Une fois n’est pas coutume, je me rends à l’hôpital avec des donuts pour les infirmières. Oui j’aime bien les chouchouter, elles sont vraiment adorable et on serait rien sans elles. Je commence par le service de Yasmine parce que c’est elle que je connais le mieux et ok je suis un peu venu pour la voir elle. Malheureusement y’a beaucoup de boulot et elle n’est pas disponible, alors je laisse quelques donuts dans une assiette sur le bureau des infirmières, avec un petit mot signé de mon nom. Je me balade dans l’hôpital et au passage je prends des nouvelles de patients que j’ai ramené y’a quelques jours. Je fais encore quelques gardes d’ambulanciers quand y’a besoin de remplacement mais ça reste très occasionnel. Ca ne me dérange pas, j’aime toujours autant ce job. Je donne des donuts aux membres du personnel que je croise, je discute un peu avec eux. Je ne reste jamais trop longtemps, je sais qu’ils ont du boulot. Les donuts partent comme des petits pains. Heureusement que j’ai pris une très grosse boîte.
Je tombe sur le Dr Fraser, elle a sa veste sur le dos, elle est sûrement sur le départ. Je me dirige vers elle et j’ouvre la boîte de donuts sous son nez. Je réalise seulement maintenant que c’est le dernier à l’intérieur.
« Une petite douceur avant de partir ? »
Si elle s’en va maintenant c’est qu’elle a commencé tôt. Je suis sûr qu’elle a eu une grosse journée et elle n’a peut être pas envie de se taper la discussion avec moi alors qu’elle est sur le départ. Alors je compte me faire bref pour ne pas l’embêter. Je lui fais un large sourire. Je suis quand même content de tomber sur elle. On s’est croisé y’a quelques semaines alors que je bossais comme ambulancier. C’était son premier jour à l’hôpital, on a un peu discuté entre deux patients et elle était plutôt très sympathique. Je ne sais pas si ce n’était qu’une façade parce que c’était son premier jour, mais soit. C’était agréable.
« Comment ça se passe le boulot ? »
Oui je ne peux pas m’empêcher d’entamer la conversation. Je suis surtout intéressé par cette information. Elle a l’air d’être un médecin compétent et j’espère que son intégration au sein de l’hôpital se fait comme il se doit. J’avais été vers elle son premier jour et nous avions partager un café à la machine. Je lui avais donné quelques tips sur l’hôpital, rien de très folichon mais des détails qui font la vie meilleure quand on le sait. Comme quelle machine éviter parce qu’elle bouffe toutes les pièces, c’est pas grand chose mais quand on n’a qu’un dollar et qu’on veut une barre de chocolat, vaut mieux pas se faire avoir. C’est important quand on a des grosses journée. Une barre de chocolat peut être d’un grand réconfort.
« Tu dois partir ou je peux te proposer un café ? Enfin un cappuccino noisette. »
Et ça me fait doucement rire. Je lui avais dit la dernière fois que c’était le meilleur de la machine à café. Depuis les années que je fréquente l’hôpital j’ai eu le temps de tous les goûter et celui là est vraiment le meilleur.
6:00. En regardant l’heure affichée sur ma montre, je soupire de soulagement. 36 heures de garde, un cas très compliqué, et surtout beaucoup de sommeil en retard. Je sens une vague de bien-être m’envahir à la simple pensée de mon lit qui m’attend. Dehors, le soleil est en train de se lever. Je regagne les vestiaires rapidement, saluant au passage certains de mes collègues qui eux sont sur le point de commencer leur garde. En ces quelques semaines, j’ai réussi à faire connaissance avec certains médecins, infirmières et aides soignants qui sillonnent les couloirs de l’hôpital en permanence. Je soupire. En ce moment, j’ai vraiment la sensation de courir dans tous les sens, sans pouvoir m’arrêter pour une raison ou pour une autre. J’ai l’impression de négliger ma fille, d’être un médecin moyen… Il y a un rythme à prendre bien sûr, et pour l’instant, c’est un échec. D’ici quelques jours cependant, ça devrait être bon. Je referme mon casier, balance mon sac dans mon dos, et regagne l’accueil de l’hôpital, grand hall aux larges baies vitrées. Je discute avec la secrétaire un moment, remet les dossiers de mes patients à une infirmière de garde. Je pose mon sac un instant, le temps d’enfiler ma veste. Et quand je me retourne quelques secondes plus tard, je me retrouve nez à nez avec un grand blond, tout en muscles. En souriant, il me tend une boîte dont j’inspecte le contenu.
- Une petite douceur avant de partir ?
Je souris. Il se tortille un instant sur place, l’air un peu gêné, comme s’il se demandait s’il pouvait me déranger un peu plus longtemps. Connaissant un peu le personnage, du genre moulin à paroles très sympathique, s’il se pose cette question, c’est que je dois avoir une tête de déterrée. Instinctivement, je porte une main à mes cheveux, replaçant quelques mèches folles derrière mes oreilles. La première fois que je l’ai vu, c’était il y a un peu plus de trois semaines, pendant ma première garde à l’hôpital. À ce moment là, il était encore ambulancier, et il m’avait donné quelques tuyaux, et quelques anecdotes drôles, ce qui avait eu pour effet de me détendre. Il m’avait fait bonne impression, et je suis contente d’avoir l’occasion de le recroiser. Inspectant le contenu de la boîte, un donut quelque peu solo, je réfléchis un court -très court- instant, avant de le saisir doucement du bout des doigts. Je le remercie en souriant, avant de mordre dans la pâtisserie, retenant un gémissement de contentement.
- Comment ça se passe le boulot ?
Ça y est il a craqué, rompant le silence de cette simple phrase. Mais ça ne me gêne pas le moins du monde, bien au contraire. On ne peut pas dire que je me sois fait beaucoup d’amis jusqu’à maintenant, alors discuter avec quelqu’un de sympathique me permettra de me sentir normale pendant un instant. Je pense quelques secondes à ma fille, qui a réussi à se faire de nouveaux amis en exactement 3 secondes. Heureusement pour elle, ainsi, le déménagement sera moins perturbant, même si elle semble déjà s’être habituée à cette nouvelle vie.
- Honnêtement, je suis épuisée. Je n’ai pas encore pris le rythme, et j’ai l’impression de courir dans tous les sens. Ça va être dur pendant encore un moment je crois, mais je vais finir par m’y faire. J’ai déjà connu bien pire.
Je ris doucement en pensant à certaines de mes anciennes missions militaires. Oui, il y a déjà eu tellement pire. Je secoue la tête, chassant les mauvais souvenirs de mon esprit. Ce n’est vraiment pas le moment de m’encombrer avec ce genre de pensées.
- Tu dois partir ou je peux te proposer un café ? Enfin un cappuccino noisette.
Il rigole, et je l’accompagne de bon en coeur en repensant à une des anecdotes qu’il m’avait donné la dernière fois. Et pour avoir testé une unique fois un café autre que le cappuccino noisette, il a bien raison quand il dit que celui là est le meilleur… Ou du moins le moins pire des tous. Je reprends mon sac posé sur le sol et le jette sur mon dos.
- Avec plaisir. J’ai du temps libre pour une fois, alors autant en profiter.
L’idée de retrouver mon lit est toujours aussi séduisante, mais passer un peu de temps avec un pompier ex-ambulancier sympathique l’est aussi. Après tout, dans l’état de nerfs où je suis, et ce malgré la fatigue, m’endormir sera très compliqué. Alors autant essayer de me détendre un peu avant de rentrer. J’adresse un sourire au grand blond.
- Est-ce que tu tiens absolument à ton cappuccino noisette, ou est-ce que tu connais un endroit pas trop loin où le café serait meilleur?
Je m’arrête un moment, souffle un coup,et replace une mèche flamboyante derrière mon oreille.
- Je préfèrerais ne pas trop m’attarder ici, j’ai assez vu ces murs pour les 24 heures à venir… Mais bien sûr je ne t’oblige à rien.
Elle accepte le donuts, en même temps qui refuserait ? Ca ne fait pas de mal ce genre sucrerie quand c’est pris avec parcimonie. Je ferme la boîte, je la plie et je la garde dans la main le temps que je trouve une poubelle. Il n’y en a pas dans le coin, ou en tout cas je n’en vois pas, alors je vais me trimballer cette boîte en carton pour l’instant. Elle me répond honnêtement quand je lui demande comment ça se passe à l’hôpital. Je veux bien la croire qu’elle soit épuisé, c’est pas reposant de bosser aux urgences. Surtout quand on enchaîne les gardes les unes derrière les autres. Elle n’a pas l’air d’être complètement démotivé malgré tout et ça c’est un bon point. Elle a juste la tête sur les épaules et elle connait la réalité. Elle a même connu pire d’après ses dires, je veux bien la croire. J’hoche la tête pour toute réponse et je lui propose de boire un coup avec moi. Elle accepte et je souris un peu plus, content qu’elle ait envie de passer un peu de temps avec moi malgré sa fatigue. C’est qu’elle apprécie ma compagnie, sinon elle aurait pu facilement se défiler, me sortir un discours truculent à cause de son épuisement et rentrer chez elle pour se reposer. Elle aurait pu mais rien de tout ça. Je sens un bon feeling avec elle et c’est pour ça que je suis avenant.
« Cool ! Moi aussi j’ai du temps libre. Je suis sorti de ma garde y’a une heure. »
Et je suis venu à l’hôpital tout de suite après. J’ai pris le temps de me changer et prendre une bonne douche. La nuit a été mouvementé. Une fois sorti j’ai fait un stop chez Dunkin Donuts. J’ai de la chance qu’il y ait des boutiques qui sont ouvertes 24 heures sur 24, sinon à cette heure ci je n’aurai pas pu trouver grand chose à apporter. Je ne sais pas pourquoi je suis pas complètement crevé, enfin, tout est relatif, si je me mets dans un lit je sais que je dormirai en moins de cinq minutes. Mais là je suis de bonne humeur et j’ai pas envie d’aller me coucher déjà. Je veux profiter de cette journée. Ok j’ai un jour off demain, j’aurai le temps de me reposer comme il se doit. Ca aide.
Caitriona propose d’aller boire un coup ailleurs et j’hoche la tête sans hésiter. Je comprends qu’elle en ait marre d’être ici après une garde chargée.
« Ouais pas de soucis, on peut aller au dinner qui est pas loin. Le café est pas trop mal. On aura pas trop de choix par contre. »
Je veux dire par là qu’ils n’auront pas de café saveur noisette ou autres. Ce sera du bon vieux café tout simple.
« Mais on pourra manger des bons pancakes si jamais c’est ton truc. Je dis pas non pour un bon petit déjeuner. »
Pour bien commencer la journée, même si on n’a pas dormi de la nuit tous les deux, c’est toujours agréable. Il est super tôt, il faut tenir jusqu’à 12h après. Enfin ça c’est si on dort pas.
« Sinon y’a le Starbucks un peu plus loin. Deux pâtés de maison. Dix minutes à pieds. »
Je m’arrête un bref instant et je la regarde, penchant la tête.
« T’as pas eu le temps de visiter le quartier encore ? Faudra y remédier. Y’a des trucs cool dans le coin. Pas mal de truc de bouffe. Des trucs ouverts 24 sur 24 pas loin. Ils savent que y’a l’hôpital qui dort jamais. Et sinon y’a un marché aussi. Je pourrais te faire faire un tour si tu veux un jour. »
Je sais que ça doit pas être évident de trouver un moment et que de faire ça après le boulot c’est pas très motivant. Faudrait prendre une heure ou deux avant une de ses gardes en fait, idéalement. Ou venir dans le coin juste pour visiter les environs, c’est aussi une solution.
Il hoche la tête lentement, en souriant de toutes ses dents.
« Ouais pas de soucis, on peut aller au dinner qui est pas loin. Le café est pas trop mal. On aura pas trop de choix par contre. »
Pas trop de choix? Peu importe. De toute façon, la plupart de temps, je prends mon café noir, sans sucre. Alors ce n'est certainement pas le manque de choix dans les boissons qui va m'arrêter. Je pense un instant au dinner que je fréquentais à San Diego. Plutôt petit, mais chaleureux, vraiment chaleureux. Perdu tout au fond d'une petite rue marchande, non loin de l'hôpital. Je me rappelle un instant le visage souriant, enfantin, de la patronne, une femme un peu rondelette avec le coeur sur la main. Et les moments complices que j'avais avec ma fille en ce lieu, quand elle me rejoignait après l'école. Des rires, des gens qui parlent à voix basse, une musique de fond, lointaine, comme entendue à travers un rideau d'eau. Ce dinner me manque, si on peut dire. Le calme qu'il offrait, la sérénité qu'il apportait. Je me prends à espérer que le dinner dont Kane vient de me parler soit à l'identique, ou au minimum semblable, à celui de San Diego.
« Mais on pourra manger des bons pancakes si jamais c’est ton truc. Je dis pas non pour un bon petit déjeuner. »
À la simple mention de ces délicieuses crêpes chaudes, je me mets à saliver. Mon ventre gargouille, et la faim prend immédiatement le dessus sur la fatigue. Bon sang. Maintenant, le pompier n'a plus le choix, il va devoir m'y emmener, à ce dinner, et le plus tôt sera le mieux! Je meurs de faim.
« Sinon y’a le Starbucks un peu plus loin. Deux pâtés de maison. Dix minutes à pieds. »
En temps normal, j'aurais dit oui au Starbucks. Tout simplement parce que leur latte macchiato est une véritable tuerie, et que ça fait une éternité que je n'en ai pas bu. Mais l'image des pancakes dégoulinant de sirop d'érable chasse bien vite celle du logo vert et blanc.
« Va pour le dinner, je meurs de faim, et j'ai bien envie de voir à quoi il ressemble. On ira au Starbucks une autre fois, si ça te dit. »
Sortants de l'hôpital, nous parcourons quelques dizaines de mètres, moi derrière lui, un peu à la traîne, regardant autour de moi. Brusquement, Kane s'arrête, et je me stoppe une demie seconde avant de lui rentrer dedans. Il me regarde, penchant légèrement la tête sur le côté, ce que je trouve amusant sur le moment. C'est une attitude un peu enfantine, qui ne va pas vraiment avec l'image de l'australien musclé qu'il véhicule.
« T’as pas eu le temps de visiter le quartier encore ? Faudra y remédier. Y’a des trucs cool dans le coin. Pas mal de truc de bouffe. Des trucs ouverts 24 sur 24 pas loin. Ils savent que y’a l’hôpital qui dort jamais. Et sinon y’a un marché aussi. Je pourrais te faire faire un tour si tu veux un jour. »
Je hoche la tête en souriant. Une fois de plus, je suis surprise de voir la gentillesse dont certains peuvent faire preuve face à des véritables étrangers. Car il est vrai que même si nous avons déjà parlé une fois ou deux, Kane et moi restons tout de même des inconnus l'un pour l'autre. Mais peu importe. Je le trouve bien sympathique, et cela fait du bien de parler avec quelqu'un d'aussi chaleureux.
« Ce serait avec plaisir. »
Reste juste à trouver le temps. Nous marchons encore quelques minutes, l'un à côté de l'autre. Cette fois-ci, Kane a réglé son pas sur le mien. Heureusement, car même s'il est vrai que je suis grande, et athlétique, mes jambes restent toujours un peu plus courtes que celle de l'australien, qui me dépasse d'une demie tête au moins. Nous finissons par arriver devant le dinner. Du moins, c'est ce qu'annonce la grande pancarte affichée au dessus de la porte. Il n'y a pas énormément de monde à l'intérieur, ce qui n'est pas étonnant vu qu'il n'est même pas encore 7h du matin. Kane passe devant moi, toujours en souriant, et me tiens la porte galamment. Je le remercie timidement, avant de pénétrer dans le petit restaurant. Et en découvrant l'intérieur, je suis agréablement surprise. Plus lumineux que celui que je fréquentais à San Diego, il est également un peu plus grand. Mais les banquettes sont similaires, d'un rouge sombres, légèrement usées par le temps. Les murs sont plutôt pâles, habillés de nombreux tableaux et affiches plus ou moins marqués par le temps. Il n'y a pas de musique de fond, mais ce n'est pas désagréable. Kane me mène à une table inoccupée, et nous nous installons tranquillement. Dès que je me retrouve assise, mon esprit dérive à la vue d'un tableau étrange, au fond, vers la porte des toilettes. Après quelques secondes à fixer le tableau, je remarque que Kane essaye d'attirer mon attention. Depuis combien de temps, ça... Rougissant un peu, je tape des doigts distraitement sur la table.
« Pardon, j'étais distraite. Le tableau au fond du dinner, celui avec un prêtre et un goupillon. Je trouve qu'il fait un peu... Tâche dans le décor. Bref. Tu disais? »
Il se retourne un instant, pour jeter un oeil vers le tableau en question. Quand il se retourne, il a une nouvelle fois le sourire aux lèvres. À croire que c'est permanent chez lui. Les odeurs qui se répandent dans le petit restaurant sont vraiment alléchantes. Ne voyant par la serveuse arriver, j'en conclus qu'il a déjà dû commander, et j'espère pour nous deux. Ça ne me dérange pas, au contraire, je ne sais pas si j'aurais réussi à me décider, au vu de toutes ces délicieuses senteurs. Portant de nouveau mon regard sur lui, j'entrecroise mes doigts sur la table vernie.
« Alors, parle-moi de toi. Qu'est ce qu'il y a d'important à savoir ?»
Je souris doucement, tout en le regardant dans les yeux. C'est la première fois depuis que j'ai emménagé que je passe un moment avec quelqu'un d'autre que ma fille. C'est agréable, c'est reposant. Et j'ai hâte de savoir à qui j'ai vraiment affaire.
Elle est partante pour le dinner, elle ne doit pas être une grande fan de Starbucks. J’en connais qui marcherait bien plus que deux pâtés de maison pour avoir leur café ou chocolat made in Starbucks. Ok je le fais aussi parfois parce que j’ai besoin de réconfort et le Starbucks ça y fait. C’est pas donné alors c’est des petits plaisir que je m’accorde de temps en temps, surtout lorsque je passe une mauvaise journée. Caitriona propose d’aller au Starbucks une prochaine fois et j’hoche la tête.
« Deal. »
Ca nous fera une autre occasion de se voir en dehors du boulot. Toujours sympa de faire des plans comme ça, même si on ne planifie pas vraiment. Je lui parle du quartier, je lui propose de lui faire faire le tour un jour si ça lui chante et elle accepte avec plaisir.
« Cool ! Ben tu me diras quand t’es dispo. »
Je pense que je lui laisserai mon numéro de téléphone à la fin de notre passage au dinner. Histoire de pouvoir se contacter autrement que quand je passe à l’hôpital. On arrive au dinner et je lui ouvre la porte tel un gentleman. On se trouve une table facilement, il n’y a pas tant de monde que ça à cette heure ci. Les menus sont déjà posés sur la table et j’en prends un pour consulter ce qu’il y a. Après un moment de contemplation je brise le silence.
« Hmmmm… Je crois que je vais prendre des blueberry pancakes… Avec un milkshake ! »
J’ai envie de sucré. Je relève la tête vers Caitriona et je vois qu’elle est dans ses pensées. Elle s’excuse et me parle d’un tableau qui est plus loin. Je me retourne pour voir de quoi elle parle, je ris un peu. Je suis pas un expert en tableaux alors je me contente d’hocher la tête et je reprends là où je m’étais arrêté.
« Non je disais je vais prendre les blueberry pancakes avec un milkshake. Ils font des super milkshake ici. Je vais le prendre au ferrero rocher. »
J’en salive d’avance. Caitriona reprend la parole et veut en savoir plus sur moi. Je m’attendais pas à cette question et je réfléchis un instant.
« Heu… Je suis musicien. Je chante souvent à des soirées open mic. Je fais des reprises mais aussi des chansons à moi. J’en ai écrite deux dont je suis pas peu fier. »
Je parle souvent de ces chansons que j’ai écrite parce que je les aime vraiment fort. Faudrait que je fasse des bonnes prises et que je les poste sur youtube pour les faire connaître. Peut être que quelqu’un sera intéressé par mes chansons et pourquoi pas faire un disque ! Ok je m’emporte sûrement un peu trop là. Je vais pour continuer sur ma lancée mais on est interrompu par la serveuse. Je lui dis ma commande et j’attends que Caitriona en fasse de même. Quand elle file je reprends la parole.
« C’est ton truc les soirées open mic ? Tu chantes un peu ? Et toi ? Parle moi de toi. »
Parce que c’est toujours plus poli de retourner les questions et parce que j’ai réellement envie d’en savoir plus sur elle. Je sais pas pourquoi je l’imagine marié avec des enfants, mais comme elle est urgentiste, je me dis que c’est peut être compromis. Ca prend beaucoup de temps ce boulot et du coup ça ne m’étonnerait pas qu’elle soit célibataire.
« Tu fais quoi quand tu bosses pas ? Tu fais pas que bosser rassure moi ! »
Je connais certains docteurs qui sont tellement à fond dans leur boulot qu’ils ne font que ça. Je suis d’accord de penser à sa carrière mais il faut aussi vivre en dehors de ça, enfin ce n’est que mon avis. Je ne saurais pas vivre sans la musique de mon côté, j’ai besoin de cette parenthèse à côté de mon boulot.
- Non je disais je vais prendre les blueberry pancakes avec un milkshake. Ils font des super milkshake ici. Je vais le prendre au ferrero rocher.
Un milkshake... Au ferrero rocher? Je lève un sourcil, étonnée. Peut être qu'il n'y a pas beaucoup de choix pour le café, mais en ce qui concerne les milkshakes... On ne va pas se mentir, ferrero rocher, ce n'est pas super courant comme parfum. Mais ce qu'il vient de me dire prouve néanmoins que la serveuse n'est pas encore arrivée, et qu'il me reste donc un peu de temps pour me décider. Je parcours la carte des yeux, et la repose quelques instants plus tard. Finalement, le choix n'a pas été si difficile que ça. Je vois la surprise dans ses yeux quand je lui demande de m'en dire plus sur lui. Apparemment, il ne s'attendait pas à cette question. Il marque une pose sans me lâcher des yeux. Je me demande un instant s'il va me répondre. Mais une seconde plus tard, il prend la parole.
- Heu… Je suis musicien. Je chante souvent à des soirées open mic. Je fais des reprises mais aussi des chansons à moi. J’en ai écrite deux dont je suis pas peu fier.
Ah tiens, un musicien! Je dois dire que je n'y aurais sans doute jamais pensé. C'est peut être un stéréotype, mais je ne vois pas quelqu'un d'aussi baraqué pratiquer d'un instrument, et encore moins chanter. Du moins, je n'en connaissais pas jusqu'à maintenant. Et là, je suis intriguée. Et j'ai très envie de l'entendre chanter. Si il a l'habitude des soirées open mic, c'est qu'il doit être plutôt doué. Sur une impulsion, je décide de tenter de savoir où se passent ces soirées musicales, histoire d'y passer "par hasard" un soir où j'en ai la possibilité... Je vois qu'il s'apprête à continuer, mais il est interrompu de la serveuse, une petite blonde aux traits juvéniles. Kane commande, et je m'empresse de faire de même, mon estomac gargouillant de façon peu discrète.
- Je vais prendre des pancakes avec du sirop d'érable, un milkshake à la vanille et... Un café.
Bien évidemment. Je fais partie de ces personnes qui ne peuvent pas vivre sans leur quota de caféine quotidien. Je rends la carte à la serveuse en la remerciant, et quand elle s'éloigne, je reporte mon attention sur l'ex ambulancier. Qui n'attends pas plus longtemps pour reprendre la parole.
- C’est ton truc les soirées open mic ? Tu chantes un peu ?
Plein de questions en même temps. Allons-y. Il s'est dévoilé un peu, alors maintenant c'est à mon tour.
- Non, c'est pas vraiment mon truc, je n'en ai jamais fait. Je chante un peu oui, mais uniquement pour moi et pour ma famille, jamais en public. Je joue du piano depuis que je suis petite, un peu de violon aussi. Mais rien de vraiment exceptionnel je suppose.
Il semble un peu surpris de ma réponse, mais également curieusement satisfait.
- Et toi ? Parle moi de toi.
Très bien, allons-y.
- Eh bien, je suis née à Edimbourg, d'où le petit accent. Je ne l'ai jamais vraiment perdu, même si j'ai grandi à San Diego, en Californie. J'ai... Une fille de 4 ans, et je parle 5 langues. Et je suis venue à Brisbane sur un coup de tête si on peut dire. Mais finalement, ce n'était pas une si mauvaise idée que ça.
Je ris devant l'expression de son visage. À bien y regarder, je n'ai pas dit grand chose, mais ça a suffit à l'intriguer, voir même à l'étonner.
- Tu fais quoi quand tu bosses pas ? Tu fais pas que bosser rassure moi !
Je ris à nouveau, de bon coeur.
- Non, bien sûr que non! Ça me prends beaucoup de temps c'est vrai, et j'aime mon travail, vraiment. Mais je ne fais pas que ça. Je monte à cheval quand j'en ai l'occasion, je sors avec des amis quand on m'invite, et le reste du temps je m'occupe de ma fille. Pas très palpitant n'est ce pas?
Il est vrai que je sors pas très souvent, du moins depuis que j'ai emménagé à Brisbane. Après tout, quand on ne connait que 3 personnes dans tout un pays, et qu'en plus l'une de ces personnes n'a que 4 ans, les choix sont assez limités. La serveuse revient, notre commande sur un grand plateau. L'odeur délicieuse me fait saliver, et mon estomac gargouille à nouveau quand la jeune fille pose l'assiette devant moi. Mais étrangement, je ne me jette pas dessus. Je préfère relever les yeux sur Kane, qui semble sur le point de dire autre chose.
Je souris de voir que Caitriona me suit sur le choix du milkshake. Elle est resté simple dans le parfum mais ils sont tout aussi bon. Je crois que c’est leur spécialité les milkshake par ici, parce qu’ils en font énormément. On parle de moi, je parle de musique automatiquement, ça va de paire. Je lui demande si elle chante et la réponse est non. Dommage. J’aurai bien aimé entraîner quelqu’un avec moi dans les soirées open mic. C’est toujours trop le pied quand j’ai une connaissance qui se laisse tenter. On fait même des duos ! Néanmoins Caitriona chante un peu, pour le plaisir, je trouve ça cool, j’hoche la tête. Elle est même musicienne, elle joue du piano et du violon ! Là je suis impressionné.
« Wow ! Je trouve ça plutôt exceptionnel moi. Je pratique le piano mais pas beaucoup. Et le violon j’ai jamais essayé. Je suis impressionné ! »
Je suis déjà en train de m’imaginer en train de lui demander de jouer un bout sur une de mes chansons future. Oui je me fais des films comme ça, mais ça peut rendre super bien. Je me souviens de quelques morceaux de rock qui sont accompagnés de violon et c’est juste magnifique à écouter. Ca se marie bien. Mais je me retiens de lui proposer ça tout de suite, on se connait à peine, j’ai pas envie d’être le relou de service.
J’en apprends un peu plus sur elle, elle parle de son accent, c’est vrai que je l’avais remarqué celui là. Elle a une fille ! Ah je l’aurai parié ! Elle ne parle pas de mari par contre, ça doit être une autre paire de manches de garder une relation quand on a un boulot aussi prenant que urgentiste. Je suis surpris d’apprendre qu’elle est venu à Brisbane sur un coup de tête.
« Ah ouais sur un coup de tête ? Comme ça ? Dois bien y avoir eu un petit truc en plus ici non ? »
Je ne vais pas parler du temps qui fait chez nous parce que à San Diego il fait toujours beau, donc ce n’est pas un argument. Je suis vraiment curieux de savoir ce qui a fait pencher la balance pour Brisbane. Je continue d’en apprendre sur elle, elle fait du cheval, intéressant, je l’aurai pas imaginé faire ce genre de sport.
« C’est déjà pas mal je trouve ! Moi je joue de la guitare je squatte les réseaux sociaux et je sors boire des coups. Oh et je surf aussi, enfin, j’essaie de m’y remettre, j’ai du mal à tenir mes résolutions. Je les ai revu à la baisse récemment. Je suis pas un grand surfeur, je débute. Mais c’est plutôt cool pour se changer les idées et se dépenser. »
Ce sont nos milkshakes qui arrivent les premiers, et son café aussi. Je remercie la serveuse et je commence à le boire aussitôt. Je vais doucement, je n’ai pas envie de me geler le cerveau.
« Hmmmm trop bon ! C’est limite si j’ai pas envie d’en prendre un deuxième alors que j’ai pas encore terminé celui là. »
Oui je suis gourmand. Je reprends le fil de la conversation.
« Faudra qu’on s’échange nos numéros de téléphone pour qu’on se tienne au courant quand tu veux que je te fasse visiter le quartier. Je te dirai mes horaires des semaines à venir et tu me diras quand tu préfères. »
- Ah ouais sur un coup de tête ? Comme ça ? Dois bien y avoir eu un petit truc en plus ici non ?
Je ne réponds pas, cette fois. Si j’étais honnête, je lui dirais que ce n’est pas à cause d’un truc en plus que je suis venue ici, même si c’est la lettre de Brianna qui m’a fait prendre la décision de la rejoindre en Australie. Non, en fait c’est plutôt parce qu’il y a un truc en moins. Les souvenirs. Partir de la maison où nous vivions a été une des meilleures décisions que j’ai prise durant les 4 dernières années. Partir loin, et laisser derrière moi cette maison, cette vie où j’avais sans cesse l’impression qu’il allait apparaître au détour d’un couloir, qu’il allait soudain pousser la porte de la cuisine et m’adresser ce sourire si spécial. Laisser derrière moi ces souvenirs qui me feront sûrement sourire plus tard, mais qui aujourd’hui me font encore souffrir. Je sens que j’ai perdu mon sourire, que mon visage s’est assombri. Toute la sympathie que j’éprouvais une seconde plus tôt s’est évaporée. Néanmoins, en levant à nouveau les yeux sur l’homme en face de moi, j’essaye de sourire à nouveau, tentant désespérément de chasser ces souvenirs tristes qui ont envahis mon esprit. Je réponds à sa question suivante, celle sur mes passe-temps, et il s’empresse de continuer sur sa lancée.
- C’est déjà pas mal je trouve ! Moi je joue de la guitare je squatte les réseaux sociaux et je sors boire des coups. Oh et je surf aussi, enfin, j’essaie de m’y remettre, j’ai du mal à tenir mes résolutions. Je les ai revu à la baisse récemment. Je suis pas un grand surfeur, je débute. Mais c’est plutôt cool pour se changer les idées et se dépenser.
Un bon vivant apparemment, quelqu’un qui apprécie sortir de tous temps pour aller s’amuser, se changer les idées, et sûrement pour aller insuffler de la joie à ceux qui l’entourent. Du moins, c’est comme ça que je le perçoit, tout simplement parce que c’est l’effet qu’il a sur moi. Il arrive à me faire sourire par son comportement décomplexé et un peu enfantin. Il babille, il est à l’aise. C’est agréable. Et il fait du surf. Ou du moins il essaye comme il dit. C’est le moment de rebondir pour chasser définitivement les mauvaises pensées.
- Ah le surf! J’ai essayé quand j’habitais à San Diego. Je t’avoue que je n’étais pas très douée… Et ça remonte à un moment, parce que comme tu t’en doute en Écosse le surf n’est pas vraiment le sport national… Mais j’aimerais bien retenter l’expérience, un jour de beau temps où j’aurais le temps d’en profiter.
J’ai à peine fini ma phrase que la serveuse arrive avec nos milkshakes, et mon café fumant. Elle dépose le tout sur la table, adresse un sourire intéressé à Kane, qui la remercie sans vraiment la regarder, s’étant déjà jeté sur son dessert glacé. Je ne peux m’empêcher de sourire à nouveau quand je vois la petite blonde s’éloigner, l’air dépité, tandis que Kane avale -plutôt lentement d’ailleurs- son milkshake, l’air béat. Il a du en briser des coeurs, celui-là…
- Hmmmm trop bon ! C’est limite si j’ai pas envie d’en prendre un deuxième alors que j’ai pas encore terminé celui là.
Ah apparemment c’est aussi un gourmand. Et je ne vais faire aucune réflexion, tout simplement parce que moi non plus je ne dis pas non à une douceur de temps en temps… Je goûte le mien, et en savoure la moindre gorgée, même si le froid me monte rapidement à la tête. Après quelques longues secondes de silence, je relève les yeux sur le blond, tout en lui adressant un regard en coin.
- Je pense que si tu en reprends un, tu feras une heureuse… Du moins si tu arrives à détacher ton regard de ton milkshake cette fois.
Et en voyant son air ahuri, les yeux limite écarquillés de surprise, j’éclate de rire. J’en étais sure, à tous les coups il n’a pas remarqué la petite serveuse qui le dévore du regard depuis que nous sommes entrés. Il jette un oeil derrière lui, pour voir si je dis vrai, avant de revenir vers moi, l’air vaguement gêné. Il relance la conversation, avant de recommencer à boire son milkshake.
- Faudra qu’on s’échange nos numéros de téléphone pour qu’on se tienne au courant quand tu veux que je te fasse visiter le quartier. Je te dirai mes horaires des semaines à venir et tu me diras quand tu préfères.
Joli changement de sujet. Le voir aussi mal à l’aise m’amuse beaucoup, surtout que depuis le début, il me parait être quelqu’un de sûr de lui. Mais bon, je ne vais pas prolonger son malaise, surtout qu’il reviendra bien assez vite. Au niveau du comptoir, notre serveuse s’est emparé de nos assiettes de pancakes, et ne va pas tarder à revenir par ici.
- C’est sûr que ce sera plus pratique. Je pense que si on laisse le destin faire à notre place, on risque d’attendre longtemps avant de trouver un créneau… Ça risque d’être compliqué, mais j’en pense que ça en vaudra la peine.
J’entends les pas de la serveuse se rapprocher, je sens son regard dans mon dos. Moi, je me contente de fixer Kane, un sourire amusé aux lèvres.
Elle ne me répond pas quand je demande plus de détails pour sa décision de venir à Brisbane. Je ne vais pas insister sur le sujet car ça a l’air d’être sensible. Je retiens qu’il vaut mieux éviter d’en parler. On verra si un jour elle se sent à l’aise de m’en parler. Enfin je ne sais pas si on atteindra ce niveau d’intimité tous les deux. Elle est surtout une collègue de boulot avant tout, même si on a l’air de bien s’entendre aux premiers abords. Je remarque son changement d’air et je me dis que j’ai vraiment mis les pieds dans le plat. Enfin je ne pouvais pas deviner que c’était une corde sensible. En tout cas je le sais maintenant. Je n’aime pas la voir comme ça, alors je reprends vite la parole essayant d’effacer cette maladresse dont j’ai fait preuve. On parle de surf, c’est déjà bien plus léger comme sujet.
« Je peux te conseiller quelques plages si jamais tu t’y mets. Tu me diras ! »
Je suis pas le plus expert mais j’ai quelques spots sympa depuis que je m’y suis mis et ça peut toujours servir comme conseil. Quand je parle de prendre un autre milkshake j’apprends que la serveuse a l’air d’avoir des vues sur moi. Non je n’avais rien remarqué, pourtant j’ai vu qu’elle était mignonne. Je ne suis pas le genre de mec qui est en chasse constamment. Surtout que j’ai une fille en vue en ce moment. J’ai même eu un rendez vous déjà. C’est pas sérieux mais c’est sympathique. Doucement mais sûrement on va dire. En tout cas la serveuse peut être mignonne ça ne me fait ni chaud ni froid. C’est surtout très flatteur je dois dire.
Caitriona approuve quand je lui demande son numéro de téléphone et je suis déjà en train de sortir mon iphone de ma poche. Oui autant le faire tout de suite, sinon on va passer à autre chose et oublier. Je le vois gros comme une maison. Je lui tends mon téléphone pour qu’elle insère son numéro et j’espère qu’elle va mettre le bon. Ou bien je prendrais ça comme un signe qu’elle ne veut pas vraiment me revoir. J’espère qu’elle ne va pas mettre son adresse email par exemple. Pas comme Nina. La fille que j’ai en vue en ce moment. Je lui ai demandé son numéro pour la contacter et elle m’a laissé son adresse email. Pas très pratique surtout qu’elle n’avait pas l’air de trop suivre sa boîte mail. Du coup j’ai attendu longtemps avant d’avoir un retour et ce retour est arrivé par hasard.
La serveuse revient avec le reste de notre commande et je la regarde un peu mieux. Elle fait jeune, mais bon je ne vais pas dire que c’est quelque chose qui me bloque l’âge, car Nina n’a que 20 ans. En tout cas je ne compte pas faire de signaux encourageant envers la serveuse parce que comme vous l’avez compris, j’ai une certaine Nina en tête ces derniers temps.
« Merci… »
Je lui fais un petit sourire et je prends ma fourchette pour commencer à manger parce que j’ai faim et ça m’a l’air délicieux. Je récupère mon téléphone au passage et je fais sonner celui de Caitriona pour qu’elle ait mon numéro à son tour. Je commence à manger et je reprends la conversation.
« Quoi de prévu aujourd’hui ? Tu vas dormir un peu en rentrant j’espère. Je sais pas pourquoi je t’imagine bien enchaîner ta journée et t’occuper de ta maison et de ta fille. »
Une idée comme ça mais qui ne me parait pas du tout improbable. Je sens même que je vise juste. On verra bien.
« Moi je rentre et je dors direct. Il est encore tôt comme ça je pourrais me lever vers le début de l’après midi et profiter du reste de la journée quand même. J’ai des courses à faire… Enfin c’est pas très intéressant tout ça. »
Je ris un peu.
« Tu bosses ce soir de nouveau ? T’es de nuit toute la semaine ? »
- Je peux te conseiller quelques plages si jamais tu t’y mets. Tu me diras !
Je ris doucement. Je pense qu'il faudra un long moment avant que je m'y mette vraiment, mais peut être que je pourrais y aller de temps en temps, et en profiter pour emmener Bree et Nora. Alors je lui réponds simplement que s'il a des endroits à me conseiller, alors oui je veux bien qu'il me les donne, ça me fera ça de moins à chercher. Quand il me tend son téléphone pour que j'y rentre mon numéro, je m'exécute, en rentrant le bon numéro bien sûr. Je n'ai aucune raison valable de ne pas lui donner un moyen de me joindre, après tout je l'aime bien. Et ça ne me dérangerait pas de le revoir, au contraire, il m'amuse beaucoup et j'apprécie sa compagnie et sa bonne humeur. Quand la serveuse arrive à notre tables, et dépose les pancakes devant nous, Kane lève les yeux, sûrement à cause de la remarque que je lui ai fait plus tôt, et la remercie avec un petit sourire, mi-gêné, mi-amusé. Puis il tourne la tête vers son assiette, empoigne sa fourchette et découpe un morceau de crêpe qu'il enfourne dans sa bouche sans attendre. Devant moi, le plat de pancakes dégage une senteur divine. Sans attendre une seconde de plus, je tends son téléphone à Kane, qui le récupère, et me mets à manger à mon tour. Tandis que je savoure les premières bouchées, le pompier appelle le numéro que je lui ai donné, et bien évidemment, mon portable sonne. Le réduisant au silence, je souris à Kane. Il a sûrement fait ça pour que j'aie son numéro... Ou tout simplement pour vérifier que je lui ai donné la bonne suite de chiffres. Nous mangeons en silence pendant quelques minutes, savourant chacun notre plat de crêpes, nos milk-shakes. Puis, comme si le silence lui était insupportable, Kane reprends la parole.
- Quoi de prévu aujourd’hui ? Tu vas dormir un peu en rentrant j’espère. Je sais pas pourquoi je t’imagine bien enchaîner ta journée et t’occuper de ta maison et de ta fille.
Je ris. Il est très loin de la vérité, et pourtant, je suis presque sûre qu'il croit avoir raison. Mais non. Je ne lui en veux pas, après tout, il me connait si peu pour l'instant.
- Oh que non! Dès que j'aurais franchi le seuil de ma villa, je vais aller m'écrouler sur mon lit et dormir quelques heures. Ensuite j'irais récupérer Nora chez une de mes amies, chez qui elle passe le plus clair de son temps en ce moment... J'ai des horaires impossibles en ce moment, ça me donne vraiment l'impression d'être une mauvaise mère.
Je soupire, reposant ma fourchette sur l'assiette, et fixant ma tasse de café encore fumante.
- Quant à ma maison, j'y passe tellement peu de temps en ce moment qu'il n'y a pas grand chose à y faire... Pas de travaux, pas de ménage... Peut être qu'un de ces jours j'irais acheter quelques décorations, parce que là c'est encore un peu vide. Mais bon, ça n'est pas vraiment le plus urgent.
Il a l'air dépité d'avoir eu tort, mais il se reprend vite, et enchaîne.
- Moi je rentre et je dors direct. Il est encore tôt comme ça je pourrais me lever vers le début de l’après midi et profiter du reste de la journée quand même. J’ai des courses à faire… Enfin c’est pas très intéressant tout ça.
Je hoche la tête, tout en engloutissant un morceau de pancake.
- Oui c'est vrai que ça à l'air pas mal comme programme. Il faudrait aussi que j'aille faire des courses, mais honnêtement, je n'aspire qu'à une douche et le plaisir de retrouver mon lit. Je suis sûre que dès que j'aurais terminé ce délicieux petit déjeuner, la fatigue reviendra me mettre K.O. en moins d'une minute. Il manquerait plus que je n'arrive pas à tenir jusqu'à chez moi.
Il rit de bon coeur. Nous finissons nos assiettes en silence, et une fois que c'est fait, je repousse la mienne légèrement sur le côté et rapproche ma tasse de café. La céramique me réchauffe les mains et ça me fait un bien fou. Il fait un peu frisquet, et c'est normal puisqu'il est assez tôt, que le soleil n'a pas encore pu réchauffer le sol. J'appréhende un peu le choc thermique qu'on devra affronter en sortant du dinner, étant donné qu'il peigne ici une chaleur agréable. Je reporte mon attention sur l'ex ambulancier, qui vient de repousser son assiette à son tour, affichant un sourire satisfait. Je me demande s'il va vraiment reprendre un milkshake. Je sais que d'ici quelques minutes, et malgré la caféine, la fatigue va revenir m'accabler, mais peu importe, pour l'instant, je suis bien ici.
- Tu bosses ce soir de nouveau ? T’es de nuit toute la semaine ?
Je soupire longuement, tout en souriant à Kane. Il a sûrement déjà une idée de la réponse, et cette fois-ci, ça m'étonnerait qu'il se trompe.
- Oui, je reprends vers 19h normalement, peut être un petit peu plus tard... Et oui, je suis bien de nuit toute la semaine. C'est un des inconvénients d'être nouvelle, on te refile les gardes les plus dures, celles que tous le monde cherche à éviter dans la mesure du possible. On m'a dit que c'était une sorte de test, pour voir comment je m'en sortais, mais bon...
J'ai un rire sans joie. Je sais déjà que la fin de semaine va être compliquée. J'ai un peu perdu le rythme à cause des quelques mois que j'ai passé en retrait, avant de déménager. Ça va revenir bien sûr, mais j'espère vraiment que ce sera rapide. La clochette suspendue au dessus de la porte d'entrée du dinner sonne, et nous nous tournons conjointement vers l'origine du son, surpris l'un comme l'autre par le bruit qui est venu briser le silence qui a suivi ma déclaration.
J’apprends qu’elle a une villa. Elle doit avoir un bon salaire pour se permettre ça. C’est vrai que médecin c’est autre chose que pompier et ambulancier. Ils ont des années d’études derrière eux et des tonnes de décisions très importante à prendre tous les jours. En tout cas j’ai eu faux avec mes suppositions. Elle compte aller dormir elle aussi quand elle aura passer le seuil de sa maison. On est deux comme ça. C’est bien qu’elle prenne du temps pour elle quand même. Il faut ce qu’il faut pour tenir le coup et faire ce boulot. Si on se repose pas on peut pas garder un bon rythme. Il faut toute sa tête pour faire ce job. Elle parle de la déco de sa maison qui laisse à désirer et j’hoche la tête. Je peux comprendre qu’elle ne prend pas le temps pour des choses simple comme ça. Y’a tellement à faire dans une journée déjà. Je mange mon petit déjeuner tout en continuant la conversation, je suis multi-tâches. Elle aussi a des courses à faire mais elle les relègue à plus tard.
« Moi je peux pas repousser les courses, j’ai vraiment plus rien à manger chez moi. »
Et j’essaie de ne pas trop dépenser en repas livré directement de chez le traiteur. Je le fais déjà trop souvent pour mon bien vu que je ne cuisine pas. Mes repas sont très basique. J’essaie de manger à la caserne dès que je peux. Je n’irai pas jusqu’à squatter les lieux quand je ne bosse pas mais ça m’a déjà traversé l’esprit je dois l’avouer. Je mange et j’essaie de ne pas boire mon milkshake trop vite. Je veux en garder jusqu’à la fin de mon repas, mais ça va être dur, je suis vraiment gourmand. Je reprends la conversation en lui demandant si elle bosse de nouveau de nuit et elle m’explique que c’est le cas. Et cela toute la semaine. Grosse semaine en prévision.
« Bon courage pour le boulot. »
Je reprends une bouchée de mes pancakes et je me rends compte que je les engloutis plutôt très vite ceux là aussi. Si ça continue j’aurai terminé le tout en moins de cinq minutes. Je jette un coup d’oeil vers la porte d’entrée mais ça ne suffit pas pour me distraire à faire autre chose que manger. Je n’arrive pas à me résoudre à aller moins vite et voilà déjà mon assiette vide. Je me cale ensuite contre le dossier de la banquette, sentant la fatigue de cette nuit de boulot arriver. Je reprends mon milkshake et je le bois, content de terminer par ça.
« Je suis mort… Je vais pas tarder à rentrer. »
Mais je vais bien évidemment attendre qu’elle ait fini de manger. Je ne suis pas mal poli comme ça non plus. Je ne le précise pas, car c’est sous entendu bien évidemment.
« Je veux mon liiiiit ! »
Et là je parle comme un gosse. Des fois j’ai vraiment l’impression de pas avoir grandit et d’être resté un ado toutes ces années. Enfin c’est bien de se sentir jeune comme ça. On sent pas les années passer. Je vis plutôt très bien mon cap de la trentaine. Il me reste encore un moment avant de l’atteindre mais je le touche du bout du doigt. Je me mets à bâiller et ça me fait rire.
« Vivement qu’ils inventent la téléportation, parce que je voudrais claquer des doigts et me retrouver chez moi. »
Je ris légèrement et je bâille une fois de plus. On continue à discuter jusqu'à ce qu'elle termine de manger. Je paie l'addition parce que j'avais envie de l'inviter. Au moins si elle veut me remercier elle n'aura qu'à m'inviter à un autre petit déjeuner. On rentre chacun de notre côté, tous les deux autant fatigué de cette nuit de boulot. A nous le bonheur de dormir maintenant !