Les couloirs ne se ressemblent pas. C'est une nouvelle aile que l'on vient d'ouvrir, tout spécialement pour les stagiaires. Evidemment, le PDG est supposé venir montrer son nez, faire quelques sourires pour les photos et serrer la main de deux ou trois sponsors. Ce métier ne m'a jamais autant plu que lorsque j'étais confiné dans mon bureau et que Patricia, mon bras droit, faisait tout à ma place. Evidemment Eliane n'aimait pas que je travaille avec une femme et elle m'a supplié de virer ma représentante de presse. Je n'ai pas pu m'y résoudre et je l'ai promue à un emploi mieux payé mais situé à l'autre bout du monde. Elle s'occupe de notre filiale aux Etats-Unis. Je ne sais pas pourquoi je ne l'ai toujours pas remplacée depuis, cela fait déjà sept mois après tout.
J'entre dans la salle pleine de photographes et journalistes et les flash de leurs appareils m'aveuglent. Clignant des yeux, je cherche un endroit où m'acclimater. J'aperçois enfin un visage familier... pas celui que j'espérais. Qu'est-ce qu'elle fiche ici? Ce n'est plus une stagiaire depuis bien longtemps. Faisant semblant de ne pas l'avoir remarquée, je m'avance dans la pièce, tout en serrant des mains et en souriant poliment. Quelqu'un me pose une question et j'hoche la tête sans la moindre idée de ce qui vient de m'être demandé.
« C'est le moment où vous parlez, là. »
Je réalise que je suis monté sur l'estrade et que toute l'assistance me regarde en attendant que je prononce un discours. Mais la seule chose que je vois, ce sont ces yeux verts qui me toisent avec malice depuis le fond de la salle.
« Nous entâmons une nouvelle ère aujourd'hui. Une ère dominée par le désir de renouveau, de performance, de capacité. Je suis ravi d'offrir à tous ces jeunes gens prometteurs une chance de rentrer dans notre entreprise et d'y puiser des connaissances qui ont fait leurs preuves depuis 1964. Il ne s'agit pas d'un monde où l'on vient, on se sert et on repart. Non, c'est une entreprise où tout s'est construit petit à petit, maillon par maillon. Chacun d'entre nous est indispensable au processus d'élaboration... »
Mon regard ne peut s'empêcher de la fusiller. Nous sommes tous indispensables. Je ne peux moins penser ce que je dis qu'en ce moment même. Je continue à brasser ces âneries jusqu'au moment de ma conclusion.
« C'est pourquoi, je vous invite à redoubler d'efforts pour mériter votre place. Le courage et le travail sont des qualités que nous apprécions chez Network Ten. Peu importe d'où vous venez ou comment vous êtes arrivés jusqu'ici, ce qui compte, c'est votre détermination, votre ambition et votre désir d'arriver encore plus haut, avec nous. En équipe. »
L'audience m'applaudit, comme si j'étais la reine d'Angleterre venue rendre visite à la population locale. On me tend une paire de ciseaux et je coupe le ruban rouge pour officialiser l'inauguration. Silver Reynolds a disparu de mon champs de vision et cela me soulage un peu, bien que je préfère savoir où elle est. Et il ne me faut qu'une seconde pour la retrouver, juste derrière moi, me faisant presque trébucher lorsque je me retourne pour partir.
L’émission de la Bachelorette était terminée et ce n’était pas trop tôt, Silver n’éprouvait pas autant d’amusement pour cette émission que pour celle du Bachelor, les combats de coqs n’étaient pas très drôles, elle préférait voir des femmes se faire des coups bas, elles faisaient preuve de plus d’imagination, même s’il leur arrivait aussi d’en arriver aux mains, cela était beaucoup plus rare. Ce n’était pas la seule chose qui agaçait la productrice, c’était aussi qu’elle ne soit pas la productrice en chef, qu’elle soit amenée à faire de basse besogne comme amener une limousine à un garage pour qu’elle se fasse réparer, mais cela allait bientôt changer, elle allait bientôt produire une émission dont elle allait être la patronne, une création originale qui lui permettait d’apporter sa patte à la chaîne. Elle avait entendu ses collègues jaser, comment avait-elle fait pour avoir cette chance alors qu’elle n’avait même pas trois ans d’ancienneté ? L’américaine disait tout simplement qu’elle avait du talent, un talent qui avait été reconnu, mais par qui ? Cela restait un mystère bien gardé puisque ce projet avait été validé ou plutôt imposé par le directeur de communication, sous couvert que l’innovation était toujours une très bonne chose. La vérité était bien moins glorieuse, mais Silver s’en fichait, après tout tous les moyens étaient bons pour atteindre son but non ? Encore plus quand on pouvait se donner un tel coup d’accélérateur, la jeune femme n’était pas vraiment du genre patiente, encore moins maintenant qu’elle n’était plus novice dans son domaine. Malheureusement tout ne se passait pas exactement comme elle le prévoyait, elle avait une grosse contrariété dont elle devait lui faire part au plus vite afin d’avoir le dernier mot, monsieur avait un agenda de ministre, mais ce n’était pas grave, il allait bien pouvoir se dégager quelques minutes pour sa meilleure employée non ? De plus elle était prête à parier qu’il se fichait de ce qu’il devait faire aujourd’hui, que c’était une corvée plutôt qu’autre chose et donc qu’il allait l’expédier au plus vite. Silver se rendit à l’inauguration de la nouvelle aile de la chaîne apprêtée, ses cheveux étaient attachés en queue de cheval, ses yeux étaient parés d’un smoky eyes foncé, ses lèvres étaient couvertes d’un rouge à lèvres nude et elle portait une petite robe bleue marine ainsi que des talons, chose rare elle était plutôt en jean et en baskets, mais la présence de nombreux photographes l’obligeaient à avoir une bonne tenue. La frêle silhouette de la demoiselle ainsi que ses traits juvéniles lui permettaient de passer inaperçue au sein de la foule de stagiaires ou presque, Wren l’avait repéré et de loin. Un sourire en coin s’afficha sur son visage, il avait fait semblant de ne pas l’avoir remarqué, mais une fois placé devant son estrade il n’arrivait pas à masquer son dédain, cela se voyait dans la manière dont il la regardait et cela la faisait jubiler intérieurement. Tout ce qu’elle voyait c’était de la crainte, une grande insécurité, il se demandait certainement ce qu’elle lui voulait pour se pointer ici, mais il se devait de garder une certaine concentration, du moins le temps de finir son discours. Elle profita des applaudissements et du découpage du ruban pour se faufiler plus vite que l’éclair. Surpris, il lui demanda quelle était la raison de sa venue ici, il ne croyait tout de même pas qu’il allait s’en tirer comme ça si ? Silver fit semblant de le retenir tout en lui répondant :« Nous devons parler affaires, nous avons des problèmes à régler. »Elle jeta un regard derrière elle, sourit à l’audience et glissa un dernier murmure plus audible que le précédent :« Faites attention aux marches mon cher. »La productrice disparue de nouveau, cette fois-ci pour quitter la salle et se diriger vers le bureau de son patron. Elle s’arrêta en plein milieu de son chemin lorsqu’elle se rendit compte qu’il y avait des allées et venues, elle se retourna légèrement et vit Wren au loin, il n’allait pas tarder à rejoindre son trône, elle fit semblant d’aller aux toilettes et attendit que les couloirs soient déserts avant de le rejoindre. La discrétion étant de mise et sa venue déjà attendue, elle ne prendra pas la peine de toquer, elle entra directement et ferma la porte derrière elle.« Bien. » Elle prit place sur la chaise qui était en face de lui et croisa ses jambes.« Allons droit au but. Vous aviez dit que j’aurais carte blanche, mais quelqu’un ne semble pas du même avis que vous, ce qui est assez embêtant, avouons-le, je me sens quelque peu bridée dans ma créativité. »
« Fairy tales are more than true: not because they tell us that dragons exist, but because they tell us that dragons can be beaten. »
Pourquoi fallait-il qu’elle soit ici? Je n’en sais rien. Probablement qu’elle me suit, qu’elle veut à nouveau me parler. J’ai vainement espéré m’être trompé en la voyant disparaître de mon champ de vision mais non. Telle une araignée qui tisse sa toile, elle m’entoure, elle est partout et la veuve noire n’a pas dit son dernier mot. Je soupire et continue de serrer des mains tandis qu’elle part en direction de mon bureau. Je déteste la voir si sûre d’elle, comme si elle donnait les ordres et je m’exécutais.
Ce sont de petites choses comme ça qui me crispent encore plus. Faire attention aux marches. Son cher. Elle me prend vraiment pour un idiot qu’elle peut balader mais de toute évidence, elle n’a pas compris dans quel pétrin elle est en train de se fourguer. Je finis par entrer dans mon bureau où elle m’attend déjà. Son audace dépasse toute mesure. Je referme la porte derrière moi, prenant soin de tourner le verrou afin que personne ne surprenne la demoiselle qui se trouve dans mon bureau avec moi. Cela peut porter à confusion mais je ne veux pas prendre de risque. Et puis, au point où j’en suis, un scandale de plus ne me fait pas trop peur. Au moins celui-ci la concernera aussi. Si seulement elle faisait semblant que c’est moi le chef. Mais non, madame se plaint de ses subordonnés, comme si j’étais le sous-fiffre qui doit lui rendre des comptes. Je m’assieds dans mon siège en cuir, croise mes mains sur ma poitrine et attends qu’elle continue. Mais elle ne dit plus rien. Laissant un silence s’installer, un silence que je prolonge exprès pour l’agacer, je finis par l’interroger : - Et en quoi cela me regarde-t-il ? Arrangez-vous avec la personne qui vous pose problème. Où peut-être n’avez-vous pas de quoi faire pression sur ce pauvre commis qui entrave votre… ah oui, créativité.
Ca, de la créativité, elle n’en manque pas, c’est le cas de le dire. Je tourne sur ma chaise pour faire face au paysage que l’on voit depuis mon bureau et surtout pour ne plus voir la prétentieuse qui s’y trouve. - Je ne vous ai jamais promis une carte blanche totale, je vous ai juste dit que vous pourriez innover et que je ne m’opposerai pas à ce que vous ayez une ascension encore inédite dans la boîte pour une employée avec si peu d’expérience. Si vous pensez que cela signifie que vous pouvez jouer aux patronnes, vous vous fourvoyez.
Je me penche pour attraper un stylo et griffonne sur un post-it le rendez-vous que mon contact à la BBC m’a donné il y a quelques instants, j’ai failli oublier de le noter. Je relève la tête et constate qu’elle est toujours là. Soupirant avec tout ce que je peux de mépris.
C’est avec du culot que l’on avance dans la vie, Silver en avait la certitude parce que cela avait toujours marché pour elle, mais c’est avec une audace différente de celle de ses années aux États-Unis qu’elle avançait désormais, parce qu’elle savait que l’honnêteté n’était pas aussi payant que la fourberie. La productrice ne s’était jamais considérée comme une imposture, elle s’était donnée beaucoup de mal pour en arriver là où elle en était, pour être suffisamment intéressante pour que l’on veuille la débaucher, mais elle voulait plus, toujours plus et surtout toujours plus vite. Le directeur de communication n’était pas particulièrement âgé, mais se trouvait déjà là, il avait certainement dû faire des coups bas lui aussi pour en arriver à là, évincer des personnes, mais avant de s’attaquer aux personnes conduisant les plus grosses émissions, elle voulait essayer d’avoir son propre bébé. On lui avait rit au nez, personne ne lui accorderait cette chance avec sa petite ancienneté, mais ça c’était jusqu’à ce qu’elle ne découvre le vilain secret de son patron. Il n’était pas parfait non, il était un homme tout ce qu’il y avait de plus ordinaire, la preuve il se tapait une jeunette qui avait pratiquement la moitié de son âge alors qu’il était marié. Coucher pour réussir, cela manquait tellement de créativité, certes Wren était un homme très attirant donc ce n’était pas une corvée, mais une fois que l’homme est lassé il peut vite passer à autre chose et ne plus donner un seul privilège, voir vous licencier si vous n’avez pas de preuves de ses dérapages. Tenir par les couilles grâce à des informations confidentielles, ça ça pouvait marcher sur le long terme, il ne pouvait pas la virer sans avoir de conséquences. Il l’attendait sagement dans son bureau, lui donnant une sensation de toute puissance. Il se leva afin de verrouiller la porte, chose qui n’était pas très maligne puisque cela pourrait éveiller les soupçons si quelqu’un essayait de venir le voir, elle se demanda comment il avait pu garder sa liaison secrète jusque là en s’y prenant ainsi. Elle exposa les raisons de sa venue, mais il fit mine de ne pas être concerné. Il lui tourna le dos, sa vue était-elle si insupportable que cela ? Aurait-il du mal à garder son calme s’il plongeait ses yeux bleus dans ses yeux verts ? Il ajouta qu’il ne lui avait jamais promis de carte blanche, qu’elle s’était faite des idées. Un de ses sourcils se haussa, elle ne lui répondra pas dans l’immédiat, voyant qu’il était en train d’écrire quelque chose. « J’ai essayé de m’arranger avec la personne à l’amiable mais cela n’a pas fonctionné. »Elle n’était pas la seule personne à vouloir jouer les patronnes, loin de là tout le monde voulait donner son avis et qu’il soit accepté par le plus grand nombre.Silver ne voyait pas l’intérêt de rebondir sur sa deuxième phrase alors elle rebondit directement sur la suivante. « Je pense que vous ne vous souvenez pas de l’entièreté de notre accord. »Ou plutôt qu’il faisait semblant de ne pas s’en souvenir ou peut-être que sur le moment il avait tellement peur pour son avenir qu’il avait dit amen à tout ? Pourquoi n’avait-il plus aussi peur à présent, avait-il une porte de secours ?« Ou peut-être que vous ne tenez plus à votre mariage… »S’il désirait divorcer cela risquait d’être embêtant, mais cela ne l’empêcherait pas de ternir sa réputation. « Je ne vois pas l’intérêt d’avoir ma propre émission si je ne peux même pas décider de son titre. »Décider de A à Z de son contenu était quelque chose de compliqué puisqu’elle ne pouvait pas travailler entièrement seule, mais elle tenait à en choisir son nom. « Encore plus lorsque les autres propositions sont de mauvais goût. N’aviez-vous pas dit que la détermination était la clé un peu plus tôt ? Vous n’allez tout de même pas me reprocher de suivre ce que vous préconisez vous-même et ce depuis des années. Nous pensons la même chose en fin de compte, c’est tout de même dommage de ne pas nous entendre malgré tout. »
black pumpkin
Dernière édition par Silver Reynolds le Ven 14 Avr - 20:09, édité 1 fois
« Fairy tales are more than true: not because they tell us that dragons exist, but because they tell us that dragons can be beaten. »
E videmment la harpie a toujours son mot à dire. Comme si j’avais quelque chose à faire de ses soucis à monter son émission. Déjà qu’elle a réussi à m’extorquer ce droit de créer quelque chose elle-même, désormais elle voudrait en plus que j’intervienne ? J’ai envie de lui rire au nez mais je m’abstiens lorsqu’elle me rappelle les raisons pour lesquelles je la laisse marcher dans mon bureau comme un homme d’affaire important et non comme le misérable insecte qu’elle est. Ce sont des choses qui arrivent. On fait des bêtises, des gens le voient et ensuite veulent se servir de vos tares contre vous. Mais ce n’est pas normal que cela m’arrive à moi. Je maudits Eliane intérieurement. Si son obsession d’avoir un enfant ne nous avait pas conduit au précipice, je ne l’aurais pas trompée et maintenant, cette gamine de moins de trente ans, ne se permettrait pas de venir ainsi m’importuner. - Je vous prierai de ne pas me parler de mon mariage, vous n’êtes nullement qualifiée pour savoir ce qui m’intéresse ou non. Je connais parfaitement les termes de notre accord et que je sache, jusqu’ici, je les ai parfaitement respectés. Elle ne dit rien, elle me toise et réfléchit avant de me faire part de l’exactitude de son problème. Je fouille dans mon tiroir, cherche un petit moment avant de trouver ce que je cherchais. J’en retire un petit bâton blanc avec un embout brun. Une sucette au coca-cola. Je la lui tends. - N’est-ce pas cela que vous me demandez ?
Elle me regarde incrédule et je finis par terminer le fond de ma pensée. - Si j’interviens en votre faveur pour dire que Mademoiselle Reynolds a le droit de diriger son émission comme bon lui semble, cela reviendrait à vous materner. Je vous ai donné carte blanche, débrouillez-vous nom d’un chien. Et méritez la chance qui vous a été donnée. Il n’y a aucune raison que j’intervienne, à moins que vous ne soyez incompétente.
Elle m’agace à la fin. Elle devrait très bien savoir que quelqu’un qui a la direction d’une émission doit la diriger. Si je pointe mon nez pour l’aider alors que je ne le fais jamais, tout le monde va se demander ce qui me prend. Elle aura l’air d’avoir pleurniché dans mes jupes et on pensera qu’en plus de pleurnicher, elle a dû passer sous ma jupe pour faire autre chose.
- La seule raison qui expliquerait que j’ordonne aux autres de vous écouter, serait que je sois moi-même impliqué dans votre émission en participant à sa bonne organisation. Et croyez-moi…
Je m’interromps. Je déteste l’idée mais il faut avouer que cela se tient et qu’ainsi je pourrais m’assurer qu’elle ne fait rien comme bêtise. Cela sera bien plus légitime si je fais semblant de la superviser et les autres cesseront de penser que je la privilégie. Je n’ai qu’à dire dans son dos que ce n’est pas une faveur mais une punition car tout le monde sait à quel point il est détestable de travailler avec le regard du boss sur soi.
- Bien Miss Reynolds, je viens de décider que je vous aiderai à vaincre vos obstacles. Puisque vous n’arrivez pas à mener une équipe, j’assisterai à vos débuts et les superviserai. Vous pouvez sortir maintenant.
Je ne sais pas pourquoi, je doute qu’elle sorte mais je baisse les yeux sur mon bureau en farfouillant dans les dossiers qui s’y trouvent, en espérant que pour une fois elle obtempère.
La piqûre de rappel lui avait fait du bien, elle l’avait comprit parce qu’elle avait senti qu’il allait réagir autrement sans, la mettre en dehors de son bureau comme une malpropre était sûrement son intention initiale. Au lieu de cela il lui dit qu’elle n’était aucunement qualifiée à parler de son mariage, ce qui n’était pas entièrement faux puisqu’elle n’était pas une conseillère conjugale et n’était elle-même pas mariée. « C’est vrai. » Elle marqua une courte pause pour lui donner l’impression d’une victoire, avant d’ajouter sa petite provocation.« Vera est bien plus qualifiée que moi pour cela. » Vera Vera qu’est-ce qu’il pouvait bien lui trouver à cette greluche ? Elle n’arrivait pas à la cheville de sa femme, quel idiot il était de l’avoir trompé, encore plus avec une de ses collègues, il aurait mieux fait d’être discret en prenant une personne extérieure à la boîte, mais peut-être qu’il était trop pris par son travail pour cela d’où le choix de la facilité. Après avoir dit qu’il se souvenait parfaitement de leur accord, il partit à la recherche de quelque chose dans son tiroir, mais qu’est-ce qu’il pouvait bien chercher dans un moment pareil ? C’est avec une surprise à moitié dissimulée qu’elle découvrit qu’il cherchait… une sucette, gourmandise qu’il lui dit avant de préciser où il voulait en venir. Il l’infantilisait complètement et prétendait qu’elle n’était pas compétente. Le directeur lui expliqua que pour exaucer sa requête il devrait s’impliquer personnellement dans son émission, ce qui n’était pas franchement le but. Il n’était pas sérieux, non il n’allait quand même pas faire ça, il grugeait il avait tout de même autre chose à faire… et non il avait l’air plus sérieux que jamais. « Pardon ?! » Le piège ne pouvait pas se refermer sur elle, non il était hors de question qu’elle l’ait sur son dos.« Vous me balancez tout ça comme s’il suffisait de hausser la voix pour se faire entendre, respecter, mais non pour se faire respecter il faut juste avoir une bite dans ce monde de merde. » La vulgarité montrait que son naturel reprenait le dessus, qu’elle s’exprimait vraiment avec le fond de ses tripes. « Un vagin ne fait pas de moi une incompétente loin de là, sinon pourquoi on serait venu me chercher hein ? Pourquoi vous m’auriez félicité l’autre fois ? » Ses sourcils se froissèrent. « Mais non pour vous en tant qu’homme il vaut mieux qu’une femme se la ferme et écarte ses cuisses pour réussir ? Vous me dégoutez, vraiment je ne m’attendais pas à ça de vous, vous avez tellement baissé dans mon estime. » La jeune femme venait d’admettre qu’elle l’admirait au début, mais ça il devait certainement s’en foutre, elle n’avait qu’une seule envie, celle de se lever et de claquer la porte bien bruyamment, ce qui n’était pas raisonnable elle le savait. Elle essaya de reprendre son calme, les murs étaient relativement bien isolés mais tout de même. « Si vous avez une fille plus tard je la plains sincèrement. » Devait-elle terminer là-dessus ? Peut-être que ça serait l’option la plus sage, mais ne lui donnerait-elle pas l’impression qu’il avait gagné cette bataille ? Cette hésitation l’énervait au plus haut point, elle n’aurait jamais pensé qu’il puisse l’amener dans cette déroute, comment avait-elle pu sous-estimer son adversaire à ce point ?...
« Fairy tales are more than true: not because they tell us that dragons exist, but because they tell us that dragons can be beaten. »
Coup après coup, la demoiselle ne se lasse pas de m’assener des coups. Mentionner le prénom de Vera, c’est sa manière de me rappeler à l’ordre, comme si je pouvais oublier qu’elle connaissait l’identité de ma maîtresse. Et encore, le nom de maîtresse est un bien grand mot. C’est juste une aventure, une bêtise pour oublier les malheurs et tristesse qui m’attendent chez moi. Je lève un sourcil sans la regarder. Je devrais me défendre mais elle m’agace tellement que je sais que si je venais à répondre, je perdrais mon sang-froid. Et elle ne mérite pas autant d’attention que cela.
Ce n’est évidemment pas ce qu’elle souhaitait. Je le vois à la manière qu’elle a de me regarder, ainsi déboussolée. Elle s’emporte et devient d’un vulgaire que je trouve déplorable dans la bouche d’une femme. Il y a un temps et un endroit pour être aussi impolie et ce n’est certainement pas maintenant, ni dans mon bureau. Si je veux me la coltiner ? Non, certainement pas. Ce sera un fardeau que de devoir gérer une émission en plus. Et cela ne rendra pas mes journées plus courtes. J’ai envie de faire marche arrière mais je réalise que si je m’astreins à ce projet, je passerai moins de temps chez moi. Et ainsi, je verrai moins Eliane. Sa seule vue me rend malade ces jours-ci. Je ne sais si c’est la culpabilité, ou le manque d’affection, d’affection réelle je veux dire. Je ne suis pas ravi à l’idée de travailler avec cette vipère mais au moins, je surveillerai ce qu’elle fait et je serai loin de mes problèmes. J’ai un bon prétexte pour fuir mon quotidien.
- Mademoiselle Reynolds, je vous prie de m’écouter et de bien m’écouter maintenant. Je me contrefiche de la place que j’occupe dans votre estime. Je me fous complètement de ce que vous pensez de moi et de ce que vous pouvez vous imaginer savoir à mon sujet. Je tolère votre petit chantage grotesque, que cela vous suffise. Pour ce qui est du reste, j’ai bien peur qu’il vous faudra vous soumettre ou aller crier vos injures dans le couloir.
Je marque une pause pendant un petit instant et elle en profite pour attaquer à nouveau. Il est inutile de dire que je n’apprécie pas ses coups bas. Je secoue la tête avec mécontentement. Si seulement je pouvais avoir une fille, cela aurait réglé tous mes problèmes et nous n’en serions pas là aujourd’hui.
- Dieu me garde d’avoir une fille aussi mal élevée que vous ! Si seulement vous utilisiez l’énergie que vous employez à m’exaspérer à crier sur ceux qui doivent vous obéir, vous n’auriez pas besoin de, je cite, ma bite pour venir vous secourir.
Elle ne semble pas avoir compris que ma décision était prise et qu’elle pourra crier tant qu’elle le souhaite, je ne ferai pas demi-tour. Je croise mes bras sur ma poitrine, m’adosse à ma chaise en cuir et la regarde avec le ton supérieur que j’emploie avec tous mes subalternes.
- Quel est ce nom que vous tenez tant donner à cette émission ?
Son supérieur n’avait pas envie de se fatiguer, il ne répondait pas à sa dernière provocation, répondre n’aurait de toute façon qu’encourager la jeune femme à renchérir, elle aimait beaucoup trop avoir le dernier mot pour se taire. A présent il la connaissait suffisamment pour le savoir, mais elle ne le connaissait visiblement pas assez puisqu’elle ne savait pas tout ce dont il était capable, il venait de sortir une carte de sa manche à laquelle elle n’avait jamais pensé, ne le pensant pas capable de sacrifier une partie de son temps pour la surveiller. Cela montrait qu’il préférait encore rester ici plus longtemps qu’à son habitude plutôt que de rejoindre sa femme, sinon il lui aurait donné ce qu’elle voulait et il aurait eu la paix. La vie de son directeur était triste dans le fond, mais elle n’avait pas envie de se montrer compatissante parce qu’elle était persuadée qu’il était responsable de son malheur. Il se fichait de ce qu’elle pensait de lui, ce qui était une grotesque erreur qu’elle lui fait remarquer :« C’est dommage pour vous parce que si j’avais encore une bonne estime de vous, je ne serais pas là en ce moment même, vous seriez tranquillement en train de voguer à vos affaires. »Il ne fallait pas sous-estimer l’importance d’être bien vu par ses subalternes, encore plus lorsque l’on n’est pas irréprochable et pas assez discret pour le cacher. Elle cracha à nouveau son venin, ce qui l’énerva beaucoup plus que les autres fois, avait-elle touché son point faible ? Silver ne l’imaginait pourtant pas rêver d’être père, il était trop obnubilé par son travail pour cela.« Vous êtes tellement déconnecté de la réalité c’est affligeant. »Il était vraiment buté, persuadé d’avoir raison mais il n’était sûrement pas allé sur le terrain depuis longtemps, son bureau était bien trop confortable pour qu’il ne le quitte. Malgré tout il lui demanda tout de même quel était le titre qu’elle voulait pour son émission, il avait enfin comprit que la seule manière de se débarrasser d’elle était de l’écouter.« Trendiness. » Balancer ça comme ça, ça n’avait pas vraiment de sens, il fallait comprendre le concept de l’émission pour comprendre l’importance de ce nom. « Mais je pense qu’il serait bénéfique que vous veniez, pour voir de vous-même comment ça se passe, en bas. »Ce retournement de veste était calculé, elle ne voulait pas perdre la face, s’il la voyait travailler il se rendrait mieux compte de ce qu’elle apportait à la chaîne, sans compter que sa présence pourrait la pousser à donner le meilleur d’elle-même pour fermer le clapet de son collègue. Elle ne devait pas avoir peur de son regard, non ou elle n’aurait plus l’air crédible en tant que maître-chanteur. Reprendre son calme et montrer que sa supervision était finalement la bienvenue la satisfaisant, elle se leva. « Au revoir monsieur Samuels. »Elle déverrouilla la porte et la ferma sans faire d’éclats.