Voilà seulement quelques heures que Victor avait atterri en Australie. Il était déjà venu à Brisbane, ou encore à Sydney, plusieurs fois, notamment pour accompagner son père au niveau de la gestion des hôtels qu'ils avaient sur le continent. Cette fois-ci, son arrivée avait une toute autre raison. Une raison bien plus agréable, bien plus importante à ses yeux. Irene. Sa fiancée avait posé ses valises depuis presque un an ici. Être loin d'elle tout ce temps était plutôt difficile pour Victor. Il avait l'impression que ce n'était pas forcément le cas pour la belle, qu'elle serait presque indifférente de son absence, mais il préférait chasser ces pensées de son esprit. Et puis, même si c'était le cas, il n'allait pas juste baisser les bras. Ce fut d'ailleurs pour ça qu'il décida de faire ses bagages aussi, et venir ici. Victor avait posé ses affaires dans l'un des lofts de l'hôtel, où il logera pendant son séjour, qui sera sûrement long, à Brisbane. Juste le temps de prendre une douche et de se changer, avant de ressortir pour prendre la route vers la villa où habitait Irene. Une pause chez le fleuriste s'imposait, ainsi qu'acheter une bonne bouteille de champagne, l'un des plus prestigieux, avant de se faire déposer par son chauffeur devant la demeure de la belle Delaney. Le majordome ouvrit la porte puis laissa Victor rentrer une fois que celui-ci s'était présenté. Le Lord avait décidé de surprendre sa fiancée, qui était d'ailleurs absente de la maison, et ne lui avait pas dit qu'il venait. Il espérait que cette surprise allait lui faire plaisir. Il parla d'ailleurs avec le majordome afin que celui-ci ne dise pas un mot lorsqu'Irene reviendra à la maison. Victor choisit un endroit stratégique à l'entrée pour y poser le beau bouquet de fleurs avant de rentrer dans le grand salon avec deux coupes et la bouteille de champagne à ses côtés. Il n'attendait maintenant que l'arrivée de sa belle, et avait hâte de voir sa réaction. Loin de lui l'idée que cela la déstabiliserait, pas forcément dans le bon sens.
e magasine gisait au sol, les feuilles de papier glacé froissées, arrachées par endroit. Et Irene, assise droite à son bureau, le regard perdu dans le vide. Posées devant ses yeux bruns, une photo qui s'étalait sur une page double : une rue la nuit, une foule, et au milieu, un homme et une femme, se tenant par la taille. Elle, grande, blonde, une alliance clairement visible sur la main qui tenait son sac à main de luxe. Lui... elle déglutit avec peine, les larmes menaçant de couler encore. "Le Dragon a encore frappé", titrait le magasine. Et dans plusieurs colonnes, une histoire courte étirée dans les moindres détails de comment, durant son déplacement pour un défilé à Sydney, Jonathan Deauclaire avait - apparemment - séduit une mannequin (et pas l'une des siennes), pourtant déjà mariée.
Les mains d'Irene tremblèrent lorsque finalement, elle se saisit de ce torchon pour le déchirer, et le passer dans la broyeuse avec toute la dignité dont elle était capable. Qui était cet homme ? Etait-ce celui dont Jamie l'avait prévenu ? Celui dont la réputation de Dragon se confirmait ? L'homme brisé qui à son tour brûlait des coeurs pour se sentir exister ?
Elle n'avait pas espéré qu'il lui professe son amour éternel et lui jure fidélité à jamais. Elle n'avait pas espéré qu'il la demande en mariage le jour de leurs retrouvailles, ni qu'il l'embrasse et qu'il lui fasse tendrement l'amour lorsqu'ils s'étaient retrouvés dans son Atelier... enfin, presque pas. Irene avait rêvé trop haut et trop puissamment, le retour à la réalité n'en n'était que plus brusque. Et pourtant elle ne pouvait toujours pas y croire; ses promesses, ses baisers volés, ses mots, son regard ! Jonathan ne lui avait pas menti. Il l'aimait encore, elle ne était convaincue. Alors, pourquoi ? Ressemblait-elle à une héroïne naïve et romantique qui se morfondait d'un amour impossible avec un prince de la nuit, alors que l'attendait dans son château un prince tout aussi vaillant ? Irene secoua la tête ; idioties.
Elle ramassa ses affaires et quitta son bureau, prévenant sa secrétaire qu'elle viendrait demain en avance, pour compenser. Là, elle n'avait ni la force ni l'envie de rester : elle voulait juste rentrer chez elle et se blottir dans son lit en lisant un bon livre. Peut-être appellerait-elle Victor. Mais pourquoi devait-elle toujours le faire comme s'il s'agissait d'un second choix ? Voir Jon au bras de cette femme l'avait blessé ; elle se tournait donc naturellement vers celui qui lui avait promis un futur sans nuages. Et ce n'était pas juste. Ni pour l'un, ni pour l'autre. Ces derniers temps, éprise de sa passion pour Jon et de leur retrouvailles, de leurs mots et de leurs étreintes furtives, elle avait négligé son fiancé. Son futur mari. Le père potentiel de ses enfants.
Sans s'en rendre compte, elle appuya sur la pédale de l'accélérateur, répondant à l'adrénaline qui coulait dans ses veines. Jon n'avait rien de stable. Victor, à l'inverse... mécontente de ces pensées tumultueuses, Irene alluma la radio et s'efforça de s'intéresser à une émission sur la préservation des forêts et de la biodiversité jusqu'à son arrivée chez elle. Moins elle penserait à ses affaires romantiques, mieux elle se porterait.
Irene rentra chez elle de manière très distraite, pressée de trouver un moyen de distraction, remarquant à peine le sourire complice de son majordome à qui elle adressa un salut distrait. Oh, oui, il lui fallait une porte de sortie. N'importe quoi, pour tenir jusqu'à l'heure du coucher. Peut-être irait-elle même jusqu'à l'aquarium ? La vue du sublime bouquet de fleurs dans l'entrée la stoppa net dans ses réflexions. Figée sur ses talons, les sourcils froncés, elle s'approcha mais n'y trouva aucune étiquette. Jamie était-il passé ? Ou Jon ? Son coeur se mit à battre. Il l'avait fait envoyer pour se faire pardonner, oui, c'était sûrement ça ! Mais dans ce cas, pourquoi n'avait-il pas joint un petit mot d'excuses avec ? Troublée par ce présent inattendu - mais également flattée, vu les couleurs et la composition, elle se dirigea vers le salon pour y déposer ses affaires.
« Victor ?! » La surprise était, au moins, authentique. En face d'elle, coupes de champagnes à la main, se tenait son fiancé - pour de vrai ! Le regard bleu malicieux, les cheveux blonds bien coiffés et un sourire parfaitement ravi qui fit dérailler les pensées d'Irene. « Oh darling ! Que... je ne t'attendais pas ! Que fais tu ici ? » Mécaniquement, elle s'approcha pour l'embrasser et l'étreindre un instant, tout en se demandant ce qu'au nom du ciel pouvait bien faire ici son fiancé, débarquant dans la période la moins propices pour des retrouvailles heureuses et amoureuses. « Depuis quand es-tu à Brisbane ? Je... je suis tellement surprise ! Tout va bien ? Tu vas bien ? » L'inquiétude se fit sentir dans sa dernière question ; peut-être était-il là car il était arrivé quelque chose de grave ?? Mais dans ce cas... pourquoi le champagne ?
Contrairement à Irene, Victor était plutôt serein, moins tourmenté. Certes, pendant toute cette période loin de sa fiancée, et le fait que la belle ne demande pas de ses nouvelles autant qu’avant l’avait laissé un peu inquiet. Mais lui faisant entièrement confiance, peut-être même aveuglement, il se dit que son travail devait lui prendre beaucoup de son temps. Cependant, il ne pensait pas pouvoir tenir encore plus à être loin de celle qu’il considérait comme l’amour de sa vie. L’ouverture d’une branche de la chaîne hôtelière familiale à Brisbane était un bon coup du destin. C’était comme s’ils étaient destinés à se retrouver, ne plus être loin de l’autre. Victor s’était occupé de quelques affaires avant de décoller vers l’Australie, très impatient de revoir sa belle.
Alors qu’il pénétrait dans la belle demeure, après avoir expliqué au majordome qu’il s’agissait d’une surprise, un sourire s’afficha sur les lèvres du jeune homme. Il sentait même son rythme cardiaque s’accélérer légèrement lorsqu’il entendit les pas de sa fiancée, se dirigeant vers le salon avant de l’apercevoir. Alors qu’elle se trouvait à seulement quelques mètres de lui, Victor posa les deux coupes de champagne sur la table, puis se leva, tout sourire.
Hello sweetheart.
Victor accepta ensuite l’étreinte d’Irene, non sans la rendre encore plus chaleureuse. Il ferma les yeux pendant quelques secondes, se délectant de chaque sensation, de chaque baiser, de son parfum envoûtant qui lui avait tellement manqué. Il se demanda d’ailleurs comment avait-il pu attendre un an pour décider de la suivre. Le câlin prit fin, même si Victor aurait aimé qu’il dure éternellement. Le regard toujours surpris d’Irene, mais de plus en plus inquiet au fil des secondes, incita Victor à poser une main sur le haut de son bras et l’autre sur sa joue, la caressant tendrement.
Je voulais te surprendre. Tu m’as tellement manquée, love. Et ne t’inquiètes pas, je vais bien, tout va bien. Tout est parfait.
Dit-il, son regard ne quittant pas celui de sa belle. Tout était parfait, ce moment, ces retrouvailles, l’avoir là devant lui.
Je suis arrivé il y a quelques heures seulement. Je ne pouvais pas attendre plus longtemps pour te reprendre dans mes bras.
Victor prit la main de sa fiancée pour y déposer un baiser tendre, son sourire ne quittant pas ses lèvres. Il aurait peut-être l’air niais, avec ce sourire, mais il s’en moquait. Il était tout simplement amoureux.
Et toi love, comment vas-tu ? Ne t’ai-je pas manqué ?
Demanda Victor, dans le ton de la taquinerie sur la deuxième question, mais il était tout de même curieuse d’avoir sa réponse. Ensuite, sans tarder, le Lord reprit les deux coupes de champagne pour en passer une à Irene. A nos retrouvailles.
rene se laissa aller dans les bras de son fiancé, soudain étrangement émue. Non, clairement, non, pas une seconde elle s'était attendue à le trouver ici. Avec elle. Aussi simplement. Ils s'écartèrent, et elle lut sur son sourire que sa présence ici n'était pas due à un évènement malheureux. Quant à elle, elle le dévisageait, toujours stupéfaite de le trouver là, dans son salon, resplendissant, comme s'il s'agissait de la chose la plus normale au monde.
Mais quoi de plus normal, en effet, que de trouver son fiancé chez soi ?
« Ça, pour une surprise... » Elle-même n'arrivait pas à déterminer le ton de sa voix, mais elle supposait qu'il exprimait ce qu'elle ne pouvait définir. Un mélange de joie et de surprise et de retour à la réalité. Bien évidemment, elle était heureuse de le voir. Surtout dans ce contexte. Particulièrement dans ce contexte, d'ailleurs. Eut-elle été d'une nature superstitieuse, elle y aurait lu un signe - pas de coïncidence, mais un véritable signe du Ciel, du Diable ou de dieu sait qui. Victor qui revenait le jour où elle découvrait la relation adultérine (non, pas adultérine, ce n'était pas comme s'il fréquentait quelqu'un) - plutôt scandaleuse, alors - de Jonathan. L'un s'éloignait, l'autre se rapprochait. Victor apparaissait au moment où elle en avait le plus besoin. Elle se mordit la lèvre, pensive.
Irene aimait Jonathan, elle n'en avait jamais douté et d'ailleurs sans ça, elle ne serait pas là. Mais Victor était là, justement. Avec elle. Pour elle. Et elle l'aimait aussi... à sa manière. Ce fut cette dernière pensée qui la décida à profiter pleinement de l'instant. Se faisant violence pour conjurer dans son esprit la photo de cette mannequin au bras du Dragon, elle voulut la remplacer par ce qu'elle avait devant les yeux. De se concentrer la visite de l'homme qui l'aimait et pour qui, à en croire son regard, elle brillait plus que le soleil. De l'homme qui était venu la chercher. « Bienvenue chez moi, alors ! Bienvenue en Australie... » Chez elle, oui. Dans ce pays qu'elle aimait tant, malgré tout ce qu'il lui avait pris, pour tout ce qu'il lui avait apporté. Elle trinqua avec la joie d'une enfant qui reçoit un cadeau. « À nos retrouvailles. À ton séjour ici, love. » Irene une gorgée, priant pour que les bulles dissolvent ses angoisses. Sans s'en rendre compte, elle hésitait aussi sur la conduite à tenir. Nul doute que ses réflexes de fiancée éprise reprendraient le dessus, mais pour le moment, la surprise n'était pas totalement passée.
« Je vais bien, je... bien sûr que tu m'as manqué. Un an ! C'est du délire... mais le temps passe si vite ici. » Irene eut conscience que sa voix montait un peu dans les aigus, mais mit cela sur le compte du champagne. Une petite voix dans sa conscience lui chuchota que la posture qu'elle adoptait était malsaine, mais elle n'en tint pas compte. Elle avait de bonnes raisons, après tout. Si Jonathan trouvait mieux chaque soir, pourquoi ne pouvait-elle pas, elle, profiter de son fiancé et se permettre de se laisser aller... « Mon dieu je n'arrive toujours pas à croire que tu es vraiment ici. Je suis vraiment heureuse de te voir là, tu arrives au bon moment. Assied-toi, je t'en prie, fit-elle en désignant le canapé. Le rejoignant, elle posa la coupe sur la table basse et entreprit de le toucher à son tour, posant ses doigts délicatement sur le visage du Lord. Elle traça ses lèvres, ses yeux, son nez... L'embrassa encore et puis entrelaça leurs mains. Le contact était bienvenu - pas un contact clandestin, pas les caresses d'un ami, pas l'étreinte d'une connaissance. Le contact d'un homme qui lui appartenait officiellement, et réciproquement. « Tu as décidé de venir juste comme ça, ou bien c'était prévu ? Est-ce un séjour provisoire ? Oh ! Et comment t'es-tu arrangé avec les hôtels ? Tu es venu directement de Malibu ? Et où as-tu posé tes bagages ? Où est-ce que tu loges ? »
La Lady se rendit compte qu'elle le bombardait de questions en le voyant écarquiller ses yeux, ce qui la fit rire. « I'm so sorry darling ! C'est juste que te voir ici... j'ai des millions de choses à te demander. À te raconter. » Le ciel des yeux de Victor s'illumina, et elle fut à cet instant sincèrement heureuse de le retrouver.
On pouvait dire que la surprise était bien réussie. Irene était loin de s'attendre que son fiancé allait débarquer, du jour au lendemain, en Australie. Victor lui-même n'avait pas mis beaucoup de temps pour prendre cette décision. Pour lui, c'était une évidence que de devoir être aux côtés de sa fiancée, et pas à plusieurs kilomètres d'elle. Les appels téléphoniques, les mails et les conversations sur Skype ou FaceTime n'étaient plus suffisantes. D'autant plus que dernièrement, elles n'étaient plus aussi fréquentes qu'au début. Non, il avait besoin de voir son si joli visage devant elle, la prendre dans ses bras, sentir ses doigts s'entrelacer avec les siens, sentir son parfum. Alors il était là, maintenant, devant elle, avec du champagne, parce que ces retrouvailles méritaient d'être célébrées. Les deux tourtereaux trinquèrent, et Victor ne put s'empêcher de sourire face à la voix d'Irene qui était un peu plus aiguë que d'habitude. Loin de lui l'idée qu'elle était, en quelque sorte, mal à l'aise à cette instant. Pour lui, c'était de la joie, et ça le rendait encore plus heureux de savoir qu'Irene était si contente de le revoir. Bien sûr, il était loin de se douter de tout ce qu'il se tramait derrière, loin de se douter qu'il y avait quelqu'un d'autre, qui avait également une place dans le cœur de la belle brune. Très très loin. Victor et Irene prirent enfin place sur le canapé, abandonnant leurs coupes sur la table. Ce contact entre eux, leurs mains l'une collée à l'autre, c'était du pur bonheur pour le Lord. Ce dernier écarquilla ses yeux face à la multitude de questions de sa fiancée, non sans être amusé. Un sourire avait pris place sur ses lèvres, depuis qu'il l'avait vue mettre les pieds au salon. Victor prit la main de sa fiancée pour y déposer un baiser avant de reprendre la parole.
No worries sweetheart. Tu peux me poser autant de questions que tu veuilles.
Elle lui avait tellement manquée qu'il pourrait rester à ses côtés pendant des heures à l'entendre parler, et cela ne le dérangeait pas qu'elle posa toutes ces questions. Après tout, cela se comprenait, elle ne s'attendait pas du tout à sa présence ici, juste comme ça, du jour au lendemain.
Je dois t'avouer que je n'ai pas planifié ça depuis longtemps. Cela fait seulement quelques semaines que j'ai pris la décision. Toutes les affaires des hôtels ont été réglées, Father est là-bas s'il y a des urgences, mais je reste joignable bien sûr. Et puis, ce n'est pas si mal de se rapprocher un peu des hôtels ici en Australie.
Répondit-il, en premier lieu, avant de continuer, sans lâcher la main d'Irene.
Je loge à l'hôtel, dans l'une des suites, pour l'instant. Et je n'ai pas pris de billet retour pour les US, je ne prévois pas de rentrer tout de suite. Je préfère être là, avec toi, if that's alright with you.
Il n'y avait que de la vérité dans ce qu'il disait. Victor n'avait jamais eu de sentiments aussi forts envers une femme comme ceux qu'il ressentait pour Irene. Il se sentait très chanceux d'être avec elle, chanceux qu'elle l'aime en retour et qu'elle ait accepté de passer sa vie avec lui. Si cela devait être en Australie, aux Etats-Unis, en Angleterre ou n'importe où dans le monde, peu lui importait. Il voulait juste l'avoir à ses côtés. Et toi alors, comment se passent les choses ici, au travail ? Et as-tu pu faire de nouvelles connaissances, des amis ? A ton tour de tout me raconter.
était un soulagement de constater à quel point les choses redevenaient faciles avec lui. Naturelles. Rassurantes. Irene se serra contre son fiancé, posant sa tête contre son épaule. Elle pouvait sentir son parfum, chatouiller son cou de ses lèvres. Elle l'écouta patiemment, acquiesçant à ce qu'il disait. Well, ça ne s'annonçait pas mal.
« Oh... oui, bien sûr que ça me va! Tout me va. Je suis contente que tu sois là. Ça me soulage de l'impression d'avoir un fantôme pour fiancé, rit-elle. Je te laisse faire ta vie mais... si jamais tu veux emménager à la villa, tu peux. Il y a suffisamment de place pour deux ici. De toute façon, je ne prévoie pas vraiment de rentrer tout de suite non plus. » Irene se redressa pour répondre à ses questions, à son tour. Ça serait facile, pensa-t-elle avec une pointe d'amertume, il suffisait juste "d'oublier" de mentionner la rencontre avec son premier - elle se frappa mentalement pour ne pas dire "unique" - amour, leur dîner au restaurant, et leur soirée trop ambiguë à l'Atelier. Finalement, peut-être que ce foutu magasine lu ce matin était une bonne chose : au moins, elle avait peu de remords, maintenant. Même si, au fond, rien ne changeait vraiment, elle était toujours effroyablement confuse. Beaucoup trop pour le bien de son couple, en tous cas.
« Tout se passe bien pour moi. J'ai retrouvé Jamie, surtout, et plusieurs amis d'y a quelques années. Il faudra que je te les présente, ce sont tous des gens adorables, tu vas beaucoup les aimer. Au niveau du travail, ça va... Ça m'a pris beaucoup de temps et d'énergie pour vraiment redonner à la Maison la direction qu'on se voulait mais ça s'annonce vraiment bien ! La cuvée de l'année dernière est bonne et je travaille bien avec les viticulteurs qui se sont associés à nous. Je te ferai faire le tour de la propriété ! Elle est sublime, tu verras. » Elle but une gorgée, et entreprit de raconter un peu plus en détail ses aventures, ses retrouvailles avec ses amis. La Lady parla également de son père, mentionnant simplement que sa maladie devenait inquiétante, sans évoquer leur brouille. Après tout, hormis Jamie, Victor était le seul ici qui connaisse intimement sa famille et s'il y avait bien quelque chose qu'elle pouvait lui confier, c'était l'état de santé inquiétant de Lord Arthur, qui se dégradait de manière effroyable. Elle qui refusait encore de l'appeler, c'était un autre souci.
« Bref, ça a surtout été une année riche en...évènements. Je n'ai pas eu trop le temps de prendre soin de moi, entre le boulot, l'acquisition de la villa et la décoration, la découverte du reste du pays, un peu. Je te souhaite de vivre la même chose, tu sais ? Je me sens tellement bien ici. » Irene reposa sa coupe délicatement, et se tourna vers Victor, l'air un peu plus grave. « En fait, j'aurais quelque chose à te demander. Je sais que c'est dingue et que tu vas hurler, surtout que tu viens à peine d'arriver... mais j'y ai beaucoup réfléchi. Vraiment. Beaucoup. C'est très compliqué de te demander ça mais... Elle prit une grande inspiration, et lutta pour conserver un visage serein et souriant, confiant et radieux malgré ce qu'elle s'apprêtait à demander à son prince charmant. Darling, je voudrais repousser la date du mariage. » Avant que Victor n'ait le temps d'ouvrir la bouche, Irene se remit à parler, le besoin brûlant de se justifier ne pouvant être retenu plus longtemps.
« Ne t'inquiètes pas, ça ne veut rien dire, c'est juste que... Je pense rester ici un moment. Pour les vignes, mon nouveau travail qui me passionne vraiment. Pour les personnes que j'ai rencontrée ou retrouvées ici et que j'aimerais ne pas perdre, encore. Pour la qualité de vie qui est si différente de celle de la Californie, ou même de Londres. Parce-que... parce-que je sais que tout est organisé pour décembre mais je ne me sens pas prête à abandonner tout ça maintenant, et que si on peut se donner quelques mois de plus pour réfléchir peut-être à une autre vie... je- je suis désolée de te demander ça, vraiment my love, mais je pense que ça serait une bonne chose, non ? Ou alors c'est ridicule, et je suis juste confuse. Mais il y a eu tellement de changements dans ma vie ces derniers temps... » Elle haussa soudain les épaules, et puis, comme défaite, baissa la tête, une soudaine tristesse voilant ses yeux bruns.
« Non, excuse-moi, ça n'a aucun sens. J'ai juste l'impression d'avoir perdu mes repères ici... j'ai envie de tout changer, s'excusa-t-elle d'un sourire sans joie, mais elle insuffla une nouvelle dose d'optimisme dans sa phrase suivante. Je ne voulais pas gâcher ton retour. Oublies-ça, c'est ridicule, on en reparlera plus tard. Je te fais faire le tour de la maison ? »
Victor comptait bien rester ici pendant un bon moment et il ne tarda pas à faire part de cela à sa fiancée. Ayant été loin d'elle pendant une année entière, ce n'était actuellement plus concevable pour lui qu'ils soient séparés par tout un océan, surtout qu'il n'avait pas un travail qui l'empêchait de quitter le pays. C'était l'avantage d'être le gérant d'une entreprise, encore plus lorsqu'il s'agissait d'une entreprise internationale, où il pouvait se permettre de bouger dans les quatre coins du monde. Il arrivait à s'occuper de pas mal de choses à distances, et son père, malgré son âge, pouvait encore s'occuper de certaines affaires sur place si besoin. Alors rester à Brisbane quelques mois, ça ne le dérangeait pas plus que ça, bien au contraire, surtout lorsqu'il se retrouva devant Irene qui avait l'air aussi contente que lui de se retrouver, et lui proposa même d'emménager à la villa.
Merci love, c'est fort probable que je passe la majorité de mon temps ici, pour être avec toi. Après tout, c'est la raison principale de ma venue ici.
Dit-il, face à la proposition de sa fiancée, avant de prendre sa main et y déposer un baiser. Le sourire qu'il esquissait ne fit que s'élargir alors qu'Irene lui racontait toutes ses nouvelles, ses rencontres, ses retrouvailles. Il pouvait rester des heures à l'entendre parler. Elle avait l'air épanouie et avait l'air de bien se sentir ici, et cela ne pouvait que faire plaisir à Victor. La chose la plus importante pour lui était de voir sa belle heureuse.
Je suis très content de voir que tu es bien ! J'ai hâte de faire partie de tout ça, et c'est avec plaisir, pour rencontrer tes amis.
L'expression joviale d'Irene laissa place à un air plus grave qui inquiéta Victor sur le coup. Elle avait déjà abordé le sujet de la maladie de son père, alors il espérait qu'il n'y avait pas d'autre chose plus grave qu'elle ne lui avait pas encore dit. Il était loin de s'attendre à ce qu'Irene s'apprêtait à lui dire. Son air surpris lorsqu'elle cracha le morceau en était bien la preuve. A peine Victor eut le temps d'assimiler cela et de dire quoi que ce soit que la jeune femme reprit la parole, pour se justifier, pour lui expliquer les raisons qui l'ont poussée à poser cette question. Victor n'allait pas hurler, mais il était un peu perplexe à vrai dire. Il comprenait très bien que se retrouver dans un nouveau pays et devoir s'occuper de tellement de choses n'était pas une chose facile, mais il ne comprenait pas pourquoi le fait qu'ils se marient plus tard allait rendre les choses plus faciles. Irene, après son petit discours, essaya de changer de sujet et faire visiter la villa à Victor. Ce dernier prit la main de sa fiancée, comme pour l'empêcher de se lever maintenant.
La maison n'ira nulle part, je veux qu'on parle de tout ça.
Après tout, elle ne devait pas s'attendre à lui dire toutes ces choses puis que la journée continue comme si de rien n'était. Cela dit, Victor n'était pas en colère, son regard était plutôt bienveillant, quoi qu'intérieurement il craignait qu'Irene ne commence à avoir des doutes quant au mariage, même si la belle brune l'assura du contraire.
Je comprends que tu t'es habituée à la vie ici, que tu ne veux pas tout abandonner et sweetheart, je ne te demanderai jamais de laisser tomber ce qui te tient à coeur. On peut très bien réfléchir à une autre vie, je n'ai aucun problème avec ça, mais pourquoi repousser la date du mariage ? On peut très bien revenir ici après la cérémonie et décider de tout cela, non ?
Victor était quelqu'un de très compréhensif, et il se devait de l'être encore plus avec l'amour de sa vie. Il était prêt à commencer une nouvelle vie en Australie, si c'était ce que voulait vraiment Irene. Mais il trouvait cela plus compliqué de repousser la date du mariage, d'abord parce qu'il avait hâte d'être son mari, d'échanger leurs voeux, de pouvoir l'appeler son épouse, mais aussi parce que cela impliquerait d'informer tous les invités -et il y en avait pas mal, mariage de la noblesse vous voyez-, et devoir s'attendre à pas mal de remarques de ce même milieu.
peine les mots avaient-ils franchi le seuil de ses lèvres qu'Irene les regrettait déjà. C'était la première fois qu'elle revoyait son fiancé depuis un an et elle lui proposer de repousser le mariage. Great. Encore une excellente décision dans sa vie ; mettre en danger son couple stable pour un homme qui était actuellement en train de se pavaner à l'autre bout de la ville au bras d'une autre femme déjà mariée. Si on lui avait raconté cette histoire à propos d'une autre femme - pire, d'une autre Lady - elle se serait étouffée dans son thé. Décidément, se comporter comme une femme ordinaire ne lui réussissait pas... L'Australie, la privant de son milieu naturel, avait bouleversé ses repères - mais maintenant que son fiancé se trouvait avec elle, elle ne pouvait plus se permettre d'agir comme une adolescente. Le jeu était terminé. Il n'aurait, d'ailleurs, jamais dû commencer. Elle commençait à se convaincre qu'elle avait fait une erreur en venant ici, en réapparaissant à Brisbane par magie spécialement pour revoir Jonathan. De profonds changements l'avaient transformé et même si elle l'aimait toujours, et même si elle l'aimerait jusqu'à son dernier souffle, Irene doutait qu'il soit possible de revenir en arrière.
L'Anglaise réussit à sourire, chassant la tension de son visage d'un simple haussement de sourcils, comme elle savait si bien le faire. Elle avait fait une promesse à Victor, un an auparavant. Depuis qu'ils s'étaient rencontrés, il l'avait acceptée et aimée plus qu'aucun autre homme qu'elle avait connu. Elle ne pouvait pas piétiner tout cela, pas avec cette maudite une de magazine en tête. Elle ne pouvait pas décemment l'abandonner et tourner le dos a tout ce qu'elle avait construit après des années de combat. Lorsqu'elle avait essayé de s'émanciper la première fois, de jouer les princesses de conte de fées, le monde s'était chargé de lui rappeler cruellement les règles du jeu. Elle appartenait à un monde où les traditions, les apparences et plus que tout le savoir-vivre régnaient. Quoiqu'il lui en coûte elle devait tenir sa promesse à Victor, et pas uniquement parce-que l'alternative ne semblait pas meilleure, mais parce-que c'était la bonne chose à faire. Elle s'en voulait d'avoir cru aux belles paroles de Jonathan, les dernières fois. Aux allusions de leur bonheur ensemble, à ce vide qui se creusait en lui depuis qu'elle l'avait abandonné... Elle y avait tellement cru qu'elle avait fini par se convaincre que c'était l'entière vérité et que sa réunion avec son vrai amour résoudrait tous ses problèmes. Comme quoi, il n'y avait pas d'âge pour être d'une naïveté extrême - même à bientôt trente-cinq ans, on pouvait toujours tomber de haut. Et surtout, elle avait oublié l'amour et la perfection de Victor, sa capacité à l'écouter, à la faire rire, à la rassurer. Elle l'avait oublié, lui.
« Tu as raison. Je te l'ai dit, c'était ridicule, c'était... » Mais de fait, son sourire se brisa, et elle se blottit d'un coup dans les bras de Victor, calant sa tête contre son torse, sa respiration erratique. Elle sentit qu'il l'enlaçait maladroitement, hébété par ce changement d'attitude qui ne correspondait clairement pas à Irene. « Je suis désolée... Darling I'm so, so sorry. Je suis juste un peu perturbée en ce moment, c'était difficile d'être loin de toi... et ça ne faisait plus beaucoup sens de se marier si vite alors qu'on ne s'était pas vu pendant si longtemps. J'avais oublié à quel point tu m'avais manqué, en vérité. Oh well... I'm getting a bit emotional. » Il n'y a pas de sanglots dans sa voix, elle a juste besoin de confort. Qu'on la serre et qu'on la rassure, qu'on lui dise que tout se passerait bien. Et surtout, qu'on étouffe cette culpabilité qui la ronge de plus en plus.
Depuis la première fois que Victor avait posé son regard sur Irene, il était persuadé que c'était la femme de sa vie. Elle était très gracieuse, élégante, avait confiance en elle. Il avait déjà entendu parler d'elle avant leur rencontre, après tout, dans le milieu aristocrate, la plupart des familles se connaissaient, si ce n'était pas personnellement, c'était au moins de nom ou par réputation. Irene était différente d'une grande partie des femmes dans ce milieu, celles qui vivaient de la fortune de papa et attendaient le prince charmant pour ne se réduire ensuite qu'à une trophy wife, qui se vantera de tout ce que son mari avait accompli et à quel point ses enfants étaient parfaits. Non, Irene était bien plus que ça, elle était diplômée de l'une des universités les plus prestigieuses, aimait la littérature et l'art dans toutes ses formes et par dessus tout, était la directrice commerciale de la maison de vin familiale. Pour Victor, elle représentait la femme parfaite. Le fait qu'ils aient tellement de choses en commun était un signe en plus, pour qu'ils finissent ensemble. Lorsqu'il avait demandé sa main en mariage, il n'avait pas une once de doute ni de crainte, et il n'en avait toujours pas. Bien au contraire, il attendait impatiemment le jour où les deux diront 'I do'. Décidément, du côté d'Irene, ce n'était pas tout à fait la même chose. Victor était un peu surpris lorsque sa fiancée lui demanda de pousser la date du mariage. Il était très compréhensif, et pouvait comprendre ce qu'elle ressentait, mais un autre côté de lui, celui qu'il ne montrait pas, était un peu vexé, blessé, de savoir que le degré de certitude vis à vis de ce mariage n'était pas au même niveau des deux côtés. Pour lui, quelles que soient les difficultés, il était prêt à les affronter avec elle, son épouse. S'ils devaient rester en Australie, revenir en Californie ou encore même à Londres, pour lui, c'était un sujet qu'ils pouvaient très bien aborder sans retarder leurs noces. Mais pour Irene, cela semblait être différent, comme si elle remettait plein de choses en question, et Victor craignait que l'idée de se marier avec lui n'était plus quelque chose qu'elle attendait avec impatience, que c'était devenu quelque chose qu'elle remettait en question également. Il ne laissa pas ce côté se manifester devant sa fiancée, il voulait plutôt la réconforter, surtout lorsqu'elle vint se blottir contre lui, non sans qu'il soit surpris. Il finit par passer ses deux bras autour d'elle pour la serrer contre lui, écoutant avec attention ses paroles.
It's all going to be alright, love.
Lui souffla-t-il à l'oreille, avant qu'il ne mette fin à leur étreinte pour que leurs regards se croisent. Il affichait un sourire bienveillant sur ses lèvres, et posa une de ses mains sur la joue d'Irene.
On a encore le temps pour parler de tout ça, à tête reposée.
Même si des discussions sur ce sujet pouvaient s'avérer difficile à digérer pour Victor, mais il était prête à en parler. Si vraiment c'était ce qu'Irene voulait, plus de temps, alors il finirait bien par succomber, et accepter. Il ne s'imaginait pas la vexer, de n'importe quelle manière qu'il soit. Il espérait juste que tout ça ne les éloignerait pas, et qu'elle ne finira pas par changer d'avis.
Que dis-tu d'une petite marche aux bord de la mer ? Je veux bien découvrir un peu les alentours. Et ensuite, je t'invite à dîner, pour fêter nos retrouvailles. Tu en penses quoi ?
Une petite balade et un dîner aux chandelles, cela pouvait leur faire du bien en ce moment même. Et puis, après tout, Victor n'était pas prêt de rentrer à sa suite maintenant. S'il était là, c'était pour retrouver Irene, alors il passera la majorité de son temps avec elle.
orsqu'il lui avait proposé de l'épouser, presque deux ans auparavant, elle n'avait pas hésité bien longtemps. Il était le seul qu'elle fréquentait alors, le seul assez fréquentable. Etrangement, il n'était pas encore marié non plus ; pas divorcé, pas veuf. Il ne cachait un passé de criminel ni d'arrogant célibataire occupé à conquérir et collectionner les femmes comme de simples boules à neige. Au contraire. Dès leur première rencontre, par un bel après-midi de printemps, elle l'avait tout de suite apprécié. Ces airs de prince charmant, ce regard bleu d'une douceur rare chez les hommes de son rang, ce sourire intelligent. Et cet enthousiasme pour Hamlet - leur pièce préférée à tous les deux. Le début d'une longue série de points communs... Il ne se tournait pas vers elle par dépit, ni pour sa fortune, ni pour son nom. Depuis qu'elle avait laissé son coeur là-bas, sur cette plage d'Australie, Irene avait pris soin de repousser proposition après proposition ; les rendez-vous soi-disant sérieux n'allant pas bien loin et les histoires d'une nuit restant des histoires d'une nuit. Les voyages avaient comblé sa solitude, ses différents métiers avaient occupé son ennui. Et si elle ne se plaignait pas - on ne pouvait décemment la qualifier de malheureuse, après tout - elle ne se sentait tout simplement pas heureuse. Il lui manquait l'amour passion, cette petite étincelle de magie que ni l'amour familial ou amical ne pouvaient lui insuffler. Tout simplement, elle ne se voyait jamais passer le restant de ses jours avec un homme qui ne lui inspirerait pas une passion plus grande que la vie elle-même. Tout ce qu'elle voulait, c'était raviver cette flamme que Jonathan avait allumé et que sa perte avait éteinte.
Los Angeles ne l'avait pas attirée, ni avant ni après y avoir mis les pieds, mais Victor avait réussi à donner un tout autre charme à la ville. Grâce à ses manières, sa façon d'être lui, elle voyait ses yeux briller plus que le soleil brûlant et entendu sa voix remplacer les bruits de circulation incessants. Le coeur d'Irene s'était remis à battre pour de vrai, pour la première fois depuis une décennie et elle ne voyait aucun obstacle à épouser celui qui la rendait à nouveau heureuse. Tout aurait dû être si simple, alors. Et puis...
« Yes, I know. » Ou plutôt, je l'espère... La culpabilité de l'anglaise serrait son coeur, mais elle avait fait son choix. Elle épouserait Victor. Elle ne lui briserait pas le coeur, elle ne pouvait pas lui briser le coeur. Que deux personnes aient à souffrir de la situation était déjà assez ; elle ne supporterait pas qu'un autre y soit mêlé. Ainsi ce serait mieux, elle l'épargnerait, et pour ce qui était de vivre avec des regrets... elle l'avait fait pendant dix ans, quelques décennies de plus seraient supportables. Et peut-être que le temps guérirait ses blessures, cicatriserait enfin son esprit. Tout le monde serait content ; Victor épouserait ainsi la femme de sa vie et adorerait leurs enfants, Irene vivrait la conscience en paix d'avoir fait le bon choix, acceptable aux yeux de tous, et Jonathan continuerait à exercer son génie nourri par cette profonde faille dans son coeur, compensée par les milliers de femmes et la gloire immortelle qui l'attendait déjà. Pas si mal, en fin de compte.
Et même si elle voulait repousser le mariage, se donner six mois, un an de plus pour être parfaitement en paix avec cette décision, elle craignait de vexer son fiancé. De le faire douter. De l'empoisonner avec l'incertitude de ses sentiments. Au moins, elle l'aimait trop pour ne pas vouloir le faire souffrir sciemment.
« Oui, on a tout notre temps pour en reparler. Mais pour le moment, j'approuve : profitons ! » Elle l'embrassa à nouveau, cette fois-ci le coeur moins lourd. La soirée pouvait continuer sur un ton plus léger ; et Irene enfin respirer. Quoiqu'il advienne, ils y arrivaient, et elle ne le laisserait pas tomber... tant que son démon ne reviendrait pas la hanter.