I can't promise to fix all your problems, but I can promise you won't have to face them alone
Azur & Yasmine
Les yeux posés sur ce document, je jurerais que j’ai relu cette phrase à au moins trois reprises. Mon regard parcourt toutes ces phrases, ces explications, cette nouvelle procédure pour le corps médical, mais mon esprit préfère vagabonder un peu n’importe où, papillonnant d’un souvenir à l’autre. Mon attention cherche la moindre chose sur laquelle s’accrocher, que ce soit la discussion entre mes deux collègues à quelques mètres de moi sur le cas d’un patient qui ne semble pas commode ou encore cette chaise roulante à la roue qui couine dans le corridor d’à côté. Je souffle un bon coup et me redresse, priant pour qu’une nouvelle position m’apporte l’attention dont j’ai besoin. Je dois absolument appliquer les changements imposés par la direction dans la compilation des dossiers dès demain, et je sais que rapporter le formulaire chez moi pour l’éplucher n’aura pas l’effet escompté. L’hôpital, c’est un peu mon lieu sacré. C’est l’endroit où mes problèmes ou mon passé ne peuvent m’atteindre. C’est où je donne toute mon attention aux patients, laissant l’entièreté de ma vie personnelle hors de ces murs, et chez moi c’est un peu comme la fin du charme, comme Cendrillon à minuit. Je passe tout mon temps dans ma chambre, un livre à la main, une clope dans l’autre, près de ma fenêtre afin d’en dissiper l’odeur. C’est un peu comme si je devenais une autre personne et ce n’est pas celle à laquelle j’aspire devenir. Ici, je me décide à donner le meilleur de moi-même à tous ceux qui en ont besoin, me donnant l’impression par moment que je suis peut-être une bonne personne. Sauf que j’ai besoin de chasser ce nuage qui embrouille mon esprit et ma concentration afin d’en finir avec cette nouvelle procédure. Je souffle à nouveau et replonge mon attention sur le document, mais ma collègue laisse échapper un rire particulièrement sonore. Sans plus de cérémonie, je referme le dossier et décide de prendre place dans une autre aile, plus tranquille, la clinique étant particulièrement occupée aujourd’hui. J’évite bien évidemment l’urgence et décide d’errer sur les étages pour m’asseoir sur une chaise dans le couloir, près d’une des salles de repos. Tous les employés sont au courant de l’importance de garder l’endroit calme pour faciliter le repos du corps médical qui fait des longues heures. Quoi de pire pour un médecin qui fait un quart de 24h que de se faire réveiller par des collègues qui manquent de discrétion ? Assise sur une chaise, un crayon en bouche, je place une jambe sous mes fesses et me penche sur le dossier, parvenant enfin à m’y plonger. Les minutes passent, j’en suis à la dernière page quand des pas plus rapides et précipités me sortent de ma rêverie. Je reconnais tout de suite Yasmine qui passe dans le couloir, se dirigeant je ne sais où. Elle qui normalement, est toujours si souriante, semble complètement perdue, désemparée, déboussolée. Enfin, ce n’est pas l’impression que les autres auraient d’elle, mais je la connais, et l’éclat qui normalement illumine son regard semble éteint, c’est assez pour que je me lève et que je tente de l’interpeller. « Yasmine ? » Ma voix se perd dans le silence du couloir, mais mon amie ne s’arrête pas pour autant. Ce n’est pas normal, je sens que quelque chose cloche. Du moins, je me lève et décide de la suivre, seulement pour m’en persuader. Aussi, j’ai la mauvaise habitude de me mêler trop souvent de ce qui ne me regarde pas, mais dans ce cas, j’ai un mauvais pressentiment. Je la suis alors qu’elle tente de s’enfermer dans une salle, je pense qu’elle ne m’a même pas entendu la suivre. « Yasmine, tout va bien ? » Je referme la porte derrière moi, ne la lâchant pas du regard. Elle me fait dos pour le moment, mais je redoute presque le moment où elle se retournera, ayant le sentiment que son sourire contagieux n’éclairera pas son visage cette fois..
Elle referme la porte, son souffle se coupe, ses pensés aussi comme si accepter ce qui venait d’arriver était impossible. Cette rencontre c’était tout ce qu’elle redoutait et pourtant tant de fois elle l’avait imaginé - d’abord parce que la colère en elle lui hurlait qu’il devait payer puis quand elle s’en était allée parce que l’incompréhension de l’instant avait pris le dessus. Les mains de l’homme sur son corps, ses mots au creux de son oreille avant qu’elle ne se défasse de son étreinte… Pourquoi ? Pourquoi elle, pourquoi ce soir là ? Elle n’était pas sur que les questions aient trouvé réponses après sa rencontre avec l’homme. Ce qu’elle avait vu c’était un homme malade, un homme brisé et perdu et c’est la compassion qui avait pris le pas. Surpassant même la peur, jusqu’à la faire s’approcher assez pour effectuer son pansement. Sa tête tourne maintenant comme si elle avait oublié de respirer pendant tout ce temps, elle travers les couloirs de l’hôpital à grand pas, sans trop savoir où elle va, et ce qui va se passer quand elle sera arrivée, la panique s’emparant un peu d’elle. Toutes ces émotions qu’elle a su retenir devant lui, refusant d’être à ses yeux la victime faible qu’il avait fait d’elle. Aujourd’hui le visage a un nom : Breccan Mortimer. Elle sait qu’elle ne l'oubliera jamais, qu’il s’est gravé en elle, comme ce soir là et cette façon dont il a posé sa main sur ses seins comme si elle lui appartenait - comme si elle n’était rien de plus qu’une poupée dont il pouvait faire ce qu’il voulait. Elle n’entend pas son prénom qui résonne dans le couloir - ne semble pas se rendre compte qu’elle est passé devant Azur, tout est trouble, un peu flou alors qu’elle rentre finalement dans une des salles, sans trop savoir où elle va, pour se retrouver dans une salle de matériel, peu éclairée. Posant sa main sur l’une des étagères elle tente de retrouver son souffle, l’angoisse comprimant ses poumons et l’empêchant de respirer ce qui ne faisait que d’ajouter de l’eau au moulin et l’angoisser plus encore. Ce n’est pas le première fois - elle a déjà fait ce genre de crises, souvent quand elle était jeune et que la pression mise par ses parents devenait trop fort lui pressant la cage thoracique en l’empêchant même de trouver de l’air - la dernière remonte maintenant à plusieurs année en arrière - le jour où elle a appris la maladie d’Hassan. Plus rien jusqu’à lors n’avait semblé être à même d’égaliser l’angoisse qui s’était emparée d’elle ce jour là. Jusqu’à aujourd’hui. « Yasmine, tout va bien ? » Cette fois la voix lui parvient d’un peu plus loin et elle se retourne lentement, se rendant compte que déjà ses joues sont inondées de larme, elle ne s’est même pas rendue compte qu’elle pleurait, trop occupée à tenter de retrouver le souffle. Son regard se pose sur Azur, sa collègue, son amie elle imagine qu’elle peut l’appeler comme ça même si elle ne sont pas si proches au final. « Non… » C’est tout ce qu’elle peut prononcer avant de s'effondrer. Même ses jambes ne la tenant plus, elle finit au sol - la crise de larme prenant le dessus, tout son corps pris de spasme et toujours cette incapacité à retrouver l’air. Elle sent le contact de son amie auprès d’elle, voudrait dire quelque chose mais les mots ne sortent pas. « Je… » Elle tente mais n’est pas capable d’aller plus loin, articulant un « peux » aspiré et presque inaudible. « pas respirer. » Sa main attrape le poignet de son amie, comme pour la supplier de rester… On pourrait croire qu’elle voudrait être seule mais à cette instant, rien ne lui fait plus peur que cette fameuse solitude.
Je ne sais pas si ma tendance à trop, pour ne pas dire toujours, vouloir me mêler des affaires des autres est un atout dans ma profession ou simplement une mauvaise habitude. Je suis le genre de femme à s’incruster sur un dossier par curiosité, ou encore à demander des cas qui ne sont pas liés à mon domaine d’expertise, pensant pouvoir trouver la solution alors que les personnes avec une meilleure formation y voient un cul-de-sac. Pour certains, mon tempérament à vouloir mettre mon nez partout fait de moi une personne à éviter, quelqu’un de qui il vaut mieux se tenir loin. C’est à croire que mes gestes ne transmettent pas réellement ma préoccupation première : celle de vouloir venir en aide aux autres. Autrefois, j’évoluais dans un domaine terriblement compétitif et égoïste. Dans le sport, il n’y avait que son cul à s’occuper. Il fallait faire mieux que les autres, à tout prix, point à la ligne. Certains allaient même à jouer déloyal, ce à quoi je me suis toujours refusé. Puis il y a eu cette nuit, ce choc qui a changé ma vie à jamais. Passer des mois entre ces murs blancs à l’éclairage trop fort, j’ai découvert une nouvelle facette du monde : celui de l’entraide. Ma curiosité, par le passé animée par un désir de tout découvrir de voyait maintenant motivé par l’idée de venir en aide à mon prochain. Il suffit d’une seconde pour réaliser qu’on est tous égaux, que ce n’est pas un titre, une médaille, une position dans un classement qui font de nous quelqu’un. Non, et même si j’ai toujours de la difficulté à exprimer mon côté altruiste, j’essaie de faire en sorte que les gens savent que je ne suis motivée que par des bonnes intentions. Une qui a su voir outre mon manque de tact et de délicatesse est définitivement Yasmine, cette collègue qui saurait voit le bon dans le pire individu sur terre. Je ne lui ai jamais dit, mais je la trouve terriblement inspirante, allant même à la qualifier de modèle tant par son professionnalisme que par son attitude irréprochable. Si j’ai trop de colère en moi, je me doute bien que Yasmine à ma place, aurait déjà réussi à faire le ménage dans ses émotions il y a bien longtemps de cela. Alors la voir là, le regard vide, à marcher si vite pour s’isoler, ça me fait sauter de mon siège pour la suite. Si elle veut être seule, elle me le dira, mais hors de question que je la laisse passer son chemin sans même vérifier si elle a besoin de… de n’importe quoi. «Non…» Mon cœur se serre suite à ses propos si sincères. Je croirais presque entendre un cri du cœur, à voir une femme si forte avouer si facilement son état. Mon cœur se serre et je m’approche de mon amie alors que sa respiration semble toujours affolée et que ses jambes ne suffisent plus à la tenir. Je m’accroupis près d’elle et à voir son joli visage ravagé par les larmes, je me doute bien que quelque chose ne va pas bien. Enfin, que quelque chose ne va réellement pas bien, sauf que l’heure n’est pas encore aux confidences. «Je…» Sa main vient se poser sur mon poignet alors que je prends place sur mes genoux à ses côtés. Je laisse transparaitre une présence qui se veut rassurante, ne laissant pas la panique et les questions qui se bousculent en moi prendre le dessus. «Pas respirer.» Je suis presque contente que le premier terme qui me vienne à l’esprit ne soit pas le nom médical pour décrire un état de panique. «Tout va bien.» La petite phrase bateau avec laquelle débute presque toutes les conversations du genre. Je me giflerais presque d’offrir une approche aussi banale à Yasmine. «Je suis là.» Et je ne compte pas partir, si cela peut la rassurer au vu de comment elle serre mon poignet. Doucement, sans trop de pression, je me penche sur elle pour lui offrir un contact plus rassurant, la serrant doucement. Je ne veux pas être oppressante, je veux juste qu’elle sente qu’elle n’est pas seule, et qu’elle ne le sera jamais. «On va le faire ensemble, d’accord?» On dirait que je lui offre des soins complètement basiques, mais je sais que dans l’immédiat, il faut calmer sa respiration avant que son état ne s’empire et qu’elle vienne à réellement manquer d’air. Je place ma main devant ma bouche, pour placer par la suite sa main devant sa bouche. Le cerveau associe le renvoi d’air contre la peau de la main à une respiration, ce qui aide le corps à se calmer. C’est un peu comme la technique de respirer dans un sac, sans l’excédent de carbone qui peut donner mal à la tête après quelques minutes.
Elle s’accroche à la blonde comme à une bouée, l’impression qu’elle se noie qu’elle suffoque, l’air ne rentrant plus dans ses poumons, la panique prenant le dessus, l’angoisse, l’impression que c’est trop - qu’elle ne passera pas au dessus. «Tout va bien.» C’est faux, tout ne va pas bien et surtout pas cette air qui ne rentre plus. Ses larmes qui dévalent ses joues sans plus pouvoir s’arrêter. Elle a besoin d’elle - besoin qu’on la calme qu’on trouve les mots - sans doute qu’il ne faut pas grand chose mais pourtant elle n’entend presque plus rien. «Je suis là.» Les sanglots reprennent de plus belle, tout son corps tremblant sous le coup de l’émotion alors qu’elle s’accroche à la blonde. Sa tête qui trouve place contre le torse de son amie alors que cette dernière la serre assez fort pour calmer les tremblement. «On va le faire ensemble, d’accord?» Elle tente de hocher la tête mais y arrive à peine, sa lèvre tremblante sentant maintenant le retour de son souffle chaud contre sa bouche. Lentement l’air semble réussir à faire son chemin jusqu’à ses poumons. Trop lentement sans doute, pendant longtemps encore les sanglots parcourent tout son corps la laissant fatiguée et presque endormie dans les bras de la blonde alors que finalement les larmes cessent de couler sur ses joues et que sa respiration reprend un rythme normal. Longtemps les deux femmes restent dans le silence, cette pièce mal éclairée leur servant de sanctuaire. Se relevant un peu elle essuie le reste de larmes sur ses joues avant de regarder Azur dans les yeux pour la première fois depuis que la jeune femme la rejoint. « Merci… » Elle se sent un peu idiote maintenant, repasse ses cheveux derrière ses oreilles en s’adossant au mur. « Je suis désolé… Je crois que j’ai ruiné ton polo. » Le peu de mascara qu’elle met pour maquiller ses yeux ayant réussi à tacher de noir le polo blanc d’Azur. « Merci d’être restée. » Elle ne sait pas comment elle s’en serait sortie si elle avait été seule, la panique prenant les dessus sur tout.
Je serre fort, pas trop je l'espère, mais juste assez pour faire comprendre à Yasmine que je suis bel et bien là. Qu'elle peut fermer les yeux et que même si les émotions semblent prendre le dessus pour la submerger totalement, je ne veux qu'elle n'oublie pas qu'elle n'est pas seule. Peu importe la situation, peu importe ce qui la secoue autant, elle n'aura jamais à traverser cette épreuve sans support. Souvent le sentiment d'être seule face aux méandres de la vie est ce qui nous fait perdre notre point d'encrage, qui nous secoue encore plus que l'évènement en lui-même. Je sais que pour moi, le pire fut d'être seule pour me remettre de mon accident, de mon coeur brisé. Tout aurait été plus facile si j'avais eu le support que je désirais, le sien, et à sentir les doigts fins de mon amie se saisir de mon polo, je sais qu'elle a besoin de moi. Hors de question que je parte. Le temps défile sans que je lui apporte de l'importance, marquant son passage par l'apaisement de Yasmine. Mes doigts glissent doucement sur ses cheveux dans un geste que je veux rassurant une fois que ses sanglots se sont bel et bien calmés. Un silence réconfortant nous enveloppe, nous dissociant du reste de cet hôpital si occupé et je remercie le ciel que personne ne soit entré dans cette pièce alors que nous sommes encore sur le sol. « Merci… » Je ne réponds pas, laissant Yasmine prendre s'adosser au mur en face de moi, semblant se remettre de ses émotions. « Je suis désolé… Je crois que j’ai ruiné ton polo. » Je lâche un rire. S'il y a bien un truc dont je me fous en ce moment, c'est de mon polo. « C'est pas grave, ça partira au lavage. » Je dis en regardant les légères traces de mascara sur le tissu. Dieu sait que cet uniforme a vu bien pire. « Merci d’être restée. » Je relève les yeux vers Yasmine, croyant voir ses joues se colorer de rose. « Merci de m'avoir fait confiance. » Parce que moi qui porte un masque de femme souvent froide et sarcastique, je sais à quel point il peut être difficile de se montrer vulnérable devant autrui et d'admettre qu'on a besoin d'être accompagné. De ne pas être seule. Je sais qu'à la place de la brune, j'aurais eu beaucoup de mal à avouer cette peine, et je déglutis réalisant que je ne suis pas du tout connectée à mes émotions. « Tu veux en parler ? » La question que je me dois de poser, maintenant que tout semble plus calme, devinant que ma collègue souhaite peut-être se délester d'un poids supplémentaire par la parole.
Il lui faut du temps, pour reprendre ses esprits, pour fair le vide quelques secondes et revenir à elle même. Effacer Yasmine la victime pour redevenir femme, pour reprendre la place dans ce corps fatigué, presque meurtri, pour prendre conscience de la situation et d’Azur qui est là - encore. Qui est restée près d’elle pendant tout ce temps, qui y a perdu son polo aussi. « C'est pas grave, ça partira au lavage. » Sans doute, pas comme cette sensation qui reste en elle - celle qui semble ne pas partir même avec les larmes, même quand elle tente de la chasser loin dans son esprit. « Merci de m'avoir fait confiance. » Est-ce que c’est ce qu’elle a fait ? Elle ne saurait le dire, elle c’est plus accroché à elle, parce qu’elle était là. Parce que c’est une femme et qu’elle a lui inspire quelque chose de positif Azur. Elle ne dira pas qu’elle est gentille ou que c’est ce qu’elle dégage, mais elle l’aime bien, elle a imaginé souvent que sur le long terme elles pourraient être amies, il semblerait que le destin ait un peu forcé ça, parce que maintenant elle est complice de son chagrin. Complice de ce que Yasmine n’a révélé à personne si ce n’est Hassan le premier soir - et jamais ils ne sont revenus sur le sujet. Comme un tabou… Parfois elle se dit qu’elle ne le fait pas parce qu’elle a honte, parce qu’elle ne veut pas qu’Hassan la voit comme ça. Lui il n’aborde pas le sujet parce qu’il est lui… Parce qu’il ne veut sans doute pas la brusquer, la forcer… Ou peut-être qu’il n’ose pas simplement. « Tu veux en parler ? » A la question elle se replie sur elle même d’un coup. Ses genoux qui remontent et qu’elle vient entourer de ses bras en posant sa tête dessus. Un long soupire sort de ses lèvres au milieu du silence qu’elle laisse planer. « J’en sais rien… » Oui elle en a envie, mais elle a un peu honte aussi, n’est pas sûr d’oser. « Je pensais jamais le revoir… Pas ici et il… Il était tellement désolé je… » Est-ce qu’elle s’était préparée à ça ? Pas vraiment, mais au final une part d’elle avait espéré - avait senti qu’il n’était pas juste un pervers sexuel mais un homme malade. « Je… J’ai croisé un homme qui j’avais rencontré il a quelques mois… Un homme qui a fait quelque chose de mal et… Il est malade… Il c’est excusé et… » Elle ne peut pas en dire plus sans que la boule ne revienne dans sa gorge. « je pouvais pas craquer devant lui. » Elle rit cette fois un peu bêtement, se rendant bien compte du ridicule de la situation. Elle n’a pas pleuré devant Breccan pour finalement venir s’enfermer ici et s’effondrer.
La porte fermée de cette salle nous isole du reste de l'hôpital, de tout ce monde qui s'anime, pour nous laisser ici, le temps en suspens. La respiration de Yasmine s'est calmée et bien qu'elle vient de d'évacuer son trop plein d'émotions, je me doute bien que rien n'est réglé. Il ne s'agit pas d'un épisode isolé, dans lequel on fait seulement pleurer un bon coup, taper un peu dans le vide ou dans son oreiller (moi en tout cas) et insulter l'élément perturbateur pour se sentir mieux. Non, c'est bien plus subtile, bien plus ancré en elle, pour la mener à une crise de larmes inopinées en plein lieu de travail. Malgré toute la douceur que dégage cette femme, je ne peux que me sentir personnellement responsable de son chagrin, la belle brune déclenchant chez moi un aspect altruiste de ma personnalité. Je lui demande si elle a envie d'en parler, ne la forçant toutefois pas à la confession. Il y a un moment pour tout, et si pour elle aujourd'hui c'était simplement le moment pour pleurer un bon coup pour y voir plus clair, je l'accepterai. Il est évident que mon côté curieux souhaite savoir la suite, mais je respecterai la décision de Yasmine d'en parler - ou non. « J’en sais rien… » Ses bras encerclent ses genoux, comme dans une énième tentative de se protéger alors que le mal a clairement été fait. « Je pensais jamais le revoir… Pas ici et il… Il était tellement désolé je… » Je relève les yeux pour chercher son regard, les sens en alerte. Je ne l'interrompt pas et je fait qu'hocher la tête, déjà énervée qu'on ait pu lui faire du mal. Je me dis que ce n'est pas possible, refusant de voir que certaines personnes dans ce monde ne sont pas axées sur les autres, mais bien animés par leurs seules pulsions et leurs seules envies. « Je… J’ai croisé un homme qui j’avais rencontré il a quelques mois… Un homme qui a fait quelque chose de mal et… Il est malade… Il c’est excusé et… » Elle me confirme ce que je redoutais: on lui a fait du mal, et pas un peu pour susciter une telle réaction de sa part. Sa voix coince dans sa gorge alors que je me rapproche d'elle, sans pour autant tenter quelconque contact. « je pouvais pas craquer devant lui. » Elle termine avec cette confession, comme pour justifier ses larmes de tout à l'heure. Je ne sais pas quoi dire, je voudrais lui dire que tout ira bien, mais à voir comment cette histoire a pu l'affecter, ça serait ignorer tout ce qu'elle de me confier pour tenter de lui faire oublier avec des mots, peut-être, vides de sens. « Q.. Quoi ? Qu'est-ce que tu veux dire pas "il t'a fait du mal" ? » Je ne nie pas ce qui a pu se passer, je cherche juste à comprendre en lui demandant des détails qui sont peut-être trop pour Yasmine afin qu'elle me les partage. « Tu... Tu as prévenu quelqu'un ? Tu veux que j'aille le voir ? » Mon côté protecteur prend le dessus, et me voilà prête à foncer alors que je ne sais rien de la situation. « Est-ce que ce qu'il t'a fait peut réellement être effacé avec des excuses ...? » Ma voix est beaucoup plus calme, cette fois. Je repasse ses propos en boucle dans ma tête et je ne peux m'empêcher de penser que certaines actions ne peuvent être pardonnées suite à de simples excuses. Yasmine prend une grande inspiration et je sais que les mots qui sortiront de sa bouche seront d'une importance cruciale à leur façon. Se confier, alléger ses peines à l'aides des mots et chercher du réconfort auprès d'autrui c'est ce qu'il y a de plus important lorsqu'on se sent sombrer dans un quotidien qui devient trop lourd. Et derrière cette porte de la remise de l'hôpital, il y a deux jeunes femmes qui réalisent que l'aide tant recherchée peut être là on s'y attend le moins.