser tous les deux. Ça aurait été logique qu'Andrew décide de me le prendre pendant 10 ans après que je lui ai volé les 10 premières années de la vie de son fils. M**de, j'aurais aimé pouvoir disparaitre. "Et... je sais que tu est un homme avec des valeurs, qui est responsable et qui aurait assumé sa paternité. Je ne voulais juste pas te l'imposer, que tu penses que j'avais fait exprès de tomber enceinte. C'était un accident et je n'avais personne à qui en parler pour prendre les bonnes décisions." Car Andrew était cette personne à qui je demandais si j'avais un doute, il avait toujours été là pour moi. En tant qu'ami, que collègue et qu'amant... Et rien qu'avec ça j'aurais du faire le calcul et le supplier de venir assumer son rôle de père. Pas le pousser à m'abandonner.

La laisser, comme ça, sans plus d'explications, ça lui serrait le coeur quand même. Parce que ce n'était pas lui. Du tout. Il était en colère, oui. Il était en colère. Mais ce n'était pas lui pour autant. Il avait eu envie de se rapprocher d'elle. Il avait eu envie de la prendre dans ses bras. Mais il n'en avait rien fait. Il avait détourné les talons. Parce que là, tout de suite, c'était Cameron qui avait besoin de lui. Enfin, d'un chirurgien plutôt. Que ça soit lui ou un autre, peu importe. Il ne savait pas s'il devait se charger de ce cas. Mais en même temps, il n'avait pas envie de le confier à une autre personne. C'était son fils. Son fils après tout. Là, tout de suite, il aurait bien aimé avoir son pote Spencer sous la main. Ouais. Pour qu'ils aient une petite conversation. Lui, il avait une fille. Une fille dont Andrew était le parrain. Il serait de bons conseils. Ou du moins le pensait-il. Ouais. Sans doute lui enverrait-il un sms assez rapidement, histoire de voir s'il était dans les parages et s'il pouvait venir le voir. Pour l'heure, il allait se concentrer sur Cameron. Il allait l'opérer. Voilà tout.

Andrew venait de sortir du bloc. Quelques minutes plus tôt, c'était Cameron qui était sorti sur un brancard. On le ramenait dans sa chambre. Ou plutôt, on l'emmenait dans sa chambre. Il serait surveillé Le temps qu'il se réveille. Mais il serait avec sa mère, également.. Qui ne manquerait pas d'appuyer, sans doute, toutes les cinq minutes sur le bouton pour appeler une infirmière ou quelqu'un si jamais il se passait quoi que ce soit. Est-ce qu'il devait les laisser tranquille ? Le médecin n'en savait rien. Bien qu'il crevait d'envie de les rejoindre, d'en savoir plus, il ne savait pas s'il en avait le courage, là, tout de suite. Plus tard peut-être. Il était encore sous le coup de la nouvelle et avait peur de dire des choses qu'il ne pensait pas. Ouais. Il devait se laisser un peu de temps. Tandis qu'il marchait dans le couloir, décidé à s'occuper d'autres patients même si le coeur et l'envie n'étaient pas là, il croisa Alana. Il secoua la tête. "Tu devrais pas être debout." Non. Elle devrait être couchée. Et veiller sur son fils. Et pas déambuler dans les couloirs. Alana en vint à s'excuser. Désolée de l'avoir tenu à l'écart. Désolée d'avoir pris cette décision. C'était fait. Elle avait fait ses choix. Ils ne pouvaient pas revenir dessus. Tout simplement. Elle lui conseilla d'aller le voir. Andrew secoua la tête. "Pas aujourd'hui." Ouais. Pas maintenant. "Il a subi une lourde intervention. Et même s'il va s'en sortir, il a besoin de repos." C'était le médecin qui parlait. Pas le père. Le père avait envie de franchir cette porte et de rester à son chevet jusqu'à ce qu'il finisse par ouvrir les yeux. Il ne le pouvait pas. A moins de demander le reste de sa journée. Ca serait normal après tout. Il pouvait très bien s'arranger avec le chef de la chirurgie. Il ne lui dirait rien. Il lui conseillerait même de le faire. "M'en parler, ça t'aurait rien coûté." Il secoua la tête. Bien sûr, il était déçu. Mais c'était comme ça. "On peut pas revenir en arrière." Il aurait bien aimé. Mais c'était comme ça. Pas autrement. Elle devait vivre avec ça. Lui aussi.

A ndrew refusait d'entendre mes excuses. Il était froid avec moi, il me repoussait et je ne savais plus quoi faire, où aller... J'étais perdue. "Va le voir !" C'était la seule chose pour laquelle j'étais certaine à cet instant. Il devait aller voir son fils. Il avait parlé de prendre ses responsabilités, alors c'était le moment de le faire. "Tu m'en veux et je peux le comprendre, mais il n'y est pour rien." J'avais besoin qu'il prenne le relais, qu'il soit avec Cameron pour que je puisse aller m'effondrer loin d'eux. Je sentais que je ne tiendrais plus longtemps avant de pleurer. "S'il te plait..." Mais rien. Tout ce que je voyais dans son regard c'était de la colère. Alors je fis ce que toute mère célibataire aurait fait, je ravala ma peine et mes larmes pour retourner auprès de mon fils. Etre forte pour deux alors qu'au fond de moi j'étais en train de suffoquer dans ma peine. Gosh, cette journée était horrible. Elle avait mal commencé, mais ne faisait qu'empirer à mesure que les minutes s'écoulaient.
Les larmes roulaient sur mes joues alors que je m'accrochais à la petite main de Cameron. Je me laissais aller en me promettant intérieurement que dès qu'il se réveillerai j'arrêterais mon cinéma. Je n'avais pas le droit de pleurer devant lui. Je manquais d'air tellement les émotions étaient vives et douloureuses. C'était un cauchemar, ça ne pouvait être que ça, parce que même dans mes visions les plus horribles, annoncer à Andrew sa paternité n'avait jamais été aussi catastrophique.
Une infirmière entra dans la chambre. Elle voulait vérifier que Cameron allait bien, mais en voyant mon état elle vint vers moi. Elle posait des questions et voulait appeler Andrew, mais je lui fis non de la tête. J'étais une loque, mais elle était là pour mon petit et elle devait s'occuper de lui. Je sortis - parce que je ne voulais pas voir le corps blessé de mon grand bébé - et plutôt que de rester devant la porte, je trouva le chemin menant au toit. L'air me fit du bien. L'espace sans fin aussi. Je m'assis sur le rebord et mon regard se posa sur l'horizon. Ma respiration commença à se calmer. Petit à petit je retrouvais un état plus apaisé. J'avais vraiment tout foutu en l'air avec les deux hommes de ma vie.

Ca sonnait plus comme un ordre qu'un conseil, ou quelque chose dans le genre. Ouais. Alana souhaitait qu'il aille voir son fils. Qu'il aille voir leur fils. Mais il ne le pouvait pas. Pas maintenant. Ou du moins, il le voulait mais ne savait pas si c'était une bonne idée. Le petit dormait. Il se reposait. Il n'avait pas besoin d'agitation autour de lui. Il n'avait pas besoin de son père pour le moment. Il devait se reposer. Tout simplement. "J'irais le voir mais pas maintenant." répéta-t-il. Son ton était calme. Plus doux qu'avant qu'il n'opère le petit à dire vrai. Il était toujours en colère contre Alana. Mais il ne pouvait pas rester définitivement en colère contre elle. Ce n'était pas possible. Du tout. Elle avait fini par lui tourner le dos. Et retourner auprès de leur fils. Il le savait ... Au fond, Andrew s'y prenait mal. Il s'y prenait très mal. Ouais. Il devait exploser cette bulle dans laquelle il vivait. Il devait faire en sorte que ça change. Il devait arrêter de lui en vouloir. Il devait tourner la page, et faire avec. Ca faisait quelques heures qu'il était au courant. Et avait encore besoin de temps. Réfléchir à ce qu'il allait faire. Ce qu'il n'allait pas faire. A mesurer ses mots. A être ... Andrew ... Il avait l'impression qu'il ne se reconnaissait pas. Mais c'était normal, d'une certaine manière. Il resta bien assis, un peu comme un con, non loin du poste des admissions de chirurgie. Pas forcément le regard vide. Il réfléchissait. Beaucoup. A tout ça. Il fut tiré de ses pensées par un de ses collègues qui lui posait une question. "Allo Andrew, ici la terre." Le médecin cligna des yeux, sortant de sa torpeur. "Tu devrais pas être parti ?" Il pencha la tête légèrement sur le côté. "Ouais, c'est vrai." Sauf qu'il n'avait pas envie de partir. Il voulait rester dans les parages. Mais ça voulait pas dire pour autant qu'il allait bosser. Non. Peut-être qu'il allait voir finalement le gamin. Son fils ... Ouais. A voir. Quand il se leva, il remarqua Alana. Qui venait d'emprunter les escaliers. Elle montant. Elle ne pouvait aller qu'à un seul endroit. Le toit. Il n'y voyait pas forcément d'un bon oeil. Il doutait qu'elle puisse se jeter du toit mais bon. Il ne put s'empêcher d'avoir cette pensée. Andrew quitta sa blouse. Il n'était plus médecin. Du moins, s'il se fiait à son planning, il avait fini. Et il l'avait suivi. Ouais. Elle était assise sur le rebord. C'était quelque chose qu'il n'aimait pas trop. "J'ai pas envie ... Que tu restes là ... C'est dangereux." Il s'était rapproché d'elle assez rapidement. Oui. Il s'inquiétait. Même s'il avait toutes les raisons d'être en colère contre elle, il s'inquiétait pour elle. "Tu veux bien descendre ?" Il avait tendu ses mains vers elle. "J'ai pas envie d'annoncer à ton ..." Il se reprit rapidement. "Notre fils que sa mère n'est plus là." Parce qu'un coup de vent, ça arrivait rapidement. Et s'il soufflait un peu trop fort et qu'elle se retrouvait aplatie comme une crêpe ... Non, il ne voulait pas.

L 'air m'aidait à reprendre mes esprits après cette dure journée. Je n'étais pas sure de ce que l'avenir avait en réserve pour Cameron et moi, mais ce qui était sur c'était qu'à présent Andrew allait faire parti du tableau. Et il me haïssait. C'était tout ce que j'avais redouté toutes ces années... Que mon fils se retrouve avec deux parents incapables de communiquer. Je ne pouvais qu'en vouloir à moi même, j'avais pris la décision d'avoir un bébé sans prévenir le père. Une décision stupide.
Je n'étais pas assise depuis plus de quelques minutes quand j'entendis la voie d'Andrew. Qu'est ce qu'il faisait là ? Je ne lui avais rien demandé. Est ce que Cameron avait un problème ? Non, je venais de partir et si vraiment il serait en train de s'occuper de son fils. Il me demanda de descendre du rebord et je me tourna vers lui, je ne voulais pas me battre à nouveau avec lui, ça n'en valait pas la peine. Mais c'était idiot, je n'allais pas sauter et j'avais passé une bonne partie de ma vie sur les toits, j'avais été sniper et il le savait. Je pris la main qu'il me tendait pour descendre et ça me fit tout bizarre d'être à nouveau aussi proche de lui. F**k ! Je ne voulais pas être ce genre de nana qui retombait toujours dans les bras du même type alors qu'il n'y avait pas de sentiments réciproques. Pourquoi je n'arrivais pas à me mettre dans le crâne que je n'étais pas suffisante pour Andrew. Il avait surement mieux que moi en réserve. L'infirmière qui s'occupait de Cameron par exemple. Ou la médecin qui s'était occupée de moi aux urgences. Il pouvait avoir toutes les femmes, alors pourquoi penser que je pouvais l'avoir pour moi...
Après avoir gardé un peu trop longtemps sa main dans la mienne, je fis quelques pas en arrière pour retrouver un semblant d'espace personnel. Je ne le regardais même pas dans les yeux tellement je m'en voulais de l'aimer autant et en plus j'étais incapable de le cacher - il m'engueulait et pourtant j'avais envie qu'il soit la personne à me consoler -. "Tu as été le voir ?" Lui demandais-je pour la énième fois aujourd'hui. Je voulais tellement qu'il aille le voir et ça serait surement plus simple pour Andrew d'y aller tant que Cameron était inconscient. Au moins pour découvrir les traits de son fils au calme. "Je ne veux pas te forcer, surtout si tu n'as pas envie de le voir maintenant, mais... Il est intelligent et il va vite faire le rapprochement entre les photos que je lui ai montré et toi. Il va poser des questions, chercher à comprendre. Il te ressemble tellement..." Mon cœur de maman souffrait tout autant que mon cœur de femme. "J'aurais du te dire que j'étais enceinte. Je le sais. Mais il s'est passé tellement de chose, j'ai pris peur et je me suis renfermée sur moi même. J'ai même pensé à le faire adopter, mais je n'ai pas pu parce qu'il était une partie de toi... " C'était difficile de faire plus pathétique. Mais c'était vrai.