Oh lonely hands grab my heart full of nothing, I don't know why, I don’t know when. You took my hand, gave me something to believe in. A melody softly soaring through my atmosphere.
« Le colibri sur le toit, le nouveau papa et la nouvelle maman du 308, le gâteau aux fruits douteux de ce midi… tes p’tits doigts bien joufflus. » j’énumère doucement, savamment, insistant sur tous les mots. L’index qui danse naturellement à travers ses mèches rebelles, collées à son front, le souffle qui s’harmonise au sien, celui que lui encourage les machines en parallèle. Il ne se passe pas une journée sans que je joue à notre jeu, sans que j’énumère bien sérieusement, petit rappel de ce qu’on faisait avant, de ma réponse à la question de Noah qui remontait toujours avec la même curiosité. “Qu’est-ce qui tu voudrais peindre aujourd’hui, maman?”. Je l'entends encore parfaitement, sa petite voix nasillarde qui me questionne, qui s'accompagne d'une paire d'yeux brillants. Et je lui pointais, je l'entraînais par la main, on faisait la course à travers les couloirs, on sortait la tête vers les jardins. Ça lui rappelait Londres quand je peignais encore, ça lui rappelait les workshops où il avait pu assister une fois ou deux, ça lui rappelait la vie à l’extérieur, la nôtre, la belle, la colorée. Pas celle illuminée par des néons qui frétillent, pas celle passée entre les diagnostics, l’attente et les faiblesses en continu. Alors je poursuivais, alors je partageais, la voix tremblante, les yeux un peu plus bouffis au fil des jours, ce qui aurait pu se retrouver sur mon canevas si j’avais pris le temps. Dehors, il fait soleil, dehors, on sent la lumière qui tente de vouloir s’introduire à travers les rideaux épais, on lui a fait une place quelques fois. Quand Edward trouve que j’aurais bien besoin de voir autre chose que les reflets sur le linoléum. Quand Ezra s’en fait pour mes silences, pour mes absences, pour ma contenance qui s’efface un peu plus. Il n’y avait pas de bonne façon d’être, de réagir, de survivre à la situation. L’attente allait finir par nous avoir tous, les non-dits, et surtout, surtout, l’absence. Rien n’avait changé, rien n’allait en s’améliorant, et le délai arrivait si vite et si rapidement que je me surprenais à regarder plusieurs fois par jour le calendrier du coin de l’oeil, le coeur arraché, terrifiée à l’idée qu’on soit passés d’une journée à l’autre sans que je l’ai réalisé. Et Noah toujours immobile, Noah toujours impassible. Un calme stoïque sur son visage, comme s’il avait plus de courage que nous tous rassemblés, comme s’il savait que peu importe l’issue de tout ça, il avait fait tout ce qu’il avait pu. Petit ange d’à peine 7 ans qui m’avait beaucoup plus appris que quiconque. Que j’aimais plus que n’importe qui, plus que ma propre vie. Que j’aimerais toujours. Les larmes remontent comme à leur habitude, encore surprise qu’il en reste. « Je reviens bonhomme, c’est l’heure du café de 13h. » c’était stupide, d’essayer le plus souvent possible de ne pas pleurer en sa présence. Qu’il ait été conscient ou non, j’avais toujours fait de mon possible pour retenir les larmes, pour ne pas le lui imposer, pour être forte, pour lui, pour nous. Depuis les dernières semaines, ça avait été plus difficile, plus compliqué, mais lorsque je me sentais de pouvoir le faire, lorsque j’avais la petite pulsion nécessaire pour détourner le regard, pour fuir, je n’hésitais pas une seule seconde. Un baiser qui se dépose sur le front tiède de Noah, qui se perd à travers ses cheveux, qui se noie sur ses tempes aussi, juste assez, et je file. À tâtons, ramassant furtivement ma veste, quelques pièces, et une main qui passe nerveusement dans mes boucles désordonnées. La porte s’ouvre, je mets le pied dehors, volte-face plus tard et, oh. Collision. Le parallèle aurait pu être drôle, il aurait pu se moquer. Parce que c’était bien comme ça qu’on s’était rencontrés, la première fois. Ma silhouette fuyante qui se heurte au grand piquet qu’il peut être, Ben, quand il se tient droit et qu’il ne se recroqueville pas devant un marathon de Die Hard. Sauf qu’elle est loin, la Ginny qui voulait quitter le bar parce qu’elle ne se voyait pas jouer de son presque charme, flirter sans savoir comment. Elle s’est dissipée entre un divorce, entre un gamin malade, entre un coma forcé, entre une amitié qui lui manque, un Brody qui lui manquait, un peu trop justement. « Hey. » comme si de rien n’était, comme si à force c’était normal pour ma tête de le percuter de plein fouet parce que je ne regardais jamais vraiment où je mettais les pieds. Et mes prunelles qui se lèvent dans sa direction. C’est un brin surréaliste de le voir là, pas parce que je doutais qu’il passe un jour, mais parce que depuis que j’ai élu domicile dans la chambre de Noah, tout me semble irréel dès que je mets le pied en dehors, dès que je m’heurte à l’extérieur, littéralement. « Je… j’allais chercher un café, tu... ? » ça, c’est resté par contre. Elle en oublie ses mots la petite, elle ignore par quoi commencer, si elle doit le laisser là, s’il est là pour ça, aussi. C’est peut-être une simple coïncidence, il est peut-être juste passé voir quelqu’un d’autre et hop, il a fini immobilisé dans son passage par une brune un peu trop distraite, perdue. Comme la fin de ma phrase, comme son sens, comme sa logique. Je me reprends par contre, parce qu’à voir son air, qu’à me mettre à sa place, si sa présence ici est bel et bien pour nous, ça ne doit pas être de gaieté de coeur, les paillettes au bord des lèvres. « Je me doute que ça doit pas être facile pour toi d’être là, j’veux dire, avec Adam qui a presque le même âge et tout… t’es pas obligé d’entrer si tu veux pas. Même de rester. Juste... » son fils n’avait rien à voir avec le mien, même si Adam était en parfaite santé, même s’il n’avait rien à craindre, un coeur de parent n’était jamais prêt à voir ce genre de chose, à assister à ça. On ne devrait pas, jamais, devoir subir un truc aussi atroce, aussi horrible, que de voir son enfant dépérir sans pouvoir y changer quelque chose. Il n’a pas besoin de rester, il n’a pas besoin de dire quoi que ce soit, de voir quoi que ce soit. Juste sa présence, là, est suffisante, juste de l’avoir croisé, même au hasard, ça aide, ça adoucit, ça simplifie. « Ça fait du bien, de te voir. » et le soupir qui suit, qui soulage. Il ne bouge pas, il reste là, il comprend peut-être, que rien n’a besoin d’être dit, que les mots sont parfois beaucoup plus superflus que tout le reste. Et j’esquisse un pas supplémentaire, initiant le geste, initiant mes bras qui se glissent autour de lui, me lovant dans un espèce de câlin qui est tout sauf naturel, inné, mais qui calme, encore plus que ce que j’aurais pu penser.
Oh lonely hands grab my heart full of nothing, I don't know why, I don’t know when. You took my hand, gave me something to believe in. A melody softly soaring through my atmosphere.
Loan de retour, Adam qui s'adapte. Ginny en silence radio, Noah dans le coma. Et le bail des bureaux qui attend toujours une décision de ma part. C'est beaucoup d'informations pour moi, beaucoup trop d'événements, d'émotions prenantes, de pensées sérieuses. Ça m’alourdit le crâne, je ressens enfin le poids de mon cerveau en action, la chaleur de la machine en marche, et les rouages rouillés dans la sphère drama demeurée inactive depuis mes au revoirs à mes parents il y a pas mal d'années maintenant, ou plus récemment, après avoir décrété que Dean et moi n'étions plus frères, ni amis. Ça fume là-dedans, ça cogite, ça travaille. Et puisque les grosses nouvelles n'arrivent jamais seules, ni par vagues, mais plutôt par avalanches massives, j’ai désormais dans les mains, sous le nez, devant mes yeux écarquillés, le papelard qui peut changer ni une, ni deux, mais bien toute une foutue tripotée de vies. Sale coup du destin de mettre ce genre de responsabilité sur les épaules d'un type pareil. Et dire que ce matin, j'essayais encore de former des mots grivois avec mes céréales en forme de lettres. C'est plein de termes que je ne comprends pas, de chiffres qui signifient sûrement un truc important. Une bonne nouvelle, en soi. Non, ce ne sont pas les résultats bi-annuels de dépistage du sida ; là-dessus, on me dit que si je le veux, je peux filer un rein à Noah. Si je le veux est la partie délicate. Mais quel égoïste, vous penserez, quel monstre de douter même une seule seconde. Ce n’est qu'un petit garçon, après tout. Oh, oui, quelle honte de réfléchir à deux fois avant de faire don d'un organe dont l’absence peut sensiblement me compliquer la vie. Je veux que Noah aille mieux, je veux qu'il aille à l'école, qu'il se fasse des copains, qu'il soulève les jupes des filles dans la cour de récré. Je veux qu'il vive. Mais pas qu'il vive à mes dépends. C'est ma première pensée ; non, hors de question. Bien entendu, rien est aussi simple que cela, détourner le regard et nier. Est-ce que j'en parle à Ginny ? Est-ce que je le lui cache ? Est-ce que je prends le risque d'attendre que quelqu'un d'autre se dévoue, qu'il soit trop tard ? Et dans ce cas, est-ce que j'arriverai à faire avec l'idée que j'aurais pu faire quelque chose… si je l'avais voulu. C’est compatible, ça pourrait marcher, et soudainement je suis pris du regret d'être au courant de cette possibilité. Le problème des choses que l'on sait, c'est qu'il est impossible de ne plus les savoir. Pas des choses pareilles. Et je ne peux pas déchirer le papier en deux, le jeter dans trois poubelles différentes et faire comme si cela n'avait jamais existé. Tout ce que je peux faire, c'est prendre cette information telle qu'elle est, la travailler, analyser les options, prendre une décision. Surtout, surtout, assumer. Pleinement, entièrement, toutes les conséquences. Qu'importe la décision, voilà la partie la plus flippante du moindre choix ; tout ce qui vient après et qui nous fait prier de pouvoir retourner en arrière. Sonné, je plie le document en quatre avec la précaution d'une machine et le glisse dans une poche, dans un coin de mon cerveau pour être mouliné, pour macérer. Réfléchis, Ben. Je ne fais que ça, réfléchir. Je tente de mettre de l'ordre dans mes idées, de dépoussiérer mon sens des priorités. Au final je ne suis plus très présent moi non plus. Par rapport à tous ces bouleversements, mon téléphone me paraît complètement futile. Aujourd'hui est le jour où je décide de mettre un terme à ce long silence radio, faire un pas vers Ginny, qui en a besoin, et moi aussi, au fond. Mes visites à Noah depuis que j'ai rencontré sa mère se comptent sur les doigts d'une main, difficile de faire mieux entre le boulot et Adam. En revanche, j'ai retenu le numéro de la chambre, et comment Ginny aime son café. Et puis, lorsqu’elle me tombe dessus, se fracasse contre moi tête la première -et bien basse- comment ne pas se remémorer le descriptif qu’en avait fait Deb la première fois ? Je lui souris, mais mon regard la scrute, trouve les petites rides d’inquiétude et les poches de larmes vides. Elle n’a pas l'air tout à fait là, tout à fait elle-même, et c'est assez étrange de la trouver ainsi, la découvrir sous ce jour-là, à la lumière des évènements. La maman sous la nana cool et mignonne, derrière les maladresses et les sourires qui occultent tout ce qui a fini par lui exploser dessus. Elle est éclaboussée par cet immense pavé dans la marre, jeté le jour de ce fameux coup de téléphone et notre quasi téléportation à l'hôpital. J'étais resté dehors, ce jour-là. Je n’ai pas encore vu Noah depuis qu'il a été plongé dans le coma. Étrangement, non, je ne fais aucun parallèle avec Adam. Je ne compare pas, ne me projette pas, n'essaye même pas d'imaginer comment je me sentirais si j'étais dans cette situation. Parce que je sais que tout ce que je peux croire comprendre n’est rien par rapport à la réalité, et je ne peux pas minimiser la chose comme ça. Mon rôle, c'est le bon copain, c'est le clown. C'est le type à qui Ginny peut faire un câlin si elle en a besoin, et qui, même au pire moment, trouvera le moyen de lui retourner un “c’est ce qu'elles disent toutes”. Ma main libre frotte un peu son dos. L'autre porte les victuailles que j'ai apportées à son attention. “Cafés et douceurs pour demoiselle en détresse.” J’ai lu ses pensées, j'ai tout prévu, je suis parfait, elle n’a pas besoin de le dire, un merci fera l'affaire. “Je ne savais pas si tu serais dans le mood donut, muffin ou cinnamon Roll, alors j’en ai pris deux de chaque.” Comme ça, pas de bataille, pas même besoin de se poser la question ; on évite tout encombrement inutile de l'esprit. Si c'est cela, se réfugier dans la bouffe, alors je suis tout à fait pour cette thérapie. D'un signe de tête, j'invite la McGrath à me suivre jusqu'à un petit spot tranquille où nous pourrons nous poser -c’est elle la maîtresse des lieux, alors je la suis de près et je compte sur elle pour nous dénicher the place to be dans l'hôpital. Une fois assis, j’arbore mon plus beau sourire de sale gosse fier de sa bêtise à venir. “Et je t'ai apporté un petit cadeau.” que je lui tends peu après et lui laisse le temps de découvrir, en espérant que cela lui arrache un sourire. “Une photo de moi. Dédicacée. Pour les fois où je te manque, tu sais.”
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Les néons du couloir ont tôt fait d’agresser mes rétines, de m'immobiliser dans mon geste. Je plisse les yeux avant de doucement m’habituer au blanc immaculé qui rebondit sur le linoléum, et à mon élan qui est arrêté par Benjamin débarqué devant la 214 à l’improviste. Le temps de reprendre mes esprits, d’articuler quelques salutations, de lui offrir un plan d’évacuation simple et concis, et voilà que je fais un pas puis un autre dans sa direction, me blottissant dans ce qui semble être une accolade, ou du moins une tentative de. Il est gêné dans le mouvement, il se raidit, et je comprends bien vite que ce n’est pas la faute du rapprochement des plus prudes que je lui propose, mais de ce qu’il peut bien tenir entre les doigts. Je mets une poignée de secondes avant de réaliser ce qu’il offre, avant de le concevoir même. À quand remontait mon dernier repas? Plus que quelques miettes piquées ça et là, sous l’oeil réprobateur d'Ez ou d'Ed? Le sac qu’il agite à la hauteur de mes yeux embaume l’air, et la cannelle se mélange à un parfum familier, rassurant, un arôme qui m’a sauvé de plusieurs nuits blanches, qui m’a accompagné depuis trop longtemps pour que je l’avoue. « Mon héros. » j’ignore si je m’adresse à Ben ou au gobelet de café qu’il m’offre fièrement, mais qu'il se considère comme le messie. Toujours un peu trop collée à lui selon mes propres standards, je laisse mes mains remonter vers le précieux verre de liquide brûlant, en profitant pour me dégager et retrouver un minimum de contenance. Une gorgée puis une autre, je savoure, j’en oublie le café dilué à l’amertume et à la vieille eau mal filtrée de la cafétéria au profit des grains fraîchement moulus qui provoquent un doux soupir de satisfaction, et des paupières qui se ferment d’allégresse pour quelques secondes. « J’avais oublié ce que ça goûtait, le vrai café, celui qu’on vous sert dans le vrai monde. Vous connaissez pas votre chance. » les yeux clos, je bois encore un peu, me servant de ce prétexte à la con pour faire une pause, un arrêt sur image, laissant presque mon esprit se transporter ailleurs que dans un couloir d’hôpital pour une fois. Un aller simple loin des tracas le temps de redresser les épaules, et de revenir poser mon attention sur le programme principal. Ben expose ce qui se cache dans le sac de papier kraft, et même si l’appétit me fait défaut, il semble tellement émerveillé par ses victuailles que je retiens à peine un mmmmmm bien senti. C’est le geste qui compte, et pas mon estomac qui se serre à la moindre sollicitation. On verra bien si la faim viendra en le voyant se goinfrer des trois desserts choisis un peu plus tard. Toujours plantés devant la porte de la chambre de Noah, c’est petit à petit que je réalise qu’il ne s’agit pas juste d’un mirage au goût caféiné, mais bien du Brody qui s’est déplacé, qui est venu voir si tout allait, qui s’est enquis à la perfection de sa mission du jour, à savoir être là quand il faut, comme il faut. Parce que j’en ai assez de m'apitoyer sur mon sort, parce que j’ai fait le tour, des questions auxquelles je n’ai pas de réponse. Entamant le pas à ses côtés, je bifurque assez vite loin de la lunchroom où je me dirigeais de base, préférant lui montrer quelque chose d’un peu moins déprimant, d’un peu plus jovial. Je pousse une porte de l’épaule, salue Justine qui passe près de nous au même moment, et le Dr. Herbet qui traverse le couloir en diagonal. À force, on croirait que je connaissais tout le personnel ici, ce qui n’était pas faux. Mais si j’avais pu m’en passer... L’impression que j’ai eue plus tôt au sujet de la météo se confirme lorsqu’on termine la balade en bordure de l’espace vert de l’hôpital, la cour intérieure qu’ils avaient aménagée un peu après qu’on soit emménagés à Brisbane, et que j’avais visité un nombre incalculable de fois avec Noah à l’époque. Je désigne un banc non loin, entouré de bosquets et d’immenses bouquets de fleurs sauvages, là où le soleil plombe encore un peu malgré le gros chêne qui fait un quart d'ombre sur le siège. M’installant, je récidive une nouvelle fois en gobant presque la moitié de mon café. Il goûte meilleur, je pourrais le jurer. Parce qu’il s'accompagne de Ben qui a toujours su user des bons mots pour me changer les idées, et parce qu’aujourd’hui il ajoute un cliché à la game, qu’il mise sur une photo de lui pour me faire éclater de rire. Le genre de rire que je reconnais à peine, pas des plus assumés, mais qui s’en rapproche. Je ne me souvenais même plus de la dernière fois où j’avais pu rigoler, de toute façon, à quoi bon tenter de l’analyser. « Ça vient aussi avec une compil audio de tes pires blagues salaces sur les uniformes d’infirmière? » et comme à chaque fois entre nous, c’est l’humour qui embarque, c’est le sarcasme que j’enfile, le sourcil haussé, l’air qui se force à être moqueur, un peu, assez. Passés maîtres dans l’art du déni, de l’évitement, mais surtout du feel good, le doux, celui qui permet de reprendre des forces avant de retourner affronter la bête. Avant de m’avancer à parler un peu, à faire la conversation. Du moins, à essayer. « C’était son endroit préféré, à Noah. Il voulait toujours qu’on vienne s’installer ici pour manger. Il pouvait se cacher dans le jardin, les buissons étaient toujours plus hauts que sa tête. » évidemment, que ça évoquait des souvenirs d’être ici. Les rires de Noah planqué derrière les jonquilles tout en face. Sa tête blonde qui se fond dans les feuilles du bouleau, là, à gauche. Interdite, je ressasse ma phrase après l’avoir articulée, réalisant à quel point tout semblait un peu trop décidé, un peu trop fatidique. Un frisson qui parcourt mon échine, et pas parce que la température est fraîche. « Je déteste quand je parle de lui à l’imparfait. » j’ignore d’où me vient cette impulsion, celle qui s'immisce dans mes conversations depuis une bonne semaine, celle que je surprends avec un haut-le-coeur, qui me retourne, qui me renverse à chaque fois. Puis je me concentre, parce qu’il le faut. C’était pas facile à vivre, c’était un combat de chaque jour, de chaque heure, minute, et voilà que Ben qui venait d’apparaître comme une fleur, plein de promesses envers un après-midi le moindrement meilleur, devait assister à tout ça. C’est pas cool, c’est pas drôle, c’est pas nous, et c’est pas ce que je veux. Le soulagement d’entendre ses âneries précédantes me revient, le sourire qu’il avait su m'arracher pas plus tard que 15 minutes auparavant motive mon intérêt à se raviver, ou du moins, à mettre tout en son pouvoir pour s’accrocher. « Raconte-moi des trucs, s’il-te-plaît. » qu’il m’entendra l’implorer, presque comme une gamine, me faisant l’impression d’être toujours à lui quémander quelque chose. Je me fais pitié presque, je m’horripile, mais je sais bêtement qu’une simple phrase, que deux ou trois mots venant de son quotidien, même la plus stupide des anecdotes, me feront le plus grand bien. Et je me promets, surtout, d’être attentive. D'écouter, dévouée, tout ce qu’il faut, le temps de mettre mon coeur, ma tête en berne. Autant être ingrate jusqu’au bout. « Comment Adam s’en sort à l’école. Sur quel procès tu bosses, les cas ridicules, ceux qui te font rouler des yeux exposant un million. Quel scandale tes voisins ont décidé de mener au bûcher cette semaine. » je lui suggère des pistes, je m’emporte presque, c’est limite un trait d’enthousiasme qu’on entend là, entre mes mots incertains et mes supplications chuchotées. « N’importe quoi. D’autre. » il avait toujours été le roi de la distraction en tous genres. Sa photo bien au chaud dans la poche intérieure de ma veste, je me dis que si vraiment rien ne l’inspire, on pourra toujours jouer au jeu des micro-expressions, et sonder son air immortalisé pour un appareil en espérant y trouver des traits communs à un portrait de serial killer. La première connerie qui allégera ma journée, je prends.
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La café en main, je me sens comme le Messie lui-même descendu du ciel pour offrir le salut à une Ginny au bout du rouleau. Certes son allure me fait de la peine, mais plutôt que de m'attarder sur. Et détail, je me fais une mission de lui apporter un peu de réconfort. Immédiatement ses lèvres goûtent une boisson bien chaude et un véritable arabica issu de je ne sais quel commerce équitable comme ils disaient sur le menu du Starbucks. Un café au bon goût de justice, c'est presque ironique lorsque l'on sait que c'est un petit garçon qui se trouve de l'autre côté de cette porte, dans cette chambre, dans cette frontière entre vie et mort. “Nous avons des vrais lits aussi, tu devrais essayer. Et il y a moi.” Ce qui en fait forcément the place to be. L'orgueil exacerbé est un runing gag qui fait toujours son petit effet, me donne l'air d'une caricature, et si ça fait rire, sourire, alors je m'en satisfais. Nous nous éloignons de la chambre de Noah, devenue une véritable grotte dans laquelle se terre Ginny à longueur de journée. Je sens que même si elle m'accompagne dans un coin plus sympa de l'hôpital, il y a ce gros bout d'elle qui reste là-bas, attentive, aux aguets. Et cela me va, de n’avoir que trente pour cent de l'attention de la jeune femme, je ne me vois pas en demander plus. Mon fameux cadeau lui arrache un vrai éclat de rire, et je devine à ce simple son à quel point elle en avait besoin, de lâcher cet air dans autre chose qu'un soupir las d'inquiétude et de peine. Je me déçoit presque de ne pas avoir pensé à la complication avant elle, mais je note l'idée. “Puisque tu insistes ça sera ton cadeau pour la prochaine fois.” Comprendre que je compte revenir, jouer mon rôle de bon pote à nouveau, être encore une fois le type qui est là dès que l'on a besoin de lui, et que l'on jette parfois aussi facilement. Alors que Ginny s'attarde sur des souvenirs, mon regard suit le récit en glissant sur les environs. Il m’est plus facile d'imaginer Noah jouant à cache-cache dans le coin plutôt qu'au fond d'un lit d'hôpital, les yeux clos, tandis que l'espoir étiolé de sa mère, lui, se devine dans les temps qu'elle emploie, comme essayant déjà de se conditionner à sa disparition. “Ca doit être parce qu'une fois qu'il sera tiré d'affaire, tout ça sera du passé.” je la reprends en retournant entièrement la signification de ce lapsus pour un point de vue optimiste. Et une petite voix me rappelle que si je le voulais, je pourrais avoir raison. Si je le voulais, je pourrais faire naître plus d'un sourire. Alors que la détresse fait courber le dos de Ginny, je passe un bras autour de ses épaules fatiguées. Je cherche quoi raconter pour lui changer les idées, mais je ne cherche pas longtemps ; “J’ai eu le cas d'un type qui a buté son voisin en lui passant le visage sous la tondeuse à gazon, la face du mec était devenu un vrai Picasso. Tu noteras la référence, comment je m'améliore. Bref, le dossier est accablant, je ne peux quasiment rien faire, mais le gars soutenait que c'était pas lui. Au final, on a découvert que c'était, j’te le donne en mille… le chien !” Impossible ? Eh non. Incongru ? Complètement. Les cerveaux présents à la Cour ont explosé, les rires impudiques ont été retenus, non sans mal, alors que l'explication des événements s'avérait complètement loufoque et pourtant si plausible. “Le voisin réparait la tondeuse et l'avait laissée branchée, le chien est un gros berger allemand qui a sûrement pas aimé que papa change de marque de croquettes sans le consulter, alors il a allumé la machine d'un coup de patte et l’a poussée sur son maître qui avait la tronche près des hélices.” C'est assez difficile à expliquer, dit comme ça, ça ne donne rien, c'est pourquoi je dégaine mon téléphone et le tend à Ginny comme si je lui passais un sac de dope le moins discrètement du monde. Parce que je ne suis pas supposé avoir ça dans la poche, parce que ma conscience professionnelle est franchement questionnable, et parce que c'est glauque comme pas possible. “J’ai gardé la vidéo s’tu veux, c'est à mourir de rire.”
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C’était une façon bien ludique, bien candide de voir les choses, mais ça avait le mérite de faire changement, de faire un peu moins mal. Il en faudrait beaucoup pour que je tourne ce fameux imparfait vers la possibilité que tout ceci ne soit qu’une mauvaise passe, mais j’hoche tout de même de la tête, attrapant au vol tout ce que je peux pour aller mieux, peu importe ce que ça peut être. Bouffée d’oxygène en prime. « C’est peut-être ça, oui... » bravo pour l’effort Ben qu’ajoute mon sourire, par lequel je tente d’adoucir un peu mon expression, de la rendre moins triste, moins fermée, moins distraite. Ce n’est pas chose facile, et c’est probablement pour ça que je lui demande de meubler la conversation, de me parler de ce qu’il veut, de la météo s’il le faut, n’importe quoi. Je me dis qu’il saura y faire, je me dis qu’il m’amènera ailleurs, que ce petit moment ensemble fera l'effet du cocon auquel on aspire, comme le château de couvertures, comme ce refuge où on vient prendre tous les deux ce dont on a besoin avant de retourner mener nos combats, chacun de notre côté. La poésie du truc finit bien vite par se barrer lorsqu’il entame son récit, et que je reste muette du début à la fin, tellement l'histoire semble sortie de la pire légende urbaine du monde. Il peine à garder son sérieux plus il s’approche du dénouement, il éclate même de rire avant la fin, et, visuelle, je tente à mon tour de recréer l’épisode dans ma tête, de voir exactement là où le propriétaire du chien a pu faillir à sa tâche, où le clébard a décidé de prendre sa vengeance, où le voisin a dû vivre momentanément avec les conséquences. Voyant mes sourcils froncés devant le capital improbable de la chose, Ben a tôt fait de dégainer son portable et de me le mettre sous les yeux, activant la vidéo qui me captive dès les premières secondes. « Et qui a filmé?! » la question est légitime, mais je ne détache pas le regard de l’écran, fascinée. C’était peut-être le poolboy avec qui la femme de l’autre avait une aventure? Ou alors le chien lui-même qui voulait impressionner la caniche du quartier, qu’en sais-je. « Attends là, zoom, ce regard, son chien, je... » c’est ridicule, c’est hilarant, c’est horrible, c’est macabre, et je presse sur la vitre pour lui montrer ce dont je parle, limite le berger allemand nous fixe là, nous envoie un coup d’oeil de maniaque, il nous voit presque, j’ai un frisson, et un autre. « Dégueulasse! » la finale, le moteur de la tondeuse qui s’enclenche et le haut-le-coeur qui suit le bruit distinctif des lames qui tranchent la peau, du sang qui vole. Par réflexe je viens cacher ma tête au creux de l’épaule de Benjamin, avant d’ouvrir la paupière gauche, de m’assurer au moins, d’un oeil, de ne pas manquer la fin abominable. J’avais demandé à être distraite, il a réussi le challenge haut la main. Pendant une bonne minute, 5 même si on est chanceux, c’est l’avenir du pauvre apprenti paysagiste qui m’importe, et le sort du berger allemand qui risque la prison à vie pour son crime. « Tu rigoles bien, mais ces cas-là vont te manquer quand tu seras à la tête de Brody, McGrath, pigeon and associates. » que je finis par relancer, me replaçant un peu mieux sur le banc, tournant mon attention dans sa direction en lui rendant son téléphone. La mention de son travail a bien évidemment ramené le dernier souvenir que j’en avais, et le possible bureau sur lequel il avait jeté son dévolu. Encore une fois, le timing nous jouait des tours, et je savais bien que peu importe ce qu’il déciderait en bout de ligne, à savoir s’il voulait de mon aide financière ou non, avait été relégué au deuxième, au troisième plan. Il voulait pas déranger Ben, il était là quand on en avait besoin, et il s’arrangeait lui-même sans rien demander. J’aurais voulu aider, je le voulais toujours, mais le reste semblait tellement superflu maintenant. « Comment t’arrives à faire ça? J’veux dire, y’a même pas 10 minutes, i was a mess. » pour une nouvelle fois, je lève la tête dans sa direction, des yeux brillants d’enfant qui ne comprend pas tout à fait cette facilité qu’il a, de tout dédramatiser. Je ne comptais plus les fois où il avait su désamorcer avec brio le moindre malaise, mal-être. Et encore une fois, il n’avait suffit que d’un café, d’une vidéo, que de quelques blagues et voilà, pour un instant, bref, suffisant, j’allais mieux. Pas bien, mais mieux. « Virginia! » la voix du Dr. Ollie me fait sursauter, avant qu’il finisse par venir nous rejoindre. Un homme d’une cinquantaine d’années, le visage marqué par le temps, un sourire simple, une poigne ferme. Il avait été le premier à gérer le dossier de Noah à notre arrivée ici, et il n’était pas rare même deux ans après qu’il passe à sa chambre prendre des nouvelles. Surtout depuis les dernières semaines. « C’est rassurant de vous voir prendre l’air. En espérant que ce monsieur arrive à vous convaincre de dormir un peu aussi. » c’était devenu l’une des priorités du personnel, ma transformation lente et certaine vers un stade de zombie les inquiétant plus que cela ne le devrait. On me demandait si j’avais mangé, si je m’étais reposée, si j’avais vu la lumière du soleil de façon plus insistante désormais. Probablement la raison pour laquelle Ezra et Edward prenaient encore plus à coeur de me surveiller à tour de rôle. « J’ai l’air si fatiguée que ça? » je chuchote, confidence à l’intention de Ben, après avoir salué le docteur qui part déjà poursuivre sa ronde. Trahie par un bâillement qui me décroche presque la mâchoire, j’ai ma réponse, et elle n’est pas très reluisante. « Allez, j’avoue. Je donnerais n’importe quoi pour une heure, deux même, de sommeil complet. Après, j’ai l’impression que je pourrais conquérir le monde. » naturellement, je sens mon corps glisser contre le bras de Ben, ma nuque prenant un peu plus appui sur lui. Le soleil réchauffe, le coeur s'allège. Presque.
Oh lonely hands grab my heart full of nothing, I don't know why, I don’t know when. You took my hand, gave me something to believe in. A melody softly soaring through my atmosphere.
C’est dégoûtant, mais c’est efficace, et c’est l’idée ; la vidéo tournée comme un vieux court métrage de Robert Rodriguez capte toute l’attention d’une Ginny qui n’attend que la chute, même connue d’avance, curieuse, aussi fascinée que je peux l’être par ce que la réalité fait de plus glauque. La faute à pas de chance, et ce type, là, n’en a vraiment pas eu. Le malheur des uns fait le bonheur des autres, et on se marre bien face aux images choc, ce film improbable face auquel tout le monde hurlerait au fake sur la toile. La question se pose, l’identité du cinéaste, et je pouffe à nouveau ; “Un autre voisin, gros nerd stalkeur bien crade qui avait sûrement l’habitude de se branler sur sa vue imprenable de la salle de bain du type mort quand la bobonne allait à la douche.” Il avait sûrement senti la scène venir à des kilomètres, et plutôt que d’intervenir, s’il y avait quoi que ce soit à faire, il avait eu le sens des priorités de tout gosse : dégainer son téléphone et filmer le tout, la vengeance du chien, et la face du maître découpée en lamelles façon kebab. Dommage, ils ne deviendront pas tous les stars de youtube, car la vidéo n’est pas destinée à être diffusée où que ce soit. Je la supprimerai sûrement le jour où ma conscience professionnelle fera son grand retour à dos de cheval blanc, mais pour le moment, je fais de Ginny l’une des uniques privilégiées à connaître le destin funeste du propriétaire de la pelouse de cette petite maison de Logan City. Méfait accompli, je range mon téléphone, avouant volontiers que ces grands moments de folklore manqueront à ma vie une fois que j’aurai changé de cap professionnel ; “Sûrement, oui. Les plans sociaux sont moins funs, mais ça rapporte bien plus.” Et j’ai des priorités. D’autres prendront ma place, les jeunes diplômés qui veulent se faire la main comme cela était mon cas à l’époque, avant que ce statut devienne un peu trop permanent. J’ai hâte d’avancer, mais je le ferai à mon rythme. Je n’en profite sûrement pas pour relancer Ginny au sujet de sa proposition de m’aider à acquérir des bureaux. Personne n’a la tête à ça, elle la première. Ce n’est pas le moment de parler de choses sérieuses, de tout ce qui met des bâtons dans les roues, de tout ce qui est même un peu trop réel. Une bulle dans une bulle, inception de mondes les uns dans les autres ; dehors, les tracas, et ici, maintenant, la vraie bouffée d’air. “J’me suis dit que les vidéos d’animaux, ça fonctionne à tous les coups.” dis-je en haussant les épaules, l’air bête. Qu’importe la vidéo, tant qu’il y a un animal dedans, n’est-ce pas ? C’est surtout la première chose qui m’a traversé l’esprit. J’ai envie de lancer un grand Quoi d’neuf, docteur ? au type en blouse qui s’approche de nous pour prendre des nouvelles de Ginny. “Si je devais la mettre au lit, ça serait pas pour dormir.” que je rétorque avec un air bien macho, resserrant mon bras autour des épaules de la jeune femme, refusant ainsi la mission qu’on essaye de m’assigner consistant à dicter la conduite de celle-ci, celle qui sait bien mieux gérer sa vie que je n’en serais jamais capable. Et je fais fuir le médecin avec cette méthode bien personnelle mêlant sensation de dégoût et d’exaspération qui ne donne aucune envie de rester dans les parages. Les interférences de la réalité sont uniquement susceptibles de ruiner ce que j’essaye de faire ici. La preuve, je soupire en entendant Ginny demandant confirmation au sujet de sa face de déterrée. “Disons que si la ville était infestée de zombies mangeurs de cervelle, tu te fondrais parfaitement dans le décor.” je réponds pour plaisanter, ne comptant pas non plus mentir. Je la laisse reposer sa tête sur mon épaules, ma main frotte légèrement son bras fatigué de toujours tout porter. Pendant un moment, je laisse le silence prendre place ; je ne suis pas du genre à savoir quoi dire, et j’ai toujours considéré qu’une tape dans le dos avec un “ça va aller” bien senti ne résout rien. Et puis il a cette vieille qui passe. Le genre d’antiquité à qui il reste entre deux mois et vingt ans à vivre selon la volonté le corps médical à la garder en vie outre mesure. Elle est en fauteuil, poussée par ce que je devine être un petit-fils qui a également le sens des priorités, et qui sait qu’il faut être dans les petits papiers des aïeuls en fin de vie si on aspire à un héritage conséquent. Il n’a pas envie d’être là, il en a marre d’entendre toutes les semaines que la bouffe de l’hôpital est infâme, et il s’en fiche de savoir que, l’autre jour, dans les feux de l’amour, Jessica a trompé Greg avec Bob il y a deux épisodes et du coup elle doute de l’identité du père du gosse dont elle est enceinte de trois mois, tout ça parce qu’elle n’est pas fichue de lire un foutu calendrier. Mais ce n’est pas une soudaine envie de bingewatcher un soap bien dégoulinant que cette scène m’inspire. “Où est-ce qu’on peut trouver des fauteuils roulants ?” je demande en adressant un regard qui veut tout dire, un sourire en coin, à une Ginny qui peut lire dans mes pensées, qui peut les entendre hurler “combat d’infirmes !”
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« Fût un temps, c’était même considéré comme un puissant aphrodisiaque. » et un rire, jaune. Évidemment que la mention me rappelle ma dernière frasque à l'atelier, et le panda, et le canard, et tout ce qui est venu avec. Puis je laisse mon attention dériver ailleurs comme elle le fait si bien depuis qu'il est apparu comme une fleur devant la 214. Le soleil est haut dans le ciel, particulièrement brûlant lorsque Ollie s'incruste une minute à peine à nos côtés, s'inquiétant comme tout le monde de mes cernes. Rien à signaler si ce n'est qu'une insomnie toujours autant assumée et je préfère faire fi de l'humour bien beauf de Ben comme à mon habitude. Un simple « C’est gentil, mais ça ira je vous assure. » suffira à calmer les ardeurs de tout le monde sans relancer au plus la conversation. S'ils savaient comme je m'en passerais de dormir, comme j'avais abandonné depuis belle lurette. Encore plus d’en donner des comptes. Je suis sèche mais polie, droite mais aimable. Il nous laisse et mon bâillement ne fait qu'empirer ma cause ; Ben me le confirme en m'assurant qu'un costume d’Halloween sera superflu compte tenu de mon physique zombifié. « T’es passé maître dans l’art de faire sentir les femmes irrésistibles, hen. » je roule des yeux sans vraiment le faire, puis me cale un peu plus contre lui, luttant d'abord pour mon propre confort, ignorant le reste. J'aurais facilement pu m'endormir, laisser les tracas derrière, soupirer une dernière fois avant de fermer l'œil. Ma tête contre son épaule, j'ai les paupières presque aussi lourdes que le coeur, j'y trouve réconfort. Ben n'a pas besoin de parler pour que je me sente à ma place, n'a besoin de rien faire en particulier pour que j'ai envie de rester là, blottie, reposée ou presque. De longues minutes passent, peut-être même une heure - je l'ignore sans forcer, le front posé et le souffle calme. Ben me réveille en s'agitant d'abord, puis en articulant clairement son nouveau plan machiavélique. Mhm que mon visage perplexe semble d'abord répondre, yeux collés et bouche pâteuse. Puis je décortique et j'ai presque, presque envie de jouer. « Sérieux, Ben. » mon ton est brusque, presque déçu, outré. Comme si c'était déplacé, comme si c'était tout ce dont je n'avais pas besoin. La blague. « Pas trouver ; voler. » je joue sur les mots, je corrige, et je m'amuse presque lorsque mes pas nous guident hors du jardin, à travers les couloirs, et finalement non loin de l’étage où la pharmacie de l'hôpital succède à l'entrepôt de location de fauteuils roulants. « Comme quoi, ça a du bon de passer ma vie ici. » J'ai envie de la distraction ultime, du mauvais coup, de la gamine qui se brûle les doigts. Les rires étouffés fusent, on est presque en mission ninja, Ben Bond surveille mes arrières, et je lorgne sur nos avants. J’ai envie d’annihiler la douleur, de profiter du moment comme si c’était nécessaire, de prendre ce dont j’ai besoin avant de retourner lutter contre mes propres démons. Je m’y perds, dans le stratagème, surveillant les gestes et les bruits qui pourraient nous surprendre, nous postant là, contre le comptoir fermé des pharmaciens, l’oeil à vif. Le calme plat me suggère que tous les employés sont en pause, et c'est tout ce qu'il me faut pour gagner l’once de courage supplémentaire qui me fait emboîter le pas vers la porte annonçant d’un symbole que c’est ici que nous trouverons nos nouveaux bolides. Ben sur mes talons, je pose la main sur la poignée, m’apprête à tourner, et sursaute comme une fillette prise sur le fait lorsque des pas à ma gauche lointaine me font comprendre qu’on est à environ une fraction de milliseconde d’être surpris. Je me presse, toujours le rire facile, trop, coup d'oeil hilare de pseudo stress envoyé à mon complice avant que la porte finisse par céder - petit fait cocasse, elle n’était même pas verrouillée, je tournais juste dans le mauvais sens… - et j’attire Brody par le t-shirt dans la pièce juste au moment où un gardien de sécurité aurait pu nous avoir en vue. Porte refermée, je soupire, moins une. Juste ça, et je la sens presque, l’adrénaline, le p’tit kick, celui qui me promet qu’un jour, je pourrai ressentir autre chose que de la douleur en amont. Faisant volte-face, je remarque le jackpot tout autour, tous ces fauteuils et ces béquilles qui nous appartiennent, qu’on pourrait voler pour je ne sais quoi, user le temps que je plane encore, une heure tout au plus avant que la réalité me rattrape, que je m'effondre au chevet de Noah, que je réalise. C’est là que ça devient bizarre, vidéo d'animaux style. Ben à proximité, il doit encore surveiller par la vitre de la porte que personne ne viendra nous arrêter dans notre élan diabolique le temps qu’on kidnappe un ou deux fauteuils, qu’on parte en rallye, qu’on imagine à quel point le truc peut freiner vite dans l’élan. Je sens à nouveau son corps contre le mien, comme à son arrivée, comme sur le banc, comme maintenant. Les contacts qui se multiplient, et je n’ai pas particulièrement envie qu’ils s’arrêtent. Il finira par remarquer mes sourcils froncés, mon regard qui pense, mon silence qui s’alourdit. C’est trop long, c’est trop con, et je ne me souvenais même plus que j'agrippais toujours les pans de son t-shirt depuis qu’on avait mis le pied dans cette pièce cachée. Son regard capte le mien, son souffle s’agence, je me fais même l’affront de me mettre sur la pointe des pieds alors que ma tête m’hurle que non, c'est pas le bon moment, ça sert à rien, non, juste non. Mes prunelles ne vacillent pas, how can something so wrong make me feel so right. Je suis à quelques millimètres de ses lèvres, je suis à une poussière d’y déposer les miennes, il le sait tout aussi bien que moi, mais je me ravise. Choc électrique et je retombe, décharge et je m’emporte, secouant la tête, niant en bloc. « Je... j'allais t'embrasser, je sais pas pourquoi j'en ai envie... mais je le ferai pas. » et je n’ai jamais voulu avoir l’air aussi décidée que maintenant. Un sourire déçu se dessine pourtant sur mon visage. « Parce que déjà, ça compliquerait encore plus les choses et on n'a pas besoin de ça. » il le sait, je le sais, pas besoin de revenir là-dessus. « Parce que ce serait sûrement pour aller chercher du réconfort mal placé, pour me rassurer, pour me prouver que parfois, ça peut arrêter de faire atrocement mal, même si c'est juste pendant 0,00001 seconde. » je réfléchis à voix haute, il doit bien finir par être habitué à ce que je le bombarde de ce qui se passe dans ma tête, il doit bien finir par s’en lasser. La sortie de secours n’est pas trop loin, s’il aligne bien ses pieds, il peut s’y rendre en 2 minutes top chrono et laisser toute cette histoire derrière. « Je veux pas être la fille désespérée qui vient chercher à combler un vide. » j’ignore pourquoi je me justifie, Ben s’en balance sûrement. Pourtant, j’ai besoin de me l’entendre dire. Ne dit-on pas qu’il faut être au plus bas pour y voir plus clair? « Et surtout, j'ai pas le goût d'associer chaque fois où je t'embrasse à un moment triste, à un moment où je doute, où je déprime. » je voudrais que ça arrête d’être motivé par un besoin malsain, que ça ne remonte plus simplement parce que je suis mal, et qu’il m’apparaît être la solution. Je voudrais que ça souligne un moment heureux, que ça signifie autre chose que oh, regardez la pauvre qui en profite pour chercher des réponses qu’elle ne veut pas entendre en bécotant à tous vents. « Alors, j'vais juste… sauver le moment. » la réflexion s’arrête, parce que j’en ai fait le tour. Les rires reviendront, et cette pression pas nécessaire que je me mettais sur les épaules, elle risque de flirter ailleurs encore quelques secondes avant de revenir s’en prendre à mon moral. « Cette scène était une gracieuseté de ma fatigue, mention spéciale à mon malaise constant. » et je pouffe, parce que c’était toujours comme ça. Je parle trop, il s’enlise dans mes discours, et on passe à autre chose. Comme là, comme lorsque mes rétines remarquent un fauteuil particulièrement cool à l’arrière, et le shopping commence. « Celui-là c’est genre la mustang des gériatriques. » que je commente, peaufinant à merveille l’art de faire comme si tout allait, comme si ce n’était qu’une bulle, un aparté, sponsored par mes neurones qui en manquent des bouts depuis plusieurs semaines. « J’me demande on peut le faire monter à combien de km/h. » et je me le demande vraiment, je le jure.
Oh lonely hands grab my heart full of nothing, I don't know why, I don’t know when. You took my hand, gave me something to believe in. A melody softly soaring through my atmosphere.
Le très périlleux chemin jusqu'au local où se cache notre trésor, notre butin de roues et d'aluminium, se solde par un succès ; nous y sommes, planqués comme deux gosses derrière cette porte qui mène au Narnia des hôpitaux, un peu nerveux à l'idée de se faire prendre, amusés surtout, le regard encore attentif au passage dans le couloir de l'autre côté, l'oreille tendue. Personne ne nous a vus, personne ne se doute de quoi que ce soit, et j'ai déjà hâte de voir leurs têtes lorsque nous deboulerons hors d'ici sur nos bolides -bien que je doute que mes bras maigrichons soient capables de faire tourner ces grandes roues bien longtemps bien vite. Un jour j'irai dans cette salle de sport en bas de la rue qui me coûte un rein -pardon, un bras- par mois. Et puis je tourne la tête, et puis je la vois qui me dévisage, Ginny qui est tout près de moi, près comme dans le château de draps, près comme quand elle veut “tester un truc”. Quand la seule chose à laquelle je songe, moi, c'est que je ne l'ai jamais fait dans un placard à fauteuils roulants dans un hôpital de Brisbane et que je pourrais en faire une ligne supplémentaire dans ma bucket list, la jeune femme, elle, est emportée dans ce genre de tempête de pensées qui l'empêche d'aller jusqu'au bout. Et ce baiser avorté au millimètre près me laisse dans un drôle d’état, une déception à la motivation floue. Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait ? Après tout, quelle différence entre avoir l'intention d'une chose pareille et y aller, le faire, une fois l'envie avouée ? Just go for it. Si elle le veut, si elle en a momentanément besoin, si cela peut faire du bien ; qu'y a-t-il à réfléchir dans une chose aussi simple ? Je ne suis pas celui qui l'engagera à quoi que ce soit pour un baiser ou deux, je ne suis pas celui qui compliquera quoi que ce soit -c’est à peine si j’y réfléchis. Elle devrait le savoir. Mais je finis par éventuellement comprendre que son soudain retour en arrière est avant tout pour elle. Parce que cela est plus compliqué pour elle que pour moi, parce que cela soulève des problèmes qui ne devraient pas en être, parce que cela signifie bien plus pour elle que je ne veux le croire et le voir. Boring. “Les filles… vous pensez vraiment trop.” je soupire en roulant des yeux. Je n’ai pas envie de la blâmer, pas durant ce qu'elle traverse. Mais je suis contrarié. Ennuyé d'être une source de frustration malgré moi et malgré tout ce que je mets en œuvre pour que tout soit simple, agacé d'avoir pu voir qu’un baiser a tant de valeur à ses yeux, parce que ce genre de comportement est mon détonateur, le signal d'alarme qui veut dire qu'il est temps de prendre ses jambes à son cou. Quand tout est trop sérieux, trop compliqué, je tourne le dos, je m'en vais, c'est quelque part dans les branches de mon ADN. Néanmoins, une question se pose ; est-ce que ce mécanisme est dû à Ginny, ou à moi ? N'est-ce pas ce pincement au cœur qui me pousse à la distance ? Cette envie que, pour une fois, tout ceci signifie quelque chose, mêlé à cette impression de ne pas le mériter tout à la fois. J'écoute la brune qui tente de sauver le moment, sans conviction. Pas autant que la dernière fois. Peut-être parce qu'elle est moins convaincante, elle aussi. Cette scène dans le placard sonne comme un mauvais vaudeville, et sa manière de faire comme si de rien n'était, une mascarade qui ne prend pas. “Tu sais quoi, j'ai oublié que j'avais ce… truc à faire.” je balance sans dentelle, sans y mettre la forme, et me fichant que l'air sente si fort la poudre d'escampette soudainement. Je veux me dépêtrer de là et aller dans le premier pub que je croiserai pour en repartir avec une fille sous le bras qui me rappelera que le Brody ne sera jamais l'homme d'une seule femme. Être adoré une heure ou deux, puis usé et jeté comme un vieux mouchoir, laissé avec un numéro à cinq chiffres, et n’en avoir strictement rien à faire. “Il faut vraiment que j’y aille.” j'insiste en appuyant sur la poignée de la porte du local, un pied déjà dehors, un oeil dans le couloir repérant la sortie la plus proche. Et une partie de moi me dit que c'est une erreur d'opter pour la fuite, comme toujours ; la partie curieuse de savoir à quelle vitesse vont ces fauteuils, celle qui veut continuer de faire rire Ginny ; parce qu'elle a raison, elle n’a pas besoin que tout soit compliqué, mais cela l’est devenu déjà trop pour moi.
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Et c’est un soulagement devant le choix qu'il fait avec hâte pour nous deux, c’est un soupir d’aise qui glisse le long de mes lèvres alors qu’il s’esquive, qu’il ne prend même pas la peine d’inventer une excuse, qu’il lorgne déjà vers la sortie, sauvage, pris au piège. « Ouais, ouais, bien sûr. » les mains dans les poches, la tête qui hoche distraitement, je retombe direct dans ma zone de confort contre son rejet, contre son refus. C’était beaucoup plus simple ainsi, quand tout prenait des allures de friendzone, quand je me retrouvais seule et contre tous. Jamais si bien servie que par soi-même. C’était l’habitude, c’était la normalité, et ça m’allait, j’avais réussi à me rendre jusqu’ici sans la moindre aide, sans le moindre support autre que le mien. Et personne n’avait vraiment réussi à faire office de pilier, de roc, suffisamment longtemps pour que ça puisse m’être utile, pour que ça me permette d’avancer. Personne sauf lui, et ça m’agace. Parce qu’habituellement, j’aurais préféré le laisser partir, le regarder s’enfuir, lasse, connaissant la suite par coeur. Je ne m’en serais portée que mieux. Parce que je n’avais pas du tout envie de sentir son malaise jusqu’ici, parce que je n’avais pas besoin de gérer ça en plus du reste, parce que clairement je m’étais fait des idées, et parce qu’on ne m’y reprendrait plus. Si Ben avait la drague facile lorsque ça l’arrangeait, s’il avait les mots doux ambiants, ça devenait totalement autre chose lorsqu’on le mettait devant le fait accompli, et ce n’est pas sans me décevoir. Mais je ravale, comme d’habitude, comme toujours. Alors pars Ben, la porte est juste là, la journée est encore jeune, it was a fun ride. Une année et des poussières, presque, que j’ignore comment nous décrire, que je ne m’y attarde pas, et la réflexion de trop qui lui donne le tourni, qui le repousse, qui me confirme que j’en ai assez. Ben est dos à moi, à quelques secondes tout au plus de partir, de clore cette histoire, peu importe ce que c’est, ce que ça ne sera plus. « Alors montre-moi. À arrêter de penser. » qui glisse le long de mes lèvres, dans un murmure, que je ne comprends qu’une fois les mots rendus à mes oreilles. Personne sauf lui, et il est en train de se barrer, je suis en train de l’y encourager à le faire en restant là, immobile, inutile. J’ai la scène sur repeat, je la connais par coeur pour l’avoir vécue il y a presque une décennie avec Ezra - l’occasion manquée, le chapitre avorté, les et si et les peut-être et les doutes et le déni et le refus. S’il part, c’est fini, c’est terminé. S’il part, je n’irai certainement pas le chercher, le convaincre de revenir. S’il part, il deviendra un souvenir lointain que j’aborderai avec un sourire nostalgique entre deux mentions de Mario Kart, ou en passant devant sa pizzeria préférée à Bayside, sans plus. S’il quitte notre cachette, j’accepte que ce qui pince là, ce qui pique, ce qui dérange, mérite d’être nié, écarté, oublié. « Je sais faire que ça, et j’en peux plus. » truth bomb. Je m’en fiche, d’être incapable de décrire ce qu’il peut bien faire dans ma vie. Je m’en fou, de ce qu’on m’a appris, de ce qu’on a pu me dire pour me bourrer le crâne, pour me faire croire que les étiquettes valaient mieux, que ça ne se fait pas, de réduire la distance entre nous deux, que c’est insensé de revenir sur sa décision, que ce n’est pas valable, pas viable de passer mes bras autour de son cou, de l’attirer un peu plus à moi, de poser finalement mes lèvres sur les siennes avec empressement. Personne ne m’a dit qu’il pouvait y avoir plus simple encore que de regarder un dos tourné se barrer pour toujours, qu’une épopée achevée, que des espoirs envolés. Personne ne m’a dit que de s’en balancer, que de juste arrêter de penser, juste d’arrêter de voir le pire, juste d’arrêter tout court, pouvait être une option. Personne ne m’a dit que finalement, du réconfort mal placé, qui rassure, qui prouve que parfois, ça peut arrêter de faire atrocement mal, même si c'est juste pendant 0,00001 seconde, vaut la peine de piler sur son orgueil, sur les obstacles qu’on se met soi-même, sur ce qu’on croit blanc, ce qu’on croit noir. Mon corps se presse contre lui, la porte se referme sur l’impact, de nouveau isolés, de nouveau cachés, de nouveau à l’abri. Le monde extérieur attendra, les problèmes, les soucis, les craintes, les doutes. Il se vante d’être la simplicité même, il se targue d’être celui qui change les idées des autres, qu’on peut utiliser pour aller mieux, qu’il est disposable. Et à force de l’entendre, à force de le voir, j’ai envie de tester ça aussi. J’ai envie de le laisser faire, de confirmer s’il est si magique que ça, s’il bluffe, ou s’il a vraiment un don pour apparaître lorsqu’on en a le plus besoin, nous donner ce qu’il faut, ne pas demander son reste. Le baiser n’arrête pas pour autant, et avec lui, il entraîne tout ce qui reste, tout ce qui comprimait mon ventre plus tôt, tout ce qui me retournait la tête. Je n’ai plus besoin de rien d’autre que de reprendre mon souffle, que d’annihiler ce qui remonte à la surface en le relançant, en ancrant mes doigts autour de sa nuque, de faire fi de la petite voix qui s’insurge dans ma tête que tout ceci n’est qu’une blague, une grosse blague. Et si c’est le cas, elle se terminera lorsqu’on quittera le placard, lorsqu’il retournera à son plan initial de fuir, lorsque je partirai de mon côté affronter mes propres démons. Encore un peu, avant que ce soit fini. Encore un peu, avant qu’on nie tout en bloc, qu'on ne s'en porte que mieux. Pour le moment, je profite du silence que j'entretiens dans ma tête, je profite de l'absence de complications, je profite, tout court.
Oh lonely hands grab my heart full of nothing, I don't know why, I don’t know when. You took my hand, gave me something to believe in. A melody softly soaring through my atmosphere.
Avant que je ne puisse aller plus loin, la voix de Ginny m’interpelle, me retient, pendu à la poignée de la porte entrouverte. Arrêter de penser, c'est facile, me dis-je ; il suffit de choisir d'appuyer sur le bouton off, d'accepter d'être connecté à ce que l'on veut vraiment et juste y aller sans demander pourquoi ni comment. C'est foncer, qu'importe s'il n’y a qu'un mur au bout du chemin. C'est s'épargner des regrets, parce que ça encombre, parce que tout est déjà bien assez sérieux le reste du temps. Parce que la vie en demande beaucoup par moments, parce qu'il y a tellement d'autres choses pour nous peser sur les épaules qu'on peut bien s'épargner du poids supplémentaire inutile ; comme ce boulet à la cheville qu’est ce concentré de “et si” à base d'occasions manquées qui ne se représenteront pas. C'est quitter le nid à dix-huit ans tout frais sans un rond en poche pour aller à l'autre bout du globe, c’est dire à une personne qu'elle vous plaît spontanément quitte à passer pour un idiot, c’est se taper trois ou quatre filles différentes dans la semaine parce qu’on le peut. C'est dire merde au type toxique qui a été comme un frère depuis le berceau, c'est accepter de devenir papa du jour au lendemain parce qu'on avisera plus tard concernant l'absence de mode d'emploi. C’est être lâche parfois, égoïste bien souvent, sinon totalement inconscient, et regarder les conséquences avec un haussement d'épaules. Bien entendu, cela est bien plus difficile pour une personne comme Ginny. Dites à la mère d'un garçon malade d'arrêter de penser, dites à la nana en plein divorce d'arrêter de se prendre la tête. Je sais qu'elle fonctionne ainsi depuis le départ, depuis qu'elle a mis un stop au premier rencard, et le message était parfaitement passé ; trop tôt, pas le moment, pas la tête à ça, et c'était tant mieux. Parce que je suis l'homme de ce genre de situation, parce que je sais que je suis doué dans mon rôle de bouton off. Parce que je ne demande jamais plus que ce qu'on veut bien me donner. C'était simple jusqu'à présent, c'était notre accord. C'était ce que j'aimais croire en tout cas. Parce que je ne veux pas me demander ce qu'un nouveau baiser pourrait signifier pour moi, parce que je ne veux pas m'entendre penser que moi non plus, je ne veux pas qu'elle soit cette fille là, une que je finirai par jeter avant qu'elle le fasse. Parce que je ne veux pas deviner cette affection qui a retenu ma main sur la poignée si longtemps, et qui a laissé à Ginny une fenêtre pour me retenir. Parce qu'elle est mon amie, et contrairement à ce que j'ai voulu me faire croire, j’ai peur de foirer avec autant de brio que toutes les autres fois si les choses venaient à perdre le label de la pseudo-simplicité. Une amie qui finit par m’embrasser, passer ses bras autour de mon cou, ses doigts dans mes cheveux. Et je ressens comme un étrange soulagement, comme si c'était ça, ce qu'il y avait de plus simple pour nous deux. Comme une réponse qui se trouve sous notre nez, mais que nos yeux clos pour profiter, prolonger le moment, nous empêchent une fois encore de voir. Une main glisse sur sa joue afin qu'elle passe le relais de l'initiative, qu'elle laisse aller, tandis que mes lèvres se pressent à nouveau sur les siennes. L’autre, ayant d'abord agrippé sa taille sur le coup de la surprise, s'est logée au creux de son dos, et l'effrontée, la malicieuse, trouve bien facilement son chemin plus bas, jusqu'à s'installer confortablement sur sa fesse. Alors je romps le baiser le temps d'un sourire idiot, et de souffler ; “Fais pas gaffe, ce n’est que moi qui tire profit de la situation.” Et encore une fois, cela paraît tout de suite plus léger, plus informel. N'était-il pas stupide d'en faire toute une montagne ? Quoi que l'infirmière qui ouvre soudainement la porte de notre cachette n’est pas vraiment de cet avis. On s'interrompt, pris sur le fait. Elle écarquille les yeux et finit par ouvrir la bouche. “Qu’est-ce que vous fichez là ?!” Ok, cette fois il est vraiment temps de prendre la fuite -mais pas seul. Avec un rire et des airs de Bonnie et Clyde de bac à sable, j'attrape la main de Ginny pour la tirer hors de la planque en bousculant la dame au passage. Bien sûr, elle ne tente pas de nous rattraper, ayant bien d'autres chats à fouetter, mais il est plus amusant de croire le contraire. Et une fois au milieu du couloir, mes doigts lâchent ceux de la brune, mes jambes s’élancent dans de grandes foulées tandis que je la nargue de déjà loin ; “Le dernier dehors est un pipi de chat !” C’est en regardant enfin où je vais que je constate la dangereuse approche -et future collision- d'un chariot, de quoi permettre à la McGrath de rattraper son retard. La sécurité nous observe les bras ballants, soupirant dans un gracieux double menton. De toute manière, se dit l'agent, ils sont bientôt dehors. Les portes automatiques me ralentissent mais mon pied touche bien le bitume du parking en premier. Non loin, sur une place deux roues, la carrosserie rouge de mon précieux bébé brille bien fort, cliché et tape à l'oeil. Rapidement, je prends la pose de celui qu'on fait attendre avant que Ginny ne me rejoigne, les bras croisés, le pied tapotant le sol, la montre sous le nez. Pas besoin de plus pour enfoncer le clou, j'accepte à la fois le titre de vainqueur et de tricheur, si elle insiste pour me couronner doublement. “On fait un tour ?” je propose finalement, une fois que la plaisanterie a fait son temps, indiquant la moto d'un signe de tête, suggérant une escapade aussi bien autour du pâté de maison que de la ville entière selon les envies de la jeune femme. Un goût de liberté, autre que celui d'un baiser.
Oh lonely hands grab my heart full of nothing, I don't know why, I don’t know when. You took my hand, gave me something to believe in. A melody softly soaring through my atmosphere.
Et je suis là, immobile, droite ou presque, le visage trop près, les lèvres posées. C’est un joli paradoxe que de se dire que ce qu’on craignait est finalement la solution facile, que de passer 15 minutes à triturer l’envie dans ma tête a suffit à compliquer la chose beaucoup plus qu’elle ne l’est au final. Elle est loin l’époque où un simple baiser voulait dire que j’allais briser la relation entre mon frère et son meilleur ami, qu’un contact physique ou un autre devait être calculé, réfléchi, planifié, orchestré. Ben ne me donne pas l’impression de devoir tout analyser, et c’est bien ce que j’apprécie, ce qui soulage, rassure. Une étape à la fois Ginny, pas besoin de voir l’ensemble de l’oeuvre, pas besoin de vouloir la définir non plus. Dans ses bras, c’est comme si on n’attendait rien de ma part, comme si, pour la première fois depuis des semaines, personne ne levait la tête vers moi dans l’espoir que j’aie la réponse à tout, la bonne réplique pour rassurer, pour ranimer les troupes. Tenir l’état de mon fils sur mes épaules, à bout de bras, trop longtemps trop fort et pouvoir lâcher du leste un peu. Retour au programme principal, à sa main qui caresse doucement mon dos, à ces allures de cachette à nouveau où tout reste là, où on oubliera plus tard, où on profite, justement. Un peu trop à ses aises et il finit par se poser là où on ne m’a plus touchée depuis des années - un mouvement de recul est à calculer, un soubresaut est à prévoir, mais à la place, j’éclate de rire devant sa phrase à deux balles, sa justification totalement Brody qui coule tout naturellement. « Et ça, c’est moi qui t'enseigne l’étiquette à l’anglaise. » du tac au tac, je laisse mes doigts remonter les siens au niveau de ma hanche, trop pieuse, trop amusée, le ton sérieux et la bienséance de mes parents qui ressort par la bande. Tous les diktats qu’ils avaient cru bon nous enseigner depuis notre jeunesse, tous ces agissements qu’on avait réussi à brûler un à un, sans plus de cérémonie. Pas le temps de voir comment il rebondira à ma propre pique qu’on ouvre la porte à la volée, lumière allumée. Une infirmière que je ne connais pas - et ç’aurait bien été la totale qu’elle soit du même étage que Noah, qu’elle me trouve là avec ni le père biologique, ni le père adoptif. Mon visage tourne au rouge, et je cherche mes mots, je ne les trouve pas. Qu’est-ce qu’on faisait, justement? Rien de bien glorieux, mais rien de bien sérieux non plus. Comme un soulagement je réalise que la main de Ben s’est emparée de la mienne et m’intime à sortir, laissant en retrait, pour le mieux, le flot de pensées qui menaçaient de remonter à nouveau. Poursuite engagée, mes pieds claquent sur le linoléum et un bref coup d’oeil par-dessus mon épaule me confirme que l'infirmière reste derrière, pas du tout impressionnée par notre comportement, tout comme le mec à la sécurité. Ben se la joue course à relais à éviter le charriot à la dernière seconde, son mouvement l’envoyant dans ma direction avant que je ne sautille sur le côté pour y échapper moi aussi. Je ne vois pas la poignée de gens dans la salle d’attente aux urgences qui tournent la tête dans notre direction, ni les portes battantes qui laissent passer une civière et une autre dans notre sillage. Tout ce que mon attention détaille, c’est la silhouette du jeune homme déjà trop loin à mon goût, déjà victorieuse, déjà dehors. Je sprint et il roule des yeux, je tente de retrouver mon souffle et il se vante. Connard. « Je... » un mélange de respiration haletante, et de malaise. Les mains sur les hanches, les prunelles qui font un tour vers l’hôpital, vers l’enseigne qui nous surplombe, vers l’étage où je sais mon fils allongé dans son lit, respiration neutre. Mis à part la soirée sur le bateau, je ne suis pas sortie d’ici depuis le début du mois. Pas par obligation, on ne m’y a jamais gardé de force, mais bien parce que je suis morte de trouille à l’idée de ne pas être là au moment où, m’enfin… « Un petit, juste autour. » leçon numéro un quand on souhaite arrêter de penser : arrêter de penser, tout court. J’ai mon portable, ils ont mon numéro. L’état de Noah est stable, rien n’indique qu’il soit plus en danger que la minute précédente, ni la suivante. Ben a fait un travail colossal aujourd’hui sans le savoir, sans le voir probablement, et bien égoïstement, je n’ai pas du tout envie que tout ça se termine, que la légèreté et l'insouciance m'abandonnent déjà.
Et je prends place derrière, comme les autres fois, comme d’habitude. Les mains sur les poignées de soutien, les pieds en place, il démarre et le bruit du moteur accompagne le dernier soupir que je laisse aller, le stationnement de l’hôpital qui finit par s’étirer derrière nous. Le soleil est toujours haut dans le ciel et sa chaleur grille ma peau trop blanche, trop exposée aux néons et à la clim. Ben tourne par ci, accélère par là, fait exprès de prendre une courbe un peu trop serrée parce qu’il sait qu’après le cri de surprise que je lâche, j’en redemande encore. Les minutes filent et les maisons se distinguent, l’école, les arbres, les rues. J’ai le temps de prendre de longues inspirations, de profiter du pincement du vent sur mes joues, de faire le vide pour mieux faire le plein. Silence qui fait du bien. Puis, c’est le trajet inverse, et Ben revient sur ses pas, chemin que je connais par coeur, qui nous ramène au point de départ. La tête qui se rapproche de son oreille, et je demande, à demi-mots. « Pas tout de suite. » il s’exécute, reprend la promenade, retourne dériver dans les rues avoisinantes, pas le moins du monde pressé. Au fil des arrêts et des accélérations, mes mains se sont accrochées à lui sans que je ne le réalise vraiment, sans que je ne réalise quoi que ce soit d’autre à vrai dire. Ça fait du bien, juste de changer d’air, de voir autre chose, ailleurs. On croise des gens aux arrêts d’autobus, je m’attarde aux feux rouges à observer les commerces, à reconnaître certains points de repère, en m’en inventer d’autres. À une nouvelle approche de l’artère qui annonce le St. Vincent’s je réitère à son oreille, « Pas encore. », avant de reprendre ma place, silencieuse, le menton appuyé sur son épaule, les rétines qui flottent. Et c’est la dernière fois que j’étire, que j’allonge, sentant qu’il est temps, bien qu’une partie de moi ait encore envie de faire le tour du bloc, d’aller jusqu’à l’autre bout de la ville pour s’y cacher encore un peu, pour oublier le reste. Consciente que je ne demanderai plus d’extension, j’apprécie chaque seconde, je dédie mon attention au trajet et aux bruits et aux sensations et aux odeurs, les pensées sur hold. Ben finit par couper le moteur, retour au parking, retour au bâtiment impressionnant qui, je jure, semble avoir pris en grandeur depuis que je l’ai quitté. « J’ai un secret à te dire. » et je reste sur le siège de la moto encore un peu, mon pied se posant tout de même au sol. Il est dos à moi et c’est tant mieux. J’ai pas envie d’avoir à regarder qui que ce soit, en disant ce qui va suivre. Déjà de me l’entendre articuler est un effort monumental, autant mieux ne pas forcer la donne. « J’ai pas du tout envie d’y retourner. » il doit s’en douter à avoir dû entendre mes supplications plus tôt. « Don’t get me wrong, j’aime Noah de tout mon coeur, plus que n’importe qui, ou n’importe quoi. C’est juste que j’ai l’impression qu'en y retournant, je relance le truc, je repars le compte à rebours. » parce que quand on ne l’a pas sous les yeux, tout s’arrête n’est-ce pas? Parce que quand je ne suis pas dans la chambre de mon fils, il flotte dans les limbes, il gagne du temps, il ne voit pas le chronomètre s’emballer, non? « Mais c’est là ma place, et j’assume. » pas de déception, juste un constat, amer, résigné. Je me dégage, revient sur l’asphalte, passe une main distraite dans mes mèches qui ont reçu le vent de plein fouet il y a peu. Encore un dernier stretch, encore toutes mes forces à assembler, et l’impression que, malgré tout, mes batteries ont été rechargées, que j’en ai encore assez pour tenir bon. Grâce à lui. « Merci, pour tout. Encore et toujours. » c’est un peu trop naturellement que je dépose mes lèvres sur sa joue, amicale, réservée. Les effluves de placard sont restées derrière pour la peine.
Oh lonely hands grab my heart full of nothing, I don't know why, I don’t know when. You took my hand, gave me something to believe in. A melody softly soaring through my atmosphere.
Est-ce que c'est le moment où je lui dis que je pourrais faire quelque chose ? Qu'il y a une possibilité, peut-être une chance à saisir, et que je n'agis pas. Que je ressasse ça dans un coin de ma tête depuis que nous avons démarré, qu'une nouvelle question se pose à chaque virage, à chaque feu rouge. J'imagine tous les scénarios possibles, dont ceux complètement idéalistes où Ginny ne m'en voudrait pas de n'avoir rien dit plus tôt, de ne pas avoir aidé son fils -que j'y pense, oui, mais je ne fais rien. J'attends, je ne sais pas quoi, peut-être le dernier moment, peut-être qu'une révélation me tombe sur le coin du crâne ou que quelqu'un prenne la décision à ma place. J'attends et j'entends le tic-tac qui menace Noah et Ginny bien plus fort que le moteur de la Yamaha. Oui, moi aussi j'ai un secret à lui dire. Mais mes lèvres restent scellées, une fois de retour sur le parking, et ma tête basse, tandis que je lâche un soupir. Tout ça, c'est moche. Ca fait partie de ce que la vie fait de plus laid et de plus lâche. S'en prendre aux gamins, les mettre sur la sellette, les reprendre trop tôt. Je suppose que d'autres seraient ravis d'être à ma place et céderaient un rein comme on propose de payer un café à la machine, mais ce n'est pas mon cas. Et je continue de garder le silence, coupable en secret, comme un traître sous l'apparence d'un ami. Je pourrais aider avec tellement plus qu'un baiser volé dans un placard et un tour en moto. Je le pourrais, si je le voulais. C'est là le cercle vicieux qui poursuit son manège. Ginny descends de l'engin, et je lui adresse un léger sourire, un peu triste, compatissant. « C'est pas ta place. C'est pas la sienne non plus. » je réponds, les mains jouant nerveusement avec la visière de mon casque, le regard fuyant vers le grand bâtiment de l'hôpital à la recherche de la fenêtre qui pourrait être celle de la chambre de Noah. Mais elles se ressemblent toutes. Tout ceci, à commencer par cet endroit,est déprimant à mourir. Pas étonnant que la jeune femme dépérisse dans ces murs. Honnêtement, je n'ai pas envie qu'elle y retourne non plus, mais je ne peux pas la retenir plus longtemps. J'ai droit à un baiser sur la joue en guise de remerciements, ses lèvres se détournant habilement et subtilement des miennes qui approchaient, qui tentaient une approche, qui croyaient mal. Léger malaise qui ne dure pas, balayé par un léger rire nerveux. La gratitude de la brune me laisse un goût acide en bouche, celui de l'hypocrisie, de ne pas le mériter. Pourtant, reste impeccablement arboré par mon visage ce sourire qui ne vacille pas, franc, amical, rassurant, ce regard confiant, calme, taquin. Je prends une des mains de Ginny et en embrasse le dos ; bon élève, j'ai retenu la leçon de l'étiquette anglaise. « A ton service, Milady. » j'ajoute avec ce que la moto entre mes jambes me permet de faire comme courbette, histoire de lui arracher un sourire une dernière fois avant qu'elle s'en aille. Alors qu'elle s'éloigne, j'ai l'image de ce baiser qui passe rapidement devant mes yeux, et tout ce qu'elle m'a dit avant ça. J'ai aussi la première fois où elle m'a parlé de son divorce, de la maladie de son fils, toutes les pièces du puzzle de sa vie qui donnent un tableau beaucoup trop complexe. Et là-dedans, c'est ma main qu'elle tient pour avancer dans les moments les plus étriqués. Est-ce que c'est le moment où je prends peur, où je fuis ? J'allume le moteur et j'oublie son numéro ? J'ai un peu la trouille, c'est vrai, j'ai l'estomac serré et bourré de nœuds. Mais j'ai bien plus peur de perdre Ginny que d'envie de lui tourner le dos. Je crains le jour où je ne ferai plus partie de la liste des nécessités, si Noah s'en sort, ou s'il succombe. J'ai bien vu que même les meilleurs amis ont des chemins qui divergent à un moment de leur vie, qu'importe à quel point l'on tient à eux, et toutes les fois où l'on a répondu présent. Contrairement à d'habitude, je n'ai pas envie que la jeune femme soit de passage. Heidi me tuerait de penser de la sorte et elle piquerait une nouvelle crise, mais ce n'est pas ce qu'elle croit. Je ne sais pas ce que c'est non plus. « Hé ! j'appelle Ginny avant qu'elle disparaisse. Texte-moi s'il y a du changement, okay ? » Je serai prêt à répondre présent, chevauchant la Benmobile à tout moment.