“Hard work pays off - hard work beats talent any day, but if you're talented and work hard, it's hard to be beat.”
Ces couloirs me donnaient la nausée. J'avais peur de croiser Saul... Surtout Saul. Je fuyais le regard des gens que je croisais, disant bonjour par politesse mais très furtivement. Il y avait des élèves et certains de leurs proches. On me connaissait ici, j'étais la co fondatrice de cette compagnie et pourtant j'avais honte de m'y trouver.
Saul était un comédien et professeur excellent, il avait une carrière en dehors de la compagnie, et il avait le don de trouver les futurs talents de ce monde. Moi? Moi j'étais réduite à l'administratif. Pas que Saul m'avait mise là, c'était moi-même qui avait pris cette direction.
Dans les papiers, personne essayait de me rencontrer, me parler, me demander des conseils... personne. A quoi bon? Moi donner des conseils? Alors que je n'arrive pas à percer au cinéma? Toutes les auditions, castings... j'échouais partout. A la fac, j'avais 2 à 4h de cours d'option à donner, j'étais passée de 40 élèves à une petite dizaine.
J'étais perdue... Au lycée on m'accusait de coucher avec des élèves, mineurs... Les gens se moquaient de moi ouvertement et même mes collègues professeurs doutaient de moi à part Camille. En plus d'être une horrible mère, d'être nulle en tout ce qui est relation de couple, je suis la pire des professeures qui existe au monde.
J'avançais tête baissée, honteuse de ma présence au sein de ces locaux jusqu'à que je relève ma tête en entendant des bruits de pas qui venaient vers moi... et là mon coeur s'arrêta. Myrddin. Non.
J'ouvris grand les yeux, choquée. Je l'évitais comme son conjoint Thomas... Comme j'évitais Saul. Pourquoi était-il là? Je retournais mes chevilles et j'avançais dans la direction inverse à celle que j'avais d'origine mais je sentais les pas me suivre avidement.
Myrddin que dire de lui? Un excellent comédien? Je lui avais donné la réplique en début d'année, quand Saul me l'avait présenté... il méritait tellement mieux en guise d'entraide, de soutien. Qu'est-ce que je lui apportais au fond? Il était bien meilleur que moi dans tout ce qui concerne l'acting et Saul serait bien meilleur "répétiteur" que moi. Puis si j'entendais le prénom de Saul sortir de sa bouche, ça allait encore plus me fendre le coeur. Comment pourrais-je faire semblant de prendre de ses nouvelles tandis que cela devait faire plusieurs semaines que je l'évitais ou que je l'ignorais tout simplement? Je ne pouvais pas... et pourtant je me sentais déjà piégée.
Aujourd’hui je pensais trouver Saul dans son bureau, mais je me suis retrouvé face à une porte close. Il n’y est pas souvent, je l’avoue, j’avais déjà peu d’espoirs, cependant personne ne l’a vu récemment alors je pensais qu’il serait là où personne n’a l’habitude de le chercher. Mais non. Tant pis, cela attendra un peu alors, ce n’est pas non plus comme si ce que j’avais à lui dire pressait à la minute. Soupirant sur ma défaite, je me détourne donc de la porte et arpente le couloir sans plus savoir quoi faire. Peut-être rejoindre les quelques autres fumeurs dehors, du côté de l’entrée des artistes. Je ne donne pas toutes mes pensées à cette réflexion car bientôt Maxyn entre dans mon champ de vision.
Je dois être autant surpris qu’elle de la voir ici et maintenant. Mais sûrement pas pour les mêmes raisons. Je ne comprends même pas la logique derrière, car il est évident qu’elle et moi travaillons ici, du coup quoi de plus normal que de se croiser. Seulement voilà, cela fait un petit moment que je ne l’ai pas vu du tout, et pourtant elle passe toujours régulièrement pour gérer l’administratif de la compagnie de théâtre qu’elle a fondé avec Saul. Sans pour autant que la voit le faire. J’en suis venu à penser qu’elle m’évitait, surtout quand Thomas, il y a peu, m’a dit l’avoir vu en ville ; elle avait alors bifurqué subitement, peut-être pour ne pas avoir à lui dire bonjour et à lui parler. Ce qui expliquait un peu mieux pourquoi elle avait cessé de m’aider à bosser, presque sans excuses. Aujourd’hui, elle rasait les murs comme si elle ne voulait pas se trouver ici – ou qu’on la trouve ici. Je m’apprête à ouvrir la bouche pour la saluer, quand elle tourne les talons plus vite que son ombre et repart dans l’autre sens.
Je reste un instant bouche-bée. Elle a réellement eu le culot de me regarder dans les yeux puis de s’enfuir comme si de rien n’était ? Quelque chose n’allait pas, réellement. Mais quoi ? J’ai bien eu vent des racontars plus ou moins abominables sur elle et Saul par le passé, et je sais aussi que ce dernier a bel et bien trompé sa femme. Comme elle est la meilleure amie de Thomas, je suis quelque peu au courant. Cependant, tout ça ne me concerne pas, surtout pas au boulot. Le théâtre prime sur tout le reste de mon point de vue. Maxyn n’a visiblement pas le même. Je ne vais pas la laisser filer pour autant, alors je la suis et tente de la rattraper. Alors qu’un virage approche, et que je doute qu’elle en profitera, j’accélère le pas et arrive à poser une main sur son épaule pour la ralentir un peu et me mettre devant elle.
— Hey Max, ça va ? demandais-je avec une certaine bonne humeur, même si les mots ont plus été prononcés par politesse et entrée en matière. Je la lâche alors, et me passe une main sur la nuque, tout d’un coup plus sérieux. Ça fait vraiment longtemps que je t’ai pas vue, et personne n’a su me dire ce que tu devenais. A part que tu venais toujours ici, mais j’t’ai jamais croisée... Je ne compte pas la laisser partir sans explications. Ca me manque de bosser avec toi en plus. Plus on approche de la deadline et plus Saul a de choses à faire, il n’a plus le temps pour m’aider à répéter. Du coup j’pensais te demander de me filer un coup de main, encore, ajoutais-je avec un léger sourire cette fois-ci. T’es bien l’une des rares ici à vraiment me faire bosser, les autres ne savent pas donner de conseils.
Je ne mentirais pas en disant qu’elle est aussi douée que mes professeurs de Londres. Elle n’a rien à leur envier, même si j’ai cru comprendre qu’elle a peu de réelles expériences. Ce n’est pas évident d’être un bon prof, par exemple je ne me vois pas faire cela, je ne saurais pas comment faire, comment être pédagogique pour exprimer quelque chose de si instinctif et viscéral en moi. Alors que Maxyn, tout comme Saul, y arrive avec une facilité déconcertante. Donc, j’ai assez envie qu’elle m’aide à nouveau, j’ai trouvé que notre collaboration fonctionnait bien. Mais peut-être que ce n’était que de mon côté.
“Hard work pays off - hard work beats talent any day, but if you're talented and work hard, it's hard to be beat.”
J'étais lâche et mon attitude était ridicule. Nous étions trop proches physiquement à cet instant pour ne pas qu'il me voit mais j'espérais croire le contraire ou tout simplement qu'il allait passer au-dessus, faisant "genre" pour être poli. Après tout, avait-il réellement besoin ? Non.
Je fonçais tête baissée en ayant tourné mes talons. J'avançais rapidement sentant mon coeur s'accélérer, je n'étais pas d'humeur à parler à qui que ce soit, pas là, pas maintenant. Pas d'humeur à subir des questions... J'avais fait l'effort d'écrire à Saul après mes semaines... d'absences en pensant l'aider mais sa réponse me brisa. Après tout, il avait raison. Il allait mal, je l'ai laissé tomber mais encore une fois mon incompétence a fait surface me faisant comprendre que j'étais bien nulle et cela à tous les domaines.
Je marchais sans trop regarder où j'allais, alors que la bonne direction était dans le sens opposé mais une main se posa sur mon épaule que j'ai compris que c'était trop tard. Je me retournais instinctivement vers lui, il était là, tout près de moi et le son de sa voix vint jusqu'à mes oreilles. Il engageait la conversation et alla... droit au but, où ça faisait mal.
- Hey Myrddin...
Osais-je dire timidement, me forçant à sourire mais j'avais du mal à le regarder droit dans les yeux. Ca me piquait encore et... j'étais perdue. Avais-je fait quelque chose de mal... encore?
- Oh.... Je... Je suis désolée, tu sais je suis occupée... Avec le lycée, mes cours à la fac.... Puis Zoey... Je n'ai pas le temps pour moi... Mais... tu trouveras quelqu'un pour t'aider. Je suis sûre. Je suis... pas trop douée, mais merci... de tes mots.
J'étais horriblement gênée, je ne savais pas où poser mes yeux tant j'étais... pétrifiée? Non... Embarrassée, perdue? Sans doute.
- Saul t'aidera sans doute, il peut te conseiller de bons noms. Mais tu n'as pas besoin de moi je te l'assure.
Je replaçais une mèche de mes cheveux, sentant tout mon sang remonter au cerveau tant je ne savais plus où me mettre et quoi dire. Je n'aimais pas mentir mais je n'avais pas le choix.
- Je... Je vais pas tarder à partir. J'ai... Je dois juste poser toute cette paperasse au boulot pour que la secrétaire tamponne ses papiers et les trient puis... Je vais chercher Zoey à la garderie pour l'amener chez son père.. Enzo, mon ex tu sais.
Je parlais presque en bégayant comme une petite fille face au grand méchant loup. Enfin Myrddin était tout sauf méchant... Au contraire, un ange comme Thomas... Des anges... Les deux s'étaient bien trouvés et j'admirais leur couple, j'en étais limite envieuse et jalouse tant mon couple a moi... Mais de quel couple je parle? Il était anéanti à tout jamais désormais.
- Mais j'étais contente de te voir, j'espère que Thomas se porte bien.
Je commençais à retourner vers la bonne direction pour aller au bureau de la secrétaire, je m'en voulais de le laisser ainsi sur la paille. J'aimerais que la vie soit plus facile, j'aimerais... Mais j'étais sur Terre juste pour souffrir après tout.
Maxyn n’aurait pas pu m’échapper en cet instant alors que nous sommes face à face. Rien ne m’empêchera d’aller la voir et d’engager la conversation, quand bien même c’est difficile. J’ai quelques questions auxquelles j’aimerais trouver des réponses. Je rattrape la blonde sans problème et pose une main sur son épaule pour la stopper enfin et la forcer à me faire face. Ça ne va pas lui plaire tout ça, assurément, et c’est plutôt tant pis pour elle. Je l’aborde donc, et rentre dans le vif du sujet presque directement. Tourner autour du pot ne servirait strictement à rien. Je me doute qu’elle va tenter de se défiler si je lui en laisse l’occasion, alors j’entame directement les hostilités en la questionnant sur son absence, tout en lui avouant que j’aimerais bien qu’elle revienne me prêter main forte. Elle me salut mollement tout d’abord, puis s’excuse platement. Cependant, je n’achète pas les raisons qu’elle avance ; elle serait trop occupée pour passer au théâtre régulièrement. Je sais qu’elle donne des cours au lycée et à l’université, mais ça n’a jamais bouffé son emploi du temps auparavant. Certes elle a sa petite et je sais combien les bambins peuvent prendre du temps, mais encore une fois, il n’a jamais été question de cela avant, elle arrivait à tout gérer.
Je soupire légèrement lorsqu’elle ajoute que je trouverais quelqu’un de meilleur pour m’aider. Je savais qu’elle avait un gros manque de confiance en soi. Un peu à la manière de Nathan, surtout quand on était plus jeune car maintenant il s’affirme mieux. Elle pense être vraiment nulle et source de problème. Gênée, elle buttait même sur ses mots. Comme si j’étais terrifiant et que je lui ferais souffrir mille morts, alors que je n’avais absolument pas l’intention de l’engueuler ou quoique ce soit. Elle me dit que Saul saura m’aider, me trouver quelqu’un. Ensuite Maxyn essaye de me baratiner sur le fait qu’elle doit partir rapidement, alors que vu où elle comptait aller, je pense qu’elle vient à peine arriver. J’hoche simplement la tête quand elle se justifie, et m’apprends qu’elle doit récupérer sa fille pour l’amener chez le père...
— Je vois, dis-je simplement, avant qu’elle ne tente de me dire au revoir et de s’échapper. Du coup je me décale pour rester devant elle, faisant mine de rien, et rebondissant sur le sujet de mon amant qu’elle vient d’aborder. Il va bien oui, il commence à vraiment prendre le rythme de son travail, du coup il est un peu moins à cran. Avec Arthur ça va mieux aussi... Enfin bref. Et toi ta petite elle se porte bien ? lançais-je sur le ton de la conversation. Tom m’a dit qu’il t’avait croisé aussi y’a pas longtemps, mais tu l’avais pas remarqué.
Elle l’avait vu si, en tout cas Thomas en avait été persuadé. Ce n’était rien au fond, mais je le lui avais dit pour lui faire savoir qu’on n’était pas dupe sur ses intentions, elle nous évitait. Cependant, on ne savait pas vraiment pourquoi. Quoique, pour Thomas encore, cela pouvait mieux s’expliquer si on prenait en compte son amitié avec Elsie, la femme cocufiée de Saul. Néanmoins, pour mon cas, j’étais dans l’obscurité totale. Je reste encore face à elle, ne montrant aucune envie de partir. Je ne lâcherais pas le morceau, ce n’est pas du tout mon genre.
— Et du coup non, Saul n’a trouvé personne pour te remplacer... Enfin personne à la hauteur j’veux dire, la majorité des autres comédiens sont bien doués et prêts à m’aider, mais j’aime pas ça. Il m’faut quelqu’un qui comprenne ma façon de jouer tout en me proposant autre chose, et quand on est un comédien pur on n’a pas ce recul, comme un metteur en scène ou un prof. Je glisse mes mains dans les poches de mon jean, puis j’hausse les épaules. Donc j’attends ton retour avec impatience quoi. Je souris ensuite légèrement. Je sais ce dont j’ai besoin pour répéter, en l’occurrence c’est tombé sur toi.
“Hard work pays off - hard work beats talent any day, but if you're talented and work hard, it's hard to be beat.”
J'étais prête à partir, la situation était déjà assez embarrassante, voir trop. J'appréciais Myrddin et Thomas, trop pour leur mentir longtemps en face à face... Je ne voulais causer de soucis à personne. Sans compter l'attitude assez froide de Saul par sms... Je n'avais que ce que je méritais après tout et je ne voulais pas être la cause d'un quelconque problème. J'en avais déjà trop fait en étant juste... moi.
Baissant les yeux, souriant à Myrddin pour fuir, il me coupa le chemin sans trop forcer et se remit à parler comme si tout allait... bien. Je m'étais stoppée net, le regardant tant bien que mal dans les yeux... J'écoutais sagement ses paroles, ne voulant pas l'interrompre mais je faisais quasiment du sur place pour enclencher la 5ème vitesse pour partir à tout instant. Dans ma tête j'hurlais "stop stop stop stop" comme si la situation m'échappait...
En fuyant depuis autant de temps j'avais pensé réglé quelques soucis mais là en l'écoutant, je me remettais en question, encore, repensant à Saul... Puis Elsie. Mais quand il évoqua le fait que Thomas m'avait vu et moi non... Je me rendais bien compte de la débilité de mes actes et que j'étais tout sauf crédible dans cette situation. Je me mordais légèrement mes lèvres, me sentant bouillir tant je détestais faire face aux problèmes de la sorte. J'étais lâche... Alors, je baissais les yeux, comme la lâche que j'étais et quand Myrddin finit de parler mon coeur se noua. Il disait avoir besoin de moi, car personne n'arrivait à le comprendre comme moi je le pouvais.
- Ô je suis désolée pour Thomas, je devais être pressée... tu sais. Ma vie je la vis à cent à l'heure!
Toujours les yeux baissés, je me mettais à rire. Ca s'entendait à cent kilomètres que mon rire était jaune et tout sauf naturel ou décontracté.
- Zoey va bien... enfin là elle a une angine mais son papa s'en occupe très bien. Je suis si occupée que même ma fille me voit très peu.
Je faisais semblant de fouiller dans mes papiers, comme si je cherchais quelque chose alors que ce n'était pas le cas. J'étais tellement une mère formidable que ma fille me rejetait et ne réclamait que son père. Pourquoi Myrddin aurait-il besoin de moi alors que ma propre fille ne ressentait pas le besoin de ma présence à ses côtés?
J'étais vraiment peinée par la situation, Myrddin était tout sauf une mauvaise personne et je le fuyais comme la peste. Je soufflais en arrêtant de fouiller dans mes misérables papiers.
- Je... Je suis désolée Myrddin de ne pas pouvoir t'aider... Tes mots me flattent mais...
Je me stoppais en avalant ma salive difficilement.
- Je suis sûre que tu trouveras mieux. Tu n'as peut-être pas cherché au bon endroit. Je suis une pitoyable professeure de théâtre donc une abominable collègue, qu'importe le niveau.
J'en avais trop dit. J'avais dit le fond de ma pensée alors que je devais éviter le sujet et fuir. Mais non, au lieu de ça je m'ouvrais. Pourquoi? Pour espérer qu'il me dise "ok ciao" en retour?
- Désolée, je voulais pas dire ça... Je...
De panique, je mis un pied maladroitement devant moi, pour finir par tomber à la renverse, tous les papiers au sol.
- Non, non, non, non!
Je fronçais les sourcils et je me mettais immédiatement à quatre pattes pour récupérer les papiers avant qu'ils ne s'envolent vers l'inconnu. Ces papiers étaient trop importants pour que je les perde. Saul allait trop m'en vouloir si la seule fonction que j'exerçais ici désormais était mal... exécutée. J'étais au plus bas. Et surtout très pitoyable.
Maxyn ne pourrait pas s’enfuir avant de m’avoir répondu, qu’elle ne compte pas trop là-dessus. Je suis têtu, et je ne lâche jamais ce que j’entreprends, c’est bien ce qui m’a aidé dans ma carrière, avant que tout y compris mon envie de vivre ne soit balayés par mon coma. Maintenant que j’ai retrouvé le théâtre, et que j’ai compris qu’on voulait bien de moi, je ne compte pas baisser les bras à présent. Maxyn doit faire pareil si elle veut réellement parvenir à son but. Mais elle était chiante, et à un moment je me dis même qu’elle était pire que Nathan. Cependant je ne pouvais la laisser avant d’avoir ne serait-ce qu’essayer. Elle avait du talent et une pédagogie incroyable, comment pouvait-elle ne pas s’en rendre compte ?
Mais je ne fais pas tant de rentre dedans que ça, je reste calme, mais tenace. J’évoque au passage Thomas, et elle explique ne pas l’avoir remarqué l’autre jour dans la rue car elle était pressée. En effet, j’ai cru comprendre qu’elle n’a plus le temps pour rien, ce qui est assez étonnant vu qu’elle ne passe quasiment plus ici. La pauvre trépigne de plus en plus, ne sachant comment se débarrasser de moi. J’avoue, c’est drôle. Mais le but est surtout qu’elle réfléchisse à ses actes et le meilleur moyen pour cela est de la mettre au pied du mur. Je lui explique que Saul n’a trouvé personne pour la remplacer, aucun n’étant à la hauteur. Et puis, avec sincérité, je lui fais savoir qu’il n’y a qu’avec elle que j’ai l’impression de réellement travailler, progresser. Car on peut toujours apprendre dans la vie, encore plus dans le théâtre, et il n’y a qu’elle qui me permet cela. Elle, ou Saul.
Mal à l’aise, elle s’excuse de ne pouvoir m’aider, ce qui me fait lever les yeux au ciel en secouant la tête. Elle est certaine que je suis capable de trouver mieux, et elle se dénigre d’une telle force que j’ai envie de la prendre par les épaules et de la secouer, littéralement, en espérant que ces idées débiles s’inversent dans son cerveau. Mais elle n’avait pas prévu d’en dire autant, et retire ses derniers mots, et ça l’a prise tellement par surprise qu’elle s’emmêle dans ses propres pieds. Tous les documents, ainsi qu’elle-même, se retrouvent à terre, et je me baisse immédiatement pour lui prêter main forte.
— Tu sais que tous tes problèmes viennent du fait que tu te penses pas assez « bien » n’est-ce pas ? demandais-je calmement. Je suis aussi passé par-là, en y réfléchissant. Après l’agression qui m’a fait perdre des facultés motrices et mentales, je ne me sentais plus digne de rien, si bien que j’en ai blessé mes parents qui ne voulaient autre chose que m’aider. Si je te dis que tu es douée pour enseigner le théâtre, crois-moi tu l’es. Parce qu’en disant que j’ai tort tu impliques que je ne sais pas du tout de quoi je parle, et je le prends comme une insulte. Je lui tends les derniers papiers que j’ai rassemblé, et la regarde sérieusement dans les yeux. Tu penses vraiment que je suis un débutant ou un incapable ? Parce que c’est ce que tu me dis, là, en affirmant que je me trompe sur ton compte. Je me redresse, et glisse mes mains dans mes poches. Je crois comprendre, du coup, mais ça n’explique pas pourquoi maintenant, quasiment du jour au lendemain, elle a fui cet endroit. J’sais que t’as des soucis avec Saul mais franchement j’m’en tape. Ça compte pas dans le boulot. Et je suis sûr que tu te prives de ce pour quoi tu es douée et ce que tu aimes faire pour des conneries. J’te garantis que rien ne pourrait justifier que tu abandonnes ta passion et plus tard tu t’en mordras les doigts.
“Hard work pays off - hard work beats talent any day, but if you're talented and work hard, it's hard to be beat.”
Je restais au sol à ramasser tant bien que mal toute cette paperasse qui me donnait mal au crâne. J'aimais cette compagnie, je voulais qu'elle tourne bien... Alors je voulais bien faire l'administration, me trouvant douée uniquement à... ça. Pourtant les papiers me donnaient des migraines horribles, où j'avais déjà passé de nombreuses nuits blanches à écrire des mails à gauche et à droite pour minimiser les problèmes. Je voulais que Saul soit fier de moi et qu'il n'ai rien à redire sur mon travail en dépit de notre relation désastreuse.
Saul me manquait... horriblement, intensément. Il était un homme bien, un ami parfait, un collègue de rêve et j'avais décidé de m'éloigner de lui pour son bien alors que je n'avais fait que le blesser. Je m'en voulais aujourd'hui, il me manquait mais je ne semblais pas... lui manquer autant. Après tout, j'étais douée pour perdre les gens que j'aimais. Tout d'abord Enzo, puis Saul... Et j'avais perdu Myrddin et Thomas dans le lot. Et tout cela pourquoi? Car je l'avais décidé. Et pourquoi? Car je voulais bien faire ? Si bien faire que je blessais les gens.. encore. J'avais un gros problème oui. Aujourd'hui ce raisonnement de penser me paraissait débile, encore une mutilation psychologique gratuite pour m'auto punir. Alors qu'il y a quelques mois, ça me paraissait évident que c'était l'unique solution au problème.
Alors je continuais de rattraper tous les papiers qui traînaient sur le sol, je me sentais ridicule à souhait... Je ne voulais en oublier aucun même si la voix de Myrddin me perturbait et me chamboulait lourdement. Je restais par terre, à quatre pattes, à ramasser feuille par feuille. J'avais beau me concentrer sur tout ces papiers, les mots de Myrddin me fendaient le coeur. Il fallait dire qu'il n'y allait pas par quatre chemins et qu'il ne me parlait pas comme une "pauvre fille malade". Je finissais par ramasser quelques feuilles avant de relever ma tête pour voir que Myrddin en avait aussi... Je les récupérais, gênée, en me relevant.
Je ne savais quoi répondre à Myrddin, je ne voulais pas avoir le rôle de la pauvre dépressive et en même temps je me sentais... perdue et bête.
Je baissais les yeux, honteuse, je me sentais... conne. Voilà, j'étais conne. Et il n'y avait personne sur cette vaste planète pour dire le contraire.
- Myrddin me fais pas dire ce que je n'ai pas dit...
J'étais fatiguée, je devais être blanche comme pas deux, de gros cernes sous les yeux, les cheveux à moitié coiffés, des vêtements trop grands désormais. Je n'avais strictement aucune crédibilité pour quelqu'un "de pouvoir" dans les parages.
- Ne parle pas de Saul s'il te plaît.
Je me frottais les yeux en tenant les papiers d'un bras.
- Tu n'es pas un débutant ou quelqu'un de bête... Tu es doué, énormément doué.
Je soufflais discrètement en me sentant littéralement piégée. Fuir, il m'en empêchait et j'étais là, debout face à lui, à moitié muette tant il m'avait... scotché.
- Tu veux quoi de moi Myrddin? Que j'agisse comme si... comme si j'étais quelqu'un de bien? Ou de douée comme toi? Je ne le suis pas! Et je ne dis pas ça pour que tu me caresses dans le sens du poil!
Je commençais à hausser le ton et je regrettais à la seconde même. Myrddin était trop adorable avec moi, c'était un bon ami, collègue, et là j'hurlais sur lui comme une abrutie.
- Pardon, je ne voulais pas hausser la voix.
Je lui tournais le dos, je faisais les cent pas sur place, mon coeur battait à cent à l'heure tant j'étais paniquée.
- Myrddin, je suis touchée par tes mots, flattée. Mais... L'ancienne Maxyn est morte et enterrée. Tout est fini. Si je venais à quitter la compagnie, personne ne me pleurerait. Tu serais peut être triste pendant trois jours comme Saul sans doute. Mais vous m'oublierez vite. Maintenant, pardonne-moi, j'ai encore des papiers à faire... Salue Thomas de ma part.
Je fuyais, je me doutais qu'il n'allait pas me lâcher mais je sentais les larmes me montaient tant je me sentais faible, déstabilisée et surtout plus que conne. Je fuyais, l'air décidée et une larme coula malgré moi le long de ma joue. Si je pouvais me cacher quelque part, là à ce moment, je le ferais, mais là, je sentais encore le regard de Myrddin sur moi, ce qui me couvrait de honte tant je m'en voulais.
Je n’aurais peut-être pas dû prendre la peine de m’inquiéter pour Maxyn si elle régit ainsi. Cependant, j’aime aller au bout des choses, et rester dans le noir vis-à-vis de son départ me déplaisait fortement. A présent qu’elle est en face de moi, j’y vois une dernière chance d’obtenir des réponses et de comprendre ce qui ne va pas. Et j’ai plutôt ce que je veux, j’apprends tout le manque de confiance en elle de la blonde. Je dois dire que ces arguments fades ne servent qu’à dire que j’ai tort d’avoir, moi, confiance en elle. J’ai peur qu’elle ne soit déjà perdue, mais même Nathan a réussi à remonter la pente. Même moi, alors qu’au fond de mon lit d’hôpital j’imaginais déjà la meilleure façon de finir ma vie sans douleur, me voilà à présent à retrouver la saveur des planches et du bonheur. Rien n’est immuable dans la vie, pas plus le malheur que le bonheur.
Au moins j’ai l’impression que mes mots l’atteignent. Peut-être qu’ainsi, plus tard, elle réfléchira encore davantage à ce que je lui dis là. Souvent, on ne peut rien de plus que parler. Il paraît que les gestes valent mieux que les mots mais là, à ce moment précis, je n’ai pas mieux à offrir que mes paroles, malheureusement. Mes paroles et ma franchise, cette dernière ne pouvant lui faire que du bien. Il fallait qu’elle réagisse, sinon sa vie déjà compliquée serait encore pire. Néanmoins, si sa vie sociale ne me concerne pas, cela empiète sur son travail. C’est bien que c’est grave, important, non ? Je ne peux que l’aider, ce n’est pas mon genre d’ignorer les gens. Du coup, je crois même l’avoir choquée, car elle réagit avec plus d’énergie en me demande ce que je cherche à faire. D’après elle n’est ni une bonne personne, ni douée, et bla, et bla, et bla. Je me pince l’arrête du nez en soupirant, réprimant réellement l’envie de la prendre par les épaules de la secouer comme un prunier. Ou de lui en coller une, en fait. Mais non, Myrddin, calme-toi, tu n’es plus à ce point impulsif – si on oublie que j’ai décampé chez Nathan en pleine nuit. Pourtant un agacement certain monte en moi, et je remarque qu’il n’y a que face à mon fils que j’arrive à faire preuve de patience. Maxyn s’excuse pourtant de s’être emportée ainsi, cependant c’est surtout ses paroles qui m’ont tapées sur le système.
— Arrête ton cinéma, évidemment que tu es quelqu’un de bien, franchement, lâchais-je en soupirant légèrement, croisant les bras. Pour ça, au moins, tu peux pas en douter, j’veux dire t’as assassiné personne de façon préméditée non ? Tu fais pas du mal autour de toi exprès... Je secoue la tête, désabusée. Ah, Maxyn, Maxyn, Maxyn...
En général, au bout d’un moment, on remercie la personne de croire ainsi en soi, surtout que je ne suis pas connu comme étant un hypocrite. Ce moment finit par arriver alors qu’elle devient agitée. Si elle me remercie, elle pense néanmoins que « l’ancienne Maxyn » n’est plus là, que même sa place dans la compagnie est compromise tant elle est devenue interchangeable.
— Ah ? Tu veux quitter la compagnie ? demandais-je, assez sincèrement étonné. Cette fois, lorsqu’elle essaye de partir, je n’ai plus le cœur à la retenir encore. Elle tient absolument à fuir et au fond, j’ai eu les réponses que je voulais, j’espère aussi avoir réussi à lui faire ouvrir sur elle-même. Mais ça sera plus long qu’une simple discussion au détour d’un couloir. Très bien je lui dirais... Passe une bonne journée Maxyn ! J’espère te revoir bientôt quand même, lançais-je, alors qu’elle a déjà fait plusieurs pas pour s’éloigner.
Bon et bien je crois que je vais la laisser tranquille, et retourner travailler dans mon coin.
“Hard work pays off - hard work beats talent any day, but if you're talented and work hard, it's hard to be beat.”
Myrddin qui voulait que je reste, Myrddin qui croyait en moi. Il était bien le seul. J'avais honte de ma réaction, elle n'était ni adulte, ni professionnelle... Rien. Je pleurais, je bégayais, je me ridiculisais verbalement et physiquement. Et j'énervais Myrddin plus que tout. Je le voyais et ressentais surtout. Alors je l'avais laissé fini de parler, commençant déjà à fuir cette conversation mais les mots de Myrddin m'avaient tué. Tué car ils avaient été véridiques. Quitter la compagnie avait-il dit?
Saul voudrait sûrement que je la quitte oui. Après tout à quoi je lui servais désormais? Je devais lui faire honte. Moi la cofondatrice qui fuyait toutes tâches, restant enfermée et cachée dans un bureau remplit de paperasse. La compagnie vivait sans moi, certes, administrativement j'étais là mais je n'étais plus... en plein dans son coeur. Saul et les autres employés faisaient tout très bien, trop bien et je les enviais et admirais pour cela. Comme Myrddin. Saul devait me haïr après ma lâcheté à son égard alors qu'il avait besoin de moi. Il devait me croire pour une abrutie finit, bête, ne sachant plus écrire une ligne correctement d'un script, ne sachant plus lire et apprécier chaque ligne d'un bon livre de théâtre ou alors ne sachant plus dévorer des yeux une pièce digne de ce nom. Non, j'étais Maxyn la pauvre imbécile prof de théâtre dans un "petit" lycée qui ne savait pas apprécier cet art si précieux et qui m'était vital.
J'avais pensé démissionner du lycée, de l'université, de reprendre moi-même des cours pour m'améliorer et revenir plus motivée que jamais dans la compagnie mais plus les jours passaient plus je me disais que cela aurait été une bien piètre idée. Saul ne me parlait pas, ou plus. Zoey le réclamait parfois et je continuais de mentir. Mon ami me manquait, notre complicité passé me tourmentait tout autant. J'avais envie de revenir à cette époque où tout allait bien. Entre lui et moi, entre moi et la compagnie. Où je voyais un Saul fier et conquis, un Saul tout aussi passionné que moi. Mais là, aujourd'hui, je n'étais qu'une bisexuelle à peine refoulée, perdue dans la drogue et l'alcool avec une sursexualité bien trop dangereuse. Ouais... J'étais une pauvre fille loin digne de diriger une compagnie si somptueuse et précieuse. Saul y avait mis toute sa vie, toute son énergie. Alors que moi j'avais tout lâché, laissant mes mauvais sentiments prendre le dessus me rendant puérile, lâche et surtout égoïste.
- Tu sais Myrddin...
Alors que j'avais tourné mes talons pour fuir ce lieu, cette discussion, je revins sur mes pas, le coeur noué, retenant toujours mes maudites larmes.
- Je tiens bien plus à cette compagnie que tu ne le crois. Crois-moi. Mais je ne suis pas sûre que Saul me veuille à ses côtés encore pour longtemps. Je sais que ça ne te regarde pas, que je t'ai dit de ne pas parler de Saul. Mais cette compagnie lui est bien trop précieuse... Il y tient bien plus qu'à moi. Je ne suis plus rien pour Saul. J'ai changé, il le sait, le voit, le ressent. Comme toi tu le vois et le ressens. Tout quitter me détruirait mais je n'en suis que la cofondatrice, Saul en est le fondateur et ces derniers temps... J'ai laissé passer de mauvaises choses avant lui, toi, la compagnie. Le théâtre c'est ma vie, je rêverais d'avoir une carrière aussi digne et propre que celle de Saul. Je vois grand, j'aurais aimé percer dans le cinéma, gravir les échelons petit à petit. Je n'ai pas ton talent ou le sien. Quand les gens pensent à cette compagnie, c'est le nom de Saul qui revient le plus souvent et ils ont raison. Je ne suis qu'un fantôme qui erre entre ses murs. Je n'ai aucun mérite. Saul a su trouver de très bons artistes, les miens... Ont finit par partir. Je n'ai pas l'oeil. Ou je n'ai pas... Les épaules pour diriger quoique ce soit. Saul oui. Il a la carrure, le charisme, le talent, la passion et le coeur. Il sait ce qu'il veut, il sait où il va. Quand quelque chose lui déplaît, il le règle aussitôt. Et tu vois... Qui je suis au fond pour lui dire "Hey Saul, garde moi?" En quoi je lui suis utile ici? Mes goûts et décisions ne lui vont plus, il doit avoir en face de lui une Maxyn qui le dégoûte ou déçoit. Si demain je recevais un sms de sa part me disant qu'il veut être le seul dirigeant officiel de la compagnie sur les papiers je ne serais même pas étonnée. Je serais détruite, anéantie mais je dois assumer mes actes n'est-ce pas? Je dois assumer cet éloignement que j'ai mis entre lui et moi, moi et la compagnie. Je me sens comme une étrangère ici et ça me brise car l'ancienne Maxyn me manque. Même quand j'étais aveugle je n'avais pas perdu la flamme théâtrale en moi. J'ai mauvaise réputation après tout. Camée, alcoolique, une pute pour couronnée le tout. Une pitoyable prof au lycée qui plus est... Une horrible amie qui laisse tomber les gens qui lui tiennent à coeur... Qui me tiennent à coeur. Comme je t'ai laissé toi. Je ne te fais pas ce long monologue pour que tu me dises tout l'inverse... Mais peut-être, qu'effectivement, ce sont mes derniers jours à la compagnie. Je le sens au plus profond de mon âme. Je ne peux rien y faire... A part assumer. Assumer mes actes et mes mots. J'ai perdu Saul, j'ai perdu la compagnie. Je ne serais jamais une talentueuse actrice ou une admirable prof. L'équipe Maxaul est finit depuis un moment. J'en suis la première responsable, j'ai baissé dans l'estime de Saul. Quand je lui ai écrit l'autre jour, par sms, ce n'était plus le Saul d'avant qui me répondait. Mais un Saul peinait, vexait, perdu, déçu. Il n'aime pas ce que je suis devenue. Je n'aime pas ce que je suis devenue aussi. Alors oui Myrddin, tu mérites quelqu'un de plus méritant pour t'épauler dans cet art qui m'est bien trop précieux pour que je vienne encore plus le briser. Et ta compagnie me manque, comme celle de Thomas. L'ancienne Maxyn me manque, tout me manque. Si Saul doit me remplacer, j'espère qu'il trouvera quelqu'un d'aussi formidable et passionné que lui. Je ne lui souhaite que cela... Quant à moi... Je continuerais mon chemin, l'estomac noué. Essayant de réparer chaque morceau que j'ai éclaté.
Ca c'était un monologue et je me surprenais moi-même. Quand Myrddin avait sous-entendu le fait que JE voulais partir de la compagnie ça avait réveillé quelque chose en moi de bien trop précieux, enfoui, secret et de brisé. Myrddin n'était pas Saul non, mais je ne parlais plus à Saul, à part ces fameux sms échangés. Il ne voulait plus m'entendre, il avait ses soucis, ses nouveaux amis, une vie à remplir. Comment pouvais-je lui reprocher de vivre? Comment pouvais-je retenir Myrddin de ne trouver personne pour me remplacer attendant sagement mon retour sans savoir quand je reviendrais vraiment? Oui, cette compagnie me tenait à coeur comme Saul, comme Myrddin. Mais qui étais-je aujourd'hui pour maîtriser ou décider de quoique ce soit?
Je n’aurais jamais cru déclencher une telle tempête par une simple petite question de quatre ou cinq mots. Surtout que Maxyn était sur la fuite et le départ, la voir faire demi-tour aussi vivement m’a surpris, autant que cela m'a indiqué que j’ai touché la vraie corde sensible. Et peut-être que j’aurais pas dû, j’aurais dû laisser ça à des spécialistes, genre un psy. Je dois dire que je n’arrive pas à tout suivre, bien je s’essaye. Et moi qui croyait ne plus avoir de patience... Son monologue me paraît aussi long qu’un opéra en quatre actes. Je n’ai même pas envie de l’interrompre, même si par deux ou trois fois je dois consciemment me retenir. Déjà, parce qu’elle a besoin de sortir tout ça. Et ensuite parce qu’une part de moi a envie de voir combien de temps elle va tenir. Oh que j’aurais aimé avoir un chronomètre dans la main.
Elle aborde tout. Elle commence par me rectifier sur le fait qu’elle aime cette compagnie plus que tout, mais que Saul décidera sûrement de la virer. Pourquoi ? J’avoue que je m’en tape un peu, Saul est assez grand pour décider de l’avenir de cette compagnie, et si sa co-fondatrice a baissé les bras, a changé trop profondément pour continuer à faire du bon boulot, il aurait sans doute raison de lui demander de partir. Bien sûr ça la détruirait, mais elle a conscience de la tournure que prennent les évènements, pourtant c’est comme si elle ne faisait rien pour l’en empêcher. C’est extrêmement beau de parler de son amour du théâtre, du fait que c’est sa passion, mais elle se trouve nulle à force de quelques échecs. Ce dont elle rêve n’est évidemment pas accessible pour quelqu’un qui abandonne aux bouts de quelques portes claquées. Qu’on soit talentueux ou non, c’est la persévérance qui fait tout. Ce n’est pas rare des comédiens talentueux sans boulot, et d’autres peu talentueux mais qui travaillent et enchaînent les castings jusqu’à ce qu’ils obtiennent des « oui ».
Mais du coup, si tout ça démission de la compagnie arriverait, ça serait à cause de son changement. Elle n’est plus la même qu’avant, baisse encore plus les bras, et, de mon point de vue, se laisse piétiner. Elle a mal géré sa vie personnelle, cela à dégénérer, et la voilà à gémir sur sa vie. J’apprends d’ailleurs des choses sur cette dernière dont je me serais plutôt bien passé. Mais soit. Quand elle termine enfin après une autre minute emplie de Saul, de changements, d’assumer ses erreurs, et de quitter la compagnie, je pousse un léger soupire comme si c’était moi qui avait autant parlé.
— Franchement après ça si tu penses que tu peux pas réciter du Shakespeare aussi bien que moi je sais pas ce qu’il te faut... lâchais-je, ne sachant pas bien quoi dire d’autre pour répondre à tout ça.
Elle est arrivée à me laisser sans voix, et je crois que c’est plutôt rare. Fait est qu’elle a bien cerné le problème – elle-même – mais il n’y a qu’elle qui peut y changer quoi que ce soit. Parfois, c’est ça le souci, la personne elle-même n’agit pas. Enfin là, je ne sais plus trop où me placer vis-à-vis de ça, d’elle, j’ai déjà dit ce que je pensais de tout ça et me répéter ne servirait à rien maintenant. Je me passe une main dans les cheveux, avec un soupire las.
— Bon, je vois que t’as réfléchi à tout ce bordel en tout cas, du coup je pense que mon avis ne t’importe pas vraiment. J’hausse les épaules. Je comprends hein, pas de soucis. Il n’empêche que je trouve ça dommage de te voir baisser les bras. C’est un peu du gâchis de même pas te battre pour ta passion, il n’est jamais trop tard pour reprendre sa vie en main tu sais, au pire un peu d’optimisme n’a jamais tué personne. J’esquisse un sourire, puis lui fais remarquer : Et pis quand t’y réfléchis y’a pas mal d’acteurs qui n’ont percé que tard dans la vie. T’as à peine 30 j’crois ? C’est bien jeune pour décréter que t’as raté ta vie non ? Finalement je lève les mains en l’air à la manière d’un innocent. Enfin bref, tu feras bien ce que tu veux à la fin. Du coup je te retiens pas plus, vu que t’as de la paperasse à faire. Je lui souris une dernière fois. A plus, dis-je, et cette fois-ci, c’est moi qui me détourne pour partir. Après tout c’est une discussion qui va tourner en rond, ça suffit pour aujourd’hui, et j’ai pas que ça à faire non plus.
“Hard work pays off - hard work beats talent any day, but if you're talented and work hard, it's hard to be beat.”
Clairement j'étais fatiguée et Myrddin était tout aussi fatigué. J'avais beau déblatéré, à quoi bon? Au fond il n'avait rien demandé... Il voulait juste savoir pourquoi je ne l'aidais plus à répéter, le reste il devait s'en ficher. Je soufflais, je désespérais. J'avais soif après ce monologue qui n'avait servi à rien à part peut-être me faire encore plus de mal et qu'il me voit comme une "victime" ne faisant que se plaindre sans agir. Et ses mots me confirmaient le tout.
J'avais honte. J'aimerais m'excuser mais ça n'allait faire qu'empirer les choses. Les choses avaient été dites, mes gestes faits. Je regardais Myrddin, je voyais dans ses yeux qu'il était exaspéré. Je n'avais même pas la force de le contredire ou de le couper. Ou juste de me justifier, me défendre, argumenter... Mais il avait raison sur un point: je n'étais pas du tout optimiste.
Je baissais les yeux à l'entente de ses paroles, tenant toujours fermement mes misérables papiers dans mes mains, blottis contre ma poitrine. Ouais, j'avais honte. J'avais l'impression d'avoir fait une horrible bêtise et que Myrddin était le grand frère qui me sermonnait pour me faire ouvrir les yeux sur les conséquences de mes actes. Certes, j'étais plus âgée que lui, je crois. D'un an ou deux, rien d'exceptionnel. Mais là... C'était lui en position de force.
Il me salue, levant les mains en l'air comme s'il se rendait face à ce combat perdu d'avance. Je le regardais partir sans que je n'ai eu à répondre à son "à plus" mais le voir s'éloigner me peinait. Car là c'était lui qui fuyait non l'inverse et ça faisait mal. Trop mal. Quand je voyais Myrddin s'éloigner je voyais Saul s'éloigner avec, Thomas puis la compagnie toute entière.
- Myrddin attends.
Pourquoi je ne tournais pas ma langue sept fois dans ma bouche avant de parler? Je marchais vers lui rapidement pour le rattraper comme je pouvais. C'était fou comme la situation s'était soudainement inversée.
- Je suis sincèrement désolée.
Plus besoin d'un monologue de 50 lignes, non, plus besoin.
- Je ne voulais vraiment pas te mettre dans une situation embarrassante ou qui allait te compliquer la vie, je pensais juste bien faire.
Je n'osais même plus l'affronter du regard mais il le fallait bien. Alors je levais mon menton vers lui, regardant ses beaux yeux.
- J'espère qu'un jour tu pourras me pardonner.
A quoi bon? J'étais finit à ses yeux désormais. Cette conversation avait empiré mon cas. Il aurait aimé me récupérer et maintenant je l'exaspérais. Qu'est-ce que je faisais encore ici alors?
Je ne savais pas quoi faire pour l’aider, vraiment. Et puis il faut dire que me battre au début avec elle pour avoir des réponses, alors que maintenant c’est comme si elle me tenait la jambe, ça m’épuise. Les femmes, j’vous jure... Elle était perdue et cela se voyait dans son attitude même. Pourtant, tout son monologue m’a fait comprendre qu’elle savait d’où venait le mal, elle savait que ses actes avec eu des conséquences graves pour ses relations amicales et professionnelles, elle savait tout ça. Ce qui ne rendait que plus incompréhensible sa situation. Ou en fait, non, c’était le contraire, cela voulait dire qu’elle fuyait en toute connaissance de cause. Du coup, vraiment, quoique je puisse dire ne pourrait la détourner du chemin pavé de pessimisme qu’elle a choisi d’emprunter, à mon grand regret.
Je finis par me détourner, et commencer à partir, alors qu’elle me dit au bout de quelques secondes d’attendre. Je m’attendrais presque à nouveau speech. Mais alors que je me retourne vers elle, et qu’elle revient à mon niveau, elle s’excuse avec sincérité. Elle ne voulait pas me mettre dans une situation embarrassante, ni me compliquer la vie. Bon, si elle s’imagine qu’elle a réellement compliqué ma vie, elle se trompe un peu, car il y a pire dans la vie que de ne plus avoir personne de qualité pour répéter un texte. Elle n’a pas connu la situation où sa passion, sa raison de vivre, nous est enlevé par l’univers par l’intermédiaire d’un connard d’homophobe. Ça doit être pour ça qu’elle ne se donne plus les moyens de faire quoi que ce soit. J’hausse les épaules, arborant un léger sourire.
— Ne t’inquiète pas pour moi, et je n’ai pas à te pardonner de quoique ce soit, tu ne m’as fait aucun tort. Bien que j’aurais apprécié être prévenu nettement que tu arrêtais de m’aider, mais c’est pas grave au fond, précisais-je, sympathique. Je posais une main sur son épaule. Rappelle-toi de ce que je t’ai dit, ai confiance en tes capacités théâtrales un peu. Pour ce qui est personnel, c’est à toi de régler ça, et les gens sont souvent moins rancuniers qu’il n’y paraît. Puis je me redresse, et commence à me reculer, pour de bon cette fois-ci. Prends ton temps en tout cas, mais je suis certain que Saul aimerait t’avoir encore un moment, il n’est pas du genre à lâcher les gens parce qu’ils commencent à déconner. Et il compte sur toi pour la paperasse, tu peux pas le laisser tomber non plus.
J’allais continuer, quand je sens mon portable vibrer dans ma poche et, à peine après, il sonne. Je fais signe à Maxyn d’attendre un peu, et le sort. Dessus s’affiche le numéro de Thomas. Fronçant les sourcils quelques instants, je jette un coup d’œil à Maxyn.
— Désolé, j’dois répondre, on se revoit bientôt, lui lançais-je avant de tourner les talons et de décrocher enfin. Je porte mon portable à mon oreille et répond d’un ton un brin inquiet. J’ai toujours peur que ça soit une mauvaise nouvelle, depuis qu’Arthur est avec nous. Instinct de protection. Je m’éloigne en même temps de Maxyn, qui doit d’ailleurs être retournée à ses papiers, et tourne dans le couloir afin de sortir carrément du bâtiment où je serais plus tranquille pour discuter.