Les gens passaient, défilaient sous ses yeux et Alex ne savait que faire pour échapper à ce sentiment d'agoraphobie. Il était du genre à toujours savoir où se fourrer, avec qui sortir, avec qui voguer... Et pourtant, là, il se retrouvait seul dans son cafard. La seule solution était d'aller se mettre au bar, s'y asseoir tranquillement et essayer d'éviter les regards de tous ces gens qui dansaient derrière lui. C'était la "Samedi Fever",
un concept à moitié anglais à moitié français. L'idée était de combiner les soirées anglaises avec l'initiative féminine. C'étaient les femmes qui draguaient ce soir, c'étaient elles qui venaient vous parler. Alex était entré dans le bar sans y faire attention, tout ce qu'il voulait, c'était se changer les idées.

Accoudé au bar, la serveuse lui tendit une bouteille de bière bien fraîche. Il avait spécifiquement demandé à ce qu'elle ne la lui serve pas en bouteille. Et maintenant il regardait le verre teinté avec curiosité.
Comment l'alcool pourrait résoudre tous ses problèmes? Il n'en savait rien. Peut-être que cela les endormirait un tant soit peu. Alors qu'il finissait la bouteille après une troisième longue gorgée, une jeune femme s'approcha de lui et lui tendit la main. Alex, d'habitude assez sociable, regarda cette main sans broncher. "Je m'appelle Iris." Il clignait des yeux sans bouger. La jeune femme ne semblait pas se dégonfler pour autant. Elle s'assit entre lui et un autre homme qui avait fait son apparition quelques minutes plus tôt.
Après quelques secondes néanmoins, alors qu'elle fixait Alex d'un air plein de sous-entendus, il maugréa "Je ne suis pas intéressé." Perplexe, elle haussa les épaules et partit sans demander son reste. Le jeune homme à côté semblait s'amuser de la situation et Alex était légèrement agacé. Mais il s'abstint de tout commentaire, il n'avait pas envie de compagnie féminine ce soir, c'était tout.

« Je suis pas intéressé. » les mots résonnent dans ma tête et j’hausse le sourcil, curieux. Le mec il était là depuis un bon nombre de minutes à rien faire, rien dire, à peine le dégoût au bord des lèvres pour cette bière qu’il venait de gober en trois lampées top chrono. Si j’avais passé une journée de merde à avoir l’impression de marcher sur du verre tranché à cause de Lene et de son caractère disons-le discutable depuis mon retour, le voisin à ma droite semblait en avoir gros sur les épaules lui aussi. Il maugrée, il grogne, il grommelle et la blonde bat des cils, étonnée, attrapant mon regard incrédule avant de rebrousser chemin. Apparemment, elle était pas du genre sangsue, déjà un bon point pour elle aux vues de l’accusé de réception que lui avait filé l’autre mec en mode sauvage. Y’a pourtant un truc qui cloche, qui sonne faux, et on me remplit mon verre de liquide ambré, whisky sec, alors que je me demande sans vraiment me mêler de mes affaires ce que ce dude fait ici si, justement, il est pas intéressé. Tu sors pas dans un bar si t’as pas envie de conclure. Tu t’assoies pas seul si t’as pas l’intention de partager ton siège et tes mains baladeuses en cours de route. Tu gerbes pas des paroles acides à la première princesse qui déambule devant toi si t’as clairement affiché tes couleurs en t’installant là, sous ses yeux. Je soupire donc, amusé, déçu pour le pauvre du coup. C’était pas dit que j’allais le laisser filer dans sa déprime sans au moins avoir confirmé mes propres allégations. Il y avait quelque chose qu’il n’avait pas compris, et en grande âme que j’étais, je mettrais mon bon sens de merde et mes réflexions à la con en plein dans sa tronche sans demander son autorisation. « Elle voulait peut-être juste être polie. » que je tente, ne doutant pas une seule seconde des intentions charnelles précédentes de la belle, mais toujours un peu plus de mon voisin. « C’est moi ou si t’avais besoin d’être tranquille t’aurais pu choisir un meilleur endroit? »  

Si Alex avait croisé le chemin du jeune homme à sa droite trois jours plus tôt, ce commentaire aurait suffit à déclencher une bagarre. Mais étant donné que ce soir-là il n'était pas d'humeur à donner des coups, il préféra analyser son compagnon et retenir ses propos acerbes. D'habitude, le militaire n'aimait pas qu'on se mêle de ses affaires. Après tout, il savait très bien que la meilleure manière de perdre une guerre, c'était de donner trop d'informations à l'ennemi. Mais il savait aussi que cet inconnu n'avait rien de l'ennemi qu'il combattait usuellement ni de celui qui germait dans son coeur actuellement. Un regard sans appel se posa sur Matt qu'il ne connaissait pas, l'air de lui demander s'il pensait sérieusement que la fille voulait juste faire connaissance parce qu'elle avait vu qu'il s'ennuyait. "Paraît que boire dans la rue c'est un truc de clochards et boire chez moi, c'est encore pire que tout." Ca ne répondait que partiellement à la question mais il n'avait pas envie de commencer à se justifier.  "Mais tu pourras draguer deux fois plus, je te cède mes dames. A moins que tu ne sois pas là pour ça?" dit-il en pointant avec sa bière le siège vide à côté de son nouvel ami. C'était drôle de voir les gens qui pouvaient se bousculer dans un bar. Toutes sortes d'être humains à la recherche de diverses sensations et à la recherche d'un bonheur différent. Certains voulaient l'alcool, d'autres s'en servaient pour atteindre la désinhibition et il y en avait même qui venaient déjà dévergondés pour se jeter au cou d'inconnus. Une fille s'approchait d'eux et au moment où elle allait parler, Alex sourit avec regrets et lui chantonna "Je suis pas là pour draguer, j'ai déjà ce qu'il me faut à la maison." dit-il avec une moue sans pareil et il secoua sa main gauche pour montrer cette alliance brillante à son doigt.

Ah tiens, je le reconnais le pire, le mieux. Il était du week-end dernier, il était là pour la baston, il était là pour le sang et pour ce que ça signifie, et ça me revient donc, sous sa carapace de métal, de poils de vikings et de grognements. Alex, c’est ça? J’hoche de la tête, pensif, le laisse prendre ses marques, grommeler un truc par habitude, boire un gorgée de whisky pour la peine. « Encore heureux que mon verre soit toujours plutôt plein. » que je laisse siffler entre mes lèvres, amusé par son historique de la bouteille en lieux publics. À savoir, j’avais déjà fait le con la bière entre les doigts sur le trottoir, le portefeuille de papa se chargeant de payer mes incartades le petit matin venu. Je fais signe au barman de lui rapporter une nouvelle bière en remplacement du cadavre qu'il tient entre ses paumes, ce n’est pas une dose supplémentaire de houblon qui risque de le faire tanguer plus que maintenant. Et puis au final, si je me sentais sociable, il lui en faudrait sûrement plus pour me rendre la pareille. Ma réflexion fait mouche sous sa deuxième remarque, un vrai bro’ en excellence qui pense au partage d'abord, auquel je réponds d’un rire étouffé, tout sauf intéressé. « La coloc me le fera savoir si j’en ramène à la maison. »  haussement d’épaule, et questionnement qui fait écho. Et si j’avais pas envie justement, d’en ramener? Lancer Lene dans l’arène comme la gardienne de ma chambre à coucher me paraît plutôt médiocre sachant qu’elle s’en contreficherait de toute façon, et je me reprends, le torse qui se bombe. « La vérité, c’est que j’essaie de mieux faire les choses. La débauche, c’était avant, là, je me responsabilise. » le barman qui me connaît de nombreuses soirées plus arrosées que ce dont je me souviens hausse le sourcil, perplexe, tout sauf convaincu et je rigole, pris au dépourvu. « Je l’ai dit, j’essaie. »  et je les pèse mes mots, tous autant qu’ils sont. Son silence se brise par la remarque qui lance l’alarme, et en bon presque-pote-pas-encore-pote-mais-on-y-travaille je décale mon siège vers le sien. Mes intentions sont bonnes je jure, mon âme est pure aussi. La plupart du temps. « Alors pourquoi t’es pas à la maison, justement? » aucun reproche ici, nah, pas la peine. Juste de la franchise, et un regard complice. Mon gars, si tu savais comme je suis passé maître dans l’art de me barrer de chez moi depuis belle lurette.  

L'alcool faisait probablement des siennes car Alex n'avait pas reconnu son ami du GN. Il se contentait de lui répondre comme il l'aurait fait avec n'importe qui. S'il avait su qu'il était avec quelqu'un de connu, peut-être aurait-il été un rien plus décontracté. Mais aussi, il aurait évité de parler de sa vie privée. Regardant Matt' avec intérêt, il se demandait quel rapport ce dernier entretenait avec sa coloc'. Soudain, il se rappela de la jeune fille qui s'appelait Ginerva au GN et sut pourquoi Matt lui était si familier.  "Ta coloc' c'est la petite brune qui était avec toi l'autre jour? Ginny, c'est ça?" Il avait bien remarqué qu'il y avait un lien particulier entre les deux mais il n'aurait pas parié sur une relation de type affectif. Quand son compagnon lui dit qu'il essaie d'être plus raisonnable, Alex sourit. Le gars à ses côtés est encore jeune, il doit avoir maximum trente ans se dit-il. C'est dans la nature de l'homme de vagabonder un peu. Mais il sait aussi que vient un moment où le coeur demande autre chose que des fleurs différentes chaque soir. Parfois on veut un miel qui dure plus longtemps, un miel pour la vie. "Te fais pas trop d'idées Matt..." ah voilà qu'il s'est souvenu de son prénom aussi. "...les femmes savent pas toutes ce qu'elles veulent non plus." Et comme s'il avait compris de quoi il s'agissait, le brun lui demande pourquoi il n'est pas chez lui plutôt que de traîner comme un vieux célibataire dans un bar. Alex fait tourner son alliance autour de son doigt avant de la retirer avec précaution "Parce que vois-tu, ma dame ne veut plus de moi pour le moment. Ou c'est moi qui veux plus d'elle... je sais plus trop. C'est assez compliqué ces derniers temps." Il prend la bière que lui a offerte son nouvel ami et porte le goulot à ses lèvres."Pourquoi tu veux être plus sage toi? Y a une fille derrière tout ça?"

Je me mêlais absolument pas de ce qui me regardait et je ne m’en gênais même pas. C’était mon moto, ma philosophie, ma vie de me foutre le nez là où on l’avait pas demandé, et de le faire avec le sourire à deux balles et les bonnes intentions qui viennent en paire. Je pouvais pas rester installé au bar avec un visage connu et le laisser se submerger dans une situation que j’avais répétée en long et en large, dans tous les sens et encore un peu plus fort. Il valait mieux que ça, il valait mieux que la loque humaine qu’il deviendrait à fusionner avec le siège du bar. Mes bonnes valeurs inculquées par les parents - celles-là même qui m’avaient empêché de devenir un raté en puissance, juste un raté qui tente chaque jour de se racheter, feraient le reste. Je me redresse, tend l’oreille, joue au psychologue même, et contemple le deuxième round de boissons qui se dépose devant monsieur. Ça ira mec, on va passer à travers. « Nah, elle c’est ma soeur. Et si elle se mêlait de mes histoires de nanas, on en serait pas sortis… » je laisse échapper un rire, mi figue mi raisin. Il y avait déjà ce moi qui avait bousillé tout ce qui pouvait se tramer dans sa vie amoureuse d’aussi loin que je me souvienne, si elle avait eu l’esprit vengeur, probablement que je ravalerais ce qui me resterait de contenance dans les prochaines secondes. Passons. Élan de responsabilités, et je m’avance sur mes nouvelles couleurs, sur mon nouvel envol presque, qui a pour but de rendre ma vie un peu moins pitoyable. Il rigole, il boit, il déconne et je sourie. Ouaip, personne ne savait vraiment ce qu’il voulait dans ce monde. C’était aussi amusant qu'emmerdant, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Le sourcil qui se hausse, je constate qu’en une seule petite phrase le portrait qu’il a dépeint est pas mal comme justification pour se planquer seul dans un bar. Je consens. « Mec, quand c’est compliqué… » j’inspire, ayant toujours été le genre de mec qui se barrait du moment où la simplicité foutait le camp. « … quand c’est compliqué, faut que tu trouves le problème vite et que tu le démontes. Sinon, la suite ira pas en s’améliorant. » je me sens particulièrement philosophe alors que le whisky disparaît d’une lampée de mon verre et j’hausse les épaules, défait. « Crois-moi, j’ai vu, vécu, compris, et appliqué. » clin d’oeil pour la peine. Sa mention d’une potentielle fille ayant été à la source de ma récente prise en main me fait sourire. Ginny y est pour beaucoup, il faut dire, mais il y a autre chose. « Pas une, plusieurs en fait. » je rigole doucement. « J’ai fait pas mal de conneries par le passé, j’en ai blessé plusieurs tu vois. » et la culpabilité de ces relations qui débutent en étincelles pour se terminer en flammèches me revient. « Je me suis dit qu’il était temps que j’arrête de jouer à ce jeu-là. Que ça en valait plus la peine. » draguer jusqu’à plus d’heure, oublier le nom de la conquête, boire et démolir ce qui reste, à force, ça brûlait plus qu’autre chose. « À un moment, t’as plus envie d’entendre le tintamarre d’un bar perdu au fond d’une ruelle qui résonne dans ta tête, embuée de la veille. Ça goûte plus pareil, ça feel plus pareil. C’est moins alléchant, moins important. Ça lasse. »

Alex s’était retrouvé avec Matt sans l’avoir prémédité. Et alors qu’il venait oublier ses tracas, leur conversation l’empêchait d’ainsi faire. Le garçon était probablement rempli de bonnes intentions mais l’alcool suffisait à Alex Samuels, ce militaire qui voulait refouler tout ce qu’il ressentait. Pourtant il écoutait Matt avec attention. « Ah, au temps pour moi… Je me disais bien qu’il y avait un air de ressemblance ! » La petite brune était sa sœur. Alex avait presque envie d’en rire. S’il repensait à sa propre sœur, celle qui n’était nullement de sa chair et de son sang, il savait que personne n’aurait deviné leur lien de parenté. Tout simplement parce qu’elle se plaisait tellement à jouer avec les pieds d’Alex qu’on aurait pu penser qu’elle était sa maîtresse. L’idée lui donne la nausée et il se replonge dans la conversation ahurissante qu’il a avec son partenaire de GN. « Ouais, je sais… » Malheureusement, quand c’est compliqué, il ne suffit pas de vouloir détricoter les choses pour que ça aille mieux. « Le souci c’est que lorsque tu réalises que c’est compliqué, ça semble devenir encore plus dur à gérer… Comme si tu venais de sauter dans un gouffre d’où personne ne pourra te sortir. » Mais apparemment le Matt savait aussi de quoi il s’agissait. A l’entendre il avait une expérience assez importante en ce qui concernait la gente féminine. Alex sourit en se rappelant du temps où lui aussi vagabondait sans trop se soucier des cœurs qu’il brisait. Pourtant, il n’était pas vraiment un coureur de jupons, juste un gars qui profitait de la vie. « Et pourquoi t’as arrêté ? » Il ne lui faut pas plus de vingt secondes pour obtenir une réponse, franche qui plus est. « Ah bon ? » Serait-ce aussi simple que ça ? Alex en doutait. Il écouta l’explication de son camarade mais il s’apprêtait à l’interroger plus en avant. « C’est tout ? Y a pas eu une histoire derrière qui a vraiment motivé cela ? » Alex le sondait comme s’il était soudain devenu psy et qu’il pouvait deviner ce qui se trouvait dans la tête de Matt. « Parce que moi tu vois, c’est mon épouse qui m’a donné envie de devenir sage. Elle n’a rien exigé, j’ai juste perdu l’envie de papillonner quand je l’ai rencontrée. » Il prit une gorgée dans sa bière avant de dire amèrement « Enfin, ça c’était avant… Maintenant, j’ai plus envie de rien du tout. » Il regarda sa montre avec dépit. « Faudrait que j’y aille d’ailleurs. » Mais il ne bougeait pas. Le temps passait trop vite et trop lentement à la fois.

Je comptais plus le nombre de fois où j’avais écouté les problèmes d’un pote, en vrai. C’était à croire que j’avais une oreille pour ça, ou que mes conseils à deux balles avaient parfois leur poids. Je dis bien parfois. J’étais pas le mec le plus brillant que la Terre ait porté, mais j’avais toujours à coeur que tout le monde soit bien, qu’on ait droit au moins de drama possible, que tout se passe all and good. C’était probablement pour ça que je prenais cette conversation plus au sérieux que je ne le devrais, passée l’heure, passés les 3 verres de whisky que je venais de m’enfiler.  « C’est exactement ça. Tu t’enlises mec, tu t’enlises et tu vois pas d’issues. » je fais écho à ses propos, soupirant pour la peine. Je la connaissais pas autre qu’à travers les mots d’Alex, j’en savais pas plus sur leur relation, mais j'avais envie en bon bro’ que je pouvais être de lui dire de filer, de prendre ses jambes à son cou, d’arrêter de tout donner pour une situation qui ne ferait que tout lui prendre sans rien en échange. Mais voilà, ce jeu-là, ça se joue à deux. Et si j’ai tenté de lui prêter bonne écoute, c’était sans compter qu’il voudrait me rendre la pareille, et creuser un peu trop dans mes propres affaires. Affaires que je venais de lui déballer sans grande cérémonie. Je ravale, conscient  de ma propre bêtise, et du passé qui s’y relie. « J’ai arrêté pour moi… j’crois. » je suis même pas sûr de me croire moi-même, pourtant c’est la stricte vérité. Du moins, je l'espère. « C’est comme quand t’arrêtes la clope. Si tu le fais pour les beaux yeux d’une nana, dès qu’elle a le dos tourné tu dégommes un paquet au complet. » le rire qui accompagne mes mots est léger, senti. Je pouvais pas dire que certaines femmes de ma vie n’avaient pas joué une immense rôle dans mon envie de me prendre en main - more on that later - mais autrement, j’étais fier de dire que j’avais quand même pris la décision tout seul de revenir à Brisbane et de faire les choses bien avec ce foutu coffee shop qui finirait par être retapé un jour. Et puis voilà, l’épouse qui revient sur le tapis. « Elles disent jamais rien, elles exigent jamais rien. Mais tu le sens, tu le sens tellement dans leurs actions... » on avait beau prendre nos propres décisions et faire nos propres choix, il pouvait pas nier que quand ces fameuses voulaient quelque chose, elles mettaient tout de l’avant pour que ça transparaisse. Un coup d’oeil au bar et je réalise que la vérité est là. Une poignée d’oiseaux de nuit, une poignée de mecs qui tardent à traîner, qui n’ont pas envie plus que ça de rentrer. Tous des problèmes, tous des questions, tous des envies de faire mieux, pour se retrouver à faire pire. « La question, c’est pas pourquoi tu veux pas rentrer, en fait. » je prends une gorgée d’alcool, pensif. Le faux-air de sage bien calé, ça m’allait à merveille vous trouvez pas? « C’est plutôt ce qui va te convaincre de rentrer anyways, à la fin de la soirée. »

Il suffisait que deux hommes se retrouvent dans un bar pour parler de voitures, de football ou encore de plans foireux. Et pourtant,
ce soir-là, le sujet était devenu un peu trop sérieux. Alex voulait décompresser et au final il se retrouvait à parler de sa vie,
de ses emmerdes. Il avait même posé des questions personnelles à ce gars qu'il connaissait à peine. « Ouaip! Ou alors t'en vois et ça te convient pas... » Parce que l'issue la plus évidente c'était le divorce. Et Alex ne voulait pas y penser. Il aimait son épouse et l'idée qu'il puisse s'en séparer lui fendait le coeur. Alex avait envie de rouler des yeux. Il ne savait pas pourquoi mais il avait du mal à croire qu'on puisse arrêter de se faire du mal sans une motivation extérieure.
Peut-être que Matt pensait vraiment ce qu'il disait, peut-être pas...
Ce n'étaient pas ses affaires après tout. Il se contenta de confirmer avec quelques mots sans intérêt. « J'imagine que tu as senti l'étau qui se resserrait sur toi et tu as ressenti le besoin de changer... » Puis de fil en aiguille, le jeune homme était parvenu à rediriger la conversation. N'en déplaise au McGrath, Alex n'avait aucunement envie de critiquer son épouse. C'est pourquoi il préférait éviter de répondre et se contenter de dire qu'il était temps pour lui de partir. Puis Matt' posa une bonne question, une question presque philosophique. Alex posa sa main sur le comptoir, regarda autour de lui à la recherche d'une réponse. Comme si elle volait dans l'air et qu'il pouvait l'attraper pour la donner à son compagnon. « Je pense que je vais rentrer parce que je le dois... le sens moral... Y a rien d'autre qui me force à rentrer. Personne qui m'attend de toute façon » Il vivait dans son appart' depuis trois semaines,
il n'avait plus vu Eliane depuis une semaine et ils étaient officiellement en pause. Il aurait pu contacter Théo mais à quoi bon?
Ce soir, il voulait juste déprimer. « En vérité, je pense que c'est juste mon taux d'alcool qui parle... Et il est trop bas. Un bière s'il te plaît!»dit-il en se retournant vers le barman. Il regarda Matt et ajouta toujours à l'adresse du barman « Une bière et ce que le monsieur voudra! C'est pour moi.» Il replongea son regard dans la foule qui dansait et saisissant une envie ridicule, il demanda à Matt' « Ca te dit d'aller danser? » Réalisant qu'il avait l'air gay en demandant ainsi, il se pressa d'ajouter « Pas tous les deux hein, danser là... avec cette foule de minettes en chaleur.» Il indiqua le peuple en question d'un geste du menton juste au moment où leurs boissons furent servies.  

Un étau. Autant l’image est lourde de sens, autant il a pas nécessairement tort. Cette impression de rester pris au piège, c’était tout sauf alléchant comme plan de vie, et il fallait croire qu’à force, j’en étais lassé. Épuisé, vidé. Appelez ça comme vous le voulez. Une gorgée et deux autres après et voilà que je me lance même dans la philosophie à deux balles, grand sage McGrath qui se mêle de ce qui le regarde pas. Pourquoi rentrer, pourquoi ne pas rentrer. À cette mention, je me demande même ce que moi, je fais encore ici. Il est passé l’heure de dire que je ne suis venu que pour un verre, néanmoins je n’ai pas particulièrement envie de terminer la soirée comme avant, surtout après m’être ouvert un peu plus sur cette nouvelle vie que je tentais de bien arrimer, de bien ancrer. « Le sens moral… » que je répète, moqueur, un peu. Moqueur parce que c’est ma propre excuse, et que l’entendre le dire me fait comprendre l’étendue de notre connerie. C’était bien là la beauté de la chose. « C’est la réponse parfaite ça, personne peut jamais t’en vouloir de tenter de bien faire. De mieux faire. » je constate, bien loin de réprimander, d’être condescendant. C’est la stricte vérité, et le point de départ et d’arrivée de mon discours depuis que j’ai posé les fesses à côté d’Alex. Le voilà d’ailleurs lui qui, contre toutes attentes, commande une nouvelle bière. Je l’imite, tout sourire, me jurant que demain, demain je recommencerais mes bonnes actions, mes bonnes intentions aussi. Mais ce soir, une pause alcoolisée ne ferait pas plus de mal que cela. Il était loin l’état pitoyable dans lequel je me mettais à une autre époque, et franchement, il ne me tentait pas plus que ça. « Merci bonhomme. » que je rajoute, une fois que ma bouteille s’ajoute à sa facture. Le goût de la bière adoucit celui du whisky et je prends le temps de savourer une bonne lampée, puis une autre. Yeux clos, inspiration profonde, mon voisin reprend la parole, proposition inusitée qui m’arrache un éclat de rire. « Alors, tu veux danser, mais pas avec moi. » je soupire, faussement déçu. « C’est presque insultant tout ça. » un coup d’oeil sur les fameuses minettes restantes sur la piste de danse ne me convainc tout de même pas de céder à la tentation. Ce dont Alex a besoin, c’est un moment pour lâcher prise, pas une conquête de 3h du mat’ qui est peut-être bien sexy à la lumière tamisée, mais complètement hideuse au soleil levant. « Y’a un cinéma à 3 coins de rue qui diffuse des films d’horreur toute la nuit ce week-end, anniversaire de j’sais plus quelle série de navet avec un serial killer en tête d’affiche. » il semble pas trop sûr, je tente le tout pour le tout. « Entre ça et choper la première MTS du bord avec une de celles qui restent, la réponse devrait être simple. » je bois de nouveau, dans l’attente de sa réponse. Des corps décapités et ensanglantés n’étaient peut -être pas aussi sexy que ce qu’il me proposait là, mais ce serait un pas de plus dans la direction qu’on voulait prendre. Tous les deux.  

Matt était un jeune homme qu'Alex connaissait à peine. Et pourtant le courant passait bien avec lui. C'était probablement dû à sa façon nonchalante de prendre les choses et d'en discuter. Alex se demandait si Matt' prendrait un visage grave s'il amenait le sujet de la mort sur le tapis. Probablement pas, il imaginait facilement le visage morne du jeune homme et je m'en foutiste. Pourquoi se prendre la tête? Ce serait le crédo du gamin. Alex le voyait comme un adolescent un peu plus vieux, il y pouvait rien. Même si la maturité avait probablement déjà déployé ses ailes chez Matt', Alex voyait quasiment tous ses cadets comme des bambins.  « Et pourtant...» La morale des uns ne valait pas celle des autres. Et parfois, vouloir bien faire pouvait être mal interprété. Il se rappelait sans souci comment il en avait voulu à Ophélia de l'avoir encouragé à coucher avec Théodora s'il en avait envie. La serveuse voulait bien faire, elle n'y voyait rien de mal. Mais Alex avait trompé sa propre morale en écoutant celle d'une autre... Puis, le temps passant, Alex s'était décidé à proposer à Matt' d'aller se bouger les jambes sur le dance floor. C'était pas tant par envie que par désir de ne plus parler de tous ces sujets assez tristes et qui ne lui remontaient aucunement le moral. Matt' avait l'air peu emballé par l'idée d'aller se frotter aux MST de ces demoiselles et la phrase fit rire Alex. « J'avoue que dit comme ça, c'est pas ce qu'il y a de plus tentant» Il vida sa bière en écoutant ce que Matt avait à lui proposer. Les films d'horreur l'attiraient fort peu. La vie était déjà suffisamment sanglante. Mais se changer les idées ça pouvait être sympa quand même. Alex manquait d'amis en ce moment. « Ouais pourquoi pas! On y va?»  Il se leva et tendit la main à Matt' comme pour sceller le rendez-vous.