There are plenty of ways that you can hurt a man And bring him to the ground. You can beat him, you can cheat him You can treat him bad and leave him when he's down. But I'm ready, yes, I'm ready for you, I'm standing on my own two feet. Out of the doorway the bullets rip Repeating to the sound of the beat
Premier arrivé, dernier à partir. Les heures ne se comptent pas. Qu’ai-je de mieux à faire ? Rien à dire vrai, la triste vérité. Il est de retour, le Jamie qui vit travail, pense, rêve, mange, boit, respire travail. Celui qui fuirai presque sa maison, trop vide, trop silencieuse. Celui qui abandonne l'idée d'avoir une vie privée, mais qui envisage de greffer son téléphone à son oreille. Un gala, un cocktail de temps en temps, un bain de foule ici et là où une occasion en plus petit comité de me montrer, montrer que je suis vivant. Ainsi dit, cela ne ressemble pas à une existence enviable ; elle ne l’est pas, en effet. Pourtant, il n’est rien dont je puisse me plaindre. Ou plutôt, ne veuille me plaindre. Une petite blonde doit quitter ma vie, et donc, ma tête. De même, elle m’oibliera. Elle m’a déjà oublié. J'éteins l’air de piano qui résonne dans le bureau et accompagne mes taches. L’écran de l'ordinateur vire au noir opaque. L'arrêt du moteur laisse un grand silence. Et le vide s'installe autant dans la pièce que dans ce trou béant dans ma poitrine, celui que personne ne peut, ne sait remplir. Mon sac sur l'épaule, je ferme la porte à clef. L’open space est calme, obscur, vide. Vide ? Non, il reste une lumière, et une silhouette. J'approche pour découvrir Dorian, rubrique culturelle. Grand dandy maigre, longiligne, mou, français, qui retourne son bureau dans un trois pièces presque trop cher pour son salaire. “Joli costume. Où est-ce que tu vas ?” je demande, comme si cela m'intéressait vraiment alors qu'il n’est question que de politesse, mais ça fait bien, que le nouveau patron s'intéresse aux membres de son équipe, même après une trop longue journée. “Où j'espère aller si je retrouve mes billets, plutôt. Au théâtre. Tu sais, cette première dont je t'avais parlé pour un papier.” Vrai. Idée acceptée sans trop y croire. Le théâtre est bel art, dont beaucoup de fichent éperdument. Dont une partie de notre lectorat. Mais pourquoi pas. Je jette un rapide coup d'oeil sur le bureau, balayant le manque cruel d'organisation qui en ressort, les papiers jetés anarchiquement, les stylos sans capuchons, les post-it le long de l'écran d'ordinateur. “Ces billets, tu veux dire ?” dis-je en tirant d'un casier en plastique trois places pour une représentation ce soir, dans moins d'une heure. Dorian soupire de soulagement. “Merci. Prend les deux autres. Je devais y aller avec ma fiancée et sa mère, grande fan de ce genre de pièces, mais elles m'ont planté. Viens, tu pourras me donner ton avis.” Je n’ose pas refuser, ni accepter plus qu'avec un vague signe de tête, ne sachant pas moi-même si j'ai envie de sortir ce soir. Mais rapidement, une idée me vient à l'esprit, et je glisse les tickets dans mon sac. Nous partageons l'ascenseur, lui jusqu'au hall, moi jusqu'au parking. Et une fois dans l'Audi, puis dans le Brisbane qui s'éveille à la vie nocturne, je lance un appel pour Ginny. “Hey. Devine ce que tu fais ce soir. J’ai deux places pour une première au théâtre, tu viens.” Le silence qu'elle laisse planer n’augure rien de bon pour mon invitation. Après quelques couinements d’embarras, elle avoue finalement qu'elle a déjà quelque chose de prévu. Théâtre elle aussi, pour la première de ses amis. Le même théâtre. Hasard, coïncidence, destin, qu'importe le nom, cela ne se fera pas sans moi ; “Tu as besoin d'un homme à ton bras Gin, je t'accompagne. Laisse moi me racheter pour la dernière fois.Je serai sage, promis.” La soirée, ou plutôt, le désastre du musée pèse bien évidemment sur ma conscience. J’ai quitté la jeune femme précipitamment, incapable de partager le même air que mon ex-fiancée. Finalement, il n’a été question que d'elle et moi nous donnant en spectacle sur le trottoir du QAGOMA comme nous savons si bien le faire. “Je saute à la maison enfiler quelque chose de décent et je passe te prendre.” Mauvais timing. Le saut se transforme en quarante minutes de bouchons, une vie, une éternité que la musique ne fait pas passer. Le costume est choisi presque au hasard, enfilé à la va-vite -du moins, le pantalon et la chemise. Je fourre le reste sur le siège passager et m'épargne les limitations de vitesse jusqu'à l’appartement de Ginny. Elle saute à l'avant, élégante, prête depuis longtemps, et prend vite conscience de sa mission. Avec son aide et quelques acrobaties, j’enfile ma veste, et de noue la cravate autour de mon col. Quelques sursauts d'adrénaline lorsque je manque de rencontrer le flanc d'une autre voiture ou de griller un feu nous rappellent que tout ceci n’est pas très réglementaire. Pourtant je ris d'être encore un en morceau. À la même allure, et slalomant entre les voitures, nous déboulons au théâtre, les clés jetées au voiturier, les billets à l'ouvreuse, tandis que les portes de la salle sont immédiatement refermées derrière nous, bons derniers arrivés sous le regard tantôt méprisant, tantôt amusé des autres spectateurs. Nous trouvons nos places lorsque l'éclairage se baisse et s'éteint, et le parquet cogne. Un dernier regard complice avant que le rideau ne se lève, un dernier soupir amusé et soulagé ; c'était moins une.
There are plenty of ways that you can hurt a man And bring him to the ground. You can beat him, you can cheat him You can treat him bad and leave him when he's down. But I'm ready, yes, I'm ready for you, I'm standing on my own two feet. Out of the doorway the bullets rip Repeating to the sound of the beat
« Oublie moi ce soir. Oublie tout le monde, enjoy. Fais-le pour toi, uniquement pour toi. » mes doigts pianotent sur le clavier de mon portable alors que je clos cette conversation, le sourire aux lèvres. Une première emplie de sens, de profondeur, de beauté pour Saul ce soir, et pour Eli. Cette pièce sur laquelle ils travaillent depuis des mois, qui avait d’abord été présentée en toute intimité à amis et famille quelques jours plus tôt, et qui ce soir faisait sa grande entrée devant médias. Je n’avais pas pu me libérer la première fois, Noah et son teint livide qui m’avait clouée à l’hôpital pour une nuit blanche ou deux, et voilà que mon ami avait tenu absolument à ce que je sois présente, ce soir. Eli avait envoyé une robe qu’il avait expressément choisie pour moi, le truc bien clinquant et tout sauf mon style, le corail qui crie et la coupe qui est un peu trop avantageuse. Trêve de pudeur, j’avais sorti l’entière totalité de mes vestes, cardigans, chemises et blousons pour voir ce qui pourrait bien faire par-dessus ce bout de tissu avantageux pour les autres, malaisants pour moi. Puis voilà qu’un coup de fil me distrait, me fait sursauter même, dans un atelier vide du moindre son, moindre bruit ambiant. Il était rare que la ligne sonnait, qu’on appelait. Loin de moi l’envie de me plaindre, bien au contraire, je me réjouissais du silence des derniers jours. Débandade par-dessus drame, et j’avais pris la décision de mettre en suspens tout ce qui pouvait bien se tramer autour de moi le temps de me remettre de mes émotions. Mes échanges avec Ezra restaient cordiaux, simples, concis. Edward m’écrivait bien par ci par là, mais je sentais que comme moi, il allait avoir besoin de temps pour assimiler la suite, le divorce en soit. Et Ben. Ben était Ben. Je ne lui en demandais pas moins, et j’étais plus que contente qu’il ait retrouvé ses bonnes vieilles habitudes et ne me contacte que lorsqu’Amanda Bynes avait fait de nouveau un scandale sur le web, ou que le gym face à son bureau offrait de nouvelles séances de pole dance fitness qui l’empêchaient de se concentrer pour préparer un procès ou un autre. Un vide sentimental qui fait un bien fou plus tard, et je décroche, la voix de Jamie qui me surprend, m’ordonne, me fait rire surtout. Il propose un plan pour la soirée, il l’impose même, mais je suis attendue ailleurs et je décline poliment. Jusqu’à ce qu’il me dévoile son horaire, que je lui confirme le mien. Les pièces du puzzle mettent un temps fou à s’acclimater les unes aux autres, et une petite impression que quelque chose cloche qui me garde muette, une seconde ou deux. Son offre est sympathique, bien intentionnée, et si bien tissée à la coïncidence que je serais idiote de refuser. Il y a ça, et il y a aussi cette impression d’un mauvais présage, d’une épée de Damocles. Savoir Jamie dans la salle ne plairait pas trop à Saul vu leur historique commun, et même si je m’étais toujours gardé de donner mon avis sur la question, je sentais déjà que le metteur en scène ne serait pas des plus à l’aise. Bonne joueuse, je calcule donc que ma présence servira de tampon, qu’elle les gardera l’un bien loin de l’autre. Jamie confirme ses bonnes intentions en me promettant qu’il se comportera bien, et je souris de l’autre côté du combiné. « D’accord, d’accord, je t’attends, monsieur bonne conduite. Passe à l’atelier, je te prépare un thé. » l’eau infuse, mon reflet se rattrape à de nombreuses reprises devant le miroir, et je finis par sortir l’attendre sur le trottoir face à l’immeuble, les gobelets en main, et une veste noire bien simple déposée sur mes épaules. Les voitures passent, la nuit s’assombrit, et je m’inquièterais presque si je ne connaissais pas par cœur les heures de pointe de Brisbane, et leur potentiel de retard plus élevés à l’heure actuelle. Je reconnais la voiture de Jamie qui tourne le coin, je m’engouffre dans l’habitacle comme je peux, et je prends même part, hilare, à la mission du jour, à savoir le vêtir le moindrement proprement pour la soirée à venir. Il a pris gros pari en me collant au rang de noueuse de cravate, et si Ed m’avait toujours gardée loin parce qu’il savait que j’avais deux mains gauches en tout temps, Jamie me guide du mieux qu’il peut, entre deux piétons, quelques feux rouges, et des coups de klaxon rageurs. Sains et saufs, survivants, nous nous garons avant de passer l’enceinte du théâtre que je connais maintenant par cœur pour y avoir passé de nombreuses heures à flâner ou à assister aux répétitions lorsque j’étais la bienvenue. Je me fais guide touristique en dirigeant Jamie vers la salle, trajet maîtrisé. Ce sont deux sièges au beau milieu de l’allée qui nous attendent, et quelques orteils écrasés au passage qui tirent gémissements et soupirs de nos voisins. Mais voilà, on y est, on souffle, on s’écrase sur le tissu confortable et on partage le regard du conquérant. Évidemment, mes rétines cherchent celles de Saul, celles d’Eli, celles et ceux qui ont tant bossé, qui ont tout donné pour ce soir, pour ces scènes que nous verrons défiler, préparées au taquet, testées, approuvées. Je suis avide des ombres qui tanguent, puis des pas qu’on entend se positionner derrière, et j’ai un léger frisson qui passe sur mes bras lorsque le rideau se lève et fait place à la pièce en elle-même. Jamie remarque sûrement. « Ça me rend bien émotive tout ça, sorry not sorry. » que j’explique à demi-mots, sachant que lui aussi était tout aussi souvent atteint par l’art, le vrai, le beau. « J’essaierai de ne pas finir en larmes, promis. » je ne me verrais pas le lui imposer non plus. Un sourire de plus et voilà que j’entrevois le Masterson tirer la tête dans un angle qu’on n’aurait pas vu si on ne le cherchait pas autant des prunelles. Et il me sourit, du moins, je crois. Je lui rends la pareille, et vire mon attention sur ce qui s’installe maintenant. Les lumières fusent, les meubles se placent, et les répliques s'engagent. Muette, interdite, c'est à eux de jouer.
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Les soirs de premières étaient toujours plus stressants que la moyenne. Tout le monde se lançait sans filet de sécurité, sans garantie que le travail des derniers mois porterait ses fruits, et n'importe qui fréquentant les coulisses d'un théâtre depuis assez longtemps saurait que les risques d'erreurs et d'empoignades étaient multipliés dès lors que la pression d'une grande première agitait les troupes. Et pour Saul, qui avait déjà des raisons de ne pas avoir l'esprit tranquille depuis quelques jours, l'angoisse était d'autant plus forte. Plusieurs ici l'avaient remarqué, on lui avait même proposé plusieurs infusions pensant que ça l'aiderait à aborder la soirée avec un peu plus de sérénité. Mais rien ne serait passé. Alors il avait fait comme à chaque fois, encadrant ses comédiens jusqu'à la dernière minute, et tentant de leur insuffler un peu de la confiance dont il continuait malgré tout de s'armer – parce qu'il le fallait. D'ici on pouvait entendre les spectateurs prendre possession du théâtre, entre deux essais sonores des techniciens. Les autres, artistes de l'ombre eux aussi, s'affairaient pour s'assurer que tout soit bien rodé. Les décors prêts à être montés les uns à la suite des autres. Les costumes prêts à être enfilés entre deux scènes. Les éclairages prêts à mettre tout ce travail en relief. C'était sûr, à présent le début du spectacle ne tarderait plus. Alors Saul prit son air le plus sérieux au moment de s'adresser une dernière fois à ses comédiens. « Tout le monde est prêt ? Bien. Vous savez ce que je vous dis. » Et s'armant d'un fin sourire, le regard pétillant autant d'impatience que d'appréhension, il ajouta. « Cette soirée est la votre. » Pas la sienne, contrairement à ce que la boule qui lui retournait l'estomac pourrait laisser penser. Car ses preuves, il les avait faites des années plus tôt et c'était un peu tard pour espérer conquérir ceux que ses efforts avaient laissé imperturbables. Mais ses artistes, eux, avaient tout à prouver. Eli, notamment, à qui il vola une étreinte avant qu'il ne s'envole quelques mètres plus loin, marchant vers son futur succès. Saul ne resta cependant seul qu'une poignée de secondes, avant que la silhouette d'Hannah ne glisse derrière son dos. « Il doit rester des places inoccupées dans la salle, si jamais tu ne voulais pas rester là. » Il lui souffla alors, calmement. Il aurait aimé lui offrir sa chaleur de d'habitude, mais ce soir il ne se sentait pas de faire semblant. Il se répétait, pourtant, que le dîner de l'autre soir n'avait pas été à l'initiative de la brune, pas plus que les mots qui avaient été échangés, mais il était las. Las qu'il lui faille batailler encore pour s'imposer quelque part où on ne voulait de toute façon pas de lui. Las de se nourrir de bonnes intentions pour se les manger en pleine figure la seconde d'après. Hannah n'était pas responsable, mais elle ne lui facilitait pas la tâche pour autant. Pas plus qu'il ne se la facilitait à lui-même. « Je ne vais pas avoir une seule minute à te consacrer. Tu connais ça, tu sais comment ça fonctionne. Alors autant que tu profites du spectacle. » Il posa malgré tout une main fébrile sur le bras de la jeune femme, assez longtemps pour sentir comme un début d'électricité. Son étonnante transparence pouvait l'avoir vexée et il en avait conscience. Mais si c'était le cas, il n'y avait sans doute déjà plus rien qu'il puisse faire pour arrondir les angles, parce qu'il la connaissait. La vibration de son portable le tira finalement de ses réflexions tandis qu'il porta son attention sur le message apparu sous ses yeux. « Oublie moi ce soir. Oublie tout le monde, enjoy. Fais-le pour toi, uniquement pour toi. » Saul eut un sourire, et peut être le cœur partiellement réchauffé par cette attention qui ressemblait bien à Ginny. Pas le temps de répondre, toutefois, que le début du spectacle s'annonçait cette fois réellement. Saul posa un dernier regard, hésitant, sur Hannah puis gagna la place qui était chaque fois la sienne, entre les coulisses et la salle où le public n'en perdrait pas une miette. C'est là, dans la pénombre imparfaite, qu'il crut apercevoir Ginny, justement, et son sourire intact. Un sourire qu'il lui rendit avant que la scène ne s'anime, cette fois. Premier décor, première scène. Puis beaucoup d'autres, où brillèrent tour à tour des comédiens qu'il avait pris sous son aile durant des mois sans jamais douter d'eux. Et voilà qu'ils semblaient tous remercier la confiance qu'il leur avait accordé, rattrapant ses espoirs en vol et le rassurant peu à peu sur les chances pour que cette soirée garde un goût délicat. La pièce de ce soir n'avait rien d'exaltée – à l'instar de ce qu'il écrivait depuis des mois, peut être sous l'effet d'un moral en déclin – et pourtant il subsistait toujours cette pointe d'optimisme, qui pour le coup tenait plus du talent de ses acteurs que de sa plume à lui. Quant au public, il n'irait sans doute pas imaginer que cet ensemble si bien rodé, drame vintage sur fond de dilemmes et d'envolées liriques, cachait en réalité des jours et des nuits de perfectionnements et d'incertitudes. Et c'était tout ce qu'il espérait, lui, car c'était cette illusion, quand elle demeurait intacte, qui lui assurait qu'il avait bien tenu son rôle. Ce fut enfin au tour d'Eli d'accaparer l'espace de la scène et l'attention du public, et Saul se fit la réflexion que le prix qu'on lui mettrait un jour entre les mains n'arriverait jamais assez vite. Il avait pris du galon, Eli, et pas seulement parce que ses rôles l'imposaient chaque fois un peu plus au sein de la troupe. Et il n'en fallut pas plus à Saul pour perdre toute notion du temps, et ne réaliser qu'au moment où le rideau se referma sur le dernier tableau qu'il avait passé la moitié du spectacle à le contempler. Les comédiens réapparurent le temps des révérences, puis cédèrent la place à un Vance pas mécontent de se voir octroyer quelques minutes d'attention tandis qu'il s'était armé d'un micro et de tout son aplomb. « Et maintenant, Mesdames et Messieurs, laissez-nous vous convier à une petite after-party en l'honneur de cette première. Un buffet vous attend à l'arrière de la salle, tandis que les artistes signeront des autographes et accorderont des interviews dans le hall. Nous vous souhaitons une bonne fin de soirée. » Souriant à son collègue depuis les coulisses, Saul songea qu'il ne serait pas ridicule si un jour les sautes d'humeur de Patty l'incitaient à envisager une reconversion. Mais alors qu'on s'affairait autour de lui pour le deuxième « acte » de cette grande soirée, celui qui réclamerait bientôt sa présence au milieu des invités, Saul tenta de faire amende honorable en se rapprochant doucement d'Hannah, restée un peu plus loin dans les coulisses. Arrivé tout près d'elle, il se risqua à souffler. « Tu fais la tête ? » Peut être bien, et il ne pourrait certainement pas lui en vouloir après que lui-même n'ait pas fait beaucoup d'efforts pour masquer sa propre contrariété. « Ginny est dans la salle, j'aimerais aller la saluer. » Il ne savait pas si Hannah avait seulement envie de participer aux festivités, car contrairement à lui elle était tout à fait en droit de passer son tour si le cœur ne lui en disait pas. Néanmoins, et s'il n'osa pas l'avouer, l'avoir près de lui ce soir l'aiderait à faire face. Guettant sa réaction, il profita que les lumières se soient rallumées à l'intérieur du théâtre pour justement lancer un regard en direction de Ginny. Là, ce qu'il crut voir le figea de surprise. « Tu savais qu'il viendrait ? » Il demanda, en reconnaissant Jamie et ces traits qu'il avait vu de suffisamment près au tribunal pour ne pas les confondre. Hannah ? Ginny ? Le hasard lui-même ? Il ne savait pas à qui il devait cette présence, tout comme il ne savait pas exactement ce qu'elle provoquait chez lui. Rien de très confortable, toutefois, et rien qui ne l'aiderait à aborder cette after-party avec plus d'optimisme. Après tout, cet homme aurait une bonne raison de ne pas s'armer de bonnes intentions, ce soir. Et Saul, lui, une autre de ne pas s'exhiber sous son nez pour le lui rappeler.
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Les hommes aimaient tous penser qu’ils étaient des créatures faites de mystères, complexes et particulièrement difficiles à comprendre mais ils l’étaient rarement. Il suffisait souvent de peu pour faire flancher le meilleur de cette espèce-là et Hannah le constatait depuis quelques jours. Il y avait encore les excuses qu'elle n'avait pas formulées depuis ce fameux diner, la brune se demandant s'il fallait qu’elle s’excuse une nouvelle fois. Après tout, elle ne contrôlait pas les actions de son père et Saul et elle savaient que la route serait longue. Trop longue selon la brune. Mais elle ne s’attendait certainement pas à ce que tout s’écoule comme un château de cartes dès la première inflexion de la part de Nathan Sied.e Qui aurait été surement ravi de voir Saul ainsi. Définitivement pas Hannah. La brune savait qu'il faisait de son mieux pour donner le change, mais c'était elle l'actrice et lire les expressions de Saul était devenue une de ses spécialités. Alors non, la situation actuelle ne l'arrangeait absolument pas et la Siede ne savait pas comment faire disparaitre cette tension qui était née entre eux depuis ce fameux diner. Tout ce qu'elle pouvait faire était attendre et espérer qu'il n'y aurait pas un incident de plus…. pas vrai ? Elle faisait de son mieux pour ignorer cette sensation qu'elle avait au creux de l'estomac en fixant le metteur en scène parfois, comme ce soir. Hannah s'était arrangée pour se libérer pour le reste de la soirée, sachant à quel point cette première était importante. Mettre de côté le théâtre n'était pas quelque chose de facile à faire pour elle mais l’atelier, Rose, sa marque et ses propres ambitions demandaient une attention constante alors elle avait du prendre du recul. Pas de bon coeur, mais les choses étaient plus faciles ainsi, se répétait Hannah à chaque fois qu'elle se retrouvait ici, saluant de loin les comédiens et autre personnes qui l’avaient déjà vue évoluer sur scène. Ce soir était une grande occasion et Hannah avait mis tous ses doutes de côté également, pour les troquer contre une robe de soirée noire signée Rose, la jeune styliste sachant toujours comment mettre en valeur sa patronne, ainsi que le collier de diamants offert par Saul qu’elle n’avait cessé de porter depuis Décembre. Les choses n’avaient pas pu déraper autant en si peu de temps, ils allaient aller mieux, forte de ses convictions, la brune avait emprunté le chemin des coulisses, histoire de se trouver près de Saul. Elle un maigre sourire en le voyant échanger quelques derniers mots avec les comédiens, un sourire qui s’effaça bien vite face au discours du metteur en scène. Hannah arqua un sourcil, jaugeant Saul de la tête aux pieds. Venait-il de la ranger dans la catégorie des simples distractions ? Ou pire encore, de simple faire-valoir ? « … Le but était de t’encourager, pas de jouer les petites copines en mal d’amour et d’attention. Mais soit. » Le baiser qu'elle aurait voulu déposer sur ses lèvres se transforma en simple regard froid, tandis que Saul, presque comme s'il savait ce que ses mots allaient faire naitre en elle, posait sa main sur son bras. Hannah roula des yeux et avec un dernier haussement d'épaules, elle le laissa tranquille. La brune n'était pas idiote au point de s'attarder quand il ne souhaitait clairement pas la voir, tout ce qui lui restait à faire était de se trouver une place et de profiter du spectacle, un sourire trop travaillé pour être naturel sur son visage. Hannah regarda la pièce sans vraiment trop la voir, le coeur lourd et son esprit se posant mille questions. Tout revenait à Saul pas vrai ? S’il ne pouvait passer à autre chose, c'était que le problème "Nathan" était bien trop important pour être effacé comme ça. Que faire alors ? Maudire son père jusqu'à la fin de ses jours ? Prétendre que tout ça ne s'était jamais passé ? Si au début de la représentation, Hannah était légèrement irritée, elle était à présent complètement perdue et se sentait plus que jamais de trop. Il y a des mois en arrière, c’était un Saul perdu et plus qu'alcoolisé qui lui avait dit avoir besoin d’elle, il lui avait dit qu'elle était essentielle. Si ce simple fait venait à changer… Il lui fallut quelques secondes de plus pour réaliser que la représentation venait just de s’achever et Hannah se leva plus par automatisme qu’autre chose, ravie que ses pieds se souviennent encore de la marche à suivre dans ces cas là. Elle considéra s'éclipser de la soirée, ça aurait été une très bonne option, en trouvant l'excuse la plus stupide du monde ou en mettant le blâme sur Nathan justement. Non, chercher une issue de secours était trop facile, elle était venue pour encourager Saul pas vrai ? Ni plus, ni moins, ce qu'elle ressentait à cette seconde précise ne comptait vraiment pas. Hannah fut donc bien présente quelques minutes plus tard quand le metteur en scène la chercha du regard et l'ombre d'un sourire se dessina sur le visage de la brune. « Je suis toujours là non ? » Il était difficile de lui en vouloir, surtout qu'ils étaient tous les deux blessés dans cette histoire, mais ce n'était ni le lieu ni le moment pour en parler. Et Hannah s'apprêtait à glisser sa main dans celle de Saul, comme elle avait pris l'habitude de le faire, quand arriva sa dernière question. Elle suivit le regard de Saul et si elle aurait pu sourire en apercevant Ginny, après tout elle avait toujours deux ou trois conseils à donner à l'autre brune, la Siede se figea littéralement quand ses yeux se posèrent sur Jamie. Hannah savait qu'ils allaient finir par se croiser, tôt ou tard, Brisbane n'était pas si grand que ça... Mais pas ici, pas comme ça et certainement pas quand elle n'était pas prête. La meilleure chose à faire aurait été de l'ignorer et c’était bien ce qu’elle comptait faire, juste avant qu'elle ne réalise ce que la question de Saul impliquait. « Pardon ?… Tu ne viens pas de demander ça Saul. » Est-ce qu'il était complètement aveugle ou avait-il juste décidé de vraiment la pousser à bout ce soir ? Il l'avait vue verser des larmes pour Jamie, vu les conséquences du semblant de relation qu'elle et Jamie avaient tenté d’avoir. S’il y avait bien quelqu’un qui savait à quel point tout ça l’avait détruite, c’était Saul. Ou alors ce qu'ils faisaient depuis des mois ne servait à rien, à strictement rien. Hannah était en colère à présent, mais pas contre Jamie, sa colère était bien dirigée contre Saul et elle le fixait à présent, priant pour avoir mal entendu. « Qu’est-ce tu crois ? Que c’est pour pouvoir renouer avec Jamie Keynes que je suis venue ici ce soir ? Que c’est lui que j’espérais voir avant la représentation ? Que c’est à lui que j’aurais donné quelques encouragements en lui promettant qu’on trouverait un moyen de faire disparaitre son stress une fois qu’on serait seuls ? » Sa voix étaient à peine plus élevée qu’un murmure et pourtant, Hannah se sentait bien la force d’hurler juste à cette seconde précise. Elle ne le fit pas, elle se contenta de reculer, ignorant les larmes qui perlaient déjà au coin de ses yeux. « Tu sais… si tu veux m’insulter, pas besoin d’y aller par quatre chemins, contente toi d’être direct ça fera toujours un peu moins mal. » Hannah prit ensuite une profonde inspiration et adressa un sourire à Saul. « Maintenant si tu veux bien m’excuser… je vais faire de mon mieux pour ne pas t’embarrasser. » Elle préféra ne pas attendre sa réponse et elle tourna les talons, à la recherche d’une distraction. Hannah ignora tout, y compris les brèves secondes où son regard capta celui de Jamie, y compris ça et arrivée près du buffet, elle lança un simple : « Donnez-moi ce que vous avez de plus fort et qui ne contient pas d’alcool. » à un des employés, son ton sans équivoque. « Pour commencer, on ne sait jamais si je change d’avis. »
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Les applaudissements retentissent, un sursaut m'arrache à ma torpeur, bercé par l'ennui profond qui est le seul sentiment que la représentation m'ait suscité. A côté de moi, Ginny a sauté sur ses deux jambes pour faire du bruit jusqu'à en avoir les mains rouges, et la seule raison pour laquelle elle ne hurle pas, c'est que nous ne sommes pas à un concert de rock. La vieille femme du siège à ma gauche a également fait l'effort de se dresser debout afin de féliciter les acteurs qui défilent sur scène. Je frappe douloureusement dans mes mains, sans conviction, mais néanmoins sans mauvaise foi. Les goûts et les couleurs n'excusent pas le respect que chacun doit avoir pour le travail fourni ici, les mois d'élaboration de cette pièce, l'écriture, les répétitions, et le stress, la pression de la première, l'attente de l'accueil du public qui nourrit tant d'espoirs. A entendre le bruit dans la salle, nous sommes peu à avoir manqué de réceptivité. L'époux de la vieille femme, un peu plus à gauche encore, semble également sortir d'une longue somnolence. Puis j'échange un regard avec Ginny tandis que les applaudissements s'effacent enfin, je force un sourire ; il serait délicat d'émettre le moindre commentaire terne à propos du travail de ses amis dont elle est si fière, alors je m'abstiens, et je ne me lève que pour reboutonner ma veste et quitter notre rangée, direction l'after-party. Au bout de l'allée, la brune et moi nous divisons d'un commun accord ; elle s'en va tout naturellement féliciter ses amis tandis que je pars en repérage d’amuse-bouches végétariens au buffet. « Si tu m'abandonnes au milieu des loups comme la dernière fois, je les garde tous pour moi. » je la préviens avec un doigt menaçant et une mine faussement sérieuse. Par dessus son épaule, mon regard tombe un court instant sur la silhouette encore trop reconnaissable, notable, de Hannah. Une seconde brûlante comme le frôlement de la flamme d'une bougie près de mon visage. Et à l'intérieur, l'approche dangereuse de ce fer à blanc qui me rappelle que là, ce petit bout de palpitant nécrosé, est l'oeuvre de cette femme. Malgré tous les mois qui nous séparent du jour où elle a balayé mes sentiments, il suffit d'une seconde, une seule, pour que mon coeur se serre et que le monde autour devienne opaque, flou, ne laissant au milieu du brouillard que ce visage, ces yeux, cette bouche dont j'espérais être plus guéri que ça. Je fuis la zone, m'enfonce entre les autres invités et me réfugie quelques mètres plus loin. Mon oasis, c'est l'allure filiforme de Dorian qui s'esquisse face à moi, le sourire sur son visage faisant comprendre son enthousiasme, autant à propos de ma présence ce soir que de la pièce. « Jamie ! Alors, qu'est-ce que tu en dis ? Est-ce que ça n'était pas… - Un désastre ? je le coupe en sifflant du bout de cette langue de vipère qui profite de l'absence de Ginny pour dévoiler le fond de ma pensée. Si. » A vrai dire, je ne trouve pas d'autre mot qui puisse refléter l'ampleur de la perte de temps et d'énergie dont j'estime avoir été victime ce soir, car ''cauchemar'' impliquerait que je sois parvenu à m'endormir afin de ne pas supporter ces mièvreries, néanmoins tot ce bruit pour rien est tout de même parvenu à me maintenir éveillé, dans une forme de somnolence qui me donne l'impression d'être tiré d'une sieste trop courte et peu réparatrice, de celles qui vous donnent mal au crâne et dont vous sortez plus irritable et fatigué après qu'avant. « Je songe à déposer un avis de recherche à l'accueil ; toute goutte de talent a disparu de ce théâtre pendant les dernières heures, et à voir tous ces mines ravies désormais, je dirais que le bon goût aussi. Au moins le siège était confortable. Le champagne a intérêt à être décent. » Une coupe ne tarde d'ailleurs pas à atterrir dans ma main, et non, je n'attendrais pas qu'un petit discours consensuel résonne dans la pièce pour y tremper mes lèvres. Je déglutis, l'analyse, le pétillement des bulles le long de ma gorge qui permet de jauger si oui ou non j'aurais mal à la tête demain, et donc, quel est le prix de la boisson. « Ca fera l'affaire, je suppose. Il a plus de saveur que la mise en scène de ce soir. » Le sourire de Dorian est gêné, mal à l'aise, et je le vois bien, pas que cela m'importe pour autant. Non, ce n'est pas avec moi qu'il pourra faire l'éloge de quoi que ce soit concernant ce que nous avons vu, ou subi, ce soir, et il ne pourra pas me dérober quelques bonnes phrases à incorporer dans son papier dans l'espoir de se faire bien voir -ce qui ne serait pas le cas de toute manière. A vrai dire, son long visage blêmit un peu et se transforme en face de poisson hors de l'eau lorsque je remets même en question l'existence et le bien fondé de cet article, soulignant au passage que la pièce mériterait d'être classée parmi les tragédies. « Hm, je suppose que, du coup, ça ne t'intéresse pas de rencontrer le directeur de la troupe. » Qu'il est perspicace, c'est adorable. « Non, tu as raison. Lequel est-ce ? » je demande, attendant que Dorian me l'indique dans la foule, et lorsque je le vois, lorsque je saisis son regard, lorsque je comprends de qui il s'agit, et de qui il est accompagné ; une fois que le temps cesse d'être suspendu, que le vertige me laisse sur mes deux pieds, et que la coupe de champagne a interrompu son voyage vers mes lèvres, je maudis Dorian de m'avoir invité, Ginny d'en avoir l'air si proche, Hannah d'en être plus proche encore, et toutes les personnes ici présentes qui applaudissaient si fort ce type, lui. « Je vois. » La distance qui nous sépare, à savoir la totalité de la salle et une petite centaine de personnes, me paraît plus que correcte. Qu'il en reste ainsi. « Je vais me prendre quelque chose de plus fort au bar, excuse-moi. » Et à peine me suis-je crashé sur le comptoir pour commander un whisky avec la même froideur snob que mon père l'aurait fait et que je méprise à l'instant où les mots m'ornent d'une belle étiquette de client méprisant, je devine juste à côté de moi le parfum distinctif d'une romance putréfiée -quoi qu'il y manque désormais la senteur de la cigarette froide ; je tourne la tête pour voir Hannah. Je serre les dents. Pas de commentaire. Un accord tacite ; si elle fait comme si elle ne m'avait pas vu, j'en ferai de même. Et le chemin de nos vies ignorera ce possible carrefour. Tout peut demeurer tel que cela est. Ni plus, ni moins. Jusqu'à ce que le bout de ma langue brûle de ces mots inutiles, intrusifs ; « Est-ce que tu ne devrais pas être avec ton petit ami à cet instant ? »
There are plenty of ways that you can hurt a man And bring him to the ground. You can beat him, you can cheat him You can treat him bad and leave him when he's down. But I'm ready, yes, I'm ready for you, I'm standing on my own two feet. Out of the doorway the bullets rip Repeating to the sound of the beat
Je n’ai pas failli à ma tâche, et une fois le regard échangé avec Saul, une fois mon ami retourné dans cette zone noire, zone d’ombre, une fois la scène mise et les acteurs en jeu, le reste disparait. Oh, je sens bien la présence de Jamie à mes côtés, les quelques bruits qui viennent pointer derrière nous, les interrogations chuchotées, les exclamations soutenues. Mais je m’y plais, à lâcher prise. À ne penser à rien d’autre, à apprécier ce que mes amis ont créé de leurs mains, ce dans quoi ils ont infusé tout ce qu’ils avaient et même plus. Je reconnais à plusieurs reprises quelques passages qu’Eli a pratiqués devant moi avec Saul autour d’un café, je dénote des détails que les garçons ont parfois mentionné entre deux répétitions, alors que je passais les voir ces quelques 5 minutes réglementaires qui nous gardaient de rester séparés trop longtemps. Fibre personnelle, fierté bien placée, je reste scotchée à mon siège, le regard avide de tous les éléments qui sont mis à disposition, de l’histoire, intrigue ficelée toute en métaphore et en verve. La pièce en soi est un peu plus expérimentale que celle à laquelle j’avais assistée à ma dernière venue ici, risquée même. J’y reconnais une envie de changer, de casser la rythmique que la troupe avait prise depuis un moment, d’innover même. Quelques pistes dangereuses sont prises, Eli se retrouve avec un monologue particulièrement amer, et si les avis semblent partagés à certains moments clés, c’est tout de même face à une salle en ovation que les acteurs mettent le point final à la pièce. Sans la moindre gêne, je me joins aux autres spectateurs bien droits bien debout, remarquant tout de suite que Jamie est plus lent à applaudir, à participer aux effluves. Ce sourire qu’il me fait, cet air qu’il m’envoie, me confirme tout de suite qu’il n’a pas aimé. Poli, mais fermé. Ce n’est pas sorcier, et c’est même des plus évidents. Depuis notre première rencontre, nous avions réalisé à plusieurs reprises à quel point nos opinions divergeaient souvent, comment nous n’étions pas toujours sur la même longueur d’ondes. Là où d’autres y auraient vu une conclusion à une relation naissante, c’était pour nous un défi particulièrement amusant, un débat de plus à animer le sourire aux lèvres et les idées bien pétillantes. Il respectait mes goûts, je respectais les siens, et la discussion venant d’un sens et de l’autre était toujours la partie que je préférais le plus dans nos échanges. C’est d’ailleurs ce qui influence mes paroles, une fois que nous sommes sortis de la salle pour nous diriger à l’apéro annoncé. « Je vais passer dire un mot à mes amis, mais je tiens à avoir notre traditionnel debrief une fois que je serai revenue. Pas besoin de te censurer, pas de politically correct ici. » un clin d’œil plus tard et nos chemins se séparent, le mien me menant auprès de Saul. Si j’esquisse un grand sourire à Hannah qui se tenait il y a à peine quelques secondes auprès du metteur en scène, c’est à son dos en direction opposé que j’ai droit, maintenant qu’elle file à l’anglaise sans le moindre commentaire. Drôle de moment, drôle d’impression, mais il me semble plus que superflu de le mentionner alors que j’attrape enfin le regard de mon ami. Je me hisse à sa hauteur pour l’enserrer chaleureusement, un baiser sur la joue en prime. « Ça va là, c’est bon, tu peux respirer. » je blague, misant sur le stress qu’il devait vivre, naturellement, comme à chaque première. Un sourire de plus pour adoucir sa soirée. « C’était très intéressant, audacieux. J’ai adoré le deuxième monologue d’Eli aussi, j’y ai reconnu ta touche personnelle, ta plume. » l’un étant devenu la muse de l’autre au fil des années, Eli et Saul arrivaient ensemble à créer de bien belles choses lorsqu’ils se faisaient assez confiance. La preuve étant ce fameux moment clé, selon moi. « J’ai aussi un petit truc à te dire… » profitant d’une accalmie autour de mon ami, je préfère jouer franc-jeu tout de suite, retirer le pansement rapidement, et le rassurer au passage. « Je… Jamie est là. On est venus ensemble. Je sais que tu préfères ne pas avoir à le croiser, alors je te le dis de suite pour ne pas que tu sois surpris. Mais il y a tellement de gens présents, et j'imagine que tu seras tellement sollicité, que je suis persuadée que vous ne vous verrez même pas de toute la soirée. » un sourire bienveillant couronne mes lèvres. Je sais à quel point la situation est délicate entre eux – de raison – et comment mon amitié avec le Keynes est tabou entre nous. Si personne ne le mentionne, personne n’a besoin d’en parler qu’on avait décidé, accord tacite jamais vraiment mentionné. M’enfin, tenir Saul au courant me paraît l’option la plus logique, lui permettant d’être en mesure de ne pas tenter le diable durant cette soirée déjà fortement chargée en émotion. « Ceci étant dit, encore félicitations ! » changement de sujet direct et nécessaire, j’enlace de nouveau mon ami, repérant Eli qui se joint lui aussi à la démonstration d’amour, passant ses bras autour de nous deux. « On est attendus en entrevue, mais ce câlin collectif me semble beaucoup plus cool en fait. » que l’acteur annonce, hilare, avant que je ne m’efface en les sommant d’aller vaquer à leur programme principal. Je peux très bien m’occuper de moi-même, et je les sens tellement survoltés et tirés de tous les côtés qu’il m’apparaît illogique de les coller toute la nuit. « Si on ne se recroise pas parce que vous êtes trop occupés à multiplier les photoshoots, on s’organise un truc très vite, obligé! » ma voix les accompagne, maintenant qu'ils s'engouffrent loin derrière. Une fois Saul et Eli hors de vue, ma mission de ne pas perdre Jamie comme fait précédemment au QAGOMA revient en priorité sur ma liste, et ma petite tête brune se faufile un brin à travers la foule, les hors-d’œuvre et les serveurs pour le retrouver. Bingo – il m’apparaît de dos, appuyé au bar, et c’est telle une conquérante que je remplis mon objectif en le retrouvant quelques pas plus tard. « 15 minutes top chrono, je mérite une récompense. Et sinon, ils ont pris une grosse bouchée? » que je rigole, faisant référence aux loups qu’il mentionnait plus tôt, me déposant à sa gauche. Évidemment, j’ignore tout de la conversation qu’il avait précédemment, jusqu’à l’interlocutrice que je ne reconnais pas pour ne pas vraiment y avoir porté attention. « Tu sais que tu me fais l’effet d’un vrai James Bond là. Il ne te manque que le martini shaken not stirred et c’est réussi. » muet, il me semble tout sauf réceptif à mes quelques paroles enjouées et ce n’est que trop tard que je réalise enfin qui se trouve à ses côtés, et la mine qu’ils tirent l’un l’autre. « Oh… je… je peux revenir si vous étiez en pleine conversation. Je… ne voulais pas déranger. » et voilà que je préfère me décaler dans l'appréhension qu'en effet, ils avaient à parler.
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La réflexion d'Hannah l'avait hanté durant toute une partie du spectacle. Le regard qu'elle lui avait lancé, aussi. Et la façon dont son corps tout entier s'était raidi au simple contact de ses doigts sur son bras. Tout ça lui était revenu en tête chaque fois qu'un comédien avait repris son souffle, qu'un silence s'était imposé au milieu d'une pièce ou qu'un changement d'acte avait libéré ses pensées juste assez longtemps pour qu'il se remémore les derniers instants de leur échange. C'était comme si tout sonnait faux, ou presque, depuis ce dîner avec Nathan Siede où Saul avait eu l'impression – pourtant familière – d'être regardé de si tôt que même un tueur en série ou un strip-teaseur du dimanche se seraient sentis moins indésirables que lui au milieu de ce tableau pathétique. Et se dire ensuite que ce tableau était la vie que menait Hannah la plupart du temps, que pour elle les faux-semblants et les jugements silencieux faisaient toujours partie du décor, ça l'avait dépité encore un peu plus. C'est pour ça que ce soir, il ne voyait pas quoi lui dire qui puisse changer la donne, réécrire les derniers jours et gommer son impression de n'avoir sa place nulle part et surtout pas auprès d'elle. Pour ça qu'il avait voulu lui éviter sa compagnie, bien qu'il se soit trouvé injuste de bout en bout. Pour ça que maintenant que le spectacle touchait à sa fin et que les applaudissements du public venaient réchauffer légèrement l'atmosphère, il avait jugé bon de s'approcher d'elle. Il voyait bien qu'entre eux un fossé s'était creusé et n'aidait pas à ce qu'ils fassent un pas l'un vers l'autre. Hannah disait vrai, pourtant, elle était toujours là et sans doute cela prouvait-il qu'ils ne laisseraient pas leur histoire retomber comme un soufflé sorti trop vite du four. Et pourtant, lorsqu'il parla d'aller saluer Ginny et nota par la même occasion que la brune s'était offerte une compagnie d'être plus étonnante pour cette soirée, l'air se fit de nouveau irrespirable. Saul, stupéfait que ses yeux aient trouvé Jamie Keynes au milieu des invités, se risqua à une question qu'Hannah accueillit comme l'affront de trop. Pourtant, seules sa surprise et sa curiosité avaient parlé. Il ne l'avait accusé de rien, ne s'était pas méfié non plus. Alors, face à la colère de la brune, il resta interdit. Ses mots quittaient ses lèvres pour se jeter sur lui avec une agressivité telle qu'il n'eut ni le temps de la contredire, ni celui d'essayer de comprendre. A quoi bon. « Je n'ai jamais ... » Il tenta d'articuler, bien en vain, alors qu'Hannah avait déjà tourné les talons, pour ne pas l'embarrasser disait-elle. C'aurait presque été amusant, théâtral, si ça n'avait pas été purement ridicule, et triste. Triste, lui l'était en tout cas, bien qu'à cet instant ce soit surtout son incrédulité qui demandait à s'exprimer. « Ça, c'est la meilleure. » Et tentant d'occulter aussi bien la présence de Jamie dans ce théâtre que la réaction improbable et disproportionnée d'Hannah, Saul s'arma d'un sourire à peu près convaincant pour s'engouffrer parmi la foule et s'éviter d'être tenté de passer toute la soirée planqué dans les coulisses. On se pressait autour de lui, on l'accostait parfois. Et pourtant Saul se sentait comme un fantôme, glacé, au milieu de tout ce monde. Il lui fallut l'apparition de Ginny, juste devant lui, pour le dérider légèrement. Mais même là, la chaleur qu'il aurait voulu lui offrir se fit timide, tandis qu'il répondit à son étreinte. « Merci, je t'avoue que j'ai parfois eu un peu peur que le propos soit trop pessimiste et que certains dans l'assemblée soient tentés de se passer une corde autour du cou, mais on ne dénombre aucun blessé alors j'imagine que le défi est relevé. » Il plaisanta du mieux qu'il put, tenta de toutes ses forces de ne plus penser au reste, de ne penser qu'à elle et à ce petit moment qui agissait comme une bouffée d'air frais au milieu d'une soirée d'asphyxie. Mais Ginny crut bien faire en évoquant Jamie, et bien qu'il ait toujours apprécié sa franchise et ses bonnes intentions, ce soir le cocktail avait du mal à passer. Même, il ne passait pas du tout. « Ta révélation tombe trente secondes trop tard, je viens de l'apercevoir. » Il souffla, ses yeux ancrés dans les siens comme s'ils y cherchaient la moindre explication logique à cette situation. Mais tout ce qu'il voyait, c'était Ginny. Ginny qui connaissait toute l'histoire. Ginny qui l'avait laissé se confier à elle des mois en arrière, qui avait entendu ses regrets et compris quelle flamme l'avait incité à agir quand ça n'était pas si évident pour les autres. Ginny, qui ce soir lui envoyait un message brouillé en lui mettant sous le nez la dernière personne qui lui voulait probablement du bien. Un soir aussi important pour lui. « J'avais vraiment pas besoin de ça, tu sais. Et tu es naïve si tu penses que je suis celui des deux qu'il valait mieux mettre en condition pour éviter je-ne-sais quel drame. » Elle le connaissait pourtant, mais à vouloir se faire l'amie de tous et briller dans la vie de tout le monde, peut être finissait-elle par s'éteindre là où on avait le plus désespérément besoin d'elle. C'était ce soir l'impression qu'avait Saul quand il la voyait prendre ça avec cette douce légèreté qui contrastait si bien avec ce que lui ressentait. Ses félicitations faillirent réchauffer son cœur, pourtant, comme l'intervention d'Eli qui semblait toujours tomber du ciel au moment où sa présence était la plus désirée. « On est attendus en entrevue, mais ce câlin collectif me semble beaucoup plus cool en fait. » Un câlin auquel il prit part, malgré tout, et auquel il s'accrocha même de toutes ses forces comme pour ne pas se laisser définitivement avaler par ses tourments. « Si on ne se recroise pas parce que vous êtes trop occupés à multiplier les photoshoots, on s’organise un truc très vite, obligé! » Saul resta silencieux, résigné. Si la réaction d'Hannah l'avait désespéré un peu plus tôt, l'impression de se sentir comme un étranger aux cotés de Ginny lui brisait le cœur. Heureusement qu'Eli n'attendit pas après lui pour s'extasier. « C'est clair. 'Faudra bien qu'on te les dédicace, nos photos, de toute façon ! » Et se sentant entraîné par le comédien, Saul n'émit aucune résistance, lançant un dernier regard en direction de la brune. Il n'avait pas retrouvé la parole, pas plus qu'il n'avait retrouvé la motivation de se soumettre au petit jeu des journalistes. Ce soir, c'était trop lui en demander. « Saul, ça va pas ? » L'inquiétude d'Eli le tira de ses songes, et il put lire dans son regard qu'il avait senti quelque chose. « Ce regard que tu lui as lancé … c'était quoi ? » Du dépit, principalement. Rien qui pour l'instant se confonde avec de la rancœur, bien que le résultat ne soit pas bien différent sans doute. Saul poussa alors un soupire, las de ruminer comme si ça l'aidait. « Tu n'as pas besoin de moi pour l'interview, Eli. Tu sais quoi dire, tu y es préparé depuis toujours. Tu seras super. Moi, j'ai besoin d'une pause. » Et n'y tenant plus, il pressa ses lèvres sur la joue du comédien avant de s'éloigner, le cœur en miettes de le laisser alors qu'il était peut être la seule personne ce soir à vraiment se mettre à sa place, à vraiment comprendre ce qui se passait. Mais Eli était fort et probablement pas assez rancunier pour le lui faire payer éternellement. Saul marcha alors au milieu des invités sans autre but précis que celui de s'isoler pour un temps. Initiative bien vaine quand on comptait Vance parmi ses meilleurs amis. « Eh, Saul, viens un peu par ici ! Les amuses-bouches sont à tomber, je sais pas qui nous a commandé ça mais il s'est pas fichu de nous. » Dans un soupire, Saul se laissa convaincre de faire un rapide détour du coté du buffet, peut être pour ne pas faire que des déçus. Mais il déchanta rapidement une fois arrivé assez près pour noter la présence d'Hannah, de Jamie et aussi de Ginny – comprenant d'une part que cette dernière avait couru vers son cavalier d'un soir, et de l'autre qu'elle semblait comme lui avoir débarqué au beau milieu d'un échange chargé en tension. A la bonne heure, ce soir on ne sauverait décidément rien. « Je ne suis pas sûr de pouvoir avaler quoi que ce soit. » Il souffla discrètement à Vance, tentant tant qu'il le pouvait encore de rebrousser chemin pour partir dans la direction opposée. Mais son regard capta celui d'Hannah et il sut qu'il était déjà trop tard pour feindre de n'avoir rien vu, et subitement c'était le metteur en scène et le propriétaire du théâtre qui raisonnait. Alors il s'approcha lentement, restant consciemment à la même distance de Jamie que de chacune des jeunes femmes. Il était seul, après tout. « Ils sont capables de vous confisquer vos clés de voiture s'ils vous voient lorgner trop longtemps sur les alcools. » Ses mots s'étaient évanouis dans l'air, faisant presque passer sa confidence pour une pensée qu'il n'avait pas su garder pour lui. Pourtant son intervention était conscience, tout comme le fait qu'elle ait pu viser n'importe qui – y compris Hannah, qu'il ne voudrait pas voir rempiler avec ses vieux démons, même après ce soir, même après que son petit numéro l'ait fait grincer des dents. « Ils m'ont déjà fait le coup, je sais de quoi je parle. » Ironique, quand on sait qu'il avait en partie contribué à instaurer ce système. Mais il en aurait fallu plus pour le faire sourire, alors qu'il tendit une main jusqu'à une coupe de champagne, justement. Ça aussi, c'était plutôt ironique. Et pas seulement parce qu'il n'y avait rien, ou presque, à fêter.
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Hannah aurait dû partir, s’éclipser de cette soirée comme elle savait si bien le faire, talons dans une main, le coeur brisé dans un sac et le dit sac dans l’autre. Ça aurait été beaucoup plus simple. Pour qui ? Pour Saul ? Pour elle ? Ça sonnait faux même dans sa tête et pourtant, elle ne voulait plus faire semblant. Une réflexion qui venait d’elle et qui indiquait sûrement l’état de la brune ce soir. C’était trop même pour elle. Il était faux de croire qu’elle ne pouvait pas craquer et qu’elle pouvait continuer de porter sa couronne de reine des glaces en prétendant que tout ça ne l’atteignait pas. Peut-être que c’était le cumul de tout, la fatigue, le stress, la déception et la culpabilité qu’elle ressentait à chaque fois qu’elle posait les yeux sur Saul, la certaine lassitude et la fragile irritation qu’elle apercevait parfois dans les iris du metteur en scène. Si tout partait en éclat, si tout finissait par partir en éclat pour être plus précis, c’était bien qu’elle l’avait mérité, non ? Qu’il y avait une justice ou quelque chose de ce genre, quelque chose qui faisait qu’elle allait toujours mal réagir, toujours tout faire foirer et foncer volontairement dans le mur… c’était presque beau dans son sens, se dit la brune, ses doigts se refermant sur le verre d’eau minérale qu'on venait de poser devant ses yeux. Elle était tellement perdue dans ses pensées qu’elle n’avait pas remarqué qui se tenait juste à côté d’elle. Et dire qu’à une époque Hannah était capable de sentir la présence de ce brun-là avant qu’il n’entre dans son champ de vision. Les mots de Jamie lui firent l’effet d'une gifle contre sa joue et après avoir bu une longue gorgée de son verre, elle le reposa sans moindre mesure et lui adressa un regard acide. Il avait changé… c’était le vrai regard qu’elle lui adressait depuis… des mois et son coeur ne se souleva pas, elle n’eut pas envie de faire demi-tour, il ne se passa absolument rien, elle était juste Hannah, il était juste Jamie et il y avait juste des regrets dans l’air. Et visiblement, beaucoup de non-dits. Sa question en disait long, elle lui disait qu'il avait vu les quelques clichés d’elle et Saul dans cette presse qui un jour les avait adulés eux, peut-être qu’il avait lu quelques lignes et qu’il en avait tiré ses propres conclusions. « Pourquoi tu en as quelque chose à foutre mon grand ? » demanda la brune sur un ton qui se voulait joueur mais qui ne l’était absolument pas. Non, ça ne pouvait pas être ça la réponse qu’attendait Hannah, la brune ne pouvait pas se retrouver au même point que l’année dernière à lui parler et à se demander ce qui clochait. Les choses étaient différentes, elle était différente, elle ne songeait pas à rentre avec Jamie pour commencer, ce n’était pas du whisky qu’elle buvait et… il était seul. Désespérément seul, sinon comment expliquer tout ça, sinon comment expliquer le fait qu'il se retrouve là, à parler à la seule femme qu’il avait maudite pour les prochaines années à venir. « Ou alors je devrais te demander où est donc ta femme ou alors… » Un sourire, hypocrite et ironique se dessina sur le visage de la brune, tandis qu’elle poursuivait lentement, histoire de remuer le couteau dans la plaie. « Non… Mon dieu» Elle marqua une pause, inspirant et expirant dramatiquement, juste histoire de. « Ne me dis pas que Joanne non plus ne voulait pas de toi. » La brune passait volontairement sous silence la brève discussion qu’elle avait eu avec la blonde dans une galerie perdue de la ville il y a quelques jours de cela. Peut-être qu’Hannah n’avait pas voulu voir ce que Joanne essayait de lui dire, qu’elle et Jamie en étaient toujours là, là où elle les avait laissés, incapable de s’aimer correctement, sans blesser qui que ce soir au passage. « Oh je pourrais presque boire à ça… Sauf que je vois que tu as trouvé une autre brune de remplacement, charmant, on ne change pas une méthode qui marche si bien pas vrai ? » Ces mots furent lancés à la hâte, rien que pour le brun avant que celui-ci ne se fasse interrompre par Ginny. Hannah elle se contenta de fixer ses ongles, jusqu’à ce que Ginny remarque sa présence. « Non, tu ne nous déranges absolument pas, je disais juste à Jamie que j’admirais son choix d’accompagnement du soir… il a toujours eu du gout pour ce genre de choses. J’adore ta robe soit dit en passant Ginny… mais je vous laisse entre vous.» Ses yeux ne s’étaient attardés que quelques secondes sur Ginny, son regard lourd de sens posés sur Jamie, qu’il réplique, elle n’attendait que ça, elle n’était pas la même et Jamie Keynes n’avait jamais été en mesure de lui marcher sur les pieds, ça, ça n’avait pas changé. De nouveau accoudée contre le bar, Hannah capta enfin le regard de Saul et poussa un profond soupir, sa colère était toujours là quelque part, mais la brune savait que ce n’était qu’un moyen idiot de déguiser tout ce qui la gênait vraiment et tout ce qui l’attristait dans un sens. Plus rien ne serait plus jamais pareil non ? Avait-elle envie de murmurer rien que pour lui, certaine que personne d’autre ne comprendrait. Ou alors Saul se souciait un tant soit peu de son sort, d'où sa remarque. Ou alors c'était pour Jamie qui malgré son costume hors de prix et son titre, n'avait absolument rien d’un gentleman. « Pas de soucis à se faire, ils n’ont pas ce qu’il faut pour faire passer la migraine que je sens déjà arriver. » Remarque inutile ? Totalement, mais que serait vraiment Hannah Siede si elle ne se manifestait pas pour rien, y compris à ce moment-là, quitte à avoir mal, autant le faire avec le plus joli des sourires et ne pas laisser une seule larme venir ruiner son mascara. « Mais excellente soirée, hmm ? » lança t-elle à l’adresse du serveur avant de lui faire un clin d’oeil pour qu’il la resserve.
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Il existe une autre réalité dans laquelle ma bouche reste scellée et mes yeux rivés vers le fond de mon verre, ignorant Hannah de toutes mes forces en attendant que Ginny revienne de sa tournée d'embrassades pour me tirer de là, avoir le bon mot, et passer une agréable soirée. Et cela aurait pu s'arrêter là, nous nous serions contentés d'un de ces regards lourds de sens qui veulent à la fois tout et rien dire, peut-être un signe de tête pour la courtoisie, pour ce qui a été et qui ne mérite pas le même traitement que ce qui fait encore mal. Mais tout n’est pas si simple, rien ne l'est jamais à vrai dire, et ce n’est pas que de mon fait, celui d'Hannah, de Ginny, de Saul. La manière dont le monde nous ballote nous dépasse, de loin, et nous nous débattons avec nos armes. Ce n'est qu'un peu de peine qui glisse entre mes lèvres, un peu d'amertume, de rancoeur, une lourdeur sur ma poitrine qui revient de loin. C'est un souffle de trop, un murmure prononcé un peu fort qui s'accompagne d'une multitude de questions qui, elles, ne résonnent que dans mon crâne, encore et encore, comme un disque rayé. Comment ? Depuis quand ? Pourquoi ? Pourquoi lui ? La comédienne ne peut imaginer la nausée qui m’a secoué l'estomac en la voyant sur papier glacé au bras du voisin. À eux deux, et en un temps record, ils ont ébranlé ce qu'un homme possède de plus important, d'essentiel, tout ce sur quoi repose son monde, son mental ; son coeur, sa famille et sa réputation. Qu'ils sont bien assortis, eux qui ont marché, piétiné sur la peau de animal blessé. Je pourrais boire à ça. Hannah trinquera seule. Pour ma part, mon regard bas et ma mâchoire serrée par ses répliques moqueuses me réduisent au silence. Il n'y a rien à répondre à des attaques aussi basses. Tourner le couteau dans la plaie, voilà la stratégie ? D'une pitoyable lâcheté. Forcément, cela a l'effet voulu, et plus encore. Un peu de dégoût sur le bout de la langue. Se complaire de mon malheur, me mettre mes échecs sous le nez, je ne pensais pas que Hannah puisse tomber aussi bas. Dieu sait que je suis devenu un expert en chutes. J’ignore l'arrivée de Ginny. Habituellement ses remarques me feraient sourire, mais je n'affiche pas le moindre rictus. Je ne tique que lorsque je comprends que mon amie est liée de près à deux des êtres qui m’ont rendu au point où j'en suis. La vie est mal faite, hein ? Finalement je m'acoude au comptoir, tourne le dos à ma cavalière et me tourne vers Hannah, la toise, la dévisage, comme si cette personne qui quelqu'un s'était accaparé le corps de la Hannah qui fut un jour mon amie, mon amante, pour la résumer à l’automate sans saveur devant moi. “C’est tellement en-dessous de toi, ça. D'habitude je lance la pique ratée et tu relèves le niveau avec une envolée lyrique bien acide. Mais se contenter de mettre un peu de sel sur les plaies, vraiment ? Je suis déçu. Tu t’es ramollie.” Elle est sûrement trop bien pour se donner la peine de répondre avec plus de panache, si bien qu'elle me sert une Hannah bas de gamme. L’avantage des désillusions, c'est qu'elles vous démontrent que vous avez éprouvé des regrets pour rien. C’est un poids en moins sur la conscience dans un sens. Et je sais que ce n'est pas l’amour qui excuse ce que j'ai sous les yeux, elle ne manquait pas d'intensité à mon bras après tout. Son nouveau Jules fait son apparition, et le seul son de sa voix me hérisse le poil. Je l'entends encore me baver de fausses justifications pour son besoin de jouer au héros sur le sol du palais de justice. Je pourrais citer mot à mot sa manière de m'envoyer le faire aider sans avoir l’ombre d'une idée de ce dont il parle. “Toi.” je souffle d'une voix grave, las. Aucun sourire forcé, je ne perdrai pas de temps en complaisances avec l’homme qui a attenté a ma liberté, qui a craché sur mon nom afin que le reste du pays puisse faire de même. J’ai passé des heures à songer à ce moment, au jour où nous nous croiserons, s'il devait être inévitable. J'ai longuement réfléchi à ce que je dirais, ce que je ferais. Et maintenant, noyé dans tout le mépris que Saul m'inspire, rien d'autre ne peut traverser les lèvres qu'un soupir désabusé. Ne lui donne pas raison. Laisse son nez accroché à son visage. Mes yeux passent d'Hannah à Saul régulièrement. How perfect. “Well, ça l'aurait été si tu avais autant de goût en matière de cavalier qu’avant, mais je vois que tu te laisses aller dans les bras de n'importe qui.” dis-je finalement en haussant les épaules. “Pas besoin de roder, Masterson, je n’allais pas toucher à un seul de ses cheveux. Ni à ceux de Ginny d'ailleurs, j’ai cru comprendre que vous êtes des amis proches.” Un coup d'oeil par dessus l'épaule à la principale intéressée. Bien sûr qu'elle ne m'en avait rien dit. Pourtant elle savait. Je fatigue, je suis malade de ces personnes qui croient qu'elles peuvent jouer sur tous les tableaux. Pas de camp, pas d’avis ; bouche close, un sourire hypocrite, la réalité est qu'ils n’en pensent pas moins, seulement trop lâches pour l'admettre. Et je croyais que Ginny valait mieux que cela. Vas-y, prends sa défense, rapplique, dis quelque chose. Mets un point final à la traîtrise, que l'on arrache le pensement immédiatement. “Ça n’est toujours pas demain la veille de mon incarcération, désolé de te décevoir.” j'ajoute en levant les mains, toujours couvert jusqu'aux poignets, sans menottes, mais jeté depuis bientôt un an dans un tout autre genre de cage grâce à lui.
There are plenty of ways that you can hurt a man And bring him to the ground. You can beat him, you can cheat him You can treat him bad and leave him when he's down. But I'm ready, yes, I'm ready for you, I'm standing on my own two feet. Out of the doorway the bullets rip Repeating to the sound of the beat
La guerre froide, littéralement. Le vent glacial qui me prend de plein fouet, qui ne laisse rien au hasard, rien à sous-estimer. D’abord Hannah que je connais d’un autre monde, Hannah qui m’avait fait une bien drôle de proposition jadis, Hannah qui maintenant se promène au bras de mon meilleur ami en lui promettant support, amour, espoir. Je l’ai toujours regardé avec admiration, distance, mais respect, et voilà qu’elle pique, qu’elle coince, qu’elle brûle et que j’esquisse un pas en arrière, littéralement. Le choc me rappelle un peu trop le lycée et ces regards à la va vite, la remarque me renvoie directement là où j’avais juré ne plus jamais me retrouver. Et Jamie ignore, parce que Jamie a mal. Qu’il n’est pas dupe, et que je sais bien que de l’extérieur, les manigances que j’ai tout sauf mises en place volontairement pour le blesser, pour les blesser, lui donnent le plus assumé des haut-le-cœur. L’honnêteté dont j’ai fais preuve avec Saul me reste en travers de la gorge, soirée au goût de déception et de malaise qui risque de prendre encore plus en ampleur alors que Saul aboutit à nos côtés et que je sens déjà le début de la fin. Allez Ginny. Tu es extérieure à tout ça, tu as voulu bien faire, tu vois le bon en chacun d’eux, tu les aimes, tu les estimes et… tu t’es plantée, royalement. « Personne ne rôde, personne n’en veut aux cheveux de quiconque… » l’un grogne, l’autre assassine du regard, et j’ai perdu le fil alors que je refuse la coupe de champagne qu’un serveur me tend, ultime arme de destruction massive si on en abuse durant les prochaines minutes. « On ne pourrait pas juste… juste tous se souhaiter une bonne soirée et une bonne vie, et laisser aller ? Non ? » ma voix se casse. L’ambiance est trop lourde pour que mon humour de merde fasse le moindre bien, pour que je sauve quoi que ce soit. Mais j’avais à cœur d’essayer au moins, toutefois, ce n’est ni la mine désabusée d’Hannah, ni la nuque tournée de Jamie, ni le regard voilé de Saul qui risque de trouver écho à ma maigre tentative de détendre l’atmosphère. « Ok… » les bulles me feraient nettement envie si je n’avais pas cette sensation d’étouffer, cette gorge qui se serre de voir à quel point tout a si vite escaladé, comment le choix s’impose de lui-même. Chacun avait leur histoire, chacun m’en avait dit beaucoup, énormément sur ceux qui se trouvaient devant mes yeux. Si j’avais toujours réussi à jouer de l’objection, à rester impassible, à voir le bon dans chacun, à ne pas juger, non jamais, j’avoue que la situation se corse et est des plus difficiles à garder saine. Surtout que j’ai cette nette impression que peu importe ce que je peux bien dire, faire ou penser, mes interlocuteurs ont déjà leurs idées bien arrêtées, et sur ma présence, et sur ce moment, et sur une suite possible. Qui me terrifie, soit dit en passant. « Ça ne me semble pas être le meilleur endroit pour régler vos différents, et je suis probablement la dernière personne qui devrait y assister, ou même dire quoi que ce soit à ce sujet, alors je… » trop de personnel, trop de confidences, trop de secrets et trop de pression. Je me sens imposteur, je me sens traitresse, je me sens prise au piège et surtout, je me sens de trop. Je n’ose même pas imaginer comment chacun se sent en retour, justement. Une longue inspiration plus tard, et j’essaie d’attraper d’abord le regard d’Hannah, malgré le fait qu’elle n'en a sûrement rien à faire de ce que je peux bien avoir à lui dire au final. « Je suis désolée, Hannah. Que tu aies à vivre ça ici, comme ça. » devant public, alors que son amour d’avant et celui de maintenant me semblent un peu trop à vif, un peu trop amer presque. Ce genre de comptes devraient se régler en douceur, pour faire honneur au bon, au beau qui est né entre eux, jadis, et pour redonner souffle à toutes les promesses qui ont tout pour se mettre en place, maintenant. Mes prunelles se contenteront maintenant du dos de Jamie, qui se dérobe, qui refuse tout contact, qui en a bien le droit. « Je suis désolée, Jamie. Que tu te sentes sûrement bien trahi, que tu sois mis à rude épreuve là. D'avoir naïvement cru que de vous garder loin l’un de l’autre suffirait à ce que tout se passe sans heurts. » mes intentions étaient honorables - il s’en fichera. Et je le sais bien, je le sens jusqu’au fond de mes entrailles, des os jusqu’aux nerfs, de la tête au cœur. Il prônait la loyauté et la force, mes agissements puaient les secrets et la faiblesse. J’aurais beau jurer de toutes mes forces que je n’avais rien prémédité, autre que de m’assurer que chacun passe une bonne soirée, la soirée à laquelle ils avaient droit, il n’y verrait rien d’autre que le résultat final. J’avais été conne et naïve, j’avais été insensible et trop impliquée, et son silence ne me le confirme que trop. Un nouveau souffle – le dernier, et voilà que c’est à Saul que je m’adresse maintenant, ou du moins, ce qu’il en reste. Un simple coup d’œil dans sa direction me confirme qu’il est déjà si las, si fatigué, si défait que mon cœur ne se serre que plus fort. Comment est-ce que j’avais pu croire aussi stupidement que tout se passerait bien alors qu’ils avaient tous tant de bagages, tant de blessures en commun? « Je suis désolée, Saul. Que ta soirée ne se passe pas comme prévu, comme ça devrait. Que tu crois probablement que je t’ai joué dans le dos, que la confiance se soit envolée, avec raison. » mes excuses sont trop concises, et il me connaît bien mieux pour voir à quel point ce n’est pas suffisant, pas assez. Mais rester plus longtemps, parler plus longtemps, ne me donnerait que l’impression d’être encore plus inutile, impuissante, destructrice. Je préfère me retirer avant de faire une nouvelle gaffe, avant d’y laisser plus qu’il n’y paraît, plus qu’il me reste. N’avais-je pas juré me tenir loin de tout ce qui pouvait me retourner à ce point, le temps de mettre toutes mes forces du côté de mon fils? « Sur ce, excusez-moi. » j’évite de larmoyer devant eux, j’évite de leur donner cette impression dégeulasse et complètement injustifiée de victime avant de m’engouffrer dans la foule qui se dresse à nos côtés, et qui n’a probablement aucune idée de ce qui se trame au bar, de ce qui se joue là. Des amitiés, des amours, des gens et des âmes cassés, et l’une d’elle qui cherche un endroit où se cacher, où jouer à la lâche, où leur éviter la pitoyable personne que j’ai été face à eux, que j’ai pu croire être. Jouer dans la cours des grands, hen Ginny. Vouloir régler des mois et des années en un claquement de doigts, en une impulsion d’un monde de licornes et de paillettes dans lequel tu vivais peut-être par parcimonie. Les bonnes intentions ne sauveraient rien, jamais. Il fallait bien y voir l’évidence. Seule, appuyée sur une table non loin de la sortie, je profite de l’accalmie pour fermer les yeux un instant, le regret qui remonte. Pourquoi est-ce que j’avais abandonné Saul, Jamie? Pourquoi est-ce que j’étais venue? Pourquoi est-ce que j’y crois, encore? Je ressers les doigts sur la bandoulière de mon sac, luttant entre l’envie d’y retourner, de donner plus, plus fort, de ne pas m’avouer vaincue, d’espérer encore, et celle de fuir. De fuir, de me cacher, de ne plus rien tenter, tout ce que je touche ne tournant qu’à néant de toute façon. Mais une réalisation m’arrête dans mon mouvement, d’un côté comme de l’autre. Au fond de mon sac, j’ai toujours les clés de la voiture de Jamie, qu’il m’avait lancées à la va-vite plus tôt alors que j’avais décidé de laisser ma veste dans le coffre arrière, assumant la robe d’Eli un peu trop. Ça suffisait pour la confiance pour ce soir, ça suffisait et ça faisait mal.
There are plenty of ways that you can hurt a man And bring him to the ground. You can beat him, you can cheat him You can treat him bad and leave him when he's down. But I'm ready, yes, I'm ready for you, I'm standing on my own two feet. Out of the doorway the bullets rip Repeating to the sound of the beat
Il eut fallu d'un seul instant, d'une seule fraction de seconde à son arrivée près du petit groupe pour que Saul comprenne que cette soirée n'aurait plus à offrir qu'une suite désolante de piques et de regards assassins. Pas vraiment le menu qu'il imaginait pour ce soir. Pas vraiment l'ambiance dont il aurait rêvé pour cette première, cette soirée dont il aurait préféré se rappeler avec un peu de nostalgie plutôt qu'avec un pincement au cœur. Le pire étant sans doute de savoir que tout aurait pu être évité. Que cette rencontre, aussi inéluctable était-elle sans doute, aurait pu se passer bien autrement. Aurait du se passer bien autrement. Car c'était ce qui le clouait sur place, bien plus que la présence même de Jamie ou le comportement d'Hannah. Savoir que Ginny savait tout de ce que cette soirée représentait pour lui, tout de ce qui les avait opposés, tout de ce qu'il inspirait certainement à son ancien voisin. Car loin d'être pétris de haine, Saul savait en revanche tout le ressentiment qu'il avait du faire naître en Jamie. Après Joanne, le tribunal, maintenant Hannah. Pour peu qu'il s'imagine en plus que tout ça soit personnel, intentionnel, occasionné pour lui nuire. Ginny, elle, le connaissait mieux que ça. Mais visiblement pas encore assez pour avoir estimé qu'aucun d'eux, après les mois tous juste écoulés, n'avait besoin d'être placés l'un face à l'autre comme lors d'un combat de coqs. Il suffisait de voir sur quelle note Jamie avait choisi d'ouvrir les hostilités. « Une question de point de vue, j'imagine. » Saul souffla, certainement moins enclin qu'Hannah à user de réparties incisives quand la situation lui paraissait bien assez compliquée et l'air suffisamment irrespirable. La suite, pourtant, lui valut d'arquer un sourcil et d'esquisser un sourire sans joie. « Elles n'ont aucun compte à me rendre. L'une a déjà agi contre mon intérêt et l'autre n'avait de toute façon sûrement pas prévu de rentrer à mon bras. » Son regard alterna entre les deux concernées. Ginny n'était pas une amie proche, elle était plus que ça et depuis le premier soir. Seulement si cette fois les mots lui manquaient pour qualifier ce « tout » qu'ils formaient depuis cinq ans, c'était parce qu'elle l'avait heurté, bien profondément, bien plus que beaucoup qui s'y étaient pourtant essayés, durement. Hannah, elle, transpirait la rancœur et le besoin d'épater, de venger, d'atteindre. Jamie, Ginny, et lui aussi sans doute. Le tout cachée derrière un de ces sourires qu'il avait en horreur. Du faux, du factice, comme si l'épisode avec Nathan ne lui avait rien appris. Comme si le superficiel l'emporterait toujours quelles que soient les circonstances. Non, cette Hannah-là n'avait pas besoin de lui pour lui servir de faire-valoir, elle n'avait pas besoin de lui tout court. La voix de Ginny s'éleva tout près et il fut certainement attendri par son regard encore si innocent sur la situation. « Ginny a raison, si elle a réussi à oublier nos différends pour nous réunir à notre insu, pourquoi est-ce que ce serait si dur pour nous de faire de même ? » Il appuya, sans cérémonie, sans chaleur, et simplement parce qu'une esclandre ne serait dans l'intérêt de personne, et certainement pas le sien. Jamie semblait en forme, lui, prêt à en découdre ne serait-ce que par les mots, mais Saul ne le voyait pas comme un homme qu'il faisait bon défier sur ce terrain-là. En témoigne sa prochaine réflexion, portée par une allusion que le metteur en scène attendait. « Tu te donnes un peu trop d'importance si tu penses que mes journées se résument à attendre qu'on m'annonce ta mise en détention. » D'autant plus alors que Jamie se trompait, sur toute la ligne et depuis le départ, en l'imaginant vibrer d'impatience à la simple idée de le savoir derrière des barreaux. S'il avait fait de cette histoire une affaire personnelle, ça n'était ni contre lui ni contre Joanne. Tout ce que Saul avait toujours voulu, c'était que ce qui s'était produit ne soit jamais réitéré, sous aucun prétexte. S'il avait voulu lui nuire directement, irrémédiablement, il se serait arrangé pour témoigner, pour l'accabler, quitte à piétiner ses principes en achevant un homme à terre. Seulement il n'avait rien fait de tout ça. Il avait reconnu devant lui la précipitation dont il avait fait preuve, n'avait plus jamais voulu jouer le moindre rôle dans cette affaire et s'était même platement excusé auprès de Joanne. Alors non, il ne rêvait pas continuellement au jour on l'embarquerait, menottes aux poignets. Finalement Ginny reprit la parole, de sa voix qui contrastait avec la froideur, l'acidité du moment. Des excuses. Saul n'avait jamais souhaité en entendre de sa bouche, et pourtant ce soir un unique « pardon », un simple « je n'ai jamais voulu que tu aies l'impression de ne plus compter » sauraient gommer un peu de sa peine. Seulement les quelques mots soufflés par la brune le laissèrent interdit, mortifié pour de bon. C'était trop ou pas assez, mais ça n'était définitivement pas ce qu'il avait besoin d'entendre à cet instant. Elle parlait de cette soirée, mais croyait-elle que c'était ce qui lui laisserait un goût de gâchis ? La brune finit par s'éclipser, et il resta un moment à se demander quoi faire. Pourtant c'était évident. Il avait besoin de comprendre, et Jamie et Hannah de se parler, certainement. Peu importe comment, peu importe que ce soit constructif ou juste une façon de se déchirer en public, ça c'était leurs affaires. « Je crois que vous avez beaucoup de choses à vous dire, et que vous seriez mieux seuls. » Il prit alors congé d'eux, sans plus un mot ni un regard. Si sa place ce soir semblait de moins en moins dans ce théâtre, elle n'était définitivement pas près de ce buffet. Retrouvant la foule, il retrouva dans le même temps la chaleur des invités, de Vance, et de ceux qui n'avaient pas la moindre idée de combien tout ça sonnait tristement faux à présent. Alors il poursuivit son chemin, jusqu'à apercevoir Ginny, seule et atteinte elle aussi. C'était dur de la voir ainsi, même alors qu'elle l'avait blessé, heurté, en jouant avec ce qu'ils étaient comme avec trois fois rien. C'était dur parce que c'était toujours Ginny, et qu'il était toujours Saul. « Tout n'est pas de ta faute. » Le brun souffla alors, tout bas, au moment où il fut suffisamment près pour qu'ils échangent un regard. S'approchant, la mine effacée, il s'installa près d'elle. « Ce ne sera pas de ta faute si avec Hannah les choses en restent là. Ou si elle se rabiboche avec Jamie et finit par m'oublier comme elle croyait l'avoir oublié lui. » Parce qu'il n'était ni idiot ni complètement naïf, et qu'il avait su en s'approchant que l'atmosphère était trop électrique pour qu'il n'y ait vraiment plus rien. « Ce ne sera pas de ta faute s'il m'attend à la sortie pour m'en mettre une, comme il se retient probablement de le faire depuis le début de cette soirée. » Un sourire, maigre, parvint à gagner ses lèvres. Pas que l'idée l'amuse, mais le dramaturge qu'il était était forcé de reconnaître qu'un tel drame méritait bien une fin en apothéose. « Tout comme ce ne sera pas de ta faute si le spectacle ne reçoit pas que de bonnes critiques. Si l'on juge que certaines prises de risques étaient de trop. Ou si Eli me fait la tête parce que je l'ai laissé affronter seul les questions des journalistes. » Son cœur se pinça. Eli, c'était un peu comme leur enfant au milieu de tout ça. Un peu comme Caleb, Elliott et Lexie au milieu de son divorce. Celui qu'on voulait protéger, isoler de ce qui faisait mal. « Ce ne sera pas de ta faute, parce que cette soirée n'aurait pas été parfaite de toute façon. » Il avoua, tournant son visage vers le sien sans parvenir à vraiment lui sourire, à vraiment ignorer que ça n'était plus si simple à cet instant. « Ce qui est de ma faute, à moi, c'est d'avoir cru qu'il y aurait toujours nous deux, contre tout le reste. Contre la maladie. Contre Alzheimer. Contre les coups de blues et les jours sans. Contre l'adversité et la haine. Et que s'il ne devait plus y avoir quoi que ce soit de beau autour, au moins il y aurait toujours ça. » Et si ces quelques mots lui firent si mal, c'est précisément parce que du beau, il n'y en avait plus tant que ça dans sa vie. Il y avait bien ses enfants, il y avait bien le théâtre. Mais le reste se compliquait de jour en jour, alors qu'il ne parvenait pas toujours à sauver des relations qui comptaient pour lui. Patty avait choisi le clan de ses détracteurs, Maxyn mettait toute son énergie à le fuir, Hannah suivrait continuellement une route qui n'était pas pour lui. Et maintenant Ginny. Ginny qu'il n'aurait jamais pensé regarder avec ces yeux désenchantés, et l'impression de ne plus savoir ce que tout ça valait. « Tu as le droit de ne pas prendre parti, de jouer les objecteurs de conscience. Mais tu n'as pas le droit de jouer sur deux tableaux en espérant que sous couvert de bonnes intentions, ça ne blessera personne. » Sa voix se serait confondue avec un murmure, et pourtant il avait tenu à mettre une certaine dureté dans ses propos. Parce qu'il voulait qu'elle comprenne qu'on ne pouvait pas toujours être sur tous les fronts, de toutes les batailles, sans risquer de faire du tort à certains. Qu'en l’occurrence, il y avait rarement des choix sans sacrifices. « J'espère que ça en valait la peine. » Il finit par ajouter, la voix brisée et les yeux bordés d'une implacable émotion, alors qu'il les replongeait dans les siens. Il espérait qu'elle n'avait pas pris le risque de compromettre une amitié tournée vers son bonheur, vers son bien être, vers celui de son fils, pour quelqu'un qui la verrait peut être comme une parenthèse enchantée sans plus d'incidence sur sa vie. Il espérait qu'elle voyait dans le regard de Jamie la même lueur que celle qu'elle avait éveillé dans le sien, de cet amour qu'on inspirait à ceux qui s'oublieraient volontiers pour nous combler ne serait-ce que cinq minutes, nous soulager ne serait-ce que d'un demi-poids. Qu'elle serait tout pour lui, partout et toujours. Comme elle l'était toujours pour Saul, même désappointé, même le cœur en vrac. « Je devrais peut être y retourner. Tu restes ici ? » Il demanda tout bas, songeant que c'était ce que lui ferait volontiers si toutefois Jamie et Hannah n'étaient pas laissés (presque) sans surveillance là où il ne tenait pas à ce que survienne un drame. La simple idée d'y retourner, pourtant, suffirait presque à le convaincre d'aller donner ses fameuses interviews.
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À cet instant, je ne suis désolé pour personne. À dire vrai, je ne suis même pas désolé pour moi-même. J'ai cessé de l'être depuis longtemps, j'ai dépassé le stade de l'apitoiement tel que Ginny y avait assisté quelques temps plus tôt dans son atelier. Jamais ne me suis-je laissé ralentir bien longtemps, et si Joanne avait décidé qu'elle irait de l'avant avec quelqu'un d'autre alors il n’existait rien pour me tirer vers l'arrière. Sauf Daniel, ce qui est une autre paire de manches. De même, je n’ai nul espoir de récupérer un jour Hannah, je ne souhaite même plus lui plaire ; l’amertume doit quitter mon coeur et s'étaler sur son visage afin que je puisse repartir plus léger, après avoir enfin eu l'occasion de la revoir et de lui montrer, pour son plus grand plaisir à n'en pas douter, les cicatrices qui restent, les brûlures de cigarettes, les griffures dans mon dos. Car elle devait savoir. Mon moteur à toujours été à base de colère bien plus que de peine. Même si cela s'avère souvent destructeur, autant pour mon entourage que pour moi-même, c'est à mes yeux une impulsion bien plus puissante que la tristesse. La colère vous fait regarder l'obstacle dans les yeux et cracher ce que vous avez sur le coeur ; une décharge puis le volcan s'apaise, et malgré tous les dommages collatéraux qui n'ont rien d'idéal, au moins, le problème avance, l'abcès est percé, il n’est aucun demi-mot, aucune hypocrisie ; la colère est transparente, bien que sauvage, brut. J’opte pour ce feu face à l'ennemi, au nombre plus élevé que je ne l'aurais pensé ce soir. Plus que l'existence même de Saul, plus que la présence d'Hannah, la tactique de Ginny est pour moi le plus grand coup de poignard dans le dos. Et à l'instar d'autres traîtrises, celle-ci me rend le simple son de sa voix insupportable. Entre l'un qui pense que son arrivée comme un cheveu sur la soupe arrangerait l’ambiance d'une quelconque manière et l'autre qui ose seulement penser qu'il est possible de tout bonnement mettre nos différends de côté, ces deux là se sont bien trouvés également. “J’ai tendance à ne pas oublier lorsque deux personnes me poussent d'une falaise, dis-je en observant Saul et Hannah sans prendre la peine d'émettre des accusations plus subtiles. À eux deux, et non sans l'aide de mes piètres décisions, ils ont tout ruiné. Et désormais il ne reste plus rien de la vie que j'avais avant leur passage. Mais je suis sûrement trop rancunier, vous avez raison, nous devrions tous nous prendre dans les bras.” Bien sûr, comment s'attendre à ce que qui que ce soit ici puisse comprendre par quelle tempête je suis passé, et comment il me faut aujourd'hui rebâtir quelque chose à partir de ruines. Bien que nous ayons sûrement chacun nos difficultés, nul ne peut véritablement se mettre dans la peau de l'autre. Personne ne peut véritablement savoir quelles sont les blessures de l'autre et l'ensemble du spectre si complexe de son existence. Je ne demande pas que l'on me plaigne, sûrement pas. Mais je ne peux pas oublier. Je ne peux pas détourner le regard. Ces personnes m'ont mis à genoux, et s'il est un jour où je peux leur rendre la pareille, je leur arracherai, à eux aussi, absolument tout ce qu'ils aiment, leurs repères et leur nom, jusqu'à ce qu’il ne reste que des cendres desquelles tenter de renaître. Je n'oublie pas. Jamais. Mes paroles sont acides, mon regard assassin, et si je suis ici afin de tous -tous- les mettre face à l’animal blessé qu'ils ont piétiné, de plein gré ou malgré eux, celui qui n’hésite pas à l'ordre pour se défendre et se venger, ce n’est sûrement pas grâce à Saul qui avait l'intention de me mettre en cage. Sa repartie d’adolescent me fait lever les yeux au ciel ; je serais bien plus reconnaissant qu'il m’oublie et sorte définitivement de ma vie plutôt qu'il ne songe qu'à me faire piquer, mais je suppose qu'il lui fallait cet argument afin de me faire passer pour le bully -mais cela ne le fait que passer pour un sombre idiot. “Oh non, je pense que tes journées consistent à attendre toute opportunité de passer pour le gentil garçon pris dans la tourmente malgré lui comme… Dorothée dans la tempête. Alors que tu n’es qu'un insipide et hypocrite parasite qui provoque et attire la merde qui lui tombe dessus.” Qu'il m'étiquette comme le méchant s'il le veut, qu'il joue au héros ; il peut duper une personne qui ne voit que le bon en toute chose comme Ginny, il peut faire illusion auprès d'une autre qui n’aspire qu'à satisfaire son besoin compulsif d'être la reine de quelqu'un comme Hannah, mais pas moi. Il ne me pissera pas sur les genoux en essayant de faire croire qu'il pleut. “Tu vois, je sais admettre que tout n’est pas à propos de moi.” j'ajoute avec un haussement d'épaules. Et pour être tout à fait honnête, je me fiche que cela ne soit ni le moment ni le lieu adéquats pour régler des comptes. Cela ne le sera jamais, n'est-ce pas ? Alors autant saisir l'occasion lorsqu'elle se présente. Quant à Ginny, il serait en effet préférable qu'elle prenne congé. Le mal est fait, son rôle est joué à la perfection ; celle qui devait appliquer à la perfection l'expression l'enfer est pavé de bonnes intentions. Stoïque, lorsque vient mon tour de recevoir une petite tirade consensuelle, miaulé mielleusement, je rejette toute possibilité de pardon ; je peux pardonner un triste concours de circonstances, je peux pardonner la maladresse et le mal fait sans l'avoir souhaité, même les choix menant à des erreurs qui laissent des égratignures. Mais Ginny a pris une décision en venant ici, calculée ; elle s’est préparée pour ce soir en mettant au point un petit plan idéaliste selon lequel il suffirait de nous mettre chacun dans un coin de la pièce comme des enfants. Elle savait, elle avait conscience de tout, et surtout des conséquences si nous nous rendions compte de la supercherie. Cela est son fait, le sien uniquement. Il n’y a pas de maladresse, de hasard, et il n’y a même pas de stupidité qui puisse la dédouaner un peu. Alors il n’y a pas de pardon. “Garde tes excuses.” je siffle sans lui adresser un regard. Dieu sait à quel point je déteste entendre une personne être désolée. C'est si facile, d'être désolé. Mais agir en conséquence de ses erreurs est la seule manière de se racheter. La fuite est, à mes yeux, l'ultime stratégie du lâche. Alors j'observe Ginny partir non sans dégoût, et Saul la suivre, non sans le soulagement de ne plus partager le même air. Quant à Hannah, nous échangeons un long regard, le silence entre nous empli par toutes les conversations tout autour, de ces personnes qui ne se doutent pas de ce qui se joue sous leur nez. Finalement, elle souffle, empoigne sa pochette et tourne les talons à son tour. Pas un mot, pas une émotion ; une reine des neiges partie rejoindre le froid, le prix de la liberté (allez, celle-là c'est cadeau). “Vraiment ?!” Je soupire, je ne devrais pas être étonné pourtant. Personne ici ne mérite mieux que le dos tourné d’Hannah Siede, ni moi, au nom de ce que nous avions, ni Saul, au nom de quoi qu’ils aient -ou pensent avoir. Alors seul, je retrouve ma place au comptoir du bar, là où mon verre m’attend toujours. Mes lèvres trempent dans le whisky que je n’apprécie pas plus que cela, mais la brûlure de l’alcool ambré est la bienvenue. Généralement, je parviens à me dire que les choses arrivent pour une raison ; ce soir, hormis me rappeler à quel point je peux me sentir seul, tout m’indique que cette soirée n’est qu’un immense gâchis pour chacun d’entre nous, une mauvaise plaisanterie, une méchanceté gratuite de la part de la vie. Et cela me rend las. Du coin de l’oeil, je devine la silhouette de Saul qui fait son grand retour, mais pas de champ de bataille où intervenir pour jouer au héros ; seulement moi. “Elle est partie.” dis-je en terminant la dernière goutte au fond de mon verre. Je me souviens lui avoir souhaité bon courage avec la comédienne lorsque nous étions au tribunal. Il était évident qu’il n’avait pas ce qu’il fallait pour la dompter. S’il y a de l’eau dans le gaz entre eux, je suppose que nous pouvons appeler cela le karma. Oh, Ginny s’occupera de lui tapoter le dos. “Et il est temps que je fasse de même.” j’ajoute en me décollant du comptoir, le corps et le coeur encore lourds de rancoeur. Une partie de moi sait que rester est une mauvaise idée. Cela engendrerait forcément un nouveau désastre. Or, bien assez de mal a été fait ce soir, en quelques paroles échangées. Je finirais par exploser, par perdre la tête ; il est insupportable d’être en présence de visages qui représentent les blessures passées, et en ouvrent de nouvelles. Oui, une partie de moi rêve de froisser les côtes de Saul sur le parking et d’écraser ses dents sur le bord d’un trottoir, ne serait-ce que pour lui donner une idée de la manière dont je me sens molesté depuis des mois, pour un juste retour des choses. Je serre les dents, tentant de respirer malgré l’étau qui serre ma poitrine. Un billet lâché au barman, je fais volte-face devant Saul. “Je ne dirai pas que je suis désolé pour la tournure qu'a prise la soirée, parce qu'une petite première gâchée ne nous rend absolument pas quittes.” Non, il s’en sort. Je n’aurais sûrement jamais une bribe de justice pour ce qui m’a été pris. Ginny se fait petite, avec raison. Malgré mon immense déception, j’ai aussi de la peine ; celle d’avoir la sensation de perdre une amie au profit d’un homme qui m’a déjà tout confisqué. Le tout se masque derrière un regard froid, un visage fermé. Elle n’a plus rien de spécial. J’aimerais récupérer toutes les confessions que je lui ai faites et qu’elle a trahies ce soir, j’aimerais effacer tout ce qu’elle sait, tout ce qu’elle a vu, et enfin, tirer un trait sur mon affection pour elle. Qu’elle soit un fantôme supplémentaire. “À moins que tu aies d'autres mièvreries à dire pour m'en dissuader, ce dont je doute, j'aimerais récupérer mes clés de voiture. Je te laisse aux bons soins de ton ami.” dis-je, main tendue vers elle, non pas pour prendre la sienne comme je l’ai souvent fait, mais attendant mon bien. e moyen de me sauver, le plus loin possible d’eux, là où l’air est respirable, où je trouverai peut-être du courage pour demain.
There are plenty of ways that you can hurt a man And bring him to the ground. You can beat him, you can cheat him You can treat him bad and leave him when he's down. But I'm ready, yes, I'm ready for you, I'm standing on my own two feet. Out of the doorway the bullets rip Repeating to the sound of the beat
Et elle part. Je vois Hannah qui ravale, qui pince les lèvres, qui attrape sa veste, qui se barre lâchement. La ressemblance est trop frappante, le retrait trop pitoyable, et c’est une bien piètre tentative mais j’essaie tout de même. Pas question que je sois comme elle, pas question que je les abandonne derrière, peu importe comment ils le prennent, comment ils me prennent. Ni Saul ni Jamie n’a envie que je revienne, pourtant il me semble maintenant impossible de baisser les bras si tôt, de dire adieu à ce qui se construit d’un côté, et à tout ce qui a été fait de l’autre. Il doit y avoir moyen, il doit y avoir quelque chose, quoi que ce soit, qui puisse les raisonner, égaliser, calmer au moins. Jamie n’allait pas bien, Jamie était au fond, au creux, sans issue, et Saul se retrouvait au beau milieu de la guerre froide, de laquelle j’aurais voulu, j’aurais dû le protéger dès les premières secondes. J’aurais dû les protéger. Et je me lève alors que la silhouette de l’autre brune s’évapore, regain de confiance qui me vient de ce week-end à Southport, qui me rappelle ce défi d’oser, de poser mes marques, d’arrêter de me tapir, de bouger, d’agir. Agissons, donc. À peine aie-je fait quelques pas que Saul se détache de la foule, attrapant mon regard, m’immobilisant sur place. Notre première dispute, notre première cassure. J’ignore ce qui fait le plus mal, entre l’idée surfaite que rien ne nous atteindrait, jamais, et qu’on vient de terrasser en quelques échanges seulement ou ce regard qu’il arbore depuis que le nom du Keynes a franchi mes lèvres il y a trop longtemps déjà, mais ni l’un ni l’autre n’arrive à me laisser bon présage, confort. Immobile, désuète, j’assiste à son entrée en scène lasse, pieds qui traînent, mâchoire serrée. « Saul, je… » j’ai espoir, j’ai espoir parce que je l’aime de tout mon cœur et au-delà, mais surtout parce qu’il est plus fort que ça, parce qu’il me connaît mieux que ça. Ce qui est de ma faute, à moi, c'est d'avoir cru qu'il y aurait toujours nous deux, contre tout le reste. L’effet est instantané. Le souffle me manque, je fais un pas vers l’arrière, le bruit du bois qui claque, les sourcils qui se froncent. Comme s’il parlait une autre langue, comme s’il était embué, comme si rien de ce qui pouvait bien avoir été cité n’avait d’importance, comme si d’un seul coup, tout ce à quoi il se rattache justement ne valait plus rien, que dalle. « Je ne joue pas. Je n’ai jamais joué. J’ai toujours été honnête avec toi. Pas parfaite, surtout pas, mais honnête. » Jamie me le remettrait entre les dents s’il l’entendait, parce que j’avais été injuste avec lui, parce que j’avais cru à tort que les séparer suffirait. Mais Saul… Saul l’avait su dès le départ, Saul était au courant de ce vieux lien qui s’était créé entre Jamie et moi, et Saul savait aussi, justement, à quel point nos relations étaient différentes, à quel point rien n’était comparable. Et pourtant… et pourtant, ça. « Ça n’en vaut pas la peine, non. Ça ne vaut pas la peine de croire qu’un jour lui autant que toi verrez ce que je vois d'autre en chacun de vous. Apparemment, ça ne se réduit qu'à ce que vous vous êtes fait tous les deux, en attendant la prochaine ronde. » je n’avais jamais dit mot sur ce qui avait bien pu être fait d’un côté comme de l’autre. J’aimais à croire que ce que j’avais vu des deux hommes était ce qu’ils étaient vraiment, que le reste les regardaient, qu’il s’agissait d’une situation qu’ils règleraient entre eux, qu’ils ne sombreraient pas dans le cliché d'une bande d’adolescents où on doit choisir son camp dès la rentrée. À croire que je me retrouverais à manger seule à la table de la cafétéria comme jadis. Ils devront régler leurs comptes une bonne fois pour toute, par pour moi, jamais pour moi, mais pour eux. Comprendre que la rancune, que la rengaine, que la haine n’apporte rien, n’apprend rien, si ce n’est qu’elle aide à toucher encore plus bas, à se faire encore plus de mal, à l’attirer. Mais soit, ce ne serait pas ce soir, ni dans cette vie semble-t-il. « Et je ne te demande pas d’approuver tous mes choix, jamais je n’oserais. Autant que je n'approuve pas tous les tiens, parce qu'ils t’appartiennent. » si j’étais passée maître dans l’art de gaffer, Saul avait lui aussi au compteur quelques belles bévues qui lui avait apporté son lot de tristesse et de déprime. J’avais tenté du mieux que j’avais pu d’être là à tous moments, de le supporter, de ne passer aucun commentaire, aucun jugement, rien. Même lorsque l'infidélité était venue sur le sujet. Même lorsqu'Hannah était débarquée, sortie du monde duquel on voulait tant s'exiler lui et moi, à une époque. Je ne m’en donnais pas le droit, sa vie étant la sienne, mon support et mon écoute étant à mes yeux les deux seules choses utiles et pertinentes que je pouvais lui offrir. Mais lorsque cela marchait dans l’autre sens, lorsqu’il n’approuvait pas mes décisions, où était-elle cette même liberté? Cette ouverture? « Qu’est-ce qui se passera, la prochaine fois? Que quelqu’un que tu n’apprécies pas sera mon ami? Je devrai regagner ta confiance, te prouver que je ne suis pas assez sotte pour me faire manipuler, te choisir envers et contre tout? » j’accroche mes iris aux siens, ma voix est douce, tout sauf agressive. J’essaie simplement de comprendre ce qui pourrait advenir de la suite, s’il souhaite bien en voir une. Qu’il remette en doute notre amitié complète pour une erreur stupide, pour une pensée magique me retourne plus que je ne l’aurais cru, et voilà que je remets en cause tout ce que je pourrai faire par la suite, chaque fois que ce ne sera plus nous deux contre tout le reste à ses yeux. « Parce que c’est implicite Saul. Ça l’a toujours été. Je n’aurais jamais pensé que tu puisses même en douter. » Et c’est Jamie qui se poste à nos côtés, toujours aussi noir, toujours aussi amer. Je ne supporte plus la négativité, je ne supporte plus les accusations même pas voilées, le sarcasme, la cruauté. « Vous deux, vous avez beaucoup plus en commun que ce que vous pouvez penser. » je laisse aller, dans un soupir. Oui, j’ai merdé. Oui, j’ai le poignard des bonnes intentions qui me brûle les doigts, et oui, Jamie n’est pas dans son état normal, il crache et il rage, il brûle et il pique, et un jour il se calmera. Un jour ses prunelles brilleront à nouveau. Un jour il sera heureux, il aura fait la paix avec tout ça, il aura mis un point à ces actions qui le hantent, à ces comportements qu’il n’a pas encore acceptés. Mais ce ne serait pas moi qu’il viendra voir ce jour-là. Malgré tout l’amour que je peux lui tendre, malgré toute la confiance que je peux avoir en lui. J’en ai la certitude lorsqu’il finit par s’adresser à moi, par me regarder, ne plus me voir, tendant la main pour que je lui rende ses clés. Elles tintent au fond de mon sac, elles trouvent leur place entre mes doigts puis les siens, dernier contact, dernière chance. Il se recule, force à ce que je capitule. Il a besoin de temps, ils ont besoin de temps. « Non, tout a été épuisé déjà, tout a été dit. » je ne peux plus voir ce que je pourrais ajouter de plus pour me justifier, pour m’excuser, pour les calmer même. « Et même si, est-ce que ça changerait quelque chose, vraiment? Maintenant? » j'ai envie de crier, d'hurler, de le garder, de le convaincre de rester. J'ai envie d'agir, d'oser, qu'il le voit, qu'il le comprenne. Il n'a envie de rien. Rien à mon bénéfice ici, il ne s’agit que d’eux, ils restent les seuls qui comptent, là, de suite. Et pas seulement pour moi. « Ils vous appellent, par là. » apparemment, les visites des loges et des coulisses se dérouleront dans quelques minutes, pour les médias. On crie aux journalistes de se ranger d’un côté, à la troupe de l’autre. Et on associe divers artistes aux critiques. Le ridicule de la chose va même jusqu’à nommer Jamie qui est associé au groupe mené par Saul, et je n’ose même plus lever la tête dans leur direction. Il y avait définitivement quelqu’un qui surveillait tous nos faits et gestes pour s’en moquer jour et nuit.