≈ ≈ ≈
{ don't look at me like I'm a stranger
don't be scared, there is no danger
we pretend that we don't care
so let's just take a walk and
leave it there }
angelina ✰ andrina

Dès la fin des cours, Nina s’accorda une séance recherche de cadeau pour l’anniversaire de son petit-ami. Loin d’en oublier ses cours de management et les techniques apprises, elle s’en servait sur les pauvres vendeurs pour leur mettre la pression. La plupart se montraient souriants et avenants mais ils n’en restaient pas moins des vendeurs, prônant surtout le chiffre d’affaires que l’intérêt du client. Cela s’opposait au but de Nina : obtenir le meilleur. Et ce, plus pour se donner l’apparence d’une parfaite copine que pour Simon en lui-même. Elle flânait de magasins en magasins, avec des idées en tête, attendant juste de pouvoir tomber dessus dans la réalité. Elle ne voulait pas lui offrir son énième sac de voyage Vuitton, montre de marque ou parfum, surtout qu’il en affectionnait certains plus que d’autres et réservaient au reste de sa collection, le sort de devoir croupir dans ses armoires sans jamais voir la lumière du jour. Lassée de ne trouver aucun article vraiment original, elle soigna son ennui en cherchant des articles pour elle. Elle qui affectionnait pourtant de faire les magasins, de trouver de jolies robes et de jolis bijoux se sentit contrariée. Il lui semblait que tous ces articles de luxe, que toutes ces robes de couturiers, aussi sobres soient-elles ne lui correspondaient plus, qu’ils ne pouvaient plus faire partie de son monde. Pourtant, elle les regardait encore envie mais se contentait de les contempler, elle n’avait plus envie de les posséder et encore moins de les porter. D’ailleurs, dans un des magasins où elle se trouvait, une femme sortait et rentrait de la cabine d’essayage avec plusieurs tenues différentes. Elle avait du goût, d’après les articles qu’elle avait sélectionnés et sa manière de les assembler pour en faire des tenues rendaient les habits très beaux sur elle. De sa position, Nina ne voyait que l’inconnue que de dos, ses longs cheveux bruns cachant son visage quand elle se tournait un peu. En s’approchant plus près, elle découvrit l’inconnue, grâce à son reflet dans le miroir. Aucune expression ne trahit la surprise de Nina de la voir là mais elle n’en ressentait pas moins, il ne suffit que de quelques secondes pour que les paroles de sa bienfaitrice lui reviennent en mémoire, elle s’était vue dotée d’une mission qu’elle n’avait fait que repousser jusque-là. Voilà qu’elle se voyait rattrapée par sa promesse. Elle hésita à aller à la rencontre d’Angelina, c’était inutile de préciser qu’elles n’avaient jamais été de très grandes amies mais elle se sentait redevable à la mère de celle-ci : il fallait absolument raisonner la furie. Elle s’approcha, restant derrière la grande brune, les yeux sur son reflet dans le miroir. « Je trouve que la deuxième tenue que tu as essayée te va à ravir, tu lui donnes vie à cette robe. » Nina n’avait même pas besoin de se regarder dans la glace pour savoir que son sourire devait sûrement paraître très forcé. « C’est pour quelle occasion ? » Connaissant son sale caractère, elle s’empressa d’ajouter. « Tu veux peut-être un avis pour choisir si tu hésites entre deux ? »  

Nina ne s’attendait à ce que la bête se laisse facilement dompter. Elle l’avait remballé assez sèchement, lui faisant déjà regretter de s’être montrée aussi douce et amicale, car visiblement, il fallait s’y prendre autrement. Elle resta plantée sur ses pieds et ne bougea pas d’un centimètre, même quand Angelina retourna dans la cabine, espérant faire comprendre à son adversaire qu’elle n’était pas prête de baisser les bras aussi vite. - Je sais très bien ce que tu es en train de faire là, t’as été missionnée toi. Sauf que non, pas aujourd’hui Satan ! Un petit sourire en coin vint étirer ses lippes devant la clairvoyance qu’Angelina manifestait dans ses paroles. Et puis, elle ne pouvait pas non plus lui faire plus beau compliment en la surnommant Satan. Nina ne répondit pas tout de suite, elle n’avait pas prévu que son interlocutrice verrait si clair dans son jeu et elle sentait aussi que la jeune femme avait d’autres choses à exprimer. Elle savait à quel point il était plus important d’écouter que de parler quand il était question de converser avec les gens et encore plus quand on prévoyait de tirer quelque chose d’eux. La suite ne tarda pas à venir, comme son intuition le lui avait chuchoté, il y avait une brèche dans la forteresse qu’Angelina avait bâti tout autour d’elle, creusée par les récents événements. Elle n’avait pas tout suivi mais d’après ce qu’elle avait compris, le père d’Abel allait obtenir la garde partagée de son fils, ôtant ainsi à Angelina beaucoup de temps avec ce dernier. Par conséquent, elle comprenait qu’elle soit réticente à laisser Abel aux Gilmore certains week-ends, comme avant. La seule chose qu’elle lui reprochait, c’était qu’elle avait annoncé ça avec autant de tact dont elle pouvait faire preuve (càd aucun) et la nouvelle était tombée comme une avalanche de neige sur les Gilmore, les laissant bouleversés et sans pouvoir avoir leur mot à dire devant la fermeté d’Angelina. Si cela avait tenu qu’à elle, elle se serait tenue bien loin de leurs discordes familiales mais malheureusement, non, à force de jouer les petites filles modèles devant les Gilmore, ils comptaient sur elle pour pouvoir raisonner leur fille avec grâce et finesse. « Je serai mal placée pour te juger… et surtout pour te traiter d’égoïste. Mais je ne doute pas que beaucoup de tes problèmes pourraient être évités ou résolus si tu ne repoussais pas, loin de toi, toutes les personnes pour qui tu comptes et qui veulent t’aider. » Elle aurait pu s’offrir un Oscar pour cette réplique mais le fond y était, elle pensait sincèrement ce qu’elle venait de dire. Le visage ému de maman Gilmore lui apparaissait encore à l'esprit, essuyant la déception d'un autre appel sans réponse de sa fille et qui reposait tristement le combiné à côté d'une photographie de sa fille, son petit-fils et elle. « Je commence à te connaître, obstinée comme tu es, tu ne vas pas changer d’avis maintenant pour Abel et tes parents mais tout de suite, maintenant, si ton problème c’est de trouver une tenue pour x occasion, tu peux bien accepter qu’on t’aide, non ? » Nina n’avait toujours pas bougé, faisant toujours face à Angelina et toujours les mains dans les poches, mais elle s’accorda à faire quelques pas pour la regarder de haut en bas. Elle s’arrêta, croisa les bras sur sa poitrine avant de poursuivre. « Je sais que je ne suis pas réputée pour ma générosité et puis, on n’a jamais été de grandes copines, toi et moi, mais je vois pas ce que ça te coûte… »

Brisbane n'était visiblement pas assez grand pour qu'elle parvienne à éviter la longue liste de gens qu'elle n'avait pas envie de croiser. Nina occupait clairement une des places tant convoitées du top 5. La brune, aussi jolie et mutine soit elle, avait toujours été totalement antipathique aux yeux d'Angie qui elle-même se rapprochait déjà plus de Doctor House que de Fran Drescher. Si les concours de resting bitch face existait, Nina & Angelina arriveraient premières ex aequo sans aucun doute. Angelina n'avait toujours pas digéré l'arrivée de la jeune femme au manoir Gilmore et leurs rapports étaient aussi chaleureux qu'un hiver canadien. Quoiqu'il en soit l'une comme l'autre devaient faire avec puisqu'elles avaient visiblement un papa et une maman en commun. Angie n'était pas particulièrement chaude à l'idée de voir l'attention que lui portait sa mère divisée en deux mais elle imaginait que Nina était une bénédiction pour elle, lui permettant de panser ses plaies de maman malmenée. Angelina ne lui avait pas offert toute l'affection et la gratitude dont elle avait besoin pour se sentir aimée, pourtant même si c'était sans doute le sujet le plus tabou chez les Gilmore, l'amour que leur portait leur fille était bel et bien réel et pourrait soulever réel. C'est juste qu'Angelina avait plus de facilité à montrer ses sentiments à son chien qu'à ses parents. Son fils était la seule et unique personne avec qui elle avait jamais dis je t'aime. Ses parents se pensaient l'exception mais Angelina ne pouvait aller contre sa nature. Elle n'était tout bonnement pas comme ça.
Néanmoins contre toute attente, Nina fit preuve de compassion. Angelina fut prise de court et la surprise put se lire sur son visage. Elle qui n'attendait plus rien de qui que ce soit, voilà qu'elle se voyait touchée en plein coeur par l'empathie de Nina. Ok. Pour réussir à se sentir un minimum attendrie par Nina, c'est que sa vie partait vraiment en couille. Cette gamine n'avait aucun bon sentiment à son égard, si elle disait et faisait ça c'est qu'elle était motivée par autre chose qui n'avait rien avoir avec un quelconque sentiment de bienveillance. Nina se foutait bien qu'elle sombre aux fins fonds des abysses du moment qu'elle n'embarquait pas ses parents sur le navire mortuaire. "C'est ça le problème." répliqua Angelina en remettant correctement le col de son perfecto. "Personne ne peut m'aider. À moins que mes parents puissent convaincre mon imbécile d'ex de me laisser mon fils toutes les semaines et de le prendre un week-end sur deux, je pense pas qu'ils puissent grand chose pour moi. Et toi non plus d'ailleurs." Elle n'essayait pas d'être méchante ou cassante, c'était la simple vérité. Angie prit le chemin de la sortie. "Non je veux sortir d'ici, les robes c'est de la merde de toute façon. C'est juste cool quand tu portes pas de culotte." ajouta t-elle en passant devant les étalages de vêtements. Néanmoins Nina semblait insister à lui offrir son aide. Well... Et si après tout Nina était véritablement dans une démarche de paix ? Angelina ne voyait pourtant pas de drapeau hisser au dessus de la tête de la jolie brune. "Je comptais me prendre un café pour me calmer, ouais j'sais ça parait bizarre dis comme ça. Mais ça fonctionne. Tu m'accompagnes ? Allez tu m'accompagnes et tu vas me raconter ce que ma mère t'a dit pour te convaincre de m'adresser la parole sans prendre ton petit air de mean girl."

Un quart d'heure plus tard, Angelina & Nina étaient assises face à face. Des boissons chaudes fumantes sur la table, Angie grignotait un cookie en regardant les gens passer à travers la vitre. La situation était surréaliste. "Je me rappelle même plus de la dernière fois que je me suis assise avec quelqu'un juste pour boire un café. C'est vraiment une drôle de vie que je mène..." Entre Abel et le bar, Angelina avait rarement une minute à elle. Elle détestait l'avouer mais Arthur avait au moins raison sur ce point : la garde alternée lui permettait au moins de s'offrir des moments à elle sans culpabiliser. "Tu sais... J'sais que tu comprends pas. Que tu me vois comme une sale meuf qui fait souffrir ses parents mais c'est juste que.... Je suis totalement perdue, je me sens seule et je ne sais plus quoi faire pour me sortir la tête de l'eau. Je sais que je me suis mise dans cette situation toute seule mais c'est pas si évident." Elle savait de quoi ça avait l'air à l'extérieur. Mais elle aurait aimé qu'on s'intéresse à l'intérieur.

Son côté cinéphile donnait à leur face-à-face des airs de duel de regards entre deux cowboys, comme dans ces westerns captivants qui passaient à la télé certains soirs mais dont ses parents ne lui laissaient que le début à regarder de peur qu’elle soit choquée par les images trop violentes. Plus tard, elle avait aussi aimé regarder les classiques en matière de western et il n’y a pas à dire, à la façon dont Angelina et elle se toisait à ce moment précis, il ne fallait ajouter que des bandes noires et une petite musique d’Enio Morricone et on pouvait obtenir une scène culte. Si elle s’accordait à voir les choses d’une façon aussi décalée, c’était bien parce qu’elle avait toujours pris ses affrontements avec la Gilmore girl originale à la rigolade. C’était juste le clash des couronnes, à coup de répliques cinglantes bien placées, avec un petit air supérieur parce que Nina avait commencé à envahir le terrain d’Angelina, reine incontestée des Gilmore jusqu’alors. Sans pour autant être méchante mais loin d’être tendre et gentille avec elle, Nina était tout de même la personne mieux placée pour comprendre son homologue, étant dotée elle-même d’un caractère de merde et aucunement immunisée contre tous les problèmes que cela engendrait. Elles se tapaient mutuellement sur le système, c’était indéniable, mais elles ne se faisaient jamais aucun tort. Et c’était la faute de maman Gilmore toute cette confusion, Nina était réellement déchirée entre deux comportements. Même si elle n’avait pas pu ignorer les appels désespérés de maman Gilmore, lui demandant de l’aide pour raisonner sa fille, rien ne l’obligeait à essayer, quelques mois auparavant, elle se serait contentée de lui glisser un bobard, qu’elle avait fait son maximum mais aujourd’hui, sa conscience ne la laisserait pas tranquille de faire une chose pareille. Elle se sentait redevable aux Gilmore, ils avaient toujours été incroyablement généreux et bienveillants avec elle ; résultat, elle-même se transformait en guimauve. Clairement, elle avait l’impression d’être atteinte d’un dédoublement de personnalité, tellement elle ressentait des sentiments contradictoires en permanence. Elle ne doit pas être la seule que cela surprend, vu le visage d’Angelina. Elles ne s’étaient pas vues depuis des mois et voilà que Nina paraissait toute angélique. Il ne fallait ni s’y fier ni s’y habituer, pour l’instant, ce n’était juste qu’un rôle qu’elle endossait. La belle brune lui expliqua le fond du problème et bien sûr, elle avait raison, si elle était sortie avec quelqu’un qui lui ressemblait, à savoir au moins aussi têtue qu’elle, personne ne démordrait. Elle ne connaissait pas son ex mais elle était presque certaine de pouvoir y ajouter son grain de sel, si elle arrivait à savoir qui c’est, il ne lui suffisait plus de faire des recherches, tâter le terrain, trouver un endroit à creuser, de préférence, un sujet sensible et elle pouvait obtenir tout ce qu’elle pourrait du type. Et vu qu’il était doté d’un pénis et qu’il était hétérosexuel, cela pouvait rendre les choses beaucoup plus simple… à méditer. Elle fit mine de réfléchir, avant de prendre un air entendu, pour l’instant, elle n’avait rien à dire mais son esprit lui, restait en ébullition. Elle suivit les pas d’Angelina, gardant tout de même une certaine distance, par habitude, et sourit, réellement amusée, par sa remarque sur les robes. Elle s'accorda un gloussement et ne put s’empêcher d’avouer : « Pour ma part, je n’ai jamais osé. » Cela ne la tentait pas non, cela lui semblait inconfortable. En plus, si un investisseur étranger la surprenait, il ne se retiendrait pas de l’ébruiter, pensant que c’est une coutume australienne. Elle sourit un peu plus en pensant à la tête de ses parents s’ils l’apprenaient. Nina restait toujours silencieuse mais son sourire ne la quitta pas, après qu’elle ait hoché la tête, suite à l’invitation d’Angelina et en entendant son ton déjà un peu moins acerbe.

Elle n’était même pas vexée que le serveur qui leur apporta leur commande ne soit pas intéressée par elle car elle était distraite et amusée par ses regards sur Angelina qui ne daignait même pas remarquer son intérêt pour elle. Il semblait un peu peiné d’être ignoré à ce point et Nina lui lançait régulièrement des regards pour à chaque fois le surprendre les yeux rivés sur la belle brune en face d’elle. D’ailleurs, elle écoutait cette dernière partager ses pensées en sirotant une gorgée de son thé. Elle hocha doucement la tête, attentive et la poussant à poursuivre. Elle ne sût pas vraiment comment réagir, se rendant compte que son interlocutrice se confiait sincèrement à elle mais elle ne put pas non plus réprimer ce qu’elle ressentait. En effet, les paroles d’Angelina trouvaient un écho chez elle et elle ne pouvait que compatir puisqu’elle avait déjà ressenti ce que la jeune femme lui décrivait. Elle s’accorda à un moment pour choisir les mots qu’elle allait employer. « Détrompe-toi… je crois que je comprends parfaitement ce que tu ressens. La situation est peut-être difficile mais peut-être pas insurmontable ? » Elle était encore novice en matière d’oreille attentive et de réconfort mais elle avait tout de même le mérite de tenter. « Je sais aussi ce que ça fait de se sentir seule. » Se construire une tour d’ivoire, se terrer dedans pour se protéger du monde extérieur et que rien ne puisse vous atteindre jusqu’au moment où on se rend compte qu’elle est trop haute et qu’on est enfermés dans sa propre prison. Elle connaissait. « Pourquoi tu ne tirerais pas le meilleur de la situation ? Vivre ta vie de femme, prendre du temps avec toi-même, pour te connaître, te retrouver, t’éclater aussi, sortir sans culotte, si t’as envie (elle sourit) … Tout ça tu vois. » Son regard glissa sur le serveur encore une fois puis il balaya la salle du regard, avant qu’elle ne reprenne. « Pendant ce temps, tu acceptes d’avoir moins Abel mais ce n’est pas non plus être mise sur le banc de touche, au contraire, ça vous rapprochera d’être des parents et avec le temps, vos rapports seront moins tendus et il sera plus flexible sur cette histoire de garde. » Elle observa son visage. « C’est peut-être dur pour toi de projeter ça car tu es prise dans l’œil du cyclone mais il n’y a pas qu’Angelina maman et Angelina barmaid. Enfin… je ne connais pas la situation et je dis sûrement des bêtises mais c’est juste pour te faire voir que tu t’obstines peut-être à nager dans la mauvaise direction. Lâche prise, laisse-toi le temps de remonter... enfin, je dis ça, je ne dis rien. » Nina était elle-même gênée par ses paroles, qui lui semblaient bien trop sages et elle ne s’était même pas capable de pouvoir dire ça un jour. Mais elle l’avait fait. Néanmoins, elle prit soin de regarder ailleurs en portant de nouveau sa tasse à ses lèvres.

Il n'y avait rien de plus réconfortant qu'une tasse de café. Angelina caressait la tasse chaude du bout des doigts. Les températures avaient chuté à Brisbane et c'était le premier véritable hiver d'Abel qui n'avait connu que les places chaudes d'Hawaï et le climat estival australien. Angelina s'était découvert une nouvelle passion, celle de se blottir sous la couette avec son fils dans les bras devant des vieux épisodes du dessin animé Transformers sur Netflix. Ces moments de pur bonheur justifiaient son endurance dans cette situation compliquée. Tant qu'il y aurait Abel, il y aura de l'espoir. C'était sa personne, son bébé, son doudou sans qui elle ne pouvait respirer. Rien que le fait qu'il ne soit pas avec elle là tout de suite lui broya le coeur. Elle n'était pas habitué à être loin de son bébé. Angelina prit une autre gorgée de café et leva les yeux vers son interlocutrice. Nina avait cette beauté insolente qu'Angie lui enviait. Même si Nina était une putain de tête à claque, elle avait ce côté sale gosse hyper cool qu'Angelina trouvait irrésistible. Angie s'était souvent fait la réflexion, sans doute que si elles avaient eu le même âge elles auraient pu être les meilleures amies de Brisbane. Les deux jeunes brunes avaient plus de points communs que de différences malgré ce qu'elles voulaient faire croire. C'était peut-être pour ça que la conversation avait pris un tournant beaucoup plus intimiste. Angie s'était ouverte à Nina, se laissant aller à des confessions qu'elle gardait ordinairement pour son for intérieur, les nuits froides où elle se demandait ce qu'elle allait devenir. Non la situation n'était pas insurmontable, mais elle commençait sérieusement à avoir un goût de rance. "Non, y a rien d'insurmontable à part une gueule de bois un lundi matin." soupira Angie en picorant les miettes de son cookie avec le bout de son doigt. Elle leva les yeux à nouveau quand Nina admit qu'elle n'était pas la seule à se sentir seule. Tiens ? La princesse terrible connaîtrait-elle également des ups & downs ? Décidément, Nina était de plus en plus intéressante. Angelina ne savait pas quoi répondre alors elle garda de silence, mais ce n'était pas tombé dans l'oreille d'une sourde.

Puis contre toute attente, Nina se lança dans une longue tirade pleine de sagesse. Arguant qu'il était peut-être temps pour elle de prendre du temps pour sa vie de femme et de vivre sa vie. La Gilmore Girl ne put s'empêcher d'arquer un sourcil. Alors là on était dans la quatrième dimension. Angelina n'était pas habituée à tenir ce genre de conversation pleine de bienveillance avec Nina, d'habitude c'était un véritable concours de joutes verbales mais là le duo infernal semblait passer un cap. Angelina était même étonnée de constater que le sourire de Nina s'apparentait de moins en moins à un rictus satanique : il y avait du progrès. "J'ai plus de vie de femme depuis longtemps. J'ai pas vu de pénis depuis quatre ans je sais pas si tu rends compte mais sur l'échelle du temps Angelina Gilmore ça équivaut clairement à une éternité. Je sais même plus comment ça marche. C'est peut-être pour ça que je suis devenue cette vieille meuf aigrie." songea Angelina à voix haute en tapotant le dos de sa cuillère sur son menton avant de la reposer. Elle se sentit soudainement observée et lorsqu'elle leva la tête vers le comptoir elle intercepta le regard du barman qui la fixait sans se dérober. "J'ai un truc sur le visage ?" demanda t-elle à l'attention de Nina. "Le mec, enfin, le serveur me regarde bizarrement." Angie secoua la tête et reporta son attention sur le discours de Nina. Il y avait beaucoup de vérités dans ses dires et Angie ne put s'empêcher de lâcher un petit rire lorsque Nina aborda de futures épopées sans culotte. "Je suis pas sûre que ça nous rapprochera, ce mec n'a pas de coeur. On a vécu six mois ensemble, c'était magique et aujourd'hui il me regarde comme si j'étais folle à liée. Tu le détesterais." Arthur était froid, partial et peu enclin à la fantaisie. "En revanche, c'est une bombe atomique. Il est tellement beau qu'on en oublierait ses défauts." Elle lui parla ensuite de lâcher prise, de prendre le temps de remonter la pente. Angelina commençait à se dire qu'elle avait été mauvaise langue : Nina ne se comportait pas comme quelqu'un dont les motivations étaient malveillantes. Si ça se trouve, elle était spontanément gentille. Peu importe, Angelina appréciait chaque seconde passait avec cette nouvelle Nina, bien loin de la sale gosse effrontée qui lui avait ouvert une après-midi pluvieuse quelques années plus tôt alors qu'elle était de passage à Brisbane pour les vacances. "On dirait que tu te diriges doucement vers l'âge de raison toi. T'as pris un peu de plombs dans la tête. Ou peut-être que t'aimais me faire croire que t'étais uniquement capable de me taper sur le système. Quoiqu'il en soit..." Elle hésita, se mordant les lèvres puis lâcha "Merci pour tout ce que tu viens de me dire. J'en avais besoin." Elle termina son café d'une traite puis rajouta. "Et merci aussi d'avoir pris soin de mes parents quand j'étais incapable de le faire. Ils t'apprécient beaucoup même si je sais qu'ils n'aiment pas l'avouer devant moi par peur de me faire de la peine. Tu leur as apporté des trucs que je n'arrivais pas à leur donner."

Il y avait quelque chose d’incroyablement touchant chez Angelina qui trouvait écho en elle. Elle se sentait proche d’elle, alors que c’était bien la première fois qu’elles avaient une réelle conversation et en plus, pas le genre de bavardages inutiles, de petite conversation sur la pluie et le beau temps, non, une discussion simple mais réconfortante. On sentait qu’elles en avaient, toutes les deux, besoin. C’est sûrement pour cette raison qu’elle avait de moins en moins d’effort à faire pour trouver les mots justes mais qu’ils venaient facilement, au fur et à mesure qu’elle parlait. Elle ne se brusqua même pas devant le petit sarcasme d’Angelina et laissa même échapper un petit sourire, amusé. Elle poursuivit tout de même son discours d’encouragement, à chaque fois ponctué des réponses d’Angelina. Bien sûr, elle avait toujours quelque chose à répliquer mais cela ne s’apparentait pas à de la mauvaise foi, comme on aurait pu s’attendre de sa part, elle n’était pas moqueuse. Bien au contraire, on sentait vraiment à quel point elle était blasée de sa situation et sans s’apitoyer sur son sort, elle restait tout de même trop perdue pour savoir comment s’en sortir. « Tu sais qu’aigrie, c’est l’un des premiers trucs que j’ai pensé quand je t’ai vu, tout à l’heure ? » plaisanta Nina, sans le ton qui allait avec, mais on pouvait facilement lire l’amusement sur son visage. « D’ailleurs, la robe dont je te parlais ne t’allait pas si, j’admets avoir été hypocrite. Elle cachait tout ce que tu aurais pu subtilement exhiber et à quelques centimètres de longueur près, elle faisait robe de nonne. C’est pas avec ça que tu vas attirer du mâle… Tu t’habilles comme une maman, peut-être inconsciemment, certes, mais même après une grossesse t’a encore le physique d’une nénette de chez Victoria’s Secret, pourquoi tu ne mets pas ça, à profit ? » Bon, les mannequins de cette marque ne lui donnaient pas tellement envie, même s’ils ciblaient des jeunes gens comme Nina, elle se disait qu’elle voyait plus Angelina chez Agent provocateur, un truc plus classe pour la future trentenaire encore fraîche et sexy. Elle suivit le regard d’Angelina pour retomber sur le serveur dont elle avait remarqué le manège beaucoup plus tôt. Elle éluda la question, un plan derrière la tête. Elle fit mine d’être surprise alors qu’Angelina ne remarquait que maintenant le gars. « Ah bon ? » Elles reprirent leur conversation, en se projetant pour voir à quoi allait ressembler la vie d’Arthur maintenant qu’elle n’aurait qu’Abel une semaine sur deux. « En attendant, ce n’est peut-être pas un mauvais gars s’il veut prendre ses responsabilités vis-à-vis d’Arthur. Je ne connais pas beaucoup de gars qu’auraient accepté ça. » Nina ne rendit compte qu’elle avait l’air de prendre sa défense, c’était loin d’être faux mais pas exact non plus, elle ne faisait que de donner un avis extérieur. « Pourquoi vous vous êtes quittés ? » osa demander la jeune femme, par curiosité. Elle attendit d’écouter leur histoire avant de demander. « Et c’était un mec de Brisbane ? Il s’appelle comment ? » Il devait être plus vieux mais il était sûrement possible qu’elle l’ait déjà croisé. Elle était exigeante mais elle se doutait qu’Angelina l’était aussi, ainsi, si elle disait que le mec était une bombe atomique, Nina était curieuse de savoir si elle le connaissait. Elle appréciait cette conversation, en apparence légère. Mine de rien, elle-même n’avait pas personne vers qui se tourner quand elle avait besoin de parler, elle ignorait si c’était pour cette raison qu’elle ressentait un incompréhensible sentiment de satisfaction de se trouver là, à être une oreille attentive pour Angelina. D’ailleurs, elle se sentit presque gênée qu’Angelina remarque ce changement radical chez elle et apprécia ses remerciements. « Ce n’est rien. Ne t’y habitues pas trop, j’ai envie de dire car je suis toujours aussi lunatique. » Elle plongea ses yeux dans les siens. « Tu le sais très bien, en plus, que je ne fais pas ça pour toi. » Elle était sûrement stupide de se tirer du plomb dans l’aile, ainsi mais elle se devait d’être sincère. C’est ce qui lui semblait le plus juste vis-à-vis d’Angelina, encore une fois, sa méchanceté apparente restait néanmoins bienveillante. Elle se retint d’avouer qu’elle passait un bon moment, qu’elle aurait préféré passer des instants de qualité ainsi, avec Angelina ou avec n’importe qui car elle commençait à être blasée par ses fréquentations ennuyeuses. De nouveau, elle prit un air détaché. « Ils t’aiment énormément aussi. Je ne sais pas si tu en as un jour douté… Jamais, je ne pourrai te remplacer, même si j’ai cru pouvoir le faire. D’ailleurs, je me sens comme une imposteure, j’ai campé le rôle de petite fille sage trop longtemps, je me suis laissé enfermée dedans avec eux et avec le temps… c’est resté, j’ai jamais eu aucune raison de les détester. » confessa Nina, en terminant sa tasse de thé à son tour. « J’aurai aimé que mes parents soient comme les tiens. » Tout aurait été si différent, se dit-elle, mais elle était incapable de dire si elle regrettait les vingt années passées. Elle avait trouvé chez les Gilmore, entre autres, tout le réconfort et la chaleur auxquels elle avait toujours aspiré. Elle ne regrettait pas tous les tournants qu’avaient pris sa vie et qui l’avait emmené, aujourd’hui, sur cette chaise en face d’Angelina, à sourire faiblement, face à ce lien qui se créait entre eux petit à petit. « Angelina ? » l’interpella-t-elle, soudainement. « Tu le trouves comment le serveur ? » Nina se dit qu'elle le trouverait sûrement un peu jeune, quoique, elle n'aurait pas su lui donner un âge mais vu comme elle lui avait tapé dans l'oeil, elle n'aurait pas à faire beaucoup d'efforts si elle voulait savoir si elle n'était pas trop rouillée niveau séduction. La cible allait sûrement être trop facile à son goût, elle ne se doutait pas qu'Angelina était capable de viser - et d'atteindre - beaucoup plus haut.

Madame Gilmore s'était enquit un millier de fois de savoir si un petit frère ou une petite soeur manquait à la vie de sa fille. Elle souffrait d'une culpabilité irrationnelle, comme si adopter un bébé toxico n'était pas suffisant pour apporter sa pierre à l'édifice. Lorsqu'elle était plus jeune, Angelina se voyait régulièrement demander si elle aurait aimé avoir de la compagnie pour jouer dans l'immense manoir et la réponse était toujours négative. Non. Angelina ne voulait pas de frère ni de soeur. Elle était très bien toute seule et n'avait pas envie que tout ce qu'elle avait toujours connu change. Non pas par égoïsme de vouloir garder ses parents pour elle seule mais surtout car elle ne savait pas comment elle pourrait gérer un nouveau venu dans sa famille. Aimer et faire confiance, ce n'était pas inné chez elle contrairement à la plupart des gens qui sous prétexte que c'est la famille, s'attacher de manière quasi-immédiate à un nouveau parent. Angie aimait ses parents, ils avaient une relation plus forte qu'ils ne pouvaient le soupçonner. Mais accorder son amour à un frère ou une soeur, elle n'en était pas capable. Du moins elle ne s'en sentait pas capable.

C'était peut-être pour ça qu'elle avait aussi mal vécu l'arrivée de Nina de leur vie. Elle avait eu l'impression qu'on lui imposait cette petite soeur qu'elle avait toujours refuser d'avoir. La façon dont sa mère parlait de Nina en disait long, on sentait l'amour d'une mère. Même si Nina avait débarqué à la fin de son adolescence, ça avait été suffisant pour que Monsieur & Madame Gilmore s'attachent à cette gamine comme la misère sur le monde. Des photos de Nina avaient trouvé leur place dans la maison, jamais très loin de celle d'Angie mais assez proche pour qu'un inconnu établisse immédiatement un lient de parenté qui pourtant n'existait pas. Si leur première rencontre s'était extrêmement mal passée, obligeant les Gilmore à réunir les deux filles pour obtenir la promesse qu'elles se supporteraient, à défaut de pouvoir s'aimer. Du haut de ses 29 ans, Angelina avait vite mis cette altercation de côté mais à vrai dire, même si elle ne l'avouerait jamais elle regrettait de l'avoir agressé comme elle l'avait fait. Ce n'était pas un comportement digne d'une maman responsable et elle savait que si un jour Arthur avait vent de cet incident il lui ferait passer un sale quart d'heure. Mais fuck Arthur il n'était pas là de toute façon. Angelina éclata de rire, révélant deux rangées de deux dents d'une blancheur éclatante pour une nana qui buvait facilement un litre de café par jour. "Arrête ! J'aime pas tout ce qui est moulant ! Enfin ce n'est pas tout à fait vrai. J'aime porter du moulant quand je décide de porter du moulant. Là ce mariage me fait chier, ils vont encore me foutre à la table des célibataires, j'ai aucune envie d'y aller. Et t'inquiète pas, je sais me déshabiller au besoin." Quand elle bossait quoi. Elle avait largement mis sa vie de femme de côté depuis des années, pire encore elle n'avait même pas échangé un bisou ou quoique ce soit avec qui que ce soit. "Tu serais étonné de savoir à quel point les nonnes et moi on a des points communs..." lâcha t-elle en rigolant avant de reprendre une gorgée de café.

Puis vint sur la table le sujet Arthur. Le sujet qu'elle détestait. Parce qu'elle le détestait lui et tout ce qui s'y rapprochait de près ou de loin. Elle ne ressentait jamais rien de bon à proximité d'Arthur et elle était bien contente que leurs contacts se limitent aux moments où elle déposait Abel chez lui. Elle ne le supportait plus, c'était devenu épidermique et elle savait que c'était 100% réciproque. La belle affaire. Nina s'intéressait donc à son cas et Angie ne put réprimer un soupir d'exaspération. Non pas à son égard, mais juste à la pensée de son ex. Et de ce qu'elle avait fait pour qu'ils en arrivent là. Angie reposa sa tasse de café et planta son regard bleu perçant dans ceux de son interlocutrice. "Contrairement à ce que tu penses j'ai pas toujours été cette maman aigrie et chiante à mourir. Avant j'étais complètement tarée. Peut-être que je le suis encore un peu d'ailleurs. Je sortais avec Arthur depuis six mois, ça se passait pas très bien car j'étais super jalouse et lui il était là, nonchalent, désinvolte, voir détaché. Il se foutait totalement qu'un mec me drague devant lui ou en tout cas il montrait rien. Aucune passion chez ce mec. A part au pieu peut-être... Il avait beau me rassurer mais ça suffisait pas. Encore aujourd'hui j'ignore si c'est parce que j'avais un démon dans la tête ou parce qu'il n'y mettait pas du sien. Un peu des deux je suppose... Bref un soir on s'est disputé, j'étais énervée j'ai appelé un pote on a couché ensemble... Arthur a été pris de remords il est rentré à l'appart dans la nuit pour qu'on s'explique sauf qu'il m'a découvert endormie dans le lit avec ce mec, donc." Elle marqua une pause. Ok après ça y aurait pas de machine arrière, Nina aurait largement de quoi la charger si elle en avait envie. Mais en vérité Angelina n'en révélait pas plus que tout ce que Brisbane savait déjà. "Quelques mois plus tard j'ai découvert que j'étais enceinte, j'ai senti le besoin de partir alors je suis parti à Hawaï chez ma tante qui s'est plus ou moins occupé de moi. L'argent a commencé à manquer et mes parents voulaient voir Abel grandir donc je suis revenue ici. J'ai fais un test de paternité, il s'est avéré que c'était Arthur le père. Et tu connais plus ou moins la suite..." C'était une longue histoire et Angie avait passé sous silence l'hésitation entre trois pères potentiels. C'était suffisant pour la journée. Largement. "Ouais il est de Brisbane, il est prof même. De quoi je sais plus, je sais juste qu'il enseigne au lycée." C'était un motif de dispute à l'époque aussi, ses élèves l'ajoutaient sur les réseaux sociaux et ça la rendait folle.

Instant émotion, les Gilmore s'invitèrent dans la conversation. Obligeant Angelina à respirer lentement, plus elle vieillissait et plus elle devenait émotionnelle quand il s'agissait de ses parents. Le fait de devenir mère lui avait fait prendre conscience de beaucoup de choses et elle était à présent beaucoup plus indulgente envers eux. Même si l'histoire de la garde avait remis un peu d'eau dans le gaz, Angie savait qu'elle n'allait pas tarder à venir les visiter avec Abel. Abel s'était énormément attaché à eu et elle croyait savoir que Nina aussi avait fait forte impression sur son fils car il lui arrivait de lui parler d'elle dans la voiture lorsqu'elle venait le chercher. Nina lui confia alors qu'elle s'était enfermée toute seule dans un piège avec ses parents, se faisant passer pour la petite fille parfaite. Angelina haussa les épaules. "Ils ne sont pas idiots, ils savent que t'es pas parfaite. Déjà parce que t'as atterris chez eux... Si t'étais un ange, tes parents t'auraient pas envoyé dans ce manoir perché au sommet d'une falaise comme sentence, je me trompe ?" Angelina ne savait toujours pas ce qui avait réellement amené Nina chez les Gilmore, elle ne faisait que des suppositions.

Puis leur conversation prit une autre tournure lorsque Nina devint d'humeur joueuse. Angelina haussa les sourcils, amusée par ce petit côté mesquin qu'elle avait. C'était apparemment un défi, Nina l'obligeait à se remettre en piste et visiblement le cobaye du jour était le serveur. Angelina croisa ses jambes et regarda le serveur un peu plus en détails. "Sérieusement Nina ? Même toi t'irais pas le draguer pour rigoler." Le serveur croisa son regard et le malaise se lut sur le visage de ce dernier qui parti se réfugier dans ce qui devait être la réserve puisqu'il était écrit "personnel" dessus. Angelina éclata de rire, rapidement rejoint par Nina. Ça faisait une éternité qu'elle n'avait pas rigolé, et bordel de merde qu'est-ce que ça faisait du bien. "Et toi Nina, quoi de neuf dans ta vie ? Fais moi rêver un peu. Je sais pas grand chose de toi après tout.. Qu'est-ce que tu caches qui te fait culpabiliser vis à vis de mes parents ? Promis cette fois-ci je t'attrape pas par les cheveux."

Elle est bavarde Angelina, elle fait même preuve d’humour et de beaucoup d’auto-dérision pendant qu’elles papotent comme ça. Nina veut bien l’écouter, elle ne ferait pas cet honneur à n’importe qui et d’ailleurs, n’importe qui d’autre l’aurait déjà agacé à peine deux mots échangés mais ce n’est pas le cas. Peut-être que c’est parce qu’elle est venue avec de bonnes intentions en faisant le premier pas, peut-être que c’est pour maman Gilmore qu’elle fait ça ou peut-être que c’est juste le charme d’Angelina qui agit sur elle. Elle est belle à regarder quand elle laisse son amusement dépasser son masque de fer, qu’elle avait toujours tenu avec Nina jusque-là, et quand elle rit. Ça fait sourire Nina, elle sourit assez pour qu’un étranger qui assisterait à la scène voit que ce n’est pas une torture pour elle d’être là, que c’est même agréable et il pourrait même les prendre pour des bonnes copines. Un mariage ? Elle hausse un sourcil, intriguée. « Trouve un cavalier. » Nina fit cette suggestion comme si c’était l’évidence même. « Essaye de contacter une vague connaissance ou un de tes amis, riche et beau de préférence, pour faire jalouser toutes les bécasses, voire même la mariée et comme ça rapproche les mariages vu que tout le monde flotte dans le bonheur… peut-être qu’enfin tu pourras briser ton vœu de chasteté. » Elle glissa un petit sourire espiègle. Les idées de Nina n’étaient peut-être pas forcément de bonnes idées mais elle avait le mérite de toujours trouver une solution à tout, du moins, quand les problèmes ne la concernaient pas personnellement.

Elle pose un coude sur la table, pose son menton sur sa main, d’un air attentif, après avoir fait part de son intérêt pour le papa d’Abel. Elle papillonne des cils, hoche la tête par moment pour lui faire comprendre qu’elle écoute toujours mais fronce un peu les sourcils au fur et à mesure qu’Angelina déroule oralement son histoire avec Arthur ; l’histoire s’annonce moins palpitante que prévue à ces yeux. Elle n’a pas le meilleur rôle dans l’histoire, Angelina, sûrement parce qu’elle restait fidèle à elle-même, avec ses démons, son caractère, ses positions et en ça, Nina trouvait qu’elle lui ressemblait. Pareil, une somme de mauvais choix l’avait entraîné dans des situations compliquées et au stade où elle en était, ce n’était même pas nécessaire de reprocher quoique ce soit à Angelina. C’était fait, c’était la vie et Nina n’avait même pas de remarque accablant la jeune femme en face d’elle. Elle restait neutre, elle comprenait. Angelina n’était pas le genre de femme qu’on aurait admiré aux premiers abords, plus anti-héroïne, qu’héroïne mais c’était cela qui la rendait intéressante, pas fadasse comme toutes les autres, avec un tas de qualités qu’on remarquait quand on prenait la peine de dépasser ses airs de bimbos brune féroce et c’est pour cette raison qu’elle se sentait proche d’elle. Elle faillit se laisser bercer par l’affection mêlée de compassion qu’elle sentait naître en elle avant qu’une réponse la fasse réagir. Arthur. Prof. Lycée. Elle se redresse d’un coup. « Arthur Iver ????! » Le monde serait-il aussi petit ? Elle avait du mal à analyser le flot d’informations qu’entraînait le rapprochement qu’elle venait de faire dans sa tête, suite aux paroles de son interlocutrice et ce fut encore pire quand elle obtint confirmation. « Je l’ai eu comme prof au lycée, il est encore plus austère qu’un prêtre ! » … Mais il était beau, elle se devait de l’admettre mais ils s’étaient toujours mutuellement insupporté. Pourtant, il fallait avouer qu’elle lui avait toujours reconnu beaucoup de qualités. « Il m’a toujours enfoncé sur mes bulletins et je compte même plus le nombre de fois où on s’est clashés. Je trouvais insupportable sa façon d’être cool avec tout le monde, d’accepter les élèves sur facebook et puis il se prêtait toujours au jeu des filles qui lui tournaient autour, il en jouait de sa belle gueule. Par contre, c’est jamais allé plus loin, il a jamais flirté à outrance avec qui ce que soit. J’avais une copine dingue de lui, vraiment, et pas du genre timide, mais rien, il l’a stoppée net quand il a vu qu’elle était prête à tout. » Elle était pas en train de sous-entendre que c’était un type bien, loin de là, mais elle se rendait compte qu’elle n’avait rien à lui reprocher. Ils manquaient d’atomes crochus, ils étaient fixés concernant l’autre et ils n’avaient aucune raison de s’apprécier. « Je sais pas pourquoi mais ça me fait bizarre, maintenant de savoir qui était le fameux Arthur… » Elle reste pensive. C’est un peu comme si deux mondes qu’elle pensait complètement séparés (sa petite vie, le lycée, ses professeurs VS Angelina, qu’elle n’avait jamais vraiment côtoyé depuis ce soir d’orage) se réunissaient.

La conversation glissa vers leur dénominateur commun : les Gilmore. Elle hocha la tête, elles étaient d’accord sur ce point. Mais le truc, c’est qu’ils l’avaient accepté comme elle était, ils l’avaient traité comme si elle était leur propre fille, ils avaient été si gentils. Elle leur devait beaucoup. Si elle ne les avait pas rencontrés, elle se doutait qu’elle n’en aurait sûrement pas mené large aujourd’hui. Son avenir n’aurait pas été aussi radieux, Dieu sait quelles horribles idées lui seraient passées par la tête pour s’évader de son quotidien morne, à sa vie en apparence facile car tout pouvait être acheté… mais pas l’amour de vos parents. Elle n’était pas encore prête de parler de tout ça. Elle avait beau faire beaucoup d’introspection, d’analyser tous les choix qu’elle avait fait dans la vie et qu’elle avait ainsi assez de recul sur sa vie, elle n’avait jamais fait part de son passé à personne.

Elle était néanmoins prête à laisser Angelina entrer dans sa vie, surtout qu’elles semblaient être sur la même longueur d’onde. Elle comprit directement la suggestion qu’elle était en train de lui faire alors qu’elle faisait allusion au serveur qui lui lançait des regards amourachés depuis qu’elles étaient arrivées. « T’as raison. Trop facile pour toi. » Angelina profita du petit moment de flottement pour changer de sujet et cette fois, elle voulut que Nina soit le centre de la conversation. Si cela ne l’avait jamais dérangé qu’on parle d’elle, s’ouvrir et laisser quelqu’un d’autre surplomber les barrières qu’elle avait toujours érigées autour d’elle, c’était une autre histoire. Elle avait conscience qu’Angelina avait été sincère et qu’elle s’était ouverte à elle, sans même y réfléchir à deux fois mais c’était encore irréalisable pour Nina. Elle voulait encore moins parler de son accident. Son visage se fut moins lumineux, son sourire s’effondra alors qu’elle se reculait sur son siège, laissant de l’espace entre elle où un froid allait s’engouffrer. Elle était visiblement plus renfermée, vu la façon dont elle pinçait les lèvres. « Je n’ai rien à te dire. Je ne peux pas te parler de ça. » Elle avait été involontaire trop sèche, trop sur la défensive, mauvaises habitudes. Elle sentait qu’Angelina ne la laisserait peut-être pas s’en tirer comme ça après tout ce qu’elle avait révélé sur elle. « S’il-te-plaît, ne m’en veux pas… Je… » Peut-être pour la première fois, elle se sentait réellement désolée auprès de quelqu’un. Elle se pince les lèvres, revenant à la réalité, pendant que la sonnerie de son téléphone retentit et que son cerveau percute qu'il reste encore beaucoup de kilomètres avant un rapprochement en elles. « Excuse-moi. » Andrina s'enfuit presque, c'est l'impression qu'elle donne en la voyant bondir de sa chaise et s'éloigne.