tell me that you're happy, that I may then destroy everything
Je peux presque la sentir à quelques pas d’ici : l’odeur que dégage la traitrise. Ce désagréable parfum de la confiance que l’on a traîné dans la boue et dans le sang. Durant tout mon apprentissage, mon paternel n’a eu de cesse de me répéter de ne faire confiance à personne, pas même à soi-même. J’ai évolué dans la violence et la méfiance. J’ai blessé, torturé et même tué. Et il y a quelques années de cela, tout est parti en poussière à cause d’une paire d’yeux verts aux longs cils. Lou, cette petite garce dont le prénom m’écorche encore les lèvres, ce monstre de talents et pourtant si décevant. J’ai accordé ma confiance une fois, une seule et elle a craché dessus comme si cela ne valait rien. Des dizaines d’années de fraudes et de manipulations renvoyées en taule par une gamine. Une putain de gamine. Alors depuis ma libération, son visage de poupon hante mes pensées, j’ai soif de son sang sur mes mains et de ses yeux exorbités me suppliant d’arrêter. J’suis pas un mauvais bougre, nan, mais elle réveille en moi tout ce qu’il y a de plus mauvais. Elle est toute proche, je peux presque renifler son parfum floral lorsque j’ouvre la porte du Starbuck. Elle est pas maline, je n’ai eu qu’à demander pour connaître tout d’elle. Elle en se cache pas, comme si elle ignorait ma libération, comme si elle ignorait cette épée de Damoclès qui tournoie au-dessus de sa tête. Elle me connaît pourtant, elle sait que je ne le lâcherais plus d’une semelle, partout où elle ira. Elle me ferait presque de la peine, la petite Lou, quand je la regarde au loin, derrière son comptoir à griffonner des prénoms sur des mugs en papiers. Il y a du monde, donc de l’attente, j’ai tout mon temps pour l’observer, pour serrer les dents à chacun de ses misérables sourires. Mes points sont serrés au fond de mes poches lorsqu’elle adresse au client juste devant moi le même regard pétillant qu’elle avait l’habitude de me lancer lorsque je suis lui annonçait une bonne nouvelle, lorsqu’elle sautait dans mes bras pour me remerciait : chose dont j’avais horreur mais que pour elle, j’acceptais. Voilà que la seule barrière qu’il y avait entre nous s’envole avec son café entre les mains, me laissant face à Lou, la tête dans son tiroir-caisse. Il n’y a personne derrière moi : j’ai tout le temps qu’il me faut. Un café fort, très fort, je ne lui laisse pas le temps de me saluer. Peut-être le café n’est-il pas une bonne idée en fin de compte. Ne suis-je pas assez à cran ? Elle lève enfin les yeux vers moi, semble ne pas me reconnaître. J’esquisse un sourire de satisfaction et de supériorité avant de me pencher légèrement et m’accouder de mes deux bras sur le comptoir. Bonjour Lou, je la toise de haut en bas avant d’ajouter, ça fait longtemps hein ? Je n’arrive pas à ôter ce sourire suffisant de mon visage. Depuis le temps que je l’attendais, depuis le temps que je le rêvais, ce moment où ses petits yeux de rat se poseront sur moi. Je jubile en observant son visage se tordre, ses expressions se déchirer. Je me découvre un côté sadique qu’elle exacerbe avec brio. Alors je baisse mon regard sur le comptoir et attrape avec douceur le billet de cinq dollars qui reste planer dans sa main immobile. Le sourire que j’arborais disparaître peu à peu en même temps que j’approche le billet de mon visage. Ça ne te fait pas plaisir ? Le morceau de papier tourne lentement entre mes doigts déformant le précieux visage de monsieur Lincoln au même titre que celui de l’australienne. Mes yeux ne quittent plus ma main, laissant Lou en détresse avec elle-même. Parce que moi, si, avec violence, j'écrase le billet dans mon poing comme je le ferais prochainement avec son petit corps tout frêle. Elle sursaute, et ça m'arrache un bref rire de satisfaction. Je tends ensuite mon poing vers elle, ouvre délicatement mes doigts, le tendant le papier chiffonné. Dans mes yeux rivés sur elle luit une lueur de folie. Oui, elle me rend complètement fou.
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Rarement comprend-t-on les ennuis dans lesquels on se trouve, jusqu'au jour où toute la merde vous explose à la figure. Et je pensais que la journée se déroulerait bien. Normale, un jour de plus dans ma peau de paumée, d'insecte écrasée à toute allure sur le pare-brise de la vie. Sans savoir de quoi demain, ce soir, ce matin, cette heure sera faite, improvisant à l'infini, mais croyant en un mantra qui me permet de tenir, une minute après l'autre, un pas après l'autre ; tout ira bien. Néanmoins, après mes asanas matinaux, un café, et une tournée de dépôts de CV ; après avoir été accueillie tel le Messie dans le Starbucks du coin au personnel décimé par la maladie et enfilé polo et tablier aux couleurs de l'établissement ; après avoir servi en une heure des dizaines d'americano, de lattes, de macchiatos, de thés, de chocolats, de donuts, cheese cakes et cinnamon rolls ; après avoir sacrément sué et supporté les ordres d'un manager nerveux à la voix criarde, mais fière de moi, de m'être comportée en élément utile à la société -ou aux amateurs de cafés- non, jamais je n'aurais pensé que l'heure de pointe se solderait par un tremblement de terre ébranlant toutes mes belles convictions, remettant en question toute la sécurité dans laquelle je pensais baigner, un vertige durant ce duel de regards qui me pétrifie. Il est là. Et la question est plutôt comment que pourquoi, car ce point est bien trop aisé à deviner ; il est là pour moi. Personne ne souhaite que Mitchell soit là pour soi. À vrai dire, personne n'en a conscience avant qu'il soit trop tard, bien trop tard, mais personne ne veut que Mitchell soit dans votre vie tout court, dans les parages, en liberté. Pourtant, c'est lui qui me cloue dans mes baskets, c'est lui dont le regard perçant traverse mes orbites et écrase mes yeux au fond de mon crâne, qui fait frissonner mon échine de bas en haut et froisser le gobelet en carton entre mes doigts nerveux, crispés. Tandis qu'il se penche vers moi, appuyé sur le comptoir, désarticulé, rampant vicieusement comme un serpent, faisant filer sa main dans la mienne pour y dérober le billet, je ne bouge pas, ne cligne pas, ne respire pas, pétrifiée, envoûtée par la peur qui serre, tord, retourne mon estomac. Cette nausée acide qui remonte dans ma gorge et mon nez, ce froid qui me glace les extrémités ; le brun n’a rien besoin de faire, voilà que je me meurs à petit feu juste sous ses yeux par le pouvoir de sa seule présence, insecte coincée sous un verre. Puis la panique monte, s’invite dans ma poitrine et donne un coup de fouet à mon rythme cardiaque. Oh, je suis bien en vie, les palpitations en sont témoins, mais pour combien de temps ? Il est grand, il est puissant, mais Mitchell est surtout un animal. Un animal blessé. Un majestueux cerf qui se bat pour sa vie dans un dernier sursaut, peut-être une dernière bataille salvatrice. Et dieu sait qu'il n’y a rien de plus dangereux, imprévisible, terrible que l'instinct de survie. Je l’ai ébranlé, moi, la petite chose. Je l’ai touché en plein cœur. Si je lui expliquais que je ne le voulais pas, que je ne savais pas, que je l'aimais, que j'aimais cette famille, cette vie si facile, comprendrait-il ? S'il savait à quel point sa mise hors circulation a fait de ma vie un enfer, pourrait-il considérer que j'ai déjà fait mon temps, moi aussi, purgé ma peine ? J’en doute. Et maintenant, le voilà pour moi. La traîtresse, la Judas. “Je ne savais pas que tu étais sorti.” dis-je de ma voix fluette, étouffée par la peur qui serre ma gorge. Est-ce que la police n'était pas supposée m’en informer ? N’ais-je pas droit à une protection ? Trop tard pour tout cela. Je me trouve nez à nez avec le prédateur, lui qui sait tout de moi, comment me traquer, me piéger, me dévorer. “Un problème ?” s'avance le manager qui, un chronomètre accroché sur les parois internes de son crâne émettant le bruit rassurant d'un tic-tac au tempo parfait que je viens de ruiner en gardant un client à ma caisse plus de quinze secondes. Trouve quelque chose, Lou. Trouve n'importe quoi. J’ai toujours le bon mot, habituellement, la phrase bien sentie. Toujours. Pas cette fois. Mon regard se baisse, je prie pour disparaître dans un écran de fumée, grande évasion. Machinalement, refrénant les tremblements de ma main qui tient le feutre, j'inscris noir sur cup le nom de Mitchell et coche la case de la boisson. “Non, aucun problème.” je murmure. Avec le même petit air de chewing-gum écrasé, je récupère le billet qu'il me tend et l'inscrit dans la caisse. “Acabo mi servicio a las veinte, encuéntrame detrás del edificio.” dis-je avec mon très mauvais espagnol et mon merveilleux accent australien à couper au couteau qui doit faire saigner les oreilles du colombien. Ce n’est pas une bonne idée. Lui, moi, un coin sombre. S’il n’était pas mon bourreau, cela aurait pu être un scénario plaisant. Mais je ne sais que trop bien à quelle sauce je vais être mangée, et à quelle cuisson. Saignante, et bien juteuse. Le manager nous laisse. Je confie le gobelet à ma collègue. Plus tard, elle s’époumonera au cœur du brouhaha ; “J’ai un Teavana mangue glacé pour Mitchell.” Et la blague, mon unique petite victoire, m'arrache un petit sourire de consolation.
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Oh oui Lou, tu me rends fou. J’avoue, je suis dingue de toi. De ce visage qui se déforme lorsque nos yeux se croisent. De cette main tremblante lorsque nos doigts se frôlent. Et de cette boule d’angoisse que je vois descendre dans ta gorge blanche. S’en est presque sexuel une attirance pareille parce que je te veux, rien qu’à moi. Je veux te voir te débattre un instant avant de refermer mon emprise sur ta petite personne, sur ton monde tout entier ; te voir asphyxier. Car sois rassurée ma chère enfant, je suis là maintenant. Ton loup te surveille, te sent. Il ne te quitte plus des yeux et tu peux sentir son halène, ses crocs sur ta peau blanche de brebis galeuse. Et bien me voilà, je me redresse avec lenteur, écartant mes mains de mon corps et tournant mes paumes vers le ciel. Je ne t’ai jamais quittée Lou, mon sourire est large et mes pommettes rieuses. Je jouis de ce sentiment de puissance, de ce plaisir sadique à la regarder se liquéfier. Mes mains viennent reprendre contact avec ce comptoir qui nous sépare. Je m’appuie sur elle, faisant presque ressortir mes épaules massives de mon dos. Qu’est-ce qui m’en empêche ? Me jeter sur cette plaque de granite pour me rapprocher d’elle, pour qu’elle soit sous mon emprise. Que je puisse passer mon visage dans son cou ; sentir l’odeur de la peur et la chaleur des larmes. Elle crierait sûrement. Et moi jubilerais. C’est le sourire aux lèvres que j’accueille le sauveur d’agneaux. Pas maintenant. Prends ton temps. Elle le renvoi avec un faux calme. J’ai presque envie d’applaudir comme un gamin tellement la situation est plaisante. Ses yeux ne quittant plus la sécurité du gobelet, elle hache de sa langue de vipère les mots chantants de mon pays. Je me redresse une nouvelle fois, plantant mes phalanges au fond de mes poches et me tournant vers la foule agitée, sí, sí, disfrutar de muchos de su día, mi cordero. Mon sourire a disparu en même temps que ma silhouette de la vision de Lou. Je prends place sur une table d’où je peux la voir, l’observer et imaginer la façon dont sa misérable vie prendrait fin. Quel gâchis. Elle qui avait tant de talents. J’en suis presque désolé. Elle a dormi sous mon toit, manger dans mes assiettes, s’est lavée dans ma douche. Lou était la fille que je n’ai jamais eue ; l’amante que je n’ai jamais voulue ; l’enseignante que je n’ai jamais imaginée. Je lui aurais confié les rênes de Brisbane et l’aurais glorifiée telle une déesse. Je n’ai fait que me branler sur ces idéaux. Il est l’heure. Je regarde ma montre, canalisant les sursauts de ce pied qui traduisent mon impatience. Il fait froid mais je brûle de désir pour elle comme je ne l’ai jamais fait pour une autre femme. J’attends, tapis dans l’ombre, que ma proie se profile à l’horizon. Un grincement métallique et un filet de lumière émanant du bâtiment et je bondis sur elle, la plaquant violemment contre le mur de briques. Je t’ai attendue, nos visages sont si proches que mon rire embrasse ses joues. Mes mains tiennent fermement ses frêles épaules contre le mur ; toute fuite est inimaginable. Je sens ses cheveux qui se prennent dans ma barbe et je sens son souffle paniqué me brûler les yeux. Alors, qu’est-ce que ça t’fait de me retrouver ? Je me languis de sa réponse. Je fais les choses à la loyale ; juste elle et moi, sans autre élément perturbateur. J’hésite un instant à lui briser la clavicule ; ce serait si facile. Pas de caution à payer pour t’en sortir cette fois, je siffle dans ses oreilles, assez proche d’elle pour qu’elle puisse entende la rage qui bouillonne en moi. Une goutte de sueur perle sur ma tempe ; c’est l’excitation. Elle m’a transformé. Elle a fait de moi ce mélange de haine et de violence. Alors elle récolte ce qu’elle a semé lorsque devant son silence, je perds les pédales et colle mon visage au sien ; réponds putain ! J’veux entendre ta voix de pucelle Lou ! REPONDS ! Dans mes tourments, je l’ai secoué un peu plus fort, frottant son uniforme contre la pierre rouge. Mes doigts se serrent sur sa peau. Je n’ai plus qu’un geste à faire et sa vie ne sera plus qu’une croix de plus sur la liste de mes victimes pendant que mon rire sadique frappe ses tympans.
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Ma main sur le poussoir de la porte de service, moite, pâle, au vers rose écaillé, tremblotte pathétiquement. J'attends avant d'appuyer, d'ouvrir, et d'atterrir dans la cour de derrière, dans l'arène, mon tombeau, l'enfer. Je le sens, là, juste de l'autre côté. Je sens le prédateur, le loup, le vrai. J'entends qu'il hurle à la lune sa hâte de me donner en offrande, de me jeter en pâture à la rue, au caniveau. Je devine ses dents grinçantes sur le bitume, longues et aiguisées, brillantes sous le ciel qui s'assombrit. C'est un hiver morose, humide, froid. Un hivers gris et sans saveur. Et pourtant je prenais le meilleur de chaque jour jusqu'à présent, et je faisais de chaque instant le mien, de chaque rencontre une possibilité, de chaque lieu le théâtre coloré d'une nouvelle vie. Courte vie, triste vie ; ces pavés seront bien la scène d'une tragédie, peut-être de ma fin, et ce moment sera le mien, oui, sûrement pas de la manière dont je l'aurais souhaité. La présence de Mitchell est déjà comme une paire de mains se resserrant autour de mon cou, j'en devine la chaleur avant même qu'il ne puisse briser ma nuque sous ses griffes. Je pourrais tourner les talons. Cela serait si simple. Partir par la grande porte, le laisser là à attendre, ne jamais me montrer. Qu'il macère, qu'il me haïsse encore plus ; cela serait l'unique résultat, et alors jamais plus je ne pourrais marcher dans la rue sans regarder par-dessus mon épaule tous les deux pas. Une partie de moi ne veut pas me détourner de cet instant et me pousse à avancer vers le danger ; cette partie qui attends de moi que j'assume mes actes, que je fasse face aux conséquences, car telle est la leçon que j'ai apprise de mon séjour en cure. Chaque action a une conséquence. Sur soi, sur les autres. Il ne faut pas oublier les autres. Il faut savoir demander pardon. Accepter de l'aide. Il faut faire face, se tenir sur ses deux jambes, et tenir bon en toutes circonstances. Et pendant une seconde, juste une, je n'ai pas peur. Juste le temps de pousser la porte, arriver dehors, et heurter le mur de plein fouet, attrapée, éclatée au vol comme un moucheron. Mon crâne rencontre le crépis du bâtiment, mes épaules s'écrasent dessus, frêles, désarticulées. Je sens cette force, non seulement physique, mais celle de la rage, de la colère, l'énergie de la vengeance qui me plaque, me pétrifie, m'empêche de bouger, de fuir. Fuir où ? Pourquoi ? Il n'y a pas de fuite face à Loyd. C'est bien pour ça que je suis là, à sa merci. Parce qu'ici ou ailleurs, aujourd'hui ou demain, il m'attrapera de la même manière, et quoi que je fasse, il fera bien ce qui lui plaît de moi. A cet instant, je suis la poupée, la marionnette. S'il me dit de danser, je danse, s'il me dit de chanter comme un rossignol, je m'exécute, et s'il décide que je meurs, alors je fais mes prières. J'aurai beau faire de mon mieux pour ne pas montrer toute la peur qui me fait trembler de l'intérieur, mon regard de biche face aux feux est aussi transparent que si je me mettais à pleurer et à supplier. Je ne peux rien dire, c'est à peine si je parviens à respirer, et Mitchell crie, hurle de plus en plus fort, le visage près du mien, l'haleine se mêlant à mon propre souffle, les lèvres contre ma joue, le torse écrasant ma poitrine et les jambes bloquant toute issue. Ma bouche se pince, mes yeux se ferment, retiennent au mieux de grosses larmes de crocodile. Non, je ne suis pas plus forte que ça. Moi, je suis celle qui subit. Mais qui subit avec le sourire souvent, le bon mot, petite touche de masochisme qui n'arrange pas mon cas ; de quoi attiser le feu, exciter la bête, et qui sait, m'assurer une fin courte. « C'est un flingue que je sens dans ta poche ou t'es vraiment si content que ça de me refaire le portrait ? » j'articule, haletante, les yeux rouges, dents serrées, un rictus mutin crispé qui se transforme en un rire nerveux à la mélodie bizarre. Toutes sortes de scénarios me traversent l'esprit tandis que j'inspecte furtivement le pantalon de mon assaillant, et de la pipe pour me faire pardonner à la baise contre le mur, je songe que mes meilleures chances de m'en sortir sont d'une, qu'il se dise qu'il ne faudrait pas abîmer une nana qu'il n'a encore jamais pu serrer jusqu'à présent, et deux, que je peux encore être utile et payer ma dette d'une autre manière qu'avec ma mort. « Et toi alors, je t'ai manquée ? Tu as pensé à moi, derrière les barreaux, seul dans ta couchette, sous la douche… ? » Ce qu'il est possible de faire, de dire, de penser par désespoir, par stratégie, par instinct de survie. Les gabarits dans mon genre ne peuvent pas se battre avec les mêmes armes qu'un grand gaillard comme Mitchell. Ma force de mouche le chatouillera, au mieux, et titillera sa patience au pire. A quoi bon me débattre, frapper, hurler ? Rien ne serait en ma faveur. Et je suis lin d'être plus intelligente que la moyenne, je n'ai pas grand-chose à offrir qu'il ne sache déjà et qu'il n'ait exploité pour se faire des ronds. Mes yeux sont secs désormais, mes cils battent comme des ailes de papillon. Je tourne la tête vers sa bouche qui grogne de rage et de soif de sang, ma langue frôlant mes lèvres avant le délicat passage de mes dents. Mes mains glissent lentement vers les siennes, l'invitant à serrer plus fort, à briser, à broyer. « Je parie que oui, et je parie que ça te faisait le même effet que maintenant. »
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Elle est là, entre mes mains, entre mes griffes. Elle est juste là, à ma portée. Je sens sous mes doigts les contractions incontrôlées de son petit corps frêle, de la fin de portée, de la brebis galeuse qui a du mal à suivre le troupeau. Celle qui se fera dévorer par le grand méchant loup. Je sens la tétanie dans ses bras, ses yeux clos qui retiennent les signes de sa faiblesse et j'entends presque sa cervelle qui s'emporte aussi vite que son cœur. Elle réfléchit, sûrement, à un moyen de s'en sortir. Son esprit malsain et vicieux doit étudier chaque opportunité, chaque situation qui s'offre à elle ; je la laisse faire, qu'elle tente de prendre la fuite et je ne la retrouverais que plus effrayée encore. Mes mains qui la pressent pourraient la broyer comme le lion broie le crâne de l'antilope, comme l'ours brise les os de l'élan. Mais malgré la rage et la soif de sang, je me ferais violence ; pas maintenant, pas aujourd'hui. Elle peut encore payer, elle doit encore payer. Elle me répond enfin, je souris aux sons des tressautements de sa voix ; soubresauts insolents signés d'une main de maître. Mes canines largement découvertes, mon visage s'éloigne du siens mais mon emprise reste ferme. C'est pour tout ça que je l'aime à la haïr ; pour cette peur qui se transforme en provocation, pour cette tendance masochiste à toujours vouloir avoir le dernier mot, pour cette assurance qu'elle voudrait que le monde entier croit qu'elle détient. Mais il n'en est rien. Ce traître corps de vermine, je l'ai aimé comme un frère, comme un père et presque même comme un amant. Mon monde était le sien ; elle a était ma thérapie pour finalement mieux me faire porter la camisole. Elle est la seule responsable de ma haine. Tu penses que les traîtres, ça m'fait remuer la queue ? Je m'éloigne encore un peu plus, ignorant son invitation au sadisme pendant que je ne puis contenir un rire ; un franc rire profond et rocailleux dont les échos donne la sensation d'une meute rodant dans les rues de Brisbane. Qu'est-ce qui m'en empêche ? De la retourner violemment, frottant sa porcelaine sur le crépis, d'ouvrir ses cuisses comme on ouvre un cadeau et de lui montrer ce qui m'excite vraiment. Elle crierait sûrement, ou peut-être pas. Trop fière pour avouer être emprise d'une incontrôlable frénésie, elle se tairait ; elle me laisserait abuser d'un corps qui me dégoutte, me cachant les larmes qui rouleraient sur ses joues. Une des mes mains lâche sa proie pour venir lui caresser la joue et attraper son menton entre le pouce et l'index. Il n'y a aucune douceur dans mes gestes, il n'y a aucune douceur en moi tout simplement. Sans mal, je la force à me faire face, à plonger ses yeux dans les miens pendant que ses narines frétillent de peur et de colère. Je l'observe se débattre intérieurement avec elle-même, se forçant à enterrer à grand coups de pieds son besoin de fondre en larme. Peut-être que oui après tout, peut-être que c'est une bonne gaule qui m'a fait venir jusqu'à toi, peut-être que c'est ta loyauté sans faille qui me fait bander, elle pense être le centre de mon monde, l'unique pivot de ma vie, l'ultime but de ma quête, mais Lou, crois-tu sincèrement que la vengeance par la chaire, par ta chaire putride, ça me suffira. Je termine de me redresser, susurrant presque mes derniers mots et ne quittant pas les abysses de ses yeux. Je la bouscule un instant puis la lâche ; j'ai besoin de ma dose de cancer et voilà qu'il s'invite entre mes lèvres, fumant, tu me connais mieux que ça. Elle ne fuira pas, enchaînée à son semblant d'honneur, lestée par la peur ; elle est comme pétrifiée et depuis quelques temps déjà, j'ai eu le temps de tisser des liens à ses poignets, m'improvisant marionnettiste. La crainte est le meilleur des contrôles, celui utilisé depuis la nuit des temps. Je fume ; encore et encore. La nicotine bouillonne dans mes veine comme la rage dans mon ventre et un faux calme s'installe sur mon masque. Les premières fumées lui sont destinées, à elle, je ne prends pas la peine de la rugir ailleurs et sans grâce, je fais quelques pas pour appuyer mon dos fatigué contre le mur. Nos épaules se touchent ; elle n'a toujours pas fait le moindre mouvement. Mon regard se perd dans le passé, dans notre passé, j'aurai préféré que tu penses avec ta tête et pas avec ton cul, elle connait le moment de nos vies qui inspire cette référence pleine d'ironie et encore chaude de violence. On parle de la faiblesse des hommes mais j'en suis presque certain ; Lou n'en est pas un. Et pourtant depuis presque deux ans, j'me sens comme un putain de cocu.
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Me voici prise dans le piège à ours, attendant l'hiver. Incapable de bouger, il n’est plus nécessaire de m’écraser, me menacer pour que je reste à ma place, gentille, docile, fragile ; je ne bougerai pas d'un cheveu, je ne partirai pas. La peur suffit à me plaquer au mur. Ses crocs froids sont enfoncés dans ma jambe. Impossible de songer à fuir ; oui, l'idée a cessé de me traverser l'esprit, et plutôt que d’activer mon cerveau engourdi par la panique afin de trouver une ruse qui me permette de courir loin d'ici, de lui, je pense à ce que je peux faire pour inspirer sa clémence au mieux, ou m’assurer une fin rapide au pire. Ce n’est pas simple, de réfléchir, surtout lorsque toute mon énergie se concentre sur mes yeux secs et qui doivent rester ainsi, sur ce coeur qui bat au rythme de la marche du condamné et que j'appréciais de garder en l'état, bien logé dans ma poitrine. Je diverge, digresse, je me demande quelle est l'odeur de la peur -sûrement un mélange de sueur, de pisse sèche, de clope froide sur une effluve tiède, comme celle d'une vieille cave ou d'un grenier grouillant de rats. Si c’est comme ça que je sens actuellement, pas étonnant que Loyd ne bande pas. “Ca coûtait rien d’essayer.” Son rire résonne en moi, fait vibrer chacun de mes organes secoués par la crainte, tressaillant au moindre de ses mouvements, tremblant au son de sa voix. Même mes membres sursautent et je ne peux rien y faire. Alors il est évident que je suis en son pouvoir, sous une emprise qui n’est pas celle de ses mains qui me plaquent au mur ; quelque chose d'invisible, de lourd, d'oppressant, et de bien plus effrayant. A dire vrai je pensais que la colère le rendrait fiévreux, pourtant sa main sur mon visage est froide, frôlement à l'odeur de mort, comme si je pouvais hummer à travers sa peau le sang séché de toutes les précédentes personnes qui furent à ma place avant ce jour. Plus Mitchell se redresse, plus je suis minuscule, et encore une fois, il n'est pas seulement question d'apparence et d'évidence ; à l'intérieur, mes organes se ratatinent, je me sens misérable, disposable, déjà disparue et oubliée. Est-ce que je le saurai, quand je serai morte ? Est-ce que je le verrai venir, ou est-ce que ça me tombera dessus d'un coup ? Est-ce que je sentirai la différence, et le moment précis où la vie quittera mon corps ? Est-ce que je devinerai le flux de mon sang s'échappant sur le bitume et le froid se glissant entre les jambes, la caresse d'un ange et le baiser aspirant mon dernier souffle ? Je m'imagine dans chaque scénario, j'explore toutes les possibilités, mon imagination seule suffisant à me donner un avant goût de ces sensations, à réduire ma respiration jusqu'à ce que je ne sache plus dissocier le réel de mes songes, si je suis toujours là, ou si je suis cet insecte écrasé sous la semelle de Loyd aux membres disloqués et aux joues en lambeaux. Entre les deux mondes se glisse le voile fin de la fumée de cigarette. Il me ramène dans l'instant, et une soudaine envie, un besoin saisissant de nicotine me titille les nerfs. “Je peux en avoir une ?” je demande, d'apparence insolente, mais d'apparence seulement. C'est une faveur qu'il peut bien m'accorder. A moins qu'il ne veuille ajouter cette frustration à la liste des tortures et il se peut qu'une fois froide ma dernière pensée soit “et ce trouduc m’a même pas accordé une dernière ciggy”. D'un autre côté, il n’a aucune raison de m'accorder la moindre faveur. Même s'il a l'air plus calme maintenant, après s'être repaît de ma peur, je sais que ce n’est qu'une parenthèse, un temps mort, une courte respiration avant qu'il remette son poids sur ma tête pour m’immerger, me noyer dans un bain de vengeance. Et toujours je trouve le moyen d'user de ce cynisme agaçant, comme le bout d'une aiguille qui pique furtivement la peau. “Oh, tu sais, ce qu’on ferait pas pour expérimenter une paire de menottes authentique. Et quand elle m’a dit “allons trahir ta famille, allons tous les jeter en taule”, j’étais toute frétillante.” J’ironise, espérant que dit tout haut, le grand diable trouve cela aussi ridicule et qu’improbable. Je souris, je ne le devrais pas, pourtant je ne peux pas m'empêcher de penser que Mitchell, ce type si fort, imposant, craint, a été mis à mal par deux demoiselles. Il est plus facile de croire que je me suis faite avoir par un mec, aveuglée par un coup de reins. Que nenni, c’est ici que la suprématie masculine de cette histoire s'arrête ; c’est un esprit féminin qui me l’a faite à l'envers, c'est une femme qui a su comment arriver jusqu'à lui. C'est la force de l'une et la faiblesse de l'autre qui l’ont craché au fond d'une cellule. “Tu me connais mieux que ça, toi aussi. Tu sais que c’est pas ce qui est arrivé.” Est-ce qu’il me croit assez stupide pour tout gâcher, pour tout perdre, juste pour un coup d’un soir ? J'étais une princesse, une vraie. J'avais la sécurité, l'amour d'une famille, j'avais ma place. J'aimais tirer un joint sur les genoux d'un dealer, me faire un rail sur le ventre d’Aisling, et mettre la pâtée à Mitch aux concours de shots. Tout ce que je devais faire pour avoir droit à ce cocon m’importait si peu. C’était une maigre contrepartie. Et puis, j’avais un rôle. À ma manière, dans cette mécanique, j'étais un engrenage, je faisais partie de quelque chose, j’avais ma place. Pour rien au monde je n'aurais sacrifié tout ceci. Jamais. Pourtant… Oui, hein, c’est ce que qu'il croit, et il a tort. Je ne savais pas. Je n’ai rien vu venir. Je n’ai pas été assez sage, attentive. Baignant dans cette aise, j'étais invincible, intouchable ; et cette fête ne prendrait jamais fin car nous étions les rois du monde. J'ai été naïve, stupide, aveugle. J’ai failli. Ma garde était trop basse, comme Loyd n'arrêtait pas de me le répéter pendant qu'il essayait de m'apprendre à me défendre, redressant à chaque fois mes bras maigres avec une tape sans douceur -parce que le monde n’est pas doux. J'étais loyale. Néanmoins, tout est de ma faute. “Ca ne veut pas dire que t’as moins le droit de me détester...” Ma culpabilité n’attendrira pas ce tas de viande. Il ne me croit sûrement pas d'ailleurs. Il a eu trop de temps pour m'ancrer dans son crâne comme la coupable idéale, les oeillères sont fixées et désormais je me résume à cette traîtresse qui lui donne envie de vomir. “Je n’ai jamais voulu nous faire du mal.” Enfin je m'arrache au mur. Si je me plante devant lui, si je suis là, vraie, sincère, il sera obligé de me voir, lui aussi sera obligé de me faire face. Je peux, j'espère, gratter de mes petites griffes sur le mur de haine qu'il a bâti entre lui et moi. Il me connaît. Plus d'une fois, il m’a dévoilée à moi-même. Il s'agit de quoi je suis faite, il sait quel genre de sang coule dans mes veines. Il n’a pas besoin de s'en couvrir les poings. Il doit voir, s'il le peut encore. Il doit ouvrir les yeux, me voir moi. Deviner dans ces yeux le cauchemar que j'ai traversé depuis la seconde où les menottes se sont glissées sur ses poignets. J’ai traversé l’enfer pour payer ma dette, ma bêtise. J’ai grandi, je suis morte et je suis renée tant de fois en quelques années. À ma propre manière, je maintiens Loyd contre le mur à mon tour ; par mes mains posées doucement sur son torse, par mon corps sur le sien, surélevée par la pointe de mes pieds, mon regard planté dans ses iris. “Je t'aimais, Mitch, et ce n'était pas une émotion banale non, c'était au delà de l'affection pour un père, un sauveur, même un amant ; c'était plus que ça, rien de tout ça, ou tout à la fois ; c'était transcendant, ça n’avait pas de nom, pas de définition, mais c’est une forme d'amour, de respect, de dévouement qui poussait à dépasser les limites. C’est ce qu'il inspire, Mitchell. C’est ce qui lui donne ce pouvoir. Et je ne suis sûrement qu'une petite idiote parmi des centaines à s'être pensée plus importante que les autres, choyée, préférée. Petit pion qui n’a atteint ce sommet, pas dans son affection ou son estime, mais dans sa haine et son mépris. “J’aimais tout le monde comme une famille. Tu sais que je n’ai jamais voulu tout ça...”
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Le crépis me gratte le haut du dos aussi fort que le goudron vient lécher mes poumons. Elle va avoir le dos rouge la gamine -non, la garce- au vu du manque de ménagement dont j'ai fait preuve. Et pourtant, je me dis que ce n'est que le centième de ce qu'elle mérite, que son sang n'a pas coulé, que sa voix n'a pas vrillée et que ses dents ne se sont pas encore limées sur le macadam ; heureux hasard. Un peu plus de trois cents soixante cinq jours pour imaginer, fantasmer nos retrouvailles. Un peu plus de trois cent soixante cinq jours pour jouer la pièce de chacune des possibilités qui s'offraient à moi, trouver l'endroit le plus sombre, le temps le plus glacial, la manière la plus cruelle. Faire peur aux petites filles n'a jamais été un problème pour moi ; et quand elles ont les yeux de la traîtrise, je les arrache de mes propres mains, laissant leur sang sécher sous mes ongles. Elle me ramène dans le présent par une simple question à laquelle je ne réponds pas, gardant mes yeux perdus dans cette fumée dansante qui visiblement réveille en elle d’irrésistibles désirs. Seul mon bras s'anime, fouillant dans ma poche comme dans les tréfonds de l'enfer, pour en ressortir la précieuse. Petite cancéreuse que je lui tends d'une main noircie par l'effort, elle l'attrape presque au vol, comme si ma peau était aussi brûlante qu'une flamme, comme si ce contact allait injecter un poison dans ses veines, laissant bientôt sa dépouille en pâture aux loups de la ville. Ferme-là, son cynisme qui a jadis amusé mes journées est aujourd'hui la hantise de mes tympans. Le mot qui se faufile entre ses lèvres, trahir, me glace l'échine et rallume le feu sous cette marmite de rage qui bouillonne en moi. Je secoue la tête ; il n'y avait que l'esprit tordu d'un putain de vagin pour faire ça, j'ai pas besoin d'entendre tes conneries. Lou, dans le lit d'une femme, pointant le bout du canon sur sa propre meute, prêtant le couteau pour servir son alpha avant de découvrir que notre bourreau porte les traits de Vénus. Je suis un putain de macho et l'idée de m'être fait couillonner par une femme m'est insupportable. Le baron de Brisbane, le caïd Orthega jeté au fond d'un cachot par deux paires de nibards ? C'est inconcevable, c'est impossible ; Lou ne peut être que l’acolyte, et non une énième victime. Elle n'est pas aussi stupide, elle n'est pas aussi naïve. Ce n'est pas ce qu'elle a apprit dans mes rangs, ce n'est pas ce que mon monde, qui était le siens, lui a enseigné. Ma propre fille, ma propre sœur, ma propre femme. Un homme est facilement trompé par les jolis yeux de celle qui danse dans les siens. Je ne l'écoute plus, je suis ailleurs, je suis perdu dans ce passé, dans cet apogée de notre famille, dans la grandeur ancienne de notre meute et dans cette fille que j'ai perdu. Seul son ombre persiste, rien que son ombre, et elle vient se présenter à moi comme si elle lisait avec attention ce qu'il se passait actuellement en mon fort intérieur. Sa maigre présence me force à lever les yeux vers elle, les laissant plonger dans les miens comme si je n'étais plus qu'un grand loup à terre, dans ses derniers souffles. Je t'aimais, Mitch ; je me perds en elle, en moi-même, en nous. Ces mots résonnent dans mon crâne de piaf comme s'ils n'allaient plus jamais s'arrêter. Ils s'écrasent dans les moindres recoins de mon âme, bousculant tout sur leur passage, faisant de moi un chien au abois. Je sens ses petites mains faibles sur mon torse et j'ai pourtant l'impression qu'elles écrasent mon diaphragme, qu'elles m'empêchent de respirer, m'enfoncent peu à peu dans ce mur. L'espace d'un court instant, l'angoisse et la peur s'installent dans mes iris, dilatant mes pupilles de chiot. Comme acculé dans un coin de rue, je me redresse sans crier gare et ma main vient percuter la joue de mon agresseur, rosie par le froid, tu mens Lou, putain, je sais qu'tu mens ! Ma main chasse son visage au même titre qu'elle chasse mon instant de faiblesse. Elle se tient la joue ; elle a eut mal et moi je suis essoufflé par le combat que je viens de livrer. Ma main se crispe et les yeux écarquillés, je l'observe se redresser et me faire de nouveau face, les yeux brillants. Et aussi vite que l'orage fut arrivé, il s'envole. Je viens de mettre une calotte à Lou, violence inopinée mais nécessaire pour garder mon rôle de dominant et qu'elle se rassure ; ça m'a fait le même effet que si c'était elle qui m'en avait mit une. Je sors un briquet, le silence se prolongeant, lui glisse sa clope entre ses lèvres roses et m'approche d'elle, très près, entourant d'une main nos deux bouches et laissant naître une ridicule flamme qui vient lécher le tabac, ne me redis plus jamais ça. Sans que ce soit vrai.
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Sa main heurte ma joue avec toutes les forces dont il dispose pour se défaire de ma maigre emprise, et même si je devrais considérer cette réaction comme une petite victoire, ce n’est à mes yeux que la preuve que la situation est sans issue, que mon sort est scellé. Il a tremblé devant moi à son tour, il m’a craint, moi et ma vérité, juste une seconde ; c'était un éclat imperceptible dans ses yeux, un rictus furtif au coin de sa bouche, un spasme subtile de son coeur qui crispe ses muscles. Il n’y avait qu'une raison pour laquelle Loyd m’avait balayée comme un moucheron lui tournant trop autour ; un instant, j'ai été une menace. Suis-je parvenue à semer le moindre doute dans son esprit ? Juste une graine, minuscule, une idée ; peut-être a-t-il tort, peut-être que je ne voulais pas être cette traitresse que tous méprisent, peut-être que je l'adorais vraiment, mon Messie à moi qui me punit désormais, son Judas, pour mon péché de stupidité. “J-je…” Mais je ne fais plus la fière, subissant le choc de cette gifle que je n’avais pas vue venir, et je couine là, sur le pavé, comme un chien battu, une bestiole abandonnée. Le masque de mon orgueil se craquelle et laisse passer quelques larmes. “Tu dois me croire, je…” Mes lèvres s'agitent mais le son n'en sort plus, ma voix étouffée, éteinte dans cette gorge serrée. Ma joue brûle comme s'il avait écrasé un fer dessus pour y apposer la marque des traîtres, des sorcières, des démons. Il frappe les filles, Mitchell, il s'en fout, je le sais parfaitement. Si son dessein est de me battre à mort, de m’écraser à coups de semelles, de me brûler avec ses cigarettes, de m'entendre crier, supplier ; il le fera, sans hésiter, sans rancune, sans… vraiment ? Je ravale la douleur, je remets mon costume de fierté et je prends mon courage à deux mains, le tout dans une grande, grande inspiration. Et lorsqu'il approche pour allumer ma cigarette, je retrouve en moi cette effrontée, cette cynique sans peurs qui elle seule me permet de soutenir son regard. Il ne me croira jamais, c'est peine perdue. J’attendrai que la graine du doute fasse son oeuvre. J’attendrai la nuit où il pensera à ce moment, dans ses rêves, aussi palpable que s'il y était ; la nuit où il sera forcé de m’entendre à nouveau lui dire ces mots qu'il m'ordonne de bannir, et où il se reverra, encore et encore, me coller cette belle baffe pour seule réponse. Le hanter de cette manière est l'une de mes seules armes. Alors je force mon regard dans le sien comme on crochète la serrure d'une porte, je ne le lâche plus. Je souffle ma première bouffée de tabac en sa direction, et je me souviens de ces baisers aériens, sans toucher, que nous échangions tous entre membres de la famille quand le joint passait de main en main et que nous partagions toujours une taffe avec le voisin en soufflant la fumée dans sa bouche entrouverte. Cet air glisse délicieusement dans les poumons, et c'est un peu comme si la personne qui vous l’a offert se logeait en vous pour une seconde, aussi enivrant que l'herbe en soi ; courte symbiose hypnotique qui traverse à cet instant les narines de Loyd sans qu'il ait le choix. “Alors maintenant quoi, Mitch’ ? Qu'est-ce que tu vas faire ? Tu vas me découper en lardons et me servir dans un resto des quartiers chics ? Tu vas m'enterrer vivante et te délecter de mes cris ? Tu vas me pendre, me péter la nuque, me jeter d'un pont, m'arracher les ongles de pieds à la Russe ? J’attends, j'écoute.” La vérité c'est que chacune de ces options me fait froid dans le dos, et qu'y songer pourrait me donner les larmes aux yeux. Je ne suis toujours battue avec mes maigres armes.parce qu'il est deux choses dont j'ai véritablement peur ; la mort et la douleur. Facile à torturer, à tourmenter, je n’ai rien d'une guerrière, je n’ai pas de physique, pas de mental d'acier ; j’ai de la volonté, de la débrouillardise, et c'est ainsi que j'ai survécu jusqu'à présent. Ce qui ne sera sûrement plus assez désormais. “Je crois que t’en a aucune idée, en fait. Ce que je crois c'est que t’as pensé à ce jour tous les jours pendant des mois, et là… tu cognes fort, gros dur, mais me tuer ? Non, t’en est pas capable.” Peut-être que le défier et le pousser à me donner tort n’est pas la meilleure stratégie pour rester en vie. En revanche, pour le pousser à agir, je n’ai pas mieux que ce titillement au niveau de son ego. Car je suis lasse d’attendre que mon sort me frappe et que Loyd mette enfin à exécution ses plans pour moi. Plus que la douleur en soi, c'est son attente et son caractère absolument inévitable, la tension dans l'air de ce suspens insoutenable concernant le moment précis où il me brisera les côtes et les pommettes, qui me tord l'estomac me pousse à vouloir en finir le plus vite possible. “Peut-être que c'est bel et bien un flingue dans ta poche après tout, peut-être que le plan c'est de m'éclater la cervelle, parce que je doute qu'il y a quoi que ce soit d'autre dans ce pantalon.” Je provoque, je pousse, je pique. Il ne m'épargnera pas, autant en finir. Je tire sur ma cigarette, me délecte de cette bouffée au goût fumé de mort à petit feu. Je la sens glisser dans ma gorge, âpre comme des cendres. J’attends le prochain coup. Je tends la joue. Je tomberai pour lui, j'accepterai le sort qu'il aura décidé pour moi, et toute sa colère, toute sa haine en son coeur qui ont étouffés tout autre émotion, tout ce qu'il y avait de bon ; je les accueillerai, qu'importe si cela me brise, m'écrase, me tue. Personne ne saura, ne remarquera, ne pleurera pour moi. Sauf lui, peut-être ? Que restera-t-il dans sa poitrine lorsque je ne serai plus là ?
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Lou & Loyd
Pour la première fois de ma vie, je sens presque le regret poindre au coin de mon âme. Je sens la dégueulasse amertume d'un sentiment de gâchis au fond de ma gorge, je sens l'horrible goût du mal fait. Cette sensation de manquement qui m'écrase la gorge comme les mains de la mort qui se glisse dans ma nuque. Et elles appuient, elles ne lâchent pas leur emprise, obstruant de plus en plus ma trachée, me laissant asphyxier dans mon propre chagrin. Elle a tout foutu en l'air pour une caresse alors qu'elle avait déjà tout à sa portée. Le monde était à ses pieds, elle aurait put se faire lécher par n'importe qui, n'importe quand, n'importe où. Je lui aurait déterré queues et vagins pour satisfaire ses désirs de se sentir en vie, si ça ne tenait qu'à ça. Mais non, elle n'en a jamais assez. Lou n'en a jamais assez. Et le diable au corps, elle s'est jetée dans la gueule d'un autre loup dans les yeux duquel brille le tricolore de nos terres, dans l'haleine duquel on sent encore le sang caillé de ses prisonniers, petites tâches sombres entre les crocs. Je me fiche de savoir si c'est la fierté ou la culpabilité qui repose sur ses épaules ; sur les miennes coulent l'aigreur et la vengeance. Ma main brûle de la violence de mon geste et je reste planté là, les cinq doigts laissant glissant la brise, statue de cire stoppée dans son mouvement ; seul le torse bouge au rythme saccadé de la haine ancrée sur son visage. La mâchoire serrée et les sourcils soulevant les rides de la rage sur mon front, je me demande si ça n'a pas toujours été mon expression naturelle. Si je n'ai pas continuellement cette colère qui dessine mes traits et si je ne vais pas même crever avec, les dents serrées. Elle balbutie devant la preuve flagrante de ma faiblesse, devant la preuve que pendant un instant, un court instant, elle avait le dessus sur moi, sur Mitchel, sur Orthega. Ses ingrates mains de sorcière avaient plus d'emprise sur mon corps que ce qu'elle n'aurait put imaginer, comme un poids invisible qui empêche d'avancer, de bouger, de réfléchir. J'ai la main aussi tremblante que la voix qui sort de sa gorge, trémolos australiens d'une joute inégale. Lou se laisse faire comme à son habitude lorsque je m'approche pour allumer la cancéreuse qu'elle tient entre ses lèvres ; sac de sable qui ne bouge pas, ne se rebelle pas, encaisse les coups sans riposter mais qui ne se tait pas. Putain, elle ne se tait jamais. Elle me crache sa fierté comme elle m'a craché au visage, il y a un an et demi de ça. Masochiste, je jurerai qu'elle me tend le bâton, qu'elle me tend le couteau pour que j'en finisse. Sadique, je suis tenté d'attraper cette arme et de le lui enfoncer dans le ventre, lentement, pendant que son venin baveux coulera au coin de ses lèvres. Un souffle moqueur s'échappe de mon nez, les yeux flanqués dans les siens ; je ne lâcherai pas. Je me tais, puisque je sais qu'elle va continuer, que son spectacle n'est pas terminé. Et le temps me donne raison. Elle me provoque. Lou attise cette flamme qui me brûle, celle qui me consume depuis de nombreux mois, qu'elle qui vit de ses propres cendres, à elle. Elle parle de mort, d'assassinat, de ma virilité et surtout, je la vois qui tâte le terrain, avance doucement les mains dans le noir pour anticiper le précipice. Mais le loup est derrière elle, elle n'a d'autres choix que de sauter ; mais elle veut savoir quand et quelle en sera la douleur. Oh oui j'ai eu le temps de réfléchir, encore et encore, je m'approche d'elle, lui crache la fumée au visage comme elle a put me le faire juste avant, j'ai eu le temps de t'imaginer gémir, mourir d'un millier de façons différentes, chaque mots sort de ma bouche comme une insulte et mes doigts viennent doucement caresser son visage, les mêmes doigts qui tiennent ma clope, braise ardente de ma folie. J'observe les moindres traits de son visage, tirés par la peur, assombris par l'audace. Ses pupilles dilatées appellent au secours et je souris, et tu sais quoi Lou, mes ongles marquent la peau de son cou et la fumée glisse sur ses joues, je crois que j'me suis pas encore décidé. Mon autre main, celle qui est libre, vient doucement se glisser dans sa nuque, mais ce qui est sûr Lou, je répète son prénom, je ne m'en lasse pas de l'avoir retrouvée, de la sentir entre mes doigts, ces mêmes doigts qui entrent dans ses cheveux salis par une dure journée de travail, salis par la transpiration du stress. Avec cette même violence qui me caractérise, qui nous caractérise, ma main se referme brusquement dans sa chevelure et l'incite à baisser la tête en arrière, c'est que je me délecterai de te voir courir. Par mon emprise, je l'attire à moi, son visage venant frôler mon menton velu, tu sais, comme le loup excité par la fuite de l'agneau, c'est l'instinct de prédation Lou, et tu exacerbe ça chez moi, je viens renifler sa joue, les yeux fermés, l'odeur de sa peau n'enivre, l'odeur de la peur me fait frémir. J'hésite un instinct à embrasser cette peau qui m'a tant manquée mais mes lèvres ne font que la frôler. Elle s'est assez nourrie de ma faiblesse pour ce soir. Alors je lâche mon emprise, la bousculant à quelques pas de moi, alors excuse-moi de te décevoir, mais tu ne mourras pas ce soir, je prends une dernières bouffée de cette mort livrée en fumée, longue apnée qui adoucit mes mœurs, peut-être demain, peut-être dans une semaine, mais pas ce soir, d'une chiquenaude, je jette ma clope sur le sol humide et la regarde mourir comme je la regarderai elle, un jour.
Spoiler:
Excuse-moi pour le changement de présentation, mais mes petits yeux commençaient à fatiguer à lire en tout petit, même si c'est joli et puis aussi pour le gif volé, mais ils sont trop canons quoi
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Lou & Loyd
La mort, j'en ai peur. Je ne vais pas mentir. J'y pense peu, c'est elle qui pense à moi, elle qui me frôle de temps en temps, qui m'empêche d'oublier sa présence, son immuabilité. J'ai perdu un chat quand j'étais petite, j'ai été inconsolable pendant des jours, et aujourd'hui encore, je peux lâcher une larme en évoquant le bon Mr Whinckles. Plus tard, il y a eu l'overdose, et il m'arrive parfois d'en faire des cauchemars tant la peur, le choc ressenti à ce moment m'a marquée à jamais. Même la semi-conscience dans laquelle j'étais plongée n'était pas suffisante pour ne pas me faire remarquer que je m'étouffais, me noyais dans mes propres régurgitations, et je sentais mes poumons perdre la boule, mon coeur s'emballer de panique, l'acidité m'attaquer la gorge tandis que mes membres dansaient de la techno épileptique sur le parquet. J'ai survécu, mais je me suis sentie partir, et je n'ai pas vu ma vie défiler devant mes yeux comme on dit. Seulement l'obscurité. Depuis je suis persuadée d'une chose ; il n'y a rien après la mort. Il n'y a pas de Dieu pour vous ouvrir les bras, pas d'ange déchu pour vous proposer un barbecue pour l'éternité. On ne change pas de corps, on ne se transforme pas en étoile, et on n'erre pas sur la Terre non plus. Juste du néant. On retourne à la Terre, point. Lorsque mes parents m'ont jetée de la maison, je pensais m'en sortir sans l'aide de personne, même si je n'étais qu'une camée complètement paumée, sans ressources, sans le sou, sans études, sans rien. Bien sûr, j'avais tort, et plus d'une fois encore j'ai cru que la mort allait fermer ses grandes ailes sur moi, lorsque je ressentais le manque, dévorant, terrible, terrassant. Le manque qui se vit entre deux poubelles de resto chinois, recroquevillé tout contre le crépis, et qui vous laisse dans le doute ; suis-je déjà mort ou non ? Pour combien de temps encore ? C'était ce que j'étais quand j'ai trouvé Loyd. Rien du tout. Juste un petit oiseau tombé du nid. Et aujourd'hui… quelle ironie. Quelle ironie de constater que celui qui a un jour été mon salut sera finalement ma perte. Celui qui m'a sauvé de la fatalité pour ne devenir que la main d'un destin qui ne fait que prendre son temps pour me rattraper -lui aussi aime me voir courir, m'accrocher comme une moule à son rocher, comme une sangsue à son hôte. Oui c'est inévitable, d'une certaine manière mes paroles à Lene quand nous étions au parc, le jour de ma sortie de désintox, étaient prémonitoires ; je n'aurai jamais quarante ans. De plus en plus, c'est une certitude. Maintenant le tout est de savoir où, quand, comment cette grande farce cessera. Et j'ai peur, je ne le cache pas, malgré mon orgueil, ma fierté qui me fait garder le menton bien haut. J'ai peur et Mitchell le sent, il s'en nourrit. Il aime ça. A chaque battement supplémentaire à ce rythme effréné, j'ai l'impression que mon coeur va me lâcher, exploser dans ma poitrine, ou bien fondre, stopper net à cause d'un simple regard de mon bourreau. Ses yeux, ses paroles, sa présence ont le don de faire s'arrêter le temps. Je ne saurais dire depuis combien de temps nous sommes face à face, mais cela me paraît être une éternité, et chaque minute supplémentaire me laisse la sensation d'être en train de me faire dépecer vive. Je tremble, impossible de m'arrêter, tandis que Loyd frôle ma joue avec le filtre de sa cigarette. Je me demande à quel moment il changera d'avis, quand est-ce qu'il trouvera plus amusant de changer de côté, et savoir enfin si moi aussi, quand on me crame, je sens le bacon grillé. Mon nom, comme une incantation, traverse ses lèvres et me fige ; il est un murmure, comme une insulte et une prière tout en même temps, une invocation qui me garde prisonnière. Néanmoins, j'aime sa manière de le prononcer, Lou, la voix grave, chargée d'émotions mixées, menaçante, intimidante, et fascinante à la fois. J'aime avoir de l'importance, mon nom enrobant ainsi sa bouche, omniprésent dans sa tête. Sans surprise, sa main qui s'est peu à peu glissée dans mes cheveux bascule ma tête en arrière, et ça ne fait pas du bien. Il serre, il force, il me mettrait facilement à genoux. C'est aussi quelque chose qui m'aurait plu dans d'autres circonstances. Sauf que ce n'est pas ce qu'il veut. Et quand je réalise que c'est avec sadisme que le prédateur compte s'adonner à une petite partie de chasse avec moi, quand je crois deviner le son lointain des chiens aux abois, les crocs du chef de meute frôlant ma peau, la peur se mêle à la rage et tombe une larme jusqu'au coin de ma bouche. Il est si près, il pourrait la goûter, et elle aura un goût de victoire. Il me jette, et je manque de tomber sur mes deux fesses en sentant mes talons gratter le sol en me faisant perdre l'équilibre. Il n'y aura pas de cadavre sur ce trottoir cette fois. « Quoi ? » Cette fois je tremble de fureur, c'est ce qui me tient debout et me fait perdre ma moue de fillette. Je me sens brûlante, à la fois de colère, de peur et de frustration. Une partie de moi veut fuir en pleurant, l'autre veut lui planter une chaussure dans l'oeil, et une dernière veut lui sauter au cou pour dévorer ses lèvres qui ne savent que rôder afin de lui donner envie de mourir avec moi -alors il n'y aura aucun vainqueur. « Tout ça pour ça ? Même pas un bleu, une côte cassée, rien ? » Rien que des menaces. Uniquement la graine de la peur semée au bon endroit qui poussera pour donner un bel arbre à paranoïa. Et je le hais pour ça. Je le hais autant que je l'ai adoré. Il reprend ce qu'il a donné au centuple, il détruit autant m'a façonnée, et moi aussi. Alors qu'auparavant je n'étais que le Monstre qui quémandait si ardemment l'amour de son créateur, aujourd'hui, nous sommes le Monstre l'un de l'autre. « Si tu comptes pas me tuer maintenant alors casse-toi, dégage. Ton manège a assez duré, le message est passé, la partie de chasse est terminée pour aujourd'hui. » je vocifère en lui indiquant la ruelle qui mène au boulevard puis à aussi loin que possible de moi. Je refuse d'être un divertissement, une bête de foire, une sardine au bout de la ligne qu'on relâche et qu'on repêche. Pourtant Loyd compte bien me faire mariner dans ma peur, celle de la mort, du noir, du rien. Je vais macérer aussi longtemps que nécessaire, et quand il le décidera, je ferai un bon dîner. Mais je ne saurai jamais quand, où ou comment. Je vais juste vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, et cela me paraît tellement injuste, pourtant digne de lui, de nous. « Casse-toi j'te dis ! CASSE-TOI. » Il ne bouge pas. C'est moi qui approche, d'un pas déterminé, droit vers lui, sur lui ; je prends mes petits poings serrés et j'en abats un sur son torse, puis l'autre, et encore, je frappe, je cogne, c'est sûrement ridicule, mais ça fait du bien. Je frappe toujours sur son corps qui n'est que béton, alors que mes doigts sont rougis par la tension dans ces coups qui ne lui font strictement rien. Je tape comme une gosse s'en prend au sol du supermarché parce qu'on lui refuse des bonbons. Et je pleure de la même manière, de rage, les nerfs à vif, les ailes brûlées, répétant, crachant sans cesse « casse-toi, casse-toi, casse-toi ! » comme si cela allait le faire disparaître. Sauf que je ne veux plus qu'il parte, je veux le cogner jusqu'à épuisement, et qu'importe si ça le fait rire, je finirai bien par lui faire un hématome à force, à moins que je ne sorte les griffes et les dents pour le marquer et le déchiqueter. Quand je lui lassée de l’inefficacité de mes poings, j'abandonne ; mes bras retombent le long de mon corps, et mon front sur le torse de Loyd. Je pourrais le supplier d'en finir tout de suite, mais cela ne serait pas moi. Je ne suis pas assez lâche pour ça. Je ne bouge pas pendant un court instant, puis je me redresse et passe mes mains sur mon visage en me fichant bien de ruiner complètement mon mascara. Je remets mes mèches rebelles derrière mes oreilles, et mon regard droit dans le sien. « Ok, si tu t'en vas pas, moi oui. Tu sais c'qui te dit l'agneau ? » Mon majeur se dresse royalement sous son nez. Puis je tourne les talons, et le masque tombe instantanément. La peur qu'il me rattrape me pousse à accélérer le pas. Voilà que la proie court déjà et que le jeu commence, un rat-souris sadique et une guerre d’orgueils sans merci.
tell me that you're happy, that i may then destroy everything
Lou & Loyd
Du bout timide de ma langue humide, j'aurai put goûter cette larme, prendre possession de la peur manifestée en élixir de sadisme. J'aurai même put aimer ça, étaler la totalité de mes papilles sur son visage pour ne perdre aucun cristal de cette potion salée. Sentir le goût mêlé de son désarroi et de son fard légèrement rosé. Peut-être est-ce la peur qui lui donne cette teinte, peut-être n'est-ce absolument pas artificiel mais tout à fait naturel de constater que les immondes traits de son visage prennent la couleur du sang. Je ne sais si c'est elle ou l'atmosphère qui m'excite ainsi mais je ris de joie ; grondement rauque de l'homme qui a le dessus, du sadique face à son jouet, du loup face à l'agneau. Je sens ses cheveux humides glisser entre mes griffes, les nœuds se former entre mes doigts comme si plus jamais je ne pourrais retirer ma main de ce pelage. Finalement, ne suis-je pas moi-même prit au piège, n'est-ce pas l'agneau qui encule le loup. Elle me tient en haleine ; plus elle pleure, plus elle enrage et plus je prends mon pieds. Elle le sait, elle doit le savoir. Lou, dont j'étais le sauveteur, celui a qui elle vouait un culte, cette même jeune femme est maintenant ma drogue, le seul élément incontrôlable de ma vie. Et cette adrénaline qui dégouline de ses lèvres, je mourrais pour qu'elle ne s'arrête jamais ; dans un baiser violent, je serais à l’affût de ce qu'elle veut bien me céder. Je lâche mon emprise, bouscule sans ménagement le fruit de mes plus sombres désirs et la regarde trébucher, se dandiner de peur face à l'ombre menaçante que je représente dans sa vie, à partir de ce soir. Dans une fumée grésillante, ma clope s'éteint elle aussi, noyée par la vie, par le passé et par toutes les décisions qu'elle a put prendre. Tout ce cinéma pour une partie de jambe en l'air ; on parle des hommes et de la testostérone qui leur monte aux narines mais regarde-la, Lou, qui s'agite soudain sous mes yeux, brides de rébellion. Elle a vendu son royaume, son roi, pour une croisade en terres interdites. La déception embrasse la peur dans son regard. Pourquoi pas ce soir semble-t-elle me hurler, me supplier. C'est la biche qui, de ces doux yeux, supplie le chasseur de la servir ; il est entouré par ses chiens, hurlant à la Mort de venir prendre son du, aboiements avides de sang et lui, la canine brillante, la lame à la main, s'approche à pas de loup, comme si la proie ne l'avait pas vu arriver, comme si elle n'avait pas sentie son odeur putride lui effleurer les narines. Et cet œil brun qui me regarde se mue soudain en la fougère qui l'abrite une dernière fois ; un vert puissant, un vert qui flirt avec l'obscurité des bois. Lou s'approche de moi, me sort de mon songes, elle prend la pas décidé du suicidé, celui dont les orteils sont léchés par le vide, celui qui ferme les yeux pour enfin s'élancer, se jeter, dans la gueule du loup. Les braises se noient encore dans la flaques à mes pieds quand l'agneau a déjà foncé tête baissée sur mon torse. Je sens ses petits poings frapper encore et encore, tambouriner à la porte des enfers. Je pourrais l'arrêter maintenant, me saisir de ses poignets, les briser entre doigts et l'écouter hurler de douleur pendant que j'allumerais un second feu de santé. Mais je ne bouge pas, je me délecte de chacun de ses coups. Les muscles de mon torse se contractent à chaque contact de nos deux corps et ma respiration encaisse la maigre force qu'elle emploi pour me faire réagir ; elle pensait mourir ce soir. Lou s'acharne et je me désole de voir cette force qui m'a glissé entre les doigts, cette personnalité qui était forte, qui était brillante et qui doit, aujourd'hui, disparaître de la carte. Elle s'arrête enfin, semble revenir à la triste réalité et son mascara pleure, il coule sur ses joues comme des larmes de charbon et ça me donne toujours envie de les salir de ma bave de crapaud. La gueule de la blanche colombe. Elle lève un doigt dans ma direction, aimable message d'amour et je ne peux contenir un sourire amusé, plus que ça, un sourire satisfait. A bientôt, Lou, ce dernier mot résonne dans la ruelle en même temps que ses pas pressés dont la cadence ne cesse d'augmenter. Elle fuit et moi, je m'affale sur le crépis, vanné par ces retrouvailles. Elle court loin de moi, loin de la peur et de la mort. Elle fuit et mes yeux dansent au rythme de ses hanches qui se désarticulent pour échapper à leur prédateur. Je suis excité par ce jeu inattendu, par cette partie de chasse où les rôles s'inversent au grès du vent et des humeurs, par cette partie de jambes en l'air où se mêlent sang et désir. Le grincement du briquet vient achever ma complaisance ; j'ai l'impression qu'elle m'a donné l'orgasme d'une vie.