I shouldn't have blamed you. À quinze heures tapantes, l’esprit navigant dans mes pensées et le corps sur l’auto-pilote, je prends le chemin de la demeure d’Achille. Charlotte et lui m’attendent pour que nous aillons visiter la tombe de Leticia, et je dois avouer que j’appréhende avec crainte l’instant où mes yeux se poseront sur la pierre tombale sur laquelle est gravé le nom de celle qui jadis partageait ma vie. J’ai peur des émotions qui m’assailliront au moment où je lirai son nom et où une série de souvenirs frapperont mes pensées et me combleront d’amertume et de nostalgie. J’ai peur. Très peur. Mais j’ai envie qu’elle sache que je pense à elle. J’ai envie de colorer cette pierre blanche de jolies fleurs. De belles roses, comme elle les aimait. Je veux que Charlotte puisse dire quelques mots à sa mère. Qu’elle puisse lui parler de la maternelle et des amis qu’elle s’est faits. Dire que Leticia n’aura jamais pu assister au premier jour d’école de sa fille. Dire qu’elle n’entendra jamais les histoires d’amour de Charlotte et qu’elle ne pourra pas partager les douces confidences que seules une mère et une fille partagent. Elle n’a que cinq ans et la voilà sans mère, sans le modèle qui devrait être là pour la guider jusqu’à ce qu’elle ne devienne elle-même une femme. Le coeur serré, je les rejoins et nous partons vers le cimetière. L’après-midi se passe exactement comme je l’ai imaginé: je combats avec tous les efforts du monde pour ne pas fondre en larmes alors que j’observe ma petite puce déposer les fleurs sur la pierre tombale. “Je t’aime, maman”, souffle-t-elle avant de revenir vers moi pour que je la prenne. Je la serre dans mes bras avec tant de force et d’amour. Jamais je n’autoriserai qu’il lui arrive quelque chose. Charlie est tout ce qu’il me reste; elle est ce que j'ai de plus précieux. Nous restons une bonne trentaine de minutes avant de prendre le chemin de ma maison où nous préparons le souper et partageons le repas tous les trois. La discussion n’est pas des plus animée, notamment parce que notre moral est à terre, mais aussi parce que les choses qui doivent être dites devront l’être sans la présence de Charlotte. Alors, lorsque la petite tombe enfin entre les bras de Morphée, nous nous installons devant un feu au salon. Je me prends une bière et offre un coca à Achille. Je prends place sur le fauteuil et observe les flammes qui s’agitent au centre du foyer de pierres. Je soupire et prends une gorgée de ma boisson, le regard complètement perdu. Je ne sais pas par où commencer la discussion, alors je me contente tout simplement de demeurer silencieux, jusqu’à ce que sans trop y réfléchir, je lui dise : “Je n’aurais jamais dû t’en vouloir. Rien de tout ça n’est de ta faute et tu ne devrais pas te sentir responsable non plus.”

une journée loin d'être comme les autres. les émotions sont là, les larmes menacent de tomber, mais tu réussis à gérer. tu sais pas pourquoi tu te retrouves ici, pourquoi tu as proposé cette idée parce que c'est beaucoup trop difficile. tu revois la voiture qui explose, tu revois ton corps qui s'effondre parce que la balle vient d'pénétrer ton épaule sans que tu comprennes quoi que ce soit. tu t'souviens de ton front qui a tapé les graviers, le souffle de l'explosion qui t'a décoiffé, tes yeux qui ont pris la poussière, puis la perte de connaissance en se laissant tomber dans l'inconscience. puis les mots de callum qui ne bougent pas ton esprit, ça te fait mal au ventre, et tu lâches un soupir pour être certain de ne pas exploser en sanglots, de ne pas pleurer à chaude larme. alors tu t'es fait le plus discret possible, jusqu'au moment où vous étiez sur le chemin du retour jusqu'à la demeure de Callum. l'ambiance est bizarre, tu fixes ton verre de soda vide comme un abruti, tu sens ton corps qui tremble comme une feuille et ça aussi, c'est désagréable. jusqu'au moment où il s'en va coucher la petite et tu relèves le regard vers les flammes qui scintillent. c'est beau, c'est agréable. ton verre qui n'est plus vide, tes lèvres qui goûtent la liqueur alors qu'il lance la conversation qui te fait bien trop peur. tu t'enfonces dans le canapé, tu aimerais mourir là, dormir, mais ne pas subir tout ça parce que tu n'es malheureusement pas prêt. « Callum... C'est trop facile de dire ça alors qu'à tes yeux, j'étais l'unique meurtrier de l'histoire. » tu dis en lâchant un soupir, posant ton front dans ta main, te préparant pour la suite. « c'est trop facile de s'excuser, parce que... bon sang mais j'étais là-bas, j'ai tout fait pour qu'elle ne vienne pas et ça se retourne contre moi. et j'aurais préféré crever à sa place, moi, parce qu'hormis mes parents, j'ai personne. pas un copain, pas une copine, pas une famille, rien.  » tu t'laisses aller, mais tu en peux plus de subir tout ça. maintenant qu'il s'est excusé, tu trouves ça trop simple. non, c'est pas comme ça que ça peut marcher.

I shouldn't have blamed you. Je ne sais pas si revenir sur le sujet était, en fait, une bonne chose. Peut-être aurais-je dû me taire et laisser les choses telles qu'elles le sont, c'est-à-dire ne pas donner un second souffle à mes excuses. Je lui avais dit que j'étais désolé et que je l'avais peut-être traité trop rudement, alors pourquoi dois-je en rajouter? Certes, il m'a avoué se sentir responsable malgré tout. Est-ce moi qui l'a amené à se sentir ainsi? À sentir qu'il est le seul et unique responsable du décès de ma femme? C'est pourtant ce que je me suis longtemps dit, notamment parce que je n'avais aucune façon de tenir pour responsables ceux qui l'ont réellement tuée. J'ignore s'ils ont payé pour leur crime, j'ignore même qui ils sont. Achille était la proie facile de mes reproches. Celui que je pouvais blâmer sans difficulté, la personne envers qui je pouvais lancer toute ma rage. Seulement, il ne l'a jamais méritée, et c'est ce que je réalise maintenant. Et je réalise aussi que le mal que j'ai causé ne peut être annulé qu'avec quelques mots. Pendant des mois et des mois, je l'ai blâmé. Et maintenant, il se sent réellement responsable pour tout. Je soupire, termine ma bière et la pose sur la table basse devant moi. Je tente de rassembler un peu de courage, ce qui ne s'avère pas être chose facile. "Je ne sais pas ce qu'il est advenu de ceux qui ont tué ma femme. Je ne sais pas s'ils ont répondu à leurs actes ou s'ils sont maintenant morts. Je ne sais rien. Je n'ai jamais su rien." Je passe une main tremblante dans ma chevelure obscure et prends une courte pause, tentant de remettre en place mes pensées chaotiques. "Je... J'avais besoin de blâmer quelqu'un. J'avais besoin de tenir le responsable entre mes mains, et je me suis fait croire que c'était toi qui aurait dû la protéger. Alors que Leticia... Leticia n'avait pas besoin de personne pour la protéger." Je me lève pour m'approcher du feu. Je regarde longuement les flammes qui crépitent dans le foyer et qui réchauffent peu à peu ma peau. La chaleur me fait du bien, elle me calme un peu. "Leticia aurait dû être à la maison, mais personne sauf elle-même ne l'aurait fait revenir. Elle aurait pu aussi rester à la base, mais elle était trop entêtée. Elle n'aurait jamais laissé personne l'empêcher de quitter. Pas même toi." Je soupire et me retourne vers lui. "T'as rien fait de mal. C'est moi qui t'a injustement pointé du doigt... parce que j'en avais besoin. Mais j'aurais pas dû." Non, je n'aurais jamais dû. Pendant tout ce temps-là, peut-être aurais-je dû tout simplement avoir mon ami pour m'aider à passer à travers cette rude épreuve plutôt que de boire inlassablement.

déjà que l'ambiance était difficile, alors quand callum emmène le sujet le plus difficile sur le tapis, c'est vraiment trop difficile. tu te sens compresser, t'en peux plus d'revivre cette scène sans cesse. pourtant, à l'armée, tu as déjà connu des situations très délicate. tu as déjà connu des explosions, tu as déjà reçu des balles, mais ça n'a jamais été traumatisant, bien au contraire, tu en ressortais bien plus fort. pas cette fois. bien au contraire, tu as peur de partir, d'aller sur le terrain. et pourtant, tu sais que tu vas bientôt devoir y retourner, tu vas bientôt reprendre les entraînements, tu vas bientôt t'entraîner comme un dingue et ça voudra dire qu'un nouveau pays va s'ouvrir à toi, et malheureusement, tu ne pourras pas le refuser. tu lâches un soupir, tu relèves ton regard vers lui, alors que callum s'est levé, s'est approché des flammes et sûrement que tu devrais faire pareil. sûrement que tu devrais t'approcher, mais c'est trop difficile. tu vois tes mains qui tremblent, alors tu es certain que tes jambes vont sûrement te lâcher si tu essayes de te lever. alors tu te contentes de bouger frénétiquement ta jambe, ton pouce à ta bouche, tu te mords la peau au dessus de ton ongle parce qu'il n'y a que ça pour te calmer un minimum. « j'en sais pas plus que toi, tu sais. la seule chose que j'sais, c'est qu'ils avaient prévu le coup depuis le début et qu'on s'est fait avoir en beauté. » ta voix tremble, tu lâches un soupir, finissant par cacher ta tête dans tes mains. heureusement que la petite dort, heureusement qu'elle n'entend pas tout ça, même en cachette, parce que déjà que toi, ça t'a suffisamment traumatisé, alors tu n'imagines pas l'imagination qu'on peut avoir à cinq ans à travers des mots. « et tu l'as quand même fait, mais je t'en veux pas tu sais. j'aurais bien aimé faire ça, quand ma propre soeur est morte. j'aurais bien aimé pointer quelqu'un du doigt pour évacuer toute la colère que je ressentais. malheureusement, l'unique responsable de sa mort, c'est l'alcool. » triste à dire, mais c'est la vérité. laeticia, elle était comme une seconde soeur et elle aussi, elle brille parmi les étoiles. « call... s'il te plaît, tu dois prendre des congés. pour toi, pour charlie. elle a b'soin de son père. » tu dis, parce que tu as entendu la petite, parce que tu sais qu'elle a b'soin de lui. « et puis... puis tu me manques callum. tu fais parti des personnes qui comptent le plus pour moi, malgré tout ça, et j'veux pas te perdre. » les dés sont jetés.

I shouldn't have blamed you. J'espère de tout coeur que mes mots parviendront à percer le mur que j'ai construit au courant des derniers mois. Cette épaisse fortification que je n'ai cessé d'épaissir avec ma hargne et mes reproches trop souvent violentes à son égard. Cette même hargne n'avait pas lieu d'être, et ça me tue d'avoir réalisé très récemment que j'ai été injuste à son encontre. Achille n'a tenté que d'être mon ami, rien de plus. Et pourtant, je passais mon temps à le repousser et à le traiter de tous les noms, tout simplement parce que j'avais besoin de blâmer quelqu'un. Et malheureusement, la personne la plus facile à blâmer était Achille. Et c'est donc lui qui fut ma victime pendant les mois qui ont suivi le décès de Leticia. Et désormais, près de neuf mois après sa mort, je réalise enfin ma connerie. J'écoute sa réponse d'une oreille attentive. J'attends tout simplement qu'il me dise qu'il me pardonne, même si je doute qu'il puisse réellement pardonner quelque chose d'aussi horrible. Et pourtant, il le fait. Il ne m'en veut pas. Cette phrase suffit pour me calmer instantanément. Je pousse un long soupir et passe mes doigts à travers mon épaisse chevelure. Que quelques mots suffisent pour atténuer l'énorme douleur qui m'assaille depuis les derniers jours, celle de la culpabilité. "Merci....", je souffle. "Merci de ne pas m'en vouloir, même si je ne mérite pas que tu sois aussi indulgent envers moi." Je baisse les yeux momentanément avant de rencontrer son regard. Je me sens tellement étrange en sa présence, alors que je devrais pourtant me sentir bien maintenant que la haine n'est plus. Je m'apprête à ajouter quelque chose lorsqu'il mentionne Charlotte et mon absence plutôt marquée. Je soupire à nouveau, sachant pertinemment qu'il a raison. Mais puis-je vraiment prendre plus de congés? Surtout considérant le nouveau cabinet? "Je... Je vais essayer." Je me contente de lui dire que les efforts seront mis. C'est tout ce que je peux promettre. Je lui souris légèrement lorsqu'il me dit que je lui manque. Il est vrai que nous passions beaucoup de temps ensemble avant. Ma femme aimait tant que nous invitions des amis à la maison et Achille étaient toujours parmi eux. "Tu me manques aussi", je lui avoue. Il m'est difficile d'être aussi ouvert, mais cette fois-ci, je le suis. Et surtout, je suis honnête.

alors c'est comme ça que les choses se calment. alors ouais, peut-être qu'après des mois de bataille, tout est enfin terminé. l'armistice vient d'être signer, et tu te lèves avec difficultés, tu te places à ses côtés, sans être trop proche non plus. mais tu retrouves ton ami, et c'est tellement agréable. tu te permets de parler de charlie, parce que tu sais qu'elle a besoin de son père et tant pis s'il le prend mal, tant pis s'il n'aime pas que tu lui donnes des conseils parce que merde, avant tout, tu es son ami. « tu as perdu ta femme, et tu restes important pour moi. les excuses ont été faites, j'pense qu'on doit tourner la page sur tout ça et apprendre à vivre avec. » c'est la stricte vérité, t'en peux plus du cercle vicieux qui te bouffe constamment. mais maintenant, ça y est, les choses rentrent dans l'ordre. tu frissonnes un peu, tu souris face à des mots qui te réchauffent le coeur, alors que ton coeur s'emballe sans que tu comprennes la raison de ce geste. peut-être parce que tu y croyais plus, et qu'il a réussi à te rassurer ? ouais, peut-être, mais tu es heureux d'entendre que tu lui manques. « je vais te laisser, parce qu'il commence à se faire tard et je ne vais pas te déranger plus. on a eu une dure journée. » tu sais pas trop c'que tu pourrais lui dire d'autre aussi, et tu penses que c'est la meilleure façon de clore cette journée, clore ce chapitre pour en commencer un nouveau. tu sais pas comment demain est fait, tu sais pas ce qu'il va t'arriver. peut-être que tu vas rencontrer quelqu'un, peut-être que tu vas te prendre un bus, peut-être que tu vas finir dans le coma. peut-être que demain, tu vas faire l'amour, t'en sais rien, mais tu veux juste évoluer, tu veux juste arrêter de penser à tout ça et commencer d'écrire ce nouveau chapitre, vivre une autre histoire.

I shouldn't have blamed you. Ça me fait tant de bien de savoir que les choses se sont réglées avec Achille. Je ne ressens plus de rancune à son égard et je le vois désormais sous un autre jour. Il n'est plus celui qui aurait pu et dû empêcher le meurtre de ma femme, mais celui qui, en réalité, n'avait aucun moyen d'agir. Il est celui qui partage ma peine et qui vit avec les regrets de n'avoir pu faire plus... de ne pas avoir pu prévoir ce qui se passerait. S'il avait su ce qui se tramait, jamais ne l'aurait-il laissée se positionner dans un tel état de vulnérabilité. Ma femme était entêtée et forte d'esprit. Elle avait confiance en elle et n'aurait jamais accepté de les laisser partir sans se joindre à eux, surtout après avoir travaillé de paire avec ses collègues pour réaliser cette mission. Elle aimait son métier et s'y investissait au maximum. Et peu importe l'amour qu'elle me portait, rien ne l'aurait empêchée de retourner sur le terrain. C'était une chose de la confiner à la base, mais il faut croire qu'elle avait besoin d'un peu de liberté. Et maintenant, Achille a besoin de mon amitié comme j'ai besoin de la sienne. Cette page, nous la tournerons ensemble. Je regarde ma bouteille de bière vide et hésite à en prendre une autre. Je décide toutefois que ce soir, j'en ai eu suffisamment. Je n'ai pas envie de m'endormir parce que je suis trop ivre. J'ai envie de m'endormir avec ma fille dans mes bras et les doux souvenirs que j'ai avec ma femme. J'ai envie de profiter de ce soudain optimisme pour le temps qu'il est là, car je sais que le chagrin reviendra tôt ou tard. Je ne peux possiblement me sentir aussi léger pour une longue durée. C'est un sentiment bien trop magnifique pour être permanent. Ce n'est qu'une question de temps avant que je sois plongé à nouveau dans la nostalgie et la solitude. "Tu as raison, n'en parlons plus. C'est terminé." Je lui souris doucement. Un sourire sincère. Aussi rare qu'une étoile filante. Achille finit par se lever et annonce son départ. J'hoche la tête en l'observant puis regarde l'heure. Je devrais me coucher moi aussi et profiter d'une bonne nuit de sommeil avant de commencer ma dernière journée de boulot de la semaine. Certes, je passerai le weekend dans de la paperasse, mais je pourrai être à la maison avec Charlie plutôt qu'enfermé dans mon bureau ou dans une salle d'audience. Je me lève à mon tour pour accompagner Achille jusqu'à l'entrée. Je m'accote contre le mur et l'observe pendant qu'il met ses chaussures. "Merci beaucoup d'être venu. J'ai apprécié que tu sois là et je suis sûr que Charlotte a apprécié aussi." Sans sa mère et sa marraine qui se trouve à des milliers de kilomètres de distance, Charlotte a besoin de son parrain maintenant plus que jamais. Et j'apprécie qu'il soit là et qu'il ne l'ait jamais laissée tomber. Lorsqu'Achille quitte ma demeure, je file sous la douche et enfile un pyjama avant de rejoindre Charlotte dans sa chambre. Je la prends dans mes bras et l'amène dans mon lit où je la couche. Je m'allonge à ses côtés et la serre dans mes bras. Je m'endors presqu'instantanément.   FIN.