My mind is on the bad things, Your mind is on the good thingsThese shadows fall on all things But your love, it is the lightning And I need it
Des mises à l'épreuve, l'une après l'autre ; c'est à cela que ressemble mon quotidien depuis quelques temps. Une punition pour je ne sais quoi, ou une veine tentative de l'univers de me faire comprendre que pour aller dans la donne direction, pour les choses aillent de mieux en mieux, il faut en passer par là. Il faut en baver, et être plus fort que ça. Meilleur. Car c'est toujours lorsque l'on est persuadés de faire de notre mieux, de ne pas pouvoir faire plus, que les étoiles s'alignent pour vous prouver le contraire, et vous pousser encore plus. C'est épuisant, certes. La fatigue que j'évoquais avec Ginny n’en finit plus. Je veux rester allongé là et ne plus bouger -je ne me sens pas vraiment la force d'effectuer le moindre mouvement à vrai dire. Constater que je suis ce cliché ambulant du type cassé par l'amour me rend malade. N'ai-je pas toujours valu mieux que cela ? A l'époque où ce sentiment m'était inconnu, peut-être. Mais depuis quelques années maintenant, plus vraiment. Quel ridicule, toutes ces fois où j'ai serré les dents en songeant à Joanne, à Daniel, ramené à eux par des détails, des conversations, des souvenirs, des rêves. Quelle misère, toutes ces larmes ravalées, et cet écran de fumée, de fierté, derrière lequel je me cache, me terre, m'isole. Sur quels amis puis-je compter encore ? Où puis-je me sentir en sécurité ? Depuis combien de temps suis-je allongé là, n'ai-je pas bougé d'un cil ? Sur le lit, machinalement, les doigts plongés dans le poil de Ben, le regard rivé sur le plafond, je me demande si cette sensation passera. Cette atroce sensation de vide, de solitude, et ce doute d'être encore capable de sentir mon propre coeur battre. Un corps et un esprit totalement anesthésiés, que la peine à vidés. J’ai toujours su quoi faire ; pas cette fois. Cette fois je doute de tout, et de moi en première ligne. Je n’ai pas dormi. Ou peu. Difficile à dire. Mes yeux s'ouvrent et se ferment régulièrement, une heure passe, peut-être deux, sans rêves et sans repos ; je m’endors, me réveille, somnole, et je suis toujours aussi épuisé. J'ai la tête lourde, la vision floue, et du larsen dans les oreilles. Ce que j'attends n’est pas la question ; c'est plutôt ce que j'évite. Dehors, le monde, et à l'intérieur, les pensées. Cette petite voix qui me répète que je n’ai pas vu Daniel depuis deux mois. Ou trois ? Je devrais sûrement avoir honte de moi-même, mais même pour cela je n’ai pas d'énergie en réserve. Je continue de patienter jusqu'à ce que le jour soit levé et que le réveil indique une heure décente. Alors seulement, je laisse la misère aux portes de la nuit, et je me lève comme si de rien n'était, prêt à donner une nouvelle chance à une nouvelle journée.
Il est encore tôt dans la matinée lorsque je frappe à la porte de Joanne, espérant qu'elle soit présente afin que mon esprit n’ait pas à se torturer à l'idée qu'elle soit chez Hassan. Pour une fois, juste une, je ne demande qu'à ce que les choses soient simples, et sans peine supplémentaire. La soirée de la veille m’a égratigné. Une personne en qui compter s'est rayée de la liste. Ginny, à qui j'accordais la totale confiance, avec qui j'avais été le plus honnête, le plus vrai. Celle qui aurait dû savoir le mal qu'elle ferait. Je soupire, je frappe à nouveau. Sois là. Soyez là. La voiture est dans l'allée, toujours la même, celle que je lui avais offerte, elle est forcément là. Enfin, la porte s'ouvre. “Bonjour…” je souffle, honteux finalement, le regard s'abaissant immédiatement, fuyant, le visage face au sol, lui qui a toujours eu le menton si haut. Mes mains se glissent dans mes poches. Les mots étaient si simples et clairs pendant le chemin en voiture. Désormais, la moindre parole me paraît stupide. “J’ai perdu le fil de mes week-ends, alors je ne sais pas trop si celui-ci est à moi ou à toi, mais je…” Joanne pourra dire que je ne manque pas d'air, de réapparaître tout à coup. Non, c'est la paranoïa qui parle. Elle comprendra. Elle avait dit qu'elle me laisserait le temps. Je ne suis pas certain d'être complètement prêt, mais comme je le dis toujours, personne ne l'est jamais vraiment. “Je me demandais si je peux voir Daniel, un peu. Une heure ou deux.” L'idée n’est pas de m'imposer après des semaines d'absence. Et puis, cela sera suffisant pour débuter. Encore faudrait-il que le petit accepte de me voir également, entre autres petites conditions qui forment, de loin, une bien trop grande montagne. “Sauf si vous avez prévu quelque chose, alors je suppose que je repasserai le week-end prochain.” j'ajoute, haussant les épaules, peu convaincu pour être tout à fait honnête. Ce n'était pas supposé être aussi difficile, mais comment cela aurait-il pu l'être moins ? Je ne peux pas encore la regarder, sa seule présence forme un étau autour de ma poitrine, et je sais que sa voix fera autant de mal. “Je suis désolé d’avoir mis si longtemps…”
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Dernière édition par Jamie Keynes le Ven 1 Sep 2017 - 12:10, édité 1 fois
I want you to be okay. I want us to be okay. And I need it, oh I need it. Never tell me that we can't go further
Assis devant la porte de la chambre de Daniel, la queue balayant le parquet pourtant bien propre, Nunki et Sirius attendaient qu'on leur ouvre. Ils avaient entendu leur petit maître appeler sa mère. Et si Joanne avait le malheur de prendre un peu temps, ils se mettaient à geindre aussi, ce qui sait toujours rire le petit. Les cheveux ébouriffés, les yeux éblouis par la luminosité du soleil levant, elle marchait pied jusqu'à rejoindre les hommes de la maison. Daniel avait toujours un grand sourire lorsque sa mère apparaissait dans son champ de vision. Malgré la turbulette, il sautillait sur ses deux jambes, surexcités à l'idée d'être bientôt dans ses bras. "Tu es sacrément matinal, pour un samedi matin. petit Lord Keynes." lui dit-elle en le prenant dans ses bras et en récupérant sa peluche favorite faisant office de doudou. Elle le saluait en bonne et due forme, l'embrasser de toute part et en lui faisant un câlin. "Tu viens un peu au lit avec Maman, tu veux ?" La tétine encore en bouche, le petit acquiesça d'un grand signe de tête. Les chiens ne se firent pas prier davantage et grimpèrent volontiers sur le lit. Joanne se réfugia sous la couette, ayant un peu froid aux jambes. Daniel était très câlin, et les chiens aussi. Du moins, pour Nunki et Sirius, c'était le cas juste le matin, et le soir. En journée, ils étaient surexcités et jouaient constamment. Le bal des pompiers remontait à quelques temps, désormais. Pour Joanne, ce n'était pas plus mal d'avoir ces temps de pause entre chaque rencontre avec Hassan, cela lui permettait de remettre à plat entre. Et surtout, de passer du temps avec Daniel. Joanne ne pourrait décemment multiplier les sorties si cela allait au détriment du temps passé avec son fils. C'était quelque chose que son ex-mari respectait. Jamie n'avait pas donné de nouvelles depuis des lustres. Il avait besoin de ce temps, de cet éloignement. Mais elle espérait qu'il ne vienne pas à la conclusion qu'il valait mieux pour lui qu'il ne voit plus Daniel. Elle pensait régulièrement au beau brun, elle se demandait comment il allait, ce qu'il pouvait bien faire de son temps libre, et, égoïstement, s'il pensait un peu à elle. Parce qu'elle, elle pensait très souvent à lui. Hassan savait qu'elle avait toujours des sentiments pour lui. Et qu'elle en aurait certainement toujours. Après une bonne demi-heure passé au lit, tout le monde rejoignit le rez-de-chaussée. C'était le petit-déjeuner pour tout le monde. Des croquettes pour les chiens, un chocolat chaud et quelques toasts pour Joanne et un biberon pour le petit. Pas toujours facile de gérer tout en même tems pour elle mais elle avait pris l'habitude. La jeune femme en profita ensuite pour remonter rapidement et habiller Daniel avant d'enfiler à son tour la première robe qui lui tombait sous la main. C'était samedi, il n'y avait pas de sortie particulière de prévu. Deux jours de suite où elle pouvait pleinement profiter de son fils et elle s'en réjouissait énormément. Pour redescendre, le garçon tenait à descendre de lui-même l'escalier, en faisant taper ses fesses amorties par une couche sur chaque marche. Ca le faisait beaucoup rire, mais à côté, Joanne avait parfois quelques sueurs froides en voyant la rapidité de ses gestes. Elle était toujours à côté pour le rattraper en cas de chute, cela ne l'empêchait pas de s'inquiéter un peu pour lui. A quelques marches de l'arrivée, on entendait sonner à la porte. Perplexe, Joanne ne voyait pas qui viendrait la voir à une heure aussi matinale, le samedi matin. Elle prit Daniel dans les bras uniquement pour l'emmener en bas des escaliers, le laissant ensuite courir vers le tipi que Jamie lui avait offert. Il y avait niché tout un tas de jouets et de peluches à l'intérieur, ayant ainsi créé son propre petit univers. La petite blonde ne cachait pas sa surprise en voyant qui se trouvait là. Elle sentait le rythme de son coeur s'accélérer au point d'en être assourdissant. Il était calme, et il avait l'air bien fatigué. La jeune femme finit par esquisser un doux sourire. Elle était heureuse de le voir. "Bonjour." répondit-elle doucement, son sourire s'élargissant un peu. Jamie ne lui adressait pas un regard, mais ce n'était pas de la même façon que leur dernière entrevue. Il ne semblait pas énervé, il ne semblait pas la haïr à ce moment précis, à moins qu'il ne le cache très bien. C'était plutôt de la timidité, une certaine réserve, peut-être même de la honte. Il avait fini par revenir, même si ce n'était que pour Daniel. "Peu importe de quel weekend il s'agit, qu'importe l'ordre. Ce n'est pas ça qui compte." lui répondit-elle tout bas, toujours avec cette même douceur. "Bien sûr que tu peux le voir, il sera ravi." La réponse était évidente. Joanne lui avait dit qu'elle lui laisserait tout le temps dont il aurait besoin pour revoir Daniel, pour tolérance la simple présence de la mère de son fils. "Je n'ai rien prévu, non. Tout ce que j'avais planifié, c'était... d'avoir un weekend tranquille avec Daniel, c'est tout." La semaine était déjà suffisamment chargée pour remplir en plus le weekend. Il était étonnant d'entendre des excuses sortir de la bouche de Jamie Keynes. Lui qui avait horreur d'entendre des personnes être désolées. Ce n'était que des mots, pas des actes, cela ne signifiait rien à ses yeux. "Ne le sois pas... Tu n'as pas à être désolé pour quoi que ce soit." lui souffla-t-elle doucement. Joanne avait bien été tentée de faire un quelconque geste d'affection, mais elle doutait qu'il accepte la moindre caresse de sa part. "Viens, entre." dit-elle en ouvrant un peu plus la porte et en s'écartant de son chemin pour le laisser passer. Elle fermait la porte derrière lui. "Il est en train de jouer dans le tipi que tu lui as offert, il l'adore. C'est devenu sa planque favorite." Joanne avait toujours un rictus qui étirait discrètement ses lèvres. Elle était heureuse de le voir, encore plus ravie de voir qu'il était prêt à passer du temps avec Daniel. "Tu peux rester aussi longtemps que tu veux." lui assura-t-elle tout bas avant de s'avancer un peu plus dans le séjour. "Daniel, trésor, il y a une surprise pour toi." dit-elle ensuite un peu plus fort. C'était amplement suffisant pour voir le petit s'approcher de sa mère. Dès qu'il remarqua Jamie, il s'arrêta net, l'observant avec surprise. "Regarde ! Papa est là ! Il est venu te voir." ajouta-t-elle avec un ton véritablement réjoui. Le petit s'approchait de quelques pas, avant de se précipiter sur Jamie pour se coller à ses jambes en pleurant et en répétant sans cesse "Papa ! Papa ! Papa...." Il tendait les bras en l'air rêvant d'être enfin à nouveau porter par son père. De le voir aussi ému fit monter quelques larmes d'émotion au bord des yeux de la jeune femme. Elle était si heureuse, autant pour Jamie que pour leur enfant. Son coeur continuait de s'emballer. Bien sûr qu'elle adorerait passer un moment avec lui, peut-être discuter, boire un thé en sa présence mais elle doutait que ce soit réciproque. C'était même très peu probable.Le plus important pour elle était qu'il aille bien et qu'il puisse voir Daniel autant qu'il le désire. "Je... J'ai quelques tâches ménagères à faire, je vous laisse tranquille, tous les deux." dit-elle, toujours souriante. Jamie voulait passer avant tout un moment avec son fils, pas avec elle. La petite blonde avait de toute façon des lessives à faire et un peu de repassage.
My mind is on the bad things, Your mind is on the good thingsThese shadows fall on all things But your love, it is the lightning And I need it
Cela ne s’évapore jamais vraiment. La boule au ventre, la nausée qui remonte jusqu'au cœur, ce mal de mer permanent, cette impression d'être perdu dans un monde soudainement bien trop grand. Et lorsque l'on pense pouvoir faire avec, vivre avec cette amertume, continuer de prendre sur soi comme si de rien n'était, ou simplement faire bonne figure, tout ceci revient à la charge. Le thorax oppressé, l'appétit coupé, les jambes fragiles comme deux allumettes, les mains sans force comme deux boules de coton, la gorge sèche, la tête lourde, les paupières tombantes ; tout le corps qui suggère qu'il serait peut-être bien mieux de s'allonger et dormir ; dormir pour que le temps passe plus vite, pour enfin arriver au jour où il sera véritablement possible de tourner la page. Je me répète tous les jours que je peux surpasser ça. Je vaux mieux que ça. Je ne suis pas celui que la peine paralyse, que l'amour rend malade. Le monde continue de tourner, offrant toujours tant de possibilités, et la vie continue, ne sera jamais plus facile, mais plus supportable si l'on se donne les moyens. Néanmoins il est difficile d'avancer, en ayant ces souvenirs, ces espoirs déçus, ces rêves désenchantés, comme un boulet attaché aux pieds. Dans ces moments-là, il n’est nul autre bourreau, nul autre geôlier que soi-même, et la sentence, la peine infligée, est celle que l'on accepte de s'imposer. Il est si difficile de regarder en soi et n'y voit qu'un cœur brisé, comme s'il me définissait. Il est encore plus dur de lui tourner le dos, lui dire de faire mieux, de le laisser peiner, attendre. Ça guérira comme toutes les blessures, les baffes, les coups, les coupures, les plaies, les os cassés. Au final, la véritable épreuve consiste à accepter qu'il n’y a rien à faire et que seul le temps est la solution. Un jour peut-être, un mois, un an, jamais. Car si rien ne disparait et tout se transforme, alors l'amour ne meurt pas. À choisir, cette affection deviendra de la colère, de l'amertume, une peine lancinante, un simple souvenir, un respect mutuel, une amitié. Cela ne dépend que de moi, d'elle. Des mains que l'on se tend, des paroles échangées, des regards où dorment les souvenirs et les avenirs possibles. Aller de l'avant, aller mieux, n’est pas une option ; c'est le seul scénario possible. Car il n’y a que dans les livres, sur les planches d'un théâtre, que l'on s'éteint par amour. Et j’ai un fils qui attend le père qu'il mérite, dont il a besoin, et qui a besoin de lui, depuis trop longtemps maintenant. Je mets de côté les démons, eux qui murmurent que je ne suis pas encore assez à la hauteur, et, invité par Joanne, j'entre dans la petite maison. Silencieux, mon regard glisse sur les murs, les meubles, et le tout a l'air encore un peu plus abouti que la dernière fois, installé. Dans le salon, un tapis débordant de jouets trône au centre, petit royaume de notre garçon qui préfère rester caché dans sa bulle. “Je n’ai pas besoin de longtemps.” je souffle, ce qui est faux, je ne sais pas le temps dont j'ai besoin, ni s'il existe assez de temps dans le monde pour m'aider à reprendre le cours de ma vie lorsque le moment sera passé. “Je ne veux pas m'imposer.” Après tout, même si le planning de la journée ne consistait qu'à être entre mère et fils, cela reste un plan que ma présence repousse, l'invité arrivé sans s'annoncer. Une petite tête brune, un coup d'œil curieux, sort du tipi et se fige immédiatement sur moi. Cela est sûrement insensé, mais sur le moment, la peur qu'il ne veuille tout simplement pas de moi, qu'il m'en veuille, me laisse aussi statique que lui. Cela pourrait être amusant d'être terrorisé par un si petit, tout petit être, si cela ne me rendait pas si fébrile. Je le laisse choisir, faire le premier pas, et finalement il déboule et s'écrase sur moi comme un boulet de canon. Entrevoir ses grands yeux bleus émus me poussent à garder les miens secs, faire bonne figure. “Hey, mon bonhomme ! Viens là.” Sans plus attendre, je le prends dans mes bras, et il n’en faut pas plus pour que je sente littéralement le poids des mois qui nous séparent de la dernière fois que je l’ai porté ainsi. Ses petites jambes autour de moi gigotent d’excitation, son visage s’enfouit dans mes cou, tandis que je le serre aussi fort que possible, le cœur au bord de l’implosion. “Mon dieu, tu m’as tellement manqué…” Délicatement, tendrement, je caresse ses cheveux, l’embrasse sur le front, les yeux fermés afin de mieux sentir sa chaleur, sa présence, même son odeur. “Je suis vraiment désolé.” je murmure sans plus d’explications, il faut dire que la montagne de choses pour lesquelles je dois lui présenter des excuses est bien plus longue que ce qu’il est en âge de comprendre, et je ne veux pas que cela soit une excuse pour lui dissimuler la vérité. Je pense qu’à ses yeux, les raisons n’ont pas tant d’importance non plus. “Je t'aime si fort Daniel.” Voilà ce qui est réellement important, la seule chose qui compte à présent. Qu’il n’en doute pas une seconde, qu’il ne pense pas que je ne voulais plus de lui, que je ne reviendrais jamais. Il est mon trésor le plus précieux, ma fierté, même s’il a été si dur d’en arriver jusqu’ici suite aux derniers événements avec sa mère. Il est injuste qu’il ait eu à en subir le contrecoup, mais cela n’est ni la première, ni la dernière injustice qu’il vivra –et de celle-là, il ne se souviendra pas. Enfin il relève son visage et m’adresse le plus adorable et contagieux des sourires. Je le dépose par terre, bien debout sur ses deux jambes, mais c’est à peine s’il se décolle de moi. “Maman a dit que tu étais dans le tipi, tu es un petit indien ? Tu sais comment on fait l'Indien ? Comme ça.” Accroupi face à lui, je tapote ma bouche avec la paume de ma main. C’est cliché, mais il apprendra à nuancer en temps voulu, pour lui ce n’est qu’un nouveau jeu. Il trouve cela d’abord curieux et fait plusieurs essais avant de parvenir à émettre le même son que moi. Alors il rit, tout émerveillé de ce nouveau talent, et le voilà qui ne s’arrête plus d’hurler comme un peau rouge miniature. “Allez, canard-en-couche, montre tous tes jouets à papa.” Immédiatement, il secoue la tête et se précipite vers le tipi qui vide entièrement sur le tapis de jeu, au milieu de tous les autres jouets, si bien que le salon est un peu plus envahi de couleurs, de formes, de couleurs, de lettres, de chiffres, de livres qu’il me présente un à un, fier comme tout de pouvoir nommer, ou presque, les animaux qu’il possède, ce qu’il connaît de l’alphabet, et jusqu’où il peut compter –jusqu’à cinq, en inversant le trois et le quatre une fois sur deux. Il n’a pas délaissé tous les livres qu’il possède depuis ses premiers mois, mais désormais, plutôt que de se laisser faire la lecture, il n’hésite pas à les ouvrir lui-même, montrer les pages cartonnées du doigt, et nommer tout haut ce qu’il pointe. Ses babillages forment des mots à demi-mâchés, des syllabes avortées, hésitantes parfois, mais l’idée y est. Bien installé entre mes jambes, assis par terre, adossé au canapé, Daniel me laisse quand même participer, faire le papa, sage et attentif pendant que nous listons quelques animaux de la ferme –et je songe à cette fois où il s’était jeté sur une chèvre pour la câliner à la foire, ce dont il ne se souvient sûrement pas. “Qu’est-ce que c'est ?” je demande en indiquant l’une des bêtes. “MEUH.” qu’il me répond avec une telle conviction que j’éclate de rire. “Presque, c'est une vache, et le cri de la vache c'est ?” “MEUH.” J’ébouriffe les cheveux du filou et lui claque un baiser bien mérité sur la joue. Son petit sourire vainqueur et fier donnerait presque envie de lui poser à nouveau la question jusqu’à ce qu’il s’en lasse. Mais il prend l’initiative de poser le livre sur mes genoux après s’être relevé, lâchant un “ 'tention” presque ordonné qui me laisse les yeux ronds, puis il galope jusqu’à sa mère et la table à repasser, tire sur sa robe et s’impose du haut de ses quatre-vingt centimètres ; “Maman, soif.” Et je me surprends à échanger un sourire amusé avec Joanne, un regard attendri par notre bout de chou, avant de rapidement m’en détourner.
I want you to be okay. I want us to be okay. And I need it, oh I need it. Never tell me that we can't go further
Il n'y avait certainement pas pire sentiment que celui que l'on ressentait lorsque l'on était face aux conséquences de tous les maux causés à une personne qui était importante. Joanne n'était pas sereine et il n'y avait pas un seul jour depuis la soirée passée sur le pont où elle n'était pas rongée par la culpabilité. Tout avait été mal fait, mal géré, depuis le début. Mais quelle idée d'avoir voulu jouer sur deux tableaux. Elle ignorait ce qui avait pu lui passer par la tête durant tout ce temps. Son absence de décision et de choix l'avait menée dans une impasse, et avait fini par en blesser plus d'un. Oui, même Hassan en faisait partie, en soi. Il y avait des bons moments, certes, mais la jeune femme ne parvenait pas à mettre ce flot de désaccords, de tensions et d'incompréhension qui plânaient au-dessus d'eux depuis qu'ils avait repris contact. Elle savait qu'elle décevait son ex-mari, que ça avait été le cas de plus d'une fois. Mais pour Jamie, il n'était même plus question de déception, cela allait bien au-delà. En voyant le résultat de son comportement et de ses erreurs, la jeune femme sentait sa gorge et son coeur se serrer. Ca l'attristait tellement de le voir ainsi. Voilà, Joanne, tu es fière de toi, maintenant ? Elle avait tout ruiner, et elle ne s'en voulait qu'à elle-même. Elle en pleurait encore, au moment où elle se sentait particulièrement démunie. Jamie lui avait dit qu'elle ne pouvait rien faire, qu'il fallait laisser le temps au temps. Elle en avait bien conscience, mais son sentiment d'inutilité se décuplait malgré tout. Toutes les excuses de la Terre n'étaient pas suffisantes, et quand bien même, il n'en voudrait pas. Ce n'était pas assez, ni adapté, et c'était surtout beaucoup trop facile. Le mieux que Joanne pouvait faire était de se montrer ouverte. La jeune femme était sur une bonne pente, elle faisait de nombreux efforts pour aller mieux. "Tu ne t'imposes pas, je t'assure." lui répondit-elle doucement. "Je n'avais vraiment rien de sorcier de prévu." Et de toute façon, quoi de mieux que de voir un peu son père l'espace de quelques heures au programme pour Daniel ? La petite blonde estimait que cela valait bien plus que tout ce qu'elle aurait pu lui proposer si Jamie n'était pas venu sonner à la porte. Les retrouvailles étaient belles à voir. Il n'y avait pas qu'une seule paire d'iris bleus qui s'était bien humidifiée sur le moment. Joanne les observait ainsi, largement en retrait, avec un sourire ému aux lèvres. Elle était tellement heureuse pour Jamie et Daniel. Ils avaient besoin de se voir tous les deux, de passer un moment ensemble. Après quoi, Joanne grimpait à l'étage pour récupérer le linge qu'elle avait à repasser, entendant Jamie discuter avec son fils. C'était plutôt à elle, d'être désolée, se dit-elle. Parce que tout était de sa faute, que cette séparation entre Jamie et son fils n'était causée que par les erreurs de la jeune femme. L'espace d'un instant, elle pensait être une mère particulièrement lamentable. Ce n'était pas digne, pas juste, rien de bon. Un bébé avait beau être petit, il utilisait bien plus de linge que les parents. C'était ce qu'elle avait pu constater par elle-même depuis la naissance de Daniel, et qu'elle se rappelait à chaque fois qu'elle voyait la pile de linge qu'elle avait à repasser – encore plus lorsque le petit Lord voulait faire des activités particulièrement salissantes. Elle descendait le lourd panier de linge au rez-de-chaussée, installant ensuite sa table à repasser suffisamment en retrait pour laisser les deux hommes jouer tranquillement. Elle se faisait toute petite, le plus petit possible. Mais après un premier temps de jeu, Daniel se précipita vers sa mère, attrapant le tissu de sa robe pour réclamer à boire. Elle sourit, tout aussi attendrie que Jamie par leur fils. En levant les yeux, elle avait croisé ceux de Jamie, qui exprimaient quelque chose de bien différent que durant leur dernière rencontre. L'espace d'un instant, Jamie semblait allait bien, et la petite blonde en était le témoin. Mais une fraction de seconde plus tard, il regardait ailleurs. Joanne en avait un pincement au coeur. "Bien sûr, trésor." dit-elle après un petit moment de silence, ayant eu une absence en observant le beau brun. Joanne lui servit un verre d'eau – il commençait bien se débrouiller et avait de toute façon envie de faire exactement comme les grands. Joanne devait juste lui rappeler de dire merci une fois qu'elle lui avait donné le verre d'eau. Accroupie devant lui, elle lui souriait, elle l'admirait. Comme toutes les mamans avec leur propre enfant, elle trouvait que c'était le plus beau de tous les petits garçons. "Et papa ?" demanda le petit en rendant son verre. "Tu penses que papa a aussi envie de boire quelque chose ?" Le petit acquiesça adorablement d'un signe de tête. "Qu'est-ce qu'il veut boire, à ton avis ?" Il pointait du doigt le verre d'eau. "Comme Daniel ?" Et il esquissa un large sourire, excité à l'idée que son père boive la même boisson que lui, bien que ce ne soit que de l'eau. Joanne l'embrassa sur la joue avant de se redresser pour aller chercher un nouveau qu'elle remplit d'eau fraîche. "Tu veux le lui apporter ?" Bien sûr qu'il le voulait. C'était d'un pas assez lent, les yeux louchant sur le grand verre qu'il tenait de ses deux petites mains. Il gagnait peu à peu en assurance, et avait donc accéléré le pas. Si bien que, dans la précipitation, il finit par en renverser un peu par terre. Constatant sa maladresse, il s'arrêta net avec un petit sursaut, regardant l'eau par terre et lâcha un "Oh, oh..." lorsqu'il constata sa petite bêtise, avec regret. Il se retourna vers Joanne, qui l'avait regardé faire de loin, et attendait sa réaction avant de pouvoir faire quoi que ce soit. "Ce n'est pas grave, Daniel, ce n'est que de l'eau, ça se nettoie vite. Je m'en occupe, va lui donner le verre." lui expliqua-t-elle avec un sourire. Elle le laissait approcher de son père le temps et récupéra à la cuisine un torchon afin d'essuyer rapidement les quelques gouttes d'eau qu'il y avait sur le parquet du séjour. "Si tu veux aller te promener avec lui, ou faire une activité à l'extérieur..." proposa-t-elle à Jamie avec un vague haussement d'épaules. "J'ai largement de quoi faire pour m'occuper toute la matinée." dit-elle avec un rire nerveux en montrant son panier de linge d'un signe de tête. "Tu peux revenir quand tu veux avec lui, je reste à la maison." lui assura-t-elle. Joanne avait l'impression qu'ils étaient retombés dans la période où elle devait être présente lorsque Jamie passait du temps avec leur fils. Elle lui faisait confiance, elle ne voulait pas qu'il se sente à nouveau fliqué, parce que ce n'était absolument pas le cas. Elle craignait surtout qu'il ne tolère pas sa présence et que ce soit une raison principale pour lui d'écourter sees retrouvailles avec Daniel. Elle voulait se montrer le plus ouvert possible pour Jamie, lui faire comprendre qu'elle s'adaptait à ses besoins et ses limites, au temps dont il avait besoin.
My mind is on the bad things, Your mind is on the good thingsThese shadows fall on all things But your love, it is the lightning And I need it
Un regard était déjà en trop, et cela suffisait à réaliser que je ne vais pas mieux, pas autant que ce que j'aimerais croire et faire croire. C'est si simple et si compliqué, si difficile, de garder mes yeux dans les siens, pour partager quelque chose d'aussi normal, banal, que la tendresse partagée pour notre fils. Et bien qu'il fut toujours comme un pont entre nous, nous permettant de garder un lien, un contact, même lui ne suffisait plus. Quoi qu'il ne fut jamais son rôle de sauver quoi que ce soit, de tenir les pièces ensemble. Ce n'est qu'un tout petit garçon pris au milieu de cette houle alors qu'il mérite mieux, tellement mieux. Juste un regard et je me souviens que je ne suis pas chez moi, chez nous, nulle part où je puisse avoir la place, alors je m’efface, je retourne en moi-même, là où je pense trop, ressens trop. Daniel revient avec un verre d'eau pour moi, les pommettes roses et le sourire fier, les bras tendus comme s'il s'agissait de quelque chose d'important. Je saisis délicatement sa petite attention et prends une grande gorgée. “Merci beaucoup.” Malgré toute sa satisfaction, Daniel a une pensée pour sa maladresse qui a déversé la moitié du verre par terre, là où sa mère éponge désormais le sol. Il la regarde, et moi lui, et je n’ai plus besoin d'émettre la moindre comparaison ; je retrouve tant de caractéristiques de Joanne sur sa bouille soucieuse. Finalement, il retourne sur le tapis de jeu, prend son carnet de coloriages, des crayons, et se met à l'oeuvre. Il remplit par de gros traits grossiers un dinosaure en orange, et cela lui paraît tout à fait normal. Cela peut paraître susceptible de ma part, mais la simple suggestion de Joanne d'aller quelque part, dehors, me fait serrer les dents. Pourtant je ne lui en veux pas de le proposer, de l'autoriser ; je n’en veux qu'à moi qui n’y songeais pas, qui pensait même partir, et qui se dit désormais que si je n’applique pas cette suggestion je chuterais encore sur échelle des bons pères. “Oui, pourquoi pas.” je souffle, puis je me penche vers le petit, très concentré sur son dessin, et attire discrètement son attention en caressant du doigt sa bouille joufflue. “Tu veux aller dehors, Daniel ?” Pas de réponse, il m’a plutôt l'air dans sa bulle. “Dans le jardin ? Au parc ?” Enfin, il secoue la tête, sans pour autant détourner son regard du papier et des couleurs qu'il appose dessus. C’est un non, sans équivoque, et je pourrais même reconnaître une bonne dose de moi dans sa manière de balayer l'idée comme si elle relevait du ridicule, un sourcil relevé, l'autre légèrement froncé, et la bouche pincée en un petit sourire en coin. “D'accord, on reste là.” Ma main caresse furtivement son crâne brun puis je le laisse à son coloriage, sachant parfaitement à quel point la tranquillité est appréciée dans ces moments. Je m'installe sur le flanc, près de lui, et je me contente de le regarder faire. De temps en temps, il m’explique ce qu'il fait à l'aide de babillages auxquels je ne comprends que vaguement quelques mots mâchés. L'herbe est bleue, et puis, le ciel aussi. Finalement le dinosaure sera à moitié vert. Les traits vont dans tous les sens, faisant fi des limites des larges traits noirs du dessin de base. Parfois, il me demande une couleur précise, ou un avis. Car dans sa petite bulle artistique, héritée de son père, celui-ci y a sa petite place, et à mes yeux cela est déjà un honneur en soi. Dans le calme, le silence qui règne, l’on entend parfois le soupir du fer à repasser et les murmures d'un Daniel concentré. Pour ma part, je commence à somnoler, sentant le poids d'une nuit trop courte sur mes paupières, puis dans mon crâne, jusqu'à finir assoupi sans même m'en rendre compte -mais n'est-ce pas typique ? “Papa…” souffle le garçon en posant une main sur mon épaule, mais cela est sans effet. Plutôt que de s'en vexer, il arbore ce petit sourire du garnement qui planifie une petite bêtise et qui s'en amuse déjà ; avec ce même air mutin, il attrape quelques feutres et se rapproche, assis devant mon visage. Et il se penche dessus comme sur une feuille blanche, un espace de création encore vierge. Ce n’est que lorsque je sens la pointe du feutre frottée sur ma joue que je me réveille. Daniel pouffe, la main pleine d'encres de toutes les couleurs devant la bouche, fier de lui, mais détalant déjà vers son tipi. “Mais qu'est-ce…” Je passe le revers de ma main sur ma tête et étale au passage du rouge et du vert. Mes yeux s'arrondissent lorsque je rassemble les idées et réalise le tout. Si je ne suis pas un père dévoué pour l'esprit créatif de son fils après ça. “Ah parce que tu crois que papa a besoin d'être colorié, petit malin ?” je lui lance en partant à sa recherche dans le tipi d'où je l'extirpe sans problème. Il crie, même s'il voit bien que je ne suis pas vraiment énervé, se prenant au jeu et faisant mine de se débattre tandis que je le saisis dans mes bras. Il dégaine son grand regard bleu, innocent, diaboliquement adorable, l'air de demander pardon tout en sous-entendant qu'il ne sait absolument pas de quoi je veux parler -même si les tâches de couleurs sur mon visage sont bien assez évidentes. “T’es une vraie crapule, si tu crois m'avoir avec cette bouille là !” Nouvelle attaque de chatouilles, Daniel gigote, hurle, rit, bat des jambes, des bras, se laisse tomber en arrière, la tête à l'envers, bien tenu par les jambes, tout en confiance, sans un doute. Sous son petit t-shirt relevé, son ventre rebondi est à la merci de mes taquineries, mais aussi d'une pluie de baisers. Puis je le dépose sur le canapé, faisant mine de l'y jeter, lorsqu’il est à bout de souffle et donc assez puni pour sa filouterie. “Tu veux toujours dessiner sur le visage de papa ?” Il acquiesce, pour m’embêter, provoquer un peu, voir si cela vaudra d’autres chatouilles ; il titille, comme tous les enfants le font, avec innocence et malice. “Peut-être une autre fois.” S’il s’y prend dans mon sommeil, je risque de ne pas avoir le choix de toute manière. Je dépose un baiser sur son nez, puis je me tourne vers Joanne, avec un nouveau sourire ; “Je peux emprunter ta salle de bain ?”
I want you to be okay. I want us to be okay. And I need it, oh I need it. Never tell me that we can't go further
Joanne marchait sur des oeufs, elle essayait de ne pas trop en faire, de ne pas être trop présente. Rien de trop. Elle était comme un funambule qui marchait sur un fil particulièrement fin, en quête constante du bon équilibre pour éviter la chute. Elle évitait de trop en dire, de trop le regarder bien que c'était particulièrement tentant. Elle tentait de se concentrer sur les minuscules chaussettes de Daniel qu'elle avait à assembler et à plier, sur ses bodies et ses petite chemises. Ces habits pour bébé étaient adorables, ils faisaient constamment craquer Joanne. Parfois, elle réalisait combien il grandissait vite. Elle avait précieusement conservé ses habits de naissance et les comparait avec ce qu'il portait actuellement. La jeune femme n'avait pas remarqué que son fils la regardait soucieusement alors qu'elle épongeait le sol légèrement mouillé. Elle mit de côté le torchon afin de le mettre au sale plus tard. Le petit, quant à lui, était bien motivé à faire un peu de coloriage. Joanne ne lui avait acheté que très récemment des feutres, elle s'attendait à ce qu'il ait un vif intérêt pour ce nouvel outil de coloriage. Il était certain qu'il avait la fibre artistique, il remplissait ses livres à colorier à grande vitesse. Mais ayant l'impression d'être de trop, la jeune femme avait fini par lui proposer de sortir un peu avec Daniel. Aller au parc, à la plage, ou même en ville. Ce n'était qu'une suggestion, et cela ne semblait pas satisfaire à Jamie. Il le savait certainement déjà, qu'il en avait le droit. Peut-être n'avait-il pas voulu qu'on le lui rappelle. Il le proposait alors à leur petit, qui refusa catégoriquement. Non, lui, il voulait encore colorier son dessin. La petite blonde avait repris son repassage et la pile des vêtements soigneusement pliée remplaçait celle des tenues toute froissées. Jamie s'était allongé à côté de leur fils, le regardant faire. La jeune femme aurait du en mettre sa main à couper qu'il allait finir par s'endormir dans cette position, quoi qu'il ne se sentirait peut-être pas tout à fait l'aise en se sachant être dans la maison de Joanne. Daniel eut soudainement ce regard bien malicieux – le regard d'un petit prêt à faire une bêtise. Joanne fronça légèrement les sourcils, mais avec un sourire amusé, se demandant bien ce qu'il pouvait avoir en tête. Elle se retint de pouffer de rire lorsqu'il avait décidé de dessiner sur le visage de son père. Elle s'en pinçait même les lèvres, tentant de rester concentrer sur son repassage alors que Jamie s'éveillait de sa courte sieste. S'en suivit une douce vengeance, avec des rires chatouillis, des câlins, des cris heureux. Daniel le cherchait pas mal, il fallait dire. Parfois, il se chamaillait aussi gentiment avec sa mère, mais ce n'était pas pareil. Avec Maman, il fallait que ce soit gentil, doux, délicat, alors qu'il y allait un peu plus franchement avec son père. Joanne les observait d'un air attendri, se rendant une nouvelle fois compte à quel point tout ceci lui manquait. Et dire qu'elle était passée à côté de tout ça. Histoire de se débarbouiller un petit peu, le beau brun demanda à Joanne s'il pouvait se rendre dans la salle de bains. Il lui souriait. Qu'il était beau lorsqu'il souriait, se dit-elle. Joanne ne peut que lui rendre un rictus, sentant son coeur se gonfler subitement en le voyant ainsi. Peut-être qu'il n'allait pas mieux, mais il lui souriait. "Bien sûr." finit-elle par lui répondre. Elle prit une serviette qu'elle venait à peine de repasser pour s'approcher de Jamie et la lui donner. Elle était encore un peu chaude. "Tiens, prends celle-là. Nunki et Sirius se sont amusés à prendre toutes les serviettes du placard la nuit dernière, j'ai du tout laver." expliqua-t-elle. Parce que oui, il fallait bien se rouler dedans et s'en faire un petit nid bien douillet au beau milieu de la salle de bain. "C'est à l'étage et..." Joanne rit nerveusement. Elle avait pensé trop tard qu'il savait déjà où la pièce d'eau se trouvait. Il avait déjà eu l'occasion de l'avoir lorsqu'il avait accepté s'occuper de Daniel, et d'elle, lorsqu'elle était tombée malade. Joanne le regardait monter à l'étage avec une certaine affection. Au point que cela ne la rende rêveuse. C'était son fils qui se précipita vers elle, contre ses jambes, avec une soudaine envie d'affection. Elle s'installa par terre pour le prendre dans ses bras. Elle avait l'impression qu'il était on ne peut plus heureux, particulièrement comblé. "Ca te fait plaisir de jouer un peu avec Papa ?" lui demanda-t-elle. Il acquiesça d'un signe de tête. Plusieurs signes de tête même. Il s'était blotti contre Joanne quelques minutes. Elle avait fini par le porter afin de pouvoir se relever. Elle le câlina jusqu'à ce que Jamie refasse son apparition, le visage bien propre. "Ce n'était pas une si mauvaise idée que ça que d'acheter des feutres qui s'effacent à l'eau." dit-elle avec un léger rire. Daniel tendait les bras vers Jamie, réclamant son père. Elle s'approchait donc de lui pour le lui confier. Mais l'une des mains de Daniel restait fermement accroché au col de la robe de Joanne, voulant faire comprendre qu'il voulait un câlin à trois. La jeune femme était gênée, et elle savait que cette idée ne plairait pas à Jamie. Elle lança un regard désolé au père de son fils, souriant malgré tout, et pris la main de Daniel, embrassant ses doigts. Daniel voulait que sa famille soit au complet, mais ce n'était pas encore possible. Elle cherchait quoi trouver comme excuse pour éviter que ce soit trop abrupte pour le petite. Pas un "ce n'est pas possible." "Trésor, ... Maman a encore plein de choses à faire, il faut que je termine de repasser les serviettes que Nunki et Sirius ont tout sali, tu te rappelles ? Parce que s'il n'y a pas de serviettes propres, tu ne pourras pas prendre ton bain tout à l'heure." Le bain, un argument de taille. "Reste encore un peu avec Papa, tu m'as dis tout à l'heure que tu était content de jouer avec lui, et il est encore là. Tu lui as montré comment tu as rangé son tipi ?" Bien que Daniel n'était plus que dans les bras de Jamie, Joanne était restée assez proche d'eux. Bien sûr que son coeur battait à tout allure, bien sûr qu'elle était heureuse qu'il soit tout simplement là, même si ce n'était pas pour elle. C'était Jamie, après tout. "Ou... Tu lui as déjà montré la balançoire et le petit toboggan ? Ca, Papa ne l'a pas encore vu ! Et je suis certaine qu'il va adorer. Montre lui comment tu fais du toboggan comme un grand." dit-elle alors d'un air enjoué. Elle avait en effet récemment acheté le nécessaire pour l'occuper dans le jardin, étant donné que la fin de l'hiver approchait et que les températures se réchauffaient peu à peu. Il arrivait à l'âge où ces petites attractions pouvaient longuement le distraire. Tout excité, Daniel agitait ses petites jambes, et n'arrêtait pas d'appeler son père en pointant du doigt l'extérieur, le regard plein d'étoiles. "Par contre, tu vas mettre un petit gilet, bonhomme." dit-elle en s'approchant de l'entrée pour récupérer le vêtement en question.
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La salle de bains, je connais. Néanmoins, je garde un fin sourire en voyant Joanne m’en indiquer l'emplacement dans la maison avant de se rendre compte d'elle-même de son étourderie. Je prends la serviette encore chaude, un peu navré d'en user une si fraîchement nettoyée après le carnage engendré par les chiens, mais cela est comme toute chose dans une maison ; beaucoup d'entretien afin de mieux vivre par-dessus ensuite. Je remercie la jeune femme d'un signe de tête et monte les escaliers. Dans le miroir, je lâche un petit rire devant mon reflet, les couleurs étalées sur mes joues, mon front, et formant une sorte de moustache multicolore. Oui, on peut aisément que ma vie a une allure monotone depuis quelques temps et mériterait quelques couleurs, pourtant cette interprétation est un brin trop littérale à mon goût. Au moins, Daniel sera parvenu à me faire rire de bon coeur. Nos jeux me manquent, nos courtes batailles, sa manière de gigoter quand je le chatouille en tirant son t-shirt sur son ventre rebondi. Sa bouille me manque, sa curiosité, et ses moments d'aventures intrépides. Mais un coup d'oeil sur ma montre, posée au bord du lavabo, me rappelle que je suis là depuis déjà deux heures. Les mains statiques sous le jet d'eau froide, je songe, je me demande si je souhaite vraiment m'en aller si tôt. Et je sens mon cœur un peu plus lourd, mon courage se faire la malle. Les couleurs sur mon visage partent sans mal, excepté le rouge dont il reste quelques traces tenaces. Puis je plonge le nez dans la serviette, inspire un grand coup. Je ne sais pas ce que je redoute le plus ; la réaction de Daniel lorsqu’il comprendra que son père ne restera pas plus longtemps, ou celle de Joanne. Pour éviter ce moment, je pourrais m'enfermer là jusqu'à ce qu'on vienne m'arracher de ce carrelage. Je sens mon cœur qui s'accélère, la légère faiblesse dans mes jambes. Et cette nausée qui revient, cette boule dans la gorge. Je n'aurais pas à partir s'il en était autrement de toute cette histoire, mal écrite, bâclée du début à la fin. Mais ce n'est pas ce que nos décisions, nos erreurs, nous ont amenées à être, à vivre. Nous ne pouvons pas réécrire tout ceci. Et si nous pouvions revenir en arrière, ferions nous autrement ? Je souffle, et je quitte la pièce. À mon retour dans le salon, le transfert de Daniel des bras de sa mère aux miens termine en maladroite tactique de réunion d'une famille décomposée. Joanne se dégage rapidement, et je me recule également. Le malaise est palpable mais la jeune femme fait au mieux pour détourner l'attention de ce moment. Néanmoins, sa démarche n’est d'aucune aide pour la mienne, et la voilà qui nourrit le petit d'espoirs de nouvelles activités sans s'encombrer de mon avis, des espoirs que je vais devoir décevoir. Malgré son adorable sourire, l'excitation du garçon me brise le coeur, et c'est à mon tour de briser le sien. “En fait je… pensais partir.” dis-je d'une voix éraillée. “Je l’ai dit, que je ne resterais pas longtemps.” Mais bien évidemment, Joanne devait mettre les pieds dans le plat et s’avancer plus que nécessaire, mettre son grain de sel. Comme on le dit trop souvent, l'enfer est pavé de bonnes intentions, et la petite blonde a de nouveau fait l'erreur de croire qu'elle suggère tandis qu'elle créé une obligation, poussant, brusquant. Et ce n'est pas la douceur de sa voix qui change quoi que ce soit à ce fait, ni même l'intention initiale. “Papa doit rentrer chez lui, trésor.” dis-je à Daniel qui ne saisit pas tout. Un papa est chez lui là où son bébé est, et là où maman est, à ses yeux. Il devrait être revenu pour de bon. Alors il fronce les sourcils face à ce concept bien abstrait. “Nous avons déjà bien joué, non ?” je poursuis en le reposant par terre malgré sa petite protestation. Qu'importe, il rejoint Joanne et lui demande le gilet dont elle parlait et qu’elle était allée chercher dans l'entrée. Si papa va dehors, lui aussi après tout. Il a encore d'autres jeux à montrer, il n’y a pas de raisons de s'arrêter en si bon chemin -excepté pour manger, plus tard. Je pince les lèvres, le regard bas ; il ne comprend pas. “Non, Daniel, tu ne viens pas…” Et cette fois, entre Joanne qui ne lui fait pas enfiler le gilet et ce non, le garçon se renfrogne d'abord, puis fait la moue, et finit par pleurer de frustration. Il cherche notre regard, à l'un et à l'autre, et il n'y voit rien de positif, rien pour le rassurer. Maman ne bouge plus, papa remet sa veste. Alors il pleure un peu plus, quand je suis trop près de la porte. Je m’accroupis face à lui et prend soudainement ses épaules, ordonnant presque trop fermement, trop froidement, mais surtout, aussi blessé et triste que lui ; “Maintenant tu arrêtes.” Il ne respire plus, choqué -le même choc qui me pousse à le lâcher immédiatement. Les dents serrées, je réprime les larmes aux bord de mes yeux qui répondent à celles qui ont débordé sur les joues de Daniel. “Je sais que c'est difficile à comprendre.” Cela l’est autant pour voir, et à accepter aussi. J’en suis au point où je ne veux plus ni partir, ni rester. Cette paire d’yeux rouge et ce petit nez coulant me gardent là, désarmé et tellement coupable. Mais nous ne sommes plus la famille que nous étions. Il doit le comprendre. C'est ici, maintenant, que nos décisions et nos erreurs nous ont menées. “Je t'aime toujours plus que tout au monde.” je murmure, la gorge serrée, en passant le dos de ma main sur son visage pour sécher ses pleurs alors qu'il baisse la tête, tout penaud.
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Joanne multipliait les maladresses. Certaines faisaient sourire, d'autres venaient absolument tout gâcher. Comme à ce moment où Jamie esquissait un sourire lorsqu'elle lui avait indiqué la salle de bains alors qu'il savait déjà où elle se trouvait, mais qu'elle s'en était rendue compte un peu trop tard. Elle le faisait encore un petit peu sourire, c'était déjà une très grande victoire pour elle. Il n'y avait plus de ces regards noirs, cette mâchoire qui se serrait, ces soupirs d'exaspération à chaque fois qu'elle ouvrait la bouche. Les deux mois sans se voir leur avaient certainement fait du bien à tous les deux, même si cela n'était pas suffisant pour panser toutes les plaies, encore moins pour oublier ou pardonner. La petite blonde acceptait tout ce qu'il se sentait prêt à lui donner, ni plus ni moins. Elle l'avait regardé monté les escaliers avec une certaine affection. A son retour dans la salle de séjour, Daniel avait créé un certain malaise en espérant pouvoir enlacer ses deux parents en même temps. Sa mère se chargeait de réétablir une distance en trouvant une idée qui semblait plaire au petit. Elle se rendait compte trop tard, une nouvelle fois, qu'elle faisait une boulette. Elle l'avait deviné rien qu'en regardant Jamie, rien qu'en entendant ce silence devenu subitement bien lourd. Il révélait alors qu'il ne comptait pas s'éterniser plus longtemps, qu'il s'était finalement débarbouillé le visage pour pouvoir être à nouveau présentable uniquement pour ressortir de la maison sans être regardé bizarrement. Il l'avait dit oui, qu'il ne s'éterniserait pas. Joanne tournait la tête pour voir l'heure sur l'horloge et réalisait que deux heures s'étaient déjà écoulées. Le temps était passé à folle allure, elle ne l'avait pas réalisé. "Ah il est déjà... Je n'avais pas vu le temps passer." dit-elle tout bas. Elle sentait son coeur se serrer d'une manière bien désagréable, il s'accélérait et elle commençait un peu à paniquer. Jamie se fichait que ça parte d'une bonne intention, l'erreur était déjà faite. La finalité restait la même et il ne se concentrait que sur les fins. Joanne s'en voulait de s'être lancée trop en avant là-dessus, parce que la casse allait être difficile à rattraper. Parce qu'il y allait avoir des pleurs, et Joanne avait horreur d'être la principale cause des pleurs de son fils. Encore une fois, c'était de sa faute et elle ne pouvait que s'en prendre à elle-même. Le plus difficile était de voir que Daniel ne comprenait pas. Non, il voulait sortir avec son père, lui montrer sa balançoire. Joanne en avait les larmes aux yeux, d'avoir tant enliser la situation. Ca lui faisait mal au coeur de voir combien cela était tout aussi difficile pour elle, que pour Jamie, que pour leur fils. Ce dernier continuait de pleurer, de plus belle lorsqu'il voyait son père avec la veste sur les épaules. Jamie s'accroupit et devint particulièrement froid et ferme envers Daniel, ce qui surprit tout le monde. Le petit hoquetait de temps en temps, mais n'osait pas en dire plus. Il avait horreur de contrarier ses parents et restait facilement impressionnable; un trait hérité de sa mère. Jamie, tout aussi surpris de sa propre réaction, lâchait immédiatement Daniel. Le petit se mit à frotter ses yeux, secoué par toutes ses émotions. Etant derrière lui, Joanne profitait d'être en dehors du champ de vision de son fils pour verser une larme qu'elle retenait depuis un peu trop longtemps. Elle l'essuyait rapidement avec le revers de sa main. A ce moment là, elle se demandait si ce n'était pas elle, le mauvais parent, celle qui ne faisait pas les choses bien. Toujours un pas de travers alors qu'elle pensait bien faire, toujours dire ce qu'il ne fallait pas. A force de voir ses erreurs s'accumuler, elle se posait des questions. Une fois un peu plus calmé, Daniel se blottit quelques minutes contre son père, bien triste, mais résolu, puis demanda à sa mère où se trouvait son doudou et sa tétine. "Tu les as laissé sur le canapé, trésor." lui répondit-elle doucement, en caressant sa chevelure avant de le regarder partir en direction de l'endroit indiqué. Les mains jointes devant elle, la jeune femme avait baissé les yeux, craignant un peu de croiser ceux de Jamie. Par nervosité, elle plaçait une mèche derrière son oreille. Elle non plus, elle ne voulait pas qu'il parte. Mais Jamie n'était certainement plus touché par quoi que ce soit qui pouvait venir d'elle. C'était ainsi qu'elle percevait les choses et elle se disait que pour le moment, le mieux qu'elle pouvait faire était de radoucir ce qu'il pouvait y avoir entre eux, quoi que cela puisse être. "Jamie, je..." Elle ignorait ce qu'elle voulait dire. Ses yeux se levaient de temps en temps, très timidement. "Si tu es d'accord, peut-être que pour les prochaines fois... Si c'est encore trop difficile pour toi... Qu'on fasse à peu près la même chose, mais dans un endroit neutre ? Le parc, la plage, qu'importe, c'est vraiment comme tu veux et peux." Joanne voulait se montrer le plus arrangeante possible, le plus flexible possible. "Et...Et je pourrais rester dans le coin pour le récupérer quand bon te semblera, je..." Encore une fois, la petite blonde se trouvait particulièrement maladroite dans ce qu'elle disait et elle ne parvenait pas à trouver les bons mots, les bonnes tournures. Elle soupirait quelques fois, ne terminait pas ses phrases. "Ce que je veux dire, c'est que je reste flexible et arrangeante, et que la seule contraire que j'ai, c'est le boulot. Que quand un soir, ou une après-midi, tu as envie de le voir, il suffit de m'informer, et je m'arrangerai de mon côté pour que ce soit possible. Si tu veux que ce soit deux weekend de suite ou... Si tu as une semaine de vacances et que tu voudrais l'avoir quelques jours, c'est vraiment comme tu le veux toi." Les contraintes, ce n'était pas ses activités, ni ses impératifs à elle et elle savait qu'Hassan avait conscience qu'elle mettait son fils dans la liste de ses priorités. Le plus important pour elle était de réétablir la relation père-fils et de faire en sorte qu'ils puissent profiter de l'un l'autre. Son objectif était qu'au final, la garde de Daniel devienne comme elle était et pour cela, la jeune femme se sentait prête à faire quelques débordements de règles pour que tout aille au mieux. C'était maladroit, incertain, l'idée était pourtant là et Joanne ne savait plus vraiment à quoi s'attendre comme réaction de la part de Jamie. Pour elle, c'était à elle de se démener pour faire en sorte qu'ils puissent tous aller mieux, de remettre certaines choses en place. Qu'il y ait à nouveau une base dans tout ceci, quelque chose sur lequel ils pouvaient tous se référer. Elle ne savait pas vraiment quoi ajouter, elle gardait le visage bas, avec le pressentiment de se faire sermonner à nouveau. Daniel était allé se réfugier dans son tipi avec ses peluches, se distrayant en bouquinant un livre d'images au calme.
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Résigné, Daniel fait un petit pas vers moi et accepte de me prendre dans les bras une dernière fois avant que je ne m'en aille, bien trop tôt à son goût, et au mien. Je sens ses joues mouillées se réfugier dans mon cou, ses bras serrer fort sur mes épaules. Il ne dit rien, sûrement trop déçu pour cela. “Je reviens très bientôt.” dis-je tout bas, ce qui ne reçoit aucun autre écho qu'un léger hochement de tête du garçon. J'imagine qu'il apprend déjà à ne pas nourrir trop d'espoirs à propos de son père, ce monsieur qui est là de temps en temps, quand il le veut bien, quand il y parvient, juste pour deux heures, et pas une minute de plus. Celui qui n’est pas là, mais qui l'aime quand même parait-il. Tout ce que j'ai toujours craint d'être à ses yeux. Il se décroche de moi sans m'accorder un regard, se tourne vers sa mère pour réclamer des jouets et retourne dans le salon. Il disparaît dans le tipi, d'où l’on peut entendre ses murmures tandis qu'il récite par coeur les animaux sur chaque page de son livre, la tétine en bouche. En me redressant, en retrouvant la taille d'adulte sur mes deux jambes, je me trouve stupide, un père pitoyable, un concentré de mauvaises décisions. C'était l'affaire de quelques minutes, d'aller dehors. Un tour de balançoire, une glissade, je serais parti après. Mais je sais parfaitement que la scène aurait été aussi dramatique, que ce soit maintenant ou plus tard. Daniel aurait voulu continuer de jouer toute la journée, partager les repas, prendre le bain, être mis au lit, et il ne m’aurait pas laissé partir avant alors que jamais je n'aurais pu tenir, supporter tous ces moments que nous sommes pourtant censés partager. Demain matin, Joanne aurait géré seule, une fois encore, l'éternel “où est papa ?” et cela aurait été injuste. Il n’y avait aucune bonne manière de faire les choses. Et aucune autre bonne option, pour Daniel, que d'avoir une vraie famille. Ce qui n’est plus envisageable. Cela paraît plus facile pour Joanne que pour Daniel et moi. Et c'est tant mieux, si elle ne se sent pas retenue, tirée vers l'arrière, je suppose. Je ne peux qu’admettre qu'elle s'en sort comme une cheffe, seule avec le petit et un travail à plein temps. Dans son monde où elle peut profiter de son fils, où son travail est sa passion, où elle renoue même avec son premier amour, il n’y a aucune autre fausse notre dans le paysage à part moi. Une ombre au tableau qu'il faudrait écarter. N'a-t-elle pas mérité le bonheur après tout ? Le coeur serré, c'est ce que je comprends lorsqu'elle m'annonce d'une voix douce, histoire de me prendre avec des pincettes, que je devrais peut-être voir Daniel ailleurs plutôt qu'ici, chez elle. Je comprends que je ne suis pas réellement le bienvenu. D'accord pour cette fois, mais pour la suite, je ne devrais plus arriver comme une fleur et m'imposer pour la matinée. Cela me paraît légitime, alors j’hausse les épaules. “On fera ça, oui. Un endroit neutre.” Si c'était ce qu'elle souhaitait dès le départ, il aurait suffi de le dire. La jeune femme a sûrement voulu me ménager pour ce premier contact depuis plusieurs mois. Quoi que je la revois suggérer d'aller au parc tout à l'heure, et encore une fois je me trouve idiot de ne pas avoir vu qu'il s'agissait plutôt d'une requête de sa part. Sans vraiment noter la durée du silence, ni le malaise qui règne, je demeure en pause, les mains dans les poches, le regard bas, acceptant qu'elle préfère m’évincer de son entourage et ne plus avoir à me supporter. Elle l’a bien assez fait après tout. Je ne conviens pas, je n’ai pas de place dans la vie qu'elle se construit. Et je ne cherche plus à me battre contre cela, nager à contre-courant. J’ai compris qu'il n’était rien que je puisse faire. “Je t’ai vue avec Hassan l'autre soir, alors je… je comprends que tu ne veuilles plus me voir ici. Je saisis.” dis-je avec la gorge nouée, sans chercher à lui reprocher cette relation qu'elle souhaite reconstruire plus qu'à faire preuve d'honnêteté et lui dire qu'elle aussi, elle le peut. J’ai vu de mes propres yeux la raison pour laquelle la petite blonde ne me veut pas dans les pattes, sous son toit. Et elle en a le droit. Elle a raison. Alors nous trois, dans la même pièce, les regards complices de parents et les petits sourires attendris communs, c'était l'histoire d'une fois, une seule fois. Je soupire, ravale l'émotion, comme tous les jours, comme chaque instant ; et peu à peu mon coeur se gonfle, gonfle et menace d'exploser, ma tête brûle, brûle, et les vertiges me rappellent que mon monde à moi est bien loin de tourner rond. Je mords ma lèvre, malgré un petit sourire nerveux, dépité, résigné. “Tout ça me manque tellement, tu sais…” Ce dont elle n’a pas à se soucier, car moi seul est en mesure de surmonter tout ceci. Jusqu'à présent, je me noie. C’est la sensation que j'ai. Mes amis disparaissent, filent entre mes doigts. Mes certitudes sont toutes remises en question. Et je n’ai jamais été si peu sûr de moi, si paniqué par le lendemain. Mon coeur ne sait plus sur quel tempo battre. Tant de choses qui se passent en même temps et rien ne file tout à fait droit, rien ne suit le plan. Je suis perdu en mer, dans l'espace, là où la vie flotte, stagne, vous emporte dans une direction au hasard malgré vous. Et puisqu'il n’y pas de rivage, puisque cette perspective de désolation s'étire sur une infinité de kilomètres, il n’y a rien à faire. Rien à part laisser faire. “J’essaye vraiment. D’aller de l'avant et de...” Ma voix déraille, dérape, diminue et disparaît tandis que je réunis toute mon énergie pour empêcher cette bombe d'exploser. J’en tremble de l'intérieur, pétrifié, le souffle coupé. Je ne peux pas m'effondrer, ni devant elle, ni devant personne. Mais le temps passe et la réalité me rattrape, de plus en plus saisissante, palpable, et je dois avaler, digérer cette fatalité, que ma vie est tellement qu'elle est maintenant, et que je n'ai ni famille à moi, ni amour pour moi, ni plus rien pour m'aider à marcher droit. J’inspire, l'air est brûlant. J’expire, les larmes ne sont toujours pas parties. “...j’essaye de faire comme toi, passer à autre chose.” L'idée que ce soit bel et bien fini me donne des crampes d'estomac. Une nausée puissante qui s'accompagne de vertiges. Si je laissais aller, si je ne tenais pas tant à tenir bon, tenir droit, je m’étendrais au sol jour après jour, paralysé par les spasmes de chagrin, doutant d'être capable de quoi que ce soit d'autre. Pourtant cela fait un an maintenant. Mais cette réalité, désormais immuable, car vue, concrètement, de mes propres yeux, ne prend forme que maintenant. C'est un coup sur le crâne, le pire des châtiments. Joanne avait dit qu'elle l'aimait, et je pensais qu'il n’était pas possible de souffrir plus que lorsque j'avais entendu ces mots. C'était avant d'y assister moi-même. Et maintenant, je ne sais même plus comment mes jambes me portent. En revanche je sens le poids de mes paupières que les larmes lâchées sur mes joues n’allègent pas. “J’ai l'impression d'attendre un miracle, honnêtement.” dis-je avec un petit rire, me voulant cynique, mais incapable de dissimuler la vraie blessure. Mes mains passent rapidement sur mon visage. Je ne sais même pas pourquoi je lui dis tout cela. Peut-être pour lui faire comprendre que tout est clair pour moi désormais, les rôles, la place de chacun. Plus d'ambiguïté, plus de petit espoir. Je m’adapte à ma nouvelle vérité, et ainsi soit-il. Je souffle à nouveau, un peu de pression s'est libérée dans les larmes, mais ma poitrine est toujours oppressée. Fragile, vulnérable, je ne suis pas plus solide qu'un château de cartes. “Bref. Je prendrai Daniel chez moi là prochaine fois, comme ça devrait être. J’ai compris.” Les règles sont les règles. Les choses sont comme elles sont. Je n’ai que de l'amour pour elle, pour eux deux. Pour chaque souvenir que nous avons ensemble. Cette affection sans limites crée une peine sans bornes également. Et je me sens malade, faible, démoli, comme si Joanne était mon mal et que je ne pouvais la combattre, comme si elle m’éteignait, petit à petit.
I want you to be okay. I want us to be okay. And I need it, oh I need it. Never tell me that we can't go further
S'il y avait bien une personne qui avait toujours eu des difficultés pour contenir ses larmes, c'était bien Joanne. Que ce soit de tristesse, de rage, de joie ou de peur, elles venaient rapidement border cette paire d'yeux bleus brillants dans lesquels on plongeait si facilement. C'était le seul moyen qu'elle avait d'extérioriser ses émotions. Elle n'élevait que très rarement la voix, cela restait exceptionnel, et n'avait pas vraiment envie de mettre la maison sans-dessus dessous lorsqu'elle ne contrôlait plus rien. Mais il ne lui fallait pas grand chose. Elle avait beau connaître Moulin Rouge par coeur, elle pleurait toujours à la fin, comme pour beaucoup d'autres films. Mais la peine qui pesait sur son coeur au moment de la séparation entre Jamie et leur fils était bien plus lourde, bien plus pesante qu'un grand nombre d'événements de sa vie. Daniel était trop petit pour comprendre, bien qu'assez grand pour saisir certaines subtilités. Mais il ne pouvait pas se faire à l'idée que Maman et Papa n'étaient pas ensemble alors qu'ils avaient des sentiments pour l'un l'autre. C'était abstrait, beaucoup trop difficile à saisir. Il subissait malgré lui et Joanne regrettait qu'il soit également une victime de ses choix. Alors le voir partir sans lancer un dernier regard à Jamie, aller se réfugier dans son petit monde à lui, la rendait tout aussi triste, son coeur était tout aussi serré. Il gérait ses émotions comme il le pouvait. Elle espérait faire comprendre à Jamie qu'elle était prête à se montrer le plus flexible possible, le plus arrangeant possible pour qu'il puisse voir leur fils dans les meilleures conditions possibles. Mais il ne semblait pas l'entendre de cette oreille, et se contenta d'approuver en haussant les épaules. Cela peinait davantage Jamie, de savoir que le message qu'elle voulait lui transmettre n'était pas celui qu'elle voulait lui faire entendre. Selon Werber, il y avait au moins dix possibilités de ne pas se faire comprendre, et la preuve était juste là, devant ses yeux. Mais ce qui avait bien fait office de véritable claque pour Joanne, c'était qu'il les avait vu, Hassan et elle, durant une de leurs soirées passées ensemble. Comme si, tout devenait rapidement réalité, cette sensation inexplicable qui pétrifiait la petite blonde sur place. Le ton qu'il avait employé était d'un calme troublant, faisant là comprendre que ça ne le gênait pas, qu'il abandonnait, en quelque sorte. Joanne n'appréciait pas particulièrement qu'on se batte pour elle, quoi qu'elle avait toujours aimé le côté particulièrement possessif de Jamie. Mais là, il lâchait prise, il la laissait. Et malgré leur relation compliquée qui s'étendait depuis presque un an, elle avait l'impression de perdre un repère, un point d'ancrage qui lui avait été d'un grand secours au point d'en être devenu une nécessité, un besoin vital. Mais là, il parait à la dérive, Joanne était tout simplement en train de le perdre et c'était quelque chose qu'elle ne voulait pas. Elle posa immédiatement sa main sur son bras, comme si elle avait peur qu'il ne parte avant qu'il ne puisse entendre ce qu'elle avait à lui partager. "Jamie, non." dit-elle avec douceur, en le regardant droit dans les yeux. "Ce n'est absolument pas ce que je voulais dire ou sous-entendre par là." Elle s'octroya quelques seconde de réflexion avant de reprendre. "J'avais l'impression qu'en arrivant ici, tu ne te sentais pas à l'aise dans la maison, parce que c'est chez moi, et... je ne veux pas que tu ne t'y sentes pas à ta place. Parce que tu as ta place dans cette maison, et tu l'auras toujours." Le ton employé par Joanne était à la fois doux et ferme, faisant là comprendre qu'elle pensait chacun de ses mots. "Je serai toujours ravie de t'accueillir ici, autant que tu le souhaiteras, dès que tu en auras envie ou besoin, je t'assure. Même si tu es pris d'une insomnie et que tu veuilles venir au milieu de la nuit, tu seras toujours la bienvenue." Joanne savait qu'il se sentait de trop, il renouait ainsi avec des démons qu'il aurait certainement préféré laisser derrière lui depuis un moment. "Si tu préfères venir ici pour être avec lui ou si tu préfères que nous nous retrouvons ailleurs, c'est toi qui choisis." dit-elle avec un sourire sincère. Rictus qui s'effaça rapidement. Elle voyait que Jamie se contenait du mieux qu'il le pouvait, elle le savait. Une nouvelle fois, ses iris se mirent à briller en entendant cette phrase qui déchirait son coeur et son âme. Le voir dans cet état, uniquement à cause d'elle, la réduisait à néant. Leur vie lui manquait à elle, aussi, tout ça, comme il disait. L'entendre le dire la faisait douter de tout. De ses décisions, de ce qu'elle faisait, d'absolument tout. Plongée dans ses pensées, elle ne savait pas quoi dire sur le moment, et même des minutes après. "Faire comme moi ? Passer à autre chose ?" Sa voix était à peine audible, étouffée par une vive émotion qui s'emparait de sa gorge et de ses tripes. "Il n'y a pas un jour où je ne pense pas à toi, Jamie. Pas un seul." Elle passait une main dans ses cheveux, regardait rapidement derrière son épaule pour constater que Daniel était toujours réfugié dans son tipi. Hassan et elle tentaient de repartir de zéro, et c'était un exercice particulièrement difficile.Joanne n'était pas tout à fait à son aise car ils passaient tous les deux à côté d'abcès qui devaient être encore percés un jour ou l'autre. Elle passait de bons moments avec lui, les soirées en sa compagnie étaient plus qu'agréables, mais elle gardait constamment en tête l'idée qu'il y avait encore des choses qui méritaient d'être partagées entre eux."Tous ces moments où... Je me dis que tu adorerais être là, que..." Joanne soupira. Elle aurait bien voulu parler du rêve qu'elle avait fait dernièrement, de ces petits instants qu'elle aurait aimé partager avec elle, lui montrer la galerie du musée dans laquelle elle travaillait désormais, les projets en cours toutes les petites choses que Daniel était désormais capable de faire. La liste était très longue. Ce qu'elle voulait lui dire avant tout autre chose, c'est qu'elle l'aimait toujours. Hassan en avait parfaitement conscience aussi, qu'une partie d'elle, pensera et sera toujours à Jamie. Etre à l'origine de ses larmes ne fit qu'accroître sa culpabilité. Elle avait envie de le prendre dans ses bras, de caresser sa joue sa joue, de lui dire des mots d'amour, mais rien de tout ceci n'allait lui faire du bien. Elle restait attentive à tout ce qu'il disait, elle ignorait à quel genre de miracles il pouvait s'attendre. Si par ses paroles, la concrétisation de ses pensées et de ses dires, Jamie avait bel et bien enterré leur relation, Joanne avait trouvé entre ses mots l'espoir de croire que c'était encore peut-être possible. C'était à cause d'elle qu'il était dans cet état. "Ca doit être seulement comme nous, nous le voulons. Ce que je t'ai dit tout à l'heure tient toujours. Si tu préfères venir ici, alors viens, si tu veux que ce soit ailleurs, alors ce sera ailleurs." répéta-t-elle. Voyant bien qu'il tenait à peine sur ses jambes, Joanne le prit par la main et le guida dans la cuisine, où il y avait une petite table et deux chaises. "Viens t'asseoir cinq minutes." lui dit-elle doucement. La petite blonde ne pouvait pas s'empêcher de vouloir prendre soin de lui, de s'occuper un peu de lui. Le voir dans un tel état la dévastait tout autant. S'étant récemment essayée à faire des cookies, elle ouvrit une boîte dans laquelle elle les conservait et les posa sur la table, si jamais Jamie avait un peu d'appétit – ne sait-on jamais. Elle avait envie de prendre sa main, d'embrasser ses doigts, de lui dire qu'elle était là. Il y avait tant de choses qui la retenaient, la première étant le risque de le blesser davantage. Pourtant elle ne lui voulait que du bien. Ce n'était absolument pas par culpabilité. Elle refusait de quitter sa vie et que lui quitte la sienne, il y avait encore beaucoup trop en jeu. "Je serai toujours là pour toi, Jamie. Si tu as besoin de quoi que ce soit, d'un service, n'importe quoi." finit-elle par lui souffler, s'étant assise à son tour, en face de lui. Cette phrase, elle l'avait bien souvent, mais elle tenait à le lui répéter, parce qu'elle le pensait toujours, et qu'elle le ferait. Joanne ne s'attendait pas à ce qu'il lui adresse à nouveau la parole, qu'ils puissent tenir une conversation sans de regards noirs ou de pensées haineuses. Désormais, il savait qu'il était libre de partir et de venir quand bon lui semblait. Bien sûr qu'elle l'aimait toujours, que quelque part en elle, elle désirait fonder cette famille avec lui, réassembler ce qu'ils devaient être.
My mind is on the bad things, Your mind is on the good thingsThese shadows fall on all things But your love, it is the lightning And I need it
Le mouvement de recul est automatique. Je ne peux pas laisser Joanne me toucher. Et cela n’est pas lié à un quelconque sentiment qui ne soit pas l'amour -la douleur liée à l'amour qui fait de sa main un fer brûlant sur mon bras. Il n’y a rien d'autre à en dire, comme pour Daniel, comme pour le simple fait d'entendre la voix de la jeune femme, d'écouter, j'échanger un regard ; cela relève de l'épreuve, et je ne peux pas. Je ne veux pas. Ses paroles sont des bourdonnements dans mes oreilles, insupportables, incessants. Il n’est plus rien qui ne fasse pas mal à cet instant, plus rien qui puisse suffire à m'épargner. Ni le soin qu'elle met à corriger mon interprétation de ses paroles à propos des visites de Daniel, ni ses prétendues pensées pour moi. Je me retiens de lui demander de cesser, de ne pas dire des choses pareilles, comme “tu es le bienvenu" et “je pense à toi". Car cela sonne soit faux, soit comme un autre fer qui me dévore la peau. Tenter d'arrondir les angles n’a plus vraiment de sens désormais. Son choix est fait et je peux désormais dire qu'elle est visiblement amoureuse. Je n’ai plus d'autre place que celle du père de Daniel, et Joanne n’est même pas obligée d'avoir de l'affection pour moi à cause de ce titre. Elle n’a pas besoin de me faire croire que je suis plus important que ce n’est vraiment le cas, que j'ai la moindre place dans ses pensées ; entre le petit, le travail et son couple, là sont ses véritables préoccupations. Je sais que tous ces mots ont pour unique intention de m'aider à aller mieux, mais l'effet n’est pas là. Rien ne fait effet à dire vrai. Et ce n’est pas son rôle, de panser mes blessures. Pourtant elle prend ma main et m'attire dans la cuisine, qu'importe ma faible protestation. Je ne veux pas rester, je ne veux pas faire comme si Joanne avait la moindre chance de m'aider, et je ne veux pas qu'elle se vexe lorsqu'elle le comprendra. Je ne veux pas de cookies, pas d'eau, de thé, rien de sa part, et encore moins sa compassion ou sa pitié. Ce n’est pas de sa faute, pas plus que cela est de la mienne. Nous avons tout gâché, ruiné, détruit. Et elle n’est pas à blâmer si elle se reconstruit plus facilement et rapidement que moi. C’est juste ainsi que les choses sont. Les yeux fermés dans l'espoir de les assécher, la tête basse, je désapprouve ; je sais ce dont j'ai besoin et qu'elle ne peut me donner, je sais ce que je veux et qui sera toujours hors de ma portée, je sais que Joanne ne sera pas toujours là, que ce sont des mots, et qu'elle les oubliera à la première occasion, parce qu’encore une fois, ses priorités sont ailleurs. J'essuie une nouvelle larme. Même si j'aimerais que la jeune femme ne puisse pas me voir ainsi, je commence à croire que lutter ne sert à rien. Elle sait bien que j'ai mal, elle sait que je n’avance pas, et même si cela n’est évoqué qu'à demi-mot, elle sait que je l'aime et que c'est cette lame qui tourne et tourne encore dans ma poitrine pour me faire hurler de douleur. Elle sait qu'avec Daniel ils représentaient tout mon monde et que depuis, je suis à la dérive. Maintenant, elle sait que j'ai abandonné tout espoir, que je suis résigné à la perdre au profit d'un autre. Je pourrais presque donner ma bénédiction tant je tente de tirer un minimum de bon de cette immonde soupe. Après tout, cela est courageux de la part d'un ancien couple marié de recommencer à zéro. Si je n’endossais pas le rôle du laissé pour compte, je dirais même qu'il y a une certaine beauté dans le fait que leurs sentiments ne soient pas morts. La beauté leur est destinée à eux. C’est à quel point je suis résigné, et désespéré. Et c'est pourquoi je ne veux plus rien de Joanne. Rien à part son bonheur, parce qu'il y a intérêt à ce que tout ça ait servi à quelque chose, que l'on ne me fasse pas souffrir autant pour rien. Moi… ce dont j'ai besoin, oui… “J’ai besoin de ma fiancée, de mon petit garçon, et de ma maison. Tu crois que tu peux faire ça pour moi ?” je demande avec un sourire triste, sachant que je tourne le couteau dans la plaie, mais uniquement pour prouver à Joanne que toutes ses bonnes intentions ne changeront rien, ne rendront pas la situation plus facile, plus digeste. Que rien, rien ne fera glisser cette boule de ma gorge à mon estomac, que rien ne fera passer cette nausée et cet essoufflement, cette douleur dans chaque muscle, et dans chaque pensée. “J’en doute.” Je le sais. Je ne suis pas celui qu'elle aime, avec qui elle veut tout rebâtir, celui qui la fait danser. Je n'ai pas ma place ici, je ne suis pas réellement le bienvenu. Elle ne peut, ni ne veut vraiment, faire quoi que ce soit pour moi. Auquel cas, elle sait quoi me donner pour me réparer.
I want you to be okay. I want us to be okay. And I need it, oh I need it. Never tell me that we can't go further
Il refusait d'être touché, du moins, pas par elle. Pas un contact direct, pas un seul. La manière dont il grimaçait montrait qu'il ne supportait même plus le timbre, ni la douceur de sa voix. C'était compréhensible et être en sa simple présence relevait de la torture. Joanne ressentait bien à ce moment là qu'elle était son bourreau, que chaque chose qu'elle pouvait faire, même si cela venait du coeur et de la bonne intention, ne lui octoryait qu'une profonde souffrance. Le couteau qui continuait d'être remué encore et encore dans cette plaie encore béante et bien sanguinolante. Et cette douleur là, par son empathie et sa culpabilité, Joanne avait fini par la ressentir. Cela commençait par cette oppression au niveau du coeur, qui se mettait ensuite à comprimer toute sa cage thoracique, serrant peu à peu sa gorge, pour remonter jusqu'à ses yeux. Difficile pour elle de contenir cette peine. De constater que, encore une fois, elle ne pouvait rien faire pour lui. Que même lever le petit doigt lui ferait encore plus de mal qu'elle n'en avait déjà fait. Mais dans cette même gentillesse, elle l'avait invité à s'asseoir un peu, ayant bien vu que ses jambes n'étaient devenus que du coton. Rien de ce qu'elle disait dans la cuisine était d'un grand réconfort. Il restait au point mort, sous le regard démuni de la jeune femme, qui avait fini par s'asseoir à son tour. Elle avait tellement envie de sangloter. Elle faisait preuve de persévérance, bien plus qu'elle n'en avait déjà eu auparavant. Mais ce n'était pas suffisant. Impuissante, elle regardait Jamie avoir la tête bien basse, les yeux clos, dans l'espoir qu'à un moment donné, ce flot de larmes finisse par s'arrêter. Malgré tout ce qu'il avait, Jamie avait l'impression de ne plus rien avoir. Et ce n'était pas son nouvel emploi, ni sa belle maison si près de la mer, ou les soirées mondaines où il était constamment invité allaient changer quoi que ce soit. Au début, il n'avait jamais voulu d'une famille, persuadé que son mal allait se transmettre de génération en génération et qu'il était bien déterminé à mettre fin aux Keynes. Mais voilà que Joanne était apparue dans son horizon et qu'il chérissait plus que tout autre chose son petit trésor, et qu'il en rêvait d'en avoir d'autres. Les bras de Joanne étaient devenus sa forteresse, sa zone de confort, il était parvenu à se faire une place dans ce monde, à trouver un réel intérêt pour vivre encore bien des années. Il avait appris à être heureux, et cette chance lui avait été retiré prématurément. Peut-être que Jamie mesurait l'impact de ses mots sur elle, peut-être pas du tout. Elle avait l'impression d'avoir eu un coup de massue sur la tête. Le discours de Jamie était bien différent de celui du musée, où il était prêt à la traiter de tous les noms, à élever la voix contre elle pour faire savoir au monde entier combien son comportement avec lui avait été inapproprié. Et pourtant. Et pourtant, il n'avait qu'un seul désir, et c'était d'avoir à nouveau sa famille auprès de lui. Alors qu'elle pensait qu'absolument tout était fini entre eux, Jamie laissait cette question à laquelle il répondait de lui-même, là, bien devant la petite blonde. S'en suivit un échange de regard particulièrement long. Tout ce que l'on entendait, c'était Daniel raconter son histoire à sa peluche préférée, la tétine en bouche. Joanne était divisée en deux. Une partie pensait à Hassan, à ce qu'ils tentaient de faire, à cette affection toute particulière qu'elle avait pour lui, et l'autre restait éperdument amoureuse de Jamie. Cette même partie l'inciterait à s'approcher de lui, afin de l'embrasser et lui faire comprendre que c'était ce qu'elle voulait aussi. Ils avaient tous les deux, tant à offrir, chacun à leur manière, à leur façon. Elle qui espérait qu'en prenant une décision, aussi difficile pouvait-elle être, allait résoudre les problèmes, Joanne réalisait qu'il n'en était rien. Les faits étaient tronqués, les pensées, beaucoup plus floues, incertaines. Et c'était tout ce que l'on pouvait voir dans ce regard si brillant, à travers l'unique larme qui coulait le long de sa joue pâle avec lenteur. Elle aurait tant voulu lui donner tout ce qu'il demandait, parce qu'elle le pouvait, et une part d'elle-même le voulait plus que tout autre chose. Par ses paroles, il nourrissait un espoir que Joanne pensait avoir noyé depuis des mois, qui se traduisait par une lueur dans ses yeux, à peine perceptible. Joanne n'osait pas dire un mot, elle n'osait pas le toucher, elle n'osait rien faire, de crainte de le blesser encore une fois. Se rendant bien compte qu'il ne comptait pas goûter un de ses cookies, elle récupéra la boîte en se levant avec l'intention de la refermer et de la ranger. Mais pour la toute petite distance qu'il y avait à parcourir, Joanne, confuse et ô combien perturbée, sentait ses doigts faiblir, faisant alors tomber le contenant et dispersant ainsi les gateaux dans toute la pièce. Immédiatement, elle s'accroupit afin de tout ramasser après avoir placer une mèche de cheveux qui la dérangeait derrière son oreille. Le petit, surpris par le bruit, était venu voir ce qu'il se passait. "C'est... Ce n'est rien, trésor. Tu vois ? Maman a aussi fait une petite bêtise, mais ce n'est pas grave non plus." lui dit-elle avec un sourire qui contrastait bien avec ses yeux rouges et ses joues humides. Voyant un biscuit à ses pieds, Daniel le ramassait et l'apporta, en toute spontanéité à sa mère. Puis il en ramassait un deuxième, un troisième. Cela était amplement suffisant pour elle de sangloter davantage, attendrie par la gentillesse de son fils, mais elle se retenait au possible. "Tu m'as assez aidée, Daniel, et c'est très gentil." lui dit-elle en lui caressant les cheveux. "Tu peux retourner jouer et... Et tout à l'heure, tu pourras faire un peu de cuisine avec moi, tu veux ?" lui proposa-t-elle. Daniel approuva avec enthousiasme avant de retourner dans le salon, bien déterminé à retrouver les chiens pour jouer avec eux. Certains cookies étaient en miettes, irrécupérable. Une fois qu'elle avait récupéré le plus gros, elle se redressa pour poser rapidement la boîte sur la table avant de la faire tomber une nouvelle fois. Jamie avait tout remis en question. Lorsqu'elle se retourna, elle se retrouva face à lui. Elle ne l'avait même pas vu se relever. La distance entre eux n'était pas vraiment raisonnable. Elle leva ses yeux pour pouvoir se plonger dans les siens. Son coeur s'accélérait, sa respiration devenait irrégulière. Joanne finissait par le regarder bien plus amoureusement qu'elle ne pouvait le penser. Il avait encore beaucoup d'emprise sur elle. A ce moment là, elle mourrait d'envie, de lui dire que ce n'était peut-être pas totalement fini, que son rêve à lui était encore possible. Mais elle se rappelait bien trop rapidement du mal qu'il lui faisait rien qu'en parlant, rien qu'en ouvrant la bouche. Elle ne pouvait rien dire, elle ne pouvait rien faire. Alors le contempler, l'admirer l'espace d'un instant, lui semblait alors bien suffisant. Mais ça ne l'était pas. Plus elle le regardait, plus elle avait envie de s'approcher de lui, de se blottir. Même plus que ça, de sentir à nouveau ses lèvres sur les siennes. Si elle le touchait, elle lui ferait du mal, c'était ce qu'elle se répétait sans cesse. Peut-être qu'elle se ferait du mal à elle aussi. Etait-ce une erreur, ou le chemin à suivre ? Est-ce que ça la ferait à nouveau jouer sur deux tableaux ? Perdue dans ses réflexions, dans un questionnement qui n'en terminait pas, Joanne ne réalisait même plus ce qu'il se passait. Alors que sa conscience bataillait avec sa raison, les sentiments avaient pris le dessus. Et lorsqu'elle avait à nouveau mis les pieds sur terre, elle réalisait que ses lèvres s'étaient posées sur les siennes, se rappelant ainsi de leur douceur, de leur chaleur. Son corps et son âme réalisait combien ce contact lui avait manqué. Le baiser était sans artifice, il restait simple, mais incroyablement long. Joanne ne comptait plus les secondes, les minutes qui s'étaient écoulées le temps de ce contact. Encore à ce moment là, elle se demandait si c'était un rêve ou tout simplement la réalité. Son coeur, à la fois exalté et paniqué, ne savait plus à quelle vitesse battre, au point d'en rater quelques battements. Que ce soit une erreur ou la meilleure solution, la petite blonde s'en fichait bien, parce que ce qu'elle désirait le plus à ce moment là, c'était de garder ses lèvres encore un peu contre les siennes. Juste encore un peu.
My mind is on the bad things, Your mind is on the good thingsThese shadows fall on all things But your love, it is the lightning And I need it
Plus d'espoirs, même plus d'ironie ou de cynisme à livrer, je suis là à vif, toutes armes à terre et les bras baissés. Les yeux rougis ne cherchent pas sa pitié, les lèvres pincées, tremblantes, les dents serrées ne sont pas juste pour lui montrer que ma part de souffrance me laisse aussi échoué qu'une épave sur le rivage ; je n'achète pas sa compassion, son affection, à coups de regards de chien battu et de sentiments glissés entre les lignes, car tout cela est uniquement tout ce que je ne peux plus garder pour moi, tout ce qui ne peut plus être retenu et qui transparaît bien malgré moi. Le type au point mort, le colosse mis à mal par la toute petite blonde et son regard aussi brillant que le mien. Je suppose que cela n’a rien d'évident pour une jeune femme aussi sensible qu'elle se devoir faire face à une personne blessée par ses agissements et ses choix ; mais elle a uniquement fait ce qu'elle avait à faire, tout comme moi en laissant la place. Je suis désolé de la culpabiliser par cette vision que j'aimerais nous épargner à tous les deux, mais au moins elle sait ; elle sait l’ampleur du vide qu'elle laisse, elle connaît la dérive et voit que mon compas n'indique plus le nord. Je ne suis pas aussi indifférent que j'ai voulu le faire croire plusieurs fois, je ne me sens pas débarrassé d'elle ; je me sens incomplet et perdu. Pourtant je me résigne peu à peu, j’y parviens, à lâcher prise, à m'avouer vaincu. Cela aura pris des mois, des blessures et des déceptions. Autant de coups que nécessaires pour faire lâcher quelqu'un comme moi, de plat de la semelle sur mes doigts au bord de la falaise. C'était une longue chute, me dis-je. De celles dont on peut douter de la véracité, alors que l'inéluctable approche. On ne sait pas comment, on ne sait pas quand, mais une chose est sûre ; on s'écrase un jour, et on ramasse ce qu'il reste. Et dans mon cas cela n’est pas bien joli à voir. Je me bats contre bien des démons, passés et présents, mais le pire de tous, le plus redoutable, a des cheveux blonds. Elle se tient juste face à moi de l'autre côté de la table, elle ne dit rien, parce qu'il n’y a rien à dire ; non, elle ne peut pas me rendre ce que j'ai perdu, elle ne peut pas me le donner. Sa vie a pris un autre chemin et s'éloigne du mien. Je fais du sur place, et j'attends de reprendre mon souffle, réparer les os brisés, retrouver de la volonté. Par son silence, Joanne confirme mes pensées. Ma gorge se serre. Je réagis à peine au fracas de la boîte à gâteaux qui éparpille les cookies au sol. En revanche, j'observe Daniel qui approche et aide sa mère à nettoyer, sans m’adresser un regard, me laissant admirer sa bonté et ses bonnes manières de loin. Alors qu'il retourne trouver la compagnie des chiens, j'approche à mon tour de Joanne afin d'aider ; elle se redresse et se plante devant moi, les yeux bien humides, les joues roses. Le temps s'arrête sur cet échange de regard, le mien abattu, le sien triste et affectueux. Et comme s'il était tout naturel, le baiser s'impose de lui-même, nos visages attirés l'un par l'autre jusqu'à sceller nos lèvres sans que cela ne nécessite une raison. Avec timidité et délicatesse, mes mains entre ses cheveux espèrent gagner quelques secondes supplémentaires alors qu'une caresse prolonge ce moment. Juste un peu, juste autant que possible. Même si je connais ce genre ce baiser, même si je sais que j'aurai à nouveau mal après ; il ressemble à celui qu'elle m’a donné dans la voiture garée au cinépark, juste pour m'épargner le silence, juste pour moins me blesser, juste pour continuer à me faire espérer en vain. Mais ce qu'il reste de ses sentiments n’est pas suffisant, de même que les miens, mis à nus, brûlants et déchirés ne l'ont jamais été pour elle. Pas assez pour qu'elle préfère notre famille au passé. Je peux sentir la lame qui fend ma peau alors que nos lèvres se détachent, le manque que ce contact réveille et me laisse un peu plus vidé qu'avant, cette envie de m’écrouler alors que je n'ai plus ma place dans ses bras, et d’abandonner, alors, pour ne plus souffrir autant. Fébrile et tremblant, je réunis lentement le courage nécessaire pour arracher mon front au sien, frôler l'arête de son nez, et m'éloigner jusqu'à ne plus sentir son souffle chaud sur mes joues. Mes bras tombent à nouveau. Aucun mot ne parvient à ma bouche. Je sens cet étau qui se serre encore autour de moi, cette oppression, cette impression de manquer d'air, ce coeur brisé et fatigué de pédaler dans le vide. Quand je le peux enfin, mon pied se traîne vers l'arrière, et je m'éloigne de Joanne. Le pas suivant est moins difficile, comme celui d'après. Finalement, je lui tourne le dos et quitte la maison, retrouvant les masques, les façades, les fossés entre moi et le reste du monde, et la voiture hors de prix derrière lesquels me cacher, couvé dans l'inutile matériel qui ne peut remplacer ce qui manque si cruellement, qui ne peut remplir le vide, le manque, pas même consoler, ni rassurer. Il est peu de choses que je ne puisse faire et obtenir, mais je ne peux pas claquer des doigts et les avoir de retour.
I want you to be okay. I want us to be okay. And I need it, oh I need it. Never tell me that we can't go further
Comment décrire la complexité du flot de pensées de Joanne à cause la simplicité de ce baiser ? Il n'y avait pourtant rien de très sorcier. Leurs lèvres étaient délicatement posées l'une contre l'autre. Chacun pouvait alors se rappeler de leur douceur, de leur chaleur, du confort et du bien-être que cela leur prodiguait. Joanne s'attendait certainement à tout sauf au fait qu'il vienne doucement glisser ses doigts entre ses boucles blondes, laissant là comprendre que lui aussi voulait prolonger ce baiser. Quitte à aimer et souffrir en même temps, ils le faisaient à deux. Ils savaient que la plaie n'en serait que plus béante dès que le baiser s'arrêtera, ils savaient que cela allait éveiller de nombreux souvenirs, mais qu'importe. Quitte à perdre la raison, encore s'embrasser un peu. Elle sentait qu'elle embrassait un Jamie à vif, sans le moindre masque, sans la moindre barrière. C'était purement lui, sans artifices. Les doigts de Joanne hésitaient à frôler son torse, à glisser dans son dos. Elle souhaitait se blottir contre lui, sentir à nouveau sa chaleur, l'étreinte et la force de ses bras autour de son petit corps et que lui sache qu'elle avait toujours les mains aussi froides. Elle en avait envie autant qu'elle en avait peur, mais peur de quoi ? Il faisait renaître le phénix de ses cendres, à travers quelques braises laissées là, à la dérive. Jamie éveillait ainsi en elle une multitude de sensations. Elle voulait leur maison – pas forcément Logan City, ni Bayside, ni celle de Toowong, tant que c'était la leur–. Elle voulait à nouveau avoir son fiancé, avoir sa famille, que leur fils ait à nouveau ses parents qui s'aiment en toute déraison. Il lui rappelait ainsi tout ce qu'ils avaient ensemble, tout ce qu'ils auraient pu avoir en plus. Ce magnétisme était toujours bien présent, l'un comme l'autre voulait que cet instant s'éternise en dépit de la douleur que cela leur prodiguait. Mais cet instant touchait à sa fin, à contre-coeur. Ce n'était qu'à ce moment là que ses mains s'étaient déposées sur ses côtes. Elle avait légèrement avancé sa tête dans l'espoir de pouvoir l'embrasser une nouvelle fois. Mais cela se limitait à des caresses du bout du nez, à leur front collé contre l'autre pour encore quelques secondes de répit. La respiration haletante, elle ne voulait que ce moment en dehors du temps ne se termine. Mais le bel homme finit par faire un premier pas en arrière pour se détacher d'elle. Joanne n'avait pas envie qu'il parte. Elle tendait à peine son bras, c'était peut-être même imperceptible, mais elle voulait qu'il reste. Jamie lui tourna finalement le dos pour passer par la porte d'entrée et retrouver sa voiture. Ce n'était qu'après quelques secondes d'absence qu'elle réalisait qu'elle devait lui courir après, mais en arrivant à l'extérieur, il était déjà en train de partir. Les yeux encore bien humides, elle le regardait à travers les vitres de sa voiture. Elle culpabilisait énormément de le voir souffrir autant, de savoir que tout était de sa faute et ça la rongeait. Pensant que ses sentiments allaient s'altérer avec le temps, comme ce fut le cas lorsque Jamie la rejetait sans cesse, utilisant les moyens forts pour l'éloigner d'elle. Mais cette fois-ci, ce n'était pas le cas. C'était toujours bel et bien encore en elle, avec cette flamme qui n'avait fait que se raviver au cours de cette matinée. Elle ne savait pas, elle ne savait plus. Elle qui pensait que les quelques dernières décisions qu'elle avait prise allaient tout résoudre d'un coup de baguette magiques, ne là voilà pas plus avancé que la veille. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle l'aimait toujours, et, qu'au fond, elle aspirait toujours exactement aux mêmes choses que lui.