La vie est difficile quand on a que 27 années à son actif, pourtant bientôt révolues, et surtout, quand on a des jambes totalement inutilisables. Mais quand même, m’appeler à minuit passé pour une putain de fuite sur un évier, c’est pas un peu gros ? Je dépose calmement les billets qui j’étais en train de compter et me lève du fauteuil qui accueille mon postérieur la majeure partie de la nuit. Je troque alors ma chemise et mon chino pour un pantalon de travail, un débardeur blanc et surtout sale, ainsi qu’un manteau en cuir. Rapidement et dans le plus grand des silences, je confie la garde des lieux à mes acolytes et prends la direction de ma voiture : une jolie Audi A8 noire. J’ai jamais été un grand fan des voitures, mais faut bien avouer que c’est plus agréable que de rouler en Clio. En quelques minutes seulement, le moteur se calme dans une rue de Fortitude Valley, devant une résidence calme qui m’appartient. Je sais quel appartement appelle au secours, je sais quel locataire réclame mon aide et je sais surtout que je ne peux rien lui refuser. Nathan. Nathan Potter. Un gamin dont le mec est mort d’une overdose, qui se fournissait chez moi. Et visiblement Nathan n’est pas le genre dur à cuire qui passe au-dessus des évènements de la vie aussi facilement que je suis capable de le faire. Je sais que sa santé est fragile et que son mental l’est également. J’ai appris qu’il avait fait une tentative de suicide récemment alors même si je ne me sens pas responsable, même si je ne lui dois rien, j’aimerais que la vie lui souris un peu à ce morveux. Il ne sait pas qui je suis en dehors de monsieur Mitchell, son propriétaire et moi je me contente de garder un œil sur lui. Je suis pas un putain d’ange gardien, non, mais j’ai pas un cœur de pierre non plus. Après avoir monté les escaliers avec quelques outils dans mes poches, je frappe sa porte et attend bien sagement. Je regarde ma montre : il est une heure moins vingt. Et relevant mon visage, je me demande ce qu’il fait encore debout. Enfin debout … C’est pas de l’humour noir, je l’aime bien ce gamin. Il ouvre timidement la porte sans m’avoir fait attendre et je devine son visage dans la lueur de l’éclairage. Salut Potter, qu’est-ce qu’il t’arrive ? J’ai pris l’habitude de le tutoyer sans lui demander la permission. Parce qu’il fait vraiment gamin je crois, mais je ne pense pas que ça le dérange. Et comme je ne suis pas un sauvage, j’attends qu’il m’invite à entrer avant de faire un pas de plus.
Troisième nuit d'insomnie de suite. Pendant la première, Myrddin a débarqué à l'appartement avec Arthur et totalement démuni sans Thomas. J'ai pu le rassurer du mieux que j'ai pu, essayant de ne pas trop maudire son amant qui a débarqué le lendemain. Explication, pardon, bisous, tout est entré dans l'ordre et je suis content pour eux. La nuit suivante ce sont des douleurs atroces au niveau du dos et de la jambe gauche qui m'ont tenues éveillées toute la nuit. Jeff, mon kiné, a fait du bon travail pendant la séance de rééducation et je suis rentré sans sentir quoique ce soit de plus que la fatigue musculaire normale. Il doit être 20h quand je suis tombé de fatigue dans mon lit, persuadé que je passerais une parfaite nuit de sommeil réparateur.
Mais alors pourquoi suis allongé à 23h30, totalement éveillé, dans l'impossibilité de fermer à nouveau les yeux. Pendant près de 30 min j'essaie de chercher une explication logique à cette foutue insomnie, mais, n'en trouvant pas, je fini par me lever. Me hissant dans mon fauteuil après avoir enfilé un jogging, je sors de ma chambre et me dirige vers la cuisine dans l'intention de me faire un thé avant de me poser devant Netflix. La dernière fois je regardais Sense 8 et elle avait un effet soporifique sur moi, donc peut-être qu'elle va de nouveau m'aider cette fois-ci ? Nous verrons bien.
Arrivé dans la cuisine je suis accueillis par une grosse flaque d'eau sur le sol devant l'évier. Jurant, maudissant cet évier qui m'emmerde depuis quelques temps, je me dirige vers l'armoire qui se trouve en-dessous et l'ouvre. Je vire déjà tout ce qu'il y a dedans -heureusement la plupart des produits ont la vie sauve, puis me penche et observe un peu le siphon. Je vois bien l'endroit d'où il fuit mais ne trouve pas la raison. Je suis un instant tenté de laissé ça comme ça, me disant que j'appellerais Loyd demain matin. Mais lorsque le goûtes à goûtes commence à se transformer en un flot un peu plus important, je me dis que ça ne peux pas attendre demain. Ainsi donc, après avoir mit un seau en dessous de le fuite, je me redresse et vais chercher mon portable, composant le numéro de Loyd en espérant qu'il soit toujours réveillé. Trois sonneries plus tard c'est sa voix qui retentis et j'ai l'impression de bien le déranger. Mais je l'entends qui se met déjà en route alors je raccroche.
Je met de l'eau à chauffer et met la machine à café en route. Je sais que Loyd il boit du café, et ça peut être pas mal de lui en proposer. Enfin, ce serait la moindre des choses en tout cas ! Je touille distraitement mon thé en attendant la venue du propriétaire de l'appartement. Une petite dizaine de minutes plus tard je sursaute à la sonnette et me dirige vers la porte. Je l'ouvre légèrement, reconnaît Loyd puis l'ouvre en grand pour le laisser entrer. Il me demande ce qui se passe sans bouger d'un pouce. « C'est le siphon de l'évier. Je ne sais pas comment ni où, mais il fuit et pas qu'un peu. J'ai mit un seau en dessous pour éviter les dégâts, mais ça a commencé à s'accentuer là, y a genre dix minutes» expliquais-je en me décalant sur le côté « Viens, entre, dès fois que tu pourras y changer quoique ce soit » dis-je en lui offrant un timide sourire « Et j'ai fait du café si tu veux » précisais-je alors que Loyd entre et que je refermer la porte derrière lui. « Je suis désolé d'ailleurs, de te déranger si tard … ou si tôt,si on veut» dis-je en lançant un coup d’œil vers la montre.
Je n’ai aucun remord et je n’en aurai jamais. C’est pas mon genre. Seulement, je dois bien avouer que mon business se fait parfois sur le dos de petits êtres fragiles comme le visage sur lequel vient de s’entrebâiller la porte. Même si je le pouvais, je ne remonterais pas le temps, ce ne sont pas mes oignons, mais ni mon attention, ni celle d’aucune autre personne ne réparera le passé de Nathan. Alors pourquoi je fais ça ? Par gentillesse ? Politesse ? Ou peut-être juste que je ne suis pas le chien dont on m’attribut parfois le nom. J’ai régulièrement un œil, le miens ou celui d’un sbire, sur les activités du petit et jusqu’ici, ça n’a causé de problèmes à personne. La porte s’ouvre entièrement me plantant devant le petit homme sur roulettes qui m’explique que la cause de cet appel tardif n’est autre que le siphon de son évier qui juge opportun de se mettre à fuir maintenant. Le même air patibulaire qu’à l’accoutumée acquiesce, lui indiquant que je ne laisserais pas se noyer dans sa cuisine cette nuit. Sur ce, il m’invite à entrer en me précisant que le café est chaud. Il est prévoyant ce petit, et il a bonne mémoire. Bonne idée, merci, mes pommettes se haussent pour répondre aux siennes, surplombées d’une paire de cernes noircies par la fatigue, t’en aurais besoin aussi. Je l’entends refermer la porte derrière mon passage et me retourne aux premiers sons de ce qui ressemble à des excuses. Un léger sourire accompagne mon hochement d’épaules, aussi ample que l’étendue des dégâts qui m’attend derrière moi. Je me retourne et prends la direction de la cuisine, te tracasse pas gamin, je suis un oiseau de nuit. C’est mon domaine, mon royaume et la fatigue n’est pas mon plus gros prédateur. Ces murs sont les miens alors c’est presque sans réfléchir que je rejoins les lieux du crime : une véritable pataugeoire. J’enlève mon manteau et le pose machinalement sur la chaise la plus proche et sans un mot, je pose un genou à terre, ou plutôt à mer. En effet, c’est le Titanic là-dessus et le siphon ne s’en remettra jamais, il est bon à jeter le machin. Une main m’appuyant sur le plan de travail et l’autre accompagnant mes yeux dans la pénombre du placard, je tente de retirer le siphon en plastique qui me résiste. Je serre les dents et il finit par lâcher, déversant le reste de son eau sur l’entièreté de mon bras, de mon épaule et d’une partie de mon cou. Putain de merde, je marmonne pour ne pas laisser mon impatience éclater au grand jour avant de me redresser, le trophée de mes efforts dans la main. Au moins, si Nathan n’utilise pas son évier avant demain, et je sais qu’il est assez intelligent pour ne pas le faire, il ne fuira plus une seule goutte. Je vais aller en acheter un nouveau demain, je viendrais le poser dans la journée, quand tu seras dispo, je hisse mon corps massif sur mes deux jambes, en attendant, t’as une bonne excuse pour laisser la vaisselle s’accumuler. Je lui souris et dépose le siphon dans l’évier, il attendra sagement ici. D’une main, je chasse le plus d’eau possible de mon épaule nue et me résigne finalement en posant mon regard sur le sol. T'as une serpillière ? Que je te nettoie ça rapidement, trop aimable ce gros barbu.
Je souris doucement lorsque Loyd me remercie d'avoir préparer du café. Je le savais. A défaut d'être naïf et un peu trop influençable, j'ai pas mal de mémoire. Mon sourire, par contre, disparaît quand l'homme me dit que moi aussi j'en aurais besoin, du café. Je soupire et me passe une main sur le visage « ça fait trois nuits que je dors pas, c'est pas en buvant du café que ça va s'arranger» avouais-je avec un petit sourire. Je le suis dans la cuisine alors que je me confonds en excuse. Il m'assure que ce n'est rien, qu'il est de toute manière un oiseau de nuit. Sauf que, malgré tout, moi ça me met mal à l'aise de le déranger en pleine nuit.
Je le suis dans la cuisine où il remarque très rapidement l'étendu des dégâts. Il pose un genou au sol et trifouille le siphon alors que je vais remplir une tasse de café. Noir, pour lui, il me semble ? Je lance un coup d’œil vers l'homme et pince les lèvres, hésitant «Tu … noir, tu le prends, pas vrai ? Ton café... ? » osais-je finalement, alors que j'observe Loyd qui se démène comme il peut avec le maudit siphon qui fini par lâcher, déversant le reste de l'eau sur le bras et l'épaule de Loyd. Je grimace, alors qu'il se redresse en jurant. Jetant le trophée de malheur dans l'évier, il précise qu'il ira en acheter un nouveau demain dans la journée et que jusque là j'ai une bonne excuse pour laisser traîner la vaisselle. « si tu te décidais d'un jour acheter un lave vaisselle aussi, hein » dis-je en souriant doucement avant d'hocher la tête lorsqu'il me demande si j'ai une serpillière.
«Yep, je t'apporte ça tout de suite » dis-je en me détournant. « J'ai posé ton café sur la table» dis-je en désignant la tasse. Je me dirige ensuite vers la salle de main et attrape de quoi nettoyer l'inondation ainsi qu'une serviette pour qu'il se sèche un peu. Revenant, rapidement vers le propriétaire de l'appartement je lui tends le tout «Tiens, ça devrait être bon » dis-je en souriant doucement «Et j't'ai pris une serviette aussi » précisais-je.
Le sommeil est une notion que j’ai effacé de ma vie depuis un long moment. Je travaille de jour comme de nuit ; quelques heures de sommeil lorsque l’occasion se présente mais une nuit complète ; un lointain souvenir. Alors je souris de compréhension lorsque Nathan m’annonce ses trois nuits d’insomnies qui se sont envolées avec les miennes. Faut qu’il dorme le gamin parce que là, il commence à faire peur à voir. Les deux poches sombres qui se sont installées sous ses petits yeux lui donnent un air triste et ça me dérange. J’aurai mille fois de quoi le faire dormir, pendant des jours entiers s’il le voulait, en pilule, en injection et même à se foutre dans le cul ; il y en a de toutes les couleurs. Mais il est loin de tout ça ; je le tiens loin de tout ça parce qu’il s’est est déjà brûlé les ailes. J’acquiesce alors pour un café noir ; il me connait mieux que je ne le connaîtrais jamais. A mon humour, il répond par le siens avec un énorme sens du répondant, ce qui me fait éclater de rire. Je m’approche de lui et d’une main, viens décoiffer sa coiffure de minet, c’est comme ça que tu parles au propriétaire des lieux gamin ? Fragile mais pas idiot ; il peut lire dans mon sourire que mon agressivité habituelle a pris ses valises pour s’installer loin de nous ce soir. Alors aussi sagement qu’il part chercher une serpillère, j’attends le cul adossé au rebord de la table. Seul dans la pièce, je prends une gorgée de café ; fort, très fort, assez pour ne pas dormir de la nuit. A peine le temps de réfléchir que j’entends les roues qui le portent frotter le sol dans ma direction. Il fait son apparition avec l’objet convoité et une serviette. Je me redresse et lui sourit, je vais décidemment me sentir obligé de te rapporter un lave-vaisselle si tu continues. Je le débarrasse de ce qui l’encombre ; pose la serviette sur mon épaule et entreprends de nettoyer le sol de la cuisine. C’est ironique quand même. Ironique mais amusant. C’est bien une des seules fois de ma vie que je passe la serpillère et gamin, profites-en, parce que je le ferais pas tous les jours. Après avoir rendu son état normal à la pièce, je me laisse tomber sur la chaise qui m’est destinée, merci Nath. Je prends une seconde gorgée puis gardant la tasse brulante dans ma main, je le regarde attentivement : qu’est-ce qui t’empêche de dormir ? Une grande question pour une vague réponse. Peut-être ne connait-il lui-même la réponse. Mais il parait que parler, ça fait du bien.
Impressionnant, certes, mais pas injuste et carrément serviable. Voilà comment je vois Loyd. Je ne me suis jamais fait trop de souci quant à mon entente avec mon propriétaire. Il est quelqu'un de réglo, qui connaît ses propriété, un homme à tout faire. Et en plus il vient dès que je l'appel, peu importe l'heure de la journée ou de la nuit. Cela dit, j'ai plus de chance qu'il rapplique si je l'appel la nuit que le jour. Mais bon, il a son métier à côté aussi, après tout. D'ailleurs, je me demande régulièrement quel est son métier.
Je le laisse donc faire ce qu'il sait faire de mieux. Décidant le siphon était bon pour la casse, il l'arrache tout simplement du socle, se trempe la moitié des vêtements avec l'eau qui était resté à l'intérieur et fini par me dire qu'il ira en chercher un autre demain. Je réponds à sa pique par un certain humour et pour toute réponse il vient m'ébouriffer les cheveux en me remettant gentiment à ma place. Je laisse échapper un rire alors que je me recoiffe et me détourne pour aller lui chercher de quoi nettoyer tout ce bazar.
Je reviens avec une serviette et une serpillière et l'observe remettre la cuisine en état, disant qu'au final il va plutôt acheter une machine à laver. « parle pas de malheur ! Sinon demain la machine à laver va aussi rendre l'âme ...» dis-je en grimaçant, mi rigolant mi sincère. Je pense que toute machine ménagère, celle dont je ne pourrais jamais me passer c'est bel et bien la machine à laver. « Sauf si, évidement, tu veux finir par être celui qui porte mon linge sale jusqu'au Lavomatic du quartier hein ...» continuais-je avec un sourire en coin.
Après que Loyd ait fini par éponger l'eau, il entreprends de se sécher lui-même et me demande pourquoi je n'arrive pas à dormir. Subitement mal à l'aise, je baisse le regard et pince les lèvres. Je ne vais quand même pas lui parler de Joey et des problèmes de Myrddin ? Une excuse. Il me faut une autre excuse/explication. «Beaucoup de raisons » avouais-je finalement «J'vais pas t'emmerder avec mes histoires personnelles, c'est pas intéressant » dis-je avec un signe de la main avant d'hausser les épaules «C'est surtout que ma rééducation est passé à un niveau au-dessus aujourd'hui et je déguste pas mal là » expliquais-je « C'est pas la première fois que les courbatures et crampes au niveau des mollets et du dos me tiennent éveillées» concluais-je en me passant une main sur la cuisse droite. Ce n'est qu'un demi mensonge. Car autant c'est vrai que j'ai des courbatures, autant elles ne sont absolument forte au point de me tenir éveiller toute la nuit. Non, mes insomnies sont dû à quelque chose de beaucoup plus profond que même moi je ne saurais expliquer.
S’il n’était pas si fragile, s’il n’était pas si meurtri par la vie et plus particulièrement par le monde qui est le miens ; j’aurais probablement demandé à Nath de rejoindre mes rangs. Il ne connaît pas ses privilèges le gamin. Je possède un certain nombre d’appartements à Brisbane et tous sont habités par un membre de ma fratrie. Tous, sauf un ; celui dans lequel je me trouve ce soir. Du Nord au Sud, d’Est en Ouest, cette ville est mon royaume et je suis son roi, son tyran. Figure de respect et d’autorité qui laisse un simple garçonnet, qui devrait être considéré comme inutile, prendre la place de quelqu’un qui pourrait me rapporter. C’est un choix que j’assume ; je serais incapable de lui mettre un coup de pied au cul pour qu’il dégage. Les yeux vers le sol, épongeant en mouvements circulaires l’eau qui s’y trouve, j’écoute les paroles de Nathan qui s’époumone à l’idée de perdre sa précieuse machine à laver. Ça me fait sourire, il sait très bien que lorsque quelque chose cloche, je rapplique dans les heures qui viennent. Il continue en me menaçant avec humour de devenir sa bonne. J’arrête la danse humide du balai pour relever un visage rieur vers lui, je pointe un doigt sur ma propre personne, tu m’as bien observé ? J’ai une tête à te faire ton linge ? Tu veux pas que je fasse tes carreaux tant qu’on y est ? Pas d’inquiétude, il connait ce ton amusé qui est le miens et il sait qu’avec moi, il peut à peu près tout se permettre. C’est con hein, le gros balourd de Brisbane en train de faire soubrette chez un petit handicapé. Beaucoup payerait pour voir ça. Je suis finalement installé face à la tasse qui m’est destinée et me rappelant de la serviette qui dort sur mes épaules, je tente de me sécher un tant soit peu ; peine perdue. J’observe le brunet qui semble interloqué par ma question ; un instant de réflexion s’installe et je l’y laisse volontiers. Il sort de son silence quand je passe la serviette sur mon crâne, et tu trouves ça intéressant de servir le café en pleine nuit à un vieux con qui perd ses cheveux, toi ? J’ai les yeux rivés sur la serviette blanche qui maintenant héberge les cils de mon désespoir actuel. C’est pas beau de vieillir. Et par ma question, il devait comprendre que je suis enclin à écouter. Courage gamin, c’est douloureux mais c’est pour la bonne cause, phrase bateau par exemple ; j'suis pas doué pour remonter le moral de mes troupes. Je passe machinalement ma main dans mes cheveux, comme pour m’assurer qu’ils sont toujours là. Mes doigts glissent sur la marque du passé qui se voit un peu plus chaque jour. T’arrives à marcher un peu ? J’espère que oui, qu’il est sur la bonne voie.
S'il a la tête à faire ma lessive ? Je l'observe, mon regard passant de son visage à la serpillière qu'il tient en main et j'affiche une moue innocente, me forçant à cacher mon sourire. «Ben c'est à dire que ... » je désigne le travail qu'il fait à éponger l'eau du carrelage « T'es sur la bonne voie on va dire» dis-je finalement. Je rigole doucement puis secoue la tête «Non les carreaux ça ira, j'ai mon autre esclave qui l'a fait pour moi hier matin » reprenais-je sur le même ton. C'est fou, autant je trouve Loyd très impressionnant, autant je dois avouer qu'il fait parti de ces rares personnes qui arrivent à me mettre à l'aise avec une facilité assez déconcertante. Le seul dans mon entourage qui y parvient aussi c'est Myrddin, mais ça c'est normal.
Mais ça ne dur pas longtemps. Avec une seule question, Loyd arrive à tout gâcher et me mettre mal à l'aise. Pourquoi je ne parviens pas à dormir ? Les raisons sont multiples mais l'emmerder avec mes problèmes de cœur ? Non, faut pas exagérer quand même. Il me dit que servir un café à un vieux mec qui perd ses cheveux n'est sans doute pas plus intéressant. Je lance un coup d'oeil vers la serviette et affiche une moue «C'est plus intéressant que ma vie en tout cas » répondais-je.
Ma vie est inintéressante dans le sens où je n'ai juste pas envie de ressasser le passé. Je feins donc un inintérêt juste pour qu'on ne me pose pas de questions et décide donc de lui annoncer un demi mensonge et lui parle de mes courbatures qui me tiennent éveillées. Compatissant et grimaçant, Loyd tente de trouver les mots pour m'encourager, me disant que c'est pour la bonne cause. Je soupire doucement et hoche la tête « Oui je sais bien » dis-je en haussant les épaules «Et puis ça passera bien. N'empêche que ça me tient éveillé là et ça m'emmerde un peu parce que je pensais pouvoir enfin dormir. Mais non »
Je me redresse lorsque le propriétaire de l'appartement me demande si j'arrive à marcher un peu. Je suis persuadé qu'une lueur d'espoir et de bonheur illumine tout à coup mon regard et qu'un sourire a prit place sur mon visage. « Oui, plutôt bien même» dis-je en hochant la tête «Justement, on est passé à l'équilibre là. J'ai un très gros déficit dans la jambe gauche. Le médecin est persuadé que ça ne reviendra jamais, mais mon kiné s'évertue à ce qu'on se concentre là-dessus. Et au final ça commence à payer tout doucement » dis-je sans perdre mon sourire. «Bon je me fatigue encore pas mal et je ne peux pas marcher sur de longues distances mais ça va de mieux en mieux » concluais-je finalement.
A l'instant même où je prononce ces mots, je ne rends compte de ma bourde et surtout, de la façon dont l'esprit malin de Nathan saura rebondir. Et il ne se rate pas ou plutôt ; il ne me rate pas. Faisant glisser ses petits yeux de goupil de mon visage déconfit jusqu'au sol que je suis justement en train de laver, me répondant avec une intonation faussement gênée. Je ris en secouant lentement la tête. Nathan est vif et je ne saurais que l'en complimenter ; il ne fait qu'attraper les perches qu'on lui tend. Mon attention revient à lui, fais gaffe gamin, j'peux devenir méchant si on me provoque. Ces derniers mots sont aussi faux que mon sourire est grand. Je n'ai clairement plus d'argument ; il a gagné ce match. Il n'a pas envie de parler et moi, je suis archi nul dans le sentimental ou dans le psychologique en général. Je ne suis pas et je ne serais jamais le bon ami à qui on peut confier ses tourments les plus personnels ; tout simplement parce que ça m’ennuie à mourir et que la fibre relationnelle, je ne l'ai pas. Alors je me contente d'acquiescer, comprenant ses maux sans pour autant pouvoir les imaginer. T'as essayé des cach'tons ? Ce n'est pas une tentative de ma part pour lui refourguer une des merdes que je produis et vends ; je veille silencieusement à ce que ce monde reste loin du siens. Simplement, des somnifères, tout ce qu'il y a de plus légal, ça peut parfois aider. Et il a visiblement besoin d'aide. Je ne pensais pas que ma dernière question éveillerait en lui autant d'espoir et de joie ; je suis sur la bonne voix. Je l'écoute avec une oreille attentive, lui adressant un petit sourire de satisfaction à le regarder reprendre du poil de la bête. J'ai la sensation que nous discutons dans des montagnes russes que je dirige sans le savoir par les sujets que je pose sur la table. Et ce dernier nous fait remonter en haut des rails, rafraîchissant le visage pâle de Nathan par cette bouffée d'air vivifiant. T'as raison, tout travail paye de toute manière, alors lâche pas, mon conseil est inutile ; je sais qu'il ne lâchera pas. Il n'a pas besoin de mes encouragements pour être un grand homme. Je termine en quelques gorgée le café qu'il restait dans ma tasse ; je suis certain de ne pas dormir cette nuit après ça. Un de ces quatre on ira faire un tour ensemble si tu veux, tu me montreras comme tu as progressé, avachis sur ma chaise, je pose sur lui un regard protecteur. Il n'a que 10 ans de moins que moi mais je le traite comme s'il en avait 20 ; il semble beaucoup plus fragile que ceux de son âge. Je regarde ma montre et me rend compte que cela fait plus d'une heure que l'on parle. Je vais pas tarder à le laisser rejoindre les bras de Morphée.
Que Loyd puisse devenir méchant si on le provoque ne m'est pas inconnu. Avec moi il a toujours été gentil, même avec Myrddin lorsque nous étions colocataire, mais vu sa dégaine, je suis persuadé qu'il peut se montrer infecte avec les autres. Heureusement, donc, que je suis de son côté ! Je ne répond rien à sa déclaration, me disant simplement de me tenir quand même un peu à carreau si je ne veux finir sur la black list de ce dernier.
Au final, après que Loyd ait démonté le siphon et l'avoir promis d'en acheter un autre demain dans la journée, je fini par lui avouer les raisons de mon insomnie. Enfin, je ne lui avoue que la demi vérité. Je met de côté les peine de cœur et me concentre simplement sur ma condition physique. La réponse de Loyd est assez...bizarre. Je ne sais pas trop comment la prendre. «Hm ...n...non. Non jamais. Et je t'avoue que je ne suis pas trop fan de ça. Je ... » je me tais. De quels cachets parle-t-il, d'ailleurs ? Anti douleur ? Morphine ? Somnifères ? Ou autres drogues ? J'en sais rien et quelque part je pense que je n'ai pas envie de savoir. « J'ai déjà prit trop de cachet dans ma vie» continuais-je finalement «J'ai toujours évité la dépendance à quoique ce soit. Ça m'fout la trouille, donc j'essaie de m'en sortir sans médicament » Et ça fonctionne plutôt bien. Les douleurs, en générale, elles passent. Les courbatures, je sais qu'elles ne sont que passagères. Pour le reste j'attends de voir si ça augmente. Là, en l’occurrence, ça va passer, je le sais. Du moins au niveau physique. Au niveau moral j'ai un peu plus de doute. Mais peu importe.
La prochaine question de Loyd réveil en moi un certain espoir et je m'empresse de lui dire que oui, je remarche un peu tout en lui donnant plus de détail. Lorsqu'il me propose d'aller un jour faire un tour avec lui, je lève mon regard sur lui et le détail quelques instants, hésitant puis hausse les épaules « Pourquoi pas ? Ça ne pourra pas me faire de mal en tout cas » lui souriais-je «Depuis que Myrddin a son gamin, il n'a plus trop le temps de ... » je me tais quelques instants, trouvant que j'ai l'air un peu trop accusateur «Enfin je veux dire … je ne me plains pas hein, mais c'est vrai que j'ose pas marcher dehors tout seul » l'histoire de l'agression de laquelle mon meilleur et moi ayons été victime l'année passée est encore un peu trop présente je pense.
«D'ailleurs Loyd » demandais-je subitement «Tu penses quoi des animaux dans l'appartement ? J'ai bien envie d'adopter un chat au refuge » je souris doucement «J'ai regardé sur le contrat de location et y a rien qui interdit les animaux dans l'appartement. Donc je me dis que ça doit être accepter » j'hausse les épaules « Mais j'avais envie de quand même te demander avant » c'est la moindre des choses après tout.
Je n'suis pas le type le plus fin de Brisbane, je te l'accorde. Je ne suis pas non plus le gentil coach de boxe qui me sert de couverture. Mais aujourd'hui, maintenant, du moins quand je suis en présence de Nate, la drogue est loin, loin derrière moi. J'associe le gamin à tout sauf à ça et pourtant, sa vie n'y est pas moins liée que la mienne ; malheureusement. J'ai des oreilles et des yeux partout à Brisbane, en Australie et même dans certains autres pays sur ce globe ; tout ce que j'ai pu entendre sur le passif de c'garçon me conforte dans l'idée que sa place n'est plus dans ce monde hostile. Et vas savoir pourquoi, vas savoir comment, je me suis mit en tête de l'en tenir éloigner. Comme si j'étais en constante recherche d'être le héro de quelqu'un, le Clark Kent d'un jeune sur roulette, le Bruce Wayne d'un estropié par la vie. Hum, est le seul mot audible, si s'en est un, qui se faufile dans ma barbe. Je comprends sa réticence mais me méfie de l'attitude défensive qu'il vient de prendre ; ce n'était pas ce que je cherchais. T'as raison, je préfère t'entendre dire ça, finalement oui, c'est ce que je voulais entendre. Il acquiesce à ma proposition, semble méfiant à son tour pour ensuite m'avouer qu'il ne sort plus seul. Myrddin, il m'a déjà parlé de ce type ; respectueux, il a l'air de prendre soin de Nathan, alors je laisse couler. Et puis, j'suis pas son père. Je pense les lèvres, prenant une moue désolée quand il évoque l'enfant. Je comprends ; c'est vraiment pas mon truc les chiards et j'ai toujours entendu dire que ça changeait un homme. Très peu pour moi. Je n'ai aucun conseil à donner sur les meilleurs amis et encore moins sur les enfants alors je me contente de répondre à la dernière partie de ses dires, t'as pas de soucis à te faire gamin, t'as vu le lardon qui t'accompagne, rieur, je baisse les yeux sur mon ventre rendu disgracieux par ma mauvaise position sur le chaise. Je ne me plains pas de mon physique, je n'y suis pas attaché, mais j'ai à cœur de faire rire le brunet décrépit qui trône devant moi, et puis tu pourras toujours leur balancer tes roulettes, puisqu'elles ne te serviront plus. Je me redresse finalement, donnant une tape amicale sur l'épaule de Nate, toujours le sourire au lèvres et le rire facile. Je m'apprête à attraper mon manteau lorsqu'il me retient avec une question à laquelle j'acquiesce instinctivement. Les animaux ne m'ont jamais posé aucun problème, bien au contraire, ayant moi-même un chien. Mais ces quatre petites lettres font dresser mes poils sur mes bras ; un chat ? Un putain de chat ? Je ris toujours, mais un peu plus nerveusement, tant qu'il griffe pas les murs, ça me pose aucun soucis. Autant je suis apte à confier ma vie à mon pitbull, autant ces créatures à moustaches sorties tout droit de l'enfer me font froid dans le dos. Mais c'est pas le genre de peur qui s'avoue facilement quand on fait près d'un mètre quatre-vingt pour presque quatre-vingt-dix kilos. Tu sais que ça te pisserait presque dessus ces bêtes-là ? Jamais je ne lui interdirais d'adopter un enfant de Satan, tous les goûts sont dans la nature, mais il ne sait pas que je viendrais faire la soubrette avec beaucoup moins de sérénité.
Lorsque Loyd me demande si j'ai déjà tenté de prendre des cachets pour dormir, j'hésite quelques instants mais fini par lui dire que non, que je me tiens le plus éloigné de ces substance. Que ce soit drogues forte ou simples somnifères, je me tiens vraiment loin de tout ça car la dépendance me fait plus flipper qu'autre chose. Je tente, du mieux que je peux, de ne pas me faire attraper par ça et j'y arrive. Je sais que les somnifères ne font pas parti de ces cachets addictifs, mais ça reste des médoc que je les rayes de ma vie.
Apparemment, ma réponse était celle que Loyd voulait entendre. Cet enfoiré ne cesse de me tester depuis son arrivé ! Tout d'abord un peu surprit, je fini par sourire et hocher la tête alors que nous changeons de sujet. Il me propose d'un jour m'accompagner pour marcher un coup dehors. Je me dis pourquoi pas mais précise que je n'ose pas trop marcher seul. Lorsqu'il se tapote le ventre, ne se prenant pas au sérieux, je rigole doucement et hoche la tête «Oui, c'est vrai qu'avec toi les gens ne vont pas venir me faire chier» dis-je, amusé. Loyd fait sûrement une ou deux tête de plus que moi. Enfin, en étant assit les gens nous semblent bien plus grand qu'ils ne le sont réellement. Dans tous les cas, Loyd il est bien plus large et baraqué que moi. Entraînement de boxe oblige.
« Ouais, enfin avant de 'leur balancer mes roulettes' comme tu dis, je vais d'abord attendre pour être vraiment stable sur mes jambes hein» je souris doucement et tapote les roues de mon fauteuil «Au final, je suis pas mal habitué à cet engin et j'avoue que j'ai un peu du mal à m'en passé. » je me tais brusquement et relève mon regard sur Loyd «En fait, je suis drogué au fauteuil ! » m'exclamais-je, ironique au possible avant de rigoler doucement, bêtement. «Bref, ouais tout ça pour dire que je te suis dehors quand tu veux » concluais-je en me reculant, alors que Loyd se lève dans le but dans doute pour partir.
Il dépose sa tasse dans l'évier puis attrape sa veste. Mais, avant qu'il ne puisse faire ou dire quoique ce soit, je le retiens, lui demandant s'il accepterait que j'ai un chat ici, dans l'appartement. Il ne semble pas vraiment à l'aise et me dit simplement que tant qu'il ne va pas gratter les murs partout, ça lui va. Je souris, d'avantage encore lorsqu'il me prévient que ces créatures peuvent me pisser dessus. « T'inquiète pas pour moi, je vais gérer de ce côté là» dis-je en me reculant d'avantage pour le laisser passer « En tout cas merci beaucoup de t'être déplacer ici au milieu de la nuit. Je sais que je peux compter sur toi» dis-je en relevant mon regard sur le propriétaire des lieux.
Peu à peu, plus je côtoie Nate et plus je me rend compte qu'il réveille en moi le type sympa qui sommeille beaucoup trop en ce moment. Depuis plus d'un an et demi maintenant, je rumine ma rage, étouffe ma violence et ronge mon impatience de sortir enfin, de respirer enfin le même air qu'elle. Je suis devenu le sadique par lequel j'ai été dressé, l'impulsif satisfait que par les écoulements de sang. Mais aussi loin de tout ça est-il, Nathan me fait oublier le reste. Quand il se poste devant moi, je suis plus occupé à rire de lui, de nous ; à essayer de garder ce sourire sur ses lèvres comme on souffle sur une braise pour ne pas qu'elle s'éteigne. Je me ramolli avec l'âge, c'est pas bon ça. J'aime son humour qui navigue en parallèle du mien, son ego qui ne se sent pas concerné par mes vannes parfois à la limite de tolérable et son esprit vif qui différencie aisément taquinerie et moquerie. Je veux bien te croire, le confort du mouvement, ne pas vouloir essuyer un échec, peut-être est-ce ça qui le retient assit pour le moment, car j'en suis certain ; marcher ne sera pas un problème pour cet entêté, mais je pense que tu reprendras vite goût à la position verticale. Je lui souris. La liberté, le regard des autres ; tant d'arguments en faveur de l'évolution. Je sais qu'il l'atteindra, il se bat pour et un jour, il pourra de nouveau courir de lit en lit, de vie en vie. Sans douceur et avec fracas, je lance presque la tasse au fond de l'évier, source de nos malheurs nocturnes. J’attrape mon manteau et désespère face à sa détermination à accueillir le diable dans son appartement. On en reparlera quand il se sera soulagé sur ton oreiller, je me contorsionne pour enfiler mon manteau, lui adressant un clin d’œil rieur. Il me laisse passer, me remerciant chaleureusement, qu'est-ce que tu ferais sans moi, gamin, je lui ébouriffe une dernière fois sa coupe de minet avec de lui adressa un large sourire et prendre la poudre d'escampette. Sur le chemin du retour, j'ouvre une page internet sur mon téléphone ; où vais-je bien pouvoir lui trouver un lave-vaisselle convenable ?
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La vie est difficile quand on a que 27 années à son actif, pourtant bientôt révolues, et surtout, quand on a des jambes totalement inutilisables. Mais quand même, m’appeler à minuit passé pour une putain de fuite sur un évier, c’est pas un peu gros ? Je dépose calmement les billets qui j’étais en train de compter et me lève du fauteuil qui accueille mon postérieur la majeure partie de la nuit. Je troque alors ma chemise et mon chino pour un pantalon de travail, un débardeur blanc et surtout sale, ainsi qu’un manteau en cuir. Rapidement et dans le plus grand des silences, je confie la garde des lieux à mes acolytes et prends la direction de ma voiture : une jolie Audi A8 noire. J’ai jamais été un grand fan des voitures, mais faut bien avouer que c’est plus agréable que de rouler en Clio.