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emre & charlie
Un rire strident et forcé me parvenait aux oreilles, me ramenant brusquement à l’instant présent. Je me souvenais soudainement de la présence de Kelsie (ou Kelly ou quel que soit son prénom : je n’y avais, de toute façon, prêté aucune attention). Je lui jetais un regard lourd de sens, la jaugeant depuis ma place sur le canapé. C’était une jeune femme gâtée par la nature : plantureuse, avec des jambes interminables, une taille de guêpe, de longs cheveux blonds qui rebondissaient sur sa poitrine généreuse (et très certainement refaite soit dit en passant) à chaque éclat de rire. Et pourtant il lui manquait l’essentiel : une personnalité (en plus d’un cerveau qui parvenait à connecter plus de deux neurones à la seconde). C’était toujours comme ça avec les filles de son genre, les poupées Barbie aussi séduisantes que creuses : lorsqu’il s’agissait de se trémousser sur un dance-floor ou de finir les jambes en l’air sur la banquette arrière d’une voiture hors de prix, il y avait du monde. En revanche lorsqu’il s’agissait d’avoir une réelle conversation, censée et intéressante, il y avait tout de suite moins de candidates. Des filles comme cette Kessy, j’en avais croisé des milliers, côtoyé à la pelle et pas un seul prénom ne me revenait à la mémoire aujourd’hui. Et si pendant un temps, je m’étais juré de ne jamais retomber dans mes anciens travers, de ne jamais rechercher de nouveau la compagnie d’écervelées consentantes pour à peu près tout dans son genre, j’avais fait plus d’une entorse à la règle ces deux derniers mois. D’aucuns diraient que c’était là les agissements de quelqu’un qui cherchait à combler un certain vide. Pour ma part, je me contentais de remettre mes états d’âmes à plus tard. « Charlie ? Tu m’écoutes ou bien ? » m’interpellait la blonde avec une moue boudeuse. Je devais me concentrer pour faire la mise au point sur son visage, mes iris mettant un temps à trouver les siennes, perturbées par les éclairages agressifs de la boîte de nuit. « Quoi ? Non. » me contentais-je de lui répondre d’un air agacé. « Tiens, t’irais nous chercher un verre ? » lui dis-je, pas nécessairement plus agréable en lui tendant négligemment un billet de cent dollars australiens. Elle acceptait néanmoins, se relevant avant de disparaitre dans une tornade de cheveux blonds. « Mec, tu pourrais être plus sympa. » me lançait Tad avec un petit sourire en coin, visiblement amusé par ma mauvaise humeur, malgré tout. « Qu’est-ce que j’y peux si elle aussi intéressante qu’un manuscrit sur la quadrature du cercle et aussi intelligente que Paris Hilton sous acide ? » répliquais-je, avec une moue totalement désabusée. Clairement le rôle du petit snobinard m’allait comme un gant. D’ailleurs, la jeune femme ne tardait pas à revenir avec trois verres, nous en tendant un chacun à Tad et moi. Alors qu’elle s’asseyait sur mes genoux, l’air enjôleur, Tad se relevait aussitôt : « Merci pour le verre. J’vais rejoindre les gars. » disait-il en disparaissant aussitôt en direction du reste de la fine équipe qui se trouvait sur la piste de danse. L’air toujours aussi blasé, je laissais la demoiselle jouer avec mes cheveux, me perdant de nouveau dans le fil de mes pensées. Cependant, cette dernière se montrait rapidement un peu plus entreprenante en commençant à me caresser le torse et je la repoussais aussitôt, la faisant retomber sur le canapé alors que je me redressais. « Je vais aller faire un tour moi aussi. » Et sans un regard de plus, mon verre en main, je disparaissais dans la foule bruyante, bien décidé à mettre le plus de distance possible entre cette fille et moi. Sans trop savoir comment, ni pourquoi, je me retrouvais dans le fumoir de la boîte de nuit, lieu où les gens venaient occasionnellement s’en griller une mais où ils venaient surtout profiter de l’accalmie pour parler et draguer en toute impunité au milieu du nuage de fumée. Je sortais de ma poche arrière mon paquet de clopes, portant rapidement une cigarette à mes lèvres que j’allumais aussitôt, savourant ma solitude retrouvée (celui qui avait dit qu’il valait mieux être seul que mal accompagné, avait tout mon respect). Cependant, mon regard était rapidement attiré par une silhouette familière qui échangeait des messes basses avec un autre type que j’avais déjà croisé à l’université. Je secouais néanmoins la tête : c’était impossible et absurde. Pourtant, je ne parvenais pas à détourner mon regard du duo qui se tenait dans un coin de la pièce, à tel point que l’autre type croisa mon regard et me montra du menton tout en signifiant certainement à son acolyte que je les observais d’un peu trop près. Le gars de dos, dont j’avais cru reconnaître la silhouette, se retourna alors pour m’observer. Non, c’était impossible. Pourtant la surprise laissait rapidement place à la colère et mon sang ne fit qu’un tour. Je bondissais sur le type, le poussant contre le mur, sans même avoir prémédité mon geste. « J’peux savoir ce que tu fous là, Emre ? » claquais-je. Mon ton était plus sec qu’un coup de fouet et si un regard pouvait tuer, mon interlocuteur serait à présent six pieds sous terre. L’autre type semblait vouloir s’interposer et en lui jetant un coup d’œil rapide, je remarquais aussitôt le paquet d’herbe qu’il tenait toujours dans sa main. « Putain, mais en plus tu traînes toujours dans tes magouilles à deux balles ! » Je voyais rouge, à tel point que l’ensemble du fumoir s’était arrêté de parler pour nous regarder, dans l’attente de voir lequel de nous deux sauterait sur l’autre en premier. « Et dire que je pensais à une époque que t’étais récupérable… » crachais-je, peu amène.
Pour Emre, chaque soirée était une chance de se faire une clientèle, et de se faire de l'argent. Emre ne perdait jamais cet objectif de vue. Chaque centime qu'il parvenait à se faire et à économiser était un centime qu'il pourrait engager dans la bataille. Un centime qui le rapprochait de son fils. Son enfant, son bébé, la chair de sa chair, le plus beau cadeau que la vie lui avait offert. Ce petit être qu'il n'avait jamais pu rencontrer, et qu'on lui avait arraché avant même qu'il ne puisse naître. Cette douleur immense, cette plaie béante, et cet abyme de souffrance que rien ni personne ne pouvait tarir. Son fils, qu'il crevait d'envie de rencontrer, de serrer dans ses bras, de faire sautiller sur ses genoux, d'embrasser sur la joue et de regarder dormir. « Je te lâche deux grammes pour deux cents dollars. » Le consommateur fronça les sourcils, puis releva la tête vers Emre, perplexe. C'était un client régulier, qui s'arrangeait pour croiser le chemin de l'Anglais en moyenne trois fois par semaine. « D'habitude, c'est moins. » Emre ricana, puis haussa les épaules. Ce n'était pas lui qui avait besoin d'artifice pour compenser une vie inintéressante. Pas lui qui avait besoin de poudre pour se rendre indispensable auprès de pseudo-amis. « Tarif boîte de nuit. » Répliqua Emre, sans aucune pression. Ben quoi ? L'alcool coûtait en moyenne trois fois plus cher. Il pouvait bien s'autoriser quelques largesses, lui aussi. « A prendre ou à laisser. » Emre n'était pas inquiet ; si ce client là tournait les talons, un autre viendrait immédiatement à sa rencontre. C'était l'avantage qu'offrait ce lieu ; tout le monde voulait se perdre, s'oublier – et l'aide de quelques substances interdites n'était pas proscrite. Bon gré mal gré, l'acheteur tendit quatre billets de cinquante dollars à Emre, qui les fit aussitôt disparaître dans la poche de sa veste. Le dealer allait s'éclipser sans demander son reste, mais un autre homme se présenta à lui, et lui demandait ce qu'il avait en réserve. Il lui aurait volontiers répondu, mais une tierce personne s’incrusta – et pas de la manière la plus agréable qui soit. Emre n'avait pu esquiver cette soudaine attaque, et s'était retrouvé plaquer contre le mur sans avoir eu le temps de réagir. Sa tête heurta le mur, et il ferma les yeux un court instant, le temps de reprendre ses esprits. Quand il les rouvrit, il constata que l'assemblée semblait attendre la réaction du dealer pour se détendre, ou pour prendre ses jambes à son cou. Il porta ensuite son regard sur son agresseur, et fût surpris de découvrir qu'il s'agissait d'un visage plus que familier. « Enlève. Tes. Mains. » Le ton était froid, distant, presque clinique. Autour d'eux, le temps s'était comme suspendu. Emre déposa ses mains sur les poignets de celui qui fût autrefois son ami, et le repoussa avec force. La seule chose qui l'empêchait de l'éclater contre le mur opposé ? Il n'en savait rien, mais supposait que cela devait être au nom d'une ancienne amitié. Ou d'un fils qu'il n'avait jamais pu approcher. « C'est vraiment l'accueil que tu réserves à un vieux pote ? » Demanda Emre, avant d'enchaîner aussitôt : « Laisse-moi deviner... Encore un Hazard-Perry qui me déteste. Décidément, vous faites dans l'originalité dans votre famille. » Ironisa Emre, se payant le luxe de lui adresser un sourire narquois. Emre n'avait pas encore eu l'immense honneur de revoir Gauthier – et c'était sans doute mieux ainsi, notamment pour son intégrité physique. Le premier né des Hazard-Perry avait toujours eu une dent contre lui, sans qu'Emre ne soit réellement en mesure de comprendre pourquoi. Il avait fini par se faire une raison ; peut-être n'y avait-il aucune explication rationnelle qui justifiait ce rejet en bloc. Charlie, lui, avait adopté une attitude bien différente ; il avait été le soutien inespéré, le soutien qui faisait du bien et qui avait grandement soulagé Théodora – notamment auprès de ses parents. Emre lui en avait toujours été reconnaissant, et avait toujours tenu Charlie en haute estime. « Tu comptes me faire la morale ? » Demanda l'Anglais en arquant un sourcil. L'absurdité de la situation lui donnait envie d'éclater de rire. Il n'était pas parfait, il le concevait et l'avouait sans détournement, mais il n'était pas prêt d'accepter que Charlie lui enseigne les bonnes manières. Il pouvait venir d'une bonne famille, noble et distinguée dans la hiérarchie Britannique, il n'en était pas moins un homme volage, qui n'en faisait qu'à sa tête. Et Emre le savait mieux que quiconque, puisqu'il avait été l'un de ses meilleurs amis. « Par pitié, pas toi. » Siffla Emre en roulant des yeux, lui signifiant clairement qu'il se balançait de son avis et de ses attaques physiques et morales. Un petit rire désabusé s'échappa des lèvres d'Emre ; avec amertume, il réalisa que le statut de bonne famille pouvait cacher bien des secrets inavouables. Une fille tombée enceinte trop jeune, un garçon aux mœurs libérées, et un petit dernier qui s'oubliait dans des soirées de débauche... Les Hazard-Perry étaient loin de l'image de la famille parfaite qu'ils voulaient renvoyer au reste de la société. « On sait tous les deux que tu n'es pas parfait. » Emre prit soudainement conscience du silence qui les entourait. Tout le monde semblait figé, et comme pendu aux lèvres des deux protagonistes principaux. Qu'attendaient-ils ? Qu'ils se jettent à la gorge de l'autre ? « Vous n'avez rien de mieux à faire ? » Cracha l'Anglais, le regard noir. Leur querelle ne regardait personne.
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emre & charlie
Je ne m’énervais pas facilement. Non pas parce que j’avais un sang-froid à toute épreuve mais plutôt parce qu’il y avait peu de choses qui me touchaient réellement et donc, encore moins qui parvenaient à me faire sortir de mes gonds. Pourtant parmi ces quelques choses capables de me mettre en colère, Théodora et son bien-être tenaient la première place. Si j’avais été réellement déçu et en colère contre Emre après sa disparition soudaine pendant la grossesse de Théodora, je n’aurais jamais cru qu’il avait le culot nécessaire pour réapparaitre dans nos vies après autant de temps. Le voir, ici, en toute impunité après tout ce qu’avait traversé Théodora pour garder leur fils me rendait fou. Constater qui plus est qu’il traînait toujours dans son petit business illégal suffisait à me faire perdre tout self-control. Sans même m’en rendre compte, j’avais poussé Emre contre le mur, lui valant de se taper la tête contre le mur. Un instant, nous nous jaugions du regard, figeant l’assemblée dans son dernier mouvement. La voix d’Emre venait finalement briser ce silence d’un coup sec : « Enlève. Tes. Mains. » m’ordonnait-il. « Sinon quoi ? » Je lui lançais un regard de défi, pas le moins du monde effrayé par le ton menaçant de celui qui avait autrefois été mon ami. Si je n’étais pas certain de m’en sortir indemne en cas de confrontation physique avec le dealeur, j’étais bien trop énervé contre Emre pour pouvoir agir de façon rationnelle et censée. « Qu’est-ce que tu comptes me faire, Emre ? » Pour sûr, pousser le jeune homme dans ses retranchements était loin d’être une bonne idée, mais je ne contrôlais plus les mots qui me sortaient de la bouche. Je n’éprouvais plus le moindre respect pour la personne qui se trouvait face à moi. « C'est vraiment l'accueil que tu réserves à un vieux pote ? » répliquait Emre avant d’enchaîner : « Laisse-moi deviner... Encore un Hazard-Perry qui me déteste. Décidément, vous faites dans l'originalité dans votre famille. » Je levais les yeux au ciel avec toute la condescendance dont j’étais capable, et Dieu seul savait à quel point je pouvais me montrer suffisant lorsque je le désirais. « Parce que tu voudrais me faire croire que tu es à plaindre ? » répliquais-je, acide, un sourcil arqué, inquisiteur. J’avais du mal à croire qu’il ait le culot de se présenter ici et d’oser se faire passer pour une victime. « Si tu veux mon avis, tu as de la chance qu’on ne donne pas dans l’originalité. » Pour sûr, si j’étais littéralement furieux contre Emre comme en témoignait ma mâchoire crispée et mes poings fermés qui faisaient blanchir mes phalanges, Gauthier, lui, n’hésiterait pas à massacrer Emre, qu’il soit le géniteur d’Oliver ou non. Mon grand frère n’ayant jamais porté l’anglais dans son cœur, j’étais prêt à parier qu’il serait prêt à tout pour l’empêcher de venir rôder autour de Théodora et de son fils avec sa mauvaise influence et ses choix de vies douteux. « T’as perdu le droit de t’immiscer dans nos vies le jour où t’as abandonné Théo. » Si un regard pouvait tuer, il était évident que le dealer ne serait déjà plus qu’un lointain souvenir. J’étais d’autant plus remonté contre le jeune homme que je lui avais accordé le bénéfice du doute fut un temps, je l’avais défendu face à mes parents, soutenu dans sa relation avec Théodora pour qu’il nous plante un couteau dans le dos au pire moment. Si je n’avais jamais eu besoin de l’anglais dans ma vie, Théodora, elle, avait été anéantie de constater qu’il s’était carapaté en apprenant sa grossesse. Emre n’aurait pas pu choisir pire moment pour tourner le dos à Théodora alors qu’il était autant responsable qu’elle de cette situation. Après tout, cet enfant, ils l’avaient conçu à deux. « Tu comptes me faire la morale ? Par pitié, pas toi. On sait tous les deux que tu n'es pas parfait. » sifflait-il entre ses lèvres, visiblement agacé et je soupirais, mes yeux noirs ne quittant pas les siens. « Je suis peut-être loin d’être un modèle de sainteté. En attendant, moi, j’étais là ces quatre dernières années, Erdogan. » crachais-je. S’en était fini de tourner autour du pot, de se contenter à quelques politesses, il était grand temps d’entrer dans le vif du sujet. Emre pouvait bien s’offusquer de recevoir des leçons de ma part, mais c’était moi qui avait ramassé le cœur de Théodora en miettes, qui avait tenté comme je pouvais d’en rassembler les pièces pour qu’elle ait la force d’affronter nos parents et sa future maternité. C’était moi qui l’avait soutenu tout au long de sa grossesse, qui l’avait accompagnée à ses échographies, qui avait assisté à la naissance de leur enfant. Cela faisait maintenant un peu plus de quatre ans que j’élevais mon neveu comme mon fils et qu’avec Gauthier nous faisions tout ce qui était en notre pouvoir pour qu’Oliver ne manque jamais de rien et surtout pas d’une présence masculine à ses côtés. Et ça, c’était quelque chose que je ne pourrais jamais lui pardonner, c’était quatre ans qu’il ne pourrait jamais récupérer ni rattraper. « Vous n'avez rien de mieux à faire ? » s’écriait finalement Emre pour faire disparaître la foule qui s’était arrêtée pour observer nos échanges musclés. Pour ma part, qu’il y a des spectateurs ne me faisait pas peur, j’étais bien trop occupé à me retenir d’exploser la tête d’Emre contre le mur une nouvelle fois. Tout dans son attitude le rendait abjecte. C’était comme si pour la première fois, je le voyais tel qu’il était : une vermine qui n’avait jamais mérité l’intérêt de ma sœur. Je n’aurais jamais cru tomber un jour d’accord avec Gauthier et pourtant, je devais avouer qu’il avait toujours eu raison de se méfier du dealer. « Qu’est-ce que tu fous ici ? Et j’te parle pas de cette boîte où t’essaye encore de refiler tes merdes à des étudiants en quête d’évasion. Qu’est-ce que tu fais ici, à Brisbane ? » Parce que ça ne pouvait clairement pas être une coïncidence. Quoi qu’il se soit passé dans la vie de l’anglais après sa disparition, les chances qu’il ait atterri en Australie sans savoir que nous nous trouvions ici avec Théodora et Oliver étaient minces pour ne pas dire inexistantes. « Je te préviens, t’as intérêt à te tenir loin d’elle » le menaçais-je, le ton plus glacial que jamais. « Parce que si je ne suis pas ravi recroiser ta carcasse de vermine dans le coin, je te laisse deviner ce qu’il en sera de Gauthier. » C’était clairement une menace, à peine dissimulée. Et il fallait réellement être inconscient pour chercher l’affrontement avec l’aîné Hazard-Perry, surtout lorsqu’il était question du bien-être de Théodora et d’Oliver.
« T'as pas envie de savoir, Charlie. » Répliqua Emre, inspirant et expirant de manière très régulière. Dans sa tête, il compta deux secondes avant de réitérer l'action. Il n'avait pas le choix ; seul un raisonnement intérieur lui permettait de garder les pieds sur terre, de ne pas dépasser les bornes. Si Emre n'avait jamais été quelqu'un de violent, la prison avait fait de lui un autre homme. Moins naïf, plus méfiant. La prison lui avait appris quelques règles élémentaires, bien que sordides. Ces mêmes règles, conjuguées à son impulsivité, faisaient rarement bon ménage. Il s'énervait plus que de raison, perdait son sang froid, et le drame survenait. Malheureusement, Emre avait vite compris une chose : lorsque l'on était enfermé dans une cage, il fallait se battre pour survivre. Au sens propre, comme au sens figuré. Jouer des poings, taper plus fort que son adversaire, faire preuve d'esprit et de vivacité. Mais le mental jouait aussi un rôle essentiel ; Emre, lui, s'était raccroché à tout ce qui avait un jour eu de l'importance – ses parents, sa double culture, son besoin de lire et d'apprendre, et le bébé qu'il allait avoir avec Théodora. « Dégage. » Reprit-il, esquissant un geste brusque en avant. Il mima un coup de tête, mais se retint au dernier moment. Charlie avait été son ami. Charlie avait été un allié. Charlie était l'oncle de son fils, et quoiqu'on en dise, Emre avait un minimum de valeurs morales. Contrairement à eux, visiblement – leur si précieuse réputation d'aristocrates anglais volait en éclats dès que leurs parents avaient le dos tourné. « Je ne veux rien vous devoir. » Répondit Emre en secouant la tête. Il ne le niait pas : il avait mérité sa condamnation, et sa peine de prison. Il avait triché, joué avec les règles, transgressé les lois : il s'était fait prendre, et avait payé. Fin de l'histoire. « Vous commencez à me faire chier. » Siffla l'Anglais, alors que ses doigts se repliaient dans ses mains. Ses ongles marquèrent sa peau, et il ne s'arrêta que lorsque son majeur commença à entailler sa paume. « Ecoute-moi bien, parce que je ne vais pas me répéter. Ta sœur, je ne l'ai pas abandonnée. Jamais je n'aurais fait ça, jamais. » Pourquoi aurait-il eu une idée aussi absurde, d'ailleurs ? Il était amoureux de Théodora. Elle allait lui donner le plus beau cadeau qu'une femme avait à offrir – un enfant. Il se faisait une joie d'être là, à ses côtés, à chacun des moments essentiels de sa grossesse. Il aurait voulu la voir s'arrondir, caresser ce ventre abritant le fruit de leurs amours, les installer ensemble dans un appartement en périphérie de Londres. Il avait eu mille idées, mille envies, et n'avait jamais été en mesure d'en concrétiser une seule. « Elle m'a dénoncé aux flics, j'ai été arrêté et jugé dans la foulée. Fin de l'histoire. » Mais ça, bien sûr, Théodora avait dû s'abstenir de le crier sur tous les toits. Dénoncer son amant, et qui plus est père de son enfant à naître, ça n'avait rien de glorieux. Notamment auprès de ses parents, qui n'avaient jamais toléré cette relation. Emre ricana lorsqu'il entendit Charlie vanter sa présence auprès de sa sœur, au cours des dernières années. « C'est sûr, c'est tout de suite plus facile quand on est libre... » Ironisa-t-il. La rancœur d'Emre était franche, lourde, pesante : avoir été privé de son enfant avait été une douleur indicible, un crève-cœur terrible. Il avait toujours eu une vision plutôt traditionnelle de la famille, et vivait l'absence de son fils comme un échec cuisant. Il aurait voulu passer du temps avec lui – l'amener jouer au parc, lui apprendre à taper dans un ballon de football, lui parler dans sa langue natale, l'emmener manger une glace. Mais rien n'avait été possible, jusqu'à maintenant. Et rien ne serait possible avant un bon moment, selon les dires de Théo. L'Anglais s'en prit verbalement à un curieux, et cela eut pour effet de recadrer leur conversation. Emre décida de jouer cartes sur table, sans sourciller. « Tu vois, tout ça, je m'en branle. » Ricana l'Anglais, alors qu'il tapotait le contenu de la poche de son jean. À l'interieur, quelques pilules interdites, promesses d'une évasion temporaire. Emre s'abstint de dire qu'il était lui-même étudiant, et poursuivit sur sa lancée. « T'en fais pas pour ta sœur. Elle ne m'intéresse pas. » Ou du moins, pas comme Charlie semblait le craindre. Leur relation, c'était du passé. Aux oubliettes. Seul son fils comptait. « Des menaces ? Ouh, j'ai peur. » Se moqua Emre en haussant les épaules. Il s'en foutait ; il savait que le moindre faux pas émanant de la famille Hazard-Perry jouerait en sa faveur. Et si le pire arrivait, il gagnerait quand même. Parce que tôt ou tard, le geste désespéré du frère aîné protecteur serait à expliquer à son fils. « Je serais curieux de voir comment tu justifieras auprès de mon fils le fait que son oncle l'ait envoyé six pieds sous terre. » Emre ricana, trouvant à cette situation dramatique un aspect burlesque, voire presque comique. « Tu vois, vous me méprisez tous. Vous vous cachez derrière vos grands airs et vos grands discours. Et pourtant, ta sœur joue les hypocrites, tu meurs d'envie de m'arracher les yeux, et ton aîné prendrait un malin plaisir à m'écarteler. Alors au final, qui est le pire, hein ? C'est qui la vermine, dans toute cette histoire ? » Cracha Emre, le regard noir.
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emre & charlie
Je n’avais jamais eu le sang chaud. Perdre le contrôle pour céder à la tentation de la violence et de l’agressivité était à l’opposé même de tout ce que j’incarnais. J’étais particulièrement fier de mon aplomb et me considérais de bien des façons, supérieur à tous ceux qui, faibles, cédaient à un coup de sang. C’était des animaux, des êtres guidés uniquement par leurs émotions, quand je me considérais bien au-dessus de tout ceci. Aussi, je n’avais jamais eu réellement à mener de quelconque combat face à autrui, préférant de loin l’usage avisé de répliques cinglantes et de traits d’esprits ajustés. Sans compter qu’en plus de ceci, je n’avais jamais vraiment exercé le moindre sport de combat ou de contact à l’exception de quelques temps passés dans l’équipe de crosse d’Oxford. Il apparaissait donc qu’en cas de confrontation physique, je n’étais pas assuré de sortir vainqueur, d’autant plus en connaissant Emre. Pourtant l’anglais ne m’effrayait pas, malgré ses remarques et son air mauvais, je le poussais à bout, par pur esprit de contradiction et de provocation. « T'as pas envie de savoir, Charlie. Dégage. » répliquait-il à son tour faisant mine de vouloir me frapper d’un coup de tête alors que je reniflais avec dédain. Son petit jeu marchait peut-être sur ses fréquentations habituelles mais ce n’était que de la poudre aux yeux selon moi. L’affrontement entre nous deux était lancé, c’était à celui qui craquerait le premier, à celui qui perdrait son sang-froid avant l’autre ou abandonnerait la partie avant la fin. « Je ne veux rien vous devoir. » répondait-il avant d’ajouter : « Vous commencez à me faire chier. » Et aussitôt un petit rire s’empara de moi. C’était un rire faux, résonnant dans le fumoir et exprimant à la perfection tout le mépris que j’éprouvais à cet instant face à Emre. « C’est plutôt ironique quand on songe au fait que c’est quand même toi qui est venu nous traquer jusqu’ici » Car il pouvait bien tenter de noyer le poisson, inventer toutes les excuses du monde, on ne me retirait pas de la tête que sa présence en Australie était étroitement liée à la nôtre. Il avait beau se donner de grands airs, jouer les hommes fiers et prétendre ne rien vouloir à voir avec nous, j’étais certain que s’il se trouvait à Brisbane, c’était parce que Théodora et Oliver y étaient. Ce que je ne m’expliquais pas en revanche, c’était ses motivations réelles, après plus de quatre ans de silence absolu. Je n’étais pas certain de comprendre pourquoi, tout à coup, l’anglais se réveillait après avoir fait le mort pendant les premières années d’existence de son fils. « Ecoute-moi bien, parce que je ne vais pas me répéter. Ta sœur, je ne l'ai pas abandonnée. Jamais je n'aurais fait ça, jamais. » Cette fois-ci, le ton était réellement monté du côté d’Emre, je sentais les muscles de ses avant-bras qui se contractaient sous la pression de ses poings fermés. « Epargne-moi tes grands discours tu veux ? Tu ne l’aurais jamais fait ? C’est pourtant ce que tu as fait » répliquais-je, las. Alors qu’une telle réplique aurait mérité d’être claquée, d’un ton glacial, jetée au visage d’Emre, je n’en avais même pas l’envie. J’étais agacé de le voir nier sa responsabilité dans cette histoire, fatigué de le voir esquiver ses torts. Et si venant de la part d’Emre, je m’attendais à tout désormais, ce qu’il avouait ensuite me cloua le bec sur le coup. « Elle m'a dénoncé aux flics, j'ai été arrêté et jugé dans la foulée. Fin de l'histoire. » Que venait donc faire les flics dans cette histoire ? Ce n’était quand même pas eux qui étaient allés courir après Emre pour l’obliger à faire face à son rôle de père ? Mais doté d’un esprit relativement vif, je finissais par comprendre où il voulait en venir. C’était alors que toute sa phrase prenait un sens et après être resté figé quelques instants, je riais de nouveau, méprisant. « Si tu crois réellement Théodora capable de t’avoir fait le moindre mal, Erdogan, c’est vraiment la preuve que tu n’as jamais réellement compris qui elle était. » Un sourire goguenard, alimenté par l’amertume que la situation faisait naître en moi, s’affichait sur mes lèvres alors que mon regard, lourd de jugement se posait sur le jeune homme. Théodora avait toujours été une femme extrêmement indépendante et libre, elle était incroyablement forte. Et si, à l’instar de notre famille, elle n’avait jamais été très à l’aise avec les sentiments et toute forme d’attachement émotionnel, lorsque quelqu’un comptait pour elle, elle était prête à tout. C’était là l’essence même de sa personne, ce qui faisait d’elle celle qu’elle était et qu’elle avait toujours été. Et déjà à l’époque, par amour pour ce petit-être qu’elle ne connaissait pas encore et qui commençait tout juste à voir le jour entre ses reins, elle avait été capable d’affronter nos parents, de prendre la décision de couper les points avec ses géniteurs pour partir élever cet enfant à l’autre bout du monde. Et pour avoir connu la Théodora de l’époque, inconditionnellement et irrévocablement amoureuse d’Emre, je pouvais garantir que si préjudice il lui avait été porté, Théodora n’en était pas l’instigatrice. « C'est sûr, c'est tout de suite plus facile quand on est libre... » ironisait l’ex-détenu, amer. Mais son amertume ne me faisait pas flancher, je n’éprouvais pas la moindre pitié pour cet homme. Je levais les yeux au ciel, agacé, pour toute réponse. « Tu vois, tout ça, je m'en branle. T'en fais pas pour ta sœur. Elle ne m'intéresse pas. » ajoutait-il, en ricanant un peu. Je m’avançais alors, menaçant vers Emre. « Alors qu’est-ce que tu fais à traîner ta carcasse dans le coin ? » Clairement, je n’en croyais pas un mot. Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’avait prévu Emre pour la suite mais quelque chose me disait que cela ne présageait rien de bon. S’il avait affectivement fait de la prison, cela n’avait rien pour me rassurer et pour dédouaner le jeune père du fait qu’il n’avait pas pris ses responsabilités vis-à-vis de son fils. Une chose était certaine : je n’avais pas la moindre envie qu’Oliver en vienne à apprendre pour Emre, à la croiser et à être entraîné dans les magouilles de l’anglais. J’en venais alors à le menacer, toujours aussi froid. « Des menaces ? Ouh, j'ai peur. » se moquait-il et je secouais légèrement la tête, mâchoire crispée. « Nous verrons bien. » concluais-je simplement, prêt à faire volte-face avant de réellement perdre le contrôle de mes paroles et de mes actions face au dealer. « Je serais curieux de voir comment tu justifieras auprès de mon fils le fait que son oncle l'ait envoyé six pieds sous terre. » Si cela amusait visiblement Emre, c’était loin d’être mon cas. Si je savais que Gauthier était prêt à faire beaucoup de choses pour protéger Théodora et Oliver, je doutais cependant qu’il soit capable d’aller jusqu’à descendre le jeune anglais. Il ne pouvait quand même pas aller jusque-là, si ? Un instant, un léger doute s’insinuait en moi et je me faisais note mentalement d’éviter d’avouer à Gauthier que j’avais rencontré Emre dans les parages. Cela vaudrait mieux pour tout le monde, sachant qu’il y avait tout à parier que Théodora finisse elle-même par l’avouer à l’aîné de la fratrie. « Pour cela, il faudrait encore qu’Oliver connaisse ton existence. » lâchais-je, d’un ton monocorde, dénué du moindre sentiment. J’ignorais ce qu’Emre savait à propos de son fils, j’ignorais ce que Théodora lui avait raconté, le contenu de leur précédente conversation mais à voir l’amertume de l’anglais, elle n’avait pas dû lui donner plus d’informations que ça. « Je ne sais pas ce que Théodora t’a dit, ce qu’elle t’a promis, mais crois-moi, je ferais vraiment tout ce que je peux pour éviter à Ollie la déception de te compter parmi son entourage. » Car, pour le coup, je savais exactement de quoi je parlais quand on songeait que quatre ans plus tôt, Emre faisait partie de mes amis. J’avais partagé beaucoup de choses avec elle, en dehors de notre amour respectif pour ma petite sœur. Et clairement, je doutais plus que jamais qu’Oliver tire un quelconque avantage du fait de connaître enfin l’identité de son père. « Tu vois, vous me méprisez tous. Vous vous cachez derrière vos grands airs et vos grands discours. Et pourtant, ta sœur joue les hypocrites, tu meurs d'envie de m'arracher les yeux, et ton aîné prendrait un malin plaisir à m'écarteler. Alors au final, qui est le pire, hein ? C'est qui la vermine, dans toute cette histoire ? » crachait finalement Emre, espérant sûrement déclencher chez moi une réaction vive. Je serrais les poings, si fort que mes jointures devenaient blanches. Néanmoins, je n’esquissais pas le moindre geste envers Emre, me contentant d’un regard à la fois las et méprisant. « Tu ne vaux même pas la peine que je t’arrache les yeux Emre. Et tôt ou tard, tes petites magouilles te rattraperont une nouvelle fois, faisant de nouveau souffrir tous ceux qui se trouvent autour de toi. » lâchais-je, presque calmement, si le ton glacial de ma voix ne laissait pas paraître à quel point j’étais concerné par tout ceci. « Je n’ai jamais prétendu être un exemple, je m’accommode volontiers de mes défauts. C’est parce que je sais ce que je vaux que je n’ai pas décidé de fonder de famille encore, contrairement à toi. Si aujourd’hui j’ai la responsabilité d’un garçon de 4 ans sur les épaules, c’est uniquement à toi qu’il faut t’en prendre. Je fais TON job, Emre. » Je le pointais d’un doigt accusateur, le regard lourd de reproches. « Alors arrête d’essayer de nous entraîner dans ta chute, parce que je te promets que tu vas le regretter. Je ne sais pas pourquoi t’es venu jusqu’ici, mais je te le dis, c’est peine perdue. On est peut-être loin d’être une famille idéale, en attendant nous sommes plus que jamais soudés, sache-le. » C’était vrai, en partie. Si on omettait le retour inopiné de Connor au sein de la famille qui avait causé plus d’une tension au sein de la maison. Mais j’étais certain, en mon for intérieur, que si Théodora ou Oliver étaient menacés par qui que ce soit, ces tensions disparaîtraient aussitôt pour nous permettre de faire bloc, ensemble. J’étais moi-même prêt à abandonner toutes mes rancœurs envers Connor s’il fallait que nous nous serrions les coudes face à l’adversité.
« En réalité, Charlie, ce n'est pas exactement vous que j'ai traqué. » Rectifia l'Anglais en secouant la tête. En quittant l'Angleterre, Emre n'avait eu qu'une seule idée en tête : retrouver son enfant. Cette idée l'avait obsédé pendant plus de quatre ans, et l'avait rongé à chaque instant de son incarcération. Mille pensées et mille questions avaient traversé son esprit, sans qu'il ne puisse jamais obtenir la moindre réponse. Était-il père d'un garçon ou d'une fille ? Quel prénom avait choisi Théodora ? Quelle était la couleur des yeux de son enfant ? Avait-il hérité de sa peau mate, ou du teint aristocratique de sa mère ? Aujourd'hui, il avait partiellement répondu à ces questions. Mais il ne comptait pas s'arrêter en si bon chemin. De vagues réponses ne lui suffisaient plus ; il en voulait davantage. « C'est mon enfant. » Ajouta Emre, pour s'assurer que son ancien ami avait bien compris où il voulait en venir. Ça lui avait pris du temps, mais il y était parvenu. Il l'avait retrouvé à l'autre bout du monde, en Australie. Comme si Théo avait voulu mettre le plus de distance entre elle et son passé. Il ne lui en voulait pas d'avoir souhaité recommencer sa vie ; après tout, c'était légitime. Ce qu'Emre reprochait à Théodora, en revanche, c'était de ne lui avoir laissé aucune chance avec son fils. La colère grondait, et Emre commençait à avoir du mal à garder son sang froid. Le clan Hazard-Perry s'obstinait à lui cracher au visage qu'il avait abandonné femme et enfant – ce qu'il n'avait pas fait. Ou, plus exactement, il n'avait pas choisi de le faire. On l'avait forcé, et cloîtré derrière les barreaux d'une cellule, il n'avait eu d'autre choix que d'attendre la fin de sa peine pour les retrouver. Situation qu'il tenta vainement de faire intégrer à Charlie, sans que celui-ci ne fasse semblant d'y croire une seule seconde. « Ah ouais ? Alors si ce n'est pas elle, qui l'a fait ? » Demanda Emre en secouant la tête. « Il me restait une transaction à faire, et j'allais la retrouver. Elle le savait, je le lui avais dit. » Emre n'avait jamais caché à Théodora ses agissements. Il l'avait indirectement rendue complice de ses méfaits, en lui confiant chacun de ses gestes, chaque nom de ses clients. Au début, il avait refusé. Mais elle avait insisté, arguant qu'elle préférait savoir où il était, au cas où les choses tournent mal. Ils avaient toujours tout partagé, le meilleur comme le pire. Alors bien sûr, Emre avait été dévasté quand il avait compris que Théo l'avait mis hors jeu. Il avait été triste, déçu, s'était senti trahi. Il l'avait détestée, avait eu envie de lui faire payer, et puis s'était résigné : l'important, dans cette histoire, c'était son enfant. « Je viens récupérer mon fils. » Répondit l'Anglais, ne cherchant même pas à dissimuler ou à mentir sur les raisons de sa présence en Australie. Il savait que la famille Hazard-Perry ferait tout pour l'en empêcher, mais Emre était déterminé. Si les voies légales ne fonctionnaient pas, si Théo restait sourde à toutes ses tentatives, il emploierait la manière forte. Quitte à risquer sa peau, comme il le suggérait en évoquant Gauthier. « Ne t'en fais pas pour ça. » Dit Emre en haussant les épaules. S'il y avait bien quelqu'un qu'Emre souhaitait épargner, c'était bien son fils. Jamais il ne lui ferait le moindre mal. Il le protégerait des querelles familiales, et le préserverait de tout danger ou traumatisme potentiel. Il ne connaissait pas Oliver, et pourtant, il l'aimait déjà inconditionnellement. « Vraiment ? » Demanda l'Anglais en ricanant. Les tentatives pitoyables de Charlie resteraient vaines ; tôt ou tard, Emre le savait, il rencontrerait son fils. C'était son seul but, son seul objectif, sa seule véritable envie. « Et comment feras-tu, quand il posera des questions sur son père ? Quand il demandera des détails, des explications ? Qu'il aura envie de me rencontrer ? Tu vas lui mentir, l'enfermer en espérant que ses envies passent ? » Nouveau ricanement. Il sait très bien que les choses ne seront jamais aussi faciles. « Ta sœur ne m'a rien promis. Pour le moment, elle réagit exactement comme toi. » Mais l'Anglais n'abandonnerait pas si facilement la partie. Quoiqu'elle en dise, Théodora ne pouvait pas nier la relation qui les avait autrefois unis. « Mais je saurai la convaincre. » Ajouta Emre, confiant. Il s'avançait peut-être un peu trop, mais il avait espoir. Tous les moyens seraient bons pour parvenir à ses fins, même les moins glorieux et les moins avouables. « Ça t'arrangerait bien, hein ? Tu pourrais dormir plus paisiblement, si tu me savais derrière les barreaux ? » Question purement rhétorique ; Emre connaissait bien sûr la réponse. « Par contre, ça ne te pose aucun problème de priver un père de son fils. » Fit remarquer l'Anglais en arquant un sourcil. N'y avait-il là aucun cas de conscience pour Charlie ? Ce dernier attaqua de nouveau de front, arguant qu'il n'avait pas voulu fonder une famille contrairement à Emre. Il ricana, narquois. « Tu crois que ta sœur et moi, on avait planifié ça ? » Parce que ça n'avait pas été le cas. Cette grossesse avait été une surprise totale, le résultat de la naïveté de deux adolescents. Emre ne regrettait rien ; cette nouvelle l'avait rendu plus heureux que jamais. Et il ne supportait pas que quiconque puisse penser le contraire. « Mon job, comme tu le dis si bien, je l'aurais volontiers fait si vous m'en aviez laissé l'opportunité. » Cracha-t-il, le regard noir. Il en avait ras-le-bol d'être considéré comme le mouton noir, l'homme indigne qui n'avait pas voulu assumer sa famille. Ce n'était pas le cas. Il avait juste subi un revers, un contre-temps savamment orchestré, qui l'avait laissé sur la touche pendant de longues années. « Et puis si la tache est trop pesante pour toi, tant mieux : personne ne t'a demandé de le faire. Dégage, et laisse-moi ma place légitime. » Parce qu'il n'attendait que ça, Emre : pouvoir être un père. Un vrai, qui aimerait son enfant à l'infini, qui s'en occuperait à la sortie des classes, qui l’amènerait au parc pour jouer. Il détestait son statut de géniteur ; ce n'était pas lui. « Si vous ne m'aviez pas dénoncé, ta sœur ou je ne sais quel membre de votre putain de famille, on n'en serait pas là. » Il s'était vu en père attentif et bienveillant, en mari aimant et protecteur, en fonctionnaire appliqué et ingénieux. Mais la réalité était tout autre ; homme perdu et désabusé, célibataire et repris de justice. Le tableau était moins enviable. « Mon fils, c'est la seule chose qu'il me reste. Je me battrai jusqu'au bout pour lui. » Point final. Emre n'avait rien de plus à ajouter ; la messe était dite, et les cartes étaient dévoilées. Les siennes, en tout cas.
Next to happiness, perhaps enmity is the most healthful stimulant of the human mind. △
emre & charlie
Bien peu nombreux étaient les gens qui pouvaient se targuer capables de me faire perdre mon sang froid légendaire, ma désinvolture si suffisante. Et Emre tenait la première place parmi ce cercle restreint, ayant même réussi à passer devant Janis Cavendish, qui pourtant était réputée pour me faire perdre le contrôle elle aussi. Alors que je l’observais, d’un air mauvais, je ne pouvais m’empêcher de me demander à quel moment j’avais pu être ami avec pareil individu. Comment avait-il réussi à me tromper pendant ces années passées à Londres où je l’avais laissé se frayer une place au sein de notre famille, où je l’avais laissé s’installer aux côtés de Théodora et s’octroyer une place aussi importante dans sa vie ? Mais s’en était fini du temps de l’innocence où je laissais à Emre le bénéfice du doute. Il avait réussi à me tromper une fois, honte à moi. Je me refusais à ce qu’il parvienne à me tromper deux fois. « En réalité, Charlie, ce n'est pas exactement vous que j'ai traqué. C'est mon enfant. » lâchait finalement, Emre, révélant à voix haute ce que je craignais depuis que j’avais aperçu son visage au milieu de ce fumoir. Alors que le jeune anglais confirmait mes craintes, je sentais malgré moi, une vague d’angoisse s’insinuer en moi. Je n’étais pas expert en droit, encore moins en droit parental, mais je n’étais pas certain que la justice soit totalement de notre côté. Et quand bien même les textes de loi seraient derrière nous, l’acharnement, la bataille que nous allions devoir livrer pour préserver Oliver de l’influence néfaste de son géniteur, promettait d’être longue et éprouvante. C’était absolument la dernière chose que je souhaitais pour le bien-être de mon neveu. C’était injuste d’imposer à ce petit-être merveilleux une débâcle de ce genre qui le dépassait. « Ce n’est pas parce qu’Oliver partage la moitié de ses gênes avec toi que c’est pourtant ton enfant, Erdogan. C’est un chouette enfant, quelqu’un de bien promis à un grand avenir, je parle en connaissance de cause. » C’était clairement une pique indirecte, balançant à Emre son avenir incertain, son instabilité notable qui lui avait déjà valu de louper les quatre premières années de la vie de son fils. D’ailleurs l’anglais m’apprenait qu’il avait dû faire de la prison et qu’il venait tout juste de sortir de derrière les barreaux. Il m’annonçait également qu’il tenait ma petite sœur responsable de son emprisonnement et je manquais de perdre mon sang froid face à son discours. Ce type n’avait-il donc pas la moindre dignité pour être capable d’accuser Théodora des magouilles qui lui avait valu d’aller en prison ? « Ah ouais ? Alors si ce n'est pas elle, qui l'a fait ? Il me restait une transaction à faire, et j'allais la retrouver. Elle le savait, je le lui avais dit. » répondait-il après que j’ai aussitôt pris la défense de ma sœur. « T’es vraiment pathétique. Avec ton business tu as dû accumuler un nombre incalculable d’adversaires qui se seraient fait une joie de te savoir hors de leurs affaires, mais tu préfères imaginer que c’est Théodora qui t’a dénoncé. Si ta théorie du complot n’était pas aussi absurde, je la trouverais presque ingénieuse. » répliquais-je, peu amène. Là-dessus, j’aurais pu mettre ma main au feu, j’étais certain du plus profond de mon être que Théodora n’avait jamais dénoncé Emre à la police. Quiconque avait tenté de lui gâcher la vie, il n’avait rien à voir avec ma petite sœur qui, à l’époque, était bien trop amoureuse de l’anglais pour imaginer un seul instant se séparer de lui. Encore moins avec l’annonce de sa grossesse. « Je viens récupérer mon fils. » insistait Emre, comme s’il avait peur que je n’aie pas compris la première fois et je lui riais au nez. « Bon courage alors. » J’étais personnellement prêt à me battre comme un lion pour tenir Ollie le plus loin possible de cet être néfaste et méprisable. J’avais pourtant le dédain facile, mais mon mépris pour Emre atteignait des scores record. Je m’empressais aussitôt d’annoncer à Emre que s’il voulait récupérer Oliver, il allait devoir se préparer à nous affronter, tous car aucun de nous ne comptait laisser la moindre chance à Emre d’être connu de son fils. « Vraiment ? Et comment feras-tu, quand il posera des questions sur son père ? Quand il demandera des détails, des explications ? Qu'il aura envie de me rencontrer ? Tu vas lui mentir, l'enfermer en espérant que ses envies passent ? » s’indignait aussitôt le jeune dealeur et je secouais la tête, les yeux toujours aussi noirs de colère. « Comme on a fait jusqu’ici. On lui dira la stricte vérité, qui n’est pas bien reluisante déjà. » Pour sûr, jamais Théodora n’accepterait de mentir à Oliver sur ses origines, sur son père. Elle lui avait toujours dit qu’il avait été conçu dans l’amour le plus inconditionnel. Et elle était toujours restée relativement vague concernant les détails sur son père, n’ayant encore jamais eu à affronter trop de questions de la part d’Oliver qui commençait tout juste à être en âge de s’interroger sur son paternel. « Ne t’en fais pas, Théodora est une mère merveilleuse qui ne manquera pas de trouver la solution adéquate pour son fils. » répliquais-je aussitôt alors que je lui avouais ne pas savoir ce que ma sœur pensait du retour du père de son fils, ni ce qu’elle lui avait convenu avec lui. « Ta sœur ne m'a rien promis. Pour le moment, elle réagit exactement comme toi. Mais je saurai la convaincre. » L’air suffisant d’Emre alluma l’étincelle en moi que je tachais d’éteindre depuis le début de cette conversation. Mon sang ne fit qu’un tour et sans même que je n’ai eu le temps de me calmer, j’avais de nouveau poussé Emre contre le mur, le maintenant un bref instant contre la paroi avec une force que je ne m’étais même pas soupçonnée. « Ne t’avise même pas d’essayer. » crachais-je, le souffle court. Et aussi brutalement que j’étais venu m’approcher de lui, je relâchais mon emprise sur lui, gardant une posture menaçante, le fixant d’un œil torve. La tension était à son comble entre nous à cet instant précis, il y avait beaucoup à parier que si Emre ne gardait pas son sang-froid, à mon instar, les choses allaient rapidement mal tourner. « Ça t'arrangerait bien, hein ? Tu pourrais dormir plus paisiblement, si tu me savais derrière les barreaux ? Par contre, ça ne te pose aucun problème de priver un père de son fils. » Je soupirais cette fois-ci, tâchant de retrouver mon self-control, bien peu désireux de laisser à Emre un motif de me reprocher quoi que ce soit. « Erdogan, ça fait maintenant quatre ans que je dors tranquillement sur mes deux oreilles, en sachant que Oliver grandit de façon épanouie. Ce qu’il advient de ta carcasse en parallèle n’est que le cadet de mes soucis. » Bien entendu, cette entrevue avec Emre, cette discussion à propos de ce qu’il souhaitait pour Oliver allait me causer bien des tourments mais je n’étais pas disposé à lui monter qu’il avait touché un point sensible, qu’il avait réussi à réveiller une certaine inquiétude en moi. « Tu crois que ta sœur et moi, on avait planifié ça ? Mon job, comme tu le dis si bien, je l'aurais volontiers fait si vous m'en aviez laissé l'opportunité. » crachait-il de nouveau, me faisant rouler des yeux de façon exagérée. « C’était il y a quatre ans qu’il fallait réclamer ta place de père, Emre. On t’aurait volontiers laissé la place avec Gauthier. Mais c’est trop tard maintenant. Et je t’en prie, cesse de nous rendre responsable de tous tes maux. La seule chose que nous avons fait c’est de nous occuper de ton fils à ta place. Si j’avais voulu t’envoyer croupir en prison, tu ne serais pas là à me parler aujourd’hui, en homme libre, crois-moi. Je ne sais pas qui t’a dénoncé mais ça n’a rien à voir avec la famille Hazard-Perry. » A l’instant même où je prononçais ces paroles, une pensée me venait, une terrible pensée. Non, non c’était impossible. Bien trop cruel, même pour les ersatz de parents que nous avions eus. Ils n’étaient pas assez cruels pour envoyer Emre en prison uniquement dans le but de l’éloigner de Théodora et d’espérer la voir renoncer à cet enfant par la même occasion. Je secouais la tête, d’un geste sec, comme pour chasser cette pensée horrible de mon esprit pour me consacrer pleinement à ma joute verbale avec le dealeur. Ce n’était pas le moment de perdre la face. « Et puis si la tâche est trop pesante pour toi, tant mieux : personne ne t'a demandé de le faire. Dégage, et laisse-moi ma place légitime. » répliquait Emre qui ne semblait pas avoir remarqué mon instant d’hésitation. « Dans tes rêves, Erdogan. » crachais-je aussitôt. Si Oliver n’était que mon neveu au regard de la génétique et de la loi, il était bien plus dans mon cœur. C’était devenu mon fils, après toutes ces aventures qui nous avions vécu tous les deux. J’avais essuyé ses premières larmes, changé ses couches, soigné ses premiers bobos, vécu ses premiers instants à l’école, joué avec lui des heures durant, l’avais bordé les soirs avant qu’il ne s’endorme. Et chaque jour qui passait, je m’attachais un peu plus à ce petit-être qui avait radicalement changé ma vie, me demandant comment j’en viendrai à faire le jour où Théodora fonderait sa famille de son côté, avec un autre homme, en emportant mon fils d’adoption avec elle. « Si vous ne m'aviez pas dénoncé, ta sœur ou je ne sais quel membre de votre putain de famille, on n'en serait pas là. » répétait finalement Emre et je perdais patience, une fois de plus. « Putain mais Emre, faut que je te le dise en quelle langue ? Ni Théodora, ni moi n’avons parlé de ton business à qui que ce soit. Dois-je te rappeler qu’à l’époque, nous avions encore de l’estime pour toi ? » C’était difficile à croire aujourd’hui, que fût un temps Emre et moi avions été amis, soudés et reliés par l’amour que nous portions tous les deux à Théodora. « Et je suis certain que Gauthier en ignorait tout à l’époque et qu’il n’a rien à voir dans tout ça non plus. Les ennuis que tu as eus, tu te les es créés tout seul. » sifflais-je, de plus en plus las par la tournure de cette conversation. C’était un dialogue de sourds, aucun de nous deux n’écoutait vraiment l’autre de toute façon. Nous campions fermement sur nos positions en nous retenant du mieux que nous pouvions. « Mon fils, c'est la seule chose qu'il me reste. Je me battrai jusqu'au bout pour lui. » concluait-il finalement, comme pour tâcher de mettre un terme à cette conversation. « Soit. Mais si tu voulais vraiment le bien d’Oliver, tu ne seras pas là, ce soir, à exploiter le mal-être de pauvres types en recherche d’un peu d’évasion pour te faire de l’argent. Si tu veux te battre pour lui, commence par être digne de lui » Je le jaugeais du regard, portant sur lui des yeux pleins de mépris et de dédain. Outre le fait qu’Emre n’avait rien d’un type fiable selon moi et que je préférais tout sauf voir Oliver dans son entourage, je me refusais catégoriquement à le laisser à la charge d’un dealeur de pacotille. « Je te rappelle que, quiconque t’ait dénoncé, c’est ton business qui t’as fait perdre Oliver. » Mon ton était désormais glacial, dénué de toute émotion ou sentiment. Cette conversation prenait fin à cet instant précis, parce que je n’étais pas certain de pouvoir me retenir plus longtemps d’envoyer mon poing dans la figure de celui qui avait été un ami proche autrefois. Et comme pour me sauver, la voix de Tad résonnait derrière moi. « Purée, Charlie ! Ça fait un moment qu’on te cherche ! » Il s’approchait de moi, passant un bras autour de mes épaules avant de me lancer un drôle de regard en remarquant sans aucun doute l’atmosphère tendue entre Emre et moi. « Tout va bien ? Tu le connais ? » demandait-il alors. « Je pensais, mais non. Aucune idée de qui c’est. » crachais-je, avant de laisser Tad m’entraîner auprès de la fine équipe qui décidait de quitter la boîte. De toute façon, cette entrevue m’avait coupé toute envie de faire la fête. Demain, j’allais avoir une discussion sérieuse avec Théodora.
Emre n'avait pas cherché à dissimuler les raisons de sa présence à Brisbane. Il n'avait pas atterri ici par hasard. Il n'était pas venu ici pour recommencer sa vie à zéro. Il n'avait pas envie de faire semblant, pas envie de mentir. « Tu as raison ; la génétique ne fait pas tout. » Confirma Emre. C'était bien la première fois de la soirée qu'ils étaient en mesure de s'accorder sur quelque chose. L'Anglais n'était pas dupe : cette entente momentanée ne durerait pas. « Mais que tu le veuilles ou non, cet enfant, il a été conçu dans l'amour. » Contrairement à ce que l'entièreté de la famille Hazard-Perry semblait croire, Emre ne s'était pas joué de Théodora. Elle n'avait pas juste été une petite-amie parmi tant d'autres. Elle n'avait pas été un challenge imposé par des potes. Elle n'avait pas été une petite ingénue à séduire, puis à blesser, et à abandonner définitivement. « Je ne veux que ce qu'il y a de meilleur pour lui. » Charlie répliquerait sans aucun doute que le meilleur, ce n'était pas lui. Le meilleur pour Olivier, ce serait qu'il reste loin et qu'il ne s'implique jamais dans sa vie. Mais Emre ne voulait pas en entendre parler. Jamais. « Sa stabilité passe aussi par la présence de sa famille. Tu as beau t'être octroyé un rôle de père, tu n'es pas le sien et tu ne le seras jamais. » Voilà de quoi énerver encore davantage l'un des héritiers Hazard-Perry. Tous autant qu'ils étaient, ils n'avaient pas l'habitude d'être malmenés. La preuve, Charlie restait persuadé que la dénonciation d'Emre auprès de la police ne provenait pas de son entourage proche. Il rejetait en bloc cette théorie, tandis que l'Anglais était persuadé du contraire. « Vraiment ? Étrange, alors, de voir comme j'ai été facilement interpellé. Mais peu importe : crois ce que tu veux, ça ne changera rien à ma vie. » Si se bourrer le crâne le rassurait et l'aidait à mieux dormir, c'était tant mieux pour lui. Emre était convaincu que quelque chose de louche s'était tramé, et l'avait mené tout droit derrière les barreaux. Il ne pouvait pas se résoudre à croire que cette arrestation était le fruit d'une dénonciation d'un client, ou d'un malheureux flagrant délit. « Permets-moi d'avoir quelques réserves. » Répliqua Emre, alors que Charlie lui avouait dire toute la vérité à Oliver. L'ancien détenu était presque sûr que les deux aînés ne se privaient pas de noircir le tableau, parlant de lui avec mépris et dédain. Cependant, et presque naïvement, il espérait que Théodora faisait preuve de plus de neutralité et de respect dans ses propos. Elle s'était toujours montrée juste et honnête. « Je n'en doute pas une seconde. » Et d'ailleurs, c'était pour cela aussi qu'il voulait croire que, un jour peut-être, elle lui donnerait une véritable chance avec son fils. De le voir, de le côtoyer, de partager des moments privilégiés avec lui, voire même de l'élever. « Qu'est-ce qui t'arrives, Charlie ? » Demanda Emre, rapprochant son visage de celui de son ancien ami. Une lueur narquoise, presque dangereuse brillait dans son regard. Roi de la provocation, l'Anglais esquissa un petit sourire mauvais qui laissait présager le pire. « T'as peur que l'émotion la submerge et qu'elle pète un câble ? » Si Théodora et Emre ne s'entendaient plus, cela ne signifiait pas pour autant qu'il souhaitait du mal à la mère de son fils. Il ne voulait pas la couper de leur enfant. Mais s'il n'avait pas d'autre alternative... « Ou alors, à l'inverse, tu as peur que ses sentiments refassent surface ? Imagine que nous prenne l'envie de donner à Oliver un petit-frère ou une petite sœur... » Suggéra l'Anglais, provocateur. L'étincelle qui s'alluma dans les yeux de Charlie lui fit comprendre que c'était ce qu'il redoutait le plus. L'idée même que Théodora ne retombe dans les bras d'Emre devait le révulser au plus haut point. « J'en étais sûr. » Ricana-t-il, alors que l'héritier s'éloignait brusquement de lui. « On verra bien. » Répondit-il simplement, alors que Charlie le mettait en garde. Emre n'avait, jusqu'à maintenant, jamais pensé à cette éventualité. Il ne comptait pas séduire son ancienne compagne pour mieux s'immiscer dans sa vie. Il avait peut-être une réputation de bad boy, mais ce n'était pas un connard pour autant. Il serra les poings en entendant son ancien ami fanfaronner et, une fois n'est pas coutume, il ne put s'empêcher de répliquer. « Tu feras moins le malin, bientôt. Ta tranquillité va voler en éclats. Tu peux faire une croix sur tes nuits paisibles, Charlie. » Et il pouvait prévenir tout le clan Hazard-Perry ; ça lui importait peu. Théodora le savait déjà, de toute façon. Et c'était elle la principale concernée. « Il n'est jamais trop tard. » Rectifia Emre. Certes, il ne pourrait pas rattraper le temps perdu ; néanmoins, il pouvait désormais faire une large place aux éventuels moments qu'il passerait avec son fils. Contrairement à ce que tout le monde semblait s'accorder à dire, Emre était sûr de pouvoir être un bon père. Il déjouerait tous les pronostics ; il en allait de sa fierté, mais surtout de sa relation avec Oliver. « Tu as raison. Mais t'oublies que tout ça, je me le suis imposé pour mettre ma famille à l'abri. » Parce qu'en réalité, c'était de ça qu'il s'agissait : être en mesure de subvenir aux besoins de sa compagne, et de leur enfant à venir. Leur assurer un bel avenir, une protection et une stabilité financière. Contrairement aux Hazard-Perry, Emre n'avait pas de situation sociale forte et imposante. Il ne faisait pas parti de l'aristocratie Anglaise ; simple fils d'immigrés Turcs, il savait que dans leur monde, il n'avait aucune chance. Les parents de Théodora ne les auraient jamais laissés en paix – sauf si Emre parvenait à se sortir de sa condition. En tout cas, il en avait toujours été convaincu. « Va te faire foutre, avec tes grandes leçons de morale. Tu ne vaux pas mieux que les autres. » Les autres – entendez Gauthier, ou les parents Hazard-Perry. Emre savait que la discussion était vaine ; tous deux campaient sur leurs positions, et aucun ne voulait réellement écouter l'autre. Il regarda Charlie s'éloigner et, par simple provocation, ne put s'empêcher de se moquer pour lui faire une piqûre de rappel. « Passe une bonne nuit, Charlie. » Un dernier sourire narquois ; il savait qu'à partir de maintenant, il serait son pire cauchemar. Et ça, ça lui mettait un peu de baume au cœur.