« Viens là… » que j’insiste, voyant son orgueil, vilain refus, mine renfrognée qui répondent eux-mêmes à mes bonnes intentions. Le combat qui a précédé entre le vilain orc noir des méandres et la viking aux longues boucles blondes s’est terminé dans un fracassement de corps et d’armes - en plastique, tout de même, on n’est pas des barbares - et ma proximité à la scène alors que l’autre druide attitré était occupé à soigner nos pauvres compatriotes m’avait propulsé à me charger de la perdante, mais on ne l'appellera pas comme ça pour les besoins de la cause. Nah, elle a combattu fièrement, elle y a même mis les cris, les poings, l’énergie, la volonté, mais contre l’amas de muscles et d’armure qu’on lui avait refilé, et à elle seule, fallait pas non plus lui demander de s’éclater tous les os du corps pour ramener la coupe après seulement quelques heures de guerre. C’est donc avec l’air le plus compréhensif du monde que je m’attelle à ma pseudo-tâche, farfouillant dans ce sac retrouvé au fond de mon atelier et barbouillé de peinture à la dernière minute pour un effet vieillot, à la recherche d’une bouteille qui fasse dans le genre d’un élixir de force. Des bouts de tissus déchirés feront office de pansements, et je mixerai plus tard de la terre à une flasque d’eau colorée à l’aquarelle pour en faire une pommade censée faire disparaître ses cicatrices imaginaires - sur la peau, et sur l'ego. Elle ne gémit pas trop, elle ne se plaint pas plus qu'il ne faut et je finis par l’aider à s’appuyer sur un tronc d’arbre un peu plus loin des hostilités. Nous étions tous postés sur le champ de bataille depuis l’aurore et en vrai j’aurais tout donné pour une grande tasse de café question de réveiller les sens qui restaient encore en berne malgré toute l’adrénaline à laquelle on était exposés. M’enfin, à croire que pour les vikings, c’était soit le sommeil profond, soit le côté alerte qui ressortait. Aucune demie-mesure. La jeune blessée - du moins, dans le jeu - semble intriguée par l’attirail que je sors depuis quelques minutes de mon sac et j’hausse les épaules, consciente que j’ai peut-être un peu abusé sur les stocks. « On ne sait jamais ce dont on peut avoir besoin au front. » et j’éclate de rire bien sûr, consciente du ridicule de la chose.  

« Viens là… » Les yeux trainant sur le sol, je commence à avoir mal partout. Après plusieurs heures de jeux, je commence à me prendre dedans pour ne pas mourir d’ennui. Nous aurons beau dire, mais ils s’acharnent énormément pour défendre leur coupe ces petits orques. Jamais je n’aurais pensé que des hommes restant aussi longtemps devant leurs ordinateurs pourraient être aussi fort. A trois sur moi, en même temps, je n’avais pas trop d’espoir, sauf face à de véritables mollusques. Pas de grandes blessures et heureusement, mais je me dirige tout de même vers notre druide, grande médecin de notre époque ! Même dans un jeu de ce type, perdre a rarement été dans mon vocabulaire et vivre cela n’est pas ce que je préfère du tout. Me réfugier dans l’antre de la druide ne me semble pas être une mauvaise idée, elle aura même peut-être une idée pour s’enfuir ? Croisant les doigts pour qu’elle ne soit pas une nouvelle fanatique, je m’approche d’elle, m’appuyant là où elle m’y invite et la regarde déballer ses affaires sans plus aucun espoir. Je crois que j’ai attrapé le gros lot. J’avale le truc immonde qu’elle me tend, entre alcool et sirop, c’est à donner la nausée mais ça ne m’étonne pas que cela donne des forces aux autres loulous… Etonnée de prime abord qu’elle est tant de chose dans son cabas, je me rends rapidement compte que rien à l’intérieur n’est réellement utile. Elle, elle n’a jamais été en minimaliste faire un véritable camp de survie, elle ne tiendrait pas longtemps… « On ne sait jamais ce dont on peut avoir besoin au front. » Je ris alors qu’elle a parfaitement repéré mes regards intrigués. Et quel front ! « Oh je ne critique pas, mais tu sais qu’une bonne bouteille de rhum, un rouleau de bandage et un couteau suisse c’est tout ce qu’il te faut, et l’ensemble est bien moins lourd. » Elle aurait même eu alors de quoi s’occuper lors des batailles et de l’ennui. « Mais qui suis-je pour contredire l’avis de notre cher druide. » Dans un sourire malicieux, je la regarde elle puis sa boite à outils de torture. Il est hors de question qu’elle mette ses torchons sales sur moi, me trainer dans la boue c’est déjà bien trop me demander… Mes iris se dirige par la suite sur le champ où encore des groupes se combattent. « Mon dieu, qu’est-ce que je fais là… » M’appuyant un peu plus sur le tronc d’arbre, j’avoue ressentir une bonne douleur au niveau de la hanche qui a du se prendre un caillou ou autre lorsqu’ils m’ont jeté à terre. Après avoir vu tout ça, je suis bien heureuse que l’Australie ne soit pas en guerre, vu la force de nos troupes, nous ne tiendrons pas bien longtemps…

Elle n’avait pas du tout envie d’être ici, c’était plus qu’apparent. Son silence et sa mine blasée me le confirment tout de suite. Mais voilà, je suis tout sauf du genre curieuse, et ce ne sera pas avec moi qu’elle aura besoin d’expliquer le pourquoi du comment. J’avais une guerrière à soigner avant de la renvoyer au combat, et ce serait sans la portion psychologie de pacotille. Je laisse passer, ravalant mes questions dans la recherche d’un élixir qui fera office de pommade pour un temps. Quelques minutes plus tard et ce sont ses yeux que je sens chauffer dans ma direction, regard qui lorgne sur mes mains malhabiles. Je rigole, parce que c’est la seule chose que j’arrive à faire dans une situation pseudo-stressante de toute façon. Son intervention sur le contenu de mon sac pique ma curiosité et je réalise que oui, en temps de crise, mes restes d’aquarelle et mes mélanges d’huiles essentielles ne feraient pas grand chose pour la cause. Si je rigolais parfois à imaginer quelle position je prendrais durant une hypothétique attaque de zombies, mes reliques et autres items assemblés me paraissaient plus qu’inutiles - il faudrait que je réfléchisse d’ailleurs à trouver une façon de faire de la blonde une alliée advenant une telle situation apocalyptique. À prévoir. « Cette chère druide a quand même pensé à remonter un brin le moral des troupes. » j'utilise le même ton à la blague. Il n’y avait peut-être pas de rhum dans mon sac, mais le paquet de bonbons que je lui lance en évitant d’être trop évidente risque de me faire pardonner pour le moment. « J’ai des chips aussi, si tu préfères le salé. Gracieuseté du grand frère. » clin d’oeil complice plus tard et je la rejoins finalement, flacon en main. Croyant sincèrement que mon amende honorable à saveur de sucre aurait fait son chemin et adoucit la jeune femme, je réalise qu’elle reste tout de même bien blasée de sa présence sur le terrain. Petit examen des blessures qu’elle n’a pas vraiment en apparence, et je finis par m’installer au sol, de façon à cacher ses jambes allongées, calment mes prouesses de fausse médecin pour ne pas trop la mettre mal à l’aise. À première vue, rien ne semble si mal en point, sauf peut-être son orgueil, et je doute qu’agiter de l’eau colorée dans tous les sens lui redonne espoir en l’événement. Toutefois, je fronce bien vite les sourcils. « La chute à la fin... ils auraient pu y aller un peu plus molo là… ça sent l’ego trip à fond. » que je réalise à haute voix, voyant qu’elle grimace un brin en se replaçant sur le tronc d’arbre. L’équipe adverse qui s’était mise à trois sur la blonde, c’était pas très réglo à mon sens. « La prochaine fois, un bon coup sur le flanc gauche, ça risque de leur couper un peu le souffle… et c’est autorisé sur le règlement. Contrairement à ce qu’ils ont fait, eux. » confidence à part, j'aimerais bien qu'elle leur règle leur portrait en retour.   

Ok, être là ne m’enchante pas réellement mais j’y suis et il faut bien que je fasse avec. Puis, il faut l’avouer, même si elle est loin d’être médecin, notre super druide a de quoi être plutôt adorable, on ne peut pas lui retirer ça. Je vois que je ne l’aide absolument pas et qu’elle tente de tout faire pour que cela se passe bien. Il faut que je me reprenne, que je fasse au moins semblant pour ne pas la blesser dans son délire, ce ne serait réellement pas terrible de ma part. Si ce n’est pas mon domaine, cela peut être le sien et vu que je suis dans son champ d’action, ce n’est pas à moi de critiquer et de tout détruire, mais à elle de me montrer ce qu’elle sait et aime ici, non ? J’attrape au vol le paquet qu’elle m’envoie, un sourire se dessinant doucement sur mon visage. Décidément, elle a réellement amené sa maison ici vu qu’elle m’annonce avoir même des chips dans son sac… « Ça ira, les bonbons feront parfaitement l’affaire. » Même si je suis loin d’être une grande mangeuse de bonbons, j’avoue qu’un dragibus ne me fera pas de mal… « Merci, au moins je sais où venir quand j’ai besoin d’un remontant. » Je lui souris, mais me rappel bien vite où je suis et qu’il faut vraiment que je trouve un moyen pour ne pas devoir y rester deux jours de plus. Une journée ok, ça pourrait être drôle, trois, c’est vraiment trop, surtout qu’ils sont mignons, mais certains d’entre nous ont véritablement une vie et un boulot après ça !

Alors que je me déplace avec une petite grimace, je vois qu’elle arrête de s’activer autour de moi pour mon plus grand plaisir. Même si elle a l’air dans son élément, elle n’est pas encore totalement atteinte, dieu merci… Alors qu’elle revient sur la fin de ma bataille, en se parlant presque à elle-même, j’hausse les épaules et souri doucement. Un rire s’échappe tout de même de ma gorge à son conseil, celui-là je le retiendrais. « Merci du conseil, je retiendrais ça. » Je la regarde assise devant moi. Je pourrais toujours critiquer, elle s’est tout de même vraiment bien donné pour son maquillage, chapeau l’artiste ! « Mais dis moi, les druides ont vraiment pas le droit de venir combattre, je pourrais avoir besoin d’un coup de main pour les passer et comme tu as l’air de connaitre le jeu sur le bout des doigts… » Personnellement, je ne me rappelle même pas avoir vu un règlement… Oublie de mon patron ? « Tu en as déjà fait beaucoup ? » Si oui, j’espère qu’elle saura comment me faire sortir de là ou au moins me permettre de récupérer mon téléphone, j’ai vraiment besoin d’appeler mon fils… Je lui tends le paquet de bonbon après en avoir pioché un afin qu’elle puisse aussi prendre un peu de plaisir dans cette journée, puis après tout, les druides aussi ont le droit à des petits remontant non ?

Doucement, la blonde semblait être un peu plus à l’aise. Bon, fallait dire que je donnais tout ce que j’avais pour qu’elle soit le moindrement mieux, et qu’elle n’ait pas l’impression de se retrouver en plein univers parallèle où tout ce qui faisait partie de sa réalité était discutable. En même temps, si elle s’était inscrite à ce genre d’activité, c’était probablement pour vivre l’expérience, non? M’enfin, pas de mes affaires, tout sauf ça, et je préfère et de loin axer la conversation sur les dragées que je lui lance, victorieuse, que sur un début opposant les orcs aux vikings dans la vraie vie, et dans les contes inventés. À d’autres. Heureusement, elle semble bien d’accord avec mon choix de cible, et je laisse un sourire se dessiner sur mes lèvres alors qu’elle entame le paquet, à l’abris des regards un peu trop curieux de l’équipe de surveillance. Grand bien nous en fasse. « La prochaine fois, je suivrai ton conseil pour le rhum. On dira que ce n’est pas pour boire, mais pour venir à bout des germes qu’une vilaine blessure peut occasionner. » petit rire gêné, pour la forme. En soit, je n’étais pas une grande buveuse, mais j’avais beaucoup à parier que mes autres compatriotes, autant qu’elle, n’auraient pas refusé un petit gorgée d’alcool ambré autour du feu alors que la température frôlerait des degrés un peu plus frisquets. À noter. Si je finis par mettre la main sur la fiole contenant le pseudo-antidote, c’est bien en feignant de me mettre vraiment à la tâche que je lui laisse un peu d’air. Sa bulle, je la comprends parfaitement, et c’est probablement assuré que si j’avais été à sa place, inconnue dans un endroit aussi glauque à première vue, jamais je n’aurais laissé quiconque me badigeonner d’un mélange à l'odeur aussi discutable que sa texture. Faisons comme si, donc. Je m’attarde à distance à soigner sa jambe, évitant le moindre contact mais maniant le tout assez agilement pour qu’on croit à la supercherie. Ses paroles viennent briser le silence confortable dans lequel nous nous étions enlisées. « Me battre?! » je laisse échapper un petit rire, tout sauf sûre, incapable de voir la scène se jouer devant mes yeux. « Nah, c’est pas dans les règles et… honnêtement, ça m’arrange. » soupir bien senti. « J’ai rien de la guerrière athlétique, je suis beaucoup plus dans mon élément à observer et à commenter. » c’était toujours plus facile de porter un jugement sur quelque chose qu’on n’avait jamais essayé, ou auquel on n’avait pas le droit. Principe simple et évident depuis la nuit des temps. « Faut dire que je n’ai jamais essayé, mais… je suis certaine que ça ne serait pas très concluant. » au combat, on avait besoin des plus forts, des plus agiles. Ma légendaire maladresse nous ferait perdre en première manche, direct. Croyant l’avoir déçue avec mes doutes sur ma performance physique plus que discutable, elle me surprend en relançant la conversation, curieuse, papotant maintenant sur les GNs en général. « Oh, ça fait longtemps, mais.. oui. » petite mine gênée, je sens bien qu’elle en est à sa première fois, première mention même. « Au lycée, je n’étais pas la plus à l’aise, ni la plus aimée. » j’hausse les épaules, chassant les mauvais souvenirs qui viennent avec. « M’imaginer vivre dans un autre monde, aussi lame que ça puisse être, ça m’a fait beaucoup de bien à l’époque. » Trêve de nostalgie mal placée, on n'en a pas besoin maintenant. « Et toi? Mon petit doigt me dit que tu en es à ta première croisade, n'est-ce pas? »

Ok, au final les gens des GN ne sont pas tous ressemblant à Hannibal notre cher personnage du Silence des Agneaux, elle en est la preuve même, mais j’avoue ne tout de même pas vouloir rester ici des années. Elle retient mon conseil sur l’alcool et tente de trouver une excuse pour l’amener. Je ne sais même pas si c’est nécessaire… « L’alcool est aussi interdit dans le règlement ? » Comme elle a l’air de très bien le connaître, je ne vais pas aller chercher moi-même et puis ce n’est pas comme si cette information aller m’être utile, maintenant… « Et ce n’est pas qu’une excuse, tu soigneras bien plus avec du rhum que de la boue qui elle empêchera de saigner. » Ouais, je m’y connais et cette expérience ne reste pas la meilleure de ma vie, alors je préfère rapidement changer de sujet, parce que quand votre mère vous met du rhum dessus pour désinfecter une blessure assez profonde et se rend compte que finalement ça ne sert à rien parce qu’elle va tout de même mettre de la boue dessus, vous n’oubliez pas ces deux ingrédients… Je la regarde en souriant, presque comme ma mère le faisait lorsque je jouais à la poupée alors qu’elle mime un soin à ma jambe. Seule différence, la demoiselle en face de moi à passer les six ans depuis au moins une petite vingtaine d’années…

Son regard à ma proposition pour qu’elle se joigne à moi me fait rire et alors qu’elle ne comprend pas et fui totalement le combat et appliquant à nouveau les règles, je ne peux m’empêcher de rire. « C’est commun à tous les druides les règles ou il n’y a que toi qui a appris le règlement à la lettre ? » Je lui fais un clin d’œil prouvant que ma phrase est loin d’être méchante mais juste une petite taquinerie. Elle se rabaisse et doute même d’elle-même ce qui me fait faire la moue, il est hors de question de voir de ça dans mon équipe, et il n’y a pas de raison qu’elle n’y arrive pas. « Tu n’as pas besoin d’être athlétique, je peux même t’apprendre après les combats si tu veux, peut-être que tu gagneras un point de vie si tu es une druide combattante, non ? » Sauf si ce n’est pas non plus dans le règlement… « Puis justement si tu es pas réfléchi ça déstabilise l’adversaire et tu gagnes bien plus facilement ! » Pour savoir depuis quand elle joue ce rôle ou même d’autre, je lui demande sa connaissance dans les GN et sa réponse est loin de m’étonner même si elle me fait un peu de peine, rappelant le lycée et le mal être de cette époque. « C’est top que tu es trouvée ton échappatoire alors, et le jeu prend tout de suite plus de valeur à mes yeux du coup. Je n’avais pas vu ça de cette manière… » Et cela me donne de vraies idées, peut-être que l’idée de mon patron n’était pas si nulle au final… « Et puis regarde ce que ton imagination a fait de toi, au final les autres du lycée doivent s’en mordre les doigts. » Je ne sais pas à quoi elle ressemblait et je n’ai pas les goûts d’un homme mais pour moi elle est plus qu’une jolie femme et elle a l’air d’avoir son vrai caractère ce aide énormément après le lycée… « Oh oui mon tout premier et je ne te cache pas probablement mon dernier aussi. » Je ris en répondant à sa question. « On va dire que j’aime des croisades un peu différentes même si au final certaines y ressemble entre la boue, l’aventure et tout le reste mais je crois que je n’ai pas ton imagination et je préfère rester moi-même. » Peut-être pour cela que j’ai autant de mal à rester dans mon personnage plus de quinze minutes de bataille… « Et donc, question comme ça… Avec toute ton expérience, tu aurais pas des supers solutions pour s’échapper sans qu’ils le remarquent ou au moins récupérer nos téléphones ? » Accro ? Normalement non, mais normalement je sais ce que fais mon fils un samedi après midi !

Évidemment que l’alcool est interdit. Vous avez déjà vue une armée de geek au poids plume qui se calent les unes après les autres des bières avant de se taper dessus avec des épées de mousse? La simple idée me fait rigoler, et je laisse échapper un « Heureusement, que c’est interdit. » pointant du menton un des nôtres un peu plus loin qui fait une danse de la victoire au-dessus de la dépouille d’un orc qu’il vient d’éliminer. « Si on est aussi ridicule sans avoir bu, imagine après… » surtout dans mon cas. Avec ma faible tolérance à l’alcool, on en serait pas sorties. Elle marque tout de même un bon point en ramenant le côté soignant de l’alcool et je rigole de plus belle parce que je suis persuadée que ça passerait. Peut-être. Mieux. « Tentons quand même de ne pas nous rendre jusque là. » je sourie, constatant quelques bleues, mais rien de bien profond à désinfecter, justement. La conversation file maintenant sur les règles, les règles tout court, et sur ma condition qui me garde de me battre. « En fait, ça dépend des armes que tu as. Si tu n’as rien, le combat t’es pas interdit, mais ça vaut mieux si tu restes en retrait. Puis comme mon poste de base est là pour soigner et aider, je ne vais pas à l’encontre de la nature du truc en cherchant la bagarre. » haussement d’épaules oblige. Je pourrais, comme Martin, m’équiper d’un bâton magique et aller au front, mais la simple idée me tétanise. On l’a bien vu précédemment. Alors que je croyais l’avoir découragée, elle revient plutôt à la charge, nettement plus enthousiaste maintenant qu’elle n’a plus à jouer les victimes sous mes bons soins. Mon cas désespéré lui inspire de bonnes intentions et voilà qu’elle essaie de me vendre l’idée. Sur papier, ça peut sembler logique le pire. Sur papier, j’ai dit. « Je… il faudrait voir j’imagine. » je ne tue pas l’idée de suite, même si sa simple mention me serre un peu l’estomac. « J’imagine qu’en cas de crise ça pourrait faire un bon plus à l’équipe. » et avec nos guerriers qui se lancent tous seuls sans demander à la guerre avec les poings bien serrés, je me dis qu’état de crise est toujours bien relatif et que je pourrais bien m’en sauver en temps et lieu. Silence, je réfléchis à la proposition, essayant de m’imaginer au combat, riant devant mes prouesses qui seront sûrement tout sauf efficaces. Et de là je passe au lycée, et aux souvenirs qui s’y rattachent. Pas particulièrement heureux, vous l’aurez compris. Si ma propre expérience adoucit son jugement sur le truc - et que son compliment fait de suite mouche alors que je baisse le regard, gênée - voilà que je suis tout de même déçue d’entendre qu’elle ne s’amuse pas au moins un peu. Comme feu-Sven, je crois fermement que la convaincre du contraire pourrait rendre l’expérience, que dis-je, le week-end beaucoup moins long et lourd pour elle, mais c’est avant qu’elle ne me coupe dans mes réflexions en me parlant d’un plan d'échappatoire. « Tu.. tu sais qu’on est pas prisonnières ici, right? » je me doute qu’elle pose la question pour éviter de se faire attaquer par des elfes, des orcs et autres surprises d’ici la fin, mais je ne prends pas de chance. « Sinon, je pense que le plus sécuritaire serait de filer en pleine nuit… mais tu pourrais pas toute seule, pas que t’es pas douée hen, mais juste… ça te prend au moins deux personnes, quelqu’un qui ouvre le chemin et un autre qui aidera si on te blesse sur le départ... » je réfléchis à voix haute, détaillant la carte de l’endroit dans ma tête. « Mais pour le téléphone, ce serait nettement plus facile. Ils gardent toujours le sac avec eux durant les événements communs. Ils savent que c’est là où les gens tentent d’aller les récupérer, alors ils les ont à l’oeil. Mais pour ça, une simple distraction suffirait, une bagarre en pleine salle de banquet, ou une dispute entre deux clans ou un truc bien dramatique où on crie et où on pleure… »

Alors que mon nouvel acolyte m’apprend que l’alcool est totalement interdit dans le jeu, elle me pointe plus loin, un viking se trémoussant au-dessus d’un orc, me faisant lever un sourcil. Ok, elle marque un point, l’alcool ne serait pas bon avec des loustiques comme ceux-là, surtout qu’ils ne doivent pas réellement se contrôler sous ce type de breuvage, éviter un véritable meurtre est donc une bonne idée… «  Je te l’accorde, pas d’alcool alors. » Je ris en accord avec elle. Même si je me suis pris au jeu, ma défaite m’est encore un peu en travers de la gorge et rire avec elle me fait énormément de bien, même si jamais je n’aurais imaginé avoir cette conversation un jour dans ma vie… Et alors que je lui demande si elle a le droit de venir m’aider au combat, je vois parfaitement qu’elle prend du recul, ne voulant pas réellement participer à ce genre de chose. Ce que je ne comprends pas réellement vu son enthousiasme pour que nous y allons. Elle m’explique que sans arme, il est préférable de ne pas partir à l’attaque, ce que je conçois, mais une arme, s’il ne lui faut que ça, je peux parfaitement lui en trouver une et rapidement ! Et le coup du je ne vais pas à l’encontre de ma nature… Nous avons tous vu Martin prendre beaucoup de plaisir à taper sur les méchants tout de même ! Je reste tout d’abord silencieuse mais veut en savoir plus sur elle mais aussi sur son aversion au combat, ce n’est qu’un jeu après tout et si je le fais, elle doit bien en être capable vu toute son expérience dans le domaine ! Et là ! Je vois parfaitement qu’elle serait capable de se battre, elle en a même envie mais ne veut pas aller contre une certaine image ou quoi que ce soit. Je le sens au fond d’elle, elle est faite pour le combat, protéger et soigner, on peut tous les faire, elle ne doit pas se cacher derrière ce rôle !

Pourtant, je laisse ce pique derrière moi juste un instant pour qu’elle m’explique que non, nous ne sommes pas prisonnières et nous pouvons sortir d’ici, normalement. «  Pas prisonnière mais mon patron veut au moins que je reste 48 heures pour comprendre les enjeux de ce jeu merveilleux. » Mon ton est ironique mais j’ai déjà vu pire, c’est seulement que je n’y suis pas de mon plein grès et que la population n’est pas toujours des meilleures par ici, j’aurais préféré ce style d’amusement mais avec des amis, ou des personnes comme Ginny pas des centaines de geek qui n’ont jamais réellement vu de fille autrement que derrière leur ordinateur ou leur maman… N’empêche, plus elle réfléchit et plus je me rends compte qu’elle connait tous les moyens pour sortir de là ou pour récupérer les téléphones. Comme quoi, elle a déjà dû y réfléchir elle aussi ! Et donc comme ça, je ne peux pas y arriver seule ? «  Seule c’est impossible donc ? » Je souris et me lève, me dirigeant vers un tas d’arme récupéré de nos ennemis morts au combat. Attrape une épée, un bouclier et me dirige vers elle, lui lançant presque les deux armes. «  Alors tu vas devoir t’entrainer pour m’aider. » Un sourire au coin des lèvres, je sais très bien qu’elle ne m’accompagnera pas, je ne lui demanderais pas de le faire, mais je veux qu’elle découvre tout ce qu’elle peut faire et pour cela, il va falloir qu’elle attrape déjà correctement cette épée. «  Je ne suis pas une maître d’arme, mais déjà on peut travailler l’agilité et les coups qu’on peut donner. » Personnellement, j’ai plutôt appris sur le tas et en remerciant le nombre de film de guerre que Daniel pouvait regarder. «  Le but ce n’est pas de faire mal, mais de toucher l’autre, sinon, on se retrouverait avec pire que des bleus je pense. » Je la presse tout de même avec le pique de l’épée et la positionne bien droite face à moi. «  Prête ? » Elle ne pourra pas y échapper, et ce sera bien plus fun de lui apprendre que de faire un véritable combat contre les bigleux de l’autre côté.

Je voyais bien qu'elle essayait de percer cette foutue carapace que je prenais plaisir à dresser entre le combat, et moi. Entre tout ce qui pouvait me blesser, physiquement ou mentalement aussi. Pas facile, horrible même à m’avouer, mais la vérité était bien là. Et ce week-end était comme une immense claque au visage, une réflexion de plus. Une réalisation surtout. J’avais la trouille de me mouiller, de plonger, de changer les habitudes, de changer ma nature, druide ou pas. Je secoue la tête, idées noires qui se ressasseront d’elle-même plus tard, avant de sourire à la remarque de la blonde. 48 heures à être forcée par son patron, à devoir rester contre son gré… damn. Comment étouffer ses employés, le mode d’emploi. « Et te filer des liens Wikipédia ou des vidéos sur Youtube, ça ne lui a pas traversé l’esprit? » je rigole de plus belle, parce que son patron aurait sûrement fait un excellent viking s’il avait oublié à quelle époque on se trouvait. « Il y met du coeur sinon, c’est beau à voir. » fallait lui donner le mérite qui lui revenait, il avait de bonnes intentions en lui offrant un week-end en nature, dans l’espoir qu’elle adapte le tout. « Du coup, j’imagine que tu travailles en événementiel? » je ne devrais pas faire autant la conversation, l’heure tourne et le combat bat toujours de l’aile, mais une petite pause n'est pas de refus et la jeune femme ne semble pas non plus s’en infliger alors que les coups et les cris se succèdent à quelques mètres de nous. En secret, elle se penche même un peu plus près, amenant un nouveau sujet de conversation sur la table et tout un. Sa fuite. J’hausse le sourcil, lui propose quelques options, regarde par-dessus mon épaule à plusieurs reprises pour m’assurer que personne ne nous écoute. « C’est possible… mais difficile. » l’imaginer tenter de s’en sortir toute seule me donne froid dans le dos. On ne sait jamais quelle créature se sera mise en tête de la terroriser en la pourchassant dans les bois. Les gens sont parfois un peu trop into it, il faut dire. Je ne me pardonnerais jamais de la laisser fuir sans protection. Et bam, la voilà qui me rattrape au quart de tour. Je ris de plus belle, prise au piège. « Tu apprends un peu trop vite à mon goût… » que je blague, faisant passer mon angoisse de nouveau ranimée par l’humour. Elle sourit elle aussi, avant de se lever et de m’intimer à la suivre. J’ai franchement envie de rire un dernier coup, avant de tirer ma révérence. Mais l’idée, infime, délicate, indicible de la suivre dans sa folie, de tenter juste pour voir, me pousse à me lever, lentement, seconde par seconde. Contre elle, je sais que j’y vais pas à pas, et qu’elle ne risque pas de m’éclater le visage juste pour la blague. C’est un peu plus rassurant, un peu mieux que je pense, donc. Comme un miroir, je la laisse faire, me positionnant selon ses indications, inspirant profondément. « Je t’avertis, je suis nulle pour… » le bout de son épée s’approche de moi, sans brusquer rien, mais je l’évite d’un réflexe qui monte sans que je le sente, sans que je le sache. Étonnée, ébahie, je laisse un « Woah… » sortir, avant de me remettre en position. Plus que prête.

«  Et te filer des liens Wikipédia ou des vidéos sur Youtube, ça ne lui a pas traversé l’esprit ?  » On ferait alors les choses seulement à moitié ? Même moi, j’aurais refusé cette solution qui pourtant m’aurait évité cette torture-là. Je ris légèrement à sa remarque qui est pourtant juste et que tout le monde pourrait faire sans connaître le personnage et les profondeurs de mon métier. « Il aurait pu, mais si je décide d’en faire un moi-même, il faut que je vois réellement l’organisation, les rôles, les adaptations possibles et donc l’investigation sur le terrain était préférable, même si j’aurais réellement dû y envoyer quelqu’un d’autre. » Après tout, je n’étais pas la seule de l’équipe et j’avais le pouvoir de décision, j’ai simplement épargné tout le monde en détruisant mon week-end par la même occasion, mais c’est une expérience à vivre… « J’aurais juste peut-être choisi un autre thème que celui-ci, si j’avais eu le choix. » Même si cela finit par être drôle, la mythologie scandinave n’est pas ma favorite mais au moins je découvre, c’est un peu le but de ces journées, non ? «  Il y met du coeur sinon, c’est beau à voir.» « Toujours et heureusement, sinon il me perdrait rapidement. » Il s’y donnerait qu’à moitié, je l’aurais déjà lâché depuis un moment, mais il a même été dynamisé par mon arrivée, alors autant en profiter pour être le meilleur bras droit qu’il n’ait eu. «  Du coup, j’imagine que tu travailles en événementiel? » J’hoche la tête. Oui et non… C’est un peu dur de réduire tout ça à de l’évènementiel tout de même… « Je suis foundraiser à l’UNICEF, je m’occupe de gérer les évènements, les campagnes de promotion et sensibilisation mais surtout de faire en sorte que nos investisseurs ne nous lâchent jamais et en avoir toujours des nouveaux. » Oui, je suis le mélange de Picsou et Gatsby pour l’UNICEF et alors ? « Et toi, tu travailles dans quoi ? » Par pitié, ne me dit pas que tu es une organisatrice cachée du jeu…

Une fois un peu plus proche, je lui demande des conseils pour pouvoir m’enfuir et surtout au moins récupérer mon téléphone qui me servirait à savoir si tout va bien avec mon fils qui est ma principale occupation. Ne pas avoir de nouvelle me perturbe énormément et je n’aime réellement pas ça. «  C’est possible… mais difficile.» Je la regarde en biais alors qu’elle m’assurait que nous n’étions pas en prison quelques secondes plus tôt… Mais je vois qu’elle hésite surtout car elle ne m’imagine pas aller à la charge seule. Et m’accompagner à l’air très difficile pour elle car il faudrait alors combattre, ce qu’elle n’a pas l’air de faire. La fuite est une solution que je lui ai vu plusieurs fois depuis le début du jeu. Pourtant, je sens qu’elle en est capable, elle n’a juste pas cette confiance en elle. Alors s’est décidé, si je dois faire quoi que ce soit, elle m’accompagnera. «  Tu apprends un peu trop vite à mon goût…» Je souris. « Pourtant, il le faut si on veut survivre chez les vikings. » Je lui adresse un clin d’œil alors que je la taquine et me dirige déjà pour lui chercher son matériel de combat afin de commencer son entrainement. «  Je t’avertis, je suis nulle pour…» Sans la laisser continuer, je dirige mon épée vers elle, suscitant directement un mouvement de recul chez elle. «  Woah…» Voilà. J’ai son attention et elle a l’air plus que prête. « Tu vois, déjà tu as les bons réflexes. » Elle a tout de même tenter d’échapper à mon épée et ne s’est pas plantée dedans comme plusieurs l’aurait fait… « Du coup, tu y vas avec le côté plat de l’épée si tu attaques, j’aimerais bien ne pas être embroché s’il te plait. » Je me mets à mon tour en position et avance vers elle, le but pour le moment est qu’elle prenne confiance, alors il faut qu’elle apprenne à esquiver les attaques pour ensuite… « Et maintenant, part. » L’attaquant plus de front, elle est obligée d’utiliser son épée pour ne pas être touchée mais je sais qu’elle le sait, qu’elle y arrivera, elle a l’air d’en connaitre bien plus qu’elle ne le croit elle-même…

C’était sympa ce qu’elle faisait là. Si je n’avais pas été si peureuse, si je n’avais pas été si trouillarde, peut-être même que j’aurais pu le lui demander d’emblée, par moi-même, plutôt qu’elle se sente obligée de me montrer dans un moment d’accalmie. Maintenant debout, c’est avec une certaine retenue que je me place en position, laissant Elisabeth prendre place elle aussi, détailler ma posture, me redresser aussi par endroits. Puis elle attaque, et j’esquive rapidement, étonnée des réflexes que je viens de démontrer, tout sauf consciente que j’en avais, de base. Mes nombreuses cicatrices et autres balafres accumulées au fil des années étaient là pour le confirmer. Esquive que la jeune femme ne manque pas de souligner, devant ma mine étonnée. « Qui l’eut cru… » je laisse un rire nerveux s’échapper d’entre mes lèvres, comme ultime surprise, reprenant la pause pour une prochaine attaque qui ne se fait pas attendre. Patiente, la viking m’explique le geste en le décortiquant, lentement, doucement, de façon à ce que je prenne confiance, que je la vois venir. Si nos premiers échanges ne sont pas tous aussi glorieux et que je reçois bon nombre de coups de son côté, elle est tout de même gentille et y va sans brusquer quoi que ce soit, je finis après quelques minutes par l’atteindre, sans avoir eu à ralentir le geste. « Je… j’ai réussi. » que je m’exclame, comme une gamine qui ne comprend pas trop où elle en est. Elisabeth éclate de rire face à l’expression que j’arbore. Tranquillement, je répète le mouvement encore et encore, visant à gauche, puis à droite, puis au centre. Je suis rouillée de n’avoir jamais osé, et je ne peux pas dire que je suis aussi fluide que les autres, mais sous les encouragements d’Elisabeth - et les quelques bonnes passes que je cumule vers la fin, il me semble que j’ai de l’avenir sur le terrain. Que j’en aurai. Un jour, peut-être. Pourquoi pas maintenant. « On y retourne? »