Il y avait quelque chose d’électrisant derrière une mélodie. Les notes qui se chevauchent, qui s’emboîtent. Le rythme qui s’assure que tout suit la cadence, le grave qui contrebalance l'aigu. J’avais toujours été plus à même de reconnaître une trame musicale avant ses paroles, la tête qui lève toujours, l’oreille qui s’accroche assurément, lorsqu’on gratte une guitare, qu’on accorde un piano, qu’on souffle dans un cuivre. Les conversations sous fond de mutisme me blasaient, la chanson improvisée m’emballait. C’est probablement pour cela que je m’attelais seul au bar, les soirées open mic au Canvas. Pas particulièrement envie de parler, juste d’écouter. Dans un monde où les gamines passaient le plus clair de leur temps à tout prendre en photos, où leurs albâtres se gonflaient les muscles pour attirer le plus de minettes sans le moindre effort, ma bière m'apparaissait comme le plus riche des interlocuteurs. Besoin de rien, juste d’entendre, juste de tendre l’oreille, juste de reconnaître le tempo, de tenter de lui trouver une suite, d’anticiper même, parfois, ce que le musicien sur scène a composé au complet, essayant d’en faire une équation. Un sol par ci, un ré par là, une clé, un peu de tapping, et il revient au riff qu’on lui connaît. Et j’aime bien, quand l’instrument reste le plus pur possible. Pas besoin de synthé qui part en vrille, d’autotune qui rend n’importe quelle composition trop robotique, fausse, archi dégueulasse. Non, je veux du brut, de l’authentique, du rough, des accords qui craquent, une voix qui dénote. La soirée est déjà bien avancée que rien n’a vraiment attiré mon attention - pas que je sois difficile non plus, mais ce soir, j’avais envie de simplicité, de quelque chose qui s’écoutait bien, qui adoucissait les journées pas particulièrement faciles depuis quelques temps. Ellie avait du mal à l’école, et je n’en avais eu mot que tout récemment, la fillette passée maître dans l’art de cacher le moindre élément perturbateur dès que je lui demandais comment elle allait. Elle me cachait tout, en somme. Je finis ma bouteille, pas vraiment convaincu du besoin d’en prendre une autre, avant de lever la tête vers la scène déserte depuis une bonne dizaine de minutes. L’envie d’y aller, comme au bon vieux temps, le corps qui suit un peu moins. C’était l’amour, c’était la haine, c’était mes meilleurs souvenirs, et mes pires.
Une tête blonde qui prend place devant mon indécision, et qui gratte sa guitare comme tant d’autres fois avant. Je le connais lui, je l’ai déjà vu, entendu. Et il reprend ses classiques que je connais par coeur non pas par lassitude, mais pour avoir porté attention. La dernière fois, l’autre d’avant. Je commande deux bouteilles, me lève entre deux paroles, m’aventure à travers les tables disposées pêle-mêle devant la scène où le gamin joue tout naturellement. Une bouteille déposée à ses pieds avec un sourire bienveillant, et mon vieux dos qui s’appuie sur le dossier d’une chaise là, en bordure. Il jouera quelques minutes encore, quelques oeillades envers les gens qui l’écoutent sans se distraire de son instrument. J’aime bien, le fait d’être dans sa bulle, de se foutre un peu pas mal de ce qui ressort des spectateurs. Pas qu’on les déteste, juste, qu’on ne doit pas s’attarder à leur donner trop de place. À teinter ce qu’on veut faire, ce qu’on aime faire. « Attends, refais ça. » qu’il m’entendra lui dire, une fois son “merci” soufflé dans le micro dressé devant son tabouret. Y’avait eu une suite de notes qu’il avait enchaînée que j’avais bien aimée, et j’arrivais pas à remettre le doigt dessus, littéralement. Il s’exécute, j’hoche lentement de la tête, voyant s’imager la mélodie, la décortiquant, aimant le sens qu’elle prenait. C’était de la composition originale, rien des chansons reprises qu’il faisait parfois. « Ouais, et après ajoute... » pas gêné pour le moins du monde, je grimpe à ses côtés, attrape un autre tabouret à disposition et lui improvise un rythme derrière, juste pour border le tout de quelques percussions. De l'index je lui pointe la note à ajouter, puis l’autre, et déjà il a une ligne et une autre supplémentaires à ajouter à sa mélodie de base. « Tu partais, ou? » doucement, les spectateurs ont pris la direction du bar ou de la piste de danse improvisée, il a peut-être envie de faire de même. Si c’est le cas, qu’il ne m’en veuille pas que je réquisitionne la scène pour improviser encore un peu.
Une soirée open mic, pour pas changer les bonnes habitudes. Surtout que ce soir j’ai décidé de chanter mes compositions. J’ai écrit une chanson de plus ces derniers jours. Les filles ça m’inspirent vraiment on dirait. J’ai mis plus qu’une heure pour l’écrire celle là. Il y a encore quelques trucs qui me gênent au niveau de la mélodie mais je n’arrive pas à mettre le doigt sur ce qui pourrait aller mieux, alors pour l’instant elle reste comme ça. Ce soir c’est la première fois que je la joue celle là. Je n’ai pas trop le stresse, de toute façon c’est pas vraiment ici que j’ai un véritable retour sur mes chansons. Les gens ne m’écoutent pas forcément. Ils viennent pour boire un coup en musique sans faire attention à ce qui passe.
Alors que je vais commencer à jouer « Kiss me slowly » un mec, que j’ai déjà croisé ici, m’apporte une bière. Je lui fais un sourire, appréciant son geste. Il reste dans le coin, il a l’air d’être un des rares à véritablement m’écouter ce soir. Je chante, les yeux fermés, comme souvent. Je bug sur les paroles à un moment mais je me reprends comme un pro, de toute façon c’est moi qui m’accompagne du coup c’est facile de masquer le moment.
« Oh, I'm not sure what this is gonna go, But in this moment all I know Is the skyline, through the window, The moon above you and the streets below. Hold my breath as you're moving in, Taste your lips and feel your skin. When the time comes, baby don't run, just kiss me slowly. »
Je termine, je souffle un « Merci. » et je vais pour poser la guitare mais le mec à la bière s’approche et me fait jouer quelques notes. Je suis ce qu’il me dit. J’hausse super haut les sourcils parce que je vois tout à fait où il veut en venir et ça claque comme ça ! Je joue plusieurs fois la séquences de notes. Il vient jouer des percussions et je continue à jouer les quelques notes, surpris de voir qu’il a trouvé ce qu’il fallait pour ma chanson. C’est juste parfait comme ça. Je m’arrête de jouer pour le regarder, me demandant d’où il sort pour avoir dénicher la mélodie que je cherchais depuis quelques jours. Il me demande si je comptais quitter la scène.
« Oh ouais… Mais maintenant j’ai limite envie de la rejouer avec ton arrangement. J’ai envie de voir ce que ça donne sur toute la chanson. »
Je jette un coup d’oeil aux gens dans la salle, ils sont tous en train de parler et de boire. Personne ne remarquera que je joue une deuxième fois la même chanson. Techniquement c’est pas la même vu qu’il y a modification de la partition.
« Allé je me laisse tenter. »
Je prends une gorgée de la bière qu’il m’a apporté, je la repose par terre et je me remets à jouer les quelques notes qu’il m’a soufflé qui sont en fait la base de toute la mélodie de la chanson (par ici pour entendre la chanson nouvelle version). Je lui jette des coups d’oeil en même temps. On joue à deux, j’essaie de créer un contact sans que ça me coupe dans ma concentration. Je prends mon pied à jouer cette nouvelle version de la chanson, jusqu’au bout. Je peux pas m’empêcher de fermer les yeux de temps à autre. A la fin je me tourne vers lui, un grand sourire aux lèvres.
« Elle est parfaite comme ça. Merci… »
Je m’interromps, cherchant son prénom que je ne connais pas.
« Moi c’est Kane. Et j’ai pas l’impression que ça se bouscule sur la scène pour ce soir. »
Je sous entends par là qu’on peut rester encore un peu.
« T’as d’autres tours de magie à me montrer ? »
Je parle bien évidemment de ces quelques notes magique qu’il m’a donné. Faudra que je le crédite sur la chanson. Oui je pense à ça.
C’était une chance que je prenais. Il aurait très bien pu me virer de la scène, jouer aux divas, ne pas écouter ce que ma voix sénile, cassée, avait de bon à lui suggérer. Qui étais-je pour sortir de nulle part et m’imposer sur sa 6 cordes? J’avais rien de mieux à lui apporter que quelques suppositions musicales, et grand bien lui en fasse s’il m’écoutait distraitement. Mes preuves sont faites lorsque son pouce gratte le rythme et je ne me fais pas prier pour taper de la paume sur ce qui peut servir pour le moment de percussions. Le sourire aux lèvres devant sa répétition improvisée, j’arque le sourcil lorsqu’il accroche un peu plus lentement à un accord, et laisse mon sourire lui répondre alors qu’il semble soulagé d’avoir débloqué ce qui semblait lui donner du fil à retordre plus tôt dans la soirée. Sa candeur me plaît bien, il a l’insouciance du jeune, de celui à qui tout peut sourire. Il ne s’obstine pas, il suit mes conseils à la lettre, et finit par rendre la mélodie encore mieux que ce que j’aurais pu penser. Distrait, je lui demande s’il prévoit quitter la scène maintenant que son heure de gloire est terminée, ou s’il pieute encore quelques instants ici, sur les planches. Il notera à mon ton que je n’ai pas du tout envie de bouger, et me confirme qu’il souhaite faire de même. Initiant le mouvement, il se présente, s’emballant pour ce qui vient de se passer, une bribe à peine réfléchie qui me semblait juste. « Jack. » pas besoin de faire dans les détails, pas besoin de rien d’autre qu’un prénom. La musique communiquait assez bien pour nous deux, de toute façon. Kane parle de magie, il ne saurait pas mieux dire, et une fois ma gorgée de bière avalée lentement, je renchéris, approchant le banc de bois me servant de tambour de fortune. « Ça vient quand on écoute, pour vrai. » et avec l’expérience, et au fait que ça, ce qui se crée, là, ce jam, c’était toute ma vie.
« Après toi. » que je l’encourage, maintenant que le blond semble prêt à s’y remettre. Il a le regard stable et les doigts agiles, il a le mouvement sec et le rythme doux. « Il y a un truc qui tu as fait au début, j’aimais bien l’air. » je fais référence à la première version qu’il a pu offrir de cette composition, avant modifications. Je me souviens avoir remarqué un petit enchaînement qu’il avait mis en place, entre l’accord de sa guitare et l’improvisation, un genre de solo qu’il refait machinalement après quelques secondes de réflexion. Comme à mon habitude lorsque je décortique les notes de ma vieille cervelle fatiguée, je fronce les sourcils, les pupilles scotchées à son geste. « Attends, non, plus lentement. » j’adapte l’écho du revers de ma main, guidant le ton, le rendant beaucoup plus doux, ralenti. C’était une astuce comme une autre, de la belle logique pour arriver à assimiler un morceau et à le retenir mieux, plus facilement. « Oui, comme ça. » et Kane reprend la même séquence à quelques reprises, avant de l’exécuter beaucoup naturellement, fluide. Voilà, on tient un truc. La bouteille reprend sa place entre mes doigts, la conversation coule toujours un peu mieux après avoir trouvé la juste note. « Ça se voit, que tu joues depuis un moment. » il avait l’air d’un gamin, comme tout ceux que je croisais sur scène de nos jours. Tous de la relève, tous de la facilité, tous de la prestance. Les balades chuchotées et le folk nostalgique, et doucement le retour aux vrais instruments, loin des synthétiseurs. « Pendant une seconde, ta guitare est devenue ton prolongement. » et ça, c’est l’un des plus beaux compliments qu’on peut entre sortir d’entre mes lèvres, ma voix rauque qui lui assure le plus honnêtement du monde.
Jack. Il faudra donc que je crédite Jack. Un nom de famille serait pas mal aussi, mais je n’ose pas lui demander. Ca ferait un peu bizarre comme question. Comme si je cherchais à avoir plus d’information sur lui. Je pourrais le faire mais je me connais, je chercherai à me justifier pour expliquer pourquoi je veux cette information. Non, je n’ai pas envie qu’il me prenne pour un weirdo. Donc ce sera juste « Jack » pour l’instant. Je le vois boire un peu de sa bière et ça me rappelle que j’en ai une moi aussi à mes pieds. Celle qu’il m’a apporté. Je vais la récupérer et j’en prends une gorgée à mon tour. Quand je parle de magie il annonce qu’il a réellement écouté ma performance et j’en suis touché qu’il ait donné autant d’intérêt à ma composition. C’est assez rare qu’on ait du feedback sur ce qu’on fait sur cette petite scène. Quand on a des applaudissements c’est déjà ça, ils ont assez apprécié pour taper des mains, mais c’est tout, ça ne va pas plus loin.
En tout cas Jack a l’air d’être encore concentré sur le morceau que j’ai joué parce qu’il en parle de nouveau. Je repose ma bière après une nouvelle gorgée et je joue les notes dont il parle, celles que j’avais avant qu’il ne suggère autre chose. Une chose est sûre, ce mec il s’y connait en musique. Il a l’air d’être autant passionné que moi, voir plus, je ne suis pas du genre à donner des conseils comme ça sur les compositions des gens. Je n’ai pas assez d’imaginations. J’ai de l’inspiration mais pas débordante non plus. Pour dire, j’ai que trois chansons à mon répertoire. Jack me donne quelques nouvelles directives et je prends bonnes notes. Je répète plusieurs fois la mélodie et ça passe bien aussi comme ça. Trop de possibilités.
« Je dois dire que j’ai un faible pour l’autre version. »
Ca a vraiment fait click à ce moment là. Il me complimente sur ma façon de jouer et j’apprécie. Ce type est vraiment trop sympa. Non seulement il me paie à boire mais en plus il me trouve les bonnes notes pour ma chanson et il me fait des compliments. Il en rajoute une couche disant que ma guitare est devenue mon prolongement. Wow okay. Rien que ça.
« Wow merci. »
Je sais pas trop quoi dire, je suis vraiment touché. Je reprends ma bière pour m’occuper avant de reprendre la parole. Laissant de côté ma guitare un instant.
« Tu composes toi aussi non ? T’as l’air d’avoir de la facilité pour jouer sur les mélodies. »
C’est pas vraiment mon cas. Moi j’ai juste de la chance sur le moment. Ok peut être que je me dénigre un petit peu à ce sujet. Mais je ne suis pas un expert du tout.
« J’aurai bien envie de te jouer les deux autres chansons que j’ai écrite pour avoir ton avis. »
Parce que ça ne peut être qu’un plus pour moi d’avoir une bonne critique. Il a l’air d’avoir apprécié ma musique alors pourquoi pas en profiter encore un petit peu ? Peut être que j’exagère, il a l’air de vouloir jouer lui aussi. Il est monté sur scène après tout.
« Mais avant, tu peux me jouer un truc ? Je peux te prêter ma guitare si t’as besoin. »
Encore un coup d’oeil sur la salle, personne ne nous prête de réel attention. On est tranquille dans notre petite bulle musicale. Je crois qu’il se fait tard, il n’y a pas tant de monde que ça dans le bar. Que de bonnes raisons de rester et squatter la scène pour faire plus ample connaissances musicalement.
« Une de tes compositions si t’en as. »
Et je suis sûr qu’il en a. C’est pas possible autrement.
C’était simple, c’était facile, c’était de la musique, simplement, et c’était ce que j’aimais, ce qui me faisait vivre. Depuis toujours. « Ça remonte à loin. » Kane qui me demande tout bonnement si je compose, si ma facilité avec les mélodies vient d’ailleurs. Pour le groupe, avant, je prenais plaisir à composer, à imaginer les airs, à combler de mes mots, mes délires. Depuis que j’étais passé de l’autre côté, que je m’occupais de bands plutôt que d’en faire partie, je prenais très rarement part à la partie créative, ou du moins, je laissais à l’artiste toute la latitude du monde avant de m’en mêler. Simple déformation professionnelle, je savais où étaient mes limites, et où j’étais le bienvenu. Pas question de contaminer les notes et les mots d’un musicien parce que j’étais assez imbu de mon oreille pour lui souffler la bonne réponse. Je préférais aider lorsque nécessaire, et ce soir, le blond m’avait très clairement fait comprendre qu’il était ouvert, qu’il voulait apprendre, que cet enchaînement, là, débloquait quelque chose pour lui et non l’inverse. Je ne pouvais pas en être plus satisfait, les souvenirs restaient pour les autres. Du moins, pour le moment. « Ouais, bien sûr. » il est curieux le gamin, il préfère que je lui joue un truc avant d’aller plus loin, avant de brainstormer plus fort. Et c’est tout rouillé, c’est du vieux matériel, c’est un souvenir lointain, mais ça me fera plaisir pour la forme. Je peux comprendre sa curiosité, je peux comprendre son intérêt, je peux comprendre aussi qu’à un moment, m’entendre lui dire quoi faire et comment le faire peut nécessiter un retour de l'ascenseur. It’s all good.
« Tu permets? » répondant par l’affirmative à son offre précédente, à savoir sa guitare, je m’assure de resserrer les cordes distraitement, redescendant le capo, grattant comme tant de fois avant. « C’est vieux, mais ça passe toujours. » un regard en coin à mon interlocuteur plus tard et j’entame la balade, je me remets dans ces vieilles chaussures, les miennes, je retrouve les notes et les paroles et l’air et la consonance de ce morceau qu’on a joué tant de fois, de toutes les façons différentes. Avec viennent les souvenirs du Canada, des tournées dans les petits villages, des bars miteux de Colombie-Britannique, du van qu’on avait aménagé pour y contenir 6 personnes à temps plein et d’autres à temps partiel. Les bonnes vieilles années avant que la merde s’en mêle, avant qu’on l’échappe, avant qu’on se brise. Comme si c’était un enchaînement naturel, comme si c’était inné, ancré dans mes doigts, du pouce à l’index, je récite la chanson, je la joue en ajustant les sons, en allégeant là où on s'emportait trop parfois. C’est nu par moments, c’est raw, mais ça me convient, sans fla fla. « Fût un temps c’était ça qui payait mon loyer. » que je finis par conclure, grattant encore un peu, le refrain que je reprends au ralenti, accompagnant le reste de mon discours. Non, ce n’est pas de la déception qu’on peut doucement lire sur mon visage, mais de la nostalgie. Fût un temps, c’était ça et rien d’autre. « J’étais dans un band, avant. Avec un tour bus et tout. » puis la vie en a décidé autrement. Mais ça, il n’a pas besoin de se faire chier à l’entendre.
J’ai vu juste. Il compose, ou plutôt composait. Il a pas perdu la main en tout cas. C’est magique ce qu’il s’est passé ce soir si vous voulez mon avis. Je lui demande de me jouer un truc et il accepte. Ca me fait sourire bien largement parce que je suis vraiment trop content de voir de quoi il est capable. Je sens qu’il va envoyer du lourd. Je lui passe ma guitare quand il me le demande. Et je me tourne un peu sur ma chaise pour bien le voir. Pour bien profiter du moment. Je vais écouter attentivement. Je n’aurai certainement pas de conseils à lui donner à propos de ce qu’il va jouer, je suis pas assez doué pour ça, mais je veux pouvoir bien ressentir la musique et ce qu’il me chante. Je vais faire attention aux paroles. Je vais un peu analyser tout ça. Il dit que ce qu’il va chanter est vieux et il commence quelques notes. Je ne fais pas de commentaires, je le regarde, prêt à prendre plein la vue. C’est léger, c’est doux, c’est vraiment très agréable à écouter. Je me laisse prendre par la mélodie et je ne fais pas complètement attention aux paroles. Quand j’essaie de m’y accrocher, je comprends que ça parle du passé mais je n’arrive pas à décrypter plus que ça. En tout cas c’est vraiment trop cool comme chanson. Je me sens honoré qu’il me l’ait chanté rien que pour moi. Oui parce que y’a pas grand monde qui regarde la scène dans ce bar. Dommage pour eux. Enfin ils auront quand même profiter de sa chanson en fond. Sans vraiment s’en apercevoir. Moi je suis à fond dedans et je l’applaudis même à la fin. « Fût un temps c’était ça qui payait mon loyer. » je suis presque jaloux de l’entendre dire ça. Je suis impressionné surtout. Vivre de la musique c’est pas donné à tout le monde.
« Ah ouais carrément ? Punaise, ça devait être le bon temps. »
Parce que j’ai compris que ce n’était plus le cas. Je ne connais pas les détails mais une époque où on a pu vivre de sa musique c’est forcément le bon vieux temps. Il a l’air d’avoir la quarantaine, il a dû en vivre pas mal des choses j’ai l’impression. J’ai envie de tout savoir.
« J’étais dans un band, avant. Avec un tour bus et tout. »
« Wow sérieux ? Trop bien ! »
Je suis comme un gosse.
« J’ai fait le tour de l’Australie en van et je joue de la musique. C’est presque ça mais pas du tout en même temps. »
Je dis n’importe quoi, ça me fait rire.
« Non sérieux c’était quoi le nom du groupe ? Vous êtes sur Spotify ? »
Parce que j’ai vraiment envie d’écouter ça.
« Et je sais pas si t’es très réseaux sociaux mais j’aimerai bien qu’on s’échange nos coordonnés ou quoi pour garder contact. Parce que mec, j’en reviens toujours pas de cet enchaînement de notes que tu m’as sorti tout à l’heure. Je suis encore novice dans l’écriture de la musique et avoir des conseils d’un gars comme toi qui s’y connait bien ça m’inspire. Ca me motive. »
Je parle beaucoup. Je suis excité. Un tour bus quoi ! Il a eu un tour bus ! UN TOUR BUS ! Je suis trop jaloux.
« Si ça t’ennuie pas un jour faudra que je te joue mes deux autres chansons. »
Si ça ne tenait qu’à moi je le ferai maintenant mais j’ai pas envie de le saouler. Il a peut être d’autres trucs à faire ce soir. Ou pas. Après tout il a payé une tournée, c’est à mon tour de le faire quand on aura vidé nos verres. On risque de rester encore un moment. Ca me va.
Loin de moi l’idée de faire cool, de jouer sur l’importance de ce que le passé avait pu prendre pour moi, de m'en vanter. Kane me semble être terre à terre comme mec, pas compliqué, pas axé sur les apparences, pas méfiant. Et surtout, je m’en balance d’en jeter, peu importe la définition de. J’ai aucune fibre sensationnaliste, aucun besoin de vedettariat, aucune envie de me faire un fan supplémentaire. Et je souris, mollement, lorsqu’il s’emporte en tentant de comparer, reléguant son histoire de roadtrip au second plan alors qu’elle m’impressionne, qu’elle me rappelle le bon d’avant, quand aucun agent n’avait bousillé la relation que je pouvais entretenir avec mes meilleurs potes, mes musiciens. Quand on avait un vieux Westfalia et Jude à mes côtés. Quand c’était simple. « Ça a plus que le potentiel de. J’aime beaucoup l'idée. » et j’esquisse un sourire à son intention, parce qu’il a pas besoin de jouer à ce jeu-là avec moi. Parce que c’est sa guitare, là, et les mélodies qui pullulent dans sa tête qui comptent, et pas le reste, pas les apparences, pas la superficialité, pas ce besoin d’être en tête de billboard. Lui rendant sa guitare, je ne peux empêcher un rire de franchir mes lèvres, lorsqu’il parle de réseaux sociaux. Non sans être impoli, je doute que mes capacités de mammouth me permettent de faire autre chose que de me gratter le crâne jusqu’à calvitie devant ce qui semble contrôler les jeunes de nos jours. Damn, je me sens vieux là de suite. « J’ai… un numéro. Une adresse. » et un pigeon voyageur, et un bipper. Je retiens mon sarcasme innocent, pensant à la ligne fixe à la maison, au digit civique de B&B. Ellie roulerait des yeux et lui filerait son compte Facebook ou qu’en sais-je, pour ma part j’ai toujours été vieux jeu et malhabile avec la technologie. « Et j’ai aussi tout mon temps. T’es ok sur la bière? » pourquoi se presser quand tout va, pourquoi précipiter quand on a le temps du monde et des secondes en extra. Je lorgne sur sa bouteille qui me semble avoir gardé le niveau, et les mélodies qu’il m’a mentionnées ne font que reprendre en intérêt à mon sens, maintenant que je l’encourage à jouer.
« C’est la musique qui comptait, pas le reste. Ça a toujours été ça. » elles sont longues les minutes, avant que ma voix ne viennent percer son rythme, ajouter une bribe nostalgique. « À un moment y’a fallu que je fasse le deuil, pour des tas de raisons malsaines. » sur lesquelles je ne m’éterniserai pas ici. Trop de peine d’amour, de coeur, d'orgueil. Trop de trahisons, trop de pouvoir, de popularité. Trop et pas assez, et ma santé que j’ai cru y perdre entre les rails de cocaïne et l’alcool, sens annihilés qui ont servis de signal d’urgence. « Mais la musique est toujours restée. » ma raison de vivre, mon tout. Sans ça, j’aurais perdu le nord bien trop vite, j’aurais sombré. Jude, Ellie, tout le monde, je leur dédiais un amour infini, mais c’était la musique qui ravissait mon coeur jour après jour, et ce n’était pas dit que j’en aurais fini dans un avenir proche, et même lointain.
Je sais pas pourquoi je m’étais douté qu’il n’était pas très réseaux sociaux. Je suis pas surpris quand il me parle d’un numéro, et même d’une adresse. Oui pourquoi pas, même si je ne pense pas que ça va réellement me servir. Sauf s’il s’agit d’une adresse email, mais quelque chose me dit que ce n’est pas le cas. Je souris quand il dit qu’il a tout son temps. Je sens que cette soirée ne fait que commencer malgré l’heure tardive. Je ne suis pas dérangé. Je bosse qu’à partir de 19h le lendemain.
« Carrément ok ! »
Je suis enthousiaste et ça se voit. Je sens que c’est le personnel du bar qui va devoir nous mettre dehors. Déjà ils nous laissent tranquille sur la scène, c’est cool.
Les clients filent petit à petit et nous faisons parti des derniers, toujours en pleine conversation à propos de la musique. Je l’écoute avec attention parce que je suis fasciné par son expérience. On joue quelques morceaux au milieu de nos conversations. Des petits bout d’impro, je prends notes de certaines mélodies que je trouve super cool. Quand il parle de deuil, de raisons malsaine, je me demande de quoi il parle vraiment, mais je sens qu’il a eu y avoir du drama là dessous. Sûrement de la drogue aussi, des filles peut être pas majeure. Oui je vois loin. Je me fais plein de films, mais la vie de rockstar ça doit être dans ce genre là. Après je ne sais pas le niveau de popularité qu’il avait mais je l’imagine plutôt très correct. Je souris doucement quand il dit que la musique est toujours restée. Quand on l’a dans la peau c’est dur de s’en défaire de la musique.
« Mon père est professeur de musique. C’est de là que j’ai chopé le virus je crois. »
Pour lui faire comprendre que je baigne dedans depuis que je suis tout petit. Je joue quelques accords avec ma guitare sans vraiment m’en rendre compte et c’est le début d’une de mes chansons. Je le réalise et me reviens l’envie de les lui faire découvrir.
« Je peux te jouer mes deux autres chanson ? Je voudrais ton avis. »
Je dois avouer que j’en suis plutôt très fier, c’est pour ça que je les joue avec plaisir à quiconque est intéressé. Je commence par celle que j’ai écrit en premier, elle date de y’a quelques années, mais je ne l’ai finalisé qu’en début d’année. 2017 aura été l’année de l’inspiration pour moi. J’entame les accords de la chanson.
« C’est la première chanson que j’ai écrite. Elle s’appelle ‘Don’t speak liar’»
Spoiler:
Just sit back And tell me I'm a liar for this Don't roll your eyes Rewind This happens Way too many times
So sit back And tell me that your Tired of this I know I'll grow up someday But it's 2am And I'm too high and dry And I won't come down to
So when I come back I won't say a word I know I've said this before Don't speak, liar
No we won't talk We won't say a word I know You've heard this before Don't speak, liar
Sit back And tell me why I'm so prone to this Do you think I'm fond of Getting you and letting you down And I'll get mine soon
So when I come back I won't say a word I know I've said this before Don't speak, liar
No we won't talk We won't say a word I know You've heard this before Don't speak, liar
And if the story ends here I can't be surprised to find Your eyes are open wide And that I have inspired you
And when you come back Don't say a word I know You've said this before Don't speak, liar
No we won't talk We won't say a word I know We've heard this before Don't speak, liar Don't speak, liar Whoa-oh Don't speak, liar
Je termine les accords et je le regarde, avant de reprendre la parole.
« Je te joue l’autre et tu me dis ce que t’en penses. »
Comme ça j’aurai moins la pression en fonction de ce qu’il compte me dire. Oui j’ai un peu l’impression de passer une audition.
« Celle là c’est ‘Remember’. Je l’ai écrite en une heure tellement j’étais inspiré. Je crois que c’est ma préféré de toutes. »
Pour ça que je l’ai gardé pour la fin. (la chanson par ici) J’entame les accords et c’est parti, pour la version acoustic de la chanson bien évidemment.
Spoiler:
It's been a long time now since I saw your face. seven years past and I've started to realise, All the things that I've missed about you. I bet you thought I'd forgot, That I'd grew up and moved on, It's not that easy, No, no. Just like a hole in my heart it was killing me.
They say that people change, But the memories stay the same.
Do you remember me? You were there, You were always watching from the outside. You said you felt the same, That I'd been playing on your mind, And I'd been there the whole time.
If we walk this road again I can promise that you'll never find another. Cos' I lost my greatest friend when we walked away from eachother.
I've always been a stones throw from you. With a little space and time had you walking back around, And it's true, If you leave a fire to smoulder the flames can come back stronger.
Do you remember me? You were there, You were always watching from the outside. You said you felt the same, That I'd been playing on your mind, And I'd been there the whole time. It's nice to know that you remember, remember me. That you remember, remember me. It's nice to know that you remember, remember me. That you remember, remember me.
It's been a long time now since I saw your face. Four years past and I've started to realise, All the things that I've missed about you. I bet you thought I'd forgot, That I'd grew up and moved on, It's not that easy, No, no. I thought we were lost and gone.
Do you remember me? You were there, You were always watching from the outside. You said you felt the same, That I'd been playing on your mind, And I'd been there the whole time. It's nice to know that you remember, remember me. That you remember, remember me. It's nice to know that you remember, remember me. That you remember, remember me.
Je termine et je tourne les yeux vers lui, attendant son verdict. J’ai bon espoir qu’il ait aimé parce que je pense pas être si nul que ça.
Dernière édition par Kane Williamson le Mar 30 Jan 2018 - 17:51, édité 1 fois
Kane profite du silence, des discussions, des confessions pour entamer une nouvelle chanson, composition originale elle aussi. Si l’oreille habituée à analyser, à comprendre, à capter a fait place à celle beaucoup plus ludique, plus distante, épicurienne, il n’en reste que je murmure dans un temps, la tête qui se lève, les idées qui se mélangent. « J’aimerais voir ce que ça donne, avec une ligne de basse. Un grave pour contrebalancer... » les paroles sont chantées sur un tremolo plus vif, les notes sont enchaînées avec rigueur, justesse, mais il manque un petit quelque chose, une touche de solidité, un fond qui tienne le navire, qui arrondit les coins, solidifie les racines. Qu’il en fasse ce qu’il veut, de mes conseils - je n’avais pas non plus la vérité absolue, je ne l'aurais probablement jamais, mais je me plaisais à aider, à outiller, à être utile là où je savais l’être. Si le bar commence doucement à se vider, si les tables se replacent entre les verres à moitié vides et les sièges qui se libèrent, c’est sans la moindre intention de quitter la scène que je continue mon écoute attentive, grattant en silence la 6 cordes qui traîne juste là, l’accordant distraitement alors que le blond poursuit sa mélodie, qu’il accroche mes iris une fois ou deux, qu’il y cherche de nouveaux commentaires, ou une approbation conséquente. Il verra se dessiner un sourire sur mes lèvres, de celui ravi, le genre qui n’a pas besoin de rajouter plus que ce qui a été dit, qui laisse le temps à la musique de faire sa place, de rimer autrement, de s’infuser. J’aimais à laisser les choses mijoter, mariner un temps, me faisant ma propre idée au fil des minutes, des heures. Justement. « Une heure?! » que je m’étonne, maintenant que le garçon fait l’épitaphe de son prochain morceau, et qu’il confie l’inspiration dont il a été agité lors de l'écrture. De la surprise, je passe à l’intérêt, piqué au vif, maintenant que le ton est beaucoup plus aride, presque nu, que les notes se cassent les unes aux autres, dans une façon qui lui est propre, et limite, que j’entends pour la première fois, ainsi. « J’aime bien, c’est raw. Pas besoin d’avoir une technique parfaite pour que le rythme soit bon, pour que ce soit naturel. » tout un compliment que de se faire dire de but en blanc qu’on était différent, unique, des autres. Dans un monde où chaque enchaînement est copié un nombre incalculable de fois avant d’être dénoncé, il arrive à piquer ma curiosité, à me donner envie d’arquer la nuque, libérant mes tympans, lui donnant toute mon attention, intérêt.
« Ça s’adresse à qui? » et je perce le silence, une fois les dernières paroles chantées, une fois le regard de Kane vissé au mien. Je ne suis pas dupe, et au-delà, je ne compte plus la totalité des chansons écrites pour Jude, ou pour une énième nana rencontrée à la volée, envolée. Il a ajouté une consonance nostalgique à ses mots, il a pesé sur la mélancolie, misé sur le beau aussi, le doux, l’émotif. « Ça lui plaira. Quand tu lui joueras. » que je laisse aller, complice, le coup d’oeil qui appuie mes paroles. Au-delà de la drague assumée - et sur-utilisée - écrire une chanson pour une tierce partie choisie avec soin résonnait avec lui offrir un bout de son âme, tout simplement. Un éclat de soi, de son coeur, de sa tête. Ça en valait toujours le coup, livré de la bonne façon. « Tu as déjà enregistré tes compos? » et la question vient toute seule, suivie d’une longue gorgée de bière. J’imagine, à priori, devant l’application dont il fait preuve lorsqu’il joue, la justesse de ses mélodies. « C’est ce que j’préfère. J’analyse mieux, après la 50e écoute - et j’ai pas les doigts en sang. » avant Bananas & Blow, avant la vie d’adulte, avant les responsabilités. Quand j’écrivais encore, quand le groupe vivait, quand la musique était tout ce dont on avait besoin.
Il n’attend pas la fin de ma chanson pour me donner des conseils. Son point de vue. Son interprétation musicale. Le mec il s’y connait. Je me sens tellement petit à côté de lui. Je commence à me dire qu’il doit y voir plein de trucs à corriger dans ce que j’ai composé. Je ne suis pas du tout fermé à ce genre de dialogue. Je veux que le meilleur pour mes chansons. En faire de nouvelles version je suis pas contre, pas du tout. Je serai même plutôt ravi d’avoir différentes tracks pour une même chanson. Les travailler au maximum et ne pas rester au stade de simple démo, même si je ne suis pas là non plus. Je n’ai rien enregistré, je n’ai fait que les jouer ici en live.
Quand j’avoue avoir écrit la chanson en une heure ça le met sur le cul. Oui, moi aussi j’ai été très surpris par cet élan d’inspiration. Wendy m’inspire tellement. Enfin, elle m’a inspiré pour une chanson, c’est déjà pas mal. J’arrive pas à me défaire de cette chanson. Je la trouve tellement appréciable à écouter, à chanter.
Les commentaires qu’il fait à propos de cette chanson. Il en dit que des choses positives. Ca me touche. Ca me prouve que c’est pas de la merde, que je sais écrire des chansons, même si c’est vraiment que ponctuel. Je ne sais pas me poser et me dire « je vais écrire une chanson ». Non. Parfois l’inspiration me vient dans mes rêves. Oui. J’ai déjà eu toute une idée de mélodie pendant que je dormais. Première chose que j’ai fait le matin en me réveillant, c’est m’enregistrer en train de fredonner l’air pour ne pas l’oublier, parce que c’était vraiment bon.
Je fais un petit sourire timide quand il demande à qui ça s’adresse. C’est une question légitime quand on entend ces paroles. Preuve qu’il a bien prêté attention à ce que j’ai raconté. C’est vraiment trop appréciable. Même si je la chante régulièrement sur scène, je suis pas sûr que les gens tendent vraiment l’oreille pour voir ce que je dis.
« Une copine… Une fille qui me fait rêver. On s’est retrouvé après 7 ans, mais on se parle plus depuis quelques mois. »
Je fais une petite moue. Je pense bien trop souvent à Wendy pour que ce soit une simple fille comme ça. Je lui ai bien fait comprendre avec des mots. Jack dit que ça lui plaira quand elle l’entendra.
« Ouais. J’ai tenté de la lui jouer mais le destin a fait que ça n’est pas encore arrivé. Un jour j’espère quand même. »
Je perds pas complètement l’espoir. Je sais que je n’ai qu’un SMS à lui envoyer pour reconnecter avec elle. Je ne le fais pas parce que je n’ai pas envie d’être lourd. Elle avait clairement pas l’air d’être disponible, et ça me fait clairement chier. C’est vrai.
Je fais « non » de la tête quand il me questionne. Il ajoute qu’il aime écouter en boucle les chansons pour se faire une meilleure idée. C’est vrai que les jouer autant de fois, ça doit faire mal.
« J’avais dans l’idée de faire une chaîne youtube avec mes chansons. Je l’ai créé mais j’ai encore rien posté dessus. J’ai pas pris le temps. »
La vie est bien trop remplie. Quand je fais rien j’en profite aussi. Rien faire ça fait du bien.
« Et puis j’ai pas vraiment d’appareil de qualité pour faire des vidéos avec un son correct, alors j’ai repoussé cent fois. »
Même si clairement je pourrais le faire avec mon iphone, mais ça serait pas le top, pas du tout.
« J’ai pas envie de faire un truc à l’arrache. Alors je me contente de les chanter en live comme ce soir. »
« On ferme dans une demie heure. »
On se fait interrompre par une voix et je réalise qu’on est quasiment les derniers dans le bar. Il est si tard que ça ? Je me tourne vers Jack. J’étais bien là dans ma bulle avec lui. J’ai pas envie que le moment s’arrête. Je me voyais même jouer une cinquantaine de fois ma chanson préférée « Remember » pour qu’il m’en dise encore plus à ce sujet. Oui. Je l’ai clairement envisagé.
Évidemment que la chanson est composée pour quelqu’un, et la simple mention fait briller son regard de nostalgie, sourire ses lèvres d'anticipation. Il y avait des classiques qui ne changeaient pas, et écrire pour l’amour en était un. Combien d’artistes avaient dédié leur carrière entière à celle, à celui qui faisait battre impétueusement leur coeur? Peu importe le médium, peu importe l’instrument, l’inspiration restait toujours pas très loin quand elle touchait à l’adoration, à la passion, au doux, au fusionnel. Éternel romantique, amoureux des femmes, de leur poésie, de leur verve, je n’étais qu’un coupable de plus parmi tous les autres. « L’amour, hen. » que je résume, bien platement. Le blond se charge d’en faire une ode par lui-même, à s’enflammer au sujet de cette fameuse fille qui le fait rêver, ce souvenir d’avant qu’il n’a pas encore pu saisir, dont il rêve éveillé. Son discours est pressé, presque trop, et je ne peux m’empêcher de laisser mon esprit dériver, d’échapper quelques mots à travers ses explications, comme si tout ceci n’étaient qu’excuses, qu’obstacles qu’il se mettait lui-même en travers du chemin. « Tout est une question de timing. Quand ce sera le bon moment, ça arrivera. »
Rien n’était hasard, rien n'était coïncidence. À mon sens, tout arrivait à point à qui savait attendre, et pour Kane, si le temps n’avait pas été de son côté jadis, ce n’était que pour mieux l’être maintenant. Quand l’amour frappe, quand le coup de foudre s’installe, il est là pour rester. Une personne vous étant destinée reviendra sur votre chemin le jour où vous êtes prêt à l’y accueillir. Le jeune homme continue de gratter doucement sa guitare, et il parle, et il relate, et il explique. Ce à quoi je le questionne, intrigué à savoir si la musique était aussi sérieuse dans sa vie qu’elle me le semble ce soir. Qu’il joue distraitement est une chose, mais qu’il porte autant dans son coeur les compétitions qu’il m’a livrées avec fougue en est une autre, et je ne le vois que trop lorsqu’il insiste sur le fait de faire les choses bien. Un sourire doux, compréhensif se glisse sur mes lèvres. « Je comprends. Je suis pareil. » aussi étonnant cela puisse être devant le phénomène bohème que je pouvais exhiber face à la vie, la musique était ce genre d’élément sacré que jamais je n’oserais bafouer, brusquer. C’est probablement pour cela que j’y revenais toujours, que je n’arrivais pas à mettre tout ça derrière, de côté. La fourberie des premiers jours additionnée à l’expérience, à la sagesse sûrement.
« Et si t’as envie de pas le faire à l’arrache. » que je finis par proposer, notre conversation interrompue par le staff qui semble enfin prêt à fermer le bar, à nous chasser dans les rues humides, étouffantes de Brisbane. La main qui se glisse dans la poche de ma chemises à carreau, la flanelle qui vieillit à vue d’oeil. « C’est l’adresse de mon studio. Sur Brunswick street mall. » que je tends à Kane, petit carton brun râpé sur lequel l’adresse, le numéro de téléphone et le nom du label étaient inscrits. Rien de bien tape-à-l’oeil, rien de trop vantard, du simple, comme je l’aime. « À plus tard, Kane. » qu’il finira par entendre, une fois que j’aie mis le pied dehors à ses côtés, qu’il part d’un sens, et que j’allume ma clope de l’autre. Bon petit gamin, la tête pleine de rêves, les doigts usés d’avoir joué, d’adorer la mélodie à ce point. Et doucement, en m’enfonçant dans la nuit, j’espère que sa candeur, que sa naïveté, que son art recroiseront mon chemin, quand le timing sera bon, quand la vie en aura décidé ainsi.
C’est une question de timing qu’il dit. J’ai pas eu trop de chance de ce côté là avec Wendy pour l’instant. Peut être que l’avenir me réserve des surprises ? Ce serait bien. Je ne demande que ça. Avoir mon chemin qui croise le sien de nouveau. Mais après avoir été esquivé autant de fois, je sais pas si j’oserai refaire un pas vers elle. Faut forcer sa chance des fois. Ouais. Je verrai si j’ai des signes qui s’imposent à moi. J’aime bien faire en fonction des signes.
Il me comprend quand je lui dis que je veux faire ça bien pour mes chansons. Ca le tient à coeur lui aussi. La musique ça se respecte. Surtout quand c’est des morceaux qu’on a écrit soit même. Faut leur faire honneur, les sublimer. Mettre toutes les chances de notre côté pour qu’elles soient autant appréciés par d’autres que par nous. Enfin, c’est comme ça que je vois ça. Sûrement parce que je suis pas vraiment sûr de ce que je fais dans le milieu. Mon père dit que mes chansons sont vraiment bien. Il est prof de musique donc je le prends en considération, mais il est avant tout mon père et je sui sûr qu’il aimerait n’importe quoi fait par moi.
On nous lance que le bar ferme bientôt et Jack me fait une proposition pour ma musique. Si je veux qu’elle soit pas faite à l’arrache. Bien sûr que je veux ça. Mais quoi ? Il a une caméra avec un bon micro à me passer ? Il annonce qu’il a un studio. Wow. Okay. J’ai la bouche grande ouverte, le souffle coupé. Il a un studio ?! Rien que ça.
Je prends la carte qu’il me tend. Bananas & Blow. Je ne connais pas mais je ne demande qu’à connaître. Je suis soufflé par la révélation. Bien sûr qu’il s’y connait, il tient un studio ! J’en reviens pas et ça se voit sur mon visage. J’essaie de me contenir mais j’ai du mal.
« Merci… Ouais à plus, je t’appellerai ! »
Parce que je veux bien enregistrer mes chansons dans un véritable studio. Rien qu’à cette idée je suis tout excité. Va falloir que j’attende quelque jours avant de le contacter. Je ne veux pas paraître trop pressé. Et puis ça doit avoir un coût cette histoire non ? Je lui poserai toutes mes questions en temps et en heures. Je ne vais pas laisser filer cette opportunité.