La communication n'allait que dans un seul sens, mais Joanne persévérait. Elle lui écrivait de temps en temps, demandant de ses nouvelles ou lui proposant de lui ramener Daniel s'il désirait passer du temps avec lui, même si ce n'était que pour une heure, elle était prête à faire l'aller-retour en voiture jusqu'à Bayside si c'était ce qu'il désirait. Mais Jamie ne répondait pas, pas une seule fois. Elle ne le blâmait pas, elle ne lui en voulait pas. Seulement, elle craignait que le lien entre son fils et lui ne s'amenuise. Daniel avait eu quelques chagrins, réclamant Jamie. Etre mère célibataire avec une vie active n'était pas vraiment facile. Ses journées étaient assez longues, elle rentrait tard le soir et travaillait même parfois le samedi. Elle s'avouait chanceuse que son supérieur ait accepté qu'elle l'amène ce jour-là avec elle parce que trouver quelqu'un pour la garde un samedi relevait de l'impossible. Le bureau de Joanne était suffisamment grand pour qu'elle pouvait imaginer pour qu'elle puisse y aménager un petit coin de jeux le jour où elle l'emmenait avec elle. Un vendredi soir, elle quittait le travail à dix-neuf heures, et décida de faire un crochet par Bayside. La jeune femme était nerveuse. Elle ne savait pas vraiment ce qu'il devenait, si ce n'est qu'il n'avait commencé son boulot à GQ. Elle toquait timidement à la porte, et son coeur manquait un battement lorsqu'il l'ouvrit. "Salut." souffla-t-elle tout bas, avec un faible sourire. "Je n'en ai que pour quelques minutes, je ne vais pas te déranger longtemps, j'ai juste quelques trucs à te donner." Elle fouilla dans un deuxième grand sac qu'elle emmenait tous les jours. Elle y mettait toujours son repas pour le déjeuner et les dossiers qu'elle ramenait avec elle à la maison et qu'elle voulait à tout prix finir pour le lendemain. Elle lui tendit une chemise cartonnée dans lauqelle elle avait mis une dizaine de feuilles. "Ce sont des dessins de Daniel. Il venait vers moi en me les tendant et en me disant que c'était pour toi. Je les ai gardé, et je me suis dit que je devrais te les donner. C'est très contemporain comme art, mais je pense qu'il a hérité de ta fibre artistique." dit-elle avec un sourire amusé mais discret. Joanne ne voulait pas le faire culpabiliser, ce n'était absolument pas son intention. Seulement, ces dessins lui appartenaient. Et même si Daniel n'avait pas la mémoire encore suffisamment développé pour se souvenir de tous ces dessins, elle savait que sur le moment, ça devait être important pour lui qu'elle les donne à Jamie. "Je peux te le ramener quand tu le souhaites, tu sais." Depuis leur dernière rencontre, la petite blonde se montrait le plus flexible possible pour arranger au mieux Jamie s'il avait envie de voir leur fils. Elle n'allait pas le forcer s'il n'en avait pas envie. "Et Mr. Elliott m'a demandée de te confier ça." Elle tendit un carton d'invitation. Simon était une connaissance de Jamie, mais elle ne se permettrait jamais de l'appeler par son prénom. Le QAGOMA organisait beaucoup d'événements, autant pour le public que pour une sphère beaucoup plus privée et select. Cette fois-ci, il s'agissait d'une réception où la direction présentait en avant-première les expositions temporaires à venir et les récentes acquisitions et proposait également une visite nocturne de l'ensemble du musée. Des techniciens avaient mis en place de nouvelles sources de lumière rien que pour cette soirée, afin de permettre aux invités de voir les oeuvres sous un tout nouvel angle. Jamie était libre d'emmener qui il voulait et Joanne n'était pas conviée. Le QAGOMA aimait bien y inclure certains de ses employés afin de nourrir la curiosité des autres convives en quête de nouvelles informations. Joanne était peut-être là depuis plus d'un mois mais son supérieur estimait que ce n'était pas suffisant, bien qu'il avait pleinement conscience que Joanne devait certainement être un atout de taille pour ce genre d'événements. Il gardait bien en mémoire sa toute première conversation avec elle. Après avoir donné quelques explications concernant la soirée en question, il y eut quelques minutes de silence. "Jamie, je... Je veux t'aider. Je t'ai fait énormément de mal et je ne veux pas te laisser comme ça. Je me suis dit qu'il valait mieux que je te laisse tranquille dans un premier temps, mais je voulais te revoir. Je veux réparer mes erreurs, colmater toutes les plaies que j'ai pu t'infliger, qu'importe le temps que ça prendra. Je ne sais pas vraiment encore m'y prendre, mais je trouverai." dit-elle en le regardant droit dans les yeux. "Et j'y arriverai." souffla-t-elle plus bas. "Qu'importe le temps que ça prendra. Je... Je veux que tu ailles mieux et je ferai tout mon possible pour t'aider. Que tu puisse à nouveau aimer qui bon te semblera et... être heureux. C'est tout ce qui m'importe désormais. Je ne veux pas te laisser comme ça." Joanne ne s'attendait certainement pas à pouvoir le reconquérir, pas après tout ça. Mais si elle pouvait au moins être celle qui lui permettrait de se reconstruire et d'avancer, cela lui serait amplement suffisant. Il s'agissait là d'un de ses premiers objectifs et elle s'était dotée d'une détermination qu'on ne lui connaissait pas vraiment jusqu'ici pour l'atteindre. Elle devait faire quelque chose, et elle le ferait. C'était une volonté, une certitude. "Je ne te dérange pas plus longtemps, il... faut que j'aille chercher Daniel, à la crèche." dit-elle en regardant l'heure. Elle le salua et ne s'éternisa pas davantage à Bayside.
"Joanne ? Que faites-vous encore ici ?" Plongée dans ses recherches, elle ne l'avait même pas entendu ouvrir la porte. Simon, dans un costume impeccable, avait ouvert la porte et la regardait d'un air étonné. Il était vingt-deux heures passées et elle était toujours. "Je voulais finir les recherches que vous m'aviez demandée de faire pour la réunion de demain." expliqua-t-elle avec un certain embarras. "Vous avez vu l'heure ? Qu'en est-il de votre fils ?" "J'ai réussi à m'arranger avec la crèche et la baby-sitter pour qu'elle s'en occupe après la fermeture." Simon soupira. "Lâchez-moi donc cet ordinateur, et venez boire un verre à la réception." La petite blonde écarquilla les yeux. Elle savait que Jamie était là en bas. Elle savait qu'il était là, c'était comme si elle pouvait toujours sentir sa présence dans les environs. Et elle se disait qu'il ne voudrait certainement pas la voir. "Mais... Je n'ai pas été conviée, et... et j'ai encore moins la tenue adéquate." bégaya-t-elle, en regardant la robe qu'elle portait ce jour. "C'est moi qui ai sélectionné les invités, c'est moi qui décide qui peut y être ou non." objecta Simon, son regard laissant comprendre qu'elle n'avait pas d'autres choix que de laisser tomber son stylo et son ordinateur. "Et hors de question que vous emmeniez ces dossiers chez vous." Joanne se leva de son fauteuil de bureau et rejoignit son supérieur. "Vous savez, en vous embauchant, j'avais pleinement conscience que vous deviez quitter les locaux pas trop tard pour récupérer votre fils, et ce n'est à mes yeux, pas une mauvaise. Vous avez droit à votre vie de famille, Joanne. Et ce n'est certainement pas en quittant le travail à des heures pareilles que vous y parviendrez, croyez-en mon expérience." "Mais on m'a dit qu'il fallait que je... fasse mes preuves, en gros." "Et c'est le cas. Mais pas au point de vous démener autant. Vous faites déjà bien assez preuve d'efficience en journée, et ça fait même pas deux mois que vous êtes là. Les autres cherchent surtout à vous mettre la pression, je peux les comprendre, ceux qui travaillent y sont depuis de nombreuses années, c'est normal s'ils se montrent un peu... méfiants avec les nouveaux." expliqua-t-il en marchant dans les couloirs afin de rejoindre la salle dans laquelle la réception se déroulait. "Et histoire de rattraper les heures supplémentaires que vous me faites déjà, je veux que vous soyez rentrée chez vous après la réunion de demain matin." Encore une fois, Simon ne lui laissait pas vraiment le choix. Il prit une coupe de champagne qu'il donna à Joanne et la présenta à quelques un de ses amis, donateurs, ou autres figures de Brisbane et de ses environs. Joanne était en soi, heureuse de le voir. Elle lui échangea un sourire. Au moins, il était là, il sortait toujours. Le brun était toujours aussi beau, élégamment habillé sans la moindre fausse note. Il n'avait jamais laissé Joanne indifférente. Elle comptait bien se tenir à ce qu'elle lui avait dit deux semaines plus tôt. "Inutile que je vous présente à Jamie, vous le connaissez déjà bien." dit-il en s'approchant de lui, en riant. Simon se fit interpeller entre temps et dit à son employée avant de s'éloigner d'elle. "Ah bah tiens, Joanne, Jamie me disait tout à l'heure qu'il voulait faire un tour dans les galeries, vous devriez l'accompagner."
Quelque vent glacial suspend le temps alors que j'ouvre la porte pour découvrir Joanne sur le palier. Mauvaise surprise dont je me serais bien passé, visite inconvenue comme je les déteste, la présence de la petite blonde est pour moi aussi insupportable que le son de la vraie grinçante sur un tableau noire, une fourchette sur une assiette. Mon regard la toise, la méprise, la défie de dire le moindre mot qui ne m'inspire pas immédiatement l'envie de l'étrangler sur place. Médication ou non, il est des choses qui me mettent hors de moi, et Joanne est l’un des éléments qui défient toutes les molécules qui me sont prescrites afin de me rendre sage, inoffensif comme un agneau. De quel droit se présente-t-elle ici sans être invitée ? Elle se fiche bien d'imposer sa présence visiblement, la petite chose d’habitude si impressionnable. Elle est là, et ne me laisse d'autre choix que d'écouter. D’abord, j’entends tous les sous-entendus concernant ma mauvaise parentalité. Un petit garçon qui le réclame, qui dessine pour moi, qui attend son père à la fenêtre avec le regard triste, abandonné, délaissé, et victime collatérale des conflits de ses parents. Une mère si dévouée, si parfaite, qui s'en vient chercher le père, lui arracher une minute, lui cracher les dessins dans les mains avec l’air de ne rien reprocher -mais l'intention suffit à faire passer le message. Dernière couche de vernis sur la subtile attaque, elle insiste, me rappelle qu'elle, la mère aimante, peut traverser toute la ville jusqu'ici uniquement pour que je daigne prendre soin de mon fils. À croire qu'elle postule pour une médaille, un trophée, une place au panthéon des mères saintes. “Oui, je sais, je réponds froidement en lui rendant la pochette de dessins. Et il en aurait profité pour me donner tout ça lui-même. Mais c’était trop tentant de me faire passer pour le mauvais père, n'est-ce pas ?” Bien sûr, elle niera, Joanne la douce qui ne pense jamais à mal, mais qui ne sait faire que du mal. Joanne la consensuelle, ni oui ni non, concentré de mauvaises décisions. Elle me tend ce carton d'invitation, comme si je pouvais être intéressé un seul instant. Me rendre sur son lieu de travail pour une soirée ? Jamais de la vie. Prendre le risque de la croiser, d'entendre son nom, que l'on parle d'elle, plutôt rester ici, aller ailleurs, n'importe où. Qu'importe le prestige de l'occasion, qu'importe la beauté du lieu ; tout est lié à elle désormais, alors on ne m’y verra pas. “Intéressant.” je souffle en tenant l'invitation entre deux doigts, puis la jetant par dessus mon épaule avec un parfait désintérêt. Et c'est la goutte d'eau, l’étalage d’égocentrisme total -Joanne la sainte venant au secours du pauvre Jamie si malheureux depuis qu'elle lui a dit qu'elle en aimait un autre. Croit-elle que je me terre ici comme une ermite en attendant la mort ? Croit-elle que je bois pour l’oublier, que je ne pense qu'à elle, que ma vie, si triste et lugubre, ne tourne qu’autour de l'instant où elle m’a avoué tout ce que je savais déjà ? La naïveté de ses paroles mêlé au narcissisme avec lequel elle se place au centre du monde et fait tourner ma vie autour d'elle nourrit mon mépris. Tout comme le moindre de ses souffles, et le moindre de ses regards. “Oh si, Joanne, laisse-moi. C'est le mieux que tu puisses faire, et ce pourquoi tu as toujours été la plus douée. Laisse-moi tranquille. Tu ne peux pas réparer quoi que ce soit, et cesse de te montrer narcissique au point de croire que tu es celle qui peut m’aider. Qu'est-ce qui te fait croire que j'en ai besoin ? Est-ce que j'ai l'air désespéré ? Cesse de gonfler ton égo en pensant que tu arrives sur mon palier comme le messie. Je vais bien. Je n'ai pas besoin d'aide, encore moins de la tienne. Commence donc par t'aider toi-même, Joanne, avant de te donner le droit de juger que j’ai besoin de quoi que ce soit de ta part. Je ne veux rien de toi. Et je ne veux plus te voir.” Alors elle dispose, et je sais que je passe encore une fois pour le méchant, mais cela ne m’atteint pas. Je sais ce qu'il en est. Je sais ce qui se cache sous cette moue de poupée. Et je ne suis plus dupe, je n'achète plus ses complaintes, ses auto-flagellations, sa prétendue gentillesse désintéressé. Je ne serai pas son moyen d'avoir bonne conscience. Je ne serai pas son faire valoir afin qu'elle se rassure en tant que mère. Et je ne serai pas l’idiot qui accordera la moindre confiance, le moindre bénéfice du doute à son bourreau. Elle peut bien aller se faire voir, Joanne la sainte, et pèleriner ailleurs, faire croire à d'autres sa bonté d'âme.
Ginny passe me prendre, parce qu'elle sait que si elle doit m'attendre, nous n'irons pas. Elle demeurera sotte devant chez elle à attendre un cavalier qui ne se montrera jamais. Celle qui s'apparente le plus à une confidente à mes yeux depuis quelques temps est celle qui ressemble à une traîtresse pour ce soir. Mais elle voulait venir, elle, à la soirée du qagoma, profiter des avant-premières, des expositions, de la nuit. Joanne n’était pas censée y être, non ? Alors quel est le problème ? J’ai cédé, car il est facile de céder face à Ginny. La promesse qu'elle ne me lâche pas d'une semelle avait également fait son effet, me donnant un peu de courage. Je savais qu'avec elle à mon bras, je pouvais espérer des moments de tranquilité, et d'avoir l'esprit plus occupé par les œuvres exposées dont nous pourrions débattre que par la nature du lieu et celle auquel il est rattaché dans mon esprit. Il y avait bien des lieux où sortir ce soir, tout comme hier et demain, et ma première semaine chez GQ se résume par les nombreuses mondanités auxquelles je dois m’adonner pour faire honneur à ma nouvelle position. Une soirée en l’honneur de cette embauche est prévue très bientôt, et elle était l'occasion que je redoutais le plus avant d'avoir l'invitation pour ce soir. C'est donc avec Ginny à mon bras que j'arrive au musée. La nuit est jeune mais déjà sombre. Le champagne est déjà entre mes doigts. Je feins des sourires, serre quelques mains avec une fausse conviction. J’ai beau me forcer pour ma cavalière et ne pas ruiner la soirée, il est évident que je ne me sens pas au bon endroit au bon moment. Une impression qui se confirme violemment au moment où je devine la silhouette de Joanne parmi les invités. Pire, lorsque Simon la mène à moi afin de la missionner de me servir de guide. Mon bras est vide, Ginny est plus loin en train de converser, forcer, elle aussi, un contact amiable avec ces gens qui peuvent lui être nécessaire dans sa renaissance artistique. Cette absence se fait lourdement sentir. Mes yeux froids, implacables, assassinent Joanne. Elle ne devait pas être là. Avant que Simon ne disparaisse, je réponds ; “Merci, mais ça ne sera pas nécessaire. Je partais.” Puis je prends une dernière coupe de champagne et trouve le chemin de la sortie, le nez rivé sur mon téléphone, tout en marchant, afin de prévenir ma cavalière que je rentrerai en taxi.
Joanne ne se rendait pas véritablement compte de sa capacité à encaisser certaines choses. Certes, il y avait de nombreux faits qui la fouettaient en plein coeur à coeur d’une sensibilité exacerbée et d’une susceptibilité et d’un manque de premier degré que tous ses proches lui connaissaient bien. Mais elle avait réussi à tenir durant sa très brève discussion avec Jamie lorsqu’elle était venue le voir chez lui. Lui était froid, impassible et l’ensemble de sa posture laissait largement deviner à Joanne qu’elle n’était absolument pas la bienvenue. D’ailleurs, il n’ouvrait la bouche que pour lui faire des reproches, le coeur encore bien lourd suite à la réponse qu’elle avait donné à sa question lors de leur précédente rencontre. L’amour s’était vraisemblablement transformé en haine en un claquement de doigt. Toutes les supposées qualités de Joanne devenaient alors un défaut à ses yeux, chacune de ses actions n’était plus qu’une preuve de son soi-disant égocentrisme et de son narcissisme. Joanne écoutait, et réceptionnait chaque mot qu’il lui crachait au visage, interprétant de manière fortement négative la moindre chose qu’elle venait de lui dire. Mais elle encaissait, et acquiesçait même parfois de discrets signes de tête. Il ne la supportait tout simplement plus, c’était devenue pratiquement viscéral et sa simple présence lui donnait certainement la nausée. C’est pour ça que la petite blonde avait tenté, en vain, de détourner la quasi obligation imposée par son supérieur lorsque celui-ci voulait qu’elle se présente à la réception afin de boire un verre. Bien qu’elle ne comptait pas abandonner vis-à-vis de Jamie, le revoir si tôt après leur précédente entrevue n’était pas une bonne idée pour elle, mais elle y était forcée. Difficile, à ce stade de sa carrière, de refuser quoi que ce soit à son supérieur. C’était alors avec une certaine boule au ventre, écoutant de loin son supérieur, qu’elle approchait Jamie. Si ses prunelles vertes avaient été des armes à feu, Joanne aurait certainement reçu une dizaine de balles en plein coeur. Simon n’en tenait absolument pas compte, au contraire, il voulait même que son employée devienne temporairement le guide du Lord pour lui faire découvrir la beauté du musée à cette heure-ci. Avant que Simon ne s’éloigne d’eux, Jamie précisa qu’il comptait partir et qu’une visite ne serait alors absolument pas nécessaire. Il prit une coupe de champagne et tourna les talons sans adresser le moindre regard à Joanne, apparemment assez pressé de s’éloigner de ce musée, mais aussi surtout d’elle. Ne sachant que faire pendant de longues secondes, la petite blonde resta plantée là, en le regardant s’éloigner. Elle ne pouvait pas le laisser partir comme ça, et elle ne le voulait pas non plus. Heurtée par cette aversion, Joanne ne comptait toujours pas se laisser abattre et comptait bien se tenir à la promesse qu’elle s’était donnée à elle-même. Faire preuve de persévérance n’a jamais été son fort. Elle but cul-sec ce qui lui restait de champagne puis sortit du musée d’un pas hâtif en espérant que Jamie ne soit pas encore trop loin de là. Par chance, il n’était pas venu par ses propres moyens. Il avait les yeux rivés sur son téléphone, à écrire à quelqu’un – Joanne se fichait bien de qui il s’agissait. Elle se plana sans trop hésiter devant lui. “Déteste-moi autant que tu veux, Jamie.” dit-elle d’un ton étrangement calme. “Crache-moi tout ce dont tu as envie au visage s’il n’y a que ça pour te faire plaisir. Mais on ne pourra pas s’ignorer éternellement.” Jamie devait le savoir autant qu’elle, et c’était certainement ce qui devait l’énerver encore plus. C’est que, quoi qu’il se passe entre eux, il y avait toujours eu ce magnétisme très fort entre eux, même durant les périodes où ils pouvaient se détester au possible. Cette soirée-là en était une preuve bien plus concrète. Comme quoi, il n’y avait pas que Daniel qui les unissait encore, quelque part. “Je ne me permettrais jamais de dire que tu es un mauvais père.” C’était tout simplement lui qui interprétait les dires de Joanne comme il voulait bien l’entendre. Il devait pourtant le savoir, à force. Mais son coeur en disait tout autrement, depuis quelques temps. “A moins que ce ne soit toi qui te vois comme tel, à toi de voir.” répondit-elle avec un haussement d’épaules. “C’est ton choix de ne plus voir Daniel. Je te proposais uniquement de te le ramener parce que nous habitons loin de l’un de l’autre, et je ne savais pas si ça pouvait t’arranger ou non avec ton nouveau poste. C’est tout.” expliqua-t-elle calmement. “Si tu n’as plus envie de le voir, il suffit de me le dire, alors j’arrêterai de t’embêter avec ça. Tu seras au moins tranquille sur ce point.” Joanne respecterait son choix, encore une fois. “Je sais que je t’ai fait énormément de mal, Jamie. Et je ne crois pas être celle qui pourrait t’aider à te réparer, mais j’essaierai.” Ca ne coûtait rien, d’essayer. “Tu n’as peut-être plus envie de me voir, mais il faut reconnaître que bizarrement, il y aura toujours quelque chose ou quelqu’un qui fera en sorte que ce soit le cas, surtout lorsque l’on s’y attend le moins.” Le ton employé par Joanne restait parfaitement calme. Et même si lui n’avait pas envie de le regarder, elle, elle le fixait continuellement. Il n’était plus question de fuir. Joanne soupira, un long moment de silence s’imposa. Jamie devait certainement attendre avec une certaine impatience le taxi. “Et… Je n’ai pas encore eu l’occasion de te remercier, pour ce poste. C’est en grande partie grâce à toi que j’ai pu l’obtenir, et je t’en serais éternellement reconnaissante. Alors, merci infiniment. Même si tu n’en veux pas, ni de ma reconnaissance, ni de mes remerciements.” Autant devancer ce que Jamie pourrait dire. Mais Joanne n’oubliait certainement pas que c’était grâce à lui qu’elle avait pu décroché cet emploi, le poste de ses rêves, même. Et il avait beau la détester, la haïr, cela n’empêchait pas Joanne de se dire que tout a, c’était grâce à lui. Elle aurait bien été tentée de lui dire que si elle pouvait faire quoi que ce soit en retour, pour lui rendre la pareille, elle le ferait, mais elle connaissait déjà la réponse : tout ce qu’elle pouvait faire, c’était de faire en sorte qu’ils ne se voient plus. C’était ce qu’il avait dit, la dernière fois.
Une cigarette serait la bienvenue. Jamais je n'aurais cru être un jour de ceux qui ont ce genre de pensées, et pourtant. En mettant un pied dehors, telle est la première idée qui me traverse l'esprit, teintée du regret de ne plus avoir sur moi ni dose de nicotine, ni briquet. Le texto est envoyé à Ginny, elle sera peut-être contrariée par ce départ précipité sur le moment et des explications s’imposeront plus tard. Elle comprendra. Contrairement à Joanne qui m'a emboité le pas jusqu'à l'extérieur du musée, et dont le sens des paroles prononcées lors de sa visite impromptue semble complètement lui échapper. Attentif au passage d'un taxi, je l'ignore. Mon regard passe aisément au-dessus de la tête de la petite blonde. “Je n’ai pas besoin de ton autorisation pour ça.” je réponds avec détachement et une pointe de moquerie à son invitation à la détester. Mais le fait est que ce n’est pas mon souhait, de la haïr. Je suis en colère, je suis blessé, un état que rien ni personne ne peut changer actuellement. Une étape normale du deuil de cette relation. Cela prendra le temps qu'il faudra. Joanne n’a décidément pas compris qu'il ne servait à rien de forcer les choses. Cette vie de famille à laquelle j'avais fini par me raccrocher était morte, et en exigeant de moi d'être sur pieds aussi vite, aussi vite qu'elle, la jeune femme ne faisait que prouver le peu d'importance qu'elle y accordait. Elle obtient un regard de ma part ; noir, glacial. Non, elle n'insinue pas que je suis un mauvais père en me créant de toutes pièces la volonté de ne plus voir mon fils, bien sûr. “La ferme, Joanne.” Encore et toujours, elle est absolument incapable de se mettre à la place des autres, de faire preuve d’empathie, ne voyant que ce qu'elle souhaite voir. “Don’t.” Non, qu'elle n’essaye pas de réparer. Il était désormais bien connu qu'elle n’en était pas capable. Et lorsqu'elle s’en rendra compte, elle sera capable de retourner la situation afin que tout ne soit qu'à propos d'elle. C’est mon chagrin, ce sont mes blessures, à moi seul. Il n’est pas question qu'elle se les approprie pour nourrir son besoin d'être la victime du monde entier. Je ne veux pas son aide, en quelle langue le dire ? “Arrête, c'est toi qui a débarqué pour me donner l'invitation, mets pas ça sur le dos du seigneur et ses voies impénétrables.” Joanne a forcé le destin. Et je n'aurais jamais dû accepter de venir, pas même pour le regard de chien battu de Ginny. Les remerciements de la petite blonde ne sont d'aucun réconfort. À vrai dire, je m'en voudrais presque de lui avoir permis d'obtenir ce poste. Je m’en veux pour tout le temps perdu avec elle, à être le seul de nous deux à tenter de recoller les morceaux. Je m’en veux d'avoir tant cru à tout ce qu'elle m’avait dit, et de tomber de si haut à cause de ce qui fut toujours une évidence. “Non, tu as raison, je ne veux pas de ta reconnaissance.” Me croit-elle dupe au point de baisser ma garde pour quelques paroles visant uniquement à me brosser dans le sens du poil ? Qu’est-ce qu’elle ne comprends pas dans “laisse-moi tranquille” ? “Garde ton besoin d'avoir bonne conscience pour toi, Joanne. D'accord, tu es la mère de l'année. Contente ? Tu veux aider pour je ne sais quoi, super ; je n’en veux pas. C’est si difficile à comprendre ou tu es tellement persuadée que ma vie tourne autour de toi que cela te dépasse ? Ton seul moyen de faire quelque chose de bien est de rester loin de moi.” Pas de taxi, d’issue, à l’horizon de la rue. Rien pour me permettre de m’enfuir. Et maintenant que les premiers crachats de venin sont sortis, le reste du flot de paroles me brûle les lèvres et ne demande qu'à s’abattre sur Joanne. Chaque seconde en sa présence est une minute, une éternité. Et malgré le silence, savoir qu’elle demeure là, à côté, titille mes nerfs. “Est-ce que tu peux comprendre que ta présence est absolument insupportable ? Je me sens trahi, et pris pour un idiot. Je pensais que nous avions le même projet de reconstruire quelque chose tout les deux, c’est ce que Florence m’avait laissé croire. C’est ce que tous nos moments ensemble depuis notre retour laissaient croire. J’imagine que tout était fait ou dit par défaut, n’est-ce pas ? Comme le baiser dans la voiture.” J’aurais pu tout arrêter à ce moment-là. Lorsque j'ai compris que nous n'étions pas sur la même longueur d'onde, lorsque j’ai constaté qu'à ses yeux m'embrasser était une option valable lorsqu'elle ne trouvait pas quoi dire sans être prête à prendre le risque d'être honnête, quitte à blesser. Quand cet acte était juste banal, et n’avait rien de sacré. “J'étais prêt à faire n'importe quoi pour que ça fonctionne et qu'on retrouve la vie que nous avions. Mais la vérité c'est que tu as toujours aimé ton ex, que c'est cette vie là que tu veux récupérer, et que j'étais le lot de consolation depuis le début. Il n’y a pas de destin pour nous, pas d'histoires à dormir debout. Tu as toujours rêvé que ce divorce n’ait jamais eu lieu, ni la fausse couche, comme ça vous pourriez filer le parfait amour et avoir la vie que tu as toujours voulu. Et tout ce que j’ai pu faire, tout ce que nous avons vécu ensemble n'y a jamais rien changé, ce que tu as dit la dernière fois en est la preuve implacable. C'était dans un coin de ta tête tout ce temps. Ose me dire le contraire. Alors non, Joanne, je n'achète pas ta soit disant bonne volonté. Tu m’as pris pour un con. Une fois, pas deux.” Le va et vient des invités n’a guère d'importance. Ils tendent l'oreille, jettent un coup d'oeil, arquent un sourcil, curieux et divertis par le moindre potin. Les querelles amoureuses sont parmi les meilleurs feuilletons de rue. Si seulement il restait véritablement de l'amour dans celui-ci. “Si tu veux que je me sente mieux c'est uniquement pour que recommence à prendre Daniel un weekend sur deux, sûrement histoire de fricoter librement avec le véritable “amour de ta vie”. Alors sache que je reverrai Daniel quand je serai prêt. Je sais que tu as toujours aimé t'en servir de peluche pour les mauvais jours, mais moi non. J’ai besoin de temps. Et non, tu ne peux pas “aider”, n’y pense même pas.” Après tout, elle n'aidera rien d'autre que sa conscience. Elle insistera un jour où deux, puis elle dira “j'ai essayé”, ce qui conviendra très bien. J’ai participé à assez de mascarades, je suis las. Tout ceci n’est qu'un mauvais soap, une scène après l'autre. Je pouffe légèrement, me remémorant les paroles de Joanne l'autre jour. M’aider, ne pas me laisser comme ça. Autant demander de l'aide à Masterson, ou écouter un nouveau bon conseil d’Hassan. Après tout, on est jamais mieux guéri que par son bourreau. “Tu sais quoi ? Ton ex, il m'a dit de partir, de te laisser. Il m’a convaincu que tu serais bien mieux sans moi. Et je l’ai fait, je l’ai cru. Ça m’a semblé tellement vrai et juste sur le moment. Je ne sais même pas pourquoi, mais je l’ai fait. Quel hasard.” Désormais, il récupère Joanne. Il est le grand vainqueur de cette affaire.
Elle lui avait brisé le coeur, juste avec un seul mot. Bien sûr que cet instant lui pesait énormément sur la conscience et depuis, Joanne avait été incapable de lui dire qu'elle avait encore et toujours des sentiments pour lui. Elle avait du mal à discerner la nuance entre le fait de la haïr et d'être en colère contre elle. Pour Joanne, surtout en ces circonstances, cela allait irrémédiablement de pair. Cet amour, après des mois de labeur, commençait à renaître entre elle mais la suite des événements l'avait quelque peu tué dans l'oeuf. Bien sûr qu'elle en rêvait toujours, de cette vie de famille, même en étant là, figée par le regard noir que Jamie lui lançait. Il ne voulait même pas qu'elle essaie de se rattraper, de montrer qu'elle tenait à lui malgré tout. "C'est mon supérieur qui m'a demandée de te l'apporter." rectifia-t-elle. Mr. Elliott avait le don de se faire comprendre rien qu'avec un regard, et cette fois-ci, il n'avait pas laissé véritablement le choix à Joanne. Elle était nouvelle dans la maison, elle ne pouvait pas se permettre de refuser quoi que ce soit pour le moment. Bien que le moment soit parfaitement inapproprié, la petite blonde avait tout de même tenu à le remercier pour l'avoir aidé à obtenir ce poste. Pourtant, elle se doutait bien que Jamie n'allait pas se faire voir et ne pas vouloir quoi que ce soit d'elle et il le lui faisait d'ailleurs bien comprendre. Jamais elle n'aurait pensé que sa vie à lui ne dépendait que de la sienne, elle ne comprenait pas d'où lui venait cette idée. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était de rester loin de lui. Bizarrement, contrairement à tout ce qu'il avait pu lui dire jusqu'ici, c'était les mots qui la touchaient le plus. Il ne voulait vraiment plus la voir, il n'avait aucunement besoin d'elle. Sa simple présence ici l'irritait au possible. "Rien n'était dit par défaut." répondit-elle. "Tout ce que je t'ai dit, je le pensais. Je voulais de cette vie avec toi, cette vie dont nous rêvions tous les deux. Tout ce qui me manquait, tout ce dont nous pouvions nous réjouir,... tout." Elle était peut-être moins démonstrative, mais tout était là. "Les sentiments que j'ai pour toi ont pris du temps à remonter, mais c'est bel et bien là, d'où le baiser. Je ne pouvais pas encore te dire ces mots là, à ce moment précis. Mais c'était bel et bien là." C'était encore un peu trop tôt. Et malgré tout, le coeur de Joanne continuait à s'emballer lorsqu'elle le voyait, même s'il continuait de lui lancer un regard glacial qui pétrifiait l'ensemble de son corps. "Mais ça s'est passé. J'ai divorcé, j'ai eu une fausse couche, j'en ai même eu d'autres par la suite. Personne ne peut y changer quoi que ce soit, c'est comme ça." répondit Joanne, les yeux bien brillants. "Mais j'ai aussi des sentiments pour toi. J'ai bien conscience que ce n'est pas bien, que ce n'est pas normal et que tu n'aurais jamais du subir ça. D'aimer deux hommes en même temps, je veux dire." dit-elle en secouant négativement la tête et en baissant les yeux. "Et si j'aimerais que tu vois de nouveau Daniel, c'est uniquement pour lui ou pour toi. Il n'a jamais été question de qui que ce soit d'autre que lui et toi dans cette histoire, tu sais combien je tiens à ce que votre relation se maintienne et parce que j'attache beaucoup d'importance à la relation père-fils, rien de plus." C'était une sorte de promesse qu'ils s'étaient tenus à tous les deux. Que le bonheur et le bien-être de Daniel primaient avant tout, que personne ne doit être remplacé. A vrai dire, Joanne n'avait pas songé un seul instant de ce qu'elle ferait de ses weekends lorsque Daniel serait chez son père. Encore une fois, le beau brun laissait comprendre qu'il valait mieux qu'elle reste loin de lui, qu'elle ne s'essaie pas à quoi que ce soit. Il avait besoin de temps, parce qu'il n'y avait apparemment que ce dernier qui pouvait l'aider. Et peut-être qu'au bout de cette durée indéterminée. "Prends le temps dont tu as besoin, alors." Joanne se rendait alors compte de l'inutilité de tous les messages qu'elle avait pu lui envoyer jusqu'ici, à quel point chacun de ses mots avait du lui faire du mal. Elle aurait du le laisser tranquille dès le début, elle aurait du savoir que tout ce dont il avait besoin, c'était qu'elle le laisse seul un moment. Jamie fit ensuite une révélation particulièrement surprenante. Joanne découvrait d'abord que Jamie et Hassan s'étaient revus – dieu sait combien de fois leur chemin s'était croisé sans qu'elle ne sache quoi que ce soit. Et ensuite, il s'avérait qu'Hassan ait donné des conseils à Jamie, la concernant. Les yeux de Joanne s'écarquillèrent, quelque peu stupéfaite de ce que son ex-mari avait pu dire à Jamie. "Quoi ?" demanda-t-elle, plus que surprise. Elle avait toujours eu l'impression qu'il surestimait quelque peu les capacités de Joanne, mais de là à dire qu'elle s'en sortirait très bien en étant seule était un peu exacerbé à ses yeux. A moins que ce ne soit qu'un subterfuge pour espérer tenir Jamie loin d'elle, mais cette tactique était bien trop vicieuse pour que cela puisse lui ressembler. La petite blonde était véritablement surprise et bégayait tant elle ne savait pas quoi dire. Elle croisa les bras, confuse. "J'ignorais que vous vous étiez vus, encore moins... qu'il ait pu te dire ça." Elle se demandait ce qu'Hassan avait en tête à ce moment là. Elle était un peu perdue et ne comprenait pas véritablement sa démarche. Il y avait beaucoup de choses qu'elle ne comprenait pas, ces derniers temps. S'il y avait bien une chose qui prenait alors tout son sens, c'était le fait que Jamie ait tout fait pour avoir un comportement exécrable pendant plusieurs mois avec elle. Remettre en cause son rôle de mère, lui proposer d'être sa sex-friend, etc. Elle en conclut qu'il avait fait tout ça pour suivre aveuglément les conseils d'Hassan – un comble, en soi. "Pourquoi t'a-t-il dit tout ça ?" demanda-t-elle d'un ton plus que troublé. "Je ne comprends pas pourquoi il a pu te dire ça." Jamie pouvait peut-être pensé qu'il avait cela pour avoir le champ libre. Ils ne s'appréciaient pas, certes, mais est-ce que cela devait être au point de faire des coups bas ? Ca ne ressemblait ni à l'un, ni à l'autre. Jamie avait suivi les conseils d'Hassan parce qu'il devait penser qu'il était le mieux placé pour bien connaître Joanne, sauf qu'elle n'était absolument pas la même femme qu'il avait autrefois épousé. Tout le monde avait bien changé. "Il ne m'a jamais dit que vous vous étiez vus." souffla-t-elle, un brin déçu de d'Hassan. Il commençait à y en avoir beaucoup, des cachotteries, de son côté. Joanne passait une main sur son visage, ne sachant que trop dire par rapport à tout cela. Elle soupirait, regarder un moment ailleurs, et constatait qu'il n'y avait toujours pas de taxi prêt à venir chercher Jamie. Elle aimerait tellement faire quelque chose pour lui, même si elle savait désormais que le mieux était de rien faire. "Je ne vois pas pourquoi il a pu te dire ça." souffla-t-elle après de longues minutes de réflexion. Après, Joanne ne savait pas tout de leur conversation, il y avait certainement des données qui lui manquaient. Les mots venaient à manquer, et avec l'heure qui avançait, Joanne réalisait qu'il était temps pour elle de rentrer et de libérer sa baby-sitter. "Je... Je vais te laisser, il faut que je rentre à la maison." Elle le salua tout bas, fit quelques pas en direction du musée puis se retourna. Il lui tournait le dos. "Jamie... Je suis sincèrement désolée, ce n'était pas mon intention de te faire du mal et je rêvais vraiment de cette vie de famille avec toi. Je... Je ne serai là que lorsque tu en auras besoin." Pas d'omniprésence, pas de messages intempestifs comme elle le faisait jusqu'ici. La petite blonde prit le temps de récupérer ses affaires, dans l'espoir que Jamie trouve un véhicule pour rentrer chez lui entre temps. Avec ses sacs en main, elle remarquait avec stupéfaction qu'il était toujours là. Les taxis se faisaient désirer, ce soir-là, apparemment. "Est-ce que tu veux que je te dépose chez toi ?" lui proposa-t-elle, avec ses clés de voiture en main. "Et après ça, je te laisserai tranquille." Après ça, il aura tout le temps dont il aura besoin.
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Dernière édition par Joanne Prescott le Jeu 13 Juil 2017 - 10:22, édité 1 fois
Un frisson, je croise mes bras nerveux et réprime l'envie d'hurler sur Joanne de bien vouloir se taire. Car elle fait bel et bien l’affront d’insister et de tenter de me faire croire qu'elle m’avait embrassé pour une raison. Cette raison, des sentiments naissants, timides, mais qui auraient soit disant effleurés son coeur l'espace d'un instant ; le souhait, le projet de reconstruire notre vie à deux, faire quelque chose de plus beau, plus solide, plus durable, stable. C’était là la seule chose à laquelle j’aspirais. Revivre ces moments à trois qui faisaient mon bonheur au quotidien, récupérer tout ce dont j'ai tiré un trait, renouer avec celui que je veux être, celui que je suis vraiment. Le père, l’amant, le pilier de ce monde en équilibre. Ces mots qui se sont imposés comme une nouvelle identité et sans lesquels je ne me reconnais plus. J'ai placé toute mon énergie, de l'argent, et bien du dévouement dans cette ambition de recoller les morceaux de cette famille, et faire renaître l’amour de Joanne. Tant d'efforts en vain, tant d'espoirs déçus. Et cela parce que la jeune femme n’a jamais tourné la page de son premier amour. Mais il fut toujours évident qu'en réalité, sa vie s'était mise sur pause le jour où son poignet traçait sa signature sur les papiers du divorce. Tout le reste était vain, futile. Je l'étais aussi. Joanne ne m’a jamais aimé assez pour passer à autre chose. Le souvenir des années passées avec Hassan étaient collées à elle comme son ombre. Une ombre que je guettais, craignais, détestais. L’ombre qui aurait forcément grignoté le tableau à un moment donné. L’hypothèse lointaine d'une vie de famille pour eux deux, le fantôme d'un enfant qu'ils auraient dû avoir. Une montagne de regrets et de “et si” bien plus forts que les soit disant sentiments de Joanne pour moi. “Tu détournes le sujet si mal que cela suffit à confirmer ce que je pensais.” dis-je en haussant les épaules, constatant que la seule stratégie de la jeune femme consiste à user du “c’est comme ça on y peut rien”, forme lettrée d'un “qui ne dit mot consent”. Une amertume à demi-mot contre le destin qui lui avait arraché la vie si parfaite qui l'attendait avec son mari. Je soupire, ne croyant en rien à l'affection qu'elle prétend avoir pour moi malgré tout. Après tout, il a été si aisé de tuer son amour pour moi, et tout aussi facile pour elle de retomber dans les bras de son ex. Un ballet presque trop bien coordonné. “Alors tu as bel et bien joué sur deux tableaux en même temps, et tu t’es foutu de moi. Au moins c'est clair.” Et si je n’avais pas imposé un choix, si je ne lui avais pas fait dire toute la vérité et cracher son amour pour Hassan, peut-être que Joanne serait toujours en train de me faire croire qu'un nous est encore possible, et peut-être que j'y croirais comme un idiot. Mais le voile sur la supercherie est levé, désormais. “Il y a un mot très sale pour les femmes qui agissent comme tu l'as fait, et je n’en pense pas moins de toi.” je siffle entre les dents, l’agacement, l'énervement, même la haine n'étant pas assez pour me faire articuler des termes plus durs, crus, insultants. Son insistance à propos de Daniel me donne une nouvelle fois envie d’hurler. Elle ne comprend absolument pas que cette situation est particulièrement difficile pour moi aussi, et que cet éloignement n’a pas lieu de gaieté de cœur. Néanmoins, il est trop dur pour moi, actuellement, de prendre mon fils dans mes bras et faire ainsi face à tout ce que j'ai perdu, à ce rêve déchu. Je ne pourrais pas même le regarder, croiser son regard bleu, sans souffrir et sentir le fer brûler une nouvelle fois ma peau. Il incarne tout ce que je souhaite le plus au monde, et tout ce qui est désormais hors de ma portée. Non, je ne me sens pas prêt à l'entendre m’appeler papa à nouveau, et vivre seul tous les moments où Joanne devrait être à mes côtés. La jeune femme daigne enfin concéder le temps dont je pourrais avoir besoin pour me sentir prêt à revoir Daniel. “Oh, merci. Je ne savais pas que j'avais besoin de ton approbation, mais merci.” Continuer de me harceler et de me forcer la main n’aurait de toute manière rien avancé, et à moins de débarquer sur le pas de la porte pour m’y déposer le petit sans me laisser le choix, la petite blonde aurait été forcée d'attendre jusqu'à ce que j'accepte de le voir. Jusqu'à ce que je m'en sente le courage. Sur le tas, parce que le moment s'y prête peut-être, je lâche cette bombe, ce bout de vérité jusqu'à présent inavouée, la raison de notre rupture, le conseil tellement avisé de son ex-mari, et ma crédulité qui nous a menés sur cette pente glissante, jusqu'ici, jusqu'à ce soir. Moi écoutant les paroles d’Hassan, cela ressemble au début d'une mauvaise blague, et pourtant. Il n'en a rien dit à Joanne. Cela ne m'étonne pas. Je ne lui trouve aucune raison de le faire. Lui-même n’a pas idée qu'il est la pièce maîtresse, le tout premier domino. Quant au motif de ses paroles dans l'ascenseur ce jour-là, s'il est évident à mes yeux, il paraît échapper à la naïve petite blonde. Je m’épargne une médisance supplémentaire en suggérant ; “Demande-lui peut-être ?” Après tout, on ne fait pas mieux placé pour fournir des explications. À voir la jeune femme, l'information lui est lourdement tombée sur le crâne. Elle radote, désorientée. Madame aime cultiver des secrets, mais dès lors qu'elle ne sait pas tout de son entourage, plus rien ne va. Je la regarde, dépité, impatient, et ne comprenant pas où est le drame dans cette révélation ; l’adepte du “on ne peut rien y changer” devrait simplement faire avec, et retourner gentiment dans les bras de son ex. Au lieu de cela, elle répète, encore une fois, des questions dont je n’ai pas plus les réponses qu'elle. “Je ne sais pas non plus Joanne, et le répéter encore et encore ne va pas faire tomber la réponse du ciel, alors va lui demander et va t’en !” Ce n’est peut-être pas l'ordre donné qui la pousse à partir, néanmoins Joanne s’en va en usant du prétexte bien pratique de tout parent ; la relève de la baby-sitter. Avant de me laisser sur le trottoir, un dernier mot bien senti, mielleux, navrant, insupportable. “Arrête de mentir.” je siffle. La vie de famille, elle la voulait avec Hassan. Cela a toujours été le cas. J’ai été une alternative potable. “Je me passe de la présence d'une personne dans ton genre dans ma vie. Suis le plan de départ, oublie moi.” Il n’est aucune raison sur terre pouvant me pousser à faire appel à la petite blonde, et bien des années seront sûrement nécessaires pour me faire passer l'éponge sur les évènements récents. En attendant, elle sera pour moi cette femme cruelle et égoïste qui a bien trop longtemps joué avec mes sentiments. La mère de mon fils, accessoirement. Un boulet attaché à mon pied jusqu'à la fin de mes joues bien malgré moi. Dehors, le temps passe, toujours pas de taxi. J’aurais eu le temps de retourner à l'intérieur et rejoindre Ginny. Le risque de croiser à nouveau celle qui fut un jour ma fiancée m'en dissuade. J’attends, et je songe à appeler un chauffeur moi-même lorsque la jeune femme en question s'arrête devant moi en voiture afin de me proposer de me raccompagner. Je souffle, soupire, grogne, perd patience, tous les muscles crispés par la colère, la frustration, les yeux en l'air, mes mains prêtes à m'arracher les cheveux. “Seigneur Joanne, va t’en. Juste va t’en.”
Après tout ce qu'elle avait pu dire, Joanne avait eu le temps d'avoir conscience que ses paroles n'avaent plus autant de porter. A force d'indécisions, de stagnation et d'incertitude, la valeur de ses mots s'était amenuisée et l'une des personnes les plus importantes de sa vie ne voulait absolument plus y croire. A ses yeux, ce n'était qu'un tissu de mensonge, et rien de plus. Elle s'était fichue de lui, du moins, c'était ainsi que Jamie le ressentait au vue des actes et des réponses de Joanne. Elle n'avait qu'à s'en prendre à elle-même, au fond. Ils avaient tous les deux un rêve en commun et elle avait réussi à le ruiner alors que c'était à porter de main. Elle avait juste à avancer d'un pas pour l'obtenir mais non. Effectivement, elle n'avait toujours pas tourné la page de son divorce et la réapparition d'Hassan dans sa vie, depuis qu'ils se revoyaient, n'arrangeaient guère la situation. Elle ne cessait de demander à son psychologue s'il y avait une bonne solution, s'il y avait quelque chose qu'elle pouvait faire pour que tout se termine au mieux. Mais le mal était déjà fait depuis longtemps et tout ce que le professionnel avait su lui dire était qu'il valait mieux qu'elle trouve les réponses elle-même. Elle n'avait pas su le faire. Jamie ne voyait qu'en elle le mensonge, la lâcheté, l'égoïsme, le narcissisme. Toute une floppée de défauts qu'il lui attribuait pour finalement ne penser qu'à un seul mot pour la définir et qu'il préférer remplacer par une phrase qui lui laissait largement l'opportunité de deviner ce dont il s'agissait. Un terme très difficile à encaisser par la jeune femme, surtout venant de Jamie –parce que c'était Jamie–, qui eut pour résultat l'apparition de larmes au bord de ses yeux bleus. Les lèvres pincées, elle ne préférait rien dire. Elle n'avait de toute façon rien à ajouter et Jamie ne voulait certainement plus entendre le son de sa voix. Alors elle encaissait. Elle encaissait l'insulte, le ton qu'il avait employé, le regard qu'il lui lançait. Il n'y avait plus rien d'autre que de la haine, de la colère, une aversion démesurée. Comme si désormais, le simple fait qu'elle soit la mère de son unique enfant soit un fardeau, un mal dont il ne pourrait jamais se débarrasser. Il y avait quelques personnes qui se délectaient de voir une scène de ménage à l'extérieur. Il était toujours plus facile de rire du malheur des autres et d'être bien heureux de ne pas être la personne humiliée ou insultée sur le moment. S'en suivait le sujet concernant Hassan. Ce n'était qu'après coup que Joanne avait un vague souvenir que son ex-mari ait peut-être mentionné une rencontre, mais il n'avait jamais précisé ce qu'il a pu se passer. Joanne venait à se demander s'il s'agissait alors de leur unique rencontre, ou s'il y en avait eu plusieurs. Jamie suggéra à la jeune femme d'aller demander d'elle-même au premier intéressé la raison de ses paroles. Elle respectait sa demande et comptait bien partir. Et le coup fatal était juste là, pendu aux lèvres de Jamie : il voulait qu'elle l'oublie. Pour de bon. Il ne voulait absolument plus d'elle dans sa vie, et Daniel, peut-être encore moins. Il ne voyait aucune pour laquelle il pourrait faire appel à elle. La douleur à cet instant là, ressentie par Joanne, était tout bonnement indescriptible. Jamie cherchait peut-être à la faire souffrir d'autant qu'elle l'avait fait pour lui et il y était parvenu. Elle avait fait l'aller-retour dans son bureau le regard bien bas afin que personne ne voit les larmes roulées sur ses joues. Malgré tout ce qu'il avait pu dire, Joanne se risqua une dernière fois à le dépanner, à rendre service sans rien demander en retour. Mais même ça, c'était de trop. Joanne ne se laissa pas prier pour rentrer à la maison. Elle avait même éteint la radio de la voiture, préférant rouler dans le plus grand calme. Arrivée à la maison, la baby-sitter lui assura que tout s'était bien passé et qu'il dormait paisiblement. Joanne la paya et la congédia avant de fermer la porte d'entrée à clé derrière elle. Elle se rendit brièvement dans la chambre de Daniel juste pour s'assurer qu'il dormait bien et elle se permit ensuite de prendre une longue douche. Ses larmes se mêlaient à l'eau chaude qui tombait sur elle. Elle en était arrivée là. Sa vie amoureuse relevait du désastre, et c'était un euphémisme. Elle n'avait qu'à pas s'en prendre à elle-même, elle le savait bien. Et bien que sa volonté à vouloir rendre les choses meilleures s'avère compromise par le fait que Jamie veuille sortir définitivement de sa vie, Joanne conservait toujours une sorte d'espoir, que tout pourrait aller mieux un jour. Qu'il fallait laisser le temps au temps, mais elle n'abandonnait certainement pas.