| jamirene + come with me now |
| | (#)Lun 14 Aoû 2017 - 13:50 | |
| « Oh. » Je lâche alors que la porte s'ouvre sur une Irene sublimement apprêtée, quasiment prête à aller serrer la main de la Reine. Face à elle, malgré la veste de costume qui permet de respecter le dress code de la tenue correcte exigée pour l'occasion, je ressemblerais presque à un fier représentant de la middle class tentant de viser bien plus haut que sa ligue. Mais même si Irene n'y est peut-être pas encore habituée, nous ne sommes plus à Londres, et encore moins au milieu des aristocrates. Notre titre ne veut pas dire grand-chose ici, et ce n'est pas la seule chose qui perd son sens lorsque l'on s'installe à l'autre bout du globe. « Tu sais, quand la Mairie de Brisbane parle de ''bal des pompiers'', ce n'est pas vraiment un bal. » dis-je avec un sourire amusé, et essayant tant bien que mal de ne pas la froisser, car pour toute autre occasion j'aurais été absolument ravi d'avoir une créature aussi belle à mon bras, mais pour ces soir, je crains que l'un de nous ne se sente ridicule pendant la fête -et cette personne n'est pas moi. « Tu es beaucoup trop Lady like, on va arranger ça. » Je prends sa main et lui fait faire demi-tour. Je fais comme chez moi, je connais le chemin, et j'avance droit vers son dressing où il doit bien se cacher une tenue plus appropriée. Même si je suis désormais à la tête d'un magazine pour hommes, je pense pouvoir dire que je n'ai jamais manqué de goût pour conseiller les femmes également, et en tout cas Joanne ne s'est jamais plainte de ce que je lui mettais sur le dos. En une dizaine de minutes de fouilles, je tire des armoires une robe courte noire, et même s'il s'agit de la couleur que j'affectionne le moins au monde, avec les bons accessoires, il y a moyen que cela fasse parfaitement l'affaire. Comme je disais, après tout, nous n'allons pas serrer la main de la Reine. Une fois Irene changée, je défais un peu ses cheveux trop soignés, l'observe, juge le résultat satisfaisant, puis je reprends sa main et la fait monter en voiture. La salle des fêtes est un lieu ridiculement modeste en comparaison à tout ce que nous connaissons, même s'il faut reconnaître tous les efforts qui ont été mis par les organisateurs de la soirée pour que tout ceci ne ressemble pas au rassemblement semi-annuel des ploucs de la ville. Je me dis que au moins, ici, il n'y a pas d'apparences à tenir, pas de masque à porter, pas d’ennuyantes conversations à alimenter, pas de faux rires. D'une certaine manière, ce genre d'événement bien plus modeste que les galas auxquels nous sommes habitués paraissent bien plus vrais, et l'amusement authentique. La nourriture est sûrement ignoble, les cocktails à pleurer, la musique un brin ringarde, mais il suffit de cesser de se prendre trop au sérieux pour quelques heures, oublier d'où nous venons, nous rappeler que, ici, personne n'exige quoi que ce soit de nous. Et peut-être sera-t-il possible de passer un bon moment. Je devine la moue un peu lasse de mon amie qui semble tirée là contre son gré, et je ne lui en tiens pas rigueur. Mais avant que nous entions, je la prends doucement par les épaules, capte son regard et lui souris affectueusement ; « Ecoute. Je te propose qu'on oublie nos deux énergumènes briseurs de coeurs pour la soirée. Ce n'est que nous deux, une bonne dose de musique païenne à un niveau de décibels outrageux et des verres d'alcool à brûler à volonté. D'accord ? » A vrai dire, Irene n'a pas le choix, et je compte sur sa bonne volonté pour au moins essayer de laisser tous ses tracas à l'extérieur de cette porte. « Et si nous pouvons rentrer en taxi, ce sera encore mieux. » j'ajoute en l'invitant à entrer. Tout ici ressemble à un bal de promo et j'en ris doucement. J'ai l'impression de faire un bond dans le temps, sans savoir si cela me si cela me fait sentir plus jeune ou soudainement bien vieux. La piste de danse n'est pas encore bien pleine, sûrement le sera-t-elle bien plus aux alentours de minuit, lorsque tout le monde ici en sera à son troisième ou quatrième verre. Voilà une bonne idée ; le bar. Je nous prends deux boissons, tends la sienne à Irene et trinque avec vos très élégants verres en plastique. « A nous. » |
| | | | (#)Dim 20 Aoû 2017 - 11:39 | |
| Elle l'entend arriver bien avant que le carillon de la sonnette ne retentisse dans la villa. Le crissement des pneus de sa voiture sur les graviers de la cour appartient désormais à la catégorie des bruits familiers, de même que le son de ses pas qui résonnent dans l'allée. Irene descend les escaliers aussi vite que ses talons le lui permettent. Les dix centimètres qu’elle gagne, pas un de moins, pourraient menacer son équilibre si elle n’était pas autant habituée à passer sa vie dans des tenues de ce genre. Ce soir, la Lady exulte. Elle se sent et se sait belle. Dans sa robe longue signée Chanel, elle ne peut s’empêcher d’attraper son propre reflet dès qu’elle passe devant un miroir. Ça fait tellement longtemps qu’elle attend une occasion pareille ! L’Australie lui offre de merveilleux moments mais oublie de la gratifier des évènements qu’elle a toujours connus : galas, bals, réceptions. Ses belles robes prennent la poussière dans son dressing, au profit de tenues plus citadines, moins nobles. Alors quand Jaime l’a invitée au bal des pompiers (quelle drôle d’idée d’ailleurs, depuis quand les pompiers avaient-ils un bal ?), elle n’a retenu que la première partie de l’événement… et s’est apprêtée pour l’occasion.
Elle ose même une révérence en l’accueillant, rieuse, ravie de voir les yeux de Jamie s’illuminer face à elle… avant de déchanter. « Comment ça, pas vraiment un bal ? Je te signale qu’on n’est jamais assez ladylike, mon cher. » rétorque-t-elle en haussant les sourcils. Elle suit son ami à contrecœur, qui ignore bien volontiers ses protestations, tandis qu’il s’engouffre dans son dressing. Irene se pose à l’entrée, s’appuyant sur l’encadrure des portes coulissantes, croisant les bras et affichant volontairement sa moue la plus ennuyée. Il trie ses robes sous le regard amusé de la maîtresse de maison – il y en a un certain nombre. « Franchement, c’est ridicule, ils n’ont qu’à pas appeler ça un bal si ce n’est pas un bal. »
Lorsqu'ils émergent enfin du 50, Bayside, ils forment une paire certainement mieux assortie. Pendant le trajet, Irene réalise à quel point elle est contente de se trouver avec lui en tête à tête pour une soirée. Victor travaille, Jonathan est dieu sait où, et elle compte bien oublier tous ses soucis. Elle se sent toujours coupable d'avoir été si rude avec Jamie la dernière fois qu'elle espère bien pouvoir lui permettre de profiter pleinement de la soirée, en guise de pardon.
La salle des fêtes lui donne l’impression d’avoir littéralement débarqué dans un nouveau monde. Non, ce n’est décidément pas un bal. Mais le regard rassurant de son ami à ses côtés la détend un peu. Même si tout lui paraît d’un absurde manque de goût – la décoration, le buffet, la musique, la disposition des tables, and so on – elle se saisit gaiment du verre que lui tend son cavalier, sans même savoir ni demander ce qu’il continent. Il y a un an, elle est arrivée pour lâcher prise. S'il doit avoir un aboutissement à cet effort, c'est bien celui-ci ! « Tu as raison. C’est la première fois que je bois dans un verre en plastique et que j'inaugure ce genre de… soirée, alors, à nous ! Et à cette expérience, » finit-elle avec un clin d’œil. La salle se remplit doucement, et elle se demande à quel moment ils seront inexorablement attirés vers la piste de danse.
« Alors, comment ça se passe à GQ ? J'ai acheté le premier magasine qui est paru sous ta direction, tu as l'air de t'en sortir à merveille. » |
| | | | (#)Ven 25 Aoû 2017 - 18:00 | |
| Pour le peu de fois où je me suis rendu aux soirées étudiantes, dans la période Cambridge de la vie, je dirais que cette soirée en avait des airs qui me rendraient presque nostalgique. Je me laisse assez peu ralentir par des regrets accrochés à mes pieds, mais cela enfin fait partie ; ne pas avoir assez profité de ces années là. J’aurais pu en faire les années les plus simples de ma vie et n’en garder que de bons souvenirs. J’aurais pu m’évertuer à me faire des amis, et vivre, tout simplement. Et ce sont des années qui ne se rattrapent pas. Ce n’est pas à plus de trente-cinq ans que j'apprendrai le beer pong. Cela n’est pas ancré dans les traditions de nos bonnes familles. Je ne m’ennuie pas des galas londoniens ; j'en retrouve des éléments de repères ici, à Brisbane, avec cette pointe de liberté supplémentaire qui fait la différence. Je me sens de toute manière bien plus à ma place ici que je ne l'ai jamais été en Angleterre, et je ne leur tient pas rigueur des bals qui n'en sont pas. “Si jamais c'est trop traumatisant, je sais qu'il y a une soirée pleine de belles personnes au Hyatt dans le centre-ville.” dis-je en prenant un plaisir certain à me moquer de nous-mêmes. Nous sommes tels que nous sommes malgré nous, tels que nous avons été pensés et forgés à l'autre bout du monde. Nous avons cet accent, nous avons cette posture qui hurle “je ne suis pas des vôtres”. Surtout Irene. “On a qu'à trouver un code, tu sais, un mot d'alerte. Quelque chose de discret, comme God save the Queen.” j'ajoute avec un sourire discret qui suffit à trahir la plaisanterie sur mon visage sérieux. Et j'ai cette vision de la belle brune au bord de la crise de nerfs, commençant à réciter l'hymne anglais au milieu de la piste de danse en attendant que je la tire de cet endroit pour la mettre dans la voiture avec un thermos d’Earl Grey de secours.
Toujours si polie, Irene prend le pouls de mes premières semaines à mon nouveau poste. Je ne doute pas qu'elle ait sauté sur le premier numéro qu'elle ait trouvé avec une petite dose de fierté. J'espère qu'elle parle bien du numéro dont je fais la couverture pour mon arrivée, et qu'il est soigneusement encadré quelque part chez elle. “C’est gentil. Je compte sur toi pour tous les acheter à partir de maintenant.” Je lui épargne le discours commercial à propos de la formule d’abonnement à l'année, je doute qu'elle ait besoin du moindre argument. Je soupire ; ce travail devait être un pique-nique, finalement je bataille, mais il n'est pas question d'inquiéter Irene ou d'attirer sa compassion. J'ai enfoncé toutes les portes avec tout mon orgueil et mes difficultés sont un simple retour de boomerang. “Ce fut… assez laborieux, au début. Ça n’a vraiment strictement rien à voir avec ABC, et c'est très déstabilisant. Je suis encore en train de m'adapter. Mais l'important c'est que la machine continue de tourner.” Je prends une gorgée de qu’importe ce qu’il y a dans ce verre, et j’ajoute avant que Irene ne puisse rebondir sur ce sujet ; “Et ce sont les derniers mots à propos du travail que je prononcerai ce soir.” Je ne veux rien entendre de sérieux ce soir. Je ne veux pas former un duo de vieux aristocrates qui se plaignent et s’apitoient ; nous devrions apprendre à vivre pour nous, et non pas pour une histoire d’amour désastreuse, ni pour le travail. Je termine le verre d’une traite, sait-on jamais si cela peut aider, et je grimace en sentant que mon corps, ce temple, doit s’habituer à ces mixtures pour aujourd’hui –et en subir le contrecoup demain. “Seigneur, c'est imbuvable, je ricane avant de me tourner vers le barman derrière le comptoir de la buvette. Un autre, merci.”
Je sais que ni Irene ni moi ne sommes habitués à laisser aller ; elle se tient droite, elle détonne dans la foule, elle n’est pas d’ici, et cela se voit. Je trouve cela adorable à vrai dire, mais je pince mes lèvres pour m’empêcher d’émettre un commentaire. Nous sommes habitués aux conversations sérieuses dans lesquelles il y a peu de place pour une touche personnelle, un peu de passion. C’est pour cette raison que j’ai toujours aimé m’entourer de personnages hauts en couleur qui m’apportent cela, qui me l’apprennent avec le temps. Et ce n’est pas un exercice facile, il faut le dire. Si je parviens à faire danser Irene ce soir, ce sera gagné. Nous fonctionnons en binôme, et si elle lâche prise, j’y parviendrais, et inversement. “On devrait définitivement te trouver un pompier. Celui-là m’a l'air intéressé.” dis-je en désignant une jeune homme un peu plus loin, agréable à voir en toute objectivité, mais sûrement pas au goût de la Lady ; juvénile, sans épaules, sans présence, rien d’autre qu’un énième minet qu’elle peut mettre sous sa chaussure. “Elle partit pour l'Australie et se trouva un pompier. Tu deviendrais une légende à Londres.” j’ajoute avec un rire, imaginant ses parents pâlir et finir dans la même maison de repos que ma mère où ils pourraient tous nous traiter de déceptions ambulantes jusqu’à la fin de leurs jours.
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| | | | (#)Mar 5 Sep 2017 - 15:44 | |
| Maintenant qu'ils sont installés, l'ambiance commence à se lancer autour d'eux et Irene sent sa réserve fondre comme de la neige au soleil. Ce bal (qui n'en est pas un, mais faute de mieux...) ne s'accompagne pas de responsabilités. Pas d'obligation de jouer les Lady épanouies - il y a presque comme une touche de fête étudiante dans l'air. À Cambridge, puisque tout le monde est passé par là, elle avait complètement abandonné ce côté petite fille modèle et princesse d'un autre monde qui la définissait depuis toujours. Au contraire, même si la plupart de ses camarades étaient issus de bonnes familles, elle s'était éloignée de ses pairs nobles pour se rapprocher des rich kids sans titres. Et atteindre la vingtaine au début des années 2000, ça signifiait carrément entrer dans une nouvelle ère : jamais être une comtesse de sang n'avait été plus une contrainte qu'en ce moment là. Faire partie de quelques bandes de gosses de riches qui se fichaient bien d'apporter scandales sur scandales à leur famille et qui se comportaient comme si le monde leur appartenait restait une expérience qu'elle ne regrettait pas. Oh, évidemment, elle restait systématiquement la plus sage de la bande - Irene la modérée, la discrète, la classe incarnée, la bosseuse acharnée - mais cela ne posait jamais de problème. À chaque groupe ses stéréotypes... ce qui ne voulait pas dire qu'elle n'avait pas su s'amuser ni en profiter un maximum.
« Je te préviens, je n'hésiterai pas une seconde à sortir ma cornemuse pour jouer l'hymne en guise de défense, répondit-elle du tac au tac. Et si je m'ennuie vraiment, on n'aura qu'à improviser une house party chez moi. Champagne à volonté, vin fourni par la Maison, vue sur la mer, buffet de roi, musique à fond... la décadence de la noblesse britannique expatriée sur les terres du Commonwealth. D'ailleurs ! Comme c'est bientôt mon anniversaire, j'ai très envie de fêter ça dignement. L'année dernière c'est un peu passé entre les mailles du filet mais là... trente-cinq ans dans un pays étranger, impossible de laisser passer une occasion pareille. Qu'en dis-tu ? Promis, je laisserai mon titre et mes manières à la porte, j'ai juste envie de m'amuser. Elle désigna d'un oeil amusé leur environnement. Comme là... en un peu mieux. »
Elle écoute Jamie parler de son travail et ne passe pas à côté de la réticence dans sa voix, mais choisit de ne rien dire. À l'évidence, ce n'est pas au menu ce soir et elle veut juste s'assurer qu'il ne se sente pas trop perdu dans son nouvel environnement. « Je vois. En tous cas tu as ma parole : même si tu t'avères être le pire rédac-chefs de l'histoire de GQ, je continuerai à acheter le magasine plein tarif. Et puis si jamais tu as besoin d'aide tu sais où me trouver... tu pourrais même m'interviewer, glisse-t-elle sur un ton de conspirateur, et je prendrai grand plaisir à me plaindre du manque de savoir vivre des Australiens pendant trois pages de papier glacé tout en leur recommandant d'acheter mon vin. » Irene éclate de rire, rire qui redouble d'intensité devant la grimace de Jamie. Un cul-sec d'un truc servi dans un verre en plastique, ça ne peut jamais être très bon...
Son ami a raison finalement ; elle doit vraiment lâcher prise. Depuis qu'elle est arrivée ici, il y a eu beaucoup d'inquiétudes et peu d'occasion de profiter pleinement. Or, elle sait très bien le faire, il lui faut juste un bon départ. « Un pompier ? » Elle se retourne, incrédule, et fronce les sourcils, dévisageant sans gêne le pauvre candidat infortuné désigné par Jamie. « Hmm... je ne suis encore jamais sortie avec un pompier. Se retournant, elle commence à fredonner : « Too hot, hot damn ! Call the police and the firemen... pour mon anniversaire alors. Un crew de pompiers pour mettre le feu, je m'en contenterai. » Elle arque un sourcil et, comme le Lord quelques minutes avant elle, finit son verre - non sans se mettre à tousser après, le goût lui brûlant la bouche, la gorge, mais fait signe au serveur de la resservir. « C'est vraiment horrible, mais si c'est la coutume locale, je peux faire un effort. Qu'est-ce qui m'attend après alors ? Une macarena, une danse des canards, des gens ivres sur les tables ? Que je me prépare à te filmer au summum de ta gloire si tu oses t'aventurer sur la piste... »
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| | | | (#)Mer 13 Sep 2017 - 14:11 | |
| C’est que, le nez plongé dans mes propres problèmes, les oeillères m'empêchant d'accorder autant d'importance que je ne le devrais à bientôt d'autres choses qui ne tournent pas autour de moi, j'aurais bel et bien pu oublier l'anniversaire d'Irene si elle ne l'avait pas mentionné ce soir -et je pense qu'elle en a conscience, qu'elle s'en est douté, sans quoi elle aurait du qu'avant même qu'elle ne se souvienne elle-même de la date j'aurais déjà préparé une fête pour elle. Cela ne fait tout simplement pas partie des priorités actuellement, mais cela ne le devrait-il pas ? “On fera quelque chose de mémorable, promis.” dis-je en me le jurant par la même occasion. Je ne veux pas être l'ami qui attend que l'on soit présent si besoin mais qui vous oublie au milieu de ses tracas. “Est-ce que je dois considérer que tu es trop vieille maintenant pour vouloir un poney pour ton anniversaire ?” je taquine en faisant écho à son train de vie de princesse. Il n'y aurait rien de bien surprenant à me voir lui offrir un animal pareil, qu'elle ait dix ou trente ans. On m'a bien offert mon premier cheval à dix ans après tout. J'apprécie la capacité d'autodérision d'Irene. À dire vrai je crois que nous ne serions pas aussi amis si elle en était dénuée. Il est si important à mes yeux d'être capable de faire preuve d'un regard critique sur soi-même sans pour autant se blâmer, mais plutôt se corriger, ou s'assumer, par le rire. Après tout, il n'y a pas d'intérêt à s'en vouloir pour ce que l'on est, et savoir s'aimer soi-même est une vertu lorsqu'elle vous tire vers le haut. “Ils ont clairement besoin de conseils aussi avisés, à commencer par comment organiser un bal qui porte bel et bien son nom.” Ou bien nommer un bal qui n’en est pas un d'une autre manière, au choix. Quand elle s'y met, Irene ne me laisse pas une minute sans rire. Et la cerise sur le gâteau consiste à l'entendre chantonner en s'imaginant prendre une bouchée de pompier, comme s'il n’y avait pas de bague à son doigt. “T’as raison, c'est mieux que le poney.”
A son tour, elle termine son verre et en prend un second. Mon regard glisse sur la piste de danse, agrémentée de courageux duos ou groupes d'amis venus profiter de la musique trop forte et de l'acool pas cher, un peu plus qu'il y a quelques minutes. “Tu ne pourras pas me filmer si tu es trop occupée à danser avec moi.” je rétorque en arquant un sourcil intriguant. Mon verre se vide un peu trop vite, parce qu'un verre plein doit être bu et que cette fête ne commencera pas toute seule. “Bois ton courage cul sec Milady, allez !” Ce n’est pas discutable, nul besoin de perdre son temps à protester ; mon regard insiste jusqu'à ce qu'elle se résigne et termine son verre en aussi peu de très grandes gorgées que possible. Puis je prends sa main et l'attire sans plus attendre sur la piste, traversant les premières couches de danseurs aux pieds froids qui ne sont décidément là que pour chercher quels genres de poissons constituent la mare ce soir. C'est au milieu de l'agrégat de fêtards qui ont déjà commencé à suer que je nous trouve un spot adéquat où faire partie de l'ambiance, participer, sans finir les pieds écrasés et des coups de coude plein les côtes. Ça lance Uptown girl, et c'est en effet un parfait échauffement. Afin de persuader Irene que, oui, c'est une bonne idée de danser, qu'elle ne sera pas ridicule, et que de toute manière, le regard de nul autre ne compte, pas même le mien. Je me sentirai sûrement aussi idiot, aussi bête, jusqu'à ce que vienne le moment du lâcher prise où véritablement plus rien ne compte à part la vibration des basses dans le sol qui remontent dans les jambes jusqu'à faire sautiller même le coeur dans la poitrine. Pour le moment, je l'entraîne un peu comme nos parents auraient dansé là-dessus à notre âge, en la faisant touner sur elle-même régulièrement, avec un léger twist, et fredonnant les paroles que je connais par coeur avec un petit rire. Cette parenthèse vintage de la soirée ne dure pas assez longtemps à mon goût avant que la véritable playlist, massacre de morceaux des trente dernières années alternés avec des titres contemporains, englobe tout l'espace et attire un peu plus de monde sur la piste. Finalement, je crois que Irene à plus d'aisance que moi à s'adapter, et c'est elle qui finit par m’encourager à aller plus loin, moins penser, moins calculer. La danse n’est pas bien sérieuse ; parfois chacun dans sa bulle, occupés à délivrer nos propres pensées et alléger nos coeurs, il suffit que nos regards se croisent pour faire les pitres le temps d'un morceau, des gestes ridicules, des grimaces stupides. Dans la marée humaine, il fait une chaleur étouffante, et pourtant cela n’a pas d'importance. Bien peu de choses en ont à cet instant. Ce ne sont que des mouvements et des spasmes en rythme, des membres, des cheveux, c’est ce qu'il y a de plus basique, de plus instinctif, et c'est bien pour cela que danser a un effet thérapeutique des plus efficaces. La musique diffuse des artistes dont je n'ai aucune idée du nom, d'autres que je pourrais avoir honte de connaître si bien. Nous passons par tous les classiques, les must dance, ceux que tous ici peuvent entonner en coeur, reproduire la chorégraphie. Au sol, malgré les accidents de verres déversés par terre et qui collent, qui glissent, les pieds sautillent, tapotent, s'en fichent. Dans l'air, entre les bras levés et les doigts qui caressent la mélodie, seulement des chants et des rires. Je ne sais plus à quel moment j'ai fini affublé de lunettes multicolores à travers lesquelles on ne voit quasiment rien, ni d'une bonne dizaine de bracelets phosphorescents, et encore moins quand j'ai perdu le tout. Quoi qu'il en soit, je ne les remarque, eux, la chaleur, le bruit, et la fatigue dans mes jambes, que lorsque le DJ décrète qu'il est l'heure des slows. Irene et moi échangeons un regard ; non, merci, pas de ça. “Allons prendre l'air.” dis-je sans avoir à hurler pour la première fois depuis des heures. J'indique la sortie d'un signe de tête, et je me persuade que ce n’est pas elle, pas eux, que j'ai aperçu au coin de mon oeil, dans les bras l'un de l'autre, roucoulant comme des adolescents.
- Spoiler:
JE ME SUIS LAISSEE EMPORTER JE SUIS DESOLEE J'ETAIS INSPIREE ME TAPE PAS
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| | | | (#)Sam 14 Oct 2017 - 20:54 | |
| Il y avait quelque chose de complètement surréaliste dans l’air, ce soir. Une atmosphère pétillante de normalité – et si Irene n’avait pas eu un an pour s’habituer à une vie plus terre à terre que tout ce qu’elle avait connu jusqu’à présent, elle se serait exclamée avec une surprise non feinte quelque chose du genre « est-ce ainsi que les gens font la fête ? ». Mais heureusement pour elle et pour tous, elle était plus fine que ça, même si les choses très ordinaires du quotidien lui semblaient toujours très cocasses. Et ce bal se trouvait très haut dans la liste. C’était la première fois depuis un long moment qu’elle partageait une soirée en tête à tête avec Jamie – pas un déjeuner entre deux pauses travail, pas juste un verre le soir avant de rentrer chez soi, pas un événement public où il n’est guère possible d’échanger plus de trois mots. Il avait toujours été une constante dans sa vie, depuis trente-cinq ans. Retrouver ses manières et son sourire ici est une bénédiction, mais elle ne peut nier qu’il a beaucoup changé. Un autre pays, une autre vie… C’est ce qu’on est en droit d’attendre, après tout. S’intégrer dans une nouvelle culture, se fiancer, devenir père, changer de cercles sociaux, se lancer dans une vie quotidienne que partagent des millions de gens, l’option « titre de noblesse » et « parenté lointaine de la Reine d’Angleterre » en moins. Dans tout cela, elle ne savait pas très bien où elle se tenait elle-même – elle n’était plus une étrangère dans cette île du Commonwealth mais tout dans ses manières, son accent, sa tenue, trahissait ses origines. Entre les deux, alors. Résidente à durée indéterminée sur la côte de Bayside.
Enfin, si Jamie continue de la traîner dans ce genre de festivités, peut-être qu’elle se mélangera, finalement. Irene hausse les sourcils, faisant mine de bouder en entendant la suggestion de cadeau du Lord. « Un poney ? Si j’avais trente ans de moins pourquoi pas… mais vu mes compétences en équitation, je veux au moins un Pur-Sang. Je n’accepterai rien de moins, surtout pour mon anniversaire ! » Elle feint l’indignation, mais la Lady n’est pas très loin de la vérité. L’un des nombreux avantages d’avoir passé sa jeunesse dans le Château familial, à l’extérieur de Londres inclut notamment d’avoir été entourée de chevaux… L’équitation est un sport extrêmement répandu chez les aristocrates britanniques, les Delaney ne font pas exception. Et si Irene n’a jamais été passionnée d’équitation, à l’inverse de nombreux cousins ou cousines, sa maîtrise d’un cheval n’en est pas moins parfaite.
Le volume de la musique semble soudainement plus fort, et les habitants de Brisbane n’en finissent pas d’affluer dans la salle, dont la température augmente aussi significativement. « On ne t’as jamais dit que je pouvais faire deux choses à la fois ? » ajoute-elle d’un air malicieux, avant d’exécuter l’ordre de Jamie. Elle a l’impression d’avoir vingt ans encore, vraiment, cette fois-ci. Il ne manque plus qu’un tube des années 2000, ou que quelqu’un lance un « never have I ever » et ce sera reparti. Alors elle prend effectivement son courage à deux mains avant de l’engloutir en quelques gorgées. La grimace de dégoût tord à nouveau son visage mais elle n’a pas le temps de s’apitoyer à nouveau sur la barbarie de leurs alcools puisqu’elle se retrouve directement sur la piste, sa robe noire tournoyant autour d’elle, Jamie en guise de cavalier. Elle sent l’alcool qui court dans ses veines – elle qui travaille autour de vin toute la journée mais qui ne boit que rarement, l’effet est plutôt fulgurant. Elle se laisse faire, guidée par les pas de son partenaire bien plus assurés que les siens dans ce genre de situation – se laisser aller complètement en présence de parfaits inconnus… Il n’y aura pas, le lendemain, de rumeurs dans son cercle concernant qui elle aura embrassée, avec qui elle se sera absentée, avec qui elle sera rentrée. Personne ne saura ce qu’elle aura bu, ni en quelle quantité, ni à quel point elle se sera ridiculisée. Le bon côté de l’anonymat, la bénédiction de pouvoir agir sans que des regards inquisiteurs suivent ses moindres pas de danse. Alors, comme il n’y a personne d’autre qu’eux-mêmes pour se juger, elle laisse finalement les rythmes des chansons qu’elle ne connaît pas toutes dicter son déhanché. Ses talons collent au sol déjà bien plus tôt qu’ils ne le devraient, piétinant des restes de gobelets et de bière ou de jus de fruits tombés à leurs pieds, mais Irene ne s’en soucie plus depuis bien longtemps déjà. Elle danse et rit et vit, si bien que cette fête somme toute médiocre pour une femme de son rang devient tout à coup le meilleur endroit du monde. La vie est tellement plus facile lorsqu’il n’y a personne pour remuer la plaie béante de son cœur.
C’est l’annonce des slows qui interrompt leur folle danse déchaînée, et elle accepte volontiers de fuir la piste qu’envahissent déjà des couples anxieux de pouvoir s’embrasser à pleine langue ou de se tripoter allègrement sous influence de l’alcool. C’est une soirée entre amis, elle n’a pas besoin qu’on lui étale un semblant de bonheur conjugal sous les yeux et elle sait que Jamie sera du même avis. Il sort avec empressement, ce qu’elle met sur le compte de la fatigue. Une retombée d’adrénaline comme celle-ci pour deux vieux de leur âge, ça se paie… Et le nombre de verres avalés aussi. Elle a arrêté de compter assez rapidement et elle est loin d’être complètement ivre, mais juste assez dizzy pour rire aux éclats, soulagée de trouver l’air frais glaçant la peau nue de ses bras.
« Bon, c'est vraiment parce-que c'est toi... mais je te présente mes excuses sincères pour avoir insinué toute la semaine dernière et encore ce matin que cette fête serait un pitoyable désastre. Je n'avais pas ri comme ça depuis bien longtemps. » Et pour ponctuer ses dires, elle lui offre sa plus belle grimace. « C'est un moment à bénir ! » Elle se laisse aller à un soupir chargé de plénitude, avant de se tourner vers son meilleur ami. À nouveau, son air malicieux illumine ses yeux et son sourire en coin. « Je ne sais pas ce que tu en dis mais... je ne sais pas si je serai capable de ré-enchaîner après les slows. Je ne pense pas que je supporterai de rentrer dans cette pièce après que tout le monde se soit dragué ou... pire, dedans. En revanche, que dis-tu de faire une virée à l'épicerie plus proche, d'acheter trois pizzas et du champagne et d'aller finir ça sur les hauteurs de la ville ? Comme dans les films américains ! Ou alors, d'aller s'allonger dans l'herbe ou sur la plage. Ou sur un canapé, à la Villa - ah oui, tu dors chez moi. Invitation de Lady Delaney de Gresham, interdiction formelle de refuser, j'ai tout ce qu'il te faut sur place. Mais toujours avec des pizzas, je meurs de faim. »
Les inconvénients n'existent plus, à cette heure-là, dans l'univers dans lequel elle se trouve. Irene a envie que cet instant continue à l'infini et s'ils arrivent à capter la lueur du lever du soleil avant de s'écrouler d'épuisement, ce sera sa victoire. Après tout, il lui a promis un bal, ils vont finir ça en Bal.
- Spoiler:
ENFIN.
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| | | | (#)Jeu 19 Oct 2017 - 19:04 | |
| C'était eux, j'en ai la certitude. Le coup d'oeil était furtif, mais il est des silhouettes qui n’ont guère besoin de plus que le coin de l'oeil pour être reconnues, des personnes dont la présence se devine, se sait tout simplement. Vos tripes vous le disent et regarder par-dessus votre épaule n'est qu'une confirmation pour la conscience. Ils sont là, les tourtereaux, et mon coeur est pincé par l'amertume. L'oxygène au-dehors est alors particulièrement bienvenu. Il n'était soudainement plus possible de respirer, de penser, à l'intérieur. L'air frais remet les choses en place. Bien sûr qu'ils sont ici, c'est un évènement pour toute la ville, ils n'allaient pas le rater. Il y a sûrement tout un tas de connaissances dans la salle, sur la piste, d'autres personnes que j'apprécie ou que je méprise, et cela ne change rien, n'est-ce pas ? Cela ne devrait rien changer. C'était une belle soirée, amusante, pleine de vie, de joie, de belles choses -c’est toujours une belle soirée, je me rappelle à l'ordre en regardant Irene qui n’a pas à subir une soudaine dégradation de mon humeur et du moment. Je conserve un sourire de façade le temps d'effacer cette vision de mon esprit. Qu'ils se becotent, qu'ils fassent bien ce qu'ils veulent ce soir, cela n'importe pas. La soirée que j'ai promise à mon amie compte en revanche, et jusqu'à présent c'est une réussite. Si elle l'admet elle-même, c'est que la jeune femme s'amuse véritablement, et c'est de cela dont nous avons besoin. Je la remercie, assez solennellement avec les voyelles bien rondes et une petite révérence lorsqu'elle s'excuse d'avoir douté de mon idée en se laissant traîner ici. “Pour être honnête, je ne pensais pas que ce serait aussi bien.” j'ajoute en haussant les épaules. Après tout, je ne traîne pas souvent dans ce genre d'événement moi non plus. Un peu malgré moi, je suis restreint au cercle de personnes qui me ressemblent -du moins, nous partageons la même sphère, mais cela ne nous rend pas plus proches, au contraire. Non, vraiment, je me suis senti plus à l'aise, plus libre là-dedans que dans n'importe quel gala guindé où je me suis parfois forcé à me rendre parce que je pensais qu'il le fallait -mais sans savoir pourquoi. Et je n’avais aucune attente pour une soirée de ce genre, ce qui lui a peut-être permis de se hisser au sommet des bonnes surprises. “Quelque chose de simple ne pouvait pas nous faire de mal.” Malgré le sol collant, la sono médiocre, l'alcool douteux. Néanmoins comme le soulève Irene, je ne me sens pas capable de retourner à l'intérieur. J’approuve d'abord vaguement l'idée de poursuivre avec des pizzas et du champagne ailleurs, l'esprit encore un peu occupé par cette vision de Joanne et son ex qui ne me donne qu'une envie ; rentrer chez moi, m'isoler, être de mauvaise compagnie seul. Jusqu'à ce que la Lady m'impose de rester chez elle pour la nuit, jouant des titres avec une dérision qui parvient à me faire rire ; je réalise que ce n’est pas d'être seul dont j'ai besoin, au contraire, c'est de poursuivre cette soirée avec des pizzas et du champagne, c'est de rester avec Irene, c'est d'improviser un after juste entre nous. Et ça, elle le savait avant moi, parce qu'elle est ainsi. “Je crois que c'est une merveilleuse idée.” dis-je avec un sourire, prêt à la suivre jusqu'au bout de la nuit, et bien plus loin encore, aussi longtemps qu'elle le voudra et qu'elle restera comme une sœur pour moi. |
| | | | | | | | jamirene + come with me now |
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