J’étais partie. Je m'étais enfuie. Je m’étais barrée, je n’avais rien dit, surtout pas à lui. Parce que le souvenir de Noah dans ses bras, dans nos bras, c’était trop. Parce que ce petit corps amorphe qui avait eu à lutter avec l’injustice de la vie ne le méritait pas. Parce que j’avais pas été assez forte, parce qu’il était trop tard, parce que j’avais été incapable de faire quoi que ce soit de plus, de mieux. Une seule seconde de plus passée aux côtés d’Ezra me le rappelait, un seul mot échangé, un seul regard, et je ne me supportais plus. J’avais échoué, et je n’y survivrais pas. Alors oui, j’étais partie. J’avais ramassé ce qui me semblait être suffisant, j’avais fermé en moi tout ce qui restait de sentiment, de douceur, de chaleur. J’avais nié la douleur lancinante qui me rongeait le ventre, les entrailles, le coeur, le corps. J’avais laissé derrière Brisbane et ses souvenirs, Ezra et sa déprime. J’étais incapable de plus, incapable de mieux, incapable tout court, et je ne me le pardonnerais jamais. Ben avait tenté de me remonter le moral un peu, au début. Il avait vraiment mis plus d’efforts encore que ce que j’aurais cru, mais il avait bien vite abandonné la moindre illusion. Je n’étais plus la même. Quelque chose en moi s’était cassé le jour où Noah avait rendu l’âme, où il avait poussé son dernier soupir, où on avait mis en terre ses cendres. Ce petit quelque chose qui m’animait, mon étincelle, ma différence, mon amour. Envolé, en un claquement de doigt, en une poussière de minute. Et je ne ressentais plus rien, plus du tout. Pas même les coups reçus dans une énième bagarre avec les horribles paquets de chair en décomposition qui peuplait la ville et les villes avoisinantes. Pas même lorsqu’on avait failli y passer, dans une poursuite qui nous avait valu plusieurs ecchymoses et probablement quelques os cassés qu’on avait bandés sans grande conviction le lendemain. Rien, lorsque j’avais vu nos voisins de campement se faire dévorer en quelques bouchées à peine, planquée dans un arbre surplombant la scène. Rien, lorsque Ben et Adam étaient disparus plus longtemps que prévu, de longues heures sans aucune nouvelle. Et c’est probablement ce qui motive ma présence ici, stupide idée, tentative de la dernière chance. Je me suis éclipsée durant la nuit, l’aller-retour totalement injustifiable que Ben aurait su me décourager de faire en un seul soupir, un seul roulement d’yeux. Mais voilà, je me tenais depuis plusieurs minutes là où, je me souvenais parfaitement, se trouvait l’urne de mon fils. De notre fils. Et envers et contre tout, aucune larme n’arrivait à sortir, aucun serrement ne jouait avec mon coeur, ne le réduisait à rien d’autre qu’à un malaise constant. Vide, entièrement. Et j’ignore si je dois m’en effrayer, m’en désoler, ou l’accepter. J’ignore tout, de cette réaction manquante jusqu’à ce regard absent qui détaille le sol même où, 6 mois plus tôt, le bruit de la terre retombant sur l’urne de métal m’avait fait l’effet du dernier coup qu’on puisse m’asséner, dernier coup qui compte vraiment. Mais ce que je n’ignore pas, c'est cette sensation d’une autre présence, derrière. Je ne l'ignore pas, et je resserre même ma poigne sur le manche de la pelle que je traîne toujours avec moi, qui ne me lâche pas d’un centimètre.

Ezra s’était tâté. Longtemps, durant des jours durant, à peser les pour et les contre. A trouver la bonne attitude à adopter, les bonnes émotions à ressentir. Et plus la date fatidique approchait, plus il sentait son coeur qui semblait renaître quelque peu de nouveau. Ce qui était d’ailleurs étrange, comme situation. Le jeune homme avait considéré son coeur comme un abonné absent depuis des semaines, depuis ce jour là. Comme s’il n’arrivait plus à ressentir la moindre émotion positive et que seule la noirceur de ce monde arrivait à pénétrer son coeur, désormais de pierre. Mais le jour arrivant était différent. Il représentait quelque-chose pour Ezra, ce n’était plus juste un jour succédant à un autre où il avait réussi à ne pas céder aux mains des zombies. Quand il se réveillera ce jour là, ça fera six mois que Noah les avait quitté. Période noire, période sombre, mais période où Ezra s’autorisait aussi à penser un peu plus à lui, à ce petit corps frêle dans ses bras, à cette vie perdue beaucoup trop tôt, beaucoup trop vite. Et puis, il s’autorisait à penser également à elle. Parce-qu’il n’avait eu aucune nouvelle depuis qu’il avait mis Noah six pieds sous terre et que ça le peinait. Son coeur ne comprenait pas s’il devait d’ailleurs pleurer la disparition de Ginny comme une perte définitive ou comme une passade qui deviendrait de nouveau une pensée joyeuse lorsque les choses en dehors se seraient un peu calmées. Alors ce matin là, il s’était levé avec une idée, une pensée. Peut-être que ce serait la chose la plus stupide qu’il pourrait réaliser du pauvre restant de sa vie, mais il se devait de tenter. Apprendre à remettre en place les pièces noires du puzzle et puis voir si, au passage, il ne pourrait pas en attraper de nouvelles pleines de couleurs. Et puis, surtout, il espérait qu’elle aurait la même idée, elle aussi de son côté. L’avantage avec une ville fantôme, une ville dévastée qui vous servait de terrier, c’était qu’il ne vous fallait plus beaucoup de temps pour la traverser. Plus de problèmes de trafic ou de passants mal-aimables, juste le silence de la mort vous entourant, vous accompagnant. Le cimetière de la ville était tel que dans les souvenirs d’Ezra. C’était peut-être d’ailleurs le seul endroit qui n’avait pas été pillé, dévasté - comme si les zombies n’avaient pas tenté de trouver certains des leurs une fois transformés qui auraient pu être enterrés morts-vivants. Et alors qu’il en venait à monter lentement la petite colline, son coeur devenait de plus en plus lourd à chacun de ses pas, comme si on tentait de l’achever pour une dernière traversée, Ezra finit par atteindre l’endroit qu’il cherchait. Le vent soufflant davantage, comme amenant avec lui un mauvais présage. Et là, sa fine silhouette fut enfin visible. Comme si ça devait être comme ça, comme s’ils étaient destinés à ne se revoir que maintenant. Six mois sans nouvelles, un fils décédé par dessus tout, et Ginny qui déniait enfin pointer le bout de son nez. Lentement, respirant pour prendre son courage à deux mains, Ezra finit par réduire la distance entre la jeune femme et lui, finissant par se trouver seulement quelques mètres derrière elle. « Bonjour, Ginny. » Sa voix était désormais beaucoup plus rauque qu’elle n’avait pu l’être, allant de paire avec le visage livide dont il ne pouvait se séparer, mangé en grande partie par une barbe sans dessus-dessous, qui n’avait décidément pas vu une lame tranchante depuis des semaines. Les yeux fatigués d’Ezra n’avait pu s’empêcher à peine arrivé de tenter de détailler la jeune femme du regard, tentant de cerner le moindre signe de son état de santé. La seule chose à laquelle il n’avait pas pensé, la seule question qu’il ne s’était même pas posée, c’était de savoir s’il n’allait pas tomber sur une version altérée, zombifiée de Ginny.

Le bruissement des feuilles sous les pas, l’impression que je ne suis pas seule. Pas de gémissements, pas de pieds lourds, qui se traînent - et peut-être qu’il ne s’agit pas d’un mort-vivant, peut-être que c’est pas appétissant pour un zombie une victime avec le coeur brisé, avec des larmes qui peinent à remonter. Additionnés à mon teint blafard, mes ongles sales de sang séché et mes cheveux ébouriffés pourraient facilement me faire passer pour l’une des leurs. J’ignore si ça me donne un passe-droit ou la chair de poule, j’ignore si c’est à mon avantage ou si je devais me questionner sérieusement, mais ça ira à plus tard, à jamais. J’avais beaucoup mieux à faire que de m’inquiéter de mon moral et de ma santé mentale, dans un monde apocalyptique où les plus faibles ne survivaient pas à la nuit. Mais il est trop proche, je sens sa proximité, je sens la distance qui se réduit, je sens presque son souffle, dans ma nuque. Et mon nom, qui est prononcé, rauque, un souvenir d’avant, quelque chose qui me dit un truc, une impression de déjà-vu. Mais c’est montrer une faiblesse, ça, c’est laisser le bénéfice du doute, c’est baisser ma garde trop longtemps que de faire le rapprochement, de jouer de nostalgie. Et je fais volte-face rapidement, lève la pelle en l’air, cogne violemment. Le bruit du métal qui s’heurte sur le bras, sur l’épaule. Aucun craquement, pas suffisant pour casser quoi que ce soit, mais assez pour ficher l’intrus au sol le temps que je puisse gagner une minute ou deux. « Merde. » et je réalise trop tard, justement. Derrière des rides de peine, de fatigue, à travers des mèches hirsutes et emmêlées, sous une barbe trop fournie pour qu’on s’en occupe, je le reconnais. Il n’a plus son regard bleuté d’avant, son sourire s’est enfui depuis longtemps. Il se recroqueville au sol au cas où je n’en ai pas fini, au cas où j’ai besoin de déchaîner mon arme sur sa pauvre silhouette déjà trop cassée de l’intérieur pour avoir envie de prolonger les ravages sur ce qui reste. « Ça va? » en guise d’excuse, et ma main qui se tend dans sa direction. Étrangement, il est lent à venir le flot d’émotions, de souvenirs, que de revoir Ezra serait supposé m’amener. Plus de 10 mois à errer dans des ruelles, dans des villes que je ne connais pas, à tout oublier, à faire chaque jour le nécessaire pour mettre de côté ce qui reste. Plus rien à perdre, plus rien qui fait peur. S’il avait changé et s’était laissé ronger par la tristesse, j’avais tout autant troqué ma bonne humeur et autres synonymes pour un visage fermé, une poigne solide, des prunelles qui en ont vu d’autres, qui ne sont pas du tout impressionnées par ce qui peut nous tomber sur la gueule depuis le début de l’épidémie. « Tu devrais pas te balader seul, c’est pas sécuritaire. » je laisse mon attention dériver sur Ezra, m’assurer que le coup l’a seulement assommé plus qu’autre chose, et que rien n’est cassé. Qu’il ne se retrouvera pas limité dans ses mouvements et dans une fuite possible par ma faute. L’impulsion de partir, et j’en oublie presque ce pourquoi je suis là. Mais ce serait trop facile, ce serait trop simple, ce serait trop évident. Un pas et un autre, et mon regard tombe sur la pierre symbolique qu’on avait déposée pile à l’endroit qui avait été choisi à la va-vite pour Noah. Un gros caillou, une dalle de plusieurs centimètres que je reconnaitrais parmi des dizaines, des centaines, des milliers. Mon fils, le nôtre.

Ses yeux qui se baladaient sur la silhouette affinée de Ginny, tentant de cerner si c’était son jour de chance ou la dernière fois qu’il sentait l’air pénétrer dans ses poumons. Il espérait simplement être bien reçu, si la jeune femme était toujours elle-même. Peut-être qu’ils ne s’étaient pas quittés sur de bons éléments, sur un moment d’apaisement - loin de là. Mais Ezra avait toujours de l’espoir quand il s’agissait de la jeune femme, même dans un monde apocalyptique comme celui dans lequel ils évoluaient désormais. Et puis, il lui semblait avoir senti son coeur battre réellement pour la première fois depuis des lustres. La chose à laquelle il ne s’était pas attendu, en revanche, c’était qu’elle l’attaque à coup de pelle à la suite de son interpellation. Rapidement, Ezra eut à peine de le temps de lever le bras pour se protéger de l’engin - mais le mouvement d’évitement le fit se retrouver à terre, le cul dans une espèce de mare de boue; comme s’il n’était pas déjà assez sale. Il ne tenta pas de se relever directement, ne comprenant toujours pas pourquoi Ginny venait de réagir de la sorte. Elle ne semblait pas avoir eu un mouvement d’étonnement, de surprise ou de peur lorsqu’il avait commencé à parler, elle l’avait entendu arriver. Alors à moins qu’elle ne soit changée… Il ne préféra cependant pas tenter le diable et resta le bras levé, pour être sûr que si un autre coup de pelle tombait, ce ne serait pas sur le coin de son oeil. « Merde. » La politesse semblait ne plus être de rigueur, ces derniers temps. Décalant légèrement son bras, Ezra put enfin avoir accès au regard de Ginny, à ces yeux qui remarquaient trop tard qu’ils connaissaient malheureusement la silhouette au sol désormais. « Ça va? » Un ton qui correspondait mieux à la Ginny qu’il connaissait et qu’il avait aimé, plus calme et plus tendre surtout. Baissant lentement le bras, il finit par avoir un petit soupire. « Tu n’as pas réussi à me tuer, je suppose que ça va. » Il savait que sa question ne faisait absolument pas référence à autre chose que son état présent suite au coup de pelle. Le regard n’y était pas, si ça avait été pour creuser un peu plus, si ça n’avait pas été ce ça va banal. Il finit par attraper la main qu’elle lui tendait, un flot de frissons venant parcourir son échine au moment où les deux peaux se touchèrent, s’effleurèrent. « Tu devrais pas te balader seul, c’est pas sécuritaire. » Lâchant - un peu à contre coeur - la main de la jeune femme, Ezra vint tenter de retirer le maximum de boue séchée qui se collait à son pantalon; sans net résultat. « Ce qui n’est surtout pas sécuritaire, c’est de te voir avec cette pelle dans les mains. Tu aurais pu me tuer, pour vrai. » Son ton ne portait aucun reproches, il se contentait de mettre la lumière sur la situation, laissant l’humour de côté car ça faisait bien longtemps qu’il ne savait plus le pratiquer. « Heureusement que s’enfuir face à des zombies ça fait du renforcement musculaire. » Bon, presque de côté, l’humour un peu noir était tout à fait de mise en revanche. Et puis, il était face à Ginny - ça allait toujours mieux lorsqu’elle était là, qu’importe la version du monde dans laquelle ils se trouvaient. La jeune femme finit d’ailleurs par faire quelques pas en arrière, comme pour fuir, s’échapper de cette situation qui était au moins la plus étrange qu’Ezra ait pu connaître depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vu. Et pourtant, ils vivaient dans un monde apocalyptique. Le regard du jeune homme finit par se diriger au même endroit que celui de Ginny, et un soupire l’envahit - ainsi que la nostalgie. « Il me manque aussi, tu sais. » Certes, ils n’avaient pas eu les mêmes rapports avec leur fils, mais même le peu qu’il l’avait connu, Ezra l’avait aimé de toute son coeur et aussi fort qu’il l’avait pu. Savoir qu’il n’était plus de ce monde avait été le déclencheur de toute sa peine et son laisser-aller général, non-nécessaire, juste vital à ses yeux. Ca révélait plutôt bien ses sentiments, son état interne - celui dont il refusait de parler en règle général, devant les autres. « Je ne pensais pas te voir aujourd’hui, je dois avouer… » Ezra finit par lever lentement le regard sur Ginny, soupirant quelque-peu. La dernière fois qu’ils étaient venus là, elle avait fini par partir sans prévenir, sans un mot, le laissant seul dans sa peine et son désespoir.

Il est clairement le plus sonné de nous deux, et pas seulement à cause du coup dont je viens de l’assener. Même si j'avais jadis été légèrement paniquée devant cette absence complète de réaction de ma part, ce vide qui nourrit le creux de mon ventre, ce silence intérieur, l'absence d’empathie ne me fait plus ni chaud ni froid, logiquement. Je lui tends la main pourtant, question de l’aider à se remettre sur ses jambes chancelantes, et il y verra là un geste de bonne foi, un traitement de faveur. Le regard dont il me couve me confirme qu’il réalise peu à peu ce que je sais depuis la journée où Noah nous a quitté - je ne suis plus la même, je ne le serai plus jamais. Vulgaire coquille corporelle que je traîne d’un bout à l’autre du pays, là où on apprend à survivre à trois, là où se retient de lâcher prise, où on essaie de se convaincre que la facilité n’est pas aussi tentante qu’elle le paraît, quand tout est perdu, quand tout ne nous offre plus rien. « Et si j’avais pas réagi vite, ç'aurait pu être toi qui m’aurait fait la peau. » que je réponds du tac au tac, maintenant qu’Ezra est de nouveau debout, devant moi, loin de l’agonie. Peu importe notre historique, peu importe tout ce qu’on avait pu vivre tous les deux, il sait très bien qu’il n’aurait eu droit à aucun sursis si j’avais eu affaire à son alter ego zombifié. Qu’il ne m’en tienne pas rigueur. « J’étais dans le coin. » réponse évasive, mains dans les poches, regard qui divague. À savoir si j’allais venir ici ou pas pour souligner la date, la question était restée sans réponse les longues nuits précédentes à ce moment. Ben et Adam ignoraient que j’avais fait cavalier seule, mais je les savais en sécurité là où je les avais laissés. J’aurai probablement à m’expliquer à mon retour d’avoir disparu sans leur en parler au préalable, mais c’était le dernier de mes soucis sachant que les avoir ici, à mes côtés, de ressentir leur tristesse et leur pitié devant cet amas de terre qui cachait l’être le plus précieux, ma raison de vivre jadis, aurait été bien pire. Silencieuse, posée, je finis par ancrer mes pieds au sol, restant ici plus longtemps encore que ce que j’avais prévu. J’étais arrivée quelques minutes avant les premiers pas d’Ezra à mes côtés, et si je m’étais juré de ne pas traîner, semblerait que la présence du jeune homme, et surtout son état particulièrement alarmant, justifie que je traîne encore un peu. « C’est horrible à dire, mais je suis contente qu’il ne soit pas là pour vivre ça. » way to go Ginny, pour briser le silence. Mais c’est bien vrai, pourtant, et Ezra sait depuis très longtemps que je ne m’autorise plus le moindre mensonge à son égard. Je donnerai ma vie pour protéger Adam désormais, mais imaginer mon propre fils, ma chair, mon sang, risquer le tout pour le tout face à cette fin du monde qui prenait place ici me glaçait le sang - si cela était encore possible. Au moins avait-il gardé un bon souvenir avant que tout dégénère. Y voir le positif, essayer. « T’as trouvé un campement? Ou tu erres autour du cimetière en permanence? » esquisse malhabile d'humour. À le voir, il aurait très bien pu dormir dans les bois par temps de grande pluie qu’il aurait un accoutrement similaire. Néanmoins, je suis tout de même attentive à sa réponse - espérant qu’il ne l’ait pas eue aussi difficile qu’il semble le démontrer depuis la mort de notre fils.

« Et si j’avais pas réagi vite, ç'aurait pu être toi qui m’aurait fait la peau. » Apparement, chez Ginny, l’humour était quelque-chose qui fonctionnait toujours - et ça ne l’étonnait en réalité pas tant que ça, en y pensant quelques instants; elle avait toujours réussi à avoir la touche d’humour qu’il fallait dans tous genres de situations, surtout le plus délicates. Et à la regarder de plus près, à dire vrai, l’humour ne semblait pas être la seule chose qui fonctionnait toujours bien chez elle. Là où Ezra se savait ressembler de plus en plus à un zombie - voire même, parfois, vu le regard que pouvait lui rendre les gens il devait ressembler à bien pire -, Ginny semblait être… Etrangement elle même. Une version plus aguerrie, apparement aussi, mais elle avait toujours cette certaine grâce qui l’avait toujours défini tout particulièrement. Le regard d’Ezra finit par aller et venir entre ses affaires - le reste de ses affaires - pleines de boue et Ginny, pour finit par s’arrêter sur cette dernière. Il lui avoua ne pas être sûr de la voir en ce jour, ils ne s’étaient pas vus tout court depuis ce jour de toutes façons. « J’étais dans le coin. » Il eut une seconde, ou deux, avant d’intégrer la façon dont elle venait de dire ça avant d’hausser un sourcil, surpris. Même endurcie, la Ginny qu’il avait connu n’aurait pas eu une seule once de l’idée même de ne pas venir en ce jour. Elle aurait fait un long chemin pour pouvoir être là, présente - et elle osait lui dire qu’elle était arrivée ici par pur hasard ? « C’est horrible à dire, mais je suis contente qu’il ne soit pas là pour vivre ça. » A ce moment là, Ezra finit carrément par baisser le regard. Il se sentait gêné par rapport aux paroles de Ginny, sans dire que son coeur - miraculeusement de nouveau présent - serrait au plus haut point dans sa poitrine meurtrie. Une partie de lui savait qu’elle avait raison - mais la plus grosse partie ne pouvait simplement pas admettre qu’elle avait raison de le dire de la sorte. Ses yeux accrochèrent la petite tombe de fortune de Noah, et même s’il ne sentait plus capable depuis longtemps et qu'il s’était promis de ne pas se laisser aller, une fine larme roula le long de sa joue creusée. « T’as trouvé un campement? Ou tu erres autour du cimetière en permanence? » Passant une main sur sa joue, vitesse éclair, il eut un petit soufflement de mi-rage, mi-tristesse. « Comme si tu t’en inquiétais réellement… » C’était petit, c’était enfantin - et, d’Ezra envers Ginny, ce c’était pas commun. Contournant la jeune femme, Ezra finit par venir s’asseoir à même le sol, à même la terre, auprès de la petite tombe. Tellement de choses s’étaient passées depuis ce jour là, tellement de personnes perdues, tellement de larmes versées. « Je crois que tous mes frères sont morts… » Ses doigts s’entremêlant, tentant de gérer son flot d’émotions qui l’envahissait. « Ou au pire je n’ai pas eu de nouvelles d’eux depuis tellement longtemps que j’espère pour eux qu’ils le sont. » La tête qui se relevait, le regard qui partait au loin. Oh, Ginny n’en avait probablement plus rien à faire de tout ça désormais; et pour sûr elle n’était pas venue pour entendre ce genre d’histoires. Mais il fallait - pour lui, pour lui montrer aussi - qu’il puisse libérer ces mots pour libérer ses maux. « Ensuite, la moitié de mon premier groupe de survie est mort par une invasion nocturne de zombies. J’étais parti pisser, j’ai survécu… pour seulement avoir plus de chagrin à porter. » Reniflant, il finit par reprendre sa position initiale à la verticale, auprès de Ginny. « Et encore une fois, pendant tous ces moments là, j’me suis quand même demandé si tu t’en sortais. Ou au pire que t’aies eu une morte rapide ou qui faisait pas mal. Je pensais aussi à notre fils, qui oui n’a rien connu… Et que j’ai pas pu connaître non plus avant qu’il ne meurt. » Reculant son visage qui n’avait cessé de se rapprocher de celui de Ginny pendant qu’il parlait, Ezra finit par prendre une inspiration, fermant les yeux. « J’étais venu aujourd’hui parce-que je pensais que ça allait me faire du bien. Et finalement je me redécouvre un coeur et des sentiments que je pensais pourtant avoir bien enfoui. »

Oh qu’il est acide, qu’il en a sur le coeur. Je n’hausse même pas le sourcil à sa pique, trop occupée à détailler le voile noir qui est passé dans son regard une seconde plus tôt. Alors il me déteste, alors il a encore assez de force pour dédier une part de haine à mon égard. « Je demanderais pas si je m’en foutais. » ce qui est bien vrai, et il le dénotera tout de suite à mon ton. J’avais déjà fermé tout intérêt depuis bien longtemps, ma curiosité face à ce que mon entourage pouvait ressentir autre qui ne relevait pas de la situation actuelle ne m'apparaissant pas de la moindre importance. Ma simple raison d’être était de survivre, le reste était superflu. Et Ezra poursuit tout de même en faisant état de la situation de ses frères, ou l’absence de. Petite pensée qui part vers Matt, vers tout ce qu’on a pu se dire avant que l’apocalypse ne nous sépare pour de bon. Parfois, j’aimerais vaguement régler mes comptes avec lui, ne pas laisser nos dernières disputes sans conclusion valable - mais tout comme le Beauregard, j’en suis à un point où le vide laissé par mon aîné n’augure rien de bon. Voilà qu’il finit son récit par l’histoire peu glorieuse de son campement qui a été décimé par les zombies, alors qu’il pissait sur le bas-côté. S’il n’était pas au bord des larmes de raconter l’anecdote, s’il n’était pas tremblant de culpabilité, j’aurais probablement laisser échapper un éclat de rire devant le potentiel loufoque de la chose. À la place, je tente à nouveau une blague pour détendre l’atmosphère, à voir si ça passe, ou s’il la balaie du revers elle aussi. « Pour une fois que ta petite vessie te sert. » silence, lourd, non nécessaire. Je retiens un soupir, les mains dérivant vers les poches de mon jeans usé. « T’es seul depuis? » parce que oui, j’aime pas trop le savoir vivre en solo, surtout dans cet état. Ezra n’est plus lui-même, ça se voit tout de suite. Il est chambranlant, il est hésitant, il est sensible, il est faible. C’est à se demander comment il a pu survivre à toute la merde qu’on nous a balancé depuis 6 mois sans le moindre heurt. Son corps ne semble pas blessé des masses, et ça au moins, ça me rassure. Pour ce que ça vaut. Puis les voilà, les nouveaux reproches, les piques bien senties qu’il m'envoie en plein coeur. Les lèvres pincées, je réfléchis au moins une demi-seconde avant de renchérir - aie-je vraiment envie d’être si dure, si froide, si brusque? C’est qu’il a besoin d’être secoué un peu, ramené à l’ordre. Autrement, ce sera sa déprime qui aura raison de lui, et pas les paquets de chair en putréfaction qui peuplent désormais la ville. « Et tu aurais voulu qu’on le traîne, qu’on le force à vivre ça pour que tu apprennes à le connaître mieux? » ma voix est un peu plus grave, un peu plus sèche. Prunelles vissées dans sa direction, je soutiens son regard, dans l’attente de sa réponse, de la logique qui l’anime.  Et il renchérit avec ses sentiments qui remontent, avec cette peine qui le brise. « Ezra, sérieusement... » le soupir passe tout seul, maintenant que j’arque la nuque, incrédule. « Je me suis barrée stupidement, je l’ai dit à personne, j’ai fait plusieurs dizaines de kilomètres juste pour venir ici. »  déjà, qu’il sache que je ne suis pas si sans coeur que je lui laisse comprendre, qu’il veut bien le voir. Qu’il voit le ridicule de la chose, maintenant que je me suis mise en danger, qu’il a fait de même, pour finir devant un amas de terre, un reste de ciment, et deux coeurs brisés qui ne veulent plus rien imaginer d’autre que le pire. « On est venus chercher quelque chose qu’on trouvera pas, pour faire la paix avec un truc qu’on se pardonnera jamais, même si on sait qu’on a pris la bonne décision. » autant voir les choses en face - rien aujourd’hui ne changerait la situation, ne l’améliorerait même. « Alors s’apitoyer sur son sort, ça sert à rien. » en espérant qu’il l’enregistre, qu’il le comprenne, ce dont je doute, bien malheureusement.

Le froid et l’impartialité qui émanaient de Ginny n’avaient cesse d’étonner d’Ezra. Voire même de le terroriser un peu sur les bords. Oh, il savait qu’il avait également changé - cette apocalypse avait changé tout être au moins un peu vivant en une version alternative de lui-même. Mais Ginny… C’était un cas exceptionnel il lui semblait. Qui pouvait arriver à se faire un coeur froid et de pierre de la sorte sans devenir zombie à son tour ? « Pour une fois que ta petite vessie te sert. T’es seul depuis? » Il ne peut s’empêcher de lui jeter un regard noir alors qu’elle tentait de placer une blague. Malheureusement, ce genre de choses ne fonctionnait plus réellement avec lui non plus. Il tenta cependant d’y faire abstraction pendant une fraction de seconde, pour réussir à répondre à sa première question qui lui semblait presque sincère depuis le début. « J’ai retrouvé des gens par la suite, qui avaient formé un camp un peu plus en dehors de la ville. » Mais il ne s’étala pas de la sorte. Quelque-chose en lui venait de se fermer, de mourir en soufflant sur la petite dernière flamme qui restait. L’une des rares personnes en qui il avait jamais fait confiance c’était éteinte, et ça se confirma par la suite de ses paroles, de ses réflexions, de ses remarques. « Et tu aurais voulu qu’on le traîne, qu’on le force à vivre ça pour que tu apprennes à le connaître mieux? » Il soupira. « Me fais pas dire des choses que j’ai pas dit, Ginny. » « Ezra, sérieusement… Je me suis barrée stupidement, je l’ai dit à personne, j’ai fait plusieurs dizaines de kilomètres juste pour venir ici. » Il eut, cette fois ci, un petit rire sarcastique. Nouvelle déchirure, nouvelle blessure, nouvelle déception. Parce-que, apparemment, d’autres personnes valaient la peine qu’elle reste parmi elles. Mais lui n’en faisait définitivement pas partie. « On est venus chercher quelque chose qu’on trouvera pas, pour faire la paix avec un truc qu’on se pardonnera jamais, même si on sait qu’on a pris la bonne décision. Alors s’apitoyer sur son sort, ça sert à rien. » Lentement, il finit par relever son regard dans celui de Ginny. Tout ce dont il n’avait soupçonné l’existence semblait lui rire au nez en elle. Il savait qu’elle avait raison, il savait que ses paroles devaient être dites sinon ils en resteraient toujours au même point - mais si Ezra, c’était ça dont il avait besoin pour le moment ? Rester au même point, dans cette image qu’il se faisait d’un passé presque coloré, afin de réussir à survivre pour la suite ? « Certains d’entre nous ont juste eu plus de temps pour se préparer à une telle éventualité. Je veux juste que tu te rappelles ça. » Il savait que ce genre de paroles, elles étaient vraies mais dites seulement en cas de colère trop lourde à porter, de moment où il fallait s’emporter, quand la peine était trop présente pour être emportée par un simple sourire et des excuses. « Parce-que non, il aurait pas du vivre ça, pas comme il l’était… Mais… » Il finit par secouer la tête. « Mais tu as raison. De toutes façons, je sais même pas pourquoi je te retiens. Ca ne sert à rien. » Elle s’en foutait, qu’importe ce qu’elle pourrait lui dire et lui avait un coeur désormais beaucoup trop fragile pour survivre à une réelle confrontation avec la seule personne encore capable de le blesser. Elle était belle, la vie désormais. Condamnés à survivre dans un monde de chiens et où les seuls humains restant vous tournaient le dos.

Si Brisbane me semblait plus froide que la dernière fois où j’y avais mis les pieds, c’est probablement notre conversation qui lui fait perdre quelques degrés et encore, Ezra me confirme qu’il ne tient pas à s’éterniser. Me libérant de la vue crève-coeur de ce qu’il a bien pu devenir, c’est malgré moi que j’entends ma voix, toujours aussi sèche, toujours aussi différente de celle que j’avais jadis, qui lui répond. « Tu me retiens pas. » et mon regard le fuit maintenant, drôle d’impression que celle de se dérober, alors que ma seule survie ces derniers temps s’était renforcée du fait que je ne lâchais jamais la donne, que je ne me dérobais pas, pour la moindre raison. « C’est moi qui arrive pas à partir. » comme si c’était l’évidence, et mes pieds s’enracinent un peu plus, et cette pression que je ressens sur ma cage thoracique qui me garde de faire quoi que ce soit d’autre que de laisser mes iris dériver là où je sais Noah, là où le simple souvenir tente de se faire un chemin de ma tête à mon coeur sans succès. « C’est moi qui tente de faire ça, de casser ça, juste pour que ça fasse moins mal. »  il comprendra bien sûr que je parle de mon attitude face à lui, de mon absence d’empathie là où il me semble plus brisé encore que je n’ai pu le voir de toute ma vie. Probablement un peu par ma faute, à l’entendre - et même si je le voulais, la culpabilité n’arrive pas non plus à remonter proprement. « Mais c’est pas le cas. » et mon corps qui est en berne depuis des semaines, des mois, parce que ce qui l’alimente, ce n’est pas l'indifférence. Parce que si je suis ainsi, si je me suis autant fermée, si j’ai autant de mal à laisser paraître quoi que ce soit, c’est que la douleur fait écho, en sourdine. C’est qu’elle est tellement omniprésente qu’elle annihile le reste, qu’elle oppresse, et que je me retrouve à faire la morte, à tout nier, à tout ravaler dans l’espoir que l’acouphène de coeur brisé cesse un jour. « J’aurais aimé ça, je te jure, pouvoir pleurer sa mort. Être capable d’encaisser toute la douleur que ça occasionne, de faire mon deuil, de le faire avec toi. » une mince déception dans mon plaidoyer, un regret bien sûr. Sachant que de son côté, il aurait été là pour moi, ou du moins, je l'espérais naïvement. « À l’instant où il est parti, j’ai su que c’était fini. Ici. » et le geste s’additionne à la parole alors que je viens taper du bout des doigts au niveau de mon coeur, cliché ultime et message qui passe. « Y’a plus rien qui me touche, qui m’effraie, qui me fait mal, qui me fait rire. Y’a plus rien. »   dommages collatéraux de tout perdre du jour au lendemain, de laisser aller la seule raison pour laquelle je m’accrochais, le seul être qui justifiait mon envie d’aller bien, d’aller mieux.  « Et même si je l’appréhendais, même si j’étais certaine que j’allais craquer là, aujourd’hui, à te revoir ici… c’est pas le cas. »  ce serait faux de dire que sur le trajet, je n’avais pas voulu rebrousser de nombreuses fois de chemin en sachant que de revoir Ezra provoquerait peut-être un raz-de-marée d’émotions auxquelles je ne serais absolument pas prête, préparée. À mon grand soulagement, et à ma plus grande crainte, ça n’avait pas été le cas. « Je suis plus celle que tu as connue Ezra. Je ne le serai plus jamais. » mon regard finit sa course dépareillée en s’accrochant au sien. Et si je tente de m’excuser du bout des iris, c’est mon mutisme qui prend le pouls sur la conversation. Il ne bouge pas, et moi non plus. J’ignore s’il s’agit d’un duel, de celui qui craquera en premier, de celui qui quittera le premier. Je l’ignore, et je m’en fiche. « Mais je peux rester encore un peu. Et faire ça. » silencieuse, je finis par franchir les quelques pas qui nous séparent l’un de l’autre, comme une trêve, comme un drapeau blanc, comme le plus que je puisse faire. Ma main glacée vient trouver la sienne, enlacer mes doigts ciselés, désarticulés, l’un probablement cassé, à ceux d'Ezra, un long soupir qui suit, et nos deux silhouettes en silence qui restent stoïques, qui tentent de l’être, les yeux vissés à la tombe de ce qui, jadis, était notre fils.

J’ignore combien de temps nous restons là. J’ignore s’il fait jour ou s’il fait nuit. J’ignore même ce frisson qui réveille ma peau, mes sensations. Mais la voilà, la tant attendue, l'isolée, l’effrontée, la larme, la seule, qui finit par glisser le long de ma joue.

Le regard d’Ezra qui fuyait dangereusement celui de la jeune femme, ne voulant plus réellement être une partie de tout ça. Ça le tuait de l’intérieur, ça lui déchirait le coeur - et surtout, surtout, il avait du mal à réaliser qu’elle avait d’autant plus raison. « Tu me retiens pas. C’est moi qui arrive pas à partir. » Il vint lever les yeux au ciel. Après le discours qu’elle venait de lui sortir, il avait grandement mal à la suivre, à la croire. Comment pouvait-elle avoir du mal à partir après lui avoir avoué avoir eu ducal à imaginer venir tout court en premier lieu ? Certes, ce n’était pas facile et les temps faisaient que tout s’aggravait rapidement. Mais pour lui c’était impensable de ne pas être là aujourd’hui; alors pourquoi ça devait être différent pour Ginny ? « C’est moi qui tente de faire ça, de casser ça, juste pour que ça fasse moins mal. » Petit rire sarcastique qu’il tenta au maximum de garder pour lui. « Mais c’est pas le cas. J’aurais aimé ça, je te jure, pouvoir pleurer sa mort. Être capable d’encaisser toute la douleur que ça occasionne, de faire mon deuil, de le faire avec toi. » Le regard que releva Ezra envers la jeune femme n’était-as des plus agréables, des plus accueillants. Il avait l’impression que plus elle avançait dans ses paroles, plus un sentiment de dégoût s’emparait de son corps. En ce moment même, il ne savait pas s’il désirait réellement qu’elle continue sur ce chemin là, à lui expliquer clairement le fond de sa pensée, où s’il préférait qu’elle s’éloigne pour toujours sans mot dit de plus. « Et bien j’étais, là. Exactement au même endroit qu’aujourd’hui, à pleurer pour nous deux la perte qu’on a subi. Pendant que t’as préféré tourner le dos à tout ce qui était là pour toi. » Motivées par la colère et la déception, les paroles d’Ezra devenaient plus dures, plus froides. Il avait l’impression d’agir en miroir par rapport à l’attitude de Ginny. Comme si c’était contagieux. « À l’instant où il est parti, j’ai su que c’était fini. Ici. » Délicatement, de son doigt, elle vint tapoter sur sa propre poitrine là où était supposé se tenir son coeur. Alliant les gestes aux paroles, appuyant ainsi ses mots, ses émotions. Il ne peut s’empêcher de lever quelque peu les yeux au ciel. Comme si elle semblait se rattraper après ses paroles précédentes. « Y’a plus rien qui me touche, qui m’effraie, qui me fait mal, qui me fait rire. Y’a plus rien. » Il aurait pu comprendre, le deviner, même sans qu’elle ne lui explique réellement. A l’instant où elle avait ouvert la bouche pour la première fois lorsqu’ils avaient mis les pieds dans ce cimetière, il savait que plus rien n’était réellement vivant à l’intérieur. « Et même si je l’appréhendais, même si j’étais certaine que j’allais craquer là, aujourd’hui, à te revoir ici… c’est pas le cas. Je suis plus celle que tu as connue Ezra. Je ne le serai plus jamais. » Le regard d’Ezra qui fuit celui de la jeune femme lorsqu’il comprit que lui était toujours le même, au fond. Toujours trop sensible surtout - ce qui l’avait toujours rendu fou de rage, à l’intérieur. Parce-que si Ginny n’arrivait plus à ressentir la moindre chose aujourd’hui, lui était affecté par la moindre parole, le moindre son. Comme si tout son être intérieur s’était dupliqué et amplifié. Les images de leur bonheur comme s’étalant devant ses yeux, même après toutes ces années séparés écoulées. Parce-que la Ginny qu’il avait connu, qu’il avait aimé - c’était de celle là qu’il se souvenait à chaque fois que son nom pouvait venir écorcher son esprit et ses pensées. Et si ça lui faisait rien à elle, ça le tuait lui de l’intérieur de comprendre que c’était peine perdue. Il n’y avait rien à répondre à ça, hormis laisser son coeur pleurer en silence. Ginny dut cependant comprendre qu’elle ne pouvait en rester là, qu’elle ne pouvait simplement pas se contenter de lui balancer ce genre de paroles et de s’enfuir une fois de plus par la suite, car ce fut elle qui reprit la parole après quelques instants de silence. « Mais je peux rester encore un peu. Et faire ça. » Il n’avait même pas besoin de relever les yeux pour comprendre qu’il allait devoir serrer rapidement les mâchoires pour ne pas laisser la colère redescendre et les émotions prendre le dessus. Les doigts de Ginny vinrent se glisser entre les siens, venant faire pressions sur ces parties de lui qui ne semblaient plus là que pour se défendre et pour tuer, survivre. Ezra accueillit ce geste avec un slave de frissons - il n’aurait cependant su dire s’ils étaient bons ou mauvais pour lui présentement. Cela vint juste lui confirmer, une fois de plus, que face à elle il était juste faible. Il ne lui fallut pas plus de quelques secondes avant de venir appuyer à son tour une légère pression contre sa main, avant de venir laisser ses iris trainer sur la tombe qui se trouvait à leurs pieds. Quelle merde qu’était la vie ces temps ci. Deux parents réduits à se laisser tomber, à se détester, pour survivre à la mort prématurée de leur fils en temps des plus difficiles. Ces souvenirs qui refaisaient surface petit à petit par la suite, le temps qui s’écoulait comme bon lui semblait, à la fois délicatement et tellement rapidement. L’ambiance autour d’eux qui changeait alors que les minutes, les heures peut-être, s’écoulaient. Ils n’avaient pas bougé. Ni Ginny, ni lui. Comme s’ils étaient désormais figés dans le temps. Ezra ne s’aperçut de la larme de la jeune femme uniquement parce-qu’il l’avait comme senti. Comment, pourquoi, il n’en savait rien. Il avait juste eu l’impression d’avoir le coeur un peu plus lourd encore lorsqu’elle s’était mise à glisser le long de ses joues abimées, creusées. De sa main libre, légèrement tremblante, il était venu recueillir cet échantillon du reste de peine qui pouvait lui rester en elle, soupirant d’exaspération d’être en partie responsable du retour de cette tristesse. Ce n’était pas bon - c’était égoïste. Alors, prenant son courage à deux mains, il vint délier ses doigts de ce de Ginny. Il vint déposer, comme référence à une habitude qu’il avait longtemps adopté, un léger baisser sur le front de la jeune femme. « Tu as raison. On est mieux l’un sans l’autre… Au pire tu es mieux sans moi. » Venant s’efforcer à agrandir un léger sourire qui se voulait rassurant, Ezra finit par faire quelques pas en arrière, par s’éloigner de la jeune femme. « Prends soin de toi, Ginny. Tu en vaux toujours la peine. » Et ce fut uniquement lorsqu’il eut tourné complètement les talons qu'il s’autorisa à son tour à laisser aller ces quelques gouttes salées.