It's addiction and every word's a lie

La main de Sid se pose sur la sienne, et sa chaleur semble lui réchauffer le cœur. Elle relève les yeux vers son ami et l’écoute lui assurer d’une voix calme qu’il y a certainement une solution, même s’ils ne la trouvent pas immédiatement. Pour la première fois depuis la visite d’Heller, Aisling sent la pression sur sa poitrine se relâcher. Qui a besoin de calmants lorsqu’on a un ami comme lui ? Ce n’est pas la première fois qu’elle se fait cette réflexion, et ça la ravi autant que ça l’inquiète. C’est qu’elle sait bien qu’il est commun pour les accro de remplacer une addiction par une autre, et comme elle a peur de descendre sur cette pente dangereuse. « Oui, t’as raison. » Elle répond avec un hochement de tête et un petit sourire reconnaissant en récupérant discrètement sa main. Pourtant, elle ne s’écarte pas, et continue de se réjouir du contact de leurs épaules l’une contre l’autre. De sa présence rassurante. De sa respiration profonde et apaisante. Le silence qui retombe sur eux est enveloppant et agréable ; bien différent de celui qui les écrasait alors que les non-dits flottaient encore dans l’air du soir. Aisling inspire l’essence du crépuscule, et cette petite odeur de bois brûlé qui se mêle aux parfums de bonbons et de friture au loin. Elle se laisse bercer par les lumières, pas tout à fait sereine, mais bien moins angoissée que lorsqu’elle avait cru apercevoir Heller et ses sbires dans la foule. Ce soir, le grand méchant loup ne pourra rien contre elle. L’irlandaise ignore pourquoi, mais elle en est persuadée.

Son regard délaisse bientôt la fête foraine lointaine et revient se poser sur le visage de son ami. Elle scrute ses expressions, à la recherche d’une réaction quelconque. C’est étrange, mais elle aurait imaginé une réaction plus violente de sa part. Peut-être s’était-il attendu à bien pire ; après tout le monde de la drogue lui est tristement familier et il sait bien comme les gens y sont impitoyables. Ou peut-être a-t-il tout simplement réalisé qu’il ne pourra rien faire pour la sauver cette fois-ci. Que le piège s’est refermé sur elle il y a bien longtemps déjà et que ce n’est pas un tatoueur, aussi courageux soit-il, qui pourra l’en délivrer. Cette éventualité la terrifie et la rassure à la fois. S’en est peut-être fini pour moi, mais au moins je ne l’entraînerai pas avec moi dans ma chute. Elle songe, un poil dramatique comme à son habitude. Mais elle se raccroche aux éléments concrets : il a promis. Et elle sait qu’elle peut lui faire confiance, sinon, elle ne lui aurait jamais rien dit. Du moins elle aurait continué de l’éviter pour se prévenir de craquer de façon fortuite ! Il pose ses yeux sur elle, et Aisling n’est pas assez rapide pour se détourner avant que leurs regards se croisent. Le rose lui monte aux joues sans trop qu’elle sache pourquoi et elle lui fait comme un sourire d’excuse avant de reporter sa concentration sur quelques brindilles qu’elle se met à épiler scrupuleusement. « Est-ce que… ça te dirait de venir dormir chez moi? » Elle relève vivement la tête vers Sid, une lueur d’étonnement et de ravissement se mêlant dans le fond de ses prunelles. « Oh oui ! » Elle répond sans réfléchir, trop contente de sauter sur l’occasion. Son excitation retombe légèrement lorsqu’elle croise l’expression bien sérieuse du grand brun. Avec une pointe de culpabilité, elle réalise que ce sera la première fois qu’elle ira chez lui depuis la soirée Harley alors surement que ça lui fait un sacré coup, à Sid. Et ça doit lui rappeler des souvenirs assez désagréables. A elle aussi d’ailleurs, mais pour un tas d’autres raisons. Elle ne l’avouera jamais à personne – elle n’est même pas certaine de se l’avouer à elle-même – mais voir Sid avec une autre femme, ça lui avait tout de même fait un sale pincement au cœur. « J’avais pas très envie de rentrer à la maison de toutes les façons. » Elle reprend sur un ton plus calme et posé. Un ton qu’elle n’emploie pas souvent, en définitive. « Et puis j’ai laissé assez de croquettes pour qu’Halloween puis tenir jusqu’à demain, sûr et certain. » Elle faisait toujours ça au cas où. Ce réflexe, elle l’avait depuis l’époque où les drogues pouvaient la conduire à s’échouer sur son lieu de travail après ses représentations, ou à s’égarer en chemin. Un accident est si vite arrivé, il serait trop injuste que son petit chat en paie les frais.

Ils se relèvent donc et quittent la verdure pour retrouver l’asphalte de la rue. Aisling suit Sid jusqu’à son arrêt de bus, sans trop réfléchir, ravie de se laisser porter par les évènements bienheureux de leur soirée improvisée. Une fois à l’intérieur, elle se glisse sur un siège près de la vitre et se tasse bien pour laisser à Sid le soin de s'installer à ses côtés et de replier ses grandes jambes. « On pourrait peut-être commander une pizza, qu’est-ce que t’en dis ? Je meurs de faim. » C’est quelque chose de nouveau, ça, la faim. Avant, les drogues influaient tellement sur ses sens que son estomac lui semblait tout le temps noué ou rempli. Quelque part, c’était bien pratique, parce qu’elle n’avait alors pas à surveiller son assiette pour éviter de prendre des kilos superflus. Alors maintenant, elle fait plus attention. Par exemple, elle ne mange jamais les jours où elle a une représentation ou un photoshoot. Mais ce soir, elle n’aura plus à danser en sous-vêtements de latex, et elle se réjouit à l’idée de se blottir dans le canapé de Sid et de se goinfrer de pizza. Comme tant d’autre avant elle, l’irlandaise est tombée dans un piège dont elle n’a même pas conscience. Après tout, ne dit-on pas qu’il faut souffrir pour être belle ?

Enfin, le bus s’arrête et les recrache dans cette ruelle qu’Aisling connaît trop bien. Cette fois, c’est elle qui mène la danse, et ses pas volent au-devant de Sid tandis qu’elle sautille vers la porte de son appartement. De l’autre côté, elle peut entendre son chat miauler, et elle lui fait des petits bisous sonores à travers le bois en attendant que Sid daigne ouvrir. Mouse paraît un peu surpris et même un poil inquiet lorsqu’il réalise que son humain est accompagné de quelqu’un d’autre. « Bah alors, tu me reconnais pas ? » Elle demande, presque vexée. Puis elle s’accroupi et tend les doigts vers lui pour lui laisser le temps de se réhabituer à son odeur. Après quelques reniflements sceptiques, il accepte finalement de frotter sa petite tête contre ses doigts, et Aisling prend ça comme une autorisation à lui grattouiller l’arrière du crâne et le dos. « Merci de m’avoir écoutée tout à l’heure. » Elle profite d’avoir les mains occupées pour glisser ces paroles, l’air de rien. « De toujours m’écouter. J’espère qu’un jour je pourrai te rendre tout ce que tu m’as aidée. » Elle dit en relevant timidement les yeux vers lui. Sa formulation laisse à désirer, Aisling le sait. Mais elle ne trouve pas d’autres moyens d’exprimer ce qu’elle ressent, et ce qu’elle voudrait. Elle aurait surement dû prêter plus attention à l’école, ou alors lire tout plein de livres comme Phoenix pour savoir utiliser les jolis mots. Mais ce n’est pas franchement naturel chez elle. C’est dommage, parce que maintenant qu’elle n’est plus défoncée h24, elle réalise qu’elle a beaucoup de trucs à l’intérieur qui ne demandent qu’à être extériorisés. Des trucs qu’elle garde bien cachés sous faute de savoir les sortir joliment. C’est sans doute pour ça qu’elle aime autant la musique. Tous ses morceaux préférés se chargent d’ouvrir son cœur à sa place. Et Aisling, elle aime bien les accompagner en fredonnant de sa voix basse et un peu cassée, quand personne ne peut l'entendre.    

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Aisling s’apprête à protester : ce n’est pas une question de lui devoir quelque chose, c’est une question d’équilibre. Depuis qu’elle a quitté sa famille à l’âge de dix-sept ans, tout le monde la considère comme une pauvre chose fragile qu’il est nécessaire de protéger. Et c’est vrai, elle est faible, elle est criblée d’anxiétés et elle a une propension douteuse à faire les mauvais choix. Mais comment pourra-t-elle jamais grandir si tous ses amis s’acharnent à lever les boucliers à sa place et combattre ses batailles pour la protéger des dangers du monde ? Aisling s’est trop longtemps cachée derrière la drogue et son désespoir et même elle commence à se lasser de son rôle de victime impuissante. Elle voudrait bien lui dire tout ça mais elle ne sait pas comment lui expliquer sans le vexer mais aussi sans surestimer ses maigres capacités. C’est qu’elle ne se sent pas encore prête à affronter tous ses problèmes toute seule, mais une chose est certaine : elle prend chaque jour un peu plus conscience de son besoin d’au moins essayer. Sid met heureusement un terme à son dilemme en ajoutant qu’il comprend le fond de ses paroles. Elle sent un sourire soulagé étirer ses lèvres lorsqu’il lui dit savoir qu’il peut compter sur elle, et l’irlandaise hoche la tête avec une petite expression satisfaite et un éclat de rire joyeux. « Ça c’est sûr ! » Elle répond en croisant les doigts à son tour pour imiter son geste.

Apaisée, elle le suit dans le salon et s’installe dans le canapé à côté de Sid. Ses yeux remarquent à peine le désordre qui règne dans la pièce. Pour elle, cet amoncellement d’objets en dehors des placards n’est que la preuve que le lieu où ils se trouvent est un chez-soi vivant où il fait bon se terrer pour s’abriter du monde. Elle aime l’odeur particulière qui imprègne cet endroit, un mélange de la lessive de Sid, de son parfum naturel et des produits d’entretiens qu’il utilise de temps à autre. Elle se réjouit des CDs, DVDs, livres et dessins qui traînent sur la table basse et autour de son ordinateur, témoins du nombre d’heures qu’il passe dans cette pièce à explorer sa créativité. Plus encore, Aisling est rassurée de constater que rien n’a vraiment changé depuis le départ d’Harley. Sid est toujours Sid - et la vie continue. Les jambes repliées contre son corps, elle le regarde passer commande sur son application. Elle sait qu’il est inutile de lui rappeler qu’elle ne mange pas de viande ni de poisson car il a pris le temps d’intégrer ses préférences alimentaires depuis il y a bien longtemps. En revanche elle l’encourage à demander une double ration de sauce barbecue de fromage, ses ingrédients préférés. Il appuie sur les boutons sans rechigner et Aisling se dit que c’est ça l’amitié, la vraie : avoir des goûts de pizza compatibles. Une fois la commande passée, Sid balance son téléphone sur le côté et lui annonce que leur pizza ne devrait pas mettre plus d’un quart d’heure à arriver. « Tant mieux parce que je meurs de faim ! » Elle s’exclame, et son ventre grogne comme pour appuyer ses paroles. Elle se masse l’abdomen avec un petit rire gêné et serre encore plus ses jambes contre elle comme pour étouffer toute prochaine protestation en provenance de ses tripes. De son côté, Sid prend la position parfaitement opposée et s’étend de tout son long dans une position relaxée qu’elle lui envie. Elle se demande comment il fait pour avoir l’air si à l’aise, si sûr de lui, et si c’est quelque chose qui s’apprend ou bien si c’est inscrit dans le sang depuis la naissance. Elle aimerait bien se prendre un peu moins la tête, arrêter de stresser pour tout et n’importe quoi. Mais il ne faut pas qu’elle y pense, parce que sinon son cerveau en reviendra immédiatement à la conclusion que seules les drogues peuvent apaiser son angoisse et cette gaucherie qui lui colle à la peau.

Sid lui demande ce qu’elle a envie de faire, et Aisling relève la tête vers son visage, heureuse de saisir cet hameçon pour s’extraire de ses pensées. « Netflix and Chill ? » Elle répond innocemment, puis perçoit une lueur amusée dans le regard de son ami et sent ses joues la brûler. « Enfin pour de vrai hein ! Pas… tu sais ! » Elle corrige un peu trop rapidement, ses oreilles se teintant de rouge et butant sur ses mots aussi surement qu’elle essaie de clarifier une situation pourtant déjà bien claire. « Bref ! Tu comprends ! » Elle rigole et attrape la télécommande pour allumer la télé et tenter de dissiper sa gêne. « Ça te dit un film d’horreur ? Je crois qu’ils en ont mis des nouveaux que j’ai jamais vu. » Elle propose finalement, écho à la conversation qu’ils ont eu quelques heures plus tôt tout en haut de la roue. Le temps qu’ils parcourent les différentes options et se mettent d’accord sur un scénario bien glauque comme ils les aiment, la sonnerie annonçant l’arrivée de leur pizza retentit. Aisling laisse Sid gérer la réception à la porte et profite de son absence pour préparer le film et remplir leurs verres d’une canette de soda trouvée dans le frigo. Lorsqu’elle se calle à nouveau dans le canapé, l’odeur de la pizza réchauffe agréablement ses narines et elle ne peut pas s’empêcher d’inspirer à plein poumons ce délicieux parfum de pain graisseux. « Bon appétit ! » Elle s’exclame en prenant une part dans laquelle elle mord à pleines dents. Ils trinquent avec leurs verres sans alcool sans lâcher le regard de l’autre puis rigolent de cette cérémonie normalement réservée aux verres de bière dans les pubs. Enfin, l’estomac rempli et le cœur allégé de la tension qui le serrait quelques temps plus tôt, Aisling se détend dans le fauteuil et se rapproche imperceptiblement de Sid. Elle se réjouit de leurs épaules qui se touchent, de leurs jambes qui s’effleurent, et elle ne sait comment interpréter ces sensations agréables, ni ce qu’elles signifient. Elle sait que si elle laisse son esprit errer trop longtemps sur cette voie, elle n’en tirera que des attentes, de la panique et des déceptions. Alors elle s’imprègne du moment et il faut dire qu’il est tout de même franchement agréable. Même avec les créatures humanoïdes repoussantes qui poursuivent les spéléologues à l’écran !       

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