Wake up where the clouds are far behind me where trouble melts like lemon drops, high above the chimney top. that's where you'll find me.
Voilà un mois que Joanne n'avait plus donné de nouvelles à son ex-mari. Cela n'avait plus rien de surprenant, en soi. Elle avait cru pendant un bref instant que tout allait un peu mieux, mais il n'en était rien. On pouvait parler d'une nouvelle rechute si on voulait, mais ça n'avait rien à voir avec le début d'année. D'un côté, elle avait brisé Jamie, qui ne donnait aucun signe de vie malgré le fait que Joanne lui envoie des messages pour prendre de ses nouvelles ou pour lui proposer de passer un peu de temps avec leur fils. Elle n'osait pas l'appeler ou s'approcher de lui pour le moment. Elle ne voulait surtout pas le meurtrir davantage. Et d'un côté côté, Hassan attendait certainement de ses nouvelles d'elle. Son message avait été particulièrement clair : décide-toi et/ou ne reviens pas. La manière dont il s'était éloigné d'elle depuis leur dernière rencontre semblait être un message d'adieu. Lui aussi, en avait assez d'attendre, d'être dans cette constante incertitude à cause d'elle. Il lui avait donné toutes les cartes en main afin que ce soit elle et seulement elle qui se décide. Il n'était pas le seul à se chercher, à tenter de se reconstruire mais il ne semblait pas vouloir l'entendre. Joanne comprenait qu'il veuille faire passer son bien-être avant celui des autres, c'était même totalement légitime. Mais elle avait l'impression qu'il avait totalement évincé la situation de Joanne. C'était ainsi qu'elle le ressentait, et cette pensée était peut-être erronée, mais elle se disait alors que Jamie avait accepté cette part d'elle et que cela ne semblait plus l'agacer ni même l'impatienter. Il était prêt, pendant tout ce temps. Mais en voulant être sincère avec lui et surtout avec elle-même, Joanne l'avait éloigné au possible. Depuis, elle se réveillait et s'endormait avec cette vive douleur dans la poitrine, prenant peu à peu conscience de toutes les erreurs qu'elle avait commise. Les séances chez son psychologue se multipliaient à nouveau de manière considérable. Joanne tentait désespérément de se changer les idées en faisant des sorties régulières avec son fils et ses chiens. Elle espérait trouver une réponse à l'une des nombreuses questions qu'elle se posait. Ne serait-ce qu'un indice, une illumination. Rien qu'un tout petit quelque chose qui lui permette de l'aiguiller pour faire ses choix. Elle savait ses sentiments pour lui, elle les avait même dit à Jamie. A partir de là, tout aurait pu être très simple. Mais elle se posait beaucoup trop de questions : allaient-ils devoir tout reprendre depuis le début ? Ou Hassan pensait-il pouvoir reprendre leur relation là où elle s'était arrêtée ? Elle doutait que Qasim, Yasmine et Sohan puissent penser que tout ceci ne soit une bonne idée. Non, il y avait bien trop de choses qui entraient en ligne de compte pour qu'elle puisse prendre une décision sur ce qu'elle voulait elle.
Mais dans tout ce grabuge, il y avait tout de même une bonne nouvelle notoire à mettre en avant. La petite blonde avait enfin été contacté par le QAGOMA, et la candidature qu'ils avaient retenu avait été la sienne. Simon, son nouveau supérieur lui avait expliqué au téléphone que le premier employeur de Joanne avait envoyé une lettre de recommandation qui avait convaincu le reste de la direction. Mais pour lui, son choix avait été fait depuis qu'ils avaient discuté ensemble. La petite blonde en avait pleuré de joie. Elle avait alors démarré le lendemain même après avoir appris son embauche. On lui avait fait visiter tous les locaux du musée dont la réserve, où elle passera le plus clair de son temps. Joanne était surprise de disposer également de son propre bureau. On lui avait également expliquer les valeurs et le mode de fonctionnement du QAGOMA. Ils voulaient véritablement utiliser les connaissances de chacun afin d'enrichir et d'améliorer le musée. Joanne avait alors supposé que sa passion pour l'histoire pourrait lui être d'une grande aide. Joanne avait toujours eu besoin d'un certain temps d'adaptation lorsqu'elle arrivait à un nouvel endroit. Au QAGOMA, elle y trouvait rapidement ses marques. Pour dire vrai, elle s'y rendait régulièrement ces derniers temps avec Daniel. Il y avait beaucoup d'activités organisées pour les enfants et comme le petit avait une passion certaine pour le dessin, il s'y sentait comme un poisson dans l'eau. Joanne l'accompagnait dans chacune des activités et il s'émerveillait de ce que sa mère était aussi capable de faire. Les premiers jours étaient particulièrement denses mais l'engouement et l'enthousiasme lui faisaient oublier les touts petits désagréments. Le seul problème qu'elle avait rencontré était de trouver quelqu'un pour garder Daniel le samedi la semaine suivante. La crèche était fermée et la baby-sitter habituelle était en période d'examens et ne pouvait pas occuper le petit durant la journée. C'était avec un embarras certain qu'elle avait demandé à Simon si elle pouvait l'emmener avec elle au travail, promettant qu'il ne gênerait personne. Il avait accepté plus facilement qu'elle n'aurait pu l'imaginer. Elle s'y sentait véritablement bien, dans ce musée, depuis le premier jour.
Cela lui avait retiré un énorme poids sur ses épaules. Son avenir semblait un peu plus certain et serein désormais. Son emploi du temps était chargé, mais elle prenait beaucoup de plaisir à reprendre sa vie en main dès les premiers jours de travail. Elle avait même un jour appelé ses parents pour les prévenir, elle ne les avait pas entendu le son de leur voix depuis des semaines. Ils étaient heureux pour elle. Cet appel était un premier pas vers une probable réconciliation. Lors de son temps livre, Joanne ne cessait de ressasser tout ce qu'Hassan lui avait dit, et ce qu'elle avait dit à Jamie. Tout semblait être évident mais rien ne l'était à ses yeux. Répondre à Hassan n'engageait pas qu'elle. Elle avait un enfant en bas âge qui comptait sur elle. Nul doute que le courant passerait bien entre eux, mais elle avait cette appréhension qu'il empiète sur le rôle de Jamie, qu'elle s'efforce de conserver dans le coeur du petit. Il lui demandait parfois, où son père était. Ca le rendait même très triste parfois de ne pas le voir. Elle le consolait comme elle le pouvait mais ce n'était pas toujours évident. Il avait besoin de son père, bien plus que Jamie ne pouvait se l'imaginer. Il y avait enfin un soir où elle s'était décidée de se rendre à Logan City. Cela faisait donc plus d'un mois et demi qu'ils ne s'étaient pas vu. Plus elle approchait de sa maison, plus elle avait la boule au ventre. Elle en avait prise une, de décision. Mais comme toujours, elle craignait plus les répercussions qu'autre chose. Et même la réaction d'Hassan, peut-être qu'il ne s'attendait plus à la voir après une si longue absence, peut-être qu'il avait tourné la page. Avant de songer à toquer à la porte, elle entendait au travers les cris d'une enfant. Joanne fut alors prise d'un grand mouvement de panique, se disant qu'il s'agissait peut-être d'un des enfants de son ex-beau-frère, et donc, que ce dernier devait être là aussi. Elle n'avait aucune envie de le voir. Pas maintenant. Joanne ignorait toujours qu'Hassan avait accueilli chez lui Matteo et sa fille. Elle toquait une première fois à la porte. Cela devait être tellement discret que personne n'avait du l'entendre. Puis une deuxième fois, avec encore plus d'appréhension. La porte finit enfin par s'ouvrir. "Coucou..." souffla-t-elle tout bas, nerveuse au possible. "J'ignorais que... Enfin je pensais pas que tu aurais du monde chez toi. Mais sinon, je n'en ai vraiment pas pour longtemps, c'est pas grave." Joanne ne voulait pas attendre davantage, ou rentrer chez elle et tout repenser à nouveau, cela ne présagerait rien de bon. "Il y a quelques semaines, Jamie m'a demandée si j'avais des sentiments pour toi." commença-t-elle, se remémorant parfaitement cet instant où elle avait volé en éclats le coeur d'un homme pour qui elle avait aussi une profonde affection. "Parce que je lui ai dis qu'on se voyait de temps en temps, que je... qu'on avait tous les deux besoin de comprendre, savoir certaines choses. Je m'étais dit que je me devais d'être honnête, envers lui comme envers toi, et envers moi-même." Joanne était nerveuse au possible. Elle jouait avec ses doigts, sa voix tremblaient et elle bégayait de temps en temps. La vérité faisait beaucoup de mal, la jeune femme était très bien placée pour le savoir aussi. Elle avait blessé Jamie à vif et elle ne se le pardonnerait jamais. "Et je lui ai répondu que... que oui."Son coeur battait à folle allure dans sa poitrine. "Je t'aime, Hassan."
La tasse de thé avait été oubliée sur la desserte du canapé et ne fumait même plus, Hassan ayant déjà un œil sur les copies qu’il était en train de corriger, et le second sur Cami qui s’amusait avec ses cubes sur le tapis du salon en babillant. Les lunettes glissant régulièrement le long de son nez, le brun tentait de venir à bout des dernières copies d’examens ayant clôturé le premier semestre de cours, malgré une concentration relative et l’esprit occupé à toute autre chose. Près de la tasse de thé son téléphone portable avait vibré à nouveau, et y jetant un coup d’œil rapide le professeur avait fait glisser son doigt vers la gauche de l’écran pour rejeter l’appel à nouveau l’appel de Qasim. Laisser le téléphone sonner dans le vide c’était donner à son aîné une – énième – raison de s’inquiéter, rejeter l’appel au bout d’une ou deux sonneries c’était simplement lui signifier qu’il n’avait pas envie de lui parler. Et Hassan n’avait pas envie de lui parler ; Pas pour l’instant, pas encore. Entourant à l’encre rouge la fin du paragraphe qu’il était en train de lire et le reliant par une flèche au paragraphe précédent pour mettre en lumière le non-sens développé par l’élève, il avait à nouveau relevé posé les yeux sur son téléphone à la notification d’un message. « Tu pourras pas m’éviter indéfiniment. Laisse-moi te donner ma version. » Un rictus cynique s’étirant sur ses lèvres, Hassan avait marmonné un « Tu crois ça ? » agacé avant de passer l’appareil en silencieux. Ses quelques jours à Sydney lui semblaient déjà remonter à une éternité, et le traitement du silence qu’il infligeait à Qasim depuis quatre jours – depuis son retour – n’avait probablement que trop duré et ne faisait que retarder l’échéance, mais pour autant le brun l’estimait totalement mérité. Et puis il n’était pas d’humeur, non, pas d’humeur à ajouter une désillusion supplémentaire à la liste de celles qu’il n’avait toujours pas fini de digérer. Surtout pas si elle venait de son frère.
Alors qu’il relisait une dernière fois les annotations sur sa copie le brun avait été déconcentré par le cube orange que Cami avait lancé dans sa direction, laissant échapper un rire lorsqu’Hassan avait posé sur elle un regard surpris. Puis c’était le cube bleu qui avait suivi, dès qu’il avait rendu le orange à la petite et reporté son attention sur la dissertation qu’il tentait tant bien que mal de terminer de noter, puis finalement le cube vert pour le faire définitivement abdiquer « Je le garde celui-là ? » Griffonnant un « 3/7 » malheureusement mérité sur le recto de la première feuille et abandonnant son paquet de copies sur la place vacante à côté de lui, il s’était laissé glisser au pied du canapé en souriant avec amusement, cachant le cube derrière son dos. Pas née de la dernière pluie malgré qu’elle soit encore haute comme trois pommes, la petite s’était précautionneusement mise debout en cherchant son équilibre et avait marché jusqu’à lui pour attraper son bras et tenter d’atteindre ce qu’il cachait derrière lui « Quoi ? Moi, cacher quelque chose ? » Sortant l’objet de derrière son dos il avait laissé Cami s’en saisir avec contentement « T’es une petite futée, toi. » Retournant à petits pas jusqu’à ses autres cubes elle avait tenté d’en attraper un deuxième, puis un troisième qui avait fait tomber le premier, puis un quatrième qui lui avait fait perdre le deuxième. L’air boudeur, elle s’était laissé retomber sur ses fesses pour se retrouver à nouveau à la hauteur de ses jouets, provoquant un début de rire chez Hassan avant que trois coups frappés à la porte ne l’interrompent. « Ne bouge pas d’ici, bacca. » Se remettant debout, le brun avait les sourcils froncés de celui qui ne voyait pas qui pouvait bien frapper à la porte à cette heure-là. A moins qu’il n’ait mal compris Matteo et que sa sœur ne passe les prendre ? Il était pourtant certain de l’avoir entendu dire qu’il la retrouvait chez elle.
Ignorant Spike qui grattait à la porte-fenêtre, sans doute avec la curiosité de savoir qui était le visiteur imprévu, Hassan avait jeté un regard en arrière vers le salon pour surveiller ce que faisait la petite et avait finalement ouvert la porte. « Coucou … » Sans voix, il avait observé Joanne avec un mélange de surprise et de méfiance à peine perceptible, et s’était trouvé incapable de répondre dans l’immédiat. « J’ignorais que … Enfin je pensais pas que tu aurais du monde chez toi. Mais sinon, je n’en ai vraiment pas pour longtemps, c’est pas grave. » Ne sachant pas vraiment sur quoi elle basait son analyse, avant de se rappeler que la voiture de Matteo était garée devant le garage, à côté de sa moto, et que la réponse était sans doute là, il avait secoué la tête « Non, c’est pas … tu déranges pas. » Elle ne dérangeait pas, mais il se demandait ce qu’elle faisait là. Il ne l’attendait plus, en vérité, et alors qu’il jetait un nouveau coup d’œil furtif vers Cami Joanne avait repris « Il y a quelques semaines, Jamie m’a demandé si j’avais des sentiments pour toi. » Interdit, son attention à nouveau sur la blonde et se retenant de demander de son côté si la question de son ex-fiancé était venue avant ou après qu’elle ne vienne soulager sa conscience dans son bureau, il l’avait laissée continuer « Parce que je lui ai dit qu’on se voyait de temps en temps, que je … Qu’on avait tous les deux besoin de comprendre, savoir certaines choses. Je m’étais dit que je devais être honnête, envers lui comme envers toi, et envers moi-même. » Sentant son rythme cardiaque monter en flèche Hassan s’en était presque voulu de se retrouver à nouveau là, suspendu aux lèvres de la blonde comme à chaque fois qu’elle avait un aveu à faire ou une question à poser. Il avait pourtant voulu mettre fin à tout ça, il lui avait dit, il avait s’était retrouvé meurtri d’avoir perdu à ce quitte ou double pourtant nécessaire … mais il était à nouveau là. Attendant les mots de Joanne comme un accusé attendrait sa sentence. « Et je lui ai répondu que … que oui. Je t’aime, Hassan. » Le moment de flottement qui avait suivi n’avait duré qu’une seconde à peine, mais aux yeux du brun il semblait avoir duré une éternité durant laquelle il s’était senti totalement démuni.
Sans qu’Hassan n’ait eu le temps de formuler une réponse, et rompant le climat indescriptible instauré par l’aveu de Joanne, Matteo avait descendu les escaliers qui menaient au premier étage, les cheveux encore un peu humides de la douche dont il sortait et en demandant « T’es sûr que tu veux pas v- … » avant de s’interrompre en remarquant la présence de Joanne sur le pas de la porte, jusque-là partiellement cachée par la silhouette de son ex-époux. « Pardon. Bonsoir. » Arborant son air de gars qui avait l’impression de déranger – un air que Matteo arborait bien trop souvent sous ce toit en dépit des nombreuses fois où Hassan lui avait assuré qu’il était ici chez lui – le jeune homme se serait probablement éclipsé sans réclamer des présentations, mais les avait malgré tout obtenues « Matteo, Joanne. Joanne, Matteo. » Pour autant Hassan n’avait pas plus développé que cela. Matteo saurait déjà plus ou moins à qui il avait affaire, et ce n’était pas le moment idéal pour expliquer à la blonde qui était le jeune homme et ce qu'il faisait là. « Oh. Enchanté. » s’était de son côté contenté d'ajouter le garagiste d’un ton presque précautionneux « Je fais enfiler son manteau à Cami et on file, vous serez tranquilles. » avait-il malgré tout ajouté, gageant seul que la proposition qu’il avait tenté de formuler quelques instants plus tôt ne tenait plus et que définitivement oui, Hassan était certain de ne pas vouloir les accompagner. D’autant plus que, Joanne ou pas, le brun ne se serait jamais senti à sa place entre Matteo et sa sœur, qui avaient probablement des millions de choses à rattraper. S'embourbant dans un silence gêné qui avait duré tout le temps où le père avait habillé sa fille, Joanne et Hassan avait échangé de longues œillades silencieuses jusqu’à ce que Matteo revienne du salon, Cami dans un bras et le sac avec ses affaires de bébé dans l'autre « Voilà, on est partis. Bonne soirée. » Adressant un sourire poli à Joanne puis un plus compatissant à Hassan, il était passé entre eux pour sortir, le brun adressant un clin d'œil espiègle à Cami en répondant « Toi aussi. » puis avait finalement reporté son attention sur Joanne tandis que derrière on montait en voiture.
Se décalant sur le côté et lui faisant signe de ne pas rester sur le pas de la porte, le brun avait refermé derrière eux en tentant de calmer le trouble qui lui donnait l’impression de transparaître dans tous ses gestes. Se retournant pour faire à nouveau face à la jeune femme, il avait semblé chercher ses mots avant d’articuler un « C'est ... Matteo. Il, hm, il vit ici. C'est une longue histoire. » Pas si longue en réalité, le moment était simplement mal choisi pour la raconter. Déglutissant avec hésitation il avait fini par ajouter « Je pensais plus te revoir. » et ajouté presque avec précipitation « Enfin c'est pas un reproche hein, c'est juste que ... » Il s’était pratiquement fait une raison, la mort dans l’âme, mais fairplay dans la défaite. Il se demandait si elle était au courant de la discussion qui s’était tenue entre son père et son ex-mari un peu plus de deux semaines plus tôt ; Si elle était là suite à cela, ou s'il n’y avait que le hasard. « Qu’est-ce que ça change … pour nous deux ? » Il peinait à exprimer le fond de sa pensée, frustré de sa propre incapacité à retrouver l’aisance avec laquelle il pouvait échanger avec Joanne à une époque. Échanger avec les gens en général, en fait. « Parce que lui aussi, tu l'aimes ... pas vrai ? » Et aux yeux d’Hassan cela dépassait encore l'entendement. Pas qu’elle en aime un autre, pas qu’elle aime le père de son fils, mais qu’elle aime cet homme qui l’avait violenté et pour lequel elle avait versé des larmes ici-même, dans cette maison, en avouant ne pas être aussi heureuse qu’elle l’avait prétendu. Il ne comprenait pas. Mais il savait qu’il ne comprendrait sans doute jamais. « Est-ce que tu es venue ici parce que tu as réfléchi à ce que je t’ai dit la dernière fois ? Ou bien est-ce que c'est un adieu. » Il n’y avait dans sa voix ni accusation ni haine, le ton était au contraire étrangement calme compte tenu de la question qu’il venait de poser … Il avait simplement besoin de savoir. Parce que si ses lèvres mourraient d'envie de murmurer que lui aussi, il n’était pas certain que de l’avouer à voix haute pour s'entendre répondre qu'il ne la reverrait jamais était l'adieu qu'il voulait.
Wake up where the clouds are far behind me where trouble melts like lemon drops, high above the chimney top. that's where you'll find me.
Joanne était déjà nerveuse au possible en arrivant devant la porte d'entrée de son ex-mari et le fait de constater qu'il y avait du monde et qu'elle dérangeait ne faisait qu'accentuer son malaise. Lui restait longuement silencieux, et semblait bien stupéfait de la voir ici, juste devant chez lui. Elle ne se sentait pas vraiment la bienvenue, vu le manque de paroles d'Hassan et la façon dont il la regardait. Elle n'arrivait pas vraiment à décrire l'expression de son visage, mais cela n'avait rien de très positif. Ce n'était lui qui lui allait lui donner plus de courage pour ce qu'elle avait à dire. Et bien que tout semblait laisser croire au contraire, non, apparemment, elle ne dérangeait pas. Alors elle s'était quand même lancée pour lui dire ce qu'elle avait à dire. Elle y allait par petites étapes. Et il n'y avait strictement rien qui changeait le visage de son ex-mari, pas même ses mots d'amour. Sur le coup, Joanne avait eu alors envie de prendre les jambes à son cou tant elle se disait que tout était fichu. Au moins, c'était dit. Pour qu'il ne réponde rien, c'était qu'il n'avait rien à répondre, rien à dire, elle avait bien compris le message. Joanne avait même fait un premier pas en arrière, dans l'intention de retourner ses talons et rentrer chez elle. Mais ils furent interrompus par un total inconnu qui descendait les escaliers de la maison sous le regard quelque peu surpris de la petite blonde. "Bonsoir."souffla-t-elle simplement, la gorge bien trop serrée pour pouvoir parler plus fort. Hassan fit de brèves présentations. Joanne esquissa à peine un sourire et fit un hochement de tête au dénommé Matteo en guise de réponse. Ayant bien compris qu'il dérangeait un peu, il s'occupa rapidement de la petite fille qui se trouvait plus loin avant de filer. Pendant ce temps, Joanne et Hassan se regardaient, parfois à peine. Il ne s'était senti qu'un peu plus à l'aise lorsqu'il salua Matteo et sa fille avant qu'ils ne montent en voiture. Muré dans son silence, Hassan l'invita à entrer dans la maison sans prononcer le moindre mot. Le pas de Joanne était timide. Ses épaules, son dos se crispaient à peine avait-elle mis le pied dans la maison. Elle ne s'y sentait absolument pas –ou plus– la bienvenue. L'air lui semblait être oppressant, quasi irrespirable. Hassan expliqua très brièvement la présence de l'autre homme dans la maison sans entrer dans les détails. Ils se trouvaient face à face, avec tout de même une sacrée distance entre eux deux. Hassan expliquait qu'il ne s'attendait plus à la revoir, pas après une si longue absence de la part de la jeune femme. Et bien qu'il certifiait que ce n'était pas un reproche, sa phrase sonnait tout de même comme tel. Elle se disait que si c'en était pas un, il aurait su terminer la phrase qui voulait lui assurer que ce n'était pas une réprimande. Hassan aurait pu réagir de manière bien différentes, mais elle ne s'attendait certainement pas à ce qu'il lui pose ce genre de questions. Elle ne trouvait même pas quoi répondre et l'envie de fuir ne faisait que s'accentuer. Il n'arrangeait absolument pas la situation en continuant de lui poser des questions, à les enchaîner. Ca lui rappelait beaucoup la dernière fois où elle avait vu Jamie, et elle avait fait tout dégénérer. Elle se mura longuement dans son silence, le regard bas. Elle ne savait pas par où commencer, ni même quoi dire face à tout ce questionnement pourtant bien légitime. Elle ne s'était pas préparée à ça. "Oui, je l'aime lui aussi." souffla-t-elle, tout en continuant de se meurtrir les doigts. "Il a fait énormément de choses pour moi, Hassan. Peut-être que tu ne vois que du mauvais en lui, après ce qui a pu se passer l'année dernière, mais il se bat pour aspirer à une vie meilleure. Il a aussi beaucoup d'amour à donner, et il a besoin d'autant d'affection en retour. Je... Je lui dois énormément, et tout ce que j'ai réussi à faire, c'est l'éloigner de moi en dépit de tous ses efforts. Il ne veut même plus voir son propre fils." C'était ce qu'il y avait de plus déchirant pour Joanne. Plus les secondes passaient, moins Joanne y croyait. Elle se disait que tout ceci ne servait à rien, qu'elle ne mettait que les points finals à ces deux relations. Son coeur était si serré que cela en était douloureux. "Tout ce que je voulais, c'est être sincère, l'être envers tout le monde." Elle haussa les épaules. Joanne avait bien pu constater que les résultats étaient très loin d'être concluants. "Alors... J'en sais rien, de ce que ça change pour nous deux. Je voulais que tu le saches. Je..." Joanne soupira, se disant que tout ceci était particulièrement futile. Elle n'osait pas faire le moindre pas dans la maison, elle n'avait pas bougé d'un poil depuis qu'elle s'était retrouvée à l'intérieur. "Ce ne sont pas des adieux." Elle lui avait pourtant déjà dit qu'elle ne comptait pas le sortir de sa vie. Joanne se demandait s'il y avait encore quelqu'un parmi ses proches qui donnait encore un peu d'importance à ce qu'elle pouvait dire. Apparemment, non. "Mais tu t'es déjà fait à l'idée, c'est bien ce que tu sous-entendais lorsque tu m'as dit que tu ne t'attendais plus à me voir, n'est-ce pas ?" demanda-t-elle en regardant ses doigts. Peut-être que finalement, ce n'était pas une si bonne idée que ça. Il aurait très bien pu avoir déjà quelqu'un dans sa vie, Yasmine peut-être. Peut-être qu'il avait déjà entrepris quelque chose avec quelqu'un d'autre. Peut-être que c'était lui qui les voulait, ces adieux. Son avis aurait très bien pu changer depuis. Joanne se sentait ridicule, bête comme tout et la manière dont elle se tenait le laissait bien deviner. Pendant de longues minutes, elle ne disait plus, elle regardait ses mains tremblantes. Lorsqu'elle relevait ses yeux, ceux-ci étaient bien brillandes, bien humides. "Je t'aime. C'est tout ce que t'as besoin de savoir. Ca ne s'est véritablement jamais éteint." Et Jamie l'avait compris bien avant elle. Elle n'avait pas vraiment autre chose à dire. "Et si tu n'en veux pas, ou plus ou... Ou si tu n'y crois plus après tout ce qui a pu se passer, que tu ne me fasses plus confiance... C'est pas grave. Ton avis a bien pu changer, depuis la dernière fois, et je le comprendrai. Au moins, chacun de nous saura." Elle sentait sa gorge se serrer de plus en plus. Joanne aurait bien aimé lui faire parti également de ce qu'elle pensait de Yasmine, du moins, des sentiments que la belle brune aurait pour Hassan. Il était évident que ce dernier ne fasse plus confiance à Joanne et qu'il n'attachait plus la même valeur à ses mots. C'était du moins la conclusion que Joanne avait faite, peut-être un peu trop rapidement. Tout comme elle s'était rapidement faite à l'idée qu'il n'y aurait plus rien entre eux, après l'accueil et la non-réaction d'Hassan face à ses aveux. Joanne voulait être simplement fixée, tout comme son ex-mari d'ailleurs.
Si l’interlude créé par Matteo avait plongé les deux ex-époux dans un silence un peu gêné, silence qui avait duré jusqu’à ce que le père et sa fille aient quitté la maison pour rejoindre la voiture, l’esprit d’Hassan n’en avait malheureusement pour lui pas profité pour trouver une réponse à la hauteur de l’aveu que venait de faire Joanne, et pour lequel le brun ne doutait pas qu’elle avait tergiversé un long moment pour trouver ses mots. Mais des réponses Hassan n’en avait tout simplement pas, lui n’avait que des questions, des interrogations face aux décisions et aux actions de Joanne, dont on peinait à croire que fut un temps où l’on lisait en elle comme dans un livre ouvert. La blonde était devenue difficile à cerner, transpirant le doute et l’incertitude sans que l’on ne sache plus vraiment ce qu’elle voulait, ce qu’elle attendait. Elle l’aimait, lui, elle l’aimait et tandis que la phrase résonnait dans la tête d’Hassan et diffusait une chaleur agréable au creux de son estomac, sa raison elle savait bien que cela ne pouvait pas être aussi simple, limpide. « Oui, je l’aime lui aussi. » Bien sûr. Parce qu’il y avait toujours un Mais pour venir rouiller un peu plus la machine. « Il a fait énormément de choses pour moi, Hassan. Peut-être que tu ne vois que du mauvais en lui, après ce qui a pu se passer l’année dernière, mais il se bat pour aspirer à une vie meilleure. Il a aussi beaucoup d’amour à donner, et il a besoin d’autant d’affection en retour. Je … je lui dois énormément, et tout ce que j’ai réussi à faire, c’est l’éloigner de moi en dépit de tous ses efforts. Il ne veut même plus voir son propre fils. » Et où était-il au juste, cet amour que le lâche avait parait-il à donner, dans cet évident favoritisme de son égo meurtri face à l’enfant qui n’avait rien demandé ? Qu’y avait-il de noble dans cet apparent chantage confondant couple et famille ? Le brun n’avait rien dit, pourtant, le reproche voilé de Joanne n’étant pas tombé dans l’oreille d’un sourd et le présentant comme l’homme incompréhensif qui ne voyait que du mauvais là où il y avait du bon. Chercher le bon chez les gens Hassan en avait pourtant l’habitude, certains y voyaient même une sorte de naïveté, mais jamais encore l’apollon de Joanne ne s’était montré à lui autrement que comme l’individu égocentrique et belliqueux qui sévissait sans complexe. « Tout ce que je voulais c’est être sincère, l’être envers tout le monde. Alors … J’en sais rien, de ce que ça change pour nous deux. Je voulais que tu le sache, je … Ce ne sont pas des adieux. » Un soupir avait échappé à la belle, comme lassée des questionnements incessants et des incertitudes croissantes de cet homme qui avait un jour été son époux.
Le silence que gardait Hassan n'était que le reflet d'un dépit à ne pouvoir pas dire ce qui le chagrinait vraiment, comme persuadé qu’elle ne comprendrait pas, qu’elle n’accepterait pas. Joanne voyait chaque critique comme un désamour et chaque interrogation comme une évaporation de sentiments, et c’était ce qui rendait si difficile pour le brun de s’ouvrir à nouveau à elle comme il l’avait si souvent fait durant des années. Elle n’était plus celle qui chassait ses doutes, mais devenait celle qui les prenait chaque fois pour elle, particulièrement quand il n’y avait pas lieu. Le silence plutôt que des mots qu’elle ne saurait appréhender, c’était donc tout ce qu’il se sentait capable de lui proposer, et le résultat pourtant n’avait pas été plus glorieux tandis qu’elle concluait avec dépit « Mais tu t’es déjà fait à l’idée, c’est bien ce que tu sous-entendais lorsque tu m’as dit que tu ne t’attendais plus à me voir, n’est-ce pas ? » et baissait les yeux comme tout autant résignée que lui à qui elle le reprochait. Soupirant à son tour, il avait secoué la tête avec tristesse, la voix rien de plus qu’un murmure tant la gorge se serrait « Je pensais simplement pas que décider si je méritais encore de faire partie de ta vie ou non serait un choix si difficile à faire … » Mais peut-être surestimait-il un peu trop ce qu’il valait toujours à ses yeux, auquel cas il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Pourtant elle disait avoir pardonné, mais les actes eux ne concordaient pas et laissaient penser le contraire. Qu’était-il supposé en conclure, lui ? Qu’elle était là sans conviction, ou peut-être même par dépit ? Parce qu’au fond ce bon vieux Hassan vaudrait toujours mieux que la solitude qui l’attendait sans son Jamie. Ça semblait tellement cruel. « Je t’aime. C’est tout ce que t’as besoin de savoir. Ça ne s’est véritablement jamais éteint. » C’était loin d’être tout ce qu’il avait besoin de savoir en réalité. Un « Je t’aime » se suffisait à lui-même lorsqu’une relation était encore vierge de toute embûche et de tout échec, mais il se heurtait forcément aux cicatrices provoquées par un divorce tel que le leur, et soudainement un « Je t’aime » n’était plus que le sommet d’un iceberg où d’autres notions devenaient indispensables. Confiance, pardon, droit à l’oubli ou à la seconde chance … Alors non, ce n’était pas tout ce qu’Hassan avait besoin de savoir, quoi que la blonde en dise. « Et si tu n’en veux pas, ou plus ou … Ou si tu n’y crois plus après tout ce qui a pu se passer, que tu ne me fasse plus confiance … C’est pas grave. Ton avis a bien pu changer, depuis la dernière fois, et je le comprendrai. Au moins, chacun de nous saura. » A la façon qu’elle avait sans cesse de remettre en doute ses convictions Hassan se demandait parfois si ce n’était pas simplement ce qu’elle espérait lui entendre dire. Comme pour se donner bonne conscience en n’étant pas celle qui gâchait tout cette seconde fois. « Joanne, ça fait treize ans que mon avis n’a pas changé. » avait-il malgré tout fait remarquer avec un brin de résignation, bien que persuadé parfois que ce serait plus simple pour eux deux, si tel était le cas. L’ironie était là, belle et cruelle, s’il avait réussi à trouver comment la quitter il n’avait jamais réussi à trouver comment ne plus l’aimer.
Mais cela ne réglait pas le souci. Elle l’aimait, certes. Il l’aimait, toujours. Mais elle en aimait un autre, aussi, et cela changeait totalement la donne et balançait toujours au-dessus de sa tête cette épée de Damoclès, parce qu’Hassan savait bien que le combat n’était pas égal. Avançant finalement de quelques pas dans la direction de la blonde, il s’était armé de courage pour ce qu’il s’apprêtait à dire « Et c’est pas grave, si tu as mis du temps ou si tu as hésité avant de venir, parce que je sais que je suis pas … je suis plus ce gars-là, celui que tu as épousé. J’ai plus grand-chose à offrir, je peux plus être assez optimiste pour deux comme je savais le faire avant, je peux plus être celui avec qui on fonderait une famille … je peux même pas promettre que je ne serai pas nouveau au fond d’un lit d’hôpital dans huit mois. Ça ne fait pas rêver, je le sais, et je sais que tu peux pas m’aimer comme tu le faisais avant … » Peut-être l’aimait-elle au rabais … Peut-être était-ce ainsi qu’elle parvenait à aimer deux hommes, en les aimant tous les deux un peu moins que s’ils avaient été seuls à occuper son cœur. « Mais je veux pas non plus être celui que tu aimes à mi-temps seulement quand Jamie n’a pas envie de te voir. Et je sais que tu détestes ça, faire des choix, mais tu pourras pas te défiler de celui-là indéfiniment … C'est de ça que je parlais, la dernière fois. C’est pas juste, ni pour toi, ni pour moi. C’est même pas juste pour lui, pour ce que j’en ai à faire. » C’est-à-dire pas grand-chose, en définitive, le brun essayait simplement de faire preuve d’un minimum nécessaire d’objectivité. « Tu es venue, et c’est pas parce que j’avais fini par me persuader du contraire que je suis pas heureux que tu l’aies fait … et si ce dont tu as besoin c’est d’entendre que moi aussi je t’aime alors moi aussi. Je t’aime, Joanne. » Il ne connaissait plus que cette version-là de lui-même, celle qui aimait Joanne, il n’était pas certain d’être capable d’en être une autre, ou même d’être un jour prêt à vouloir l’être. « Mais c’est à toi de décider ce que tu veux en faire. » Parce qu’elle ne décidait toujours pas. En nuançant le fait qu’elle l’aimait en avouant qu’elle en aimait aussi un autre, elle ne changeait rien au surplace sur son indécision leur faisait faire à tous les deux depuis des semaines, des mois … Elle devait prendre une décision, quelle qu’elle soit. Commencer, peut-être, par énoncer clairement ce qu’elle attendait de lui en venant frapper à sa porte ce soir.
Wake up where the clouds are far behind me where trouble melts like lemon drops, high above the chimney top. that's where you'll find me.
Bien sûr que ça ne plaisait à personne, d'entendre une femme dire qu'elle aimait deux hommes. Joanne était à ce stade totalement incapable de pouvoir dire si elle avait plus de sentiments pour l'un ou pour l'autre. Elle avait bien vu le mécontentement dans le regard d'Hassan lorsqu'elle avait admis qu'elle l’aimait aussi toujours. Peu de personnes pouvaient comprendre la dévotion qu'elle pouvait encore avoir pour Jamie malgré tout. Tout le monde s'arrêtait à ce que l'on racontait dans les journaux si bien que l'on ne prenait plus au sérieux les paroles de l'Anglais, ni de son ex-compagne d'ailleurs. Elle pouvait comprendre que son ex-mari ne voit rien de bon en Jamie. La petite blonde préférait abandonner toute sa justification parce qu'il n'y avait certainement rien qui puisse convaincre Hassan d'une quelconque manière. Et dire qu'il y avait eu cette longue période où ils se faisaient confiance sans jamais émettre le moindre doute, à se comprendre quasi parfaitement et que la moindre tension dans leur couple les incitait à se pardonner dans la seconde qui suivaient leurs discordes, qui étaient tout de même assez rares. Dépitée, elle ne répondait qu’aux questions qu'il pouvait lui poser sans jamais répondre à la principale et c'était bien ça qui posait problème. Faire un choix. Cela n'avait jamais été son fort, on ne l'y avait jamais confronté depuis son enfance, parce que tout le monde décidait pour elle. Dès qu'elle avait mis le pied à Brisbane, c'était une autre paire de manches, quoiqu'elle avait très rapidement rencontré Sophia et Hassan, qui avaient pris le relais, mais qui préféraient avoir l'avis de Joanne, même si c'était bien flou – contrairement à ses parents, Reever ou Adele. Aucun des deux ex-époux ne savait sur quel pied danser depuis qu'ils s'étaient retrouvés. Ils ne se comprenaient plus et chaque rencontre était particulièrement douloureuse. L'affection était là, les sentiments aussi, et pourtant. Joanne avait l'impression que quelque chose manquait. Ils avaient changé tous les deux de leurs côtés après le divorce et il semblerait qu'ils aient perdu quelque chose en route. Hassan s'était fait à l'idée qu'elle ne reviendrait pas et Joanne avait bien soulevé ce détail qu'elle pouvait comprendre, mais qui était particulièrement blessant. "C'est... C'est pas ça. Je te l'ai déjà dit, je n'ai pas envie que tu ressortes de ma vie." répondit-elle. Elle le lui avait dit, et répété, encore et encore. A ce moment précis, Joanne était blessée qu'il ne veuille apparemment plus porter le moindre crédit à ses paroles. La problématique n'était pas là. La petite blonde baissa les yeux et passait une main sur son visage, espérant rattraper contenance et éviter tout nouveau flot de larmes. Pour lui, ses sentiments ne s'étaient pas éteints durant ces treize dernières années, pas une seule fois depuis qu'ils avaient posé le regard sur l'un l'autre la première fois à l'université, alors qu'elle venait tout juste de débarquer de Perth. Elle avait l'impression qu'une vie entière s'était écoulée depuis ce temps là. Joanne avait la bouche pâteuse, les simples déglutitions de salive devenaient douloureuses et elle était prise d'une de ces appréhensions inexplicables lorsqu'il avançait de quelques pas en sa direction. Et là, Hassan se présentait comme il était actuellement et montrait un bien sombre tableau de ce que la vie serait à ses côtés. Pas de famille à envisager, une possible rechute de son cancer, beaucoup moins d'optimisme. C'était une réalité dont Joanne n'avait pas préféré songé jusqu'ici mais Hassan semblait vouloir qu'elle arrête de se voiler la face et surtout qu'elle se décide. Il la connaissait, il savait bien combien cette épreuve était particulièrement difficile pour elle, c'était bien une chose qui n'avait pas changé dans son tempérament depuis. Et s'il savait tant qu'elle ne l'aimerait pas comme autrefois, comment concevait-il leur lendemain ? Quelques questions effleurèrent l'esprit de Joanne alors qu'elle l'écoutait avec attention. Il était curieux de noter que Jamie et Hassan pensaient chacun être la troisième roue du carrosse, celui qui n'allait jamais surpasser l'autre dans le coeur de Joanne. Un fait dont Joanne ignorait totalement l'existence. Encore plus curieux que ce soit en fait Hassan, et non Jamie, qui avait exprimé en premier sa volonté, que Joanne fasse un choix. La petite blonde s'était tellement persuadée qu'être honnête avec les deux bruns l'aideraient à avancer, mais il n'en était rien. A vrai dire, elle avait l'impression qu'avoir tout dit la forçait à être devant le fait accompli, et donc, enfin, d'être véritablement face au choix qu'elle devait faire. Elle avait brièvement regardé Hassan avant de fuir son regard. Il était impossible de décrire le poids du silence qui suivait. Elle savait qu'il attendait une réponse et elle prenait le temps de réfléchir. Elle avait l'impression que ses jambes n'étaient que du coton et qu'elle allait s'effondrer au moindre coup de vent. S'asseoir aurait été la meilleure solution mais Joanne ne se sentait pas vraiment la bienvenue ici et elle ne se permettrait pas de s'installer où que ce soit si on ne l'y invitait pas. Quelques larmes avaient coulé le long de ses joues, le long de sa réflexion, mais Joanne avait un don particulier pour pleurer dans le plus grand des silences lorsqu'elle le voulait. "Tu sais pourquoi je n'arrive pas vraiment à me décider ?" lui demanda-t-elle tout bas, en osant enfin à nouveau le regarder dans les yeux, bien que ce ne fut que pour quelques secondes. Bien sûr que non, il ne savait pas. Quoi que s'il la connaissait suffisamment, il pouvait en avoir une esquisse. "C'est parce que... Je t'ai toujours connu comme étant mon... amoureux, disons. Que même avant que nous sortions ensemble, je savais que je voulais être avec toi. Qu'à peine débarqué dans le campus, alors que mes parents finissaient de régler des trucs administratifs au secrétariat, je t'avais aperçu de loin. Tu ne m'as avais pas adressé un regard, mais moi je t'avais vu. Et je pense qu'à partir de ce moment là, j'ai su. La grande romantique que je suis se plaît à croire que c'était un véritable coup de foudre." dit-elle en esquissant un sourire, nostalgique de cet instant. "Ce que je veux dire, Hassan, c'est que... Il n'y a pas eu un seul moment moment où nous n'étions qu'amis. A ce moment là, nous nous aimions et nous étions aussi les meilleurs amis, en quelque sorte. Et... Et dans ma tête, en ce qui te concerne, c'est juste devenu indissociable." Hassan avait toujours été les deux à la fois durant ces dix années de vie commune. "Je te l'ai dit tout à l'heure, je te l'ai dit plein de fois, je veux pas que tu sortes de ma vie." reprit-elle. "Et... Et j'ai juste l'impression que le seul moyen pour que ce soit le cas, c'est qu'on soit ensemble. Parce que je ne sais que t'aimer, Hassan, je sais rien faire d'autre lorsqu'il s'agit de toi. J'arrête pas de me demander si on arriverait à être amis, malgré nos sentiments pour l'un l'autre." Ses yeux se couvraient d'une fine couche de larmes, les rendant particulièrement brillant. "Et que... même si on s'aime tous les deux, j'ai... Je me dis que si tu sais que je ne pourrais pas t'aimer comme je le faisais avant, qui te dit que cette nouvelle version de moi va te convenir ? Je ne voudrais pas être une source de déception pour toi, une nouvelle fois." Les sentiments y étaient, mais pouvaient-ils encore se convenir pour l'un l'autre ? Joanne ne l'accusait ou ne lui reprochait absolument rien, c'était une interrogation. Elle se demandait peu à peu si tenter une relation amoureuse avec lui n'était pas synonyme de foncer la tête droit dans le mur. Joanne baissait les yeux, et se rendait compte à ce moment là à quel point elle se faisait mal aux doigts en jouant nerveusement avec. "Je... Je pensais que tu étais guéri." souffla-t-elle tout bas après quelques minutes de réflexion. Hassan n’avait jusqu’ici jamais parlé de quel type de cancer il s’agissait, il ne lui avait jamais parlé de leucémie. Elle pensait qu’il s’agissait d’une tumeur dont il avait pu se débarrasser à l’aide d’une chirurgie et de séances de chimiothérapie. Elle ignorait que c’était bien plus complexe que cela. "De ton cancer, je veux dire. Je pensais pas que... Après tout ce temps, ça pourrait revenir." Savoir désormais qu'il pouvait récidiver générait une importante angoisse auprès de la jeune femme. Elle plaçait une main de sa bouche, horrifiée à cette idée. Que malgré tout ce qu’il avait pu traverser, il avait toujours une épée de Damoclès juste au-dessus de sa tête, prête à l’écraser à n’importe quel moment, certainement au moment où on pouvait s’y attendre le moins. “… Quand j’ai appris que Nanny était partie, je… Enfin c’est à ce moment là que j’ai compris pourquoi tu avais préféré divorcer plus que de me faire vivre tout ça à tes côtés. Elle le savait depuis des mois, mais elle ne me l’avait dit que lorsqu’elle n’arrivait même plus à se lever de son lit. Elle savait que si elle m’en avait parlée plus tôt, j’aurais… arrêté de vivre en quelque sorte pour rester auprès d’elle et la fin aurait été d’autant plus difficile. Et la suite aussi.” Parler de sa grand-mère était encore un sujet sensible. Cela ne faisait même pas un an qu’elle était décédée, après tout. “Elle me connaissait bien plus que je me connaissais moi. Je suppose que c’était un peu pareil pour toi.” dit-elle, en forçant un sourire. Elle n'avait pour l'heure pas réussi à parler des raisons de son divorce à son psychologue. Forcément, Joanne eut soudainement peur que l'histoire ne fasse que se répéter, au final. Encore un long silence. Elle regardait ses mains, songeuses.Ils tremblaient. "Je...Je sais pas ce que je pourrais t’apporter de plus… Enfin, je veux dire, je suis pas débordante d’optimisme non plus. Je ne l’ai jamais vraiment été, je crois. Il y a des personnes bien plus qualifiées que moi pour ça dans ton entourage proche." Avant que tout ne s'ébranle, Joanne était beaucoup plus joyeuse. Dès qu'une situation la dépassait, elle avait du mal à voir le verre à moitié plein, mais elle avait toujours cru aux valeurs des autres et se montraient toujours plus douée pour encourager Hassan plutôt que de trouver du bon en elle. Joanne s'attendait à ce que ce soit plutôt Jamie, qui lui impose un choix dans un temps imparti. Mais contre toute attente, c'était son ex-mari qui l'avait imposé et il ne manquait pas de le lui rappeler. Il n'avait peut-être pas idée du poids que ça lui mettait sur les épaules. Il la connaissait bien, et savait qu'elle avait cette incapacité à prendre décisions et il lui demandait malgré tout d'en prendre une. Pour lui, pour Jamie, pour elle. Autant dire qu'elle avait un comportement particulièrement lâche. Son coeur était si serré dans sa poitrine que cela en était douloureux. Elle sanglotait toujours. Ce n'était pas parce que l'on entendait aucun gémissement de sa bouche que ses joues n'étaient pas inondées de larmes. "Si tu retombes malade... alors quoi ?" lui demanda-t-elle après quelques minutes de réflexion en ayant torturé ses propres doigts par nervosité. "Tu me demanderas une nouvelle fois de partir ? Tu voudras voir si je tiens le coup ou pas cette fois-ci ?" Elle levait ses yeux bordés de larmes vers lui. Ces questions la perturbaient beaucoup parce que l'idée que le schéma se réitère une nouvelle fois la terrifiait au possible. Elle ne se voyait pas engager une quelconque relation avec lui si c'était pour que ça se termine de la même façon. Hassan venait de dresser un tableau particulièrement négatif de ce qu'il était désormais, et il savait que certains points allaient particulièrement toucher Joanne, surtout cette histoire de famille. La famille qu’ils auraient pu fonder ensemble. La famille qu’elle avait actuellement. Parce qu'il fallait qu'elle y pense aussi. Jamais elle ne mettrait Daniel un peu plus en retrait, il était sa première priorité dans sa vie et elle craignait que la situation qui s'annonçait fort bancale ne lui soit délétère. Daniel et elle étaient indissociables et elle se demandait si Hassan avait à un moment donné pensé à lui. "Avec tout ce que tu me dis, j'ai l'impression que tu t'es fait une idée de mes sentiments pour toi. Et je voudrais juste savoir... pourquoi. Pourquoi est-ce que tu t'accroches tant à moi malgré.... tout ce qui a pu se passer ? Depuis qu'on se revoit, je n'ai pas vraiment eu un comportement exemplaire envers toi. A vrai dire, je pense que je devrais être particulièrement détestable. Tu as vu à quel point j'ai changé, parce que je suis plus cette fille-là non plus. Il ne doit pas y rester grand chose d'ailleurs. Et tu dis toi-même que je ne pourrais pas t'aimer comme je pouvais le faire alors... Il reste quoi ?" lui demanda-t-elle, en larmes. Son ton laissait deviner qu'elle cherchait qu'à le comprendre. "Qu'est-ce que je t'ai apporté depuis qu'on se revoit, Hassan ? Cite-moi une seule chose bien, une seule. Parce que moi, j'ai l'impression de ne t'avoir apporté que... l'annonce de ma fausse-couche, de ce bébé que nous aurions pu avoir, et après ça... un enchaînement de déception, et d'incompréhension. J'ai un fils dont tu détestes le père, un esprit qui déraille totalement depuis quelques temps si bien que j'ai besoin d'une psychothérapie sur le très long terme rien que pour rester dans les rails, le peu de décisions que je prends fait tourner ma vie en fiasco alors..." Et ce n'était facile ni pour lui, ni pour elle. "Qu'est-ce que tu me trouves, encore ? Là, maintenant, qu'est-ce qui fait que tu m'aimes encore, que tu veuilles toujours envisager quelque chose avec moi ?" lui demanda-t-elle. C'était peut-être beaucoup demandé. Ce que Joanne craignait, c'était qu'ils se fassent tous les deux avoir en espérant raviver la flamme de leur relation passée, d'y retrouver ne serait-ce qu'un soupçon qui leur permettrait de voir de plus beaux jours arriver. Elle ne voulait pas qu'ils s'accrochent ensemble à leurs propres fantômes. Elle répondait également à sa propre question, avant même qu'il ne songe à la lui retourner. "Moi, je t'aime parce que... tu restes très attirant à mes yeux. Que quand je te vois, j'ai mon coeur qui bat toujours à mille à l'heure. Ca me rappelle forcément plein de souvenirs, mais aussi de nouvelles choses. Comme par exemple, je ne peux pas cesser de t'admirer pour la force et le courage dont tu as fait preuve pour surmonter ta maladie, et j'aime toujours autant te voir bricoler, entre autres. Et à chaque fois que j'arrive à t'arracher un sourire depuis qu'on se revoit est pour moi comme une victoire, même si c'est pas arrivé souvent. Et... Et je ferai n'importe quoi pour en être à nouveau capable, mais je pense que je n'ai pas ou plus les outils nécessaires pour ça." C'était devenu un tâche bien difficile pour elle alors qu'elle avait énormément d'aisance auparavant. "Je sais que c'est pas ton genre, mais... Mais pour le coup, tu dois forcément avoir des attentes, non ?" supposa-t-elle, alors bien songeuse. Joanne eut ensuite un moment d'absence. Impossible pour elle de ne pas penser aux éventuelles conséquences, et avant tout à la réaction de leur entourage. Daniel n'y comprendrait rien, Jamie ne voudrait rien savoir, Yasmine serait certainement furieuse. Elle ne préférait pas poursuivre son listing, cela n'annonçait rien de positif. Forcément, Joanne repensait à sa conversation avec la belle brune, et la conclusion qu'elle en avait tiré. "Est-ce que... Tu as conscience qu'il y ait quelqu'un d'autre qui est amoureux de toi ?" demanda-t-elle après de très longues minutes de réflexion, avec un certain détachement. La question était venue comme un cheveu sur la soupe, mais ce n’était que le résultat de sa longue réflexion. Plus les jours passaient, plus elle était certaine de ce qu'elle avançait. Une fois qu'elle avait connu l'amour, grâce à Hassan, Joanne s'était montrée particulièrement douée pour repérer ce sentiment chez les autres – don qui avait disparu en même temps que beaucoup d'autres choses depuis son divorce.
De plus en plus Hassan se laissait gagner par l’impression que Joanne, à défaut de se méprendre sur les problèmes qu’il tentait de soulever et les questions qu’il voulait poser, répondait à côté pour ne pas avoir à se mettre en abîme, pour ne pas avoir à formuler des réponses qu’elle ne voulait pas assumer. Plus que d’en être agacé le brun s’en sentait blessé, parce que rempli de l’impression qu’il se mettait en danger bien plus qu’elle, prêt à jouer l’avenir de la relation qui les liait à quitte ou double pourvu que cela les mène à une solution, quand elle préférait continuer de se cacher derrière son apparente indécision, et les faux-semblants qui allaient avec. Lasse, elle avait répété « C’est pas ça. Je te l’ai déjà dit, je n’ai pas envie que tu ressortes de ma vie. » comme persuadée que c’était ce dont il doutait, alors même qu’il venait d’admettre que le problème était ailleurs. Le problème c’est qu’elle avait mis un mois et demi à s’en rendre compte, un mois et demi à se demander s’il valait la peine, s’il méritait, si elle avait véritablement envie de faire l’effort de le revoir. C’était ce mois et demi qui faisait mal, parce qu’à peine le brun avait-il tourné les talons lorsqu’il l’avait quittée qu’il savait, lui, déjà ce qu’il voulait. Il voulait que cette discussion ne soit pas la dernière. Elle ne l’avait pas été, mais il avait eu mille fois le temps de se persuader du contraire durant les six semaines qui avaient suivi … C’était une demi-victoire, en demi-teinte, et pourtant la blonde semblait s’étonner – s’offusquer, presque – de ne pas le voir arborer une mine réjouie. On ne se réjouissait pas d’être le lot de consolation qu’elle se décidait à venir voir parce que les choses avaient semble-t-il pris l’eau avec son choix initial. C’était dans ces moments-là que continuer d’aimer Joanne faisait si mal, quand après avoir été pendant aussi longtemps celui qu’elle avait aimé de tout son cœur il ne semblait plus être aujourd’hui que celui qu’elle aimait par nostalgie ou par habitude, laissant l’amour véritable pour un autre. Mais Hassan n’était pas dupe, il savait que de Joanne ou d’une autre il ne pourrait plus rien espérer d’autre que cela, parce qu’il ne serait jamais plus que ce mec à la santé incertaine, à l’optimisme ravagé et sur qui on ne pouvait pas compter pour fonder une famille … Bien sûr qu’il était un second choix. Pour Joanne, pour n’importe qui d’autre, il n’était plus que la version cabossée de lui-même et on ne pourrait jamais plus l’aimer autrement que comme ça, un gars cabossé. Le peu d’estime que la maladie et la dépression n’avaient pas réduit en miettes, le brun était maladroitement parvenu à le rassembler pour imposer à Joanne le choix qu’elle rechignait tant à faire. Celui sans lequel elle, lui, et même celui qui avait pris sa place continueraient de tourner en rond sans trouver la sortie du labyrinthe. L’idée d’être devenu celui avec qui on restait parce que ce n’était « pas si mal » il se disait qu’il parviendrait sans doute à s’y faire un jour, peut-être, mais la laisser se complaire dans sa volonté d’avoir le beurre et l’argent du beurre en naviguant entre deux eaux, deux hommes ? Ça il s’y refusait, même s’il devait être le grand perdant de cette mascarade. « Tu sais pourquoi je n’arrive pas vraiment à me décider ? » Le regard qui avait migré à nouveau vers le sol s’était relevé avec une curiosité mesurée. Il avait écouté sans interrompre, entendu les questionnements, les souvenirs, et cette difficulté qu’elle semblait avoir à dissocier toutes les facettes de leur relation, à faire la part des choses. « Tu parles de nous comme si c’était une fatalité. » C’était une constatation, triste. A nouveau elle changeait d’avis, et « être ensemble » devenait subitement l’inconvénient de la situation. Elle était là, elle faisait croire qu’elle savait ce qu’elle voulait, mais en réalité elle n’en avait aucune idée. « Même si on s’aime tous les deux, j’ai … Je me dis que si tu sais que je ne pourrai jamais t’aimer comme je le faisais avant, qui te dit que cette nouvelle version de moi va te convenir ? Je ne voudrais pas être une source de déception pour toi, une nouvelle fois. » L’ironie résidait dans le fait que Joanne semblait penser que déception il n’y aurait pas si elle se contentait de se soustraire sans cesse aux choix qui se présentaient à elle. Elle serait pourtant là, la déception, attachée à l’idée qu’à force d’indécision elle finirait par tout gâcher, définitivement. « Rien ne me le dit. » avait-il finalement soufflé, en réponse à sa question. « Et toi non plus, rien ne te le garantie … Mais c’était pas le cas non plus, la première fois, et je me rappelle pas que ça ait été un obstacle insurmontable. » Et pourtant c’était une décennie de souvenirs heureux qui n’auraient jamais existé si elle s’en était tenue à un « peut-être que ça ne va pas fonctionner » … C’était le principe d’une prise de décision. Se jeter à l’eau, prendre un risque, et elle était naïve d’encore croire qu’elle pourrait y échapper.
S’éloignant à nouveau de Joanne avec lenteur, ses pas le menant jusqu’au pied de l’escalier, Hassan s’était assis sur la dernière marche avec l’impression qu’un poids immense appuyait sur ses épaules. Une paire de mains invisibles dont les doigts s’enfonçaient au-dessus de la clavicule pour l’écraser et tenter de lui faire perdre pied. « Je … Je pensais que tu étais guéri. De ton cancer, je veux dire. Je pensais pas que … Après tout ce temps, ça pourrait revenir. » Il n’avait rien répondu, se contentant d’un regard chargé de fatalisme. Il s’en souvenait comme si c’était hier, pourtant, de leur discussion sur la plage : de lui, la main se refermant sur une poignée de sable qui déjà cherchait à s’échapper entre ses doigts pendant qu’il avouait cette même vérité, l’année précédente. Il n’était pas guéri, et l’épée de Damoclès était toujours là, menaçante. Peu importe que Joanne ait oublié, ou simplement conclu qu’une année et demi supplémentaire aurait fait la différence ; Il n’était pas guéri. « Je n’ai jamais dit que j’étais guéri. » avait-il d’ailleurs fait remarquer la gorge serrée, détournant à nouveau le regard. « Ça se compte en années, pour qu’une rémission soit considérée comme une guérison. » Et pour le moment il en était encore loin. Pour le moment il continuait d’avoir la boule au ventre chaque fois qu’il recevait un courrier contenant des résultats d’analyse. « Quand j’ai appris que Nanny était partie, je … Enfin c’est à ce moment-là que j’ai compris pourquoi tu avais préféré divorcer plutôt que de me faire vivre tout ça à tes côtés. » Les yeux rivés sur le parquet le brun avait fini par plonger sa tête dans ses mains sans chercher à interrompre la jeune femme, ses paroles réveillant chez Hassan le douloureux souvenir de sa prise de décision, mais aussi la pointe de culpabilité en repensant à la dernière lettre de la grand-mère de Joanne, encore cachetée, jamais ouverte et rangée entre deux livres de sa bibliothèque. « Elle me connaissait bien plus que je me connaissais moi. Je suppose que c’était un peu pareil pour toi. » Elle avait tenté un sourire qu’il n’avait pas été capable de lui rendre, plus capable désormais de savoir ce qui était un compliment et ce qui était un reproche dans la bouche de Joanne tant elle oscillait de l’un à l’autre depuis qu’il lui avait ouvert la porte. « Je … Je sais pas ce que je pourrais t’apporter de plus … Enfin, je veux dire, je suis pas débordante d’optimisme non plus. Je ne l’ai jamais vraiment été, je crois. Il y a des personnes bien plus qualifiées que moi pour ça dans ton entourage proche. » Sans doute. « Mais c’est de toi dont je suis tombé amoureux, Joanne. » Est-ce que ce n’était pas une raison suffisante ? A une époque cela l’aurait été. Le silence s’était abattu de nouveau comme si la réponse ne signifiait rien, et sans qu’Hassan n’ait la force ou l’envie de se battre contre les moulins à vent de l’immobilisme de Joanne. Il commençait à comprendre qu’à lui seul il n’avait plus le pouvoir – l’avait-il eu un jour ? – de lui faire entendre raison, et qu’il n’avait plus d’autre choix que de prier que tout cela n’arrive pas trop tard pour lui. Pour eux. « Si tu retombes malade … alors quoi ? » La question avait provoqué un frisson avant qu’il ne relève les yeux et ne croisent ceux de Joanne, débordant de larmes. « Tu me demanderas une nouvelle fois de partir ? Tu voudras voir si je tiens le coup ou pas cette fois-ci ? » D’une voix blanche il s’était entendu demander « Tu resterais ? » son regard soutenant penaudement celui de la jeune femme. « En sachant ce que tu sais maintenant, en sachant que si ça devait arriver j’aurais peut-être pas autant de chance une seconde fois … Tu resterais ? » Sa gorge s’était serrée parce qu’il savait que c’était en demander beaucoup, que c’était quelque chose que peu de gens étaient prêts à faire … Zachariah était la preuve la plus parlante du fait que tout le monde n’avait pas les épaules assez larges, ou la loyauté assez grande. « Te sens pas obligée de répondre … » s’était-il finalement repris un peu à la va-vite. « Pour le moment la question ne se pose pas, je continue de toucher du bois. » Espérant détendre momentanément l’atmosphère il avait esquissé un sourire malgré son regard maintenant lui aussi un peu embué, et appuyé ses dire en tapotant le bois de la rampe d’escalier du plat de la main.
Il voyait bien pourtant que l’éventualité venait de réveiller chez elle une crainte endormie, une angoisse qu’elle avait peut-être calmée en oubliant plus ou moins volontairement que cette épée de Damoclès qui pendait au-dessus de sa tête il lui en avait déjà vaguement parlé à demi-mots, à l’époque encore retenu par le bonheur qu’elle semblait afficher fièrement sans lui et qui la faisait se soucier bien trop peu de ce qu’il advenait – ou adviendrait – de lui. Un nouveau pas en arrière. Et finalement après un seul pas en avant lorsqu’elle avait frappé à sa porte puis plusieurs pas en arrière à mesure que la discussion avançait et qu’elle remettait en question tout ce qu’elle avait commencé par dire, il avait l’impression de la voir plus éloignée encore qu’avant toute cette histoire … Mais je n’ai pas envie que tu sortes de ma vie, lui assurait-elle pourtant, sans qu’il ne sache plus à qui ou à quoi se fier. « Avec tout ce que tu me dis, j’ai l’impression que tu t’es fait une idée de mes sentiments pour toi. Et je voudrais juste savoir … pourquoi. » avait-elle finalement repris sans avoir pu sécher ses larmes, et en se méprenant visiblement sur sa capacité à extrapoler puisqu’à l’inverse … Il n’avait plus aucune idée de quels étaient les sentiments de Joanne à son égard. Il les avait cru réciproques aux siens l’espace d’une fraction de secondes, lorsque son « Je t’aime » était venu loger un brin de chaleur au creux de son estomac, avant de comprendre qu’il n’en était probablement rien et qu’il se fourvoyait. « Qu’est-ce que je t’ai apporté depuis qu’on se revoit, Hassan ? Cite-moi une seule chose bien, une seule. » Elle continuait, énumérait toutes les déceptions, toutes les sorties de route, et ne résumait qu’à cela l’année qui venait de s’écouler entre eux. « Qu’est-ce que tu me trouves, encore ? Là, maintenant, qu’est-ce qui fait que tu m’aimes encore, que tu veuilles toujours envisager quelque chose avec moi ? » Cherchant la meilleure manière de répondre à cette question il s’était laissé devancer lorsqu’elle s’était prêtée réciproquement à l’exercice, tour à tour troublé, touché, mais aussi presque intimidé tandis qu’il l’écoutait énumérer des détails qu’une autre aurait passé sous silence, ou même pas remarqué. « Je sais que c’est pas ton genre, mais … Mais pour le coup, tu dois forcément avoir des attentes, non ? » Ouvrant une première fois la bouche sans qu’aucun son n’en sorte, Hasan semblait hésiter sur les mots à utiliser mais avait finalement admis « J’ai juste … envie d’avancer. Pas forcément de savoir où je vais, mais je veux pas continuer de stagner, c’est en train de me rendre dingue. Et je préfèrerais que ce soit avec toi … J’ai envie que ce soit avec toi, mais pas si ça te donne l’impression de t’enchaîner à un boulet. Pas si l’idée que je puisse retomber malade est trop difficile à porter pour toi. » C’était sa peur en répétant cette réalité, que Joanne soudainement ne s’arrête qu’à cela, et ne le voit plus que comme une bombe à retardement. C’était sa principale angoisse, mais il n’avait plus le droit de lui cacher quelque chose d’aussi gros. « Zach n’a pas pu, lui … » avait-il finalement avoué à voix basse, presque avec honte. « Et je lui en ai longtemps voulu, parce que j’ai pas voulu compter sur beaucoup de personnes, mais sur lui je pensais vraiment compter, et finalement … » Finalement il s’était trompé, l’homme dont la femme avait pourtant traversé un cancer n’avait pas eu le courage suffisant pour regarder en face celui d’Hassan. Ou pas jugé qu’Hassan en valait la peine. « Mais maintenant je me dis qu’il a eu l’honnêteté de le faire dès le début. Je sais pas si j’aurais réussi à encaisser s’il s’était évaporé plus tard, quand ça a vraiment … dégénéré. » Il était certain que non, qu’à cet instant-là l’abandon de Zach aurait été le genre de goutte d’eau à vous faire lâcher prise. Un instant pensif, il avait réalisé que la question initiale de Joanne, elle, était restée en suspens, et relevant les yeux vers elle il avait pincé ses lèvres avec hésitation « Quant à savoir pourquoi je t’aime, pourquoi je continue de t’aimer en dépit de tout ce que tu viens d’énumérer et qui aurait supposément du me faire changer d’avis … J’ai jamais été aussi malheureux que ces trois dernières années, Joanne. Que depuis que tu ne fais plus partie de ma vie. Et je continue d’avoir envie d’appuyer sur ton nom quand je tombe dessus dans mon répertoire juste pour entendre ta voix, je continue d’avoir envie de sourire bêtement quand je te regarde froncer les sourcils et jouer avec une mèche de tes cheveux parce que tu es concentrée sur quelque chose et que ça a toujours eu un côté profondément adorable. Je continue de passer devant une boutique dans la rue, une affiche de film en attendant le tramway ou un livre à la bibliothèque en me disant que ça te plairait et je donnerai cher pour pouvoir te le montrer, ou t’y emmener. Je continue d’avoir d’avoir le cœur qui s’emballe quand tu m’offres un début de sourire … T’es toujours là, dans un coin de ma tête. » Ne prenant artificiellement pas toute la place parce qu’il continuait d’essayer de se raisonner. Ou de se faire une raison, au choix. « Et tu … T’es aussi la seule qui a vraiment essayé de comprendre pourquoi j’en étais arrivé à tenter de me tuer. Pas en me reprochant mon égoïsme ou en me noyant de reproches. T’as juste voulu comprendre. » La gorge trop serrée pour ajouter quoi que ce soit d’autre, il s’était arrêté là et avait pincé ses lèvres l’une contre l’autre avec fébrilité. Parfois il avait l’impression d’aller mieux, d’avoir fait des progrès, et parfois comme aujourd’hui il voyait comme parler de cet épisode continuait d’être difficile et il savait qu’il n’allait pas encore mieux.
Les épaules basses, comme vidé de son énergie, Hassan avait senti un frisson le parcourir pourtant lorsque sans crier gare Joanne avait repris « Est-ce que … Tu as conscience qu’il y a quelqu’un d’autre qui est amoureux de toi ? » La question raisonnant dans son esprit sans sembler trouver un point d’ancrage durant plusieurs secondes, le brun s’était senti secouer vaguement la tête avec incompréhension, l’angoisse pinçant son plexus tandis que son esprit tentait maladroitement de refouler tout au fond de son crâne les mots échangés avec Priam quelques semaines plus tôt et auxquelles il s’était obligé à ne pas prêter le moindre sérieux. Mais cela n’avait ni queue ni tête, en fin de compte, et les événements survenus depuis avaient prouvé à Hassan qu’il avait raison, et son ami diablement tort ; Priam n’avait pas assez de recul, Priam ne le connaissait pas assez, Priam ne connaissait pas assez Yasmine, Priam ne connaissait pas Joanne. Priam avait tort. Et malgré tout un brin de nervosité s’était emparé du brun tandis qu’il tentait de plaisanter « Si tu t’apprêtes à faire une référence à l’une de mes élèves je te préviens, je ne suis pas certain d’être très réceptif à ta tentative de blague … » en offrant un sourire supposé sceller cette farce qu’il s’imaginait Joanne sur le point de faire. Comme lorsque par le passé, elle s’amusait parfois à le taquiner sur le cliché si souvent usé du béguin de l’élève pour son professeur, simplement parce qu’elle savait qu’il s’en trouverait un brin mal à l’aise et qu’elle avait peut d’occasion d’être celle qui taquinait sur ce genre de sujets.
Wake up where the clouds are far behind me where trouble melts like lemon drops, high above the chimney top. that's where you'll find me.
Hassan avait raison. Après tout, à l'université, lorsqu'ils échangeaient les premiers regards, les premiers mots, ils n'avaient aucune d'où tout ceci pourrait les mener. Sophia avait toujours tenu à assurer les arrières de son amie en espérant qu'elle ne soit une énième courte relation du brun jusqu'à ce qu'elle réalise que cette fois-ci, c'était différent. A cette période, Joanne ne se souciait pas autant de cette incertitude. Elle ne savait pas qoi répondre, parce qu'il avait raison. Pourquoi ne se pourrait-il pas que tout soit si simple à nouveau entre eux deux ? Ca pourrait très bien l'être, à nouveau, n'est-ce pas ? La petite blonde était naïve et elle avait fini par se dire, avec le temps, qu'il était guéri. En rémission totale, comme ils disent. Ils en avaient parlé tous les deux autrefois à la plage, elle avait estimé que la durée qui s'était écoulée depuis était suffisant pour dire qu'Hassan était enfin loin de tout ceci. Visiblement, elle avait tort. Pourtant, il était déjà à quelques années de sa maladie, mais ce n'était pas suffisant. Joanne s'était approché d'un pas lorsque le brun s'était assis sur l'une des marches de l'escalier. Il ne levait pas les yeux vers elle, et l'on pouvait aisément entendre une certaine émotion dans sa voix. Joanne s'en voulait de s'être montrée aussi maladroite à ce sujet. Mais cela éveilla en elle la crainte d'une récidive, qui semblait plus que probable. L'histoire allait-elle alors se répéter ? Hassan lui demandait alors si elle resterait. "Je serais restée la première fois, si on n'avait pas divorcé." dit-elle tout bas, avec un ton qui laissait comprendre qu'elle ne l'accusait pas de quoi que ce soit. C'était juste un fait. "Ce n'est pas pour rien qu'on a fait des voeux à notre mariage, des promesses de rester là jusqu'au bout, quoi qu'il arrive." Sa voix semblait s'effacer peu à peu par l'émotion. "Bien que j'espère que ce jour n'arrivera jamais, oui, je resterais." lui certifia-t-elle. Comme elle aurait pu être là la première fois si le divorce n'avait pas eu lieu. Joanne avait tendance à beaucoup s'oublier dans ces cas-là, bien plus préoccupée à prendre soin de l'être que de prendre soin de soi-même. Peut-être qu'elle aurait réussi à garder le bébé, peut-être qu'il aurait pu vivre avec elle sa grossesse. Une vie alternative qui n'aura jamais lieu et pour laquelle la jeune femme ne saura jamais la vérité. Hassan restait malgré tout amoureux d'elle et Joanne voulait savoir pourquoi. Depuis leurs retrouvailles, Joanne n'arrivait pas à en sortir un seul point positif. Peut-être qu'il y avait des brides de belles choses, mais les tensions et les pleurs prédominaient largement. La question prédominante était : pourquoi ? Hassan exprimait alors son envie d'avancer dans sa vie, de manière globale, pas uniquement dans sa vie amoureuse. Il voulait que ce soit elle qui l'accompagne dans cette démarche, parce qu'il se sentait incapable de le faire seul. Il ne pouvait pas le faire seul. En revanche, il ne voulait pas qu'elle en pâtisse si elle finissait par mettre son épée de Damoclès au dessus de sa propre tête, à se demander jour après jour s'il n'allait pas faire une rechute. Zach, un ami d'Hassan que Joanne n'avait jamais réellement apprécié, avait préféré partir de sa vie dès le début. Bien que cela a été difficile à accepter pour le beau brun, il admettait que ça aurait été bien pire s'il était parti plus tard. La jeune femme ne savait pas vraiment quoi répondre à tout cela. Elle estimait qu'elle n'avait pas son mot à dire par rapport à Zach, et bien qu'elle ne l'appréciait, elle ne lui pardonnerait certainement jamais le fait qu'il ait pu laissé Hassan derrière lui, sans daigner se retourner. Son ex-mari partageait alors toutes ces raisons de ses sentiments encore bien vivants pour elle. Il semblait être tout autant amoureux d'elle qu'au premier jour et il ne semblait pas pouvoir concevoir vivre encore un jour sans elle. Joanne en avait une nouvelle fois les larmes aux yeux, on ne peut plus émue d'entendre tous ces mots sortir de sa bouche. Il pensait à elle, tout le temps. A sa moindre sortie, dès qu'il était sur son téléphone, tout le temps. Et s'il y avait bien une chose pour laquelle il était profondément reconnaissant, c'était qu'elle voulait comprendre la raison de sa tentative de suicide, sans jugement, sans donner des leçons. Elle avait senti sa gorge serrer. Elle s'en voulait tant d'avoir douté de lui, de ses intentions. Il ne méritait absolument pas le peu de confiance qu'elle lui avait accordé jusqu'ici. Il méritait tellement, tellement plus que cela. Voilà qu'elle se trouvait presque ridicule. Joanne demeurait silencieuse. Oui, elle était tout aussi amoureuse de lui. Elle se demandait après coup pourquoi elle était venue à lui faire une révélation qui pourrait tout changer, peut-être même le bouleverser. Bien sûr, qu'il fallait qu'il sache, pour Yasmine, mais était-ce véritablement le bon moment ? Elle ne savait pas, elle ne savait plus. Hassan pensait qu'il s'agissait d'une plaisanterie, comme elle avait peu d'occasions de le faire lorsqu'ils étaient ensemble. "Ce n'est pas une blague, non." lui souffla-t-elle d'un air désolé. "C'est pas à moi de dire ce genre de choses, ce serait pas juste pour la personne concernée..." Elle soupira, gênée. "Je ne te le dirai que si tu veux vraiment savoir." Bien qu'elle ne portait pas Yasmine dans son coeur, elle aurait été ingrate de faire cette révélation à sa place. Et puis, Hassan avait-il vraiment envie de savoir ? Ce fut à ce moment qu'elle se fit une promesse, qu'elle ne gardait que pour elle. Joanne l'observait. Il avait les épaules bien basses, comme s'il portait le monde entier sur ses épaules, l'air épuisé. Elle finit par s'approcher de lui, pour s'asseoir à ses côtés. Elle ne savait pas à quand remontait la dernière fois où c'était elle qui s'était rapprochée de lui. Mais elle réalisait alors combien ça pouvait lui manquer. C'était à elle de s'approcher de lui. D'un geste timide et très délicat, elle prit l'une de ses mains entre les siennes pour les déposer sur son propre genou. Elle regardait leurs doigts, caressant le dos de sa main. "J'ai pris du temps pour me rendre compte que j'étais toujours amoureuse de toi." Jamie avait été le premier à s'en douter, depuis le jour où elle avait revu Hassan pour la première fois. Elle ne pensait pas moins à Jamie. Elle lui avait brisé le coeur, elle l'avait fait atrocement souffrir. Un nouveau moment de silence s'imposa pendant quelques minutes, jusqu'à ce que Joanne utilise sa main libre pour redresser son visage, pour croiser son regard. Ses doigts caressaient tendrement sa joue. A force de le regarder, d'être aussi proche, elle se disait que ça valait peut-être le coup d'essayer, de s'aimer. Qu'elle devait écouter ses sentiments et pas seulement l'appréhension de ce que tout ceci pour donner. "Je t'aime." lui souffla-t-elle tout bas, en esquissant un sourire bien discret. Elle approcha ensuite son visage du sien avec lenteur afin de déposer un doux baiser sur ses lèvres. Son front restait longuement posé contre le sien. "J'adorerais pouvoir te rendre heureux à nouveau, te faire sourire." Joanne y parvenait toujours, à l'époque où ils étaient ensemble. Peut-être que cela allait être un peu plus difficile, maintenant qu'ils avaient tous les deux un esprit brisé en pleine réparation, s'il y avait encore quelque chose colmater. "Et s'il s'agit surtout de froncer les sourcils ou de mettre une mèche de cheveux derrière l'oreille, je pense en être capable." dit-elle sur un ton un peu plus plaisantin, en lui souriant. "Je veux être là pour toi." lui souffla-t-elle, en l'invitant à se blottir contre elle. Ainsi, ses doigts parcouraient aléatoirement son dos pendant quelques instants. Parfois, il n'y avait pas grand-chose à dire. Joanne profitait tout simplement de l'avoir tout contre elle. Leur longue conversation l'avait aussi fatiguée elle mais elle avait bon espoir qu'ils soient enfin à nouveau sur la même longueur d'ondes. "On devrait peut-être faire des sorties, ensemble." dit-elle au bout d'un moment, bien songeuse. Il fallait qu'ils réapprennent à se connaître, à se reconnaître. Beaucoup de choses avaient changé en trois ans. Le rythme de vie, les habitudes perdues ou mises en place, les tempéraments aussi. Joanne ne savait pas trop comment s'y prendre. S'il fallait reprendre la même vie de couple là où elle s'était arrêtée ou s'il ne valait pas mieux de tout reprendre à zéro, d'une certaine façon. Elle préférait certainement qu'ils prennent le temps, tous les deux. Beaucoup de paramètres entraient en compte. "Est-ce qu'il y a une boutique, un livre, ou un film que tu as repéré récemment que tu voudrais absolument me montrer ?" lui demanda-t-elle au moment où elle recroisait son regard, avec un sourire. "J'aimerais vraiment... faire les choses bien avec toi." Que rien ne soit fait dans la précipitation même si l'envie de retrouver le relation d'antan était plus que présente. Elle ignorait encore comment elle allait jongler entre son fils et lui, comment ses journées allaient s'organiser. Il ne fallait pas qu'ils se baignent dans la nostalgie de ces beaux jours là, au risque d'avoir des attentes auxquelles ils ne pourraient pas répondre. Il y aurait alors des déceptions, et de nouvelles incompréhensions. Non, il fallait presque tout reprendre, bien qu'il était impossible d'oublier tout ce qu'ils avaient vécu ensemble.
Il aurait aimé en être arrivé au stade où il ne pensait plus à cela tous les jours, où l’idée d’un retour inopiné de ce crabe de cancer ne serait pas une angoisse quotidienne, mais il en était encore loin. Avant cela Hassan était du genre à pouvoir se vanter de ne jamais tomber malade, d’être le genre de personne qui chopait un rhume tous les dix ans et rien d’autre ou presque, mais fatalement la leucémie l’avait rendu – trop – attentif à tous les symptômes auxquels il n’aurait auparavant jamais prêté attention ou en tout cas jamais pris au sérieux. Ces symptômes qu’il avait laissé traîner et ignoré pendant des semaines avant que Joanne ne parvienne malgré tout à le convaincre d’aller consulter pour cette espèce de pseudo-grippe qui ne passait pas. De grippe. « Je serais restée la première fois, si on n’avait pas divorcé. » lui avait en tout cas assuré la blonde à voix basse, presque avec timidité. « Ce n’est pas pour rien qu’on a fait des vœux à notre mariage, des promesses de rester là jusqu’au bout, quoi qu’il arrive. » Ce n’était pas son but, Hassan savait bien que ce n’était pas l’intention de Joanne, mais lui ne voyait là qu’un reproche voilé quant à la dite promesse, celle qu’il avait brisé. Incapable de se résoudre à devenir le pire du « pour le meilleur et pour le pire » prononcé en des temps moins incertains. « Bien que j’espère que ce jour n’arrivera jamais, oui, je resterais. » C’était tellement doux à l’oreille mais tellement glaçant, aussi. Rechutera, rechutera pas. Restera, restera pas. Une incertitude à la longue liste des existantes, une petite loupiote d’espoir dans un océan de pessimisme. Hassan avait envie d’y croire peut-être même plus qu’il n’en avait besoin, parce que s’il s’était déjà prouvé à lui-même qu’il pouvait surmonter ce genre d’obstacle sans Joanne il n’en avait pas foncièrement envie ; Pas plus que la première fois, mais cette fois-ci contrairement à la précédente l’excuse de l’ignorance qui valait mieux que la réalité n’avait plus cours, car la blonde n’ignorait plus rien … ou presque. Il pouvait se débrouiller sans Joanne tout comme il pouvait se débrouiller dans Zachariah, mais la première avait encore à ses yeux une valeur que Zachariah n’avait plus, et n’avait peut-être jamais mérité.
Et la périlleuse performance que lui demandait maintenant la jeune femme, comme dans un ultime désir de tester sa bonne foi et ses sentiments. Hassan aimait Joanne aujourd’hui pour les mêmes raisons qu’il l’aimait cinq ou dix ans en arrière, il l’aimait pour la personne qu’elle était mais aussi pour la personne que lui réussissait à être lorsqu’elle était là … Était-ce encore suffisant, à ses yeux ? Croyait-elle encore à la possibilité de concilier ceux qu’ils étaient et ceux qu’ils avaient été sur cette simple base, et à l’éventualité d’y trouver un quelconque avenir ? Le silence trouvant à nouveau sa place faisait se questionner Hassan quant aux réponses à ses questions tant qu’à l’éventualité que dans la tête de l’ex-femme de sa vie les interrogations soient – ou non – les mêmes. Et finalement celle qui s’était échappée de la bouche de Joanne était tombée comme un cheveu sur la soupe, réveillant chez Hassan ce mélange de crainte et de curiosité qui précédait les vérités qu’il croyait savoir mais n’était pas certain d'assumer. « Ce n’est pas une blague, non. » lui avait-elle alors soufflé avec incertitude, son désir d’honnêteté s’évanouissant soudainement dans une maladroite tentative de faire marche arrière. « C’est pas à moi de dire ce genre de choses, ce serait pas juste pour la personne concernée … Je ne te le dirai que si tu veux vraiment savoir. » De perplexité, le visage du brun était passé à une certaine impatience, plus aussi incertain de vouloir obtenir des réponses maintenant que l’on menaçait de l’en priver. « Tu en as soit trop dit, soit pas assez, Joanne … » Si vraiment elle avait eu à cœur de garder ce secret pour elle, elle ne l’aurait pas mentionné pour commencer. Et cela ne pouvait être qu’une erreur ou une incompréhension, de toute façon ; La blonde avait jusque-là peiné à trouver une place pour lui dans son existence, alors à quel moment aurait-elle eu le temps de caser les confidences d’une tierce personne le concernant ?
Comme souvent désormais Joanne provoquait chez Hassan plus de questions que de réponses, et le plongeait dans un état de permanente incertitude dont il ne savait plus comment se sortir. Parfois aussi elle parvenait à le faire se sentir comme une menace, lorsqu’un regard fuyant ou un mouvement de recul servaient de réponses à un mot ou un geste de sa part, l’accablant de ce rôle de bourreau dont il se sentait affublé et qu’elle n'avait jamais vraiment démenti. Celui qui lui faisait si mal parce qu’à celui qui avait levé la main sur elle, en revanche, elle ne semblait jamais l’avoir seulement envisagé. Alors Hassan ne savait pas bien, ne comprenait pas bien ce qui animait la jeune femme lorsqu’elle était venue s'asseoir à côté de lui au pied des escaliers et avait attrapé sa main, la guidant jusqu’à son genou d’où dépassait sa robe et croisant finalement leurs doigts en n’obtenant rien d’autre de la part du brun qu’une apparente docilité. Seule garantie pour lui de ne plus faire ou dire quoi que ce soit que Joanne interpréterait de travers. « J'ai pris du temps pour me rendre compte que j’étais toujours amoureuse de toi. » Était-ce une confidence, une excuse ? Ou alors l’annonce d’un nouveau revirement qu’Hassan attendait presque avec fatalisme. « Je t’aime. » Le regard pourtant relevé vers elle lorsqu’elle l’y avait invité, il n’avait pas vu venir le baiser qu’elle était furtivement venue déposer sur ses lèvres et n’avait pas eu d’autre réflexe que celui de l’observer interloqué par-dessus les verres des lunettes qui venaient une fois encore de glisser sur le bout de son nez. Troublé, mais l’épilogue de leur dernier baiser – qui lui avait valu plusieurs semaines de silence radio, déjà – toujours en tête, l’amoureux n’avait ni rendu ni ajouté quelques secondes supplémentaire à cette marque d’affection qui aurait pourtant pu le mériter. Ne subsistaient que leurs fronts dans un contact timide, plus proches des amoureux maladroits qu’ils avaient été à leurs débuts que du couple se connaissant sur le bout des doigts qu’ils étaient devenus par la suite. « J’adorerais pouvoir te rendre heureux à nouveau, te faire sourire. Et s’il s’agit surtout de froncer les sourcils ou de mettre une mèche de cheveux derrière l’oreille, je pense en être capable. » Un rire lui avait échappé presque malgré lui, interrompu par les doigts de Joanne glissant dans sa nuque pour l’attirer à elle en murmurant « Je veux être là pour toi. » Les doigts d’Hassan se resserrant légèrement autour de son genou, il l’avait laissée faire sans rien répondre, préférant accorder un brin de silence à sa précédente impression d’en avoir trop dit.
Il s’en voulait un peu. Joanne avait tellement hésité, tellement fait mine de changer d’avis et accordé des discours qui, à peine quelques minutes plus tôt, étaient encore l’opposé de ce dont elle tentait maintenant de le convaincre, qu’il ne parvenait plus à avoir confiance. La parole de la blonde n’était plus quelque chose qu’il parvenait à prendre pour acquis, et tandis qu’elle reprenait finalement « On devrait peut-être faire des sorties, ensemble. » lui ne voyait qu’un écho à la proposition précédemment faite lors du dîner chez elle. Cette proposition qui s’était perdue dans l’une des énièmes volte-face de la jeune femme, oubliée au profit d’un autre homme à qui elle rechignait moins à accorder du temps, du crédit, de l’intérêt. Elle répétait le même scénario et Hassan avait l’impression – ou au moins la crainte – de déjà en connaître l’issue. « Peut-être, oui. » avait-il finalement soufflé, cachant le brin de déception que lui inspirait cette direction dans la discussion déjà empruntée par le passé par un sourire de façade, et une tentative d’humour « Et tu sais ce qu’on dit des profs, ils ont beaucoup trop de temps libre, alors … Si tu arrives à trouver une place pour moi dans ton emploi du temps de ministre. » qui compensait à peine l’impression de se faire une fois encore jeter de la poudre aux yeux. Il ne gravait jamais rien dans le marbre, cela ne faisait pas partie de sa nature profonde, il accordait – et espérait – à Joanne le droit de lui prouver le contraire, de faire mentir cette sensation désagréable qui venait de se nicher dans un coin de sa cage thoracique … Il attendait les actes, plus que les mots, désormais. « Est-ce qu’il y a une boutique, un livre, ou un film que tu as repéré récemment que tu voudrais absolument me montrer ? J’aimerais vraiment … faire les choses bien avec toi. » Mal à l’aise face à cette façon qu’elle avait d’infantiliser sa tentative de mettre des mots sur ce qu’il ressentait pour elle, faisant paraître cela comme le caprice d’un petit enfant qui réclamerait un peu d’attention à ses parents, il se demandait ce qu’elle entendait par « faire les choses bien » mais savait que poser la question ne ferait que donner à Joanne l’impression qu’il jouait sur les mots, et il s’était contenté de secouer doucement la tête et de lui rendre son début de sourire en se libérant de son étreinte « Fais-les avec sincérité … J’en demande pas plus. » Quittant la marche Hassan s’était remis debout, sa main glissant sur la rampe d’escalier avec indécision mais ses yeux, eux, ne quittant pas la jeune femme. « Ton père est venu me voir, tu sais … » Ses lèvres s’étaient pincées avec hésitation « Y’a une dizaine de jours, il est passé à mon bureau à l’université. Il voulait discuter. » Il n’était pas certain que le contenu de la discussion mérite vraiment qu’il ne soit plus spécifique à ce sujet, mais il se sentait obligé de le mentionner pour ne pas donner l’impression, si Joanne l’apprenait autrement, qu’il avait essayé de lui cacher. Bien qu'en réalité il aurait difficilement pu le mentionner avant, pratiquement persuadé alors qu'il ne la reverrait plus. « Enfin voilà c’était juste pour que tu le saches, si jamais il te le mentionne. » Mais il y avait peu de chance. Arborant un sourire gêné il avait raclé sa gorge et « T’avais l’air pressée tout à l’heure, alors je veux pas te retenir plus longtemps. » Elle avait probablement des choses à faire, un fils à aller récupérer quelque part, un endroit où elle devait être … Et la discussion s’enlisait, serrant la gorge d’Hassan qui réclamait un temps mort. Joanne n’en avait pas pour longtemps, c’était ce qu’elle avait dit lorsqu’il avait ouvert la porte.
Wake up where the clouds are far behind me where trouble melts like lemon drops, high above the chimney top. that's where you'll find me.
Elle ignorait comment interpréter le mutisme d'Hassan, face à ce qu'elle pouvait lui dire. Peut-être qu'il ne croyait, qu'il ne lui faisait plus confiance. Elle se sentait parfois incapable de deviner ce qui pouvait lui traverser l'esprit, d'avoir une ébauche de son cours de pensée qu'elle pouvait interpréter. Sa quête d'indices en tentant de décrire la lueur de son regard ou l'expression de son visage s'avérait être peu fructueuse. Peut-être ne voulait-il justement pas qu'elle le cerne, pas encore. Joanne se savait indécise, paniquant toujours devant le moindre choix qu'elle devait faire. Elle revenait parfois dessus, tentait désespérément de trouver ce qu'il y avait plus idéal. Mais plus elle réfléchissait, moins elle y voyait clair. Et dans sa quête de sincérité se mêlait une maladresse dont elle n'arrivait pas à se défaire non plus, enchaînant les gaffes et n'arrivant plus à se faire comprendre comme elle le voudrait. La jeune femme restait longuement silencieuse, le regard ailleurs. "J'en ai certainement trop dit."dit-elle alors. Peut-être n'aurait-elle pas du lui dire qu'il ne s'agissait pas d'une plaisanterie, peut-être qu'elle n'aurait même pas du le mentionner tout court. "Laisse tomber." dit-elle en balayant le sujet de conversation là d'un geste de la main. Il valait mieux pour elle qu'elle garde cette pensée pour le moment, peut-être que c'était ce qu'il y avait de mieux aussi pour lui. Ils avaient déjà chacun tant à gérer et à faire face dans leur vie respective. Peut-être qu'il y aura un jour le moment opportun pour en parler, ou peut-être que cet instant là ne viendra jamais. Joanne n'aimait pas ne pas savoir de quoi le lendemain était fait mais cela faisait un sacré bout de temps qu'elle s'efforçait de se faire à l'idée. C'était ainsi, et elle ne pouvait rien y changer pour le moment. La petite blonde était finalement venue s'installer aux côtés d'Hassan, sur l'une des marches des escaliers. Une tentative d'approche qui, espérait-elle, allait permettre de faire comprendre à Hassan, qu'elle s'engageait. La suite des événements se montraient particulièrement étranges. Du moins, Joanne ne savait pas comment réagir, ne savait pas ce qui traversait la tête du brun à ce moment là. Elle lui avait répété ces mots d'amour, lui confiait qu'elle voulait faire partie de sa vie et être celle qui lui permettrait d'être heureux à nouveau. Un sacré challenge en soi, mais c'était certainement réalisable. Hassan semblait abasourdi par le baiser qu'elle venait de déposer sur ses lèvres. Et c'était bien la seule réaction qu'il laissait transparaître. Pas d'échange, mais pas de rejet. Pas de caresses, aucun geste affectueux d'aucune sorte. Et ça, c'était quelque chose qu'elle ne parvenait pas à décrypter, mais elle se persuadait alors qu'une telle réaction n'était pas de bonne augure. Il se laissait faire, ne semblait pas être contre, pourtant. Joanne sentait son coeur se serrer dans sa poitrine face à son stoïcisme. Il ne disait rien, il ne faisait, si ce n'est que de laisser échapper un rire à un moment donné. Alors elle tentait de relancer la conversation, ne supportant plus le mutisme d'Hassan. Elle proposait de faire doucement, de faire quelques sorties. Il répondait à taton, de manière incertaine. A son tour de prendre une certaine distance avec elle alors qu'elle tentait enfin de s'approcher de lui. Le serpent qui se mordait la queue, en somme. Il espérait qu'elle prenne les choses en main, peut-être même qu'elle organise le tout étant donné qu'il évinça totalement l'une de ses questions. Le sourire de façade était de rigueur, et bien qu'elle aurait pu en être convaincue en d'autres circonstances, là, ce n'était pas le cas. Joanne déglutit difficilement sa salive alors qu'Hassan se détachait d'elle dans l'intention de se lever à son tour. Fais-les avec sincérité, disait-il. Voilà une phrase que Joanne pouvait interpréter absolument dans tous les sens. Pour elle, ça en voulait dire long. Il devenait alors évident pour elle qu'il ne lui faisait plus confiance, ou du moins, qu'il doutait de sa sincérité. Elle avait bien conscience de lui avoir donner raison à plusieurs reprises. Il était si sûr de ses sentiments pour elle et il préférait tout de même mettre un large point d'interrogation sur leur relation. Il attendait de voir ce qu'elle allait faire. Au tour de Joanne de rester murée dans son silence, assise sur l'escalier, à regarder ses doigts qui tremblaient légèrement. Elle ne se sentait pas plus avancée que lorsqu'elle était arrivée ici, et c'était particulièrement frustrant pour elle. Joanne s'était persuadée qu'une fois que ça allait être dit, que tout allait se régler, d'une façon ou d'une autre, qu'une voie allait s'ouvrir et qu'il lui suffisait de l'emprunter. Mais rien de tout ça, la désillusion la plus totale. Elle était déçue, déçue d'elle-même avant tout. Elle se trouvait stupide, regrettant que ses parents l'aient toujours tenu de ces choix qu'elle devait faire. Ils préféraient la voir dans son propre monde à elle durant toute son enfance et voilà qu'elle en payait les frais.Parlant de parents, Hassan jugea bon de lui préciser que Martin était venu lui rendre visite. Ironie, lorsque l'on savait que le contact était extrêmement limité depuis qu'Hassan l'avait croisé, entre père et fille. Le brun regardait Joanne, mais ses yeux à elle étaient baissés. Martin et Hassan avaient discuté, donc. Son père s'était bien gardé de le cacher, même si ça ne faisait que dix jours. Et Joanne se fit la réflexion que c'était désormais Hassan qui en avait soit trop dit, soit pas assez. Le père Prescott n'était pour le moment pas venu toquer à la porte de sa fille pour discuter, mais il avait jugé bon de le faire à Hassan. Ca n'allait certainement pas être elle qui allait faire le premier pas vers lui. Bien sûr que ses parents lui manquaient, elle avait été longtemps très complice avec eux. "Ca m'étonnerait qu'il m'en parle un jour." répondit-elle tout bas en jouant avec ses doigts. C'était même certain, d'ailleurs. Cela faisait certainement partie de la longue liste des choses qu'elle ne devrait pas savoir. "Mais merci de me l'avoir dit." souffla-t-elle. Joanne devenait peu à peu amère ensuite, à fleur de peau pour trois fois rien. Cette conversation l'avait épuisée elle aussi. Et il y avait de toute façon cette fatigue générale en fond qui n'arrangeait rien. Au fond, elle était bien trop curieuse pour ne pas avoir envie de savoir ce que les deux hommes avaient pu se dire. Mais il devait forcément avoir une raison pour laquelle Hassan restait très évasif concernant le sujet de conversation. A lui d'estimer si c'était nécessaire ou non de lui en parler ou non. Et apparemment il ne voulait pas en dire davantage, suggérant à Joanne de partir. Il était vrai qu'elle devait encore récupérer Daniel à la crèche. Mais elle n'avait rien de prévu par la suite. Elle acquiesça d'un signe de tête et se releva sans dire mot. A ce stade, et au vu des réactions précédentes d'Hassan, elle ne savait plus si elle pouvait l'enlacer, l'embrasser ou lui faire quoi que ce soit. La jeune femme lui déposa alors un baiser furtif sur sa joue et lui souhaiter une bonne soirée avant de se rapprocher de la porte d'entrer. La main sur la poignet, elle eut quelques minutes de réflexion. Elle tournait la tête pour regarder Hassan – elle réalisait à ce moment qu'elle avait fui son regard pendant un sacré temps. "Je...Je vais réserver une table pour deux au Black Hide pour le vendredi de la semaine prochaine, pour 19h." Ca leur laissait un peu plus d'une semaine devant eux pour... pour faire n'importe quoi."Si ça te dit de venir... Je serai là dans tous les cas." Un sourire plus que timide étirait ses lèvres bien qu'elle peinait à faire preuve d'optimisme. "Passe une bonne soirée, Hassan." Son rictus se fit plus franc à ce moment. Elle ouvrait et fermait d'elle-même la porte pour retourner dans la rue et marcher longuement. Joanne ignorait pourquoi elle pleurait. Cette discussion l'avait lessivée, cet échange avait été en demi-teinte et elle était incapable de faire la part des choses, d'en tirer le bon ou le mauvais. Peut-être que se laisser quelques jours de réflexion chacun de son côté allait être plus fructueux. En tout cas Joanne avait fixé le lieu et la date de leur prochaine rencontre, et elle n'avait plus qu'à espérer qu'il soit présent le soir-là.