La nuit avait été particulièrement rude. J’avais eu des bouffées de chaleurs, des coups de pieds assez violents, et les contractions. Ces contractions qui finiront par m’achever. Ou alors par m’immuniser totalement, je ne sais pas trop. Et le pire dans tout ça, c’est que je ne peux absolument prendre aucun médicament. Franchement, c’est bien ce qu’il y a de plus dur. Je redoute vraiment l’accouchement. Parce que non, interdiction que je drogue mon enfant avec la péridurale. Je préfère souffrir le martyre, crier et user mes poumons, plutôt que d’handicaper mon enfant avant même sa naissance. Je venais de prendre un long bain pour me détendre, et c’est bien tout ce qui détendait mon enfant de son agitation. Par conséquent, les contractions en elle-même s’étaient calmées. Mais une fois à l’extérieur, une fois dans mon peignoir, la douleur revint immédiatement et je n’en voyais plus le bout. Je n’avais même pas réussi à me rhabiller tellement je n’arrivais plus à bouger. La seule chose que j’avais réussi à faire c’était de récupérer mon portable en cas d’urgence. Et là, ça commençait sérieusement à l’être. Mais au lieu d’appeler les urgences, non, j’avais préféré appeler ma sœur. Et elle décrocha très rapidement Je ne me sens vraiment …. Vraiment pas bien. Lui avais-je simplement dit entre deux contractions, sentant la pression monter et les larmes couler sur mes joues. Et je n’eus pas besoin d’en rajouter davantage qu’elle me signifiait qu’elle arrivait. Parfait. Je laissais tomber mon portable sur la table basse et restais allongée sur le canapé en attendant mes secours. Au moment où la sonnette retentit, je décrochais à peine à l’interphone pour ouvrir directement à ma sœur. J’eus tout de même le reflex de regarder par le petit Judas et mon cœur rata douze tour. C’était mon père, il n’était qu’à une porte de moi, et déjà que je me sentais mal, là c’était la catastrophe. C’était au tour de Delilah. Je la laissais rentrer également, espérant qu’elle arrive plus que rapidement pour me sortir de ce pétrin. Dans lequel seul elle avait pu m’y mettre en fait. Laisse-moi entrer Rebecca ! Non, vas-t-en ! Je ne veux pas te voir, je …

Le stress ultime. Les contractions s’intensifiaient et je me sentais défaillir. Que faisait-il ici ? N’était-ce pas évident que je ne voulais plus jamais le voir ? Venant de ma sœur, je veux bien le comprendre, elle n’a jamais su ce qu’il s’était passé, mais venant de notre père, c’était totalement déplacé et sadique. Me sentant totalement désemparée, je me surprenais à penser à Gabriel. Je m’étais reculée de la porte d’entrée, de retour sur mon canapé, autant en boule que je le pouvais à cause de mon assez gros ventre et attendais qu’il parte. Mais Delilah était arrivé et elle demandait ce qu’il se passait. Je sentais les larmes roulaient sur mes joues, je me sentais mal et encore plus mal de faire subir ça à mon enfant. Je me relevais alors du mieux que je pouvais et tout en gardant la porte bien fermée à double tour, je disais à haute voix, du mieux que je pouvais Qu’il parte. Ou je n’ouvre pas la porte Delilah. Je ne veux pas le voir. Je ne peux pas. Ma souffrance remontait tout autant, comme lorsque je l’avais vu dans la rue et que j’avais fait une crise de panique. En étant enceinte, avec les hormones qui se décuplent, c’était impossible que ma crise d’angoisse passe plus facilement. Je restais proche de la porte, sentant mes jambes m’abandonnaient alors qu’ils étaient en train d’échanger je suppose derrière la porte. Je connais ma sœur, elle sait quand j’ai vraiment besoin d’une faveur, et là, c’était vraiment vital. Je savais qu’elle allait réussir à se débarasser de ce pauvre type et que j’allais pouvoir lui ouvrir la porte. Mes angoisses allaient bien vite s’estomper, mais mon traumatisme resterait bien présent. Je pleurais encore, forcément, surtout que je me rendais compte qu’il était l’heure. L’heure de tout dire à ma jumelle, de lui avouer la vérité depuis toutes ces années. Pourquoi j’ai voulu partir si rapidement de la maison, pourquoi je n’ai plus jamais mis les pieds là-bas et pourquoi aujourd’hui je faisais une double crise d’angoisse rien qu’en entendant sa voix.

La panique m’envahissait et c’est tout ce dont je n’avais pas besoin pour ma grossesse. Et pour éviter cela, il fallait vraiment que le paternel s’en aille, et tout de suite, parce que de toute façon, j’étais incapable d’ouvrir, même si on me forçait, même si on me faisait des menaces, même si on m’offrait tout l’or du monde. Non j’étais incapable d’ouvrir, malgré le fait que ma sœur, la personne la plus précieuse de ma vie, soit là aussi derrière cette porte. Et je ne m’adresse qu’à elle d’ailleurs. Elle essaye alors de comprendre, d’avoir des explications de la part de ce type, mais il faisait l’innocent. J’avais envie de vomir, et ça n’avait rien avoir avec les nausées que j’ai pu avoir lors du début de ma grossesse. Non, c’était du dégoût. J’aurais tellement aimé que cela soit vrai ce qu’il avançait, ma vie aurait bien été plus heureuse, et on aurait toujours notre mère dans notre vie. Elle ne se serait pas suicidée. Parfois oui, je m’en veux de sa mort, je me dis bien trop souvent que c’est de ma faute, même si je sais que la faute revient entièrement à mon père. Toujours est-il que Delilah finit par réussir à convaincre notre père de s’en aller. Il ne tarda pas évidemment à le faire, parce qu’il sait, il sait que je l’évite depuis que nous avons quitté la maison. Mais le fait de jouer encore à l’innocent m’énerve, m’horrible, me fait me sentir horriblement mal. Je prie de toutes mes forces pour qu’il ne se pointe plus jamais ici et surtout que je ne le croise plus du tout. Je soufflais un bon coup quand ma sœur me confirmait qu’il était bien parti. Je mis quelques bonnes secondes avant de retrouver la force de me relever et de venir ouvrir à ma jumelle. Tellement qu’elle me menaçait. Une douce menace à mes oreilles. Elle serait venue de mon père, j’aurais appelé les flics et je serais partie par la sortie de secours et ses escaliers pas du tout stables et bien dangereux. Ma bouche était horriblement pâteuse mais je faisais un effort pour ouvrir à ma sœur. Je lui laissais l’entrebâillement de la porte nécessaire pour qu’elle puisse passer et refermer illico presto derrière elle, de peur que le monstre de mes cauchemars ne force l’entrée. Faut que je boive … J’avais l’impression d’être sur une autre planète, de vivre mon cauchemar et qu’il faut que je me réveille rapidement. Je file donc à la cuisine sans même prendre le temps de saluer mon double tellement je me sens perdue.

Mal. Je me sentais vraiment mal. Il fallait en plus que ça arrive durant ma grossesse. De quoi vraiment être encore plus stressée et rendre cette période encore plus dure. Il y a des moments où vraiment il me tarde que le bout de chou sorte de son antre. Il me tarde oui évidemment, mais parfois un peu plus que d’habitude. Toujours est-il que j’avais besoin d’une remontant mais malheureusement, le coup de l’alcool ne serait pas de rigueur pour cette fois. Et ça m’énervait encore plus ! Une boucle sans fin, un serpent qui se mord la queue, rien ne va ! Mais ma jumelle me poursuit jusqu’à la cuisine. Parce que oui, elle ne comprend rien de ce qu’il se passe, et ça aussi ça m’agaçait tout à coup. On ne se prend jamais la tête mais là, ça risquait de partir en cacahuète, mes hormones me l’ordonne. Je me tourne alors vers elle, vraiment remontée Vraiment ? Tu ne comprends toujours pas ce qu’il se passe ? Depuis toutes ces années où je ne vais jamais le voir, tu ne te doutes vraiment de rien ? T’es vraiment stupide ou tu le fais exprès ?! Criais-je presque contre ma sœur, regrettant déjà ces dernières paroles. Tellement que tout accoudés, je me suis mise à chialer, comme une pauvre conne qui se sent misérable comme jamais. Moi, la femme si confiante, voilà que je m’effondrais. Encore une fois. Mais cette fois-ci c’était devant ma sœur et il n’était plus possible de faire marche arrière. Moi qui ai toujours voulu la protéger, voilà que j’allais devoir tout lui expliquer. Malgré le fait que je ne serais jamais prête pour le faire. Je n’en ai jamais été capable, alors comment pourrais-je aujourd’hui alors que mes hormones sont totalement détraquées ?

Ok, j’étais vraiment allée trop loin, et je m’en rendais compte. Mais je n’arrive plus à réfléchir posément quand notre géniteur se pointe, je perds totalement les pédales et je deviens horrible avec tout le monde et particulièrement avec la seule personne dont je suis la plus proche, ma jumelle. Et pourtant, c’est elle que j’envoie chier aujourd’hui, c’est elle que je veux protéger, Noëllie aussi et je ne suis pas fichue de lui parler de tout ça depuis toutes ces années. La trouille qu’elle ne me croit pas me hante et je n’arrive plus à réfléchir posément. Je ne réponds rien face à tout ce qu’elle me dit, je baisse les yeux et n’ose même plus la regarder, j’ose simplement me servir un grand verre d’eau. Je ne le bois même pas, j’écoute simplement mon double en avoir plus que marre de mes caprices et qu’elle préférait céder la place au futur père. Je pourrais bien sûr, mais là tout de suite, j’ai besoin de ma sœur. Je me mets à pleurer, et lâcher toute cette fichue pression qui me ronge depuis toutes ces années, pendant qu’elle me tourne le dos pour prendre la porte. Je la course du mieux que je peux et au moment où elle allait franchir la porte, je criais un grand Non !! Comme si nos vies en dépendaient. La mienne, peut-être. Je reprenais alors doucement la parole une fois que j’étais sûre qu’elle m’écoutait Je sais que je peux être détestable, mais je ne voulais pas l’être, je ne veux pas l’être avec toi. Tu es la seule personne qui compte dans ma vie et si tu me tournes le dos aujourd’hui, je m’en voudrais à vie. Je veux te parler, je veux vraiment te confier … tout ça. Mais j’ai tellement peur … Les larmes coulent de nouveau et je n’arrive plus à les stopper. Tant pis si elle part, je resterais là, le temps que ça passe, mais il est hors de question que Gabriel me voit dans cet état-là, il va bien trop s’inquiéter et me voir vraiment au vrai jour, et j’aimerais éviter ça au maximum. Encore une fois, je ne voulais pas que ma faiblesse ressurgisse pour qu’un homme puisse venir me détruire encore plus. Je n’ai vraiment confiance qu’en ma sœur.

C’était si proche. J’étais si proche de tout lui avouer que je m’en sentais encore plus mal. Je ne pouvais pas perdre ma sœur à cause de ce que j’avais subi, à cause de ce connard, à cause de ma gêne qui fallait vraiment que je supprime. Mais même après toutes années je n’y arrivais toujours pas. Et le fait de n’avoir jamais dévoiler ma souffrance à personne m’aidait encore moins à me confier à ma sœur. Et pourtant, depuis que Noëllie est née, je me force à tout lui avouer. Mais à chaque fois, le sujet se perd et je n’y arrive pas. Jusqu’à aujourd’hui. C’est l’heure, il est temps et si je ne me décide pas, si je ne m’électrocute pas, je perdrais ma sœur. Et ça me terrorise encore plus. Donc forcément quand elle me demande de quoi j’ai peur, je lui réponds du tac au tac De te perdre … Mais je le disais avec une voix plus fragile que jamais, comme si je n’assumais pas, comme si j’allais me faire engueuler. C’est d’ailleurs ce qu’il se passait. Et elle menaçait vraiment de s’éloigner de moi si je continuais à ne pas me confier à elle. Pourquoi ne peut-elle pas comprendre qu’il n’y a pas de mot pour mon mal être ? Parce qu’elle ne se doute de rien, c’est évident. Je me cache tellement depuis longtemps, j’ai forgé cette carapace depuis tant années, qu’on n’y voit que du feu. Même moi je m’y suis perdue pendant très longtemps. Donc si je ne veux pas perdre ma sœur, le seul être de ma famille, la seule personne que je ne cesserais d’aimer, il fallait que ça sorte, quitte à ce que ça sorte tel un extraterrestre. Il m’a … Il m’a touché comme un père ne devrait jamais le faire. Voilà c’était dit et je me sentais bloquée, figée, comme inerte, comme si mon âme avait quitté mon corps. Je m’étais même arrêté de pleurer. Comme si mon existence s’était arrêtée. C’est bien la dernière réaction à laquelle j’aurais pensé. Est-ce que le poids de la douleur s’était envolé ? J’en doute. Je me sentais encore plus coincé et ancrée dans la réalité.

L’idée même que j’avais enfin avouée la chose terrible de mon enfance à ma sœur était bizarre. C’était comme une autre dimension. Non pas un rêve, parce que c’était bien trop douloureux, ça paraissait bien trop réel. Davantage comme si tout cela se déroulait de façon hypothétique. Je n’arrivais même plus à ressentir vraiment les émotions qui se bousculaient en moi. Je voyais en plus de cela le visage de ma sœur se décomposait. C’est tout ce que je voulais éviter, la préserver de ce mal, faire comme si ça n’avait jamais existé et que j’allais pouvoir passer outre. Bien sûr, rien que le fait d’apercevoir notre géniteur me terrifiait toujours autant. Donc techniquement, je n’arriverais jamais à aller de l’avant. J’ai encore cette impression horrible qu’il va me voir nue et fragile. Et je fais tout pour éviter ça. C’est aussi certainement en couchant avec des hommes à droite à gauche que j’arrivais de nouveau à m’accepter. Je ne saurais dire, il faudrait que je voie un psy pour mieux comprendre mes comportements et agissements. Mais j’ai tellement de mal à en parler à ma sœur, que je ne m’imagine pas du tout à en parler à un inconnu. Bien qu’on n’arrête pas de dire que parler à un inconnu peut être parfois plus simple. Pas vraiment pour ma part. Mais voilà, je devais d’abord me confronter à ma sœur. Lui dire pourquoi je ne lui en avais jamais parlé Je n’ai jamais réussi à trouver les mots ou le moment. Je voulais te préserver de tout ça, te laisser heureuse, ne pas partager ce mal être avec toi. Je me sens tellement … sale et honteuse … Je me cachais entre mes genoux et mes bras, j’allais pleurer, encore une fois, mais je me retenais au maximum. J’avais l’impression de redevenir la gamine apeurée que j’étais, celle qui pleurait tous les soirs, en silence contre son oreiller, mon seul vrai échappatoire.