eva & tommy

#burgerteam ~ the one that got away

L’ironie c’était que même en dehors de leurs heures de boulots, ses collègues et lui ne pouvaient pas s’empêcher de terminer leur soirée dans un bar, la seule variante étant qu’il ne s’agissait pas de leur bar, le McTavish. Mais en soit Tommy n’était pas non plus très branché sorties entre collègues, et s’il n’avait accompagné la troupe au Canvas ce soir ce n’était que par pure absence de meilleur plan : Moïra passait la soirée chez ses grands-parents, un deal hebdomadaire que Tommy avait consenti à mettre en place dans le simple but d’avoir sa mère un peu moins souvent sur le dos – et donc d’avoir enfin la paix – et il n’avait aucune envie de passer sa soirée de congés à zoner comme un rat mort dans son appartement. Le constat était un peu triste mais le brun ne possédait plus véritablement d’amis avec qui sortir ou passer la soirée. Il avait bien quelques connaissances, il savait qu’il aurait sans doute pu sans mal envoyer un message à Lene et que même si cela devait être à l’eau pétillante ou au soda elle aurait accepté de venir trinquer avec lui, mais Tommy se savait maussade et la jeune femme et lui n’en étaient clairement pas au stade de s’imposer leur grisaille intérieure mutuelle. Sa grisaille à lui venait de l’absence de Scarlett, ou plutôt du silence radio de Scarlett, dont le brun avait découvert qu’elle avait quitté l’appartement qu’elle occupait jusqu’à récemment, sans lui donner l’adresse de son nouveau point de chute … Sans lui donner de nouvelles, tout simplement, et partagé entre la bête rancune et l’impression que sa sœur avait besoin de tout sauf de lui, Tommy était encore en phase d’acceptation et tentait de se faire tout petit de son côté.

Au bout d'un verre ou deux le groupe s'était néanmoins dispersé, et n’ayant aucune envie de se faire ivrogne du coin et de squatter le comptoir jusqu’à la fin de la soirée Tommy avait finalement enfilé son blouson lui aussi et rejoint l’extérieur. « Et merde. » Pendant qu’il se descendait une ou deux bières le temps avait tourné à la pluie, et de grosses gouttes s’écrasaient sur ses mèches en batailles, le poussant à remonter sa capuche sur sa tête en hélant le taxi dont le néon de toit venait de briller dans sa vision périphérique. « Taxi ! » Dieu merci le véhicule s’était arrêté, et alors qu’il s’apprêtait à s’y engouffrer par la porte de droite une autre silhouette l’avait pris de vitesse et s’était engouffrée par la gauche, le devançant d’une seconde à peine « Vous gênez pas surtout ! J’étais là le premier, trouvez-vous un autre taxi. » La situation aurait pu être risible si Tommy n’avait pas à ce point manqué de patience, tant elle lui rappelait celle vécue avec Camber quelques semaines plus tôt … A cette pensée le brun avait secoué la tête comme pour reléguer cela dans un coin de son crâne. Très loin, tout au fond de son crâne. Reste que Tommy était aujourd’hui beaucoup moins enclin à prendre la situation à la rigolade, et pour cause, son blouson n’était pas imperméable et il n’avait pas l’intention de risquer la pneumonie en cédant à celle qui venait de lui griller la priorité. Et si cela faisait de lui un homme manquant de galanterie … Et bien soit, il préférait être un goujat sec qu’un prince trempé comme une soupe.

Il était relativement tard et je sortais seulement du travail. Moi qui m'étais promis de sortir tôt aujourd'hui, de ne faire que le strict minimum et repartir, j'étais bien loin de ces promesses. Pour couronner le tout, je sortais sous la pluie et il n'y avait que très peu de taxi à cette heure là. Ca faisait déjà un petit moment que j'attendais sur ce trottoir en vain. Milena avait raison, il fallait peut être que je passe mon permis. Du moins, que je commence par les leçons de code, les heures de conduites, les prises de têtes avec un moniteurs qui me donnera des ordres que je ne supporterai pas, un examen avec une inspecteur infecte... c'est sur que vue comme ça, rien ne pouvait me motiver. Si je dis ça, c'est simplement parce que j'avais déjà tenté. Il y a une dizaine d'année, j'étais trop jeune surement mais j'en garde un très mauvais souvenir. J'avais détesté chacun de moment et je n'avais pas retenté l’expérience depuis. Mais, j'étais à présent plus mature, plus sure de moi, peut être qu'il était temps que je me lance enfin. J'avais cette idée dans le coin de ma tête depuis un moment, mais il fallait que je saute le pas. J'ignore quand, mais depuis ma rencontre avec Milena, les semaines passaient et mes promesses, elles, étaient au point mort.

Bref, me voilà toute excitée en voyant s'approcher au loin un taxi avec sa petite lumière verte signifiant qu'il était bel et bien libre. Un signe de la main et me voilà déjà presque sur la route pour sauter dedans une fois à ma hauteur. A ma grande surprise, voilà qu'un homme entre de l'autre côté du véhicule et m'accuse de lui voler son taxi. Manquerait plus que ça. La blague! il débarque de nul part, je ne l'avais pas vu avant qu'on soit côte à côte dans la voiture mais c'est moi qui lui prend son taxi. Ca fait une plombe que j'attends dedans! Y a qu'à voir vos vêtements, ils sont à peine mouillés.
j'ai bien la ferme intention de prendre ce taxi avec ou sans son accord. Je m'installe, ferme la portière et boucle la ceinture. Soit vous fermez cette portière après être sortie soit vous posez vos fesses sur cette banquette, mais, il me déposera en première. hors de question que je paie une course qui n'est pas la mienne. J'étais bien sympathique de lui proposer de partager la banquette arrière.

Tommy ne pouvait qu’à peine la voir, la nuit, la pluie et son chapeau rendant difficile le fait de reconnaître quoi que ce soit, et pourtant dès l’instant où elle avait ouvert la bouche le brun avait su qu’il allait se heurter à un cas on ne peut plus typique de mauvaise foi féminine. Ou de mauvaise foi tout court, en réalité, Tommy n’était pas du genre à faire ce genre de différence sous ses airs d’ours mal léché. « La blague ! » lui avait en tout cas lancé la concernée tandis qu’il faisait valoir le fait d’être arrivé le premier, et donc de s’estimer prioritaire concernant le taxi et son trajet. « Ça fait dix plombes que j’attends dedans ! Y’a qu’à voir vos vêtements, ils sont à peine mouillés. » Oh, et donc puisqu’il n’était pas encore trempé comme une soupe il devrait se sacrifier pour que les pieds de madame ne soient pas trop mouillés ? Et puis quoi encore. « Parfait, donc vous avez un endroit sec où attendre, si je comprends bien ? Moi pas, et je ne vais pas choper une pneumonie simplement pour satisfaire vos caprices. Je prends ce taxi. » Il avait conscience qu’au fil des secondes leur échange ressemblait de plus en plus à une chamaillerie de maternelle, mais pour autant il ne parvenait pas à s’en empêcher ; Il se sentait piqué par son air guindé, à côté duquel le côté un peu abrupt de Camber lui paraissait soudainement presque doux ... Peu importe, pourquoi pensait-il à cela, à nouveau ? « Soit vous fermez cette portière après être sorti soit vous posez vos fesses sur cette banquette, mais, il me déposera en première. » Pas le moins du monde impressionné par cette fausse tentative de se montrer conciliante quand en réalité elle continuait de ne servir que ses propres intérêts, Tommy avait levé les yeux au ciel, la vision toujours à moitié bloquée par sa capuche. « Il fait encore ce qu’il veut dans son propre taxi, mademoiselle. » avait alors vociféré avec agacement le chauffeur de taxi en les observant depuis son rétroviseur. « Trouvez un compromis dans la minute qui suit sinon je vous laisse tous les deux sur le carreau. Croyez-moi à cette heure-ci les clients ne manquent pas. » A mauvaise foi partagée, Tommy avait jeté un regard noir à celle qu’il considérait déjà comme une empêcheuse de tourner en rond professionnelle. « J’habite à l’autre bout de la ville, je suis certain que ma course sera financièrement plus avantageuse que la vôtre. » L’air de rien, le voilà maintenant qui tentait sournoisement de plaider sa cause pour obtenir les faveurs du chauffeur, malgré tout. Agacé, le chauffeur avait lui finit par allumer la lumière du plafonnier et par se retourner vers eux, perdant patience « Vous avez entendu ce que je viens de vous dire ? » Mais plutôt que de répondre, Tommy était lui resté bloqué sur le visage désormais éclairé de la jeune femme. « Bah voyons. » c’était la seule chose qui lui était venue à l’esprit – ça et le fait de rouler des yeux d’un air blasé – lorsqu’il avait reconnu Eva. La fin du lycée remontait peut-être à quinze ans mais en vérité la jeune femme n’avait pas beaucoup changé … Avec tout ce que cela impliquait quant à l’avis de Tommy sur son caractère.

« Parfait, donc vous avez un endroit sec où attendre, si je comprends bien ? Moi pas, et je ne vais pas choper une pneumonie simplement pour satisfaire vos caprices. Je prends ce taxi. » Que j'ai un endroit sec ou attendre ou non n'était pas la question de toutes façons. Je regardais cet homme avec sa capuche et ça avait tendance à m'agacer de ne pas pouvoir voir son visage. Je trouvais ça aussi assez malpoli de sa part de rester à visage couvert, d'autant plus qu'il était à l'abris à présent. Ca me démangeait de lui retirer, juste pour lui apprendre les bonnes manières. Une mèche de cheveux dépassait légèrement, enfin, elle s'écrasait contre sa joue plutôt vu qu'elle était mouillée par quelques gouttes de pluie. De plus, sa barbe semblait tellement mal entretenue. Encore quelqu'un de négligé. Je me demandais même s'il allait avoir les moyens pour payer se taxi. Mais je n'avais pas le temps de me poser plus de question que le chauffeur du véhicule en personne répondit à ma proposition. De quoi il se mêle celui là? Et d'où il s'agit du taxi de monsieur? Je rêve?! on devait se débrouiller à présent pour se mettre d'accord si non, nous allions nous retrouver tous les deux sur le trottoir. Et j'imagine bien qu'il était tout à fait en droit de le faire vue le nombre de personne qu'il pourrait transporter par un temps pareille. Mais il était hors de question que je laisse ce taxi à cet homme malfamé. « J’habite à l’autre bout de la ville, je suis certain que ma course sera financièrement plus avantageuse que la vôtre. » Faudrait il encore avoir les moyens de payer la course... je n'en démords pas. Si l'un d'entre nous doit quitter le navire, ce ne sera pas moi. J'avais proposé un compromis, il n'avait pas accepté, à lui de sortir dans ce cas. Bon, allez, dehors! Je lève les yeux et regarde le chauffeur du taxi, ébahie, il nous foutait vraiment hors du taxi?! Il manquerait plus que ça tien! L'homme en question se retourna, assez brusquement et me regarda d'abord pour ensuite diriger son regard vers mon colocataire de taxi.  Sortez ou la police le ferra! Tous les deux, dehors! Je retire ma ceinture assez furieuse.  C'est honteux! Vous devriez avoir honte, tous les deux! dis-je en les pointant du doigts l'un après l'autre. En regardant cet homme, toujours avec sa capuche, cette fois, je ne pu m'empêcher de lui retirer.  La politesse! Tien, je m'apprêtais ensuite à sortir pour m’éclipser et chopper le premier taxi qui passerait sous les yeux du jeune homme mais je buguais sur place l'espace de quelques secondes, ayant cru le connaitre, mais impossible pour moi de me rappeler qui il était. Juste surement quelqu'un que j'avais déjà croisé quelques part et son visage était resté dans un coin de ma tête. Mais ses yeux là, me semblaient pourtant bien familier. Impossible de savoir d'où, je sortie bel et bien de cette voiture pour aller me planter sur le trottoir, déterminée à prendre ce prochain taxi.

Si Tommy était tout bonnement sidéré par le comportement de la jeune femme et la façon dont elle venait de répondre « Je rêve ?! » au chauffeur de taxi qui pourtant, jusqu’à preuve du contraire, faisait bien ce qu’il voulait de son véhicule. Optant lui plutôt pour la tactique de la négociation, il avait senti son poil se hérisser à la nouvelle réflexion acide de son opposante « Faudrait-il encore avoir les moyens de payer la course … » et vociféré sans plus faire preuve d’aucune patience à son égard « Vous êtes en train de me traiter d’escroc ? Vous ne manquez vraiment pas de culot. » Le brun se sentait d’autant plus piqué au vif que l’argent était effectivement un sujet sensible chez lui, et souvent sujet à désaccord. Excédé, et n’ayant de toute évidence plus de patience à revendre, le chauffeur de taxi s’était alors exclamé d’un seul coup « Bon, allez, dehors ! » qui ne semblait pas avoir persuadé la passagère de la mettre en veilleuse. Au contraire celle-ci semblait maintenant ulcérée et s’était mise à protester « Il manquerait plus que ça tiens ! » Faisant volte-face le chauffeur lui avait lancé un regard noir et avait haussé le ton d’encore un cran supplémentaire « Sortez ou la police le fera ! Tous les deux, dehors ! » Ne parvenant pas à retenir son petit air satisfait lorsque la jeune femme avait rageusement détaché sa ceinture, il en avait presque oublié que lui aussi venait de se faire mettre dehors par le chauffeur de taxi et n’était donc pas prêt de rentrer chez lui. « C’est honteux ! Vous devriez avoir honte, tous les deux ! » Sidéré maintenant qu’un meilleur angle lui avait permis de reconnaître l’identité de la donneuse de leçon, et non moins agacé que lorsqu’elle n’était encore qu’une inconnue, il avait laissé échapper une exclamation de protestation lorsqu’elle lui avait arraché sa capuche en justifiant « La politesse ! » avant de le regarder à son tour avec insistance. Quelques secondes, trop sans doute aux yeux du chauffeur qui venait de dégainer son téléphone portable « J’appelle la police, je vous aurai prévenus ! » Quittant Eva des yeux, Tommy avait posé un regard excédé sur le chauffeur « Ça va ! On sort, voilà. » Autant dire que dans sa situation le brun ne tenait pas vraiment à avoir affaire à la police, plus loin il s’en tenait et mieux il s’en portait. L’un et l’autre avaient retrouvé la pluie, et la seconde suivante le taxi avait démarré en trombe … en les éclaboussant tous les deux au passage. « Putain ! » Qu’elle vienne encore une seule fois lui dire qu’il n’était pas trempé, maintenant. Sentant la pluie couler sur ses tempes et dans sa nuque, il avait remonté sa casquette sur sa tête, au diable la politesse, mais croisant à nouveau le regard d’Eva il n’avait pu s’empêcher de vociférer avec agacement « T’as vraiment pas changé, hein ! Toujours persuadée que le monde tourne autour de ton précieux nombril. » Oui, il n’avait pas pu s’en empêcher, mais qu’avait-elle aussi à le fier de cette façon et à ensuite agir comme si elle ne le connaissait pas. Quoi que, prétendre ne pas se fréquenter et prétendre ne pas se connaître, au fond ce n’était pas bien différent … Au moins ils gardaient une certaine constance.

« Vous êtes en train de me traiter d’escroc ? Vous ne manquez vraiment pas de culot. » Il valait mieux ne rien répondre, l'ignorance restait la meilleure des réponses. Escroc, le mot ne venait pas de moi mais bien de lui. Et qui ne dit rien, consent. C'était valable pour moi. Mais visiblement, le taxi semblait le pas vouloir attendre que nous nous mettions d'accord. Du moins, il se montrait impatient, c'est tout de même bête de sa part, il aurait pu, avec quelques minutes de plus, faire d'une pierre deux coups. Puis, j'aurai bien fini par faire craquer ce clandestin et il serait sortie la queue entre les jambes. J'avais sans doute trop l'habitude d'obtenir ce que je voulais. La menace du taxi elle, fini par être mise à exécution. Le voilà qui dégaine son téléphone pour appeler la police. J'étais déjà bien furieuse qu'il ose même y penser mais là, c'était de trop. Je sort de ce véhicule en claquant la porte bien fort. J'espère que celui qui m'avait pris ce taxi en ferait autant, pas question qu'il reste à l’intérieur et qu'au final, il ait sa course. J'étais déjà prête à relever la plaque d'immatriculation pour lui faire la misère, mais peu de temps après moi, il fini par être à son tour dehors. Démarrage en trompe, digne d'un parfait démarrage à Mario Kart - celui que personne n'arrive à faire - et nous voilà aussi trempé l'un que l'autre, éclaboussé par l'amas de pluie qu'il y avait dans le caniveau. J'ignore totalement cet homme et scrute au loin attendant le premier taxi. Le prochain, celui ci, il sera à moi! « T’as vraiment pas changé, hein ! Toujours persuadée que le monde tourne autour de ton précieux nombril. » Je le regarde, surprise d'une part qu'il me tutoie et d'autre pas car il semble me connaitre. Pardon? Je me tourne vers lui et fronce les sourcils. Qu'est ce qu'il me veut? Je m'approche et lui retire à nouveau sa capuche, je scrute son visage, il me semblait déjà familier plus tôt, ce n'était peut être pas pour rien. On se connait ?! si ca se trouve c'était une vieille connaissance que j'avais oublié depuis bien longtemps, comme j'oubliais facilement tous ceux qui pour moi étaient insignifiants.

Le brun trouvait cette femme d’un culot et d’un manque d’amabilité assez hallucinants, et il mentirait en disant qu’après l’avoir reconnue il avait subitement changé d’avis. Non, c’était exactement ainsi qu’il se rappelait d’Eva, comme d’une personne rigide et toujours prompte à vous rappeler qu’elle valait mieux que vous, et qu’elle aurait tort de faire preuve de modestie à ce sujet. Est-ce qu’à l’époque Tommy n’avait pas trouvé à cela un côté mordant qui lui paraisse un peu séduisant ? Bien sûr que si, il s’était plu à décoincer cette fille un peu guindée et coincée dans les attentes de papa et maman, de la même façon sans doute qu’elle s’était plu à se faire une petite frayeur en fréquentant un fauteur de trouble comme lui … L’effet « bad boy » n’était pas qu’une légende, parait-il. Mais les années passant Tommy était devenu un adulte à part entière, parfois encore irresponsable mais clairement plus dans la même optique que l’adolescent insolent qu’il avait été … Et à cet instant Eva ne lui semblait pas tant séduisante que profondément agaçante. « Pardon ? » Interloquée, elle le regardait à présent comme s’il venait de lui balancer dieu sait quelle insulte au visage … Et certes, lui faire remarquer son nombrilisme n’était probablement pas ce que l’on appelait un compliment. « On se connait ?! » C’était plus fort que lui, et un éclat de rire moqueur lui avait échappé tandis qu’il réalisait qu’Eva ne le reconnaissait tout simplement pas. Et si son ego s’en sentait forcément un peu froissé il n’était pas sans savoir qu’elle n’était pas la première de ses anciennes connaissances à peine à le reconnaître tant il ne ressemblait plus à celui qu’il était avant de quitter l’Australie pour plusieurs années. Les cheveux plus longs, la barbe fournie, et le regard plus dur de celui qui n’avait plus le temps de croire que la vie était un jeu sans fin, tout cela modifiait son allure plus qu’il n’en avait dans un premier temps eu conscience. « T’inquiète, pour moi non plus c’est pas un souvenir mémorable. » Ou peut-être un peu plus qu’il voudrait bien l’admettre malgré tout, il ne pouvait pas faire croire que leurs plusieurs mois de relation ne s’étaient basés que sur leur stupidité commune … Non, il y avait eu quelques rares moments d’accalmie. De sentiments guidés par leurs hormones respectives, de trêves charnelles et même parfois tendres entre deux disputes durant lesquelles chacun tentait de crier plus fort que l’autre. « J’sais pas d’où tu sortais, mais j’te conseille d’aller attendre ton taxi plus loin, genre sur le trottoir d’en face. » Hors de question que ce soit lui qui bouge, après tout ils se trouvaient devant le Canvas et lui en sortait à peine … Il estimait donc que ce bout de trottoir était SON bout de trottoir.

« T’inquiète, pour moi non plus c’est pas un souvenir mémorable. » Okay, clairement, on se connaissait. Je m'approche de lui, contrairement à ce qu'il me demande. Pas moyen que je change de trottoir, c'était dans cette direction que je devais aller. Une fois de plus, si quelqu'un devait avoir à bouger, ce n'était pas moi. Je venais de laisser passer un taxi et je me dis que je pourrais presque être arrivée si il n'était pas rentré en même temps que moi dans le véhicule. Une fois à son niveau, je pouvais mieux observer les traits de son visage. Il allait sans doute me prendre pour une folle mais je détestais ne pas savoir quelques chose que quelqu'un semblait mieux maîtriser que moi. Et là, il s'agissait de nous, d'un passé que l'on semblerait avoir en commun. Il m'agaçait toujours autant à se cacher sous sa capuche. Tout comme il y a quelques minutes dans l’habitacle, je lui retire. Même si nous étions tous les deux sous la pluie. Mais j'avais ce besoin d'en savoir plus. Je tente de faire abstraction de ces traits dur qu'il portait sur son visage et me plongea à nouveau dans son regard, me rappelant qu'il m'avait interpellé il y a quelques instants. Soudainement, je m'emporte dans un rire mesquin. Il se fou vraiment de moi? Je fais un pas en arrière et passe mes mains devant mon visage de plus en plus trempé par la pluie. Warren... Mon sourire reste figé, il manquait plus que ça. Warren m'avait mis hors de mon taxi. Un mauvais souvenir alors? Je secoue la tête, c'est l'hôpital qui se fou de la charité?! Je me demandais qui de nous deux pouvait se pavaner et dire qu'il n'avait pas de souvenirs mémorables. Quelle insulte venant de sa part. Je me plante bien droite sur ce trottoir, bien décidée à ne pas en démordre. Vas te faire voir. et je reste polie.

Faisant décidément preuve de toute l’impolitesse dont elle pouvait être pourvue – une ironie, quand on savait à quel point elle pouvait parfois faire passer la bienséance avant le bon sens – la jeune femme venait de lui arracher à nouveau à moitié sa capuche pour le scruter avec méfiance. C’est qu’il avait changé, Tommy, lui-même en avait parfaitement conscience et ne tendait pas à l’oublier tant sa mère lui rappelait régulièrement qu’il pourrait couper ses cheveux et se débarrasser de cette barbe pour se rendre à nouveau « présentable ». Présentable pour ses connaissances de la paroisse et pour les voisins curieux, sans doute. Plissant ses yeux sournois Eva semblait en tout cas avoir – enfin – eu l’illumination « Warren … » En chair et en os, et tandis qu’elle faisait un pas en arrière avec contrariété, lui s’était targué d’un sourire résolument moqueur. « Un mauvais souvenir alors ? Va te faire voir. » Piquée au vif, elle semblait presque en avoir oublié la pluie qui ruisselait toujours sur leurs visages respectifs et les faisait luire un peu à la lueur du bar tout proche. D’humeur soudainement provocatrice le brun s’était entendu demander « Oh je ne sais pas, tout dépend de quoi on parle précisément. De ton sale caractère, du sexe, ou bien plutôt de la bouteille de bière vide que tu m'as jeté à la figure la dernière qu’on s'est vus ? » Probablement après qu’il lui ait balancé une insulte bien sentie, mais ça la mémoire sélective de Tommy ne s'en souvenait bizarrement plus en revanche. « Mais tu sais quoi, ça ne m’étonne même pas, quand on a été pourrie gâtée toute sa vie on n'a aucun scrupule à foutre quelqu’un en dehors d’un taxi ! » Oh ça, il l’imaginait bien en circonstances similaires, se prélasser à l’arrière de la voiture en ricanant en repensant au pauvre bougre détrempé qu'elle aurait laissé sur le carreau, parce que le brunch chez papa-maman ou le cocktail chez un collège de travail aussi guinde qu'elle était autrement plus important que ce qu’avait à faire celui dont elle avait volé la place. « J’t’aurai bien payé un verre en souvenir du bon vieux temps (menteur) mais puisque je suis un escroc qui n’a pas de quoi payer son taxi, tu m’excuseras. » Ou pas. Reste que sans attendre son avis il avait agité le bras pour faire signe au taxi qui passait à leur portée, mais ne s’arrêtant même pas celui-ci devait déjà transporter un client. Le chanceux.

« Oh je ne sais pas, tout dépend de quoi on parle précisément. De ton sale caractère, du sexe, ou bien plutôt de la bouteille de bière vide que tu m'as jeté à la figure la dernière qu’on s'est vus ? » enfoiré. J'étais étonnée de voir comme l'homme est rancunier à chaque fois qu'une histoire sentimentale, si on peut appeler ça comme ça, ne fonctionnait pas. Pourtant, le temps commençait à remonter depuis notre séparation. Si on peut dire, nous étions encore presque des adolescents et il me parle de sexe. Peut être culpabilise-t-il de ne pas être le meilleur coup qu'une femme puisse avoir à cette période. Comme si je lui en tenais rigueur alors que je me doute, ou plutôt, j'espère, qu'avec l'experience, tout se passe mieux de ce coté là. Pour moi, c'était bien le cas. Mais s'il avait besoin de soulever ce point, peut être avait il encore quelques soucis pour satisfaire ses partenaires. En ce qui concerne cette bouteille de bière... elle était partie toute seule. J'avais parfois des excès de colère, incapacité à contrôler mes gestes quand on me poussait vraiment à bout. Parfois, je lançais des éponges, des serviettes, des boulettes de papier mais cette fois, c'était plus dur et plus dangereux que ça. Mais c'est pas pour autant que la scène a viré au cauchemar. Qu'il ne s'en plaigne pas trop. Peut être qu'il est encore temps pour toi de porter plainte. Il y a pas encore totalement prescription. Tant de rancœur, autant te soulager en bonne et du forme, non? Il semblerait que gagner une procès ne pourrait pas lui faire de mal, un bon chèque pour dommage et intérêt lui permettrait de se refaire un petit ravalement de façade. Un passage chez un bon barbier et un coiffeur, une nouvelle garde robe, peut être serait il un peu plus présentable. « Mais tu sais quoi, ça ne m’étonne même pas, quand on a été pourrie gâtée toute sa vie on n'a aucun scrupule à foutre quelqu’un en dehors d’un taxi ! » J'hausse les épaules, peu affectée par ce qu'il me dit. Je sais bien ce qu'il pense de moi. Il a finalement pas changé de discours depuis ces longues années. T'es en boucle! T'es resté bloqué dans les années 2000? En tout cas, j'en avais bien l'impression. « J’t’aurai bien payé un verre en souvenir du bon vieux temps mais puisque je suis un escroc qui n’a pas de quoi payer son taxi, tu m’excuseras. » J'y comptais pas,
dis je en haussant les épaules. Je scrute la route devant nous et attend impatiemment ce foutu taxi qui n'arrive toujours pas. C'était pourtant une heure assez stratégique pour eux et d'habitude, ils ne se faisaient pas tant désirer. Manquait plus que ça... La pluie ne s'arrêtait pas de tomber elle non plus. Je reste silencieuse, un poil agacée par toutes ces remarques qu'il m'avait fait, en prenant du recule, c'était bien un connard. Tout ça pour un taxi. Et tu serai bien étonné de voir ce que je suis capable de faire! j'avais besoin de préciser ce détail. Je pouvais pas le laisser dire que j'étais un mauvais coup, j'étais persuadée du contraire!

Le constat était sans doute un peu triste, un brin pathétique même, mais c’était les gens tels qu’Eva, Marius, ou les gens bien-pensants dont venaient leurs deux familles qui avaient forgé l’opinion que Tommy avait de lui-même. Une mauvaise opinion, cela va sans dire. Celle d’un incapable, d’un loser, d’un type dont on ne prendrait jamais les réussites au sérieux mais se ferait un plaisir de pointer du doigt les échecs en faisant remarquer que cela n’avait rien d’étonnant. Sans le voir et sans le savoir ils faisaient ressortir le mauvais chez Tommy, le rappelant sans cesse à ce qu’il faisait tout son possible pour ne plus être, sans jamais véritablement y parvenir. Il avait longtemps essayé, avec Alice il avait presque réussi, mais en fin de compte il s’agissait de sa victoire à elle plus que de sa victoire à lui, et maintenant qu’elle n’était plus là ses vieux travers avaient repris Tommy et recommençaient à l’amoindrir. Ce qu’il n’avait pas perdu en revanche, c’était sa capacité à faire sortir Eva de ses gonds puisqu’il lui avait suffi d’une seule provocation lancée d’un ton moqueur et vindicatif pour qu’elle monte au créneau « Peut-être qu’il est encore temps pour toi de porter plainte. Il n’y a pas encore totalement prescription. Tant de rancœur, autant te soulager en bonne et due forme, non ? » Le brun avait roulé des yeux sans chercher à s’en cacher, la pluie emmêlant ses cheveux et en faisant tomber quelques mèches devant ses yeux sans qu’il ne prenne la peine de les retirer. « T’es en boucle ! T’es resté dans les années deux mille ? » Et c’était elle qui avait le culot de lui dire ça, alors qu’elle avait toujours ce même comportement exécrable d’adolescente égoïste et imbue d’elle-même. « J’suis pas le seul, de toute évidence. » s’était-il alors contenté de répondre d’un ton acerbe, avant de conclure sur son absolue absence d’envie de lui offrir le moindre verre en souvenir du bon vieux temps, chose qu’il aurait probablement proposé par réflexe à n’importe quelle autre rencontre datant de cette lointaine époque qu’était le lycée. Mais n’importe quelle autre personne n’aurait probablement pas cherché à le foutre hors de son taxi avec autant de véhémence et de culot qu’elle. « Et tu serais bien étonné de voir ce que je suis capable de faire ! » Incrédule, Tommy avait quitté un instant la route des yeux pour les poser à nouveau sur Eva. Il peinait à comprendre à quoi elle faisait référence, en réalité, le gros du cheminement de pensée semblant s’être fait dans la tête de la jeune femme. « C’est une menace ? » avait-il alors demandé d’un ton presque moqueur « Si tu penses que vous me faites peur toi et ton ego. » Un taxi venait de passer à leur portée, sans s’arrêter à nouveau, suivi quelques secondes plus tard par une voiture lambda, qui elle pourtant s’était arrêtée et avait attiré leur attention en donnant un coup de klaxon. Plissant les yeux le brun avait réalisé qu’il s’agissait de la voiture de l’un de ses collègues, quitté un peu plus tôt à la sortie du bar « Tu m’excuses, mon taxi est là. » Sourire narquois en prime, Tommy avait ouvert la portière côté passager, jetant un dernier regard en arrière lorsque le conducteur avait questionné « Ton amie a besoin d’être ramenée elle aussi ? » Oh, probablement. Mais ça, ce n’était plus le problème de Tommy, pas vrai. « C’est pas mon amie, je la connais pas. » Qu’elle ne se plaigne pas, elle était certaine d’avoir le prochain taxi maintenant, elle n’avait plus de concurrence. Quant au brun il se réjouissait parfaitement du simple fait de s’être mis au sec avant elle. Le bon vieux temps, foutaises.

fin du sujet.