Bien emmitoufflée sous a couette, la petite blonde peinait à trouver le sommeil. Elle ne pouvait même pas faire passer le temps en regardant les étoiles, le ciel était sacrément couvert. On devinait cependant où la une se trouvait, sa luminosité parvenant à travers les épais nuages par endroit, mais rien de plus. Jamie l'avait sommé de rentrer et de dormir. Leur fils, lui, n'avait aucun problème pour dormir, il s'était assoupi dans la voiture. La petite blonde craignait toujours autant de prendre des somnifères en étant seule avec le petit. Elle avait peur de ne pas se réveiller si jamais il avait besoin d'elle. Elle préférait encore garder les yeux bien ouverts toute la nuit durant. Son téléphone était bien chargé, sur sa table de nuit, si jamais l'hôpital venait à l'appeler, si jamais. Elle n'était absolument pas tranquille de le laisser seul, même s'il y avait du personnel soignant présent toute la nuit. Joanne regardait donc les heures défilés jusqu'à ce qu'il soit temps de réveiller le petit pour l'emmener à la crèche. Jamie et elle étaient d'accord sur ce point, il ne fallait pas trop perturber son rythme de vie habituelle. La petite différence, c'était que la petite blonde allait le chercher plus tôt que d'habitude en fin d'après-midi pour qu'il puisse passer plus de temps avec Jamie. Ce n'était pas la première nuit de la semaine où elle manquait cruellement d'heures de sommeil. Par on ne sait quel miracle, elle tenait le choc. Elle s'occupait donc de son petit avant de l'emmener à la crèche. Mais même lorsqu'il lui semblait prendre son temps, il était encore bien trop tôt pour qu'elle puisse aller à l'hôpital. On avait expliqué à la jeune femme que les soins avaient surtout lieu le matin et que l'on ne voulait pas être dérangé par la viste, ce qu'elle comprenait sans soucis. Ca aurait été peut-être l'occasion de se permettre enfin un vrai bon petit-déjeuner, peut-être même quelque chose de plus copieux. La petite blonde jugea bon alors de faire un détour par Logan City, et prendre des nouvelles d'Hassan. Or, il était effectivement trop tôt et elle avait souvenir que le brun ne vivait plus seul et elle ne voulait pas réveiller toute la maisonnée en sonnant à la porte à une heure aussi matinale. Sachant très bien qu'il allait finir par sortir promener Spike, la jeune femme avait jugé bon de tout simplement l'attendre en s'installant sur un des bancs du parc. Peut-être que la promenade était déjà faite, elle n'en savait trop rien. Et Joanne était suffisamment épuisée pour ne pas avoir eu l'idée de le prévenir qu'elle était là par message. S'il ne passait pas, eh bien, au moins elle aurait pris un peu l'air, se disait-elle. C'était alors la tête totalement ailleurs qu'elle attendait. C'était un museau bien humide qui venait renifler ses genoux qui la sortait de ses rêveries. Avec un sourire, elle le caressait derrière les oreilles, connaissant très bien ce berger allemand. Elle leva enfin les yeux vers son maître avec un sourire. "Il y avait un peu de chances que tu ne sois pas encore passé, alors j'ai tenté." L'air du matin était encore un peu frais, mais laissait deviner que les températures allaient bien augmenter au courant de la journée. "J'avoue que je n'ai pas pensé à t'écrire, et je ne me voyais pas venir sonner à ta porte aussi tôt, je ne voulais réveiller personne." Mais Joanne ne s'était pas trouvée d'autres créneaux pour venir le voir. Elle lui écrivait de temps en temps, depuis que Jamie était hospitalisé, donnant un peu de ses nouvelles. Le brun avait devant lui un maigre aperçu de ce que Joanne aurait été si elle avait été à ses côtés pour sa leucémie. Le teint particulièrement pâle, des petits yeux, injectés de sang par endroit à cause de la fatigue, des cernes qui marquaient de manière disgracieuse son visage de porcelaine. Prendre soin d'elle devenait rapidement le cadet de ses soucis. Et encore, on ne l'avait pas pesé, mais il était quasiment certain qu'elle avait encore perdu du poids sur ces derniers jours. "Comment tu vas ?" lui demanda-t-elle enfin, toujours un fin sourire sur ses lèvres. "Ca a du être un sacré choc pour toi de le voir s'effondrer comme ça, tout de même." Et en dépit de cela, Hassan restait l'homme qui avait sauvé la vie de Jamie Keynes, alors qu'ils ne s'appréciaient absolument pas. Un comble, pourrait-on dire, mais aussi une véritable chance pour Jamie que d'avoir eu Hassan à proximité au moment de son arrêt cardiaque. Joanne l'invita à s'asseoir à côté d'elle, même si ce n'était que pour quelques minutes. "Les médecins sont assez optimistes, malgré ce qu'il s'est passé. Jamie n'est par contre pas franchement enthousiaste à l'idée d'être en arrêt travail pendant un mois, mais le chirurgien est intransigeant là-dessus." Ce qui, en soi, n'était pas une mauvaise chose. "Je ne suis peut-être pas la personne qui devrait le faire ou le dire, mais je voulais te remercier très sincèrement, pour ce que tu as fait. Si les choses avaient différentes, il ne s'en serait peut-être pas sorti, ou du moins, pas aussi bien." Elle sourit, quoi qu'il y avait une pointe de tristesse lorsque Joanne se rappelait que finalement, tout s'était joué à trois fois rien. "Même si je suis particulièrement surprise que vous étiez dans la même pièce au même moment." ajouta-t-elle en riant légèrement, réalisant qu'elle ne s'était jusqu'ici pas posée la question. La voix de Joanne était douce, voire faiblarde. "Je suppose que c'est le genre d'images qui marque et dont on a du mal à s'en défaire." Même si c'était arrivé à une personne qu'il n'appréciait pas. Joanne savait très bien qu'Hassan n'aurait Ô grand jamais souhaité ceci à qui que ce soit, pas même à son pire ennemi. Et le brun, lui avait été à la fois témoin et acteur de la scène et avait su quoi faire en étant les premiers sur les lieux, ce qui poussait à l'admiration, indéniablement.
Hassan n'aimait pas cette période de l'année scolaire, celle qui s'étalait de la fin des vacances de printemps jusqu'au début des sessions d'examens, et où le temps ne semblait pas savoir de décider entre passer à toute allure ou s'étirer de manière totalement disproportionnée. C'était un peu le calme avant la tempête, avec d'un côté les élèves qui redoublaient d'assiduité et de l'autre ceux qui avaient définitivement lâché l'affaire et comptaient sur leur capacité à retenir un semestre de programme en l'espace de quinze jours. Côté professeur on n'osait plus surcharger les élèves de devoirs à rendre pour leur permettre de commencer leurs révisions, et on tournait en rond en se désolant d'avoir autant de temps à tuer quand, une fois les examens passés, il faudrait sans doute compter quelques nuits sans sommeil pour terminer de corriger les copies en temps et en heure. Hassan était partagé, lui, entre l'envie d'avoir enfin de quoi occuper des soirées jusque-là vides et tristes à mourir et le fait de ne pas savoir comment il pourrait corriger des dizaines de copies en restant concentré quand le simple choix du sujet d'examen lui avait pris une soirée entière, passée à fixer le vide au-dessus de l'écran de son ordinateur d'un air absent. L'esprit était parasité par trop de choses, trop de tracas qui l'emportait sur sa capacité à réfléchir ; Y'avait Sohan, leur dernière discussion et les mots échangés avec amertume, Joanne qui tremblait des pieds à la tête dans la salle d'attente bondée des urgences et lui serrait la main tellement fort qu'on l'aurait crue changée en pierre. Et la voix enrouée de Ginny au téléphone la veille pour lui dire que Noah n'allait pas mieux, que c'était pire, en fait. Critique. Hassan était et serait toujours partisan de l'idée que rien n'arrivait jamais par hasard, qu'il y avait toujours un but plus grand et plus louable derrière chaque embûche, mais parfois il peinait à comprendre quel bien certains événements étaient supposés apporter ; Quel bien un enfant pouvait-il tirer de voir sa vie ne plus tenir qu'à un fil, après avoir déjà passé des mois dans une chambre d'hôpital ? Ça n'avait aucun sens. Il avait promis à Ginny de passer en fin de matinée, avant le début de ses cours, et une fois n'était pas coutume il était monté se coucher avant Matteo, n'objectant même pas lorsque Spike l'avait suivi pour venir se rouler en boule sur le tapis au pied du lit, plutôt que dans son panier au salon.
Et s’il parvenait de mieux en plus à dompter sa tendance à l’insomnie et à s’endormir sans batailler durant des heures, le revers de la médaille venait en une incapacité à se rendormir lorsque le sommeil lui faisait faux bond après quatre, cinq heures de répit dans les bons jours. L’aube qui pointait à peine lorsqu’il avait ouvert les yeux lui avait laissé le plaisir de traîner un peu au lit, avant d’être rappelé à l’ordre d’un coup de truffe sur la main par un Spike pour qui le réveil de son maître rimait avec promenade matinale. Descendant d’abord à la cuisine pour mettre la bouilloire sur le feu, il était remonté prendre une douche rapide pour terminer de se réveiller et avait enfilé un pantalon de jogging et un tee-shirt. Le thé infusait encore que Spike faisait déjà le pied de grue devant la porte d’entrée, et après une tasse avalée rapidement Hassan lui avait enfin donné gain de cause en récupérant sa veste de jogging dans le placard de l’entrée et en enfilant rapidement ses baskets. La marche se muant en marche rapide et se transformant finalement en course tranquille, il avait remonté les rues de Logan City jusqu’au parc, s’autorisant même à détacher la laisse de son chien une fois au milieu des allées, profitant du fait qu’à cette heure-ci l’endroit était encore pratiquement désert. Pratiquement, car au détour d’une allée le brun avait du même coup vu Spike courir vers l’un des bancs et reconnu la silhouette de Joanne presque instantanément. L’animal sur place bien avant lui, Hassan avait couru les derniers mètres le séparant de la blonde, cachant à peine sa surprise de la trouver ici à une heure pareille « Il y avait peu de chances que tu ne sois pas encore passé, alors j’ai tenté. » s’était-elle justifiée avec un léger sourire, sans qu’il n’ait eu besoin de formuler la moindre question « Tu m’attendais ? » avait-il de son côté demandé avec incrédulité. « J’avoue que je n’ai pas pensé à t’écrire, et je ne me voyais pas venir sonner à ta porte aussi tôt, je ne voulais réveiller personne. » Fronçant les sourcils d’un air concerné, il avait machinalement vérifié l’heure sur sa montre et questionné encore, une certaine inquiétude dans la voix « Et ça fait longtemps que tu es là ? Tu veux ma veste ? » Le printemps était là, certes, mais l’air était encore un peu frais tôt le matin, surtout si l’on restait assis sans bouger. « Mais tu n’aurais réveillé personne, si ça peut te rassurer. J’arrive plus à dormir tard, et Matteo est toujours réveillé à l’aube … un truc de militaire, je suppose. » Finalement il s’était assis à côté d’elle sur le banc et lui avait assuré avec douceur « Et tu passes à la maison quand tu veux, tu sais bien. » Au contraire, il était bien plus contrarié par l’idée qu’elle se sentie obligée de l’attendre dehors quelque part que part l’idée qu’elle vienne sonner chez lui un peu trop tôt.
Maintenant qu’il prenait le temps de la détailler un peu plus du regard, la pâleur inhabituelle et les cernes prononcés sous les yeux de Joanne étaient frappantes, et avaient amené sur le visage d’Hassan un air soucieux. Ne souhaitant pas la brusquer il cherchait ses mots, si bien que la blonde avait repris la parole avant lui « Comment tu vas ? Ça a dû être un sacré choc pour toi de le voir s’effondrer comme ça, tout de même. » Il voyait une certaine ironie dans le fait que ce soit à lui de répondre à cette question, quand c’était sur son visage à elle que l’on voyait la fatigue accumulée et les nerfs à fleur de peau. « J’évite d’y repenser, pour tout t’avouer. » avait-il alors simplement admis en forçant un très léger sourire. Parce que ce n’était pas le genre de trucs que l’on aimait ressasser tout d’abord, mais également parce que cela avait fait ressurgir certains autres mauvais souvenirs qu’Hassan n’aurait pas soupçonné. « Les médecins sont assez optimistes, malgré ce qui s’est passé. Jamie n’est par contre pas franchement enthousiaste à l’idée d’être en arrêt de travail pendant un mois, mais le chirurgien est intransigeant là-dessus. » Elle avait marqué une pause, comme si elle hésitait, avant de reprendre « Je ne suis peut-être pas la personne qui devrait le faire ou le dire, mais je voulais te remercier très sincèrement, pour ce que tu as fait. Si les choses avaient été différentes, il ne s’en serait peut-être pas sorti, ou du moins, pas aussi bien. » Le brun avait esquissé un sourire gêné, détournant momentanément le regard car ne sachant pas vraiment comment gérer les pensées qui se bousculaient dans son crâne. Il avait agi avec Jamie comme il l’aurait fait avec n’importe qui, là n’était pas le problème, mais le contentieux qui le liait au britannique rendant la situation compliquée, et le mettait mal à l’aise. Même s’il ne doutait pas que le concerné ferait tout pour oublier le rôle qu’il avait joué dans sa mésaventure. « Il s’est sauvé tout seul, dans un sens. » avait-il même fini par répondre d’un ton incertain, pour tenter de minimiser son rôle. « S’il ne s’était pas attardé à ABC il aurait pu être en voiture. » Et là il y avait fort à parier que l’issue n’aurait pas été la même. « Il a eu de la chance. » Et Hassan ne pensait par conséquent pas mériter le moindre remerciement, presque gêné à l’idée que Jamie ne se trouve au milieu de tout ça un nouveau grief envers lui. « Même si je suis particulièrement surprise que vous étiez dans la même pièce au même moment. » Et lui beaucoup moins surpris d’en conclure que Jamie n’avait pas fait de commentaire à ce sujet, dissuadant Hassan d’en faire également, persuadé que cette conversation qu’ils avaient eu n’avait jamais eu pour but de remonter jusqu’aux oreilles de Joanne. « Il voulait discuter. » avait-il alors simplement commenté, marchant sur des œufs. Si elle voulait en savoir plus il valait probablement mieux qu’elle questionne Jamie plutôt que lui. « Je suppose que c’est le genre d’images qui marque et dont on a du mal à se défaire. » Déglutissant, Hassan avait doucement hoché la tête « Ça me marquera probablement plus que lui, en tout cas … C’est toujours comme ça. » Il était – trop – bien placé pour le savoir, à vrai dire. Et se surprenait à voir avec d’autres yeux certaines situations vécues par les membres de sa famille durant sa propre hospitalisation. « Et toi ? » avait-il finalement repris, d’un ton plus affirmé « Tu as l’air épuisée. Tu dors un peu ? » Pas assez, elle ne pourrait pas lui faire croire le contraire, mais il pourrait se contenter du fait qu’elle essaye, au moins. Elle était occupée à s'inquiéter pour Jamie, alors Hassan prenait pour lui de s'inquiéter pour Joanne, et veiller à ce qu'elle ne s'oublie pas en chemin ; Elle en était capable, il le savait.
Hassan ne cachait absolument pas sa surprise en voyant son ex-femme à un tel endroit à une heure aussi matinale. Certes, elle avait toujours eu le sommeil particulièrement gêné et n'avait pas trop de mal à se lever quand le réveil sonnait. Mais elle avait toujours aimé lézarder au lit, à somnoler un peu surtout lorsqu'elle avait quelqu'un contre qui se blottir. Ses grasses matinées remontaient donc à pas mal de mois. Le brun semblait particulièrement surpris de découvrir qu'elle l'avait attendu là, assise sur un banc à se demander s'il avait déjà promené son berger allemand ou non. Elle acquiesça d'un simple signe de tête pour répondre à sa première question. Les iris bleus de la jeune femme se rivèrent sur sa propre montre, n'étant même plus sûre de l'heure qu'il était. "J'avoue que je ne sais plus vraiment quand je suis arrivée ici." dit-elle avec un sourire gêné. Elle ne voulait pas l'inquiéter davantage, et savait qu'il se ferait tout de même du souci pour elle. Joanne n'avait pas franchement chaud malgré son gilet, mais elle ne se voyait lui subtiliser sa propre veste. Certes, la blonde était beaucoup plus frileuse que lui, mais ce n'était pas une raison pour qu'il se risque à attraper froid de son côté. "Non, merci, ça devrait aller, comme ça." dit-elle avec un sourire aimable, en indiquant son gilet. Certes, la fatigue n'arrangeait pas. L'on avait toujours un peu froid lorsqu'on était fatigué. Ensuite, Hassan lui assura qu'elle n'aurait pas réveillé la maisonnée si elle était venue sonner à la porte au lieu de l'attendre. Joanne se doutait bien qu'il aurait largement préféré qu'elle le réveille de cette façon là plutôt que de savoir qu'elle l'avait attendu dans le froid. Elle sourit, gêné. "Je ne sais pas, ça aurait fait bizarre, je pense, de venir sonner si tôt. Même si je me doute que ça ne t'aurait absolument pas gêné." Du moins, c'était ainsi qu'elle percevait les choses. "J'aurais sonné si c'était vraiment urgent, je garde ça quand il y en aura vraiment besoin." dit-elle avec un sourire. Joanne ne se voyait pas le déranger à une heure aussi matinale juste pour le voir un peu, prendre de ses nouvelles. Elle lui souriait lorsqu'Hassan jugeait bon de lui rappeler qu'elle pouvait venir quand bon lui semblait. Toujours cet si grande gentillesse et cette disponibilité. Une fois qu'il s'était assis à côté d'elle, la petite blonde revenait sur le jour où il avait littéralement sauvé la vie de Jamie. Hassan ne voulait pas y repenser, la jeune femme peinait à déterminer pourquoi il agissait ainsi. Mais elle tenait tout de même à le remercier d'être intervenu. La relation entre les deux bruns étaient assez délicates bien qu'il était difficile pour Joanne de savoir où ça en était, comment ça évoluait. Elle n'osait pas vraiment le leur demander, étant donné que parler de l'autre leur faisait à chacun grincer les dents. "J'évite de penser à tous ces "et si", j'y ai suffisamment songé quand j'ai attendu qu'il revienne du bloc." confessa Joanne d'un air triste. "Tout se jouait à trois fois rien, à un fil, et je ne veux plus penser à ce qui se serait passé si ne serait-ce qu'un détail avait été différent." Le regard de Joanne semblait un peu vide, voire même absent. "Il est là et il est envie, c'est tout ce qui compte maintenant." Un vague sourire étirait faiblement ses lèvres avant qu'elle ne porte à nouveau ses yeux sur lui. Le plus gros mystère de l'histoire était quand même le fait que les deux hommes se trouvaient dans la même pièce au moment des faits. Sans surprise, Hassan restait particulièrement évasif sur le sujet et Joanne ne préférait pas insister. Ce qui disait ensuite Hassan reflettait bien le fait qu'il savait de quoi il parlait. C'était lui, pendant un temps, le patient au fond du lit. Il voyait tous ces regards posés sur lui et avait certainement du se faire une idée de ce que les autres avaient vécu en le voyant dans un tel état. Il n'aurait certainement pas voulu de ce même regard de son épouse sur lui. Hassan préférait se concentrer sur l'état de la blonde, qui avait des signes de fatigue évidents et que l'on ne pouvait pas louper. Joanne avait légèrement sursauté en entendant le et toi ?, ne voyant d'abord pas de quoi il voulait parler. "Parfois." confessa-t-elle tout bas, sachant que la réponse n'allait pas totalement satisfaire le brun. "Une heure ou deux la nuit, ça dépend." Elle restait toujours sur le qui-vive, si elle avait l'impression que le bip du monitoring devenait irrégulier, elle se réveillait. "Je reste la nuit à l'hôpital, ce sont mes parents qui s'occupent de Daniel et qui l'amènent le matin à la crèche. Je le récupère le soir comme ça Jamie et lui peuvent passer un peu de temps ensemble, mes parents récupèrent le petit, et ainsi de suite. Le matin et le soir, je fais un détour par Toowong et Bayside pour promener les chiens et leur donner à manger, puis je retourne à l'hôpital." Joanne haussait les épaules, comme s'il s'agissait là du rythme de vie le plus normal qui soit alors que ce n'était absolument pas le cas. Elle dévouait la quasi totalité de son temps à Jamie. "Ce qui ne me rend pas très présente pour les autres pour le moment. J'en suis désolée." finit-elle par dire, ayant bien conscience qu'elle donnait peu de ses nouvelles. Quoi que c'était déjà un peu le cas avant que Jamie ne soit hospitalisé. Du moins, elle voyait moins Hassan depuis que Jamie était passé chez elle et que le tout s'était conclus par un baiser. Et un autre, à l'hôpital, qui en disait long. Il y avait certainement beaucoup de choses qu'Hassan ignorait et réciproquement. La jeune femme glissa ses mains entre ses cuisses afin de les réchauffer un petit peu. "J'ai juste... peur qu'il lui arrive quelque chose quand je ne suis pas là. Je sais qu'il y a les médecins, les infirmières, mais je ne me sens quand même pas très sereine." avoua-t-elle avec un rire gêné. Elle voulait, se devait d'être avec Jamie, de veiller sur lui. Le chien d'Hassan s'était installé sans trop de gêne sur les pieds de la jeune femme, ce qui la fit rire doucement. Elle se penchait pour caresser son pelage. Joanne avait toujours aimé les chiens, elle avait grandi avec des chiens, et elle était ravie d'en avoir à l'heure actuelle deux. "Mais ça va, je tiens le coup. Lui... peine à réaliser ce qu'il s'est passé, alors je tente de faire au mieux pour le soutenir et pour ne pas le laisser seul. J'ai pu poser ce qu'il me reste de congés là. La fin de l'année sera intense au boulot, mais ce n'est pas grave." dit-elle avec un sourire, sûre d'elle. D'autant plus que Joanne adorait son travail, et cela la fascinait tellement qu'elle ne voyait que très rarement le temps passer. Et quand elle avait fini ce qu'elle devait faire pour la journée ou pour la semaine, elle complétait ses heures en aidant ses collègues ou en faisant des recherches sur une période historique bien précise, à titre personnel. Mais cela n'apportait que du plus sur ses connaissances personnelles, un nouvel apport pour son travail et son enrichissement personnel. "Ca va être bientôt un période chargée pour toi aussi là, non ? Les examens, et tout ça, je veux dire."
D’abord surpris de trouver la jeune femme assise sur ce banc à une heure aussi matinale, Hassan avait basculé vers une réelle incrédulité en comprenant à la teneur des paroles de Joanne que non seulement elle l’attendait, mais qu’elle semblait attendre depuis déjà un petit moment. Assez longtemps pour ne pas avoir d’autre réponse à fournir qu’un vague « J’avoue que je ne sais plus vraiment quand je suis arrivée ici. » lorsqu’il avait tenté d’en savoir un peu plus. Déclinant également poliment lorsqu’il lui avait proposé sa veste par un « Non, merci, ça devrait aller, comme ça. » presque timide, elle avait dissuadé le brun d’insister davantage mais en revanche pas éteint ses tracas quant à l’idée qu’elle ne se sente même pas légitime à venir sonner chez lui – alors qu’il y avait difficilement plus légitime, à ses yeux « Je ne sais pas, ça aurait fait bizarre, je pense, de venir sonner si tôt. Même si je me doute que ça ne t’aurait absolument pas gêné. » Elle faisait bien de ne pas douter, en effet. Hassan restait quelqu’un dont la porte était ouverte à qui en avait besoin quel que soit le jour et l’heure. « J’aurais sonné si c’était vraiment urgent, je garde ça quand il y en aura vraiment besoin. » À demi-rassuré, et espérant simplement que ce n’était pas la présence de Matteo qui dissuadait la blonde de venir sonner chez lui, il s’était laissé convaincre et avait finalement pris place sur le banc à côté d’elle, la détaillant malgré lui du regard sans vraiment apprécier ce qu’il voyait. Parce qu’il n’y avait à voir qu’une femme épuisée et dont les cernes rivalisaient avec les traits tirés de son visage, et si Hassan n’en était pas vraiment surpris reste que cela l’inquiétait, sans qu’il ne cherche d’ailleurs véritablement à s’en cacher. Un peu gêné d’entendre ainsi la jeune femme revenir sur le rôle qu’il s’était vu jouer par la force des choses dans la mésaventure médicale de Jamie, le brun avait instinctivement tenté de minimiser son implication, quitte à user de ces « Et si » dont il n’était pourtant pas un grand fan de manière générale. Une fois n’était pas coutume, c’est donc Joanne qui s’était chargée de remettre les choses à leur place en répondant « J’évite de penser à tous ces « Et si », j’y ai suffisamment songé quand j’ai attendu qu’il revienne du bloc. Tout se jouait à trois fois rien, à un fil, et je ne veux plus penser à ce qui se serait passé si un détail avait été différent. » Mais tout se jouait toujours à un fil, pourtant. Ce n’était pas seulement ça, cet événement, c’était la vie dans son ensemble qui ne tenait qu’à trois fois rien, et leur erreur à tous c’était d’avoir tendance à l’oublier trop facilement. Même Hassan l’oubliait encore, lui dont la vie n’avait plus tenu à rien ou presque, et avait vécu ces derniers jours comme une piqûre de rappel. « Il est là et il est en vie, c’est tout ce qui compte maintenant. » avait-elle finalement conclu d’un ton pensif, n’arrachant à Hassan qu’un vague signe de tête, mais la pression d’une main rassurante sur son avant-bras.
Mais s’il ne faisait aucun doute sur le fait que Jamie avait quelqu’un pour s’inquiéter pour lui, l’état de fatigue dont semblait faire preuve la jeune femme laissait penser que personne n’avait vraiment pris le temps de s’inquiéter pour elle, en revanche. « Parfois. » lui avait-elle d’ailleurs répondu lorsqu’il s’était renseigné sur son sommeil. « Une heure ou deux la nuit, ça dépend. Je reste la nuit à l’hôpital, ce sont mes parents qui s’occupent de Daniel et qui l’amènent le matin à la crèche. Je le récupère le soir comme ça Jamie et lui peuvent passer un peu de temps ensemble, mes parents récupèrent le petit, et ainsi de suite. » L’ironie, en définitive, c’était qu’il aurait donc fallu attendre ce genre d’extrémité pour que Daniel ait l’occasion de revoir son père, et pour que Joanne baisse un peu sa garde avec ses parents. Ils en étaient visiblement encore loin, la dernière fois qu’Hassan avait eu l’occasion de s’entretenir avec Martin Prescott. « Le matin et le soir, je fais un détour par Toowong et Bayside pour promener les chiens et leur donner à manger, puis je retourne à l’hôpital. » Et reproduisait ainsi typiquement le schéma qu’Hassan n’aurait pas supporté de la voir opérer avec lui, lorsqu’il s’était retrouvé hospitalisé. « Ce qui ne me rend pas très présente pour les autres pour le moment. J’en suis désolée. » S’étant un instant perdu dans le vague tandis que l’esprit vagabondait un peu, le regard du brun était revenu s’accrocher à Joanne avec douceur tandis qu’il secouait la tête « Non, je comprends. T’as pas à t’excuser. » Marquant une pause, il avait retrouvé un ton plus léger au moment d’ajouter « Ce qui ne veut pas dire que tu ne me manques pas un peu … » et étiré avec amusement un sourire sur ses lèvres « Mais Joanne ne serait pas Joanne si elle ne s’en faisait pas pour ceux qui l’entourent, uh ? » C’était un de leurs points communs, à n’en pas douter, cette tendance à nourrir plus d’inquiétude pour autrui que pour eux-mêmes. Du moins en règle générale. « J’ai juste … peur qu’il lui arrive quelque chose quand je ne suis pas là. Je sais qu’il y a les médecins, les infirmières, mais je ne me sens quand même pas très sereine. » avait-elle finalement expliqué après quelques instants d’hésitation, servant un discours qu’une fois encore Hassan ne connaissait que trop bien. Un court instant interrompue par Spike, qui prenant ses aises était venu s’installer sur ses pieds parce qu’on y était de toute évidence mieux que sur le sol, Joanne avait finalement repris « Mais ça va, je tiens le coup. Lui … peine à réaliser ce qui s’est passé, alors je tente de faire au mieux pour le soutenir et ne pas le laisser seul. J’ai pu poser ce qu’il me reste de congés là. La fin d’année sera intense au boulot, mais ce n’est pas grave. » Heureusement pour elle la fin d’année n’était plus très loin, désormais. Ramenant l’une de ses jambes contre lui d’un air pensif, il avait questionné « Je peux te donner un conseil ? Du point de vue de quelqu’un qui a passé un long moment dans un lit d’hôpital. » Peut-être même plus long qu’elle ne l’imaginait, il ne savait pas vraiment ce qu’elle avait conclu à ce niveau-là et par pudeur probablement elle n’avait jamais posé la question, pas plus qu’il n’avait vu de moment opportun de donner des détails à ce sujet. « Je comprends le besoin d’être là au cas où il arriverait quelque chose, et je te confirme que les moments où on est tout seul dans sa chambre à ressasser sur ce qui est en train de nous arriver sont vraiment les pires. » Marquant une pause, le sujet s’évoquant malgré tout encore avec difficulté, il s’était éclairci la gorge avant de reprendre « Mais c’est aussi vraiment difficile de voir les gens s’épuiser et se rendre malade autour de soi. J’ai vu Qasim vieillir de plusieurs années en l’espace de quelques mois, y’a fallu que ce soit mon médecin qui lui fasse la leçon et que je le menace de lui interdire l’accès à ma chambre pour qu’il se calme, et je … avec le recul je me dis que même si ça me rassurait d’avoir quelqu’un à côté de moi en permanence, ça ne m’aidait pas à aller mieux de me faire un tel sang d’encre à son sujet, tu vois ? » Le regard détaillant à nouveau Joanne d'un air soucieux, il avait repris avec dans la voix une certaine bienveillance « Je dis pas que tu dois arrêter de te dévouer, mais juste … ménage-toi un peu, d'accord ? Tu te rendras pas service en t'épuisant de cette façon, et tu ne lui rendras pas service à lui non plus. » Et s'il fallait que ce soit le seul argument susceptible de lui mettre un peu de plomb dans la tête, Hassan n’avait pas de scrupule à s'en servir.
Enroulant machinalement la laisse de Spike autour de son poignet, le brun était resté pensif de longues secondes, l'esprit vagabondant de ses souvenirs d'hospitalisation à ceux des heures passées dans la salle d'attente des urgences à tenir la main de Joanne, avec la peur de la voir s'effondrer totalement si funeste nouvelle lui arrivait. Y'avait cette époque où tout semblait tellement simple, où le bonheur était sans nuages, et finalement tout s'était détraqué … Pourquoi, dans quel but, pourquoi eux ? Qu'avaient-ils fait se si terrible pour être punis de cette façon ? « Ça va être bientôt une période chargée pour toi aussi là, non ? Les examens, et tout ça, je veux dire. » Le ramenant à la réalité, la voix de Joanne était venue le sauver du nuage noir embrumant à nouveau son esprit, et forçant un sourire fin il avait acquiescé « Ça approche oui, pour le moment c'est un peu le calme avant la tempête. Ma réserve de stylos rouges est prête, mais tu ne seras pas étonnée si je te dis que je ne suis pas vraiment impatient de passer des heures le nez vissé sur des corrections ? » Laissant échapper un léger rire, il avait admis « Je dois choisir le sujet d'examen avant la fin de la semaine, mais je sèche un peu pour l'instant. » Le choix n'était pourtant pas anodin, on parlait d'heures entières à se plonger dans les méandres du dit sujet, mieux valait donc choisir avec précaution si l'on ne voulait pas décortiquer quelque chose pour lequel on n'était pas d'humeur à l'instant T. C'était cela dit bien la première fois qu'Hassan peinait autant à se décider, mais rarement avait-il eu l'esprit aussi préoccupé, également. « Je t'offre le petit dej' ? Je dois passer à l'hôpital ce matin, je te déposerai en même temps, si tu veux. » Il appréhendait l'état dans lequel il trouverait Ginny, peut-être même encore plus que l'état dans lequel il trouverait Noah … L'enfant en était tristement au même point, mauvais, inerte. Sa mère en revanche semblait s'effriter de plus en plus à mesure que le temps passait et que le pire se rapprochait, se dessinait avec toujours plus de précision. « Matteo est déjà parti à cette heure-ci. » avait-il même mentionné au cas où elle s'en inquiéterait. « Et comme ça tu pourras me dire comment s'est passée l'expo qui était sur le point de démarrer la dernière fois qu'on en a parlé. Une de mes collègues y est allée, ça a l'air de lui avoir plu. » Attirant l'attention de Spike, il avait attrapé son collier pour y rattacher la laisse et s'était remis debout, détachant la veste nouée autour de sa taille pour la tendre à Joanne « C'est limite si ta chair de poule ne se voit pas à travers tes manches. J'te connais un peu, à force. » avait-il justifié d'un ton gentiment taquin avant de lui offrir son bras, le chien s’impatientant déjà pour qu'ils se mettent en route.
Hassan n'aimait certainement pas la voir dans un tel état. Cela lui rappelait certianement de bien mauvais souvenirs, ou bien il pouvait mieux imaginer la façon dont elle se serait comportée s'il n'avait demandé le divorce. Joanne supposait que cela devait être un crève-coeur pour lui quelque part, de la voir utiliser toute son énergie pour un autre homme. Cet événement avait aussi été un véritable électrochoc pour elle et elle ne savait plus où elle en était. Ces derniers jours, elle ne les vivait que pour être auprès de Jamie, elle se devait de venir auprès d'Hassan pour au moins prendre un peu de ses nouvelles. Elle culpabilisait assez vis-à-vis de lui, et ce pour de multiples raisons. Ses excuses ne valaient pas grand chose, du moins pour elle. Mais c'était la moindre des choses. Mais Hassan restait particulièrement tolérant et compréhensif à ce sujet. La petite blonde lui avait lancé un regard reconnaissant, mais aussi un peu triste. A chaque fois, elle se disait qu'elle ne méritait décidément pas pareille gentillesse de sa part. Néanmoins, il voulait tout de même préciser qu'elle lui manquait, peut-être plus que de raison. "Il faut bien que je reste un petit peu fidèle à moi-même, non ?" lui répondit-elle avec un très léger rire. La jeune femme exprimait ses craintes, en marchant sur des oeufs tout de même car elle savait très bien que les deux hommes étaient très loin de s'apprécier. Hassan était certainement le mieux placé pour comprendre, étant donné qu'il avait été un jour à la place de Jamie. Il devenait ainsi porteur de conseils qu'il espérait que la petite blonde finisse par prendre en compte. Qu'il précise qu'il avait été longuement à l'hôpital provoqua chez Joanne un pincement au coeur. Elle se doutait bien que ça ne devait pas être de tout repos pour lui, mais qu'il l'affirme en le disant rendait le tout encore plus réel. Beaucoup trop à fleur de peau à cause d'une fatigue qui se cumulait de jour en jour, des larmes venaient border les iris bleus de la jeune femme. Elle sourit, gêné. Mais tout ceci lui rappelait qu'elle n'avait pas été là. Mais maintenant qu'elle avait l'occasion de l'être pour Jamie, elle le serait autant que possible. Joanne était assez têtue et déterminée quand elle le voulait. Parfois même très bornée. Elle comprenait ce qu'elle disait, bien sûr. Ce n'était même forcément très facile à entendre dans la mesure où elle avait bien noté que c'était encore un sujet sensible pour lui. "On m'a déjà dit plus d'une fois depuis... Enfin on m'a déjà dit plusieurs fois que je ne prenais pas assez soin de moi, c'est un défaut qui a la peau dure." dit-elle après avoir essuyé une larme le long de sa joue. "C'est juste que... Je suis terrifiée à l'idée d'être toute seule. Je n'aurais pas voulu venir vers toi pour te parler pendant des heures de Jamie. Si je me permettais de... De prendre un bain par exemple, je sais que je n'en profiterai pas parce que je culpabiliserai d'une façon ou d'une autre. Que quelque part, je ne mérite pas vraiment de me détendre." Joanne avait si peu d'estime de soi qu'elle pensait ne pas mériter un répit, un peu de repos. "Et même si je vais mieux... Dans ma tête disons, je ne veux pas laisser d'opportunités à ces fichues idées de revenir." Et si le divorce n'avait pas eu lieu, elle savait qu'elle ressentirait la même chose, qu'elle aurait fait le même chose. Malgré la présence de Sophia, de ses parents, Joanne se sentirait incroyablement seule en rentrant à la maison, à savoir que lui n'était pas là. Cela laissait la porte grande ouverte à bon nombre d'angoisses. "Mais je veux bien essayer de faire un effort." dit-ell finalement avec un vague sourire, sachant très bien que le brun continuerait d'insister sur ce point. Joanne l'observait longuement. "Tu es bien trop gentil avec moi. Je ne suis pas certaine de le mériter." lui souffla-t-elle avec douceur. La jeune femme se trouvait particulièrement malhonnête, de lui cacher tant de choses encore. Les baisers, elle ne lui avait parlé d'aucun des deux baisers échangés avec Jamie, et les mots lui brûlaient les lèvres. Elle n'était pas sereine. Pas totalement. Mais elle avait alors abordé un sujet de conversation bien plus léger, en bien en dehors de tous ses tracas. "Cache un peu ta joie, je t'en prie." lui répondit-elle avec un peu d'amusement en voyant son manque d'enthousiasme à l'idée de devoir bientôt corriger des tas de copies. Joanne se souvenait parfaitement de ces moments là. C'était particulièrement chronophages, que de lire d'aussi longs commentaires et que de donner la note la plus adéquate. "Ca te laisse encore quelques jours pour y réfléchir quand même." dit-elle lorsqu'il parlait de trouver le sujet de ces examens. Le brun avait fini par lui proposer de prendre le petit-déjeuner avec lui. Sur le moment, Joanne se demandait s'il était judicieux d'accepter. Il comptait certainement la rassurer en précisant que son colocataire ne serait plus présent à cette heure-ci. "L'exposition ?" Joanne était tellement déconnectée de tout ce qu'il se passait à l'extérieur de l'hôpital depuis qu'elle y était arrivée. Loin de son travail aussi, c'est pourquoi il lui fallut de nombreuses secondes avant de voir à quoi il faisait allusion. "Ah oui, celle-là." dit-elle enfin avec un petit rire nerveux. Elle passait une main sur son visage, les yeux bien humides. "Je suis complètement à côté de la plaque." Sa main massait succinctement sa nuque. Entre temps, Hassan s'était levé et avait finalement donné sa veste la jeune femme. Elle l'accepta et la posait sur ses épaules "Merci beaucoup. Pour le petit déjeuner aussi, c'est gentil." Avant même de commencer à marcher, Joanne dit. "Ce genre de choses... Que l'on soit la personne qui l'a vécu ou celle qui assiste et qui en est plus ou moins témoin, on se met à se poser tout un tas de questions. Pas avec ces "et si", mais plutôt... On se rend compte qu'il n'y a pas le temps d'attendre, il n'y a pas le temps de tout court." Son regard était ailleurs. "Ca n'arrive pas que dans les films, ce genre de réflexions là. Sur ce qu'il se passe, sur ce qu'on est, ce qu'on a fait. Et je me sens particulièrement perdue au milieu de toutes ces questions, de ne plus savoir où j'en suis." Hassan était aussi très bien placé pour le savoir. "Je m'en veux de t'avoir laissé dans le brouillard si longtemps, de ne pas avoir été forcément très juste et honnête avec toi." souffla-t-elle. Elle ne l'était toujours pas d'ailleurs. Spike s'impatientait, il avait bien hâte de reprendre la marche. Les deux trentenaires reprenaient donc la marche. Le soleil était alors déjà bien levé, et Joanne en appréciait largement sa chaleur. "Ca me fait presque bizarre, de voir la lumière du jour sans que je n'ai à la regarder à travers une vitre." Joanne était constamment à l'intérieur de l'hôpital, elle ne se souciait guère du temps qu'il faisait. De ce fait, elle était très facilement éblouie par la moindre lueur, ses yeux prenant un certain temps à s'habituer à une telle luminosité. Le reste de la marche était assez silencieuse, Joanne avait l'esprit bien ailleurs, songeant déjà à cette nouvelle journée. Mais la promenade lui faisait le plus grand bien. Cela lui permettait de se dégourdir un peu les jambes. Piétiner dans les couloirs ou dans la chambre n'aidait pas vraiment à réveiller ses membres inférieurs correctement. "Tu sais... Rien que de t'entendre reparler de ce qui t'es arrivé, de ressentir ce que je ressens par rapport à ça alors que je n'étais même pas là, de voir que ça te touche toujours autant d'en parler... Je..." Joanne s'était perdue dans sa propre réflexion, ayant même oublié où elle voulait en venir. Elle secoua légèrement la tête, confuse, émue. "J'ai des idées vraiment... bêtes et dépourvus de sens qui finissent par me monter à la tête." confessa-t-elle. Oui, elle était épuisée. "Du genre, est-ce que chaque homme que j'aime va finir à l'hôpital avec quelque chose de grave ?" Hassan avec une leucémie, Jamie avec un infarctus du myocarde aggravé d'un arrêt cardiaque. "Ca c'est quelque chose qui m'est revenue, tu te rappelles, quand que je disais que j'étais sûrement toxique pour vous." dit-elle avec un sourire plus que désolé, même dépité, alors qu'ils arrivaient devant la maison. "Je sais que tu me diras que c'est faux." reprit-elle avec un sourire qu'elle lui fit malgré ses yeux bien humides. "Mais au vue de ce qu'il se passe, j'ai juste l'impression que ça se confirme, même si ça n'a pas de sens en soi." Elle rit, par pure nervosité. "Je suis fatiguée." Les mots et les pensées allaient et venaient sans cesse dans sa tête, révélant des choses qu'elle ne pensait jamais dire, réveillant des songes qu'elle pensait avoir oublié depuis longtemps. "C'est juste très perturbant, tout ça. Pour tout le monde, je suppose." La situation entière. Jamie, le fait qu'Hassan soit toujours là pour elle en ayant pleine connaissance des sentiments qu'elle avait pour chacun de ces deux hommes, qu'il veuille l'aider, la conversation dont aucun des deux hommes ne souhaitait révéler à Joanne. Le tout embrouillait l'esprit de la jeune femme, la fatigue et l'épuisement n'y aidant vraiment pas. Elle n'était pas sereine, elle avait maintes raisons de ne pas l'être. Tout comme elle pensait ne pas mériter d'entrer au chaud dans la maison du brun et d'être invitée à prendre un petit-déjeuner – certainement voulait-il s'assurer qu'elle mange quelque chose. Du moins, Joanne ne se sentait pas pleinement la bienvenue. Non, elle ne méritait décemment pas tant de bienveillance de sa part.
Bien qu’il n'en laisse rien paraître à mesure qu’elle se perdait en explications, Hassan se sentait abasourdi par la volonté de Joanne de toujours se rendre responsable de tout, y compris de ce sur quoi elle n’avait aucune prise. Et malgré lui une partie de lui continuait d’en blâmer Jamie, pour les mots qu'il avait eu à l’égard de Joanne et que cette dernière lui avait rapporté, la rendant responsable de tout, coupable de tout. « Mais je veux bien essayer de faire un effort. » avait-elle pourtant fini par lui assurer, le brun sachant que « essayer » ne voulait rien dire et que malgré sa volonté de lui mettre du plomb dans la tête elle continuerait d’agir en dépit du bon sens. « Tu es bien trop gentil avec moi. Je ne suis pas certaine de le mériter. » Parfois, comme à cet instant, Joanne lui donnait l’impression de redécouvrir des bouts de lui qu’elle avait pourtant eu en sa possession pendant une décennie toute entière. « Quelqu’un m'a dit qu’il fallait bien rester un peu fidèle à soi-même. » avait-il alors simplement répondu avec un léger sourire, se permettant de reprendre l'expression qu’elle avait elle-même utilisé quelques instants plus tôt. Laissant la blonde rebondir sur un sujet moins sensible, et gageant qu’elle devait probablement chercher une excuse pour penser à autre chose, il s’était docilement laissé questionner sur les banalités qui entouraient la fin de l’année scolaire et annonçaient un rush pour faire suite à la période de creux dans laquelle il était actuellement plongé. « Ça te laisse encore quelques jours pour y réfléchir quand même. » lui avait-elle assuré d’un ton compatissant alors qu’il faisait état de ses difficultés à se décider sur un sujet d'examen. Quelques jours c’était assez court pour le stresser plutôt que le rassurer, cela dit. « J’espère. J’ai pas trop la tête à ça en ce moment. » Les états d’âme de Sohan, la décision de Yasmine, ses relations tendues avec Qasim, l’état de Noah, l’indisponibilité de Joanne … Impossible d’avoir l’esprit tranquille. Et il s’en agaçait lui-même, il avait horreur de laisser ses soucis personnels avoir une influence quelconque sur son boulot.
Préférant ne pas s’attarder sur le sujet pour ne pas y donner encore plus de crédit, il avait fini par proposer à Joanne l’hospitalité d’un petit déjeuner et utilisé l’exposition dont elle lui avait tant parlé quelques semaines plus tôt comme excuse, si elle tenait absolument à maintenir la conversation dans du trivial pour ne pas penser au reste. À la manière dont elle avait répondu « L’exposition ? […] Ah oui, celle-là. Je suis complètement à côté de la plaque. » avec incrédulité il avait pourtant pu juger de sa fausse bonne idée et n’avait pas fait de seconde tentative, se contentant de lui tendre sa veste en la voyant presque se retenir de grelotter. « Merci beaucoup. Pour le petit déjeuner aussi, c’est gentil. » Et pas totalement dénué d’arrière-pensée, comme on s’en doute, tant elle semblait oublier de manger autant que de dormir. Se mettant tous les deux en route, Hassan n’avait plus rien dit en sentant bien que Joanne ne cherchait pas à éviter l'artificialité de la conversation, et écoutait d’une oreille distraite tandis qu’elle songeait à voix haute ; Elle regardait ailleurs, prouvant ainsi que ce n’était pas à lui qu’elle s'adressait. « Ce genre de choses … que l’on soit la personne qui l’a vécu ou celle qui assiste et qui en est plus ou moins témoin, on se met à se poser tout un tas de questions. Pas avec ces « et si », mais plutôt … On se rend compte qu’il n’y a plus le temps d’attendre, il n'y a pas le temps tout court. Ça n’arrive pas que dans les films, ce genre de réflexion là. Sur ce qu’il se passe, sur ce qu’on est, ce qu’on fait. Et je me sens particulièrement perdue au milieu de toutes ces questions, de ne plus savoir où j'en suis. » Les mains enfoncées dans les poches de son jean, Hassan n'avait rien dit. Quelque part il trouvait une certaine ironie au fait que ce soit Joanne qui se questionne et remette en cause le sens de son existence alors que, de ce triangle qu'elle avait crée, elle était celle à avoir vu la faucheuse de moins près. « Je m'en veux de t’avoir laissé dans le brouillard si longtemps, de ne pas avoir été forcément très juste et honnête avec toi. » Prenant une inspiration plus longue et résolue que les autres, le professeur avait laissé son regard vagabonder devant lui d’un air songeur « Je me suis souvent demandé si c’était une sorte de … pénitence, par laquelle tu voulais me faire passer. Pour me donner une leçon, je ne sais pas. » Comme si ces trois années d'errance n’avaient pas été suffisantes à laver l’affront qu'il lui avait fait en la quittant. Fataliste, il avait haussé doucement les épaules, les yeux glissant furtivement vers elle avant de se poser sur Spike. « Mais c’était mérité, je suppose. » Il avait presque fini par s'en convaincre, à force, et ce même alors qu'il continuait de penser que son cancer aurait achevé leur mariage plus violemment que le divorce ne l’avait fait. Il espérait simplement que la punition avait assez duré, qu’à propos de cela aussi elle avait eu le temps de songer. « Ça me fait presque bizarre, de voir la lumière du jour sans que je n'ai à la regarder à travers une vitre. » Donnant un coup de pied machinal dans un caillou sur sa route, il avait esquissé un vague sourire, et pas osé dire à voix haute ce qui lui était venu en tête. Imagine quand on n’a pas senti le soleil sur sa peau pendant des semaines.
Leurs pas les ayant finalement menés hors du parc, le brun avait ouvert la marche vers un raccourci qui longeait la voie ferrée et amenait plus directement à chez lui. Plus jeune il se souvenait l'avoir emprunté en cachette avec Sohan à de nombreuses reprises pour ne pas rentrer chez eux en retard. « Tu sais … » avait fini par reprendre Joanne avec hésitation « Rien que de t’entendre reparler de ce qui t’es arrivé, de ressentir ce que je ressens par rapport à ça alors que je n’étais même pas là, de voir que ça te touche toujours autant d’en parler … Je … J’ai des idées vraiment … bêtes et dépourvues de sens qui me montent à la tête. Du genre, est-ce que chaque homme que j’aime va finir à l’hôpital avec quelque chose de grave ? » Malgré sa volonté de l’interrompre pour mettre fin à ce cheminement d’idées douteux, il s’était mordu la langue pour se réduire au silence et la laisser aller au bout de ce qu’elle avait à dire. « Ça c'est quelque chose qui m'est revenu, tu te rappelles, quand je disais que j’étais sûrement toxique pour vous. Je sais que tu me diras que c'est faux. Mais aux vues de ce qu’il se passe, j’ai juste l’impression que ça se confirme, même si ça n’a pas de sens en soi. » Un rire nerveux lui échappant, la blonde avait secoué la tête « Je suis fatiguée. C’est juste très perturbant, tout ça. Pour tout le monde, je suppose. » Probablement, oui. Gardant le silence quelques secondes, comme s’il cherchait ses mots et tentait de vaincre sa propre hésitation, il avait commencé par dire « Je pense qu’il faut accepter que toutes les choses ne sont pas forcément explicables … Et ça me coûte de l’admettre, tu connais mon avis concernant le hasard. » Hassan n’y croyait pas, au hasard, il croyait au karma, et au fait que rien n’arrivait jamais sans raison. « Mais il y a des choses qu’on ne peut pas expliquer. Qu’on ne peut pas empêcher. Des choses qui nous dépassent. » Fatalisme ? Sagesse. « Et pour ce que ça vaut … J’ai découvert pas mal de choses que j’ignorais à propos de ma famille, ces derniers mois. Dont le fait que j’ai eu une tante, qui a eu le même type de cancer que le mien. » À elle cela donnerait probablement l’impression de sortir de nulle part, Hassan ne s’était jusqu’alors jamais connu d’autre famille que son frère … Mais à vrai dire à lui aussi, cela semblait toujours sortir de nulle part, et les mensonges de Qasim n’aidaient en rien. « Alors tu vois, ça n’a rien à voir avec toi. J’ai juste … pas eu de chance à la loterie génétique. Entre autres. » Ça semblait tellement trivial, dit comme ça, on peinait à imaginer que quelque chose d’aussi simple à énoncer puisse avoir causé tant de dégâts dans son existence et dans l’estime qu’il avait de lui-même. Ayant atteint la rue dans laquelle vivait Hassan, ce dernier avait détaché la laisse de Spike pour le laisser gambader à sa guise sur les derniers mètres et observait l’animal d’un air amusé. « C’est pas tant que c’est difficile d’en parler, tu sais … » Ralentissant le pas, il avait observé Joanne à nouveau « Enfin, c’est pas de bons souvenirs, ça c’est certain, mais … J’ai juste pas encore trouvé le bon ton pour l’évoquer, je crois. Au début je me suis beaucoup forcé à en parler avec détachement, mais Qasim prenait ça pour de la désinvolture et l’encaissait assez mal. L’ennui c’est que y’a que comme ça que je réussis à revenir sur tout ça, sinon ça donne … Ce que tu as entendu. » La voix qui tremblait, la gorge qui se serrait, et l’épiderme qui semblait presque ressentir à nouveau tout ce qu’il y avait eu de mauvais à ressentir à l’époque, tant physiquement que dans sa tête. En parler avec détachement c’était ne pas trop s’impliquer émotionnellement dans ses propres souvenirs, c’était plus facile, mais extérieurement cela donnait l’impression qu’il ne saisissait pas la gravité de ce qui lui était arrivé. « Et puis tu m’as jamais vraiment questionné à ce sujet, alors … je sais pas, je me suis toujours dit que tu n’avais pas envie d’en entendre parler. » Et parfois cela lui pesait de n'avoir personne à qui parler de ce qui pouvait encore le faire douter à ce sujet, les Khadji faisaient la sourde oreille au même titre que Qasim en pensant peut-être qu'à éviter d'en parler il finirait par ne jamais avoir existé, et parler à un psy ne valait pas de pouvoir en parler à quelqu'un de confiance.
Etre fidèle à soi-même. Etre honnête à soi-même. Joanne avait les paroles de Ginny qui tourbillonnaient dans sa tête. Elle sourit légèrement lorsque son ex-mari ne fit que reprendre les propos qu'elle avait tenu un peu plus tôt. Oui, il y avait des choses qui ne changeaient apparemment pas, même avec le temps, même avec les récents événements. Il n'empêchait qu'elle pensait toujours qu'elle ne méritait certainement pas une telle attention de sa part. Hassan semblait avoir également ses propres préoccupations, mais Joanne n'osait pas vraiment le lui demander. Elle savait, au fond, qu'elle en faisait partie parce qu'elle était loin d'avoir eu un comportement exemploir avec lui durant les dernières semaines. Elle se sentait coupable pour beaucoup de choses et le lui demandait était pour elle comme si elle tenait le couteau qui était remué dans la plaie. De plus, la fatigue ne l'aidait pas vraiment à avoir les idées claires. Tout s'embrumait, tout était flou, rien n'était clair. Si bien qu'elle ne se rappelait même plus lui avoir parlé d'une exposition récemment. Joanne était évasive, elle n'avait pas vraiment la tête au small talk, car cela ne lui semblait absolument pas naturel. Non, Joanne était bien trop occupée à être rongée par ses réflexions et sa culpabilité pour pouvoir se concentrer sur quoi que ce soit d'autres. Le brun pensait que de l'avoir laissé ainsi dans le flou était pour elle un moyen de lui faire payer le divorce. Elle n'avait jamais vu les choses de cette façon-là. Elle ne les voyait toujours pas ainsi. Qu'il était toujours surprenant de voir que certains actes pouvaient être interprétés de bien des manières différentes. Cela poussait à la réflexion, et c'était dans quoi elle s'était plongée et pourquoi elle n'avait pas rebondi sur ses propos. Marcher était agréable, même si l'air était encore assez frais. Mais mettre un pied un devant l'autre la rendait aussi bien songeuse, et, étrangement, elle semblait encline à partager ses pensées, bien que son discours était particulièrement brouillon. Joanne savait que son ex-mari n'était pas un fervent croyant du hasard, mais il faisait pourtant là une entorse au règlement. Joanne peinait à dissimuler sa surprise. Car elle non plus n'avait jamais cru au hasard, et c'était une chose qu'il savait très bien également, mais elle n'admettrait jamais qu'il y ait quelque chose d'inexplicable dans cette histoire. "Ca s'explique. C'est le destin." se permit-elle de dire entre deux phrases énoncés par Hassan. Le destin, cette chose que les scientifiques ne croyaient pas, parce que trop absurde, parce que c'était inexplicable pour eux. Aux yeux de la jeune femme, on avait un chemin tout tracé. Que si les choses devaient être ainsi, c'était qu'il fallait qu'elles le soient. Hassan se confiait désormais sur son famille, sur son cancer. Sujet qu'il n'avait jamais, ou que très peu, abordé avec la petite blonde. Mais voilà qu'il révélait qu'il y avait des prédispositions génétiques à ce qu'il avait. eu. "Tu ne m'as jamais dit, ce que c'était comme cancer." souffla-t-elle finalement, résignée. "Pourquoi tu ne me l'as jamais dit, ce que c'était exactement ?" demanda-t-elle, sans la moindre accusation ou le moindre reproche dans le timbre de sa voix. Elle voulait juste comprendre. Joanne ne comptait pas lui forcer la main pour qu'il le lui dise. Elle supposait que ce n'était pas un sujet facile à aborder pour lui. Tout comme elle n'aimait pas trop s'étendre sur ses fausses couches, cela lui faisait plus de mal qu'autre chose. Elle pensait que c'était pareil pour le brun. Joanne l'écoutait avec attention, relevant de temps en temps les yeux vers lui. Il voulait la dédouaner de ce dont elle se sentait coupable. Leur pas s'était ralenti, et ils avaient fini par s'arrêter, Spike gambadant toujours aux alentours, sans trop s'éloigner. "Je ne me voyais pas t'harasser de questions à ce sujet. Je suppose que bien d'autres l'ont déjà fait avant même que je ne commence à y songer." finit-elle par dire. "Je pense pas que c'est le genre de sujets qui est facile d'évoquer si on tente un forcing pour en savoir plus. Enfin, je pense que si moi on n'arrêtait pas de me questionner sur ce... qui a pu m'arriver après le divorce, par exemple, je pense que je finirai par me braquer." Elle haussa les épaules. "J'ai toujours pensé que tu m'en parlerais quand tu te serais senti prêt, ou à nouveau en confiance, je n'en sais rien." dit-elle avec un sourire triste. Durant leur vie en couple, Joanne avait toujours été une excellente oreille, ils se confiaient énormément l'un l'autre, à l'époque. C'était quelque chose qui semblait s'être perdu au cours des dernières années, bien malheureusement. "Je pense que j'aurais été capable de te comprendre, qu'importe la manière dont tu aurais voulu en parler. Je suppose qu'il n'y a pas de bon ton pour discuter de ce genre de choses. D'une maladie, de quelque chose de grave qui a pu se passer. Chacun a sa propre façon de l'exprimer, et c'est quelque chose qu'on ne devrait pas juger comme ça." Elle n'aurait pas été comme Qasim, elle n'aurait pas mal interprété ses propos ou le ton qu'il aurait employé. "Tu n'en as pas voulu m'en parler en premier lieu, pour des raisons évidentes." Au moment où il avait préféré se séparer d'elle. Le ton qu'elle employait ne s'assimilait absolument pas à un reproche. C'était juste un fait, une constatation. "C'est quelque chose que je n'arrive toujours pas à me pardonner, tu sais." lui avoua-t-elle, les yeux bien bas. "Je sais que tu as certainement tout fait pour me le cacher, pour me faire croire qu'il n'y avait rien. Mais on a été ensemble pendant dix ans, et j'aurais du le voir. Même le truc le plus discret, le plus anodin, j'aurais du le remarque, j'aurais du le voir." La voix tremblante de Joanne laissait comprendre qu'elle remettait en causes ses capacités à avoir été ou non une bonne compagne, une bonne épouse. Pour elle, c'était son rôle de deviner que quelque chose n'allait pas et d'ensuite faire tout son possible pour résoudre le problème, ou le rendre moins difficile. "Je sais très bien pourquoi tu as préféré divorcer, je le comprends. Et je sais que tu m'as pardonnée de ne pas avoir cherché à comprendre, de ne pas avoir compliqué les choses à l'époque." Elle regardait désormais dans le vide. "Mais je suis incapable de me le pardonner. Et il y a toujours ce poids, je pensais qu'en continuant de te voir, en voyant ce que ça peut donner, je finirais par me dire que c'est du passé. Mais je n'y arrive pas." Elle secoua négativement la tête, les épaules bien basses en marquant une longue pause. "A la place, je me dis que je ne suis pas digne de tout ce que tu es prêt à donner, qu'en contrepartie, j'ai l'impression de ne que te tirer vers le bas." Et ce n'était certainement pas qu'une impression. "Je n'arrive pas à avancer." Elle mettait de côté Jamie, ce qu'il s'était passé avec lui. Joanne ignorait ce qu'ils allaient devenir et sur le moment, ce n'était pas la question pour l'instant. Elle reviendrait à ce sujet plus tard. Joanne savait qu'elle pouvait tout perdre dans les jours à venir, mais elle se disait que c'était un sacrifice qui pourrait apporter aux autres. Il fallait que tout soit mis à plat désormais. Il n'y avait plus de place, ni de temps pour les incertitudes. Non, pour le moment, elle ne se concentrait que sur Hassan et elle, sur son ressenti par rapport à lui, sur ses remords et ses regrets. Et malgré les souvenirs, malgré l'affection qu'elle pouvait ressentir pour lui, elle ne lui était d'aucun bénéfice. Depuis qu'ils se revoyaient, elle ne lui avait jamais apporté quoi que ce soit de bon. Elle avait puisé dans ses ressources, comme une sangsue, quand elle avait besoin de se confier sans jamais lui rendre quoi que ce soit en retour. C'était injuste, elle s'en voulait énormément. Et elle n'arrangeait rien en le faisant attendre ou en évitant chaque potentiel pas en avant dans leur tentative de renouer. "Et à cause de moi, je t'empêche d'avancer aussi." finit-elle par dire en relevant les yeux vers lui. "Et ce n'est pas ce que je veux pour toi. Ce n'est pas juste, je ne suis pas juste envers toi." On pouvait deviner dans le ton de sa voix que c'était très difficile pour elle d'énoncer ces mots, de les reconnaître. "Je ne veux plus laisser qui que ce soit dans le brouillard, Hassan. Toi, encore moins. Et je reste convaincue que je suis responsable de beaucoup de choses que tu dois ressentir ou que tu as pu vivre jusqu'ici, et c'est insupportable. J'enlise tous ceux qui m'approchent, ce sera le cas quand je n'aurai pas régler tout ce qui peut me hanter. Et ce n'est pas ce que je veux pour toi. Je veux que tu puisses reprendre ta vie, sourire à nouveau, être heureux et épanoui. Mais je ne suis plus la personne qui puisse t'apporter tout ça." Une larme avait effectué un parcours linéaire sur l'une de ses joues pâles. Joanne ne voulait plus le faire attendre, elle ne voulait plus le laisser dans le flou, dans l'incertitude, dans ses incertitudes à elle. Il n'avait jamais mérité un si mauvais traitement, et Joanne regrettait amèrement toutes ses erreurs. Elle était le centre du problème et sa série de choix avait emmené bien trop de monde dans sa chute.
C’était un peu paradoxal quand on savait de quoi avait été pavée la vie d’Hassan, qu’il soit si persuadé que les choses n'arrivaient jamais par hasard. Que chaque chose qui se produisait avait toujours son but, son explication, même lorsque cela ressemblait à l’injustice la plus totale ; La mort de ses parents, sa maladie, sa guérison, l’échec à sa tentative de suicide. C’était comme si l'univers tentait de lui dire quelque chose, de lui faire comprendre qu’il y avait une raison, un tout petit détail quelque part à un moment de sa vie, où une action ou un mot de sa part engendrerait le début d’un effet papillon qui ne le concernerait peut-être même pas mais pour lequel son concours aurait été nécessaire. Joanne, elle, semblait partager un avis plus contemplatif sur la question « Ça s’explique. C'est le destin. » avait-elle affirmé, et réceptionnant la phrase avec lourdeur Hassan n'avait su que répondre avec mélancolie « Tu penses aussi que c’était mon destin, de tomber malade ? » Est-ce que c’était présomptueux, de penser qu’il aurait mérité mieux que ça ? Elle ne valait rien, la logique de ceux qui philosophaient sur l’idée que les épreuves rendaient plus fort, foutaises. Hassan ne se sentait pas plus fort, pas plus sage, seulement plus fataliste et plus détruit qu’il n’aurait pensé l’être un jour. Est-ce que c’était ça, la justice ? Alors peut-être que cela l'aidait juste à rationnaliser, dans un sens, l’idée que tout ça ne soit qu’un enchaînement de hasards génétiques, qui à intervalles réguliers distillaient leurs mauvais présages à certains branches de l’arbre généalogique où ils avaient tissé leur toile. « Tu ne m’as jamais dit, ce que c’était comme cancer. » Les mains vissées dans ses poches, il avait relevé la tête « Pourquoi tu ne me l’as jamais dit, ce que c’était exactement ? » La question ressemblait à un énième reproche, abattant une dose de résignation supplémentaire sur les épaules du brun dont Joanne attendait visiblement qu’il devine seul ce qu'elle voulait entendre ou non, tout en gardant à la fois une distance réglementaire qu’elle avait elle-même imposée. « Tu ne me l'as jamais demandé. » À nouveau il avait baissé la tête, tristement. Et lui n’avait jamais vu de moment où épiloguer à ce sujet, souvent pris dans l'engrenage des soucis de Joanne qu’il avait voulu préserver, prioriser, remettant les siens à plus tard. « Un cancer du sang. Une leucémie, si tu préfères. Mais cancer ça sonne moins alarmiste. » C’était comme ça qu’il avait toujours ressenti les choses, en tout cas, et comme ça qu’il les avait aussi vues dans les yeux de Qasim, des Khadji. Cancer sonnait comme maladie, leucémie comme mort assurée, dans leurs esprits absolument pas habitués à la Maladie avec un grand M, et à cet instant encore la chair de poule s’était invitée sur ses avant-bras quand le mot avait quitté sa bouche. « Une belle saloperie, peu importe le nom qu'on lui donne. » avait-il finalement conclu, l’amertume palpable dans la voix mais le sourire de façade pour tenter de faire illusion. De faire croire que ça ne continuait pas de le hanter chaque fois qu’un bleu colorait sa peau sans qu'il ne l’explique, que la fatigue faisait saigner son nez, que les palpitations s'invitaient sans crier gare.
Spike déjà devant la porte, la langue pendante et demandeuse d’une gamelle d'eau fraîche, maître et invitée avançaient à leur rythme derrière, Hassan trouvant enfin le courage suffisant pour évoquer ce qu’il gardait généralement pour lui, comme un sujet tabou que les autres avaient créé pour lui en évitant volontairement l’éléphant dans la pièce. Joanne pas plus que les autres, mais pas moins non plus, laissant au brun l’impression amère qu’elle n’avait que peu faire de ce à quoi avait ressemblé sa vie, sans elle. « Je ne me voyais pas t’harasser de questions à ce sujet. Je suppose que bien d'autres l’ont déjà fait avant même que je ne commence à y songer. » s’était-elle justifiée, sans s’imaginer sans doute que non, personne n’avait questionné, personne n'avait gratté la surface. Par désintérêt, par pudeur, Hassan incapable de savoir mais distinguant l’acidité de la petite voix dans un coin de son crâne, celle qui était rarement de bon conseil, mais qui penchait pour un désintérêt pur et simple. « [...] J'ai toujours pensé que tu m’en parlerais quand tu te serais senti prêt, ou à nouveau en confiance, je n'en sais rien. » continuait-elle tandis qu’il saisissait des brides de son flot de paroles, les pas le guidant jusqu’au pas de sa porte, les pieds chaque pas plus lourds qu’une chape de plomb. « [..] Mais tu n’as pas voulu m'en parler en premier lieu, pour des raisons évidentes. » Et c’était toujours la même chose, la même excuse, toujours de sa faute en somme. Elle parvenait encore à se dédouaner de son propre désintérêt en se cachant derrière leur divorce, comme un affront qu’elle brandissait chaque fois que sa responsabilité s’engageait, et Hassan en était simplement las. « J’ai essayé. » Mais chaque fois lui avaient été opposées des larmes, des questions plus importantes, d’autres états d’âme que les siens qu’il avait dû brosser dans le sens du poil parce qu’il s’en était senti le devoir, l’obligation. Parce qu’il devait se racheter, se faire pardonner, être patient. Et ce n’était pas encore assez, ce n’était jamais assez. Et l’amertume à nouveau brouillait son regard et abaissait ses épaules tandis qu’il entrait le premier, laissait Joanne suivre et abandonnait laisse et trousseau de clefs dans le vide-poches de l’entrée. « C’est quelque chose que je n'arrive toujours pas à me pardonner, tu sais. Je sais que tu as certainement tout fait pour me le cacher, pour me faire croire qu’il n’y avait rien. Mais on a été ensemble pendant dix ans, et j'aurais dû le voir. Même le truc le plus discret, le plus anodin, j’aurais dû le voir. […] » La discussion semblait avoir cent ans, revenir toujours à son point de départ, le disque rayé de ce qu’elle aurait dû ou n'aurait pas dû, de ce qu’il aurait pu ou n’aurait pas pu. Et à quoi bon. Elle égrenait un discours rôdé parce que maintes fois répété, usé, et elle attendait inlassablement qu’il la contredise et démonte ses arguments pour se sentir rassurée ; Un autre jour il l’aurait fait, sans broncher. Aujourd’hui il n’avait pas le courage, et pas envie de rejouer une énième fois la même partition. « Je n’arrive pas à avancer. » Et ils en revenaient toujours à elle, tristement. Elle analysait, subissait, décidait, et tout n’était que fruit et conséquences de ce qui se tramait dans sa tête à elle, sans que jamais ce qui se tramait dans celle du brun n’obtienne gain de cause. Les pas, qui les avaient menés jusqu’à la cuisine où Spike avait retrouvé la fraîcheur du carrelage après s’être jeté sur sa gamelle d’eau, semblaient résonner du silence qu’Hassan avait gardé face aux paroles de Joanne.
Fallait-il vraiment que ce soit aujourd’hui, cette conversation, fallait-il vraiment que la blonde se sente de tout lui jeter en pâture dans la douceur de ce matin-là, qui s’en allait pourtant vers la grisaille d’un jour qu’ils passeraient l’un et l’autre à arpenter les couloirs d’un hôpital, elle en remerciant cette fatalité qu’elle appelait Destin, et lui en priant des Dieux qui ne l’avaient jamais écouté mais qui peut-être, peut-être seraient plus cléments avec l’âme innocente d’un Noah dont l’existence ne tenait plus qu’au minuscule fil auquel s'accrochait sa mère. « Et à cause de moi, je t’empêche d’avancer aussi. Et ce n'est pas ce que je veux pour toi. Ce n'est pas juste, je ne suis pas juste envers toi. » Il avait froid, désormais, des bras nus qui manquaient la veste qu’il avait laissé à la blonde. À moins qu’il n’ait froid d’autre chose, tandis que la litanie continuait « Je ne veux plus laisser qui que ce soit dans le brouillard, Hassan. Toi, encore moins. Et je reste convaincue que je suis responsable de beaucoup de choses que tu dois ressentir ou que tu as pu vivre jusqu’ici, et c'est insupportable. J’enlise tous ceux qui m’approchent, ce sera le cas tant que je n’aurai pas réglé tout ce qui peut me hanter. Et ce n'est pas ce que je veux pour toi. Je veux que tu puisses reprendre ta vie, sourire à nouveau, être heureux et épanoui. Mais je ne suis plus la personne qui puisse t’apporter tout ça. » Il ne savait pas bien combien de temps il était resté là, à la regarder, essayant de chercher après une trace de la femme qu’il avait épousé bien des années en arrière et qui semblait s’effriter chaque seconde pour dévoiler un visage qu’il aurait voulu ne jamais lui associer. Le visage de l’égoïsme inconscient qui l’avait enchaîné à elle, durant les mois qu’il lui avait fallu pour s’appuyer sur quelqu’un de naïf en attendant d'accomplir son propre dessein, dont il ne faisait pas partie. Dont il n’avait jamais fait partie. Dont elle n'avait jamais voulu qu’il fasse partie. Et la remarque de quitter ses lèvres avec amertume « Et cette prise de conscience n’a aucun rapport avec le fait que tu passes nuits et jours au chevet de celui par lequel tu m'as déjà remplacé une fois. Bien sûr. » Fallait-il encore qu’elle ne lui trouve même pas le mérite suffisant pour ce degré d’honnêteté, non plus. C’était ça qui faisait le plus mal au fond, qu’elle ne le voit plus digne de rien ; D’être celui qu’on aimait, soit. Mais celui qu’on respectait, qu’on prenait en confiance, celui qu’on pouvait voir comme un allié, comme un ami, quelqu’un qui méritait, qui valait le coup. Non plus. « Je voulais rien de plus qu’une place dans ton existence, tu sais. Peut-être pas celle que j'ai eu un jour, peut-être pas non plus celle que j’aurais espéré … juste une place. Un ami, un allié, je ne sais pas. » Celui qu’il s’était efforcé d’être durant ces heures interminables dans la salle d’attente des urgences, s'il fallait citer en exemple. Mais il semblait risible maintenant, ce mot, ami, qu'elle avait prononcé l'année précédente en l’y laissant croire mais sans rien en penser. Elle se ménageait une sortie entière et définitive de son existence, sans se donner la peine de rester quoi que ce soit vis-à-vis de lui. « Mais t'as préféré me filer le rôle du méchant. Parce qu'il t’en fallait un. Et que moi je ne t'ai pas frappée ou menacée de mort, non, j'ai fait pire, j’ai osé te laisser. J’ai osé divorcer. Et t’as réussi … t’as finis par me persuader que c’était moi la vraie menace. Pour toi, pour ton fils. Tu m'as fait prendre la place du danger face auquel on recule, littéralement, et moi je t’ai laissé faire, parce que j'ai cru que je réussirais à te prouver que voulais pas de mal … Mais fallait que je reste à ma place. Que je garde mon rôle de méchant, dans le conte que tu t'étais imaginé. » Où Joanne, en blanche colombe, ne vivait que dans l’attente d’un chevalier qui saccageait tout sur son passage mais à qui on pardonnait, parce que son armure était rutilante et que la blonde préférait les jolies dorures aux esprits cabossés par ses propres actions.
Il était amer, Hassan, pas tant parce que la femme qu'il aimait ne l’aimait plus, mais parce qu’elle avait sans relâche alimenté chez lui l'espoir qu’il restait encore quelqu’un ou quelque chose à ses yeux. Pour qu'il reste docile et présent, aussi longtemps qu’elle avait eu besoin d'un filet de sécurité dont elle se défaisait aujourd’hui, satisfaite d’avoir récupéré la seule chose dont elle se soit jamais réellement soucié. « Est-ce que tu en as seulement pensé un seul mot, quand tu m'as dit que tu m’aimais ? » Là, dans ce même salon, devant ce même canapé, presque un an auparavant. « Ou est-ce que tu aimais simplement l'idée d’avoir un plan B, si ton plan A devait ne pas revenir ? » Il avait déjà la réponse à cette question, il en était persuadé. Et elle faisait mal, elle faisait tellement mal. « J'aurais pu être un allié. J'aurais vraiment pu. Et j’espère qu'un jour tu le réaliseras, que celui que tu as épousé y’a huit ans n’aurais jamais été une menace pour toi, pour personne. » Mais il faisait meilleur temps être un fiancé violent qu’un époux malade, aux yeux de la blonde. Ironie, fatalité. « Et peut-être qu’à force j’arriverai à défaire ce que tu as fait, et à admettre que je valais mieux que ça. Peut-être que là j’arriverai à sourire et à être heureux. » Ça aurait pu être tellement plus simple, pourtant. La tête baissant à l’instant où la larme qui perlait à son œil était venue rouler sur sa joue, le brun avait rebroussé chemin sans un mot, récupéré le trousseau de clefs dans le vide-poches mais laissé la laisse là où il l’avait abandonnée. « Tu sais où sont rangées les affaires pour déjeuner. » C’était elle qui l’avait rangée la première cette cuisine, malgré tout. « À mon retour je préfèrerais que tu sois partie. » La porte, la sortie, la moto. Rideau. Fallait qu’il fasse le deuil de tout ce qu’ils avaient été et de tout ce qu’ils ne seraient jamais, maintenant, et c’était bien la seule chose dans ce cataclysme actuel pour laquelle il n’aurait pas besoin d’elle.
"Je l'ignore." lui répondit-elle dans un souffle, désolé. Elle n'expliquait pas pourquoi Hassan était tombé malade, parce qu'il ne méritait certainement pas un tel châtiment. De longs mois de souffrance avec une thérapie tout aussi violente que l'annonce du cancer qui l'avait frappé. D'ailleurs, Joanne n'en avait jamais su les détails, ce que c'était exactement. Au fond, elle s'était certainement dit qu'il s'agissait d'un cancer au niveau des poumons, parce qu'elle n'avait connu que ça. Son grand-père en avait eu un, elle avait supposé qu'Hassan devait avoir le même type de tumeur. Elle ne s'y connaissait absolument pas en la matière. "Je n'ai jamais osé te le demander, je me disais que c'était peut-être encore un sujet trop difficile pour toi." Il suffisait de voir l'amertume qu'il avait rien qu'en prononçant le mot qui définissait sa maladie, qu'importe le sourire qu'il esquissait. Joanne estimait le connaître suffisamment pour percevoir ce genre de détails. Un mot effrayant, et incroyablement macabre. Joanne comprenait alors pourquoi le brun n'avait jamais alors précisé ce dont il s'agissait ; c'était un mot qui faisait peur, la leucémie. Hassan avait essayé d'en parler, certainement, mais sans s'en rendre compte, Joanne avait pris le monopole de tous ses soucis et elle n'avait que très peu laissé de place aux pensées d'Hassan, et ce, depuis qu'ils s'étaient retrouvés. Ce n'était à ses yeux qu'une preuve supplémentaire qu'il fallait certainement arrêter de se voiler la face. Alors elle avait essayé. Elle avait tenté de s'expliquer, de trouver le bon mot pour chacune de ses pensées, faire en sorte qu'elles soient traduits avec la même exactitude. Elle s'était rabaissée au possible, elle admettait ses torts, ses innombrables défauts, tout ce qu'elle ne se pardonnait pas. Joanne ne voulait pas de sa pitié, elle avait bien conscience qu'elle finirait par avoir en face d'elle un Hassan fou de rage, et profondément triste aussi. Mais il fallait qu'elle le laisse partir, parce que rester dans la vie de la petite blonde était pour le moment synonyme d'incertitude, avec une jeune femme qui ne parvenait pas à faire la part des choses. Il y avait ce tout qu'elle n'arrivait absolument pas à gérer. C'était la première fois qu'il la regardait de cette façon là. Joanne ne voulait ni baisser la tête, encore moins le défier du regard. Simplement accepter toute cette rancoeur, accepter certaines vérités, en partager d'autres. Nier n'était plus une solution à ses yeux. "Si, ça a un rapport." admit-elle, dans le plus grand calme. "On peut partir du jour au lendemain. Tu en es la preuve vivante, Jamie aussi maintenant. Et j'ai compris qu'il n'y avait plus le temps pour laisser en suspend, laisser tout le monde dans le doute le temps que je trouve une issue convenable." Parce que pour Joanne, à cet instant, il n'y en avait pas. C'était un tout ou rien à ses yeux, il ne pouvait pas exister de juste milieu. Hassan voulait tout simplement faire à nouveau partie de la vie de la petite blonde. Il avait des espérances, mais ne demandait pas à ce qu'elle y réponde comme lui l'entendait. "C'est difficile pour moi, de faire la part des choses." admit-elle en croisant les bras, le regard bas pendant un court instant. "Je pensais pouvoir y arriver, en me laissant du temps, mais c'est extrêmement compliqué pour moi de me dire, mon ex-mari, la personne avec qui j'ai vécu dix merveilleuses années, est maintenant un ami." Selon elle, il ne pouvait pas être juste un ami. Ils avaient une décennie en commun, toute une relation amoureuse derrière eux, avec une fin qu'ils ne s'étaient jamais souhaités. Alors reprendre une amitié lui semblait ardu. "Mais je n'ai jamais été contre, au contraire, j'adorerais." Mais elle craignait que chaque contact soit compris différemment, que certains mots soient entendus d'une bien autre oreille. Elle ne reprochait pas à Hassan d'être si tactile, loin de là. Seulement, n'importe quel détail ramènerait bien trop aisément des éléments de leur vie passée. Tout comme Joanne serait incapable d'avoir une simple relation amicale avec Jamie. Cela lui semblait inconcevable. Hassan crevait alors l'abcès, d'une amertume sans pareille. Ca touchait énormément Joanne, mais aussi, ça la braquait de façon plutôt inattendue. "Tu as osé m'éloigner de toi au moment où tu en avais le plus besoin." répliqua-t-elle sèchement, laissant parler des pensées qu'elle avait gardé pour elle depuis bien trop longtemps. "J'ai compris ta démarche, Hassan, crois-moi, je sais que tout est parti d'une bonne intention, que c'était un sacrifice. Ca, je l'ai bien compris. Oui, tu as osé me laisser, alors que si j'avais eu le choix, j'aurais mille fois préféré avoir été à tes côtés, je n'en aurais eu rien à faire de ma santé et je m'en serais bien fichue parce qu'au fond, je savais que ma place, c'était avec toi, à côté de ce lit, qu'importe l'état dans lequel tu étais. Peut-être que ça aurait été dur pour moi, peut-être que j'en aurais laissé des plumes, mais c'était mon rôle. Mon rôle en tant qu'épouse de te soutenir même dans la pire des situations, même si nous avions connaissance de l'issue. J'aurais tout fait pour rendre tes derniers mois, si ça avait été le cas, les plus beaux qui soient en dépit de la situation. J'aurais tout fait. Et tu m'as retirée ce privilège là, parce que j'aurais été prête à tout. Même si c'était ton but, ton intention, que ça partait d'un bon sentiment, que c'était pour toi ton dernier geste d'amour, moi, de mon côté, d'avoir été absente durant un tel moment de ta vie, une telle épreuve, c'est quelque chose que je ne me pardonnerai jamais. C'est un poids qui ne quittera jamais mes épaules, Hassan." dit-elle sans trop prendre le temps de respirer. Oh oui, Joanne lui en voulait, mais elle s'en voulait avant tout à elle-même. Jamie avait tenté de creuser cette face là, il y a bien longtemps, et avait pu à l'époque entrapercevoir cette rancoeur que Joanne avait ensuite préféré taire. C'était son rôle d'épouse, son devoir, qu'elle aurait respecté et tenu à la lettre. Elle aurait du deviner que ça n'allait pas, elle aurait du être là à l'annonce du diagnostic, elle aurait du être à son chevet chaque jour dès le premier jour de son hospitalisation. La petite blonde était extrêmement bornée de ce côté là, très psychorigide sur ce sujet. Et cela avait engendré un mal-être en Joanne dès qu'Hassan lui avait dit la vérité. A l'époque, si elle avait eu le choix, elle aurait préféré être veuve plutôt que divorcée, sa réponse aurait été sans appel. Oui, elle comprenait sa démarche. Peut-être que leur mariage aurait été ruiné, peut-être que l'issue de cette épreuve aurait été également un divorce, mais Joanne était persuadée que si ça avait été le cas, cela aurait été sur un accord commun, sans secrets à garder, sans personne à vouloir protéger. Bien que Jamie n'était pas totalement pour non plus, il la laissait rester auprès de lui. Et même si elle ne faisait pas grand chose, sa simple présence le rassurait et rendait ses journées moins pénibles et moins longues. "C'est comme si tu avais rayé d'un seul trait toutes nos promesses de mariage. Toute ma famille avait cette lubie de vouloir me protéger de ce monde si méchant, si difficile, et tu as fini par faire la même chose." Des larmes avaient coulé le long de ses joues, c'était autant de colère que de tristesse. "J'aurais voulu être là, Hassan. Qu'importe le conte que j'imagine, que je veux bien entendre." dit-elle d'un ton plus calme, bien qu'elle n'avait pas tant élevé la voix que ça auparavant. "Et je ne te vois pas comme le méchant, loin de là. Je ne me le permettrai jamais. Tu as été là pour moi même dans mes pires moments de détresse, et je t'en suis extrêmement reconnaissante." Joanne aurait voulu être là durant ses pires moments à lui. "Et je n'aimerais pas que tu attribues ce rôle là à Jamie non plus, même si tu ne vois en lui que ce qu'il y a de plus sombre. Si quelqu'un doit porter le costume du méchant, ce ne serait personne d'autre que moi." admit-elle, bien peu fière de ce constat là. Jamie l'avait aussi énormément aidé sur l'année écoulée, malgré les tensions constantes entre eux. Notamment sur le plan financier, alors que Joanne peinait à joindre les deux bouts avec son travail à mi-temps et un bébé dans les bras qui méritait bien plus que ce dont elle était capable de donner. Jamie lui avait donné également un petit coup de pouce pour avoir le poste qu'elle occupait actuellement. "Oui, j'étais sincère." lui certifia-t-elle sans la moindre hésitation. La jeune femme ne lui en voudrait pas s'il ne voulait plus accorder aucun crédit aux paroles de son ex-femme. "Il n'était pas question d'avoir de plan A ou de plan B, ce n'était absolument pas mon intention. Mais toute cette situation me mettait dans une position qui m'était très inconfortable." Et c'était un euphémisme. "Et si toute cette histoire se conclut sur le fait que je terminerai seule, so be it." Cette perspective n'effrayait étrangement pas Joanne, elle qui craignait tellement la solitude. Mais elle ne se voyait absolument pas faire entrer un autre homme dans sa vie alors qu'elle n'arrivait même pas à se projeter vis-à-vis d'Hassan et de Jamie. "Tu as dit à Jamie que j'étais capable de me débrouiller seule, ce serait le moment de faire mes preuves, dans ce cas." dit-elle, amère à son tour, n'ayant pas oublié la déception qu'elle éprouvait au moment où on lui avait révélé ses paroles. Encore une fois, on estimait ce qui était le mieux pour elle, on décidait à sa place. Joanne peinait à croire qu'il aurait pu être un allié si elle avait toujours été avec Jamie, tout en sachant qu'ils se haïssaient. Encore une fois, elle ne comprenait pas comment tout ceci aurait été faisable. En effet, peut-être qu'elle le comprendra un jour. La jeune femme était profondément triste de savoir que la larme qui se déversait le long de sa joue était par sa faute. Elle n'utiliserait pas le dicton un mal pour un bien, mais elle s'était persuadée qu'il vivrait bien mieux si elle n'était pas là, avec ses incertitudes, à le tourmenter dans une attente interminable. C'était de ça, qu'elle voulait le libérer. Elle acceptait chacun de ses mots. La jeune femme finissait par retirer la veste de ses épaules et la poser délicatement sur une chaise. Elle n'allait certainement pas se permettre de manger quoi que ce soit sous un toit où elle n'était vraiment plus la bienvenue. Alors qu'Hassan rebroussait chemin, suffoquant de respirer le même air qu'elle, la jeune femme lui dit doucement. "Je n'abuserai plus de ton hospitalité." L'abus, et le mot était faible. Elle attendit qu'il franchisse le seuil de la porte et qu'elle devine sa moto être démarrée avant de sortir à son tour. Sur un post-it qui traînait là, elle se permit tout de même d'écrire un "Prends soin de toi" au stylo. Pas la peine de signer, il connaissait très bien son écriture. Elle ne lui en voudrait s'il le mettait au feu, s'il allait déchirer le papier en mille morceaux avant de le mettre à la poubelle. Elle ne lui en voudrait. C'était très maigre, peut-être, mais Joanne ne trouvait pas d'autres moyens pour dire qu'elle ne lui souhaiterait jamais du mal. Pas de récidive de sa leucémie, pas de rechute de sa dépression, rien de tout ceci. Elle voulait qu'il aille bien, après le temps qu'il lui faudrait pour se remettre d'une telle conversation. C'était donc l'estomac vide que la jeune femme reprit le chemin à pied vers l'hôpital, resongeant à ce qu'il venait de se passer avec Hassan, pour finalement l'enfermer dans une petite boîte dans un coin de sa mémoire, comme un souvenir douloureux que l'on préférait rapidement ranger pour ne pas en souffrir trop longtemps. Elle ne voulait en parler à personne pour le moment. Plus tard, peut-être. Des mois plus tard. Elle savait qu'elle n'était pas la plus mal placée, tout autant qu'elle ne dirait pas qu'elle se sente bien, loin de là. Joanne supposait que c'était la dernière fois qu'ils se verraient, elle n'en savait trop rien. Bien sûr qu'elle ne voulait pas qu'ils se quittent une nouvelle fois en de si mauvais terme. Après tout, c'était bien elle la méchante de l'histoire. Elle et ses incertitudes.