Il était inutile de dire qu'elle était nerveuse. Cela faisait bien dix minutes qu'elle était garée devant la maison où habitait sa fratrie. Gauthier, Charlie, Théodora et Connor avaient élu domicile dans cette ville de Pine Rivers. Elle avait investi dans un loft à quinze minutes d'ici, la seconde des Hazard-Perry n'aurait de toute façon pas été les bienvenus sous ce toit. C'était d'ailleurs ce qui la retenait à cet instant. Il ne semblait pas y avoir de voiture, peut-être qu'il n'y avait personne... mais le fait que ses frères ou sa soeur ne veuillent pas la voir était suffisant pour qu'elle reste derrière son volant. Et s'il y avait quelqu'un peut-être s'était-il déjà aperçu de cette voiture garée juste devant chez eux... Elle eva les yeux au plafond de la voiture. Qu'elle pouvait être bête! Rien ne lui faisait peur alors pourquoi était-elle si nerveuse? Dans un élan, elle attrapa son sac et sortit de la voiture prenant la direction de l'entrée de la demeure Hazard-Perry. Elle connaissait ses frangins, elle allait dans tous les cas être mal accueillie. Elle dirait bonjour, prendrait quelques nouvelles (pendant qu'eux s'occuperaient à penser qu'elle s'en fichait et que c'était par simple politesse), puis elle repartirait. Au fond, sa perspective avait changé, mais le mal avait été fait et leur faire changer d'avis ne serait pas une mince affaire. Elle appuya sur la sonnette de sa main manucurée, puis replaça une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Elle replaça un pan de sa jupe alors qu'elle entendait du bruit de l'autre côté de la porte qui s'ouvrit. "Théodora." Elle n'avait pas changé depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu, mais immédiatement elle sentit sa petite soeur sur la défensive. Maura laissa un fin sourire se dessiner sur ses lèvres, elle était heureuse de voir sa soeur après tout ce temps, mais elle devait se retenir car ce n'était certainement pas réciproque. "Je peux entrer?" Dans les fratries, ça ne devrait pas être ainsi, les portes devraient être ouvertes, tout comme les bras... mais chez les Hazard-Perry c'était différent... Théodora ne bougea pas. "Gauthier a dû te dire que j'étais arrivée, non? J'ai pris la tête des hôtels du pays, je me suis dit que je pourrais venir vous voir..." Des explications dans le vent, mais rien ne coûtait d'essayer. "Tu es toute seule? J'aimerais juste te parler un peu... je ne t'embêterais pas longtemps, promis." Si ses frères et sa soeur devaient savoir une chose c'était l'honnêteté de leur soeur, elle avait toujours tenu ses promesses malgré toutes les situations. La seule fois où elle avait échoué c'était quand elle ne s'était pas prononcée sur la grossesse de Théodora... la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase.

Elle ne s'était pas attendue à un accueil chaleureux de la part de sa sœur. Théo et Maura avait toujours été opposé l'une à l'autre. L'aînée avait fait aucun effort ces dernières années et un fossé immense c'était installé entre elles. Maura ne savait réellement pas à quoi s'attendre en venant frapper à la porte de la villa. En un sens, elle s'était fait une idée, plutôt négative de ses retrouvailles. Tout le corps médical qu'elle avait rencontré depuis le diagnostic lui avait conseillé de s'éviter le stress à tout prix... pourtant elle s'était imposée plus de travail, plus de rigueur, pour finalement être rejetée par son père comme les autres membres de la fratrie. Et elle s'infligeait du stress en venant ici... Quand la porte s'était ouverte, Maura ne put s'empêcher de trouver sa soeur changée, il se dégagea une maturité de son visage qu'elle n'avait jamais connu jusqu'à aujourd'hui. La maternité lui allait plutôt bien et de ce qu'elle en savait par Gauthier, Oliver était un bon petit gars. "Merci..." Souffla-t-elle alors que Théo la laissait entrer. Maura déboutonna sa veste de tailleur, ça n'aiderait certainement pas à faire passer cette bouffée de chaleur qui venait de la prendre mais elle se sentait déjà un peu plus à l'aise. Sa jeune soeur lui proposa du thé et la jeune femme leva les yeux vers sa soeur comme si elle venait de lui offrir la lune. "Juste un verre d'eau, s'il te plait, comme dit je ne veux pas te déranger trop longtemps." Maura n'était habituellement pas intimidée, mais avec ses frères et soeurs, elle n'avait jamais su s'y prendre. Elle s'installa sur un des tabourets, observant autour d'elle. Théo venait de cuisiner vu l'état du plan de travail et la délicieuse odeur qui se dégageait du four. "Comment ça va? Oliver va bien?" Les nouvelles qu'elle avait eu ne venaient jamais de Théo, en même temps c'était normal, mais Gauthier ne s’épanchait pas non plus sur la question. Maura ne voulait pas que sa soeur s'imagine qu'elle était là par intérêt c'était d'ailleurs pour cette raison qu'elle garderait sa maladie pour elle. Elle avait "rejeté" sa fratrie, elle n'avait pas besoin de leur pitié... et en s'ils ne lui donnaient pas de la pitié, elle n'avait aucune envie d'affronter leur rejet. C'était pitoyable de voir dans l'état où sa famille se trouvait. Gauthier, Charlie, Théo et Connor s'étaient serrés les coudes et elle, le vilain petit canard avait pris le mauvais chemin. Elle s'en rendait compte, mais Maura n'était pas prête à dire qu'elle avait fait tout ça pour rien. "J'imagine que tu n'es pas super heureuse de me voir ici, tout comme Charlie et Connor mais après la décision de passation j'ai senti le besoin de partir de Londres et... Tu vas encore croire que j'ai fait ça par intérêt probablement mais c'était le meilleur poste que je pouvais avoir tout en espérant qu'on pourrait se rapprocher." Ils avaient déjà perdu assez de temps non?

Venir voir sa cadette n'avait clairement pas été l'idée la plus géniale qu'elle ait eu ces derniers temps. Maura s'était attendue aux hostilités bien entendu, Théo était une tête de mule, une rebelle bien campée sur ses positions. Maura l'admirait pour ça, elle avait du caractère et ne se laissait pas marcher sur les pieds. Après tout, elle avait réussi à se faire une vie, à ne pas laisser le fardeau familial lui dicter sa conduite. Elle frissonnait après avoir été invitée à entrer dans la demeure des Hazard-Perry. Au fond, la discussion avait à peine commencé qu'elle avait déjà pris une direction polaire. Quand Maura lui expliqua qu'elle était ici après la décision que leur père avait prise au sujet de la passation, les mots de Théodora fit dresser son aînée. Maura se durcit, ses épaules tendues, son coeur se serra. "La fille chérie évincée... Si tu crois que j'ai eu un peu plus de considération que toi depuis ma naissance, tu te trompes lourdement. Et malgré notre relation Théodora, je suis venue ici dans l'idée de ne pas me disputer alors s'il te plait, montre moi un peu plus de respect." Elle n'avait aucun droit de lui faire la leçon, elle le savait bien, mais elle restait son aînée et ni l'une ni l'autre n'avait été élevée de cette manière. Les mots de sa jeune soeur la blessaient mais Maura avait réussi à garder un ton monotone pour ne pas envenimer les choses. Le poids de son vocabulaire aurait déjà assez d'impact. Maura décida alors de jouer sur un point sensible, elle connaissait assez sa soeur pour savoir qu'elle ne voulait pas élever son fils dans l'irrespect. "Je suis presque certaine que ce n'est pas l'éducation que tu veux donner à Oliver, je me trompe?" Question rhétorique, l'aînée Hazard-Perry n'attendait clairement pas de réponse, et d'ailleurs elle eut rapidement fait de reprendre la conversation. "En tout cas, j'ai bien l'intention de rester et je voulais que tu le saches... " Maura n'avait pas eu l'intention de cacher son arrivée. Elle n'avait pas prévenu pour ne pas être influencée par le manque d'entrain de sa fratrie mais elle était déjà décidée à leur dire qu'elle était là et qu'elle était là pour une durée indéterminée. Si jamais ils leur arrivaient de se croiser en ville, ça rendrait les choses moins compliquées et surtout moins étranges. Maura regarda son verre d'eau, elle ne l'avait pas encore touché et honnêtement elle ne savait pas si elle allait le faire. Plusieurs fois elle avait tenté de se mettre à la place de Théo, plusieurs fois elle avait réalisé à quel point son comportement à elle avait été injuste auprès de sa cadette, mais le mal était fait. Par contre, elle était presque certaine que Théo n'avait jamais essayé de se mettre à sa place, mais ça aurait été déplacé de lui demander une telle chose... surtout que Maura n'était pas prête à lui dire tout ce qu'elle subissait ces derniers temps. "J'ai été bête de penser qu'il n'était pas trop tard... Enfin on ne sait jamais... Il peut arriver n'importe quoi demain et on pourrait toutes les deux le regretter, tu ne crois pas?" Demanda-t-elle dans une dernière tentative. Si Théo ne faisait pas un petit effort à son tour, Maura comprendrait qu'il était inutile d'insister...

"J'avais oublié à quel point tu pouvais être têtue et désobligeante des fois. A croire que je n'ai gardé que les bons souvenirs que j'ai de ma soeur. Ce qui de toutes évidences n'est pas ton cas, mais je l'ai bien mérité." Elle se parlait presque plus à elle même qu'à Théo, mais elle prenait le risque d'envenimer les choses avec ce genre de remarques, même si elles n'étaient pas pire que celles de sa jeune soeur. D'ailleurs, Maura avait osé mettre l'éducation d'Oliver sur le tapis et Théo n'hésita pas à la contrer en faisant référence à Drew. Maura eut un moment de surprise qui put se lire sur son visage. Puis son coeur se serra un peu. "Non. Drew est à Londres. Je suis partie, c'est tout." Théo n'avait pas besoin d'en savoir plus. Elle n'était pas prête à lui dire les raisons qui l'avaient poussée à quitter Drew, qui lui même n'était pas au courant. Et s'il y avait bien une personne qui avait le droit de savoir avant d'autres c'était lui. Elle avait aussi honte, parce qu'elle avait eu une relation parfaite. Certes, les parents Egerton et Hazard-Perry s'étaient attendus à ce que leur enfant finisse ensemble. Maura, la fille prodige et parfaite avait trouvé l'homme qui convenait à ses parents... Ca c'était ce que sa fratrie pleine de rébellion voyait, mais en réalité, elle était tombée amoureuse de Drew, il l'avait soutenue après de départ de ses frères et de sa soeur à Brisbane, elle s'était ouverte à lui, et elle avait été charmée par son romantisme et l'autre façade qu'elle avait découverte de lui. Mais Théo ne savait pas tout ça et elle ne le saurait probablement jamais. Comme elle le disait si bien, elles ne se connaissaient pas et c'était trop tard pour rattraper le temps qu'elles avaient perdu. "On se sait jamais ce que la vie nous réserve Théo. J'avais envie de te voir, je suis venue après..." Elle se tut, une voix de petit garçon enjoué entrant dans la cuisine. La belle brune observa alors l'échange entre la mère et le fils et une pointe de fierté fit son apparition au creux de son ventre. "Bonjour Oliver." Le madame sonnait à la fois poli et froid, marquant toute la distance qui séparait la fratrie, qui séparait tout simplement cette famille. Théo le reprit, lui expliquant que c'était sa tante. D'autres personnes avaient pris ce rôle auprès d'eux, la soeur et la tante et ça la belle brune n'y pouvait absolument rien. Maura se pinça les lèvres quand Oliver lui demanda pourquoi elle n'était jamais venue les voir avant. La vérité sortait de la bouche des enfants. C'était un crève coeur, un constant rappel qu'elle avait fait passer sa carrière avant sa vie de famille. Et maintenant c'était trop tard. Théo ne pensait pas qu'elles pourraient rattraper le temps perdu et qui leur disait qu'elle, elle en aurait le temps. L'aînée remarqua malgré tout le regard d'excuse que sa cadette lui offrit. Un signe de paix, ou un signe pour lui rappeler ses erreurs? Maura haussa les épaules préférant porter son attention sur ce petit garçon plein de joie de vivre. "Bleu, c'est ma couleur préférée." Répondit-elle à Oliver qui lui offrait de faire un gâteau pour elle. Elle sentit une vague d'émotion lui monter à la gorge, aux joues et aux yeux. Oliver était d'un naturel à toute épreuve, il venait de se découvrir une tante et il lui offrait déjà un gateau comme s'il la connaissait depuis toujours. L'innocence des enfants avait un grand pouvoir sur les adultes. Maura avait une pointe de regret de ne pas avoir été là pendant ces cinq dernières années et d'avoir manqué l'évolution de ce petit garçon qui était son neveu. Il s'appliquait à sa tâche et Maura afficha un grand sourire, probablement un sourire que sa propre soeur ne lui connaissait pas. "Tu as du talent dis donc, un vrai pâtissier en chef. Ca a l'air bon." Maura leva les yeux vers Théo, penchant légèrement la tête. Elle avait l'impression de la revoir au même âge qu'Oliver. "Il te ressemble beaucoup. Tu as de la chance et si un jour j'ai pu te laisser penser que c'était une des plus grosses bêtises que tu puisses commettre, alors j'avoue avoir eu tort." Elle, elle n'aurait probablement pas l'occasion de devenir mère... mais elle était presque certaine qu'elle en serait une bien pitoyable. Prendre le risque d'être comme la matriarche Hazard-Perry ne l'enchantait guère et elle avait déjà le rôle de la méchante dans l'histoire familiale alors finalement c'était peut-être un mal pour un bien. Sa maladie avait changé ses perspectives, elle réalisait jour après jour tout ce qu'elle serait incapable de faire, incapable d'avoir... Ca l'effrayait et en même temps, elle ne pouvait pas vivre l'instant présent avec ces regrets qui rythmaient ses pensées. "Gauthier a mentionné l'idée de faire un repas tous ensemble. Mais pour une fois, je veux que le vote soit unanime, si tu ne veux pas alors je ne viendrais pas, Théo. Il en vaut de même pour Charlie et Connor." Maura était certaine que sa petite soeur ferait passer le message à leurs frères, elle donnait encore l'occasion à sa fratrie de la juger, de donner un verdict négatif, mais après tout elle n'était pas en position de force depuis de nombreuses années. En apparence peut-être mais psychologiquement, elle était épuisée de se battre.

On imagine souvent la relation entre deux soeurs, complicité sur fond de chamailleries régulières parce que l'une veut être comme l'autre et l'autre veut protéger l'une. Une relation organiser comme les rouages d'une horloge. Mais l'horloge des soeurs Hzarad-Perry avait été cassée il y avait de ça un bon nombre d'années. Elle regrettait aujourd'hui, même si Maura avait aussi privilégié son indépendance face à une fratrie souvent trop unie. Elle n'avait jamais été très démonstratrice de ses sentiments, de ses émotions. Pendant longtemps elle avait jugé que c'était à ses frères et sa soeur de le comprendre et de l'accepter surtout. Elle était comme ça. Elle avait fait ce qu'elle pensait être bon pour elle, au détriment du reste. Aujourd'hui, elle s'en mordait un peu les doigts parce que Maura ignorait si elle aurait le temps de réparer ses erreurs. Ou si seulement on la laisserait les réparer. Elle savait que Gauthier ne serait pas un problème, mais Charlie, Connor et Théo c'était une autre histoire. Gauthier avait mentionné ce repas et presque immédiatement Maura avait été effrayée à l'idée de se retrouver face à son jury. Quatre jurés bien différents, mais qui avaient tous des différends avec elle. Elle avait la boule au ventre à l'idée de en pas savoir quoi dire, quoi faire, de mal dire, de mal faire et surtout de ne pas savoir tout gérer de front. Maura n'était pas comme ça d'habitude. Plutôt déterminée, sûre d'elle, confiante, elle n'hésitait jamais à taper du poing sur la table, à balancer un "je vous emmerde" en pleine réunion parce qu'on venait encore de lui faire une remarque sexiste. mais quand ça touchait à sa famille... à sa fratrie... elle avait jusqu'ici utilisé la politique de l'autruche. Théodora la rassura sur le fait qu'elle ne ferait rien contre l'idée de ce dîner parce que ça aurait été très mal venu de sa part, elle qui avait enfermé ses trois frères ensemble pour semble-t-il régler leurs comptes. Maura réfréna un petit rire, elle aurait bien aimé voir ça. Encore un privilège qu'elle s'était enlevée à elle-même. Oliver avait confirmé que ses oncles n'avaient pas été très contents de ce petit stratagèmes, ce que sa cadette confirma avant de dire qu'elle leur en parlerait et que de toute manière, Gauthier ne leur laisserait pas le choix. Maura lâcha un soupir alors.  "C'est bien ça le problème, Théo. Je comprend Gauthier et son rôle de nous unir. Mais si vous n'avez pas envie de me voir, vous forcez ne résoudra rien." Non, ça ne ferait qu'envenimer les choses. Clairement en venant ici sans les prévenir, elle les avait déjà mis devant le fait accompli, si ce dîner leur était imposé, ça ne serait qu'embarras et ressentiments. Et Maura n'avait pas envie de ça. Son psychologue insistait lourdement sur le fait que le stress avait un effet négatif sur son état de santé, il avait été prouvé par des études que les personnes stressées soignaient moins bien leur cancer. Maura ne pouvait pas vraiment donné la raison maintenant, devant Oliver et Théo... Alors, elle devait être claire et surtout exposée ses sentiments naturellement... aussi naturellement que possible, ce qui était aux antipodes de son caractère et de sa personnalité. "J'aurais pas mal de choses à régler... du moins à dire ou à faire avec chacun d'entre vous, mais clairement vous ne devez pas vous sentir obligés. Ce n'est pas ce que je veux." Ce genre de discours devait sonné étrange aux oreilles de sa jeune soeur, Maura en avait bien conscience. "Non, ca ira pour le thé, merci. Je ne veux pas te prendre plus de temps que nécessaire. J'ai quelques rendez-vous en ville pour le travail." Voilà, un peu de retour à la normale. Sa carrière, toujours sa carrière. Elle espérait malgré tout que Théo ait senti cette once de vérité, de sincérité... Et que la froideur de son accueil aurait disparu.  "Faisons donc honneur à notre pâtissier en chef." Lança-t-elle à l'attention d'Oliver tout en découpant avec ses doigts un morceau du gateau, tentant de ne pas mettre de miettes de partout.