Il était dix-huit heures lorsque j’arrivais à l’appartement. J’étais bien contente de rentrer à la maison. Ma journée avait été chargée. J’avais eu un rendez-vous dans la matinée, avec le propriétaire d’une galerie. Un type que j’avais rencontré grâce au mari photographe d’une amie. Mon travail semblait l’avoir convaincue puisqu’il envisageait d’exposer mes photos. J’étais ravie. Mon projet d’exposition photo commençait à se concrétiser. J’étais déjà toute excitée à l’idée de montrer mon travail et de partager ma passion. Je m’y voyais déjà, expliquant chaque photo, faisant ainsi voyager les gens. On devait encore se revoir pour régler les derniers détails et aussi pour fixer la date. Il avait déjà toute une programmation de prévue, avant que la galerie puisse accueillir mon exposition.
Lorsque je rentrais, Kael n’était pas encore arrivé. Je posais ma veste sur le porte-manteaux et mon sac sur la table de l’entrée. J’avais tellement hâte d’annoncer la bonne nouvelle à mon frère. Vivement qu’il rentre ! Je lui avais déjà parlé à plusieurs reprises de mon envie d’exposer. C’était une grande opportunité pour moi. C’était aussi, peut-être, l’occasion de me faire connaître davantage. Je n’allais pas cracher dessus, sachant que j’étais à Brisbane depuis peu. J’avais passé le reste de ma journée sur un reportage photo et je rentrais tout juste. Cela me faisait du bien de retrouver le calme de notre chez nous.
Je déposais le courrier sur la table basse et je remarquais que notre combiné de téléphone fixe annonçait un message. J’appuyais sur le bouton « play » du socle pour écouter ce qui avait été enregistré. J’allais m’apprêter à ouvrir une lettre en même temps, mais je me figeais net en entendant le message. C’était une voix féminine, une infirmière de l’hôpital st vincent. Au début, je pensais à une erreur. C’était forcément une erreur. Il était question d’un changement pour un rendez-vous pour son traitement. J’écoutais le message plusieurs fois. La femme mentionnait bien le nom de Kael Harrington. Je ne comprenais pas. Qu’est-ce que c’était que cette histoire ? Kael me disait tout d’habitude. Tout l’enthousiasme et la joie que je ressentais en rentrant c’étaient dissipés. Je ne pensais à présent plus qu’à cet appel et à ce traitement que Kael semblait subir.
Quand Kael rentrait à la maison, j’étais entrain de visionner les photos du reportage de cet après-midi. Je n’arrivais pas tellement à me concentrer sur quoi que ce soit. Mon frère s’approchait, m’embrassait sur le front, comme à son habitude. Comme si de rien était.
« Il y avait un message pour toi sur le répondeur… »
Je posais mes prunelles bleues sur lui. Il allait devoir m’expliquer très clairement ce qu’il se passait. Le message de l’infirmière était trop vague pour moi.
« C’était l’hôpital. »
Je gardais mon regard sur lui. Il pouvait très clairement lire dans mes yeux l'inquiétude. J’avais besoin d’une explication et il savait qu’il n’y échapperait pas.
Une nouvelle longue journée venait de s'achever. Et Kael était soulagé de pouvoir rentrer chez lui. Il n'avait qu'une envie : se prélasser sur le canapé et ne plus bouger. Quoiqu'il prendrait bien une bonne douche. Il avait passé une grande partie de sa matinée à faire un reportage pour une marque de prêt à porter de luxe. Ce n'était pas ce qu'il préférait. Mais cela payait bien alors il n'allait pas se plaindre. Et puis, du moment qu'il pouvait faire son job, c'était le principal. Ainsi, il arrivait à oublier un peu ce qui n'allait pas. Et ce qui n'allait pas, c'était sa santé. Chose qu'il n'avait pas encore abordé avec sa jumelle. Il avait à plusieurs reprises voulu parler avec Kara. Mais soit les mots ne sortaient pas, soit ils étaient interrompus pour différentes raisons. Au final, Kael n'avait pas parlé. Et puis, il y avait eu le face à face avec leur géniteur. Cela avait pas mal bouleversé Kara. Et le cadreur s'était dit que ce n'était peut-être pas le moment pour le lui annoncer. Même s'il savait qu'aucun moment n'était propice pour annoncer ce genre de chose. Pour l'instant, il avait trop de boulot pour y songer. C'était mieux ainsi. Enfin c'était ce qu'il se disait. Il se focalisait sur son travail, sur les reportages qu'il devait faire. Il gérait son emploi du temps comme il le pouvait. Ce qui était un peu compliqué en ce moment étant donné qu'il ne pouvait plus quitter la ville. Parce qu'il devait se rendre à l'hôpital, cinq fois par semaine. Autant dire que c'était compliqué. Il avait essayé de jongler et de prendre un reportage en dehors de Brisbane juste pour vérifier s'il pouvait le faire. Mais ce n'était décidément pas une chose à faire. Entre le reportage, la route et le traitement, c'était impossible. Alors il avait fini par abandonner les sorties hors de la ville. Heureusement qu'il pouvait gérer son emploi du temps comme il le voulait puisqu'il était indépendant. Sinon il aurait du donner quelques explications à son ou ses employés. Tandis que là, il essayait de faire en sorte que toutes ces virées hospitalières n'affectent pas son travail. Même si forcément, cela le touchait puisque Kael était souvent malade. Et qu'il avait parfois du mal à suivre toute une journée. Mais certains jours, cela allait plutôt bien et il pouvait travailler sans même y songer. Seulement, la maladie finissait toujours par se rappeler à lui, d'une façon ou d'une autre. Cette journée-là, il avait pu concilier les deux : travail et hôpital. Il avait travaillé le matin avant de se rendre après le déjeuner, qu'il avait du zapper bien entendu, à Saint-Vincent. Et cela faisait à peine une demi-heure qu'il était sorti. Il avait du passer par la pharmacie de l'hôpital pour avoir son ordonnance pour la fin de semaine. Heureusement qu'il avait à présent une bonne couverture médicale, sinon tout ça lui aurait coûter un fortune. Il déchargea ensuite la voiture de tout son matériel avant de prendre l’ascenseur. Il était claqué et il se doutait qu'il n'allait pas se coucher trop tard. Demain, il avait un reportage avec Cooper. Il devait être en forme, enfin aussi en forme qu'il pouvait l'être. Quand Kael glissa sa clef dans la serrure, il comprenait que la porte était déverrouillé et il se doutait alors que sa sœur était déjà rentré. Ce qui l'étonnait. Parce qu'elle lui avait dit la veille, qu'elle allait rentrer tard. Il posa ses affaires sur l'un des fauteuils du salon ainsi que sa veste avant de se diriger vers la photographe. « Bonsoir. » Il l'embrassa sur le front avant de chercher un verre afin de boire un peu d'eau. « Ah ? L'agence ? » Demanda-t-il quand Kara lui expliqua qu'il y avait un message pour lui sur le répondeur. Il prit une gorgée d'eau du robinet puis aux mots suivants de sa sœur, il reporta son attention sur elle, le verre encore à la main. L 'hôpital qui appelait ici, cela ne devrait pas arriver. Il avait donné son numéro de portable. Puis il se rappelait que la salle où il recevait son traitement avant changé... C'était sûrement pour ça qu'on lui avait laissé un message. Et bien sûr, Kara avait tout écouté. Kael reposa son verre sur le meuble avant de soupirer. « Quel genre de message ? » Même s'il se doutait un peu de la teneur de ce dernier. Il ne savait pas comment en parler avec Kara. D'ordinaire les mots venaient naturellement. Mais là ce n'était pas le cas. Il savait qu'il allait lui faire de la peine. Et elle n'avait pas besoin de ça. Sa famille commençait doucement à se remettre de ce qui s'était passé avec leur géniteur. Il n'avait pas le droit de bouleverser encore les choses. C'était ce qu'il se disait. Mais il savait que sa sœur n'allait pas lâcher le morceau. Parce qu'il était comme elle. Et que si la situation avait été inversée, il aurait insisté pour avoir le dernier mot. « Je suis un traitement depuis trois semaines. » Et il avait hésité depuis tout ce temps là à lui dire. Parce qu'il savait que cela allait tout changer. Parce que cela voulait dire donner de la valeur à la maladie. Et il pensait peut-être naïvement, qu'elle allait partir aussi vite qu'elle était arrivée. C'était ce qu'il voulait. Bien qu'il savait que la réalité était bien plus compliquée au final. Il gardait ses yeux sur Kara, voyant qu'elle était inquiète encore plus après ce qu'il lui avait dit. « Je ne me sentais pas bien ces derniers temps... » Fatigue, maux de tête, saignements de nez... « Alors j'ai été voir un médecin pour un check-up. Je croyais que j'avais une carence en fer ou ce genre de truc. Mais ce n'était pas ça... J'ai une leucémie. »
Trois semaines. Il était sous traitement depuis trois semaines et je n'en savais rien. On avait pas l'habitude de se cacher des choses. Kael et moi nous disions tout. Il arrivait même qu'on est pas besoin de parler pour se comprendre. Comment est-ce que ça avait pu m'échapper ? Pourquoi ne m'avait t-il pas parlé plus tôt ? J'aurais préféré l'apprendre de sa bouche plutôt que de le découvrir sur un répondeur. Il n'imaginait pas le choc que ça m'avait fait. Le message en disait trop et pas assez à la fois. Cela m'avait laissé le temps d'imaginer le pire. Je restais silencieuse, écoutant ses paroles. J'eus l'impression que mon visage se décomposait à mesure qu'il parlait. Une leucémie. C'était pire que ce que j'avais pu m'imaginer. Je ne connaissais pas grand-chose de cette maladie, mais je savais que c'était grave. Maintenant qu'il me disait ça, certains détails me revenait. Son nez qui saignait, son air fatigué, bien qu'il tente de le dissimuler. Kae n'avait jamais été du genre à se plaindre. Il me fallut plusieurs minutes pour pouvoir reprendre la parole. J'étais complètement bouleversée par ce qu'il venait de m'annoncer.
« Mais avec le traitement, tu vas aller mieux, n'est-ce pas ? »
Demandais-je. La femme au téléphone n'avait pas mentionné de quel type de traitement il s'agissait. Elle expliquait juste qu'on l'avait changé de salle et qu'il devrait s'y rendre pour pouvoir faire son traitement. Je sentais une sorte de boule se former dans mon ventre. J'étais inquiète. Les paroles de Kael ne me rassurait pas. C'était grave. Je sentais ma gorge se serrer et mon souffle se couper. Non. Je ne voulais pas pleurer. Je ne le devais pas. C'était pas moi qui était malade. Ce qui était pire pour moi. Peut importe ce qui pouvait m'arriver si Kael allait bien. Il était malade et cette nouvelle m'anéantissait complètement. Je ne voulais pas penser au pire, à ce qui se passerait si les choses tournaient mal. Non. Le traitement allait fonctionner. Kael allait battre cette putain de maladie. Il ne pouvait pas en être autrement.
« C'est quoi comme traitement ? Une chimio ? Et les médecins qu'est-ce qu'ils disent ? »
J'avais besoin de réponses. Je voulais qu'il m'explique tout à présent. Je pensais à nos sœurs, à notre mère. Elles aussi allaient être effondrées. On se remettait à peine d'une période difficile et voilà que maintenant, cette maladie s'attaquait à notre Kael. Je ne voulais pas m'apitoyer sur notre sort, mais ça faisait beaucoup d'un coup. Je gardais mes prunelles bleues sur mon jumeau. Il portait ce secret depuis trois semaines. En plus d'être malade. J'imaginais que traverser ça tout seul devait être difficile et je ne voulais pas qu'il le fasse. Il avait passé sa vie à s'occuper de nous toutes. On se devait de le soutenir.
Le cadreur avait gardé ses yeux mordorés sur sa jumelle. Il se doutait bien que cette nouvelle devait la bouleverser. C'était bien pour cette raison qu'il avait hésité à prendre la parole. Il ne savait pas quoi dire, ni comment le dire. Il ne voulait pas l'inquiéter alors qu'il savait pertinemment que cela allait être le cas. Alors comment procéder ? Kael n'avait pas le mode d'emploi. Il aurait aimé en parler avec une tierce personne. Mais en dehors de sa famille, le cadreur ne faisait pas trop confiance aux autres. En même temps avec ce qui s'était passé avec leur géniteur, cela pouvait se comprendre. Alors au final, il avait gardé le silence. Il avait toujours trouvé une excuse pour ne pas dire qu'il passait à l'hôpital, ou qu'il n'avait pas faim, ou qu'il préférait aller se coucher à cause d'une grosse migraine. Pour l'instant, cela avait fonctionné. Kara ne s'était pas trop posé de questions. Et c'était tant mieux. Même si Kael savait très bien que cela n'allait pas durer très longtemps. Mais il aurait préféré avoir plus de temps. Il ne savait toujours pas comment dire les choses. Lui, malade. C'était quelque chose qu'il avait encore du mal à assimiler. Ce qui est ironique, c'est que Kael tombait rarement malade. Il avait parfois un rhume ou deux. Mais jamais rien de plus sérieux. Il se rappelait même d'une fois où tout le monde avait eu une angine, sauf lui. Même en habitant sous le même toit, il avait échappé à cette infection. Kael pensait presque être immunisé. Sauf qu'il se trompait lourdement. Aux paroles de sa sœur, il garda ses yeux sur elle. Est-ce que cela irait mieux avec le traitement ? Bonne question. Il haussa légèrement les épaules. « Je n'en sais rien. Je n'ai pas la réponse à cette question pour l'instant. » C'était un peu trop tôt pour savoir si le traitement allait être efficace. Les médecins l'espéraient également. Puis à la nouvelle question de Kara, il reprit la parole : « Des rayons.... c'est mieux de m'irradier avant de faire la suite du traitement. C'est ce que les médecins m'ont dit. » Il n'en savait rien. Tout ça était nouveau pour lui. Voyant la mine de sa jumelle, Kael s'approcha d'elle pour la prendre dans ses bras. « Ça va aller... » Il la garda contre lui, resserrant son étreinte. Il savait que sa sœur en avait besoin. Et il devait avouer que lui aussi. Il posa l'une de ses mains sur le dos de la photographe, essayant de la rassurer comme il pouvait. Il se doutait qu'elle était sur le point de fondre en larme. Puis il la regarda à nouveau avant de reprendre la parole. « Les médecins disent que la maladie a été prise à temps... Que j'avais bien fait de venir dès que j'avais eu un doute sur ma santé. » C'était déjà un bon point. Si la maladie était évolutive, il était nécessaire de la déceler le plus vite possible. « Donc je suppose que c'est un bon point. » C'était ce qu'il se disait oui. Puis il resta à nouveau silencieux, pensant à ces dernières semaines, mais aussi à sa sœur et à ses autres sœurs. Le cadreur ne savait pas ce qu'il était censé devoir faire. Il avait toujours été très secret et protecteur envers sa famille. C'était lui l’aîné, c'était lui qui veillait sur elle, qui essayait de maintenant un minimum de stabilité avec l'aide de Kara et de leur mère. Et jusqu'à présent, cela avait fonctionné. Mais maintenant ? « Désolé... j'aurais du te le dire plus tôt, mais je n'ai jamais trouvé le bon moment... et puis il y a eu la confrontation avec William. Je n'avais pas envie d'en rajouter. » Il ne voulait pas que Kara puisse croire qu'il la mettait de côté, qu'il lui cachait des choses. Il allait lui dire. Il attendait juste un peu, histoire que le calme revienne enfin un peu, même si c'était de courte durée. « Pour une fois, j'avais envie qu'on puisse penser à autre chose qu'à tout ce qui n'allait pas dans nos vies. » Puis il soupira doucement en s'écartant de la photographe. « Et je ne sais même pas comment le dire à maman... et aux filles, encore moins. » Même s'il savait qu'il ne pouvait pas garder le silence sur tout ça. Ce n'était tout simplement pas possible.
J'aurais aimé que cette conversation ne soit pas réelle. J'avais envie de me réveiller dans l'obscurité de ma chambre et de réaliser que ce n'était qu'un cauchemar. Malheureusement il s'agissait bien de la réalité. Je me demandais comment j'avais pu être si peu attentive ces dernières semaines. Kael avait mentionné des migraines sans que je m'en inquiète plus que ça. Après tout, une migraine, c'est quelque chose de commun, non ? Mon jumeau m'expliquait qu'il subissait un traitement aux rayons. J'imaginais que les médecins savaient ce qu'ils faisaient. J'avais confiance en la médecine. Ils faisaient des merveilles parfois, même si je savais que ce n'était pas une science exacte. D'ailleurs, le traitement de Kael était trop récent pour qu'il puisse savoir si ça allait fonctionner.
« Et quelle est la fréquence du traitement ? »
Demandais-je. J'ignorais combien de fois par semaine il devait subir les rayons. Je supposais que cela devait être assez contraignant, comme tous les traitements pour des maladies graves. Pourtant, Kael avait toujours eu une santé de fer. Il tombait rarement malade. Il était très résistant. Plus que moi. Je me blottissais dans ses bras. Ça va aller disait t-il. Je l'espérais. Je savais que Kael ferait tout ce qu'il fallait pour améliorer sa santé. Heureusement qu'il avait été consulter un médecin. Il aurait pu attendre encore des mois et découvrir trop tard que la leucémie le rongeait. Fichue maladie !
« C'est quoi la suite du traitement ? Une greffe ? »
J'avais vaguement entendu parler de la greffe de moelle osseuse. J'avais vu une campagne publicitaire à la télévision. Ils incitaient les gens à faire des dons de moelle pour les malades. Ce jour-là, j'avais vaguement écouté tout en travaillant sur mes photos. J'ignorais que bientôt, cela me concernerait.
« C'est déjà ça. Ils disent toujours que plus tôt la maladie est prise, plus grande sont les chances de guérison. Et puis, tu as toujours eu une santé solide avant. Je suis sûre que ça va aller... »
Du moins c'est ce dont j'essayais de me convaincre pour nous rassurer. Kael était beaucoup moins expansif que moi et il ne laissait transparaître aucune peur. Je restais dans ses bras. Cela me faisait du bien. Kael et moi avions toujours été proches, très tactiles. Une simple étreinte pouvait me redonner de la force quand ça n'allait pas.
« Oui. Tu aurais dû. J'aurais préféré que tu me le dise plutôt que de l'apprendre en écoutant notre messagerie. Je comprends que tu veuille me protéger, mais je veux pouvoir être là pour toi et j'imagine que garder ça pendant trois semaines, en plus de subir le traitement a été compliqué. Tu aurais du m'en parler Kae, je suis plus solide que tu le crois. »
Kael m'avait toujours protégé. J'étais sa sœur. Il était l’aîné. Il avait cet instinct protecteur. J'étais aussi plus sensible. Ce qui ne voulait pas dire que j'étais fragile pour autant. Bien sur, les choses m'atteignaient, mais je ne me laissait jamais abattre. Il le savait. Je posais mes prunelles bleues sur Kael, qui c'était légèrement écarté de moi. Il allait falloir le dire aux filles et à notre mère oui. On c'était promis de ne jamais faire de secrets. D'autant plus avec ce que notre géniteur avait fait. Nous ne voulions plus de mensonges dans notre famille.
« Si tu veux, je peux t'aider à leur dire. Je crois pas qu'il y ait de bonne manière d'annoncer ça... ça sera difficile pour elles de toute façon. »
S'il avait pu choisir le moment de tout révéler à Kara, il était clair qu'il n'aurait pas choisi ce soir-là. Il aurait aimé attendre un peu. Histoire de choisir les bons mots pour lui annoncer sa maladie. Même s'il savait qu'il n'y avait pas vraiment de bonne façon pour annoncer ce genre de chose. Pourtant, il aurait aimé se préparer un peu plus. Cette conversation n'était pas facile. Ni pour Kara, ni pour lui. Lui-même avait encore du mal à se dire qu'il était malade. Il n'en avait parlé à personne jusqu'à maintenant, juste à des médecins. Encore des médecins. Et à vrai dire, il ne savait pas s'il était prêt pour cette discussion. Il savait que Kara en avait besoin. Mais il savait également que cela allait être difficile pour elle. A la question de sa jumelle, il posa ses yeux mordorés sur elle. « J'ai des séances trois fois par semaine. » Et c'était même assez compliqué à vrai dire, de concilier son emploi du temps aux créneaux de l'hôpital. Parfois même il n'y allait pas. Mais ça, Kael évitait de le dire à sa sœur. « J'en sais rien, Kara. » Il soupira légèrement avant de reprendre une gorgée d'eau. Il n'avait pas franchement envie de donner des détails. Et à vrai dire, il espérait ne pas arriver jusqu'à la greffe . Peut-être que les rayons allaient suffire. Enfin, peut-être qu'il était surtout trop optimiste. Ouais jusque là, il avait toujours eu une santé de fer. Un rhume de temps en temps, c'était tout. Mais là, son corps ne l'avait pas loupé. Et c'était probablement pour ça qu'il avait compris que quelque chose n'allait pas. Il avait déjà été fatigué mais pas comme ça. Même en dormant une huitaine d'heure, il n'était jamais reposé. Il avait des vertiges, des migraines, des saignements de nez, il avait facilement des bleus. C'était des symptômes qui l'avaient interpellé. Et il avait été consulté. Il avait bien fait au final. Même s'il aurait préféré un autre diagnostique. « Je sais. Mais c'est pas en me faisant des reproches que ça va aller mieux. » Il savait déjà tout ça. Inutile d'en rajouter. « Et ce n'était pas seulement pour te protéger... mais aussi parce que je n'avais pas envie d'en parler. » Kara devait comprendre. Même là, il ne savait pas quoi lui dire. Est-ce qu'ils allaient passer leur soirée à parler de sa maladie ? Il se dirigea ensuite vers le salon où il avait déposé son matériel. Il avait encore un montage à faire avant demain, neuf heure. Il retira sa caméra pour en récupérer la carte mémoire. « Tu me passes ton portable s'il te plait ? Mon logiciel de montage ne veut plus fonctionner. » Il fallait vraiment qu'il demande à quelqu'un de jeter un œil. Parce que c'était un de ses outils de travail. Il reposa sa caméra sur la table. Puis il reposa son attention sur Kara. « Non ça va aller... Je leur parlerai, une après l'autre. » Il n'avait pas envie de faire une annonce pour tout le monde. Pas comme avec leur géniteur. Il se souvenait des réactions des filles. Et il voulait essayer de limiter les dégâts. Ce qui allait être difficile, il le savait. « Mais Kassy... n'a pas besoin de le savoir. Elle a déjà eu du mal avec William... » Les autres étaient plus grandes. Elles savaient qu'elles pouvaient gérer même si cela allait être dur. Mais il n'était pas certain que ce soit le cas pour Kassandra.
J’avais besoin que Kael me parle de sa maladie. Je savais bien que cela ne devait pas être une partie de plaisir pour lui, mais je voulais tout savoir. J’avais besoin de savoir à quoi nous devions nous attendre. Le traitement qu’il suivait était assez intensif, puisqu’il avouait le suivre trois jours par semaines. C’était donc assez contraignant et j’imaginais que cela avait aussi ses effets secondaires. Même si je ne connaissais pas grand-chose a ce genre de traitements. Nous n’avions jamais été confronté à ce genre de choses. Tout le monde était en très bonne santé. Surtout Kael.
« Comment ça, tu n’en sais rien ? Les médecins ne t’ont rien dit ? Peut-être que les rayons seront suffisants ? »
C’est ce que j’espérais. Je me posais tant de questions, mais Kael me faisait bien comprendre qu’il n’avait pas envie d’en parler. J’imagine que je n’aurais rien sût si je n’avais pas intercepté ce message. Combien de temps comptait t-il attendre avant de me le dire ? Ce n’était pas comme si il y avait un bon moment pour annoncer ce genre de choses.
« Je te fais pas de reproches Kael… je pensais juste qu’il n’y avait pas de secrets entre nous. C’est tout. »
On n’était pas comme notre père. On avait prit l’habitude de se dire les choses. Bien que la plupart du temps, on les comprenait avait même d’avoir à dire quoi que ce soit. On avait toujours eu une relation fusionnelle. Alors, j’avais un peu de mal à comprendre pourquoi j’avais appris cette nouvelle par hasard, sur une messagerie. Mais cela n’avait pas d’importance et on n’allait pas se disputer pour une chose aussi futile. Maintenant que je le savais malade, je me disais que le reste n’était rien comparé à sa leucémie.
« Oui. Tu peux le prendre. »
Cette nouvelle m’avait complètement achevé et je n’avais plus envie de faire quoi que ce soit. Il allait me falloir un petit moment pour encaisser le coup.
« Comme tu veux… Je crois que tu as raison pour les petites. »
Même si je n’étais pas fan de l’idée de cacher des choses. Mais elles étaient trop jeunes. Kassandra et Kiara avaient déjà du mal à faire avec l’absence de William. Il y avait eu beaucoup de changement dans leurs vies dernièrement. Inutile d’en rajouter. J’imagine.
« Qu’est-ce que tu veux manger ? J’ai pensé qu’on pourrait commander un truc. »
Je n’avais pas très envie de cuisiner ce soir alors un plat livré ferait très bien l’affaire. Kael semblait avoir du travail, j’imaginais qu’il ne serait pas contre.
« Justement, les médecins attendent de voir comment je réagis pour envisager d'autres options. » Kael s'était bien sûr posé les mêmes questions que sa sœur. Mais tout cela pour l'instant, restait aléatoire. Le corps médical ne pouvait pas faire des pronostics sans savoir comment le cadreur allait réagir au traitement. Cela ne fonctionnait pas comme ça. Le corps humain était d'une complexité sans fin. Kael n'avait pas souvent été malade. Un rhume ici et là... rien de bien plus important. Il ne savait même pas comment son propre corps était capable de réagir face à ce genre d'agression interne. Pour l'instant, il fallait du temps et de la patience. « Si cela ne fonctionne pas, j'aurais droit à une chimio.... » Autant dire qu'il espérait ne pas en arriver là. Mais cela restait une perspective à envisager. Le cadreur savoir à quel point, les effets secondaires étaient encore plus nombreux avec ce genre de traitement. Et déjà là, il avait l'entrain d'une tortue de cent quatre ans. Alors avec une chimio... Kael fit de la place sur la table afin de pouvoir travailler un peu. Même s'il aurait fait un somme tellement il se sentait fatigué. Mais il avait du boulot à faire. Un boulot qu'il ne pouvait pas reporter au lendemain. Puis aux paroles de Kara, il reposa ses yeux mordorés sur elle. « Si, tu me reproches de ne pas t'en avoir parlé tout de suite. Mais j'avais besoin de digérer ça. Tu sais très bien que je t'aurais tout dit. On ne s'est jamais rien caché... » Du temps, c'était tout ce que le cadreur demandait. Un peu de temps pour faire le tri dans ses émotions. Et pour trouver les bons mots à employer afin de ne pas faire peur à sa mère et ses sœurs. Puis il remercia Kara qui lui prêtait son portable. Il s'en empara et il l'installa sur la table tout en sentant le regard de sa jumelle sur lui. A sa question, il secoua doucement la tête. « Je n'ai pas très faim mais commande. » Les médicaments lui coupaient l'appétit par moment. Et là, c'était le cas. « J'aurais sûrement un creux d'ici une ou deux heures. » Le temps que le traitement fasse effet et que l'appétit puisse lui revenir. En attendant, elle ne devait pas se priver pour lui. « Des spaghettis bolo. » Ouais c'était le bon deal. Pas trop lourd mais nutritif. Kael ouvrit le logiciel et il y transféra une partie de ses enregistrements. Puis, il releva à nouveau son regard sur Kara. Il resta silencieux un instant avant de reprendre la parole. « Avant de commencer les rayons, les médecins m'ont demandé si je voulais congeler mes spermatozoïdes. » Un fin sourire triste s'afficha sur ses lèvres. « Je ne pensais pas que je devais songer à ce genre de chose. Mais quand on y songe avec tout ça, la probabilité que je puisse avoir des enfants dans l'avenir avoisine les quinze pour cent et encore... » C'était une moyenne. Il y avait surement une proportion encore moins élevée. Kael s'était toujours imaginé avec des enfants dans l'avenir. Avec Nova, il avait été prêt. Mais c'était différent maintenant. Et cette possibilité s'éloignait encore plus de lui avec ce qui lui arrivait.
Une chimio. La simple évocation de ce mot suffisait à me faire peur. J'avais vu assez de reportages là dessus pour savoir à quel point c'était contraignant. C'était un traitement très agressif. Il était supposer tuer le mal, mais cela affaiblissait l'organisme tout entier. J'espérais bien qu'il ne faudrait pas en arriver là. J'espérais que les rayons suffiraient à mettre chaos cette fichue leucémie. Je gardais mes yeux sur Kael. Je n'avais pas voulu lui faire le moindre reproche. C'est juste que j'étais sous le choc et que je l'avais appris d'une façon brutale. Remarque, je crois pas qu'il y a de bonne façon d'apprendre ce genre de nouvelles. C'est forcément quelque chose qui vous retourne complètement. Je n'osais même pas imaginer les réactions de nos sœurs et de notre mère. Elles allaient être effondrées.
« Je... C'était pas mon intention de te faire des reproches, désolée. »
Inutile d'ajouter quoi que ce soit. Kael me connaissait suffisamment pour savoir l'effet que ça avait sur moi. Cette maladie était vraiment une des pires choses qui pouvaient arriver. Ce que William nous avait fait en comparaison de signifiait rien. On avait tous été là les uns pour les autres. On l'avait confronté et maintenant, on passait à autre chose. Bien sûr, il y avait eut beaucoup de peines et de souffrances. Mais on pouvait vivre sans notre géniteur. On l'avait toujours fait. En revanche, cette maladie était quelque chose sur laquelle on avait aucun contrôle. Je ne pouvais rien faire pour aider Kael. Je ne pouvais rien faire pour que cette maladie lui fiche la paix. Tout ce que je pouvais faire c'était le soutenir et attendre. Attendre et être impuissante. Je détestais ça. Il y avait tout un tas d'émotions qui s'emmêlaient à l'intérieur de moi, beaucoup de peur, d’inquiétude et aussi de la colère. J'étais en colère contre cette maladie qui s'en prenait à mon frère, en colère de rien pouvoir y changer. Un silence s'installait entre nous. Je ne savais pas quoi dire. Je crois qu'il me faudrait du temps pour digérer tout ça et encore, je ne savais pas si j'en serais capable. Kael reprenait la parole. Je m'asseyais à côté de lui. Du moins, il en avait eu envie avec Nova, avant qu'elle ne fiche tout en l'air. Je gardais mon regard sur mon frère.
« Ouais... ça va sans doute être très difficile, mais pas impossible. Bien que les probabilités soient peu élevées, il y a quand même un petit espoir... »
C'était surtout ça qu'il fallait retenir. Il y avait peut être quinze pour cent ou moins de chances qu'il puisse avoir un enfant, mais il restait une chance, un possibilité. Du moins, je l’espérais de tout mon cœur. Kael serait un père génial et j'en étais convaincue. Cela serait injuste qu'il soit privé du bonheur d'être parent.
« Je sais, ne t'excuse pas. » Il esquissa un léger sourire. Elle n'avait pas à s’excuser. Il comprenait sa réaction. Malgré tout, cela ne facilitait pas les choses. Et le cadreur avait eu besoin d'un peu de temps pour digérer cette nouvelle. Il avait besoin d'aménager son emploi du temps afin de faire en sorte que sa maladie gêne le moins possible ses activités de tous les jours. Il n'avait pas envie que ce cancer s'insinue à cent pour cent dans son existence, dans chacun de ses pas, chacun de ses gestes ou chacune de ses paroles. Non. Il venait tout juste de retrouver un semblant de vie normale après ce qui s'était passé avec William. Pour la première fois ces dernières années, Kael vivait normalement ou tout aussi normal qu'il pouvait le faire. Et il tenait à cette normalité. Sauf qu'il savait également, qu'il ne pouvait pas oublier ce qui le rongeait. Il avait un traitement à prendre, des séances de rayon, des rendez-vous à l'hôpital. Mais il n'avait tout simplement pas envie que sa vie se résume à ça. Pas du tout. Et il savait que sa sœur le comprenait. Elle l'avait toujours mieux compris que quiconque. Ils étaient pareils, même au niveau du caractère. Voilà pourquoi il ne pouvait pas lui en vouloir de lui faire des reproches. Peut-être qu'il aurait agi de la même façon si la situation avait été inversée. Le cadreur s'était donc installé à la table du salon afin de pouvoir travailler sur sa vidéo. Il devait faire ça avant demain même s'il n'avait pas trop la tête à bosser. Il fallait donc le faire. Kara s'était installée à ses côtés alors qu'il avait reprit la parole. Oui, les médecins lui avaient demandé s'il voulait congeler ses spermatozoïdes. Il n'avait pas donné de réponse. Et au final, il n'avait rien fait. Comme il le disait à sa jumelle, il ne s'attendait pas à cette question. Il n'y était pas préparé. Au final, il pensait qu'il avait du temps pour y penser. Mais non. Alors maintenant il se disait que les choses de fonder lui même une famille étaient restreintes. Voire même inexistantes. Mais c'était comme ça. Kael n'était pas du genre fataliste. Mais il savait quand même qu'il était parfois impossible de combattra les aléas de la vie. Il posa ses yeux mordorés sur Kara quand elle reprit la parole. Un fin sourire s'étira sur ses lèvres. « Oui c'est mieux que rien. » Oui, défaitiste, Kael ne l'était pas. Il avait appris à aller de l'avant. Il avait appris à faire d'une force tous les problèmes qu'il pouvait rencontrer. Cela l'avait rendu plus fort. Il se décourageait moins facilement. Même s'il savait que cette maladie n'allait lui donner aucun répit. Le plus dur restait à venir. Puis alors que sa vidéo était entrain de charger, il reposa ses yeux mordorés sur sa jumelle. « Et puis, si c'est pas le cas, je me rabattrai sur les gosses que tu auras avec Spencer. » Il se mit à rigoler en voyant le visage de sa sœur. « Je déconne... lui ou tout autre gars, ça pourrait le faire aussi. » Il garda ses yeux sur elle avant de lui donner un coup de coude. « Allez souris un peu. » Il ne voulait pas que cette maladie fiche le bordel dans sa vie. Elle le faisait assez dans son corps. Il avait envie de continuer à avancer, de rester optimiste. Parce que se plaindre et rester allongé dans son lit n'allait rien changer à la situation. Alors il préférait sourire et croire qu'ils allaient vivre d'autres moments plus sympa, sans cette maladie.
J'étais d'un naturel assez bavard habituellement. J'avais toujours quelque-chose à raconter, sauf quand ça n'allait pas. Je restais silencieuse dans ces moments-là. Je ne voulais pas être défaitiste ou céder à la panique, mais l'état de Kael me préoccupait. Cette nouvelle venait de me tomber dessus et j'avais l'impression que j'allais m'écrouler. C'était Kael qui était malade, mais cette leucémie allait forcément affecter toute la famille. Je décrochais un sourire presque imperceptible aux paroles de mon jumeau. Il arrivait à plaisanter malgré tout, parce que, la vie devait suivre son cours. Il avait raison. Il me faudrait juste un peu de temps pour sourire à nouveau.
« C'est pas prêt d'arriver ça... que ce soit avec Spencer ou tout autre gars. »
Je n'étais pas prête à devenir mère et de toute façon, c'était beaucoup trop tôt. Spencer et moi apprenions à nous connaître petit à petit. On se contactait régulièrement et on essayait de se voir dès que possible. Ce qui était compliqué avec nos boulots respectifs. Tout ça pour dire que j'étais loin de faire ce genre de projets. Mais Kael le savait bien et il me taquinait. J'affichais un sourire forcé aux paroles de mon frère.
« Ça te va comme ça ? »
Sourire était la dernière chose dont j'avais envie. Quand je pensais à cette maladie et a tout ce que Kael allait devoir subir, quand j'imaginais le combat qu'il allait devoir mener. Je me disais que notre quotidien venait soudainement de s'obscurcir.
« Je vais commander le repas. »
Je me relevais et je prenais le téléphone fixe pour passer la commande. On aimait bien commander dans ce petit restaurant italien de temps en temps. Je choisissais des pâtes au pesto pour moi et je prenais des spaghettis bolognaise pour Kael. Il pourrait toujours les manger lorsqu'il aurait un peu d’appétit. Après avoir pris la commande, je reprenais finalement la parole.
« Au fait ! »
Je posais mon regard bleu sur mon jumeau.
« J'ai eu mon rendez-vous avec ce galeriste ce matin et il a été convaincu par mon travail. Alors, il y aura certainement une exposition avec mes photos. Mais pour l'instant rien est encore calé. »
Je me disais qu'une bonne nouvelle lui ferait certainement plaisir. Kael n'avait certainement pas envie qu'on parle de sa maladie toute la soirée.
Kael voulait sourire avant qu'il ne soit trop tard. Avant qu'il ne puisse plus le faire. Sa leucémie, ce n'était que le début. Les mois qui allaient suivre, n'allaient pas être facile. Alors pour l'instant, il n'avait pas envie de broyer du noir. Et puis, ce n'était pas son genre. Il n'était pas défaitiste même s'il aurait pu l'être avec son passé. Ce n'était pas le cas. Il essayait toujours de voir le bon côté des choses. Il avait été dépisté à temps. Il était soigné au plus tôt alors, peut-être qu'il avait une chance de s'en sortir. De dire adieu à cette saloperie pour de bon. Même s'il ne pouvait s'empêcher de se dire que certains de ses projets allaient être remis à plus tard, voire à ce qu'ils ne soient jamais concrétisés. Il n'était pas optimiste au point de se dire que la vie était parfaite, que tout était bien qui finissait bien. Non. Mais il avait l'espoir de connaître certaines choses. Comme il avait l'espoir que sa sœur puisse connaître certains bonheurs. Même s'il était clair que le moment était mal choisi pour en parler... « C'est dommage. Ça l'air d'être un type bien. » Et il avait peut-être envie d'avoir d'autres enfants. Si c'était le cas, il espérait que sa sœur soit clair avec lui dès le départ. Mais de toute façon, elle avait encore le temps devant elle. Puis il l'observa quand elle fit ce qui devait ressembler à un sourire. Il préféra ne pas répondre. Il reposa son attention sur l'écran. Il coupa son reportage à quelques reprises ajoutant des fondus pour les enchaîner. Il laissait ensuite Kara commander le repas. Rien que l'idée de voir de la bouffe, lui donnait envie de vomir. Alors il préféra se concentrer sur son écran. Il fallait qu'il termine ce montage au plus vite. Parce qu'il avait envie d'aller dormir. Aux mots suivants de sa sœur, il releva son regard sur elle. « Super ! » Ça, c'était une très bonne nouvelle ! « Félicitations. C'est extra. » Il était content pour elle. Sa jumelle était douée et il fallait qu'elle le montre au plus grand nombre. « Elle va porter sur quel sujet cette exposition ? » Les sujets de photographies ne manquaient pas. Elle avait même l'embarras du choix et à vrai dire, Kael était curieux de le connaître. « Il va y avoir du monde à cette expo. » Il gardait ses yeux mordorés. « Tu vas... inviter Elio ? » Cela faisait un moment qu'ils n'avaient pas de nouvelles de leur demi frère. A vrai dire, vu comment leur dernière rencontre s'était passé, ce n'était pas étonnant.
On ne se rend compte de notre chance que lorsque celle-ci disparaît. J’avais eu le bonheur de vivre et de grandir aux côtés de Kael. On ne s’était quasiment jamais séparés de nos vies. Alors, il était clair que je n’imaginais pas mon existence sans mon jumeau. Il était comme une partie de moi-même. J’avais besoin de lui à mes côtés. Je m’en étais d’autant plus rendue compte lorsqu’il était parti pour Brisbane et que j’étais restée à Chicago. J’avais fini par le rejoindre au bout de quelques mois, car la séparation était trop difficile à supporter. Non. Je n’avais jamais imaginé ma vie sans Kael. Je ne l’avais jamais envisagé non plus. Pour moi, nous serions toujours là près l’un de l’autre. Mes certitudes s’envolaient avec cette maladie. Je savais que c’était mal de penser à cela, mais si la maladie nous prenait Kael ? Non. Impossible. Je repoussais cette pensée de mon esprit alors que mon frère parlait de Spencer.
« Il l’est. J’en suis convaincue. Seulement c’est un peu tôt pour que je m’imagine avoir des enfants avec lui. On apprend encore à se connaître et on prend notre temps pour l’instant. »
Je crois qu’aucun de nos n’avait envie de précipiter les choses. On en était encore à se découvrir tout doucement. Ça m’allait très bien. Nous avions beaucoup discuté. Le soir d’halloween, il m’avait demandé si je voulais devenir mère un jour et j’avais été franche, avouant ne pas être prête. Enfin bref. Je passais la commande et j’annonçais une bonne nouvelle à mon frère. On en avait tous les deux besoins. Je souriais à sa réaction. Je savais que Kael me soutiendrait à cent pour cent.
« L’évasion, le voyage. Je vais me servir des reportages que j’ai effectué aux quatre coins du monde pour faire voyager les gens. »
C’était un de mes thèmes de prédilections. J’adorais voyager et immortaliser des lieux, des moments, montrer ce que pouvais être la vie ailleurs.
« Ah ? Tu crois qu’il y aura du monde ? J’espère… J’ai vraiment hâte de pouvoir partager mon travail. »
Je souriais. Oui. J’étais vraiment enthousiaste à cette idée. Je gardais mes yeux sur Kael quand il parlait d’Elio. On ne l’avait pas revu depuis la confrontation avec notre père et Erin. Je n’avais pas vraiment cherché à avoir de ses nouvelles. J’étais donc plutôt surprise que Kael me demande cela.
« Non. Pourquoi ? Tu crois que je devrais l’inviter ? »
Kael était resté silencieux. Il faisait le montage de sa vidéo tout en écoutant sa sœur parler de Spencer et de leur relation naissante. Kara avait mal interprété ses paroles. Il n'avait pas dit ça pour l'entendre lui dire qu'elle n'était pas prête. Mais il ne releva pas l'erreur de sa jumelle. Il se contenta de l'écouter parler alors qu'il finissait le découpage de sa vidéo. Il ne pensait pas en avoir pour très longtemps. D'ici une petite heure, il pourra refermer l'ordinateur et le redonner à sa sœur. Quant à lui, il allait devoir s'occuper du sien. Parce que c'était quand même son outil de travail et il en avait besoin au quotidien. Alors il était primordial qu'il s'en charge au plus vite. Il pensait justement à le donner chez un réparateur demain avant d'aller sur le plateau de tournage dont il faisait parti pour la matinée. Il allait devoir courir encore une fois. Un fin sourire s'était affiché sur les lèvres de Kael quand sa sœur lui avait parlé de l'exposition qu'elle allait faire de ses photographies. « Pourquoi cela ne m'étonne pas ? C'est un très bon sujet, tu sais à quel point je l'aime aussi. » Oui, ils avaient cette passion en commun : les voyages. Pendant un moment, Kael avait songé à faire ça de sa vie. Vivre de voyages et faire des reportages sur tous les coins qu'il pourrait découvrir. Oui, cela lui aurait plu. Mais il s'était trouvé incapable de laisser sa famille aussi longtemps. Alors il avait fait le choix d'un job plus sédentaire. Un travail qui lui permettait de consacrer une partie de son temps libre à ses sœurs. Cela était très important pour lui. La famille passait avant tout autre chose. Et puis, il ne pouvait pas dire qu'il était malheureux de ce choix. Bien au contraire, il aimait son boulot actuel et il voyait ses sœurs comme il le souhaitait. Il ne pouvait pas demander mieux. Non. Absolument pas. Puis à la question de Kara, il reposa ses yeux mordorés sur elle. « Bien sûr, qu'il y aura du monde. En tout cas, compte sur moi pour faire ta pub ici et là dès que je le pourrais. » C'était même certain. Il travaillait dans un milieu artistique, tout comme sa sœur. Alors il savait qu'il pourrait trouver autant de passionnés que lui. Cela ne faisait aucun doute là dessus. « Tu devrais songer également à faire quelques feuillets avec tes photos. Je suis sûre qu'ils vont se vendre comme des petits-pains. » Et puis cela lui faisait et de la pub et de l'argent. Les deux étaient les bienvenus. Puis à la nouvelle question de Kara, il la regarda à nouveau, voyant qu'elle était surprise. « Pourquoi pas... c'est notre frère quand même... » Et peut-être que s'il arrivait quelque chose à Kael, Elio serait là pour sa sœur. C'était bien à ça qu'était entrain de penser le cadreur. Et sa sœur devait le savoir également. « Mais c'est toi qui décide. C'est toi qui expose. » Lui, il n'était là que pour lui donner des conseils. Comme il l'avait toujours fait l'un pour l'autre.
Nous n'étions pas jumeaux pour rien. On partageait la même passion pour les voyages. On avait d'ailleurs souvent fait des petites virées tout les deux. Comme celle que nous avions fait l'été dernier, sur cette île paradisiaque d'Australie. Nous étions de nature curieuse et on aimait découvrir de nouvelles choses. Le monde est si grand, ce serait idiot de rester toute sa vie au même endroit, n'est-ce pas. Oui. Kael et moi nous ressemblions sur beaucoup de points. Même si nous avions aussi nos différences. Mais on était comme les deux parties d'un même être. On se complétait. Personne au monde pouvait mieux me comprendre que mon frère. Il était aussi, bien souvent, le seul à savoir quoi faire quand ça n'allait pas.
« C'est une bonne idée ! Je suis tellement excitée par cette expo. J'ai l'impression d'être une gosse qui attendant noël. C'est une super opportunité et qui sait ? Peut-être que ça me permettra de faire connaître mon travail à plus grande échelle. Même si bouche à oreille à plutôt bien marché depuis que je suis ici. »
Et Kael m'avait beaucoup aidé. Quand j'avais débarqué à Brisbane, il y était déjà depuis quelques mois. Il m'avait donné quelques contacts et ensuite les choses s'étaient faites naturellement. Les gens avaient parlé de mon travail et j'avais eu de plus en plus de demandes. Je posais mes prunelles bleues sur Kael tandis-ce qu'il évoquait Elio.
« Je sais... mais je suis pas sûre d'être prête à l'accepter. C'est difficile de se dire qu'on a un autre frère qu'on connaît pas. Puis franchement, je sais pas quoi lui dire... »
Avouais-je a mon frère. Dès le début, je m'étais montrée très réfractaire à rencontrer Elio. Il était clair que je ne voulais pas de lui dans ma vie. Le hasard avait fait qu'on s'était rencontré, mais je n'avais pas été très sympathique avec lui. Je l'avais rejeté de toutes mes forces. Désormais, le choc était passé. Ça faisait un moment que je savais qu'il existait. Il fallait juste que j'apprenne à l'accepter.
« T'as envie d'apprendre à le connaître, toi ? »
Demandais-je. Kael était celui qui avait tout de suite voulu en apprendre plus sur la seconde famille de notre père. Kae avait grandit avec des sœurs et maintenant, il se découvrait un frère. Peut-être qu'une part de lui avait envie d'apprendre à le connaître ? Et maintenant qu'il se savait malade, peut-être qu'il voyait les choses différemment ?
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