| | | (#)Jeu 2 Nov 2017 - 13:04 | |
| Owen n’était pas revenu ici depuis plusieurs années. Il était parti à Sydney puis au Vatican et plus au nord de Brisbane avant de revenir s’installer dans sa ville. La vie reprenait son cours et il était très heureux de pouvoir enfin revenir aux sources. Il allait pouvoir, enfin, il espérait pouvoir enfin profiter de sa famille. Ce qu’il voudrait par-dessus tout c’est pouvoir s’entendre avec son frère et sa sœur comme c’était le cas il y a maintenant dix ans. Avoir une famille unie malgré l’absence de son père. Si sa mère s’était montrée plus solidaire en acceptant son choix, ce n’était pas le cas de tous. Et sans en parler vraiment, sans le formuler, il était touché. Une promesse est une promesse et pour Owen, ne pas l’honorer est une grande trahison. C’est pourquoi aujourd’hui il se rend à Samsonvale pour aller à la rencontre de la famille Scofield et notamment madame. Cela fait maintenant 16 ans qu’ils ont perdu leur fils, une disparition sans laisser de trace. Personne ne sait où il peut être et les pistes sont si nombreuses qu’elles n’ont aucune valeur. A force d’être partout, on finit par être nulle part. Madame Scofield est une femme forte, engagée, elle ferait tout pour retrouver son fils, elle est pleine d’espoir et s’accroche à un petit rien. Elle ne lâchera jamais l’affaire et mènera son combat jusqu’au bout. Une preuve de courage qui inspire le respect pour Owen. La promesse qu’il avait fait il y a quelques années maintenant, avant qu’il ne s’en aille, c’est qu’il reviendrait, c’est qu’il serait de nouveau présent à son retour. Il appréciait la famille, bien qu’il n’eût jamais rencontré tout le monde. Il avait déjà croisé monsieur Scofield, qui lui avait baissé les bras il y a plusieurs années, mais qui pourrait lui jeter la pierre ? Quant à leur fille, bien qu’il eût vu des photos de famille à la pelle, il ne l’avait jamais rencontré. Il sait bien ce que pense madame Scofield à ce sujet mais il ne s’est jamais permis d’émettre le moindre jugement. Il arrivait en voiture, vieux modèle qu’il appréciait bichonner. Pas un grand fan de voiture mais il appréciait la sienne et il en prenait soin. Un vieux modèle qui appartenait déjà à son père. Il ne pourrait pas traverser l’Australie avec mais elle faisait un très bon moyen de transport pour la trentaine de kilomètre qui séparait Brisbane et Samsonvale. Il semblait y avoir du monde ce jour-là dans la demeure familiale. Peut-être arrivait il au mauvais moment mais en réalité, lorsqu’il se rappela du jour, cela marquait une date anniversaire de la disparition du jeune homme… Il se doutait alors que sa mère avait marqué le coup d’une grande mobilisation. Owen était touché de voir à quel point les habitants du quartier et l’entourage de la famille était encore présent. Il sortit de sa voiture et alla vers la maison, à la rencontre de Madame Scofield. Ne s’attendant pas à croiser quelqu’un d’autre qu’il connaissait.
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| | | | (#)Ven 3 Nov 2017 - 15:33 | |
| On finit toujours par. On baisse les bras, on accepte. De guerre lasse. Leena avait cédé parce qu'elle n'avait plus trop le choix, elle était arrivé à un point où ce n'était même plus décent de rester dans le mensonge, à quelques kilomètres à peine de ses parents. Elle savait très bien que si son père l'apprenait il en serait peiné, au fond — même s'il n'en montrerait rien. Il n'était plus qu'une coquille vide, l'ombre de lui-même, quelqu'un qui avait déserté depuis bien longtemps et qui se terrait dans son corps et dans sa tête, ayant choisi l'alcool comme seul remède, pour couronner le tout. Ce n'était pas un alcoolique violent ou bruyant, c'était presque pire, c'était l'alcoolisme qui noie et qui déchire encore plus, qui l'avait transformé en bateau à la dérive, prisonnier de sa propre tristesse. Il avait été si présent pour elle au long de son enfance, il était le père dont on rêve : complice, drôle, plein de ressources et d'idées, affectueux, rassurant — c'était encore pire aujourd'hui de le voir ainsi, métamorphosé, absent, même dans la vie de sa propre fille. Leena en voulait beaucoup à sa mère à ce sujet. Si elle n'avait pas été si égoïste... Si elle n'avait pas perdu les pieds après la disparition d'Adam... Si elle s'était souvenue qu'elle avait une famille encore présente... Si elle n'avait pas décidé de sacrifier les présents... Si... Mais l'histoire ne pouvait pas être réécrite. Leena avait quitté Brisbane en partie pour cela — les tragédies ne s'effacent jamais. Et elle avait décidé qu'elle n'en porterait pas le poids.
Elle les avait revus : un matin elle avait débarqué chez eux/chez elle, comme ça, elle avait souri, les avait salués, avait menti sur sa date de retour et puis elle était restée vague, j'habite vers Toowong, je cherche du travail, je continue mes bijoux, etc. Elle ne voulait pas qu'ils sachent où elle habite, elle ne voulait pas qu'ils connaissent trop de choses de sa vie, c'était ainsi depuis des années, sa manière à elle de se protéger. Parfois, seule à seul avec son père elle lui lâchait quelques informations, il ne disait rien, il hochait la tête doucement, il savait qu'il n'était plus là de toute façon. Mais avec sa mère hors de question, elle était si sèche, elle jugeait tant, toujours, même quand elle regardait Leena on avait l'impression que son oeil enregistrait tout ce qui n'allait pas, elle s'attardait toujours sur son apparence, elle n'osait plus rien dire mais elle le pensait et ça se voyait. L'épreuve passée, Leena avait promis de revenir dans « pas trop longtemps » ce qui signifiait en d'autres termes « quelques temps de répit ».
Puis elle avait reçu un appel, de son père évidemment, mandaté par sa mère : ils organisaient quelque chose à la maison avec les voisins, les gens de l’association, la paroisse, etc. Comme souvent. Pour Adam. Sa mère y mettait toute son énergie. Est-ce qu'elle viendrait, cette fois, maintenant qu'elle n'était plus à des milliers de kilomètres ?... Pour Adam. Leena avait pensé non mais elle avait dit oui : c'était la culpabilité qui l'avait rattrapée, comme si Adam allait lui en vouloir, où qu'il soit, de faire faux bond à ce rendez-vous quand elle avait la possibilité d'y être, pour une fois.
Elle avait mis un pantalon couleur brique, un chemisier léger et une veste noire cintrée, ainsi que des derbys noires. C'était dans les tenues les plus soft qu'elle pouvait avoir et c'était fait exprès : elle ne voulait pas qu'on la voit comme une artiste bohème et perchée, comme sa mère aimait à lui lancer à la figure de temps à autre. Elle avait noué ses cheveux en chignon et s'était à peine maquillée — rien ne suffirait à masquer son trouble et son air un peu trop pâle. Elle angoissait, plus elle avançait vers la maison, pour l'heure tournait, elle avait l'impression que la panique lui oppressait les entrailles. Pour elle Adam était toujours ce petit garçon vivant de son enfance, pas un fantôme qu'on célébrait, année après année.
Un homme arriva devant la maison. D'allure simple, il avait un col romain. Leena se raidit malgré elle — encore un curé qui venait rabâcher que la prière était la seule solution à la tristesse et que l’œuvre de Dieu finirait un jour ou l'autre par prendre le dessus. Elle en avait soupé des soutiens de la paroisse, tous plus mièvres les uns que les autres. Mais celui là, elle ne le connaissait pas, alors s'efforça de lui accorder le bénéfice du doute. « Bonjour, je suis Leena. Vous devez probablement connaître mes parents. Enchantée. » Il était si jeune tout de même. Comment pouvait-on choisir de s'enfermer ainsi dans la religion ? « Vous êtes dans le coin depuis longtemps ? » Elle s'était arrêtée pour discuter, cherchant inconsciemment toutes les bonnes raisons de ne pas mettre un pied dans la maison. |
| | | | (#)Jeu 16 Nov 2017 - 11:31 | |
| La cause mobilisait pas mal de monde. Owen avait croisé une dizaine de personne en ayant fait quelques pas seulement. Il n’avait pas l’impression qu’une grosse peine pesait sur les épaules de chacun. Peut-être qu’après tout ce temps, le chagrin s’était peu à peu dissipé ou alors, il s’exprimait d’une autre manière. Il avait hâte de croiser Madame Scofield, lui démontrer son soutient et lui exprimer de nouveau toute son admiration. Owen ne connaissait pas le sentiment de perte d’un membre de sa famille sans savoir ce qu’il en était advenu. S’il était toujours dans le monde des vivants ou s’il avait passé la frontière de l’au-delà. Le jeune prêtre croyait en un monde meilleur, un paradis, il ne savait pas de quoi il était fait mais se disait que c’était forcément un endroit paisible et où les âmes pouvaient enfin être libérée de toute contrainte, de toute culpabilité, de mauvaises pensées. Chaque erreur était balayée et personne n’en avait plus le poids. Libéré de tout. Mais aucune idée pour Adam. Etait-il partie par choix, avait il était enlevé, avait-il simplement eu un accident et personne n’avait jamais retrouvé sa trace ? Autant de question sans réponse qui sont insupportable pour la famille. « Bonjour, je suis Leena. Vous devez probablement connaître mes parents. Enchantée. » Leena Scofiedl. Même si la présentation était courte, il savait tout à fait de qui il s’agissait. Il regarda cette jeune demoiselle qu’il avait déjà vu en photo. Mais de vieilles photos de famille où son frère apparaissait encore. Elle avait bien changé depuis, elle était une femme, simplement. « Enchanté, Owen Baxton, une vieille connaissance de vos parents… » enfin, vieille, plus ou moins, il n’était pas si vieux que ça lui. « Vous êtes dans le coin depuis longtemps ? » Tout dépend ce qu’elle entend par être dans le coin. « Je suis originaire de Brisbane. » Il la regardait, elle ne semblait pas vraiment correspondre à ce qu’en disait sa mère. Cette artiste déconnectée de la vie réelle. Owen avait cette impression d’une jeune femme tout à fait équilibrée et avec les pieds sur terre. « Je suis ravi d’enfin pouvoir faire votre connaissance, depuis le temps où j’entendais parler de vous sans jamais vous croiser. Vous n’êtes pas une grande amatrice de ce genre de rassemblement n’est-ce pas ? »
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| | | | (#)Lun 20 Nov 2017 - 15:17 | |
| Avec la tension en prime, Leena sentit qu'elle avait presque envie de rire. En vérité dès qu'il avait ouvert la bouche (Owen Baxton, donc) elle s'était dit qu'il était plutôt beau garçon, et que pour une fois c'était du gâchis. Heureusement qu'elle n'avait encore rien bu sinon le rire serait parti, aurait résonné dans l'air ambiant et aurait perturbé absolument tout l'équilibre de l'instant. Une vieille connaissance ? Elle ne retint pas un regard légèrement interrogatif. Mais au moins il s'était arrêté à ses côtés et semblait disposé à discuter un peu avec elle — ce qui repoussait encore un petit peu l'échéance. Leena sourit poliment, c'était bien cela à l'entendre alors, il était l'un des nouveaux prêtres qui suivaient ses parents, sur qui sa mère avait probablement dû jeter son dévolu désespéré, à qui elle devait tout confier à propos d'Adam, avant de réquisitionner encore et encore pour toutes les idées d'action et de rassemblement qu'elle avait eu. Fatigante. Le pauvre, au fond, il était à plaindre ; avoir la foi ne méritait pas un tel traitement. Car Leena savait pertinemment que sa mère était une personne de caractère et qu'elle pouvait être intolérable à vivre au quotidien.
« Oh ! Comme nous, alors, j'ai aussi grandi ici, même si j'en suis partie ces dernières années. » Elle se demanda s'il savait, et ce qu'il savait exactement. Sa mère ne s'était sûrement pas retenue de dire que sa fille avait tourné hippie et était partir une vie de bohème et de débauche en Europe. « Je ne vous avais jamais vu par ici. » Ridicule. Leena sentit qu'elle s'embourbait un peu. Non seulement elle ne voulait pas rentrer à l'intérieur (trop de gens, trop de souvenirs) mais en plus maintenant elle avait la puce à l'oreille — que pensait une personne extérieure de l'état de ses parents, de l'obstination malsaine de sa mère, de l'abandon désespéré de son père ? « Eh bien, euh... »
Le prêtre l'avait prise de cours, et elle ne sut pas masquer son hésitation. Non seulement elle était surprise qu'il ait entendu parler d'elle à ce point, mais en plus il venait de la percer à jour en l'espace que quelques secondes. Elle se gratta la nuque, geste qu'elle avait à chaque fois qu'elle était nerveuse. S'offraient à elle deux options : jouer franc-jeu et se confier à cet homme ou s'en méfier, car il était peut-être à la solde de sa mère et tentait de grappiller des informations pour les revendre ensuite. Peut-être trop naïvement, elle choisit de penser qu'Owen Baxton ne cherchait pas à mal.
« À vrai dire, effectivement, pas du tout. Je déteste ça... D'ailleurs je n'en ai pas fait depuis des années car j'étais trop loin, mais ça ne m'a pas manqué. J'ai l'impression qu'on entretient un fantôme... Qu'on célèbre une tragédie, quand j'aimerais simplement me souvenir d'Adam quand il était vivant et qu'on ne me rappelle pas à chaque seconde tout ce qui c'est passé... Ça doit vous paraître un peu bizarre, surtout quand vous connaissez ma mère et son... engagement. Elle n'a jamais baissé les bras. » Mais à quel prix ? Le reste ne compte plus, se retint-elle d'ajouter. Elle releva les yeux vers lui. « Vous connaissez bien mes parents, n'est-ce pas ? Je peux vous poser une question ? » Elle sentit qu'elle devenait un peu nerveuse. « Comment vous les trouvez... Je veux dire, qu'est-ce que vous pensez de tout ça ? De ma mère ? De mon père ? De notre famille ? » Leena avait murmuré ces derniers mots, incapable tout d'un coup d'en dire plus. Comme si elle plaçait tous ses derniers espoirs en cet homme, touché par une grâce qui lui était pourtant étrangère. |
| | | | (#)Jeu 23 Nov 2017 - 14:58 | |
| « Oh ! Comme nous, alors, j'ai aussi grandi ici, même si j'en suis partie ces dernières années. » Tout comme Owen, visiblement. « Ça nous fait un autre point commun. Je suis partie quelques années, me voilà de retour et je suis venu aujourd’hui pour démontrer à vos parents que je ne les ai pas oubliés, ces années durant. » Peut-être était-elle partie de Brisbane bien avant lui, ce qui justifierait qu’il ne l’a jusqu’à lors jamais croisé, mais rapidement, elle s’expliqua quand il lui demanda si c’était parce qu’elle n’aimait pas les rassemblements de ce genre. Il n’avait pas envie qu’elle se sente piégé par ses questions qui pourraient être indiscrète, alors qu’ils ne se connaissaient même pas. Enfin, il en connaissait plus sur elle que l’inverse, en tout cas. « À vrai dire, effectivement, pas du tout. Je déteste ça... D'ailleurs je n'en ai pas fait depuis des années car j'étais trop loin, mais ça ne m'a pas manqué. J'ai l'impression qu'on entretient un fantôme... Qu'on célèbre une tragédie, quand j'aimerais simplement me souvenir d'Adam quand il était vivant et qu'on ne me rappelle pas à chaque seconde tout ce qui s’est passé... Ça doit vous paraître un peu bizarre, surtout quand vous connaissez ma mère et son... engagement. Elle n'a jamais baissé les bras. » Owen fu surpris par le vocabulaire employé par la jeune femme. Quand il était vivant… pour lui, jusqu’à présent, rien n’avait permis de déterminé si Adam était vivant ou mort. Il se trouva un peu décontenancé devant les propos de la jeune femme, peut être avait il loupé des informations importantes de l’enquête. Il allait bientôt le savoir. « Votre frère serait donc décédé ? » il se demanda si ce n’était pas mieux ainsi. Si le fait de connaitre la fin n’allait pas soulager la famille entière. Si c’était le cas, une fois de plus, les Scofield pourraient compter sur son soutien. Maintenant qu’il était bel et bien de retour à Brisbane, il pourrait être bien plus présent. « Vous connaissez bien mes parents, n'est-ce pas ? Je peux vous poser une question ? » Owen acquiesça, attendant qu’elle lui pose sa question. « Comment vous les trouvez... Je veux dire, qu'est-ce que vous pensez de tout ça ? De ma mère ? De mon père ? De notre famille ? » Mal placé pour pouvoir juger, Owen n’avait pas une famille exemplaire, il avait ses propres bagages et il ne pouvait se permettre de porter un regard accusateur qui quiconque pouvait vivre une telle tragédie. Il haussa les épaules, regardant cette jeune femme qui visiblement, semblait être dans un flou total. « Je ne me sens pas à ma place pour répondre à vos questions. Ce que je peux dire c’est que vos parents réagissent comme ils le peuvent. Votre mère est dévouée à une noble cause, elle n’a surement jamais fait son deuil… » difficile de faire un deuil quand on n’est pas certain du sort qui a été réservé à son enfant. « Votre père est un homme plus réservé… pour qui s’est bien plus compliqué de garder la tête haute. Chacun son fardeau… Mais votre famille est toujours là aujourd’hui, malgré les difficultés de chacun et c’est très respectueux. J’imagine, que pour vous, ça doit être compliqué également. Si non, vous ne m’auriez pas posé ces questions. On ne peut jeter la pierre à personne. » |
| | | | (#)Sam 2 Déc 2017 - 16:01 | |
| Votre frère serait donc décédé.
C'était comme une douche froide, soudaine et bien loin d'avoir été anticipée. Leena sentit tous ses muscles se contracter l'un après l'autre, se geler, se figer. Même ceux de son visage se trouvèrent immobiles, sa mâchoire crispée l'empêchant d'émettre n'importe quel son. Décédé. Serait donc. Décédé. Votre frère. Les mots tournaient autour d'elle comme pour l'étourdir, tandis que le sourire poli et l'air plutôt bienveillant, mais légèrement en retrait, d'Owen Baxton lui faisaient face. Elle avait l'impression d'avoir été projetée sur une autre planète — ou pire, en vérité : ramenée violemment et de nouveau dans la réalité.
Personne n'avait officiellement annoncé la mort d'Adam. Ni la police, ni les médias, ni tous les gens autour de ses parents, rattachés de près ou de loin à la lutte incessante que menait sa mère. Puisque le corps n'avait jamais été retrouvé, ni aucune de ses affaires, ni une quelconque trace : oui, on pouvait croire qu'il avait survécu. Qu'il vivait quelque part. Mais il y avait la version officielle, et celle que tout le monde pensait, celle qui faisait parler les gens en chuchotant au coin des allées des supermarchés, celles qui nourrissait les conversations dans les pubs ou à table le soir : on sait très bien qu'un enfant kidnappé voit ses chances d'en réchapper faiblir d'heure en heure... 24h et c'est trop tard, 48h et ce n'est plus la peine. Aucune trace n'avait été retrouvée et ne le serait jamais. Il ne reviendrait pas. Leena s'était très vite dit qu'il était mort, parce que ne jamais revenir ou mourir, quelle était la différence ? « Vous savez parfaitement que ce genre d'histoires ne finit jamais bien » parvint-elle à répondre enfin, au bout de quelques secondes, d'une voix blanche. « Que si on ne retrouve pas l'enfant sur le champ... C'est fini. Ça fait seize ans qu'il a disparu... Je ne parviens pas à penser qu'il est encore en vie quelque part. » Elle conclut d'une voix un peu étouffée, parce qu'elle n'arrivait pourtant pas à dire il est mort, alors qu'elle le pensait.
Tout d'un coup elle regretta à moitié de s'être confiée trop vite ; le refus qu'il lui répondit, bien que doucement présenté, la mit mal à l'aise — voilà, il n'était pas de son côté, ou plutôt il était de celui de sa mère... Mais ses derniers mots la déstabilisèrent et elle sentit brusquement une boule lui monter à la gorge et ses paupières la brûler. Elle détestait pleurer devant des inconnus, surtout à propos de son frère — elle l'avait suffisamment fait. Par réflexe, à la fois de pudeur et parce qu'elle ne voulait surtout pas que sa mère la voit pleurer, elle s'écarta un peu de quelques mètres, s'abritant plus de la maison, derrière la haie. Quelques larmes avaient roulé sur ses joues, mais elle en retenait la majorité. « Désolée. Vous avez raison. Ce n'est pas à vous de me répondre. Et je ne jette la pierre à personne, mais... » Leena croisa le regard d'Owen et sentit sa vue se troubler à nouveau, pleine de larmes. Le pauvre homme devait bien regretter d'avoir croisé son chemin. Elle s'essuya le visage une nouvelle fois, priant que les larmes arrêtent de couler. « Le fait est que ma famille n'est pas toujours là, comme vous dites. Elle n'est plus là depuis longtemps. D'accord, je suis partie, mais personne ne semble bien se rendre compte : ma mère, c'est nuit et jour qu'elle est dévouée à sa noble cause, mon père, c'est nuit et jour qu'il boit et ne parle plus. Quelle place ça me laisse, à moi ? » Elle se rendit compte tout d'un coup que ses larmes prenaient le goût de la colère. « Je comprends votre point de vue, c'est respectable, chacun fait ce qu'il peut et mes parents réagissent sans doute au mieux. Sauf que le résultat, c'est que je les ai perdus en même temps qu'Adam » conclut-elle. Peut-être était-ce une erreur de se confier à lui ; peut-être qu'il répèterait tout à sa mère. Mais Leena ne parlait presque jamais à personne de tout cela, et elle se fit la réflexion qu'un étranger était en réalité la meilleure personne à qui ouvrir son coeur sur le sujet. |
| | | | (#)Lun 11 Déc 2017 - 23:14 | |
| « Vous savez parfaitement que ce genre d'histoires ne finit jamais bien. Que si on ne retrouve pas l'enfant sur le champ... C'est fini. Ça fait seize ans qu'il a disparu... Je ne parviens pas à penser qu'il est encore en vie quelque part. » Owen n’était pas un expert dans les faits divers et les disparitions d’enfants. Elle avait sans doute raison mais personne ne pouvait retirer l’espoir qu’avaient ses parents. Et leur combat était noble. Enfin, celui de sa mère… son père avait opté pour autre chose, c’était regrettable, certes, mais il est souvent facile de juger des comportements lorsqu’on a aucune idée de ce que ces personnes peuvent vivre. « Je comprends votre point de vue… j’espère tout de même qu’une réponse vous sera apportée un jour. » le fait d’être dans l’attente, dans l’incompréhension, le fait de ne rien savoir, c’était sans doute insupportables. Et Owen se disait que si l’annonce de la mort de leur fils était réelle, tout le monde n’en serait que plus délivré. « Je vous souhaite bon courage… » Même si ces mots étaient sous doute trop faible pour la famille. Owen avait bien remarqué qu’il venait de toucher une corde sensible. En même temps, c’était surement facile de remuer des douleurs dans ces circonstances. Les yeux de la jeune femme se brouillaient de larmes, il la regarda, sincèrement désolé. Ce n’était pas son but de la faire pleurer, loin de là. Owen avait une position bienveillante. « Désolée. Vous avez raison. Ce n'est pas à vous de me répondre. Et je ne jette la pierre à personne, mais... Le fait est que ma famille n'est pas toujours là, comme vous dites. Elle n'est plus là depuis longtemps. D'accord, je suis partie, mais personne ne semble bien se rendre compte : ma mère, c'est nuit et jour qu'elle est dévouée à sa noble cause, mon père, c'est nuit et jour qu'il boit et ne parle plus. Quelle place ça me laisse, à moi ? Je comprends votre point de vue, c'est respectable, chacun fait ce qu'il peut et mes parents réagissent sans doute au mieux. Sauf que le résultat, c'est que je les ai perdus en même temps qu'Adam » Owen avait beaucoup d’empathie pour elle. Il avait aussi de la peine pour elle, il pouvait facilement absorber toute la douleur d’une personne et avoir mal à son tour. C’était compliqué à gérer parfois, en tant que prêtre, la vie n’était pas toujours rose mais il gérait ça plutôt bien. Sauf que cette fois, il ressentait tellement de sentiment à travers ces mots. « Je suis vraiment désolé… c’est vrai que je n’avais jamais envisagé la situation de cette façon. Et comme nous ne nous étions jamais rencontré avant, je ne me suis jamais vraiment posé la question de votre place dans tout ça… » Le jeune prêtre regarda autour de lui. Quelques personnes avaient remarqué que Leena s’était mise à pleurer. « Qu’est-ce que vous diriez d’aller ailleurs ? » Il avait l’impression qu’elle n’avait pas vraiment sa place ici et la forcer à rester n’était en rien une bonne idée. « Vous me permettez juste d’aller saluer votre mère. Ca fait longtemps que je ne l’ai pas vu… » Il ne fallait pas non plus qu’elle prenne cette proposition comme un rendez vous. Juste la possibilité pour elle de lacher prise, dans un autre endroit que celui-ci. Il pouvait voir toute la pression qu’elle portait sur ses épaules.
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| | | | (#)Mer 13 Déc 2017 - 16:48 | |
| Qu’une réponse soit apportée — c’était bien une réponse d’homme d’église, se dit Leena à travers ses larmes. La volonté était bonne et louable, certes, mais qu’est-ce qu’elle changeait au fond ? Rien, absolument rien. Elle avait toujours trouvé en la prière quelque chose de noble mais de creux, parce que s’en remettre à de l’immatériel pour résoudre des problèmes avait un côté parfaitement illogique. Comme quoi elle avait les pieds sur terre pour une artiste, malgré ce qu’en disait sa mère… Mais Owen s’excusa alors, la voix douce et mesurée. Leena n’arrivait pas bien à le comprendre, à le cerner ; il était gentil et à l’écoute, certes, mais la distance qu’il maintenait et son discours mesuré brouillait ses repères. Elle tenta de sourire malgré ses larmes, mais les efforts qu’elle donnait pour s’empêcher de pleurer d’avantage crispaient sa mâchoire et l’en empêchèrent. C’était la première fois que quelqu’un lui disait les mots, votre place dans tout ça, et elle avait l’impression que tout d’un coup ils en étaient encore plus douloureux. Ce qui était ridicule en soit : elle avait accepté, elle était partie pour cela, abandonnant derrière elle Brisbane et ses souvenirs de famille qui n’était plus, elle avait abdiqué en un sens elle aussi, après ses parents. Se mettre à pleurer aujourd’hui n’avait pas de sens ; trop d’années s’étaient écoulées depuis la disparition d’Adam, trop d’années depuis qu’elle avait choisi de quitter cet endroit qui n’avait pas de place pour elle. Mais c’était ainsi : on ne peut pas tout contrôler, encore moins les sentiments. La pression relâchait parfois, de manière sporadique et imprévisible.
Elle se rendit compte que, malgré le fait qu’ils se soient un peu écartés, la scène attirait les regardes des curieux. Évidemment : il en venait du monde quand sa mère organisait ce genre d’évènements, et le retour de Leena faisait jaser aussi. « Oui… Je ne sais pas, je ne veux pas vous empêcher d’y aller. » Un peu perdue, elle ne savait que lui répondre : faire la part des choses entre ce qu’elle voulait (partir d’ici) et ce qu’elle devait (sécher ses larmes et rester) n’était pas évident. « Je crois que je suis incapable de faire bonne figure de toute façon. Ça ne sert à rien que j’y aille pour l’instant. Bien sûr, allez la saluer. Encore une fois, ne vous embêtez pas pour moi si… » Timidement elle haussa les épaules, sans terminer sa phrase. Après tout on restait dans le thème : elle ne rentrait pas forcément en compte. Mais elle avait beau serrer les dents et retenir la boule qui montait dans sa gorge, ses joues restaient pleines de larmes, ses yeux refusant de s’assécher. Elle eut un petit sourire désolé à l’adresse d’Owen. « On peut aller boire un café un peu plus loin dans la rue — il ne paye pas mine, mais il est bon — ou bien juste se balader un peu. Je ne vous retiendrais pas longtemps. Mais c’est gentil de proposer en tout cas… » Elle faillit rajouter : de vous intéresser à moi, mais elle avait peur que ce soit mal interprété. Elle aurait juste aimé pouvoir lui signifier qu’une personne connaissant plus ses parents que l’inverse lui donne le bénéfice du doute était déjà quelque chose qui lui allait droit au cœur. |
| | | | (#)Dim 24 Déc 2017 - 15:12 | |
| Owen avait pensé bon qu’il était mieux pour la jeune demoiselle d’aller prendre un peu l’air. D’aller faire un tour ailleurs. Peut être qu’on son retour ici n’était pas une bonne solution ou alors c’était prématuré. « Oui… Je ne sais pas, je ne veux pas vous empêcher d’y aller. » Il lui sourit de manière rassurante, ce sourire pour lui en disant long. Elle ne l’empêchait en rien. Peut être qu’aujourd’hui, son rôle était d’en savoir un peu plus sur elle. Et il était certain que sa mère ne lui en tiendrait pas rigueur. Elle était suffisamment entourée pour ne pas avoir besoin de lui tout de suite, peut être même qu’elle n’avait pas besoin de lui tout court. « Je crois que je suis incapable de faire bonne figure de toute façon. Ça ne sert à rien que j’y aille pour l’instant. Bien sûr, allez la saluer. Encore une fois, ne vous embêtez pas pour moi si… » « Ne vous en faites pas. Je reviens dans quelques instants. » Il s’excusa d’un signe de la tête et parti à la recherche de sa mère. Il fini par la trouver non loin de là. Il se présenta à elle, elle semblait contente de le voir. Mais rapidement, elle fu prise par d’autres personnes. Ce qui pensait s’était donc montré véridique. Il retourna alors vers la jeune femme. « Voilà qui est fait. Votre mère est bien occupée. » comme elle l’était à chaque fois d’ailleurs. Il n’avait pas encore aperçu Monsieur Scofield mais il aura l’occasion sans doute de le croiser plus tard. « On peut aller boire un café un peu plus loin dans la rue — il ne paye pas mine, mais il est bon — ou bien juste se balader un peu. Je ne vous retiendrais pas longtemps. Mais c’est gentil de proposer en tout cas… » Owen jeta un œil vers la route, un peu plus loin. « Le café, c’est très bien. » Il sorti immédiatement de là, prenant soin de veiller à Leena qui le suivait de peu. Ils étaient maintenant bien à l’écart. Peut être que quelques personnes allaient remarquer qu’ils s’éloignaient, peut être que ces mêmes personnes allaient se donner à cœur joie de dire que la gamine fuyait encore tout ça, mais peu importe. Elle en avait besoin et le prêtre l’avait bien remarqué lui. « Alors dites-moi, vous revenez d’où comme ça ? » il ne pensait pas bon de devoir lui parler encore de sa famille et la situation douloureuse qu’ils vivaient depuis tant d’années. Il remarqua déjà au loin le seul petit café qu’il y avait dans cette rue. On pouvait le voir au loin avec l’enseigne qui clignotait sur la façade. Le slogan d’une bière bien connu en Australie. |
| | | | (#)Mer 3 Jan 2018 - 14:39 | |
| Bien occupée, sa mère devait l'être : toute à ses prospectus sur l'association, ses grands discours, ses remerciements à tours de bras — Leena se la représentait sans aucun problèmes, même après toutes ces années. Ce n'est que quand ils se mirent en route qu'elle sentit le poids qui compressait ses poumons s'alléger un peu, comme si le simple fait de s'éloigner de la maison lui faisait du bien. Les larmes coulaient encore mais elle avait réussi à avaler la boule au fond de sa gorge, et l'air pénétrait mieux dans sa bouche. Elle s'essuya une nouvelle fois le visage, toujours partagée entre le sentiment désagréable et un peu honteux de se donner en spectacle ainsi devant cet homme qu'elle ne connaissait pas, et la curiosité qu'il éveillait chez elle. Il avait beau être prêtre, et de ce fait de ne pas la mettre nécessairement en confiance, la bonté qui émanait de lui et le fait qu'il prenne du temps pour elle la chamboulait un peu. Elle lui jeta un regard en coin, tandis qu'ils marchaient vers le café. Elle était bien indifférente, pour le moment, de ce que pouvait penser les gens qui l'avaient vue, et peut-être ses parents ; il serait toujours temps d'y retourner à un moment ou à un autre, et puis sa mère lui en voulait déjà pour tant de chose qu'un peu plus, un peu moins... « Je, hmm, je reviens de Londres » répondit-elle après quelques secondes, la voix un peu enrouée, les idées pas très claires. Mais c'était une bonne chose que de parler de sujets plus concrets et moins douloureux, et elle lui en fut reconnaissante. « J'y ai vécu huit ans, après avoir fait le tour de l'Europe avec ma meilleure amie. C'est l'une des villes que j'ai préféré, alors je m'y suis installée. Je fabrique des bijoux, j'ai commencé à en vendre là-bas, et j'ai monté ma boutique sur Internet. Londres est une ville formidable pour les jeunes créateurs ! Je suis rentrée très récemment, mais je ne sais pas combien de temps je vais rester ici... Enfin, je vais me poser un peu, c'est certain. » Elle ne voulait pas qu'il croit qu'elle papillonnait sans savoir de quoi serait faite la suite, elle ne voulait pas coller à l'image que ses parents avaient d'elle. Elle avait beau être une artiste, elle avait toujours gardé les pieds sur terre. Comme ils étaient arrivés au café, ils s'installèrent à une petite table, et elle commanda un thé. « Et vous ? Vous avez mentionné que vous étiez parti pendant un temps ? Qu'est-ce que ça fait de revenir sur vos pas, de retrouver les mêmes gens ? » C'était de la curiosité sincère — elle était bien placée pour savoir que ce genre de choses n'étaient jamais simples. |
| | | | (#)Mar 9 Jan 2018 - 18:20 | |
| En l’écoutant, Owen avait la sincère impression qu’elle n’avait finalement rien à faire ici. Qu’elle était sans doute bien mieux lorsqu’elle se trouvait à Londres, dans une ville qui lui convenait. Son retour lui paraissait plutôt être une obligation, comme si c’était un fardeau. Elle était là parce qu’elle avait ce poids familial, et elle avait sans doute eu l’impression d’avoir abusé d’être partie si longtemps. Mais si Owen pouvait lui donner un conseil à présent, ce serait de fuir tout ça, si elle ne s’y sentait pas à sa place. Elle serait surement jugée mais elle ferait ce qu’elle voudrait. Il pourrait comparer cela à tous ces parents qui imposaient une religion à leurs enfants. Ceux qui les obligeaient à se rendre à la messe alors qu’ils n’en avaient rien à faire, ceux qui les inscrivaient au cours de catéchisme alors que ça ne les intéressait en rien. Il préférait largement voir des enfants conscients du lieu où il se rendait plutôt que des enfants qui le subissaient et qui plus tard tireraient un trait complet sur la religion car ils l’auraient vécu comme une punition. C’était tout sauf une punition… Et là, la punition de Leena était bien de devoir assumer la disparition de son frère alors que ce n’était pas son choix. « Et vous ? Vous avez mentionné que vous étiez parti pendant un temps ? Qu'est-ce que ça fait de revenir sur vos pas, de retrouver les mêmes gens ? » Le retour aux sources sans doutes… il était partie par obligations aussi ,pour pouvoir suivre sa formation et être le prêtre qu’il est aujourd’hui. « Je suis parti à Sydney en réalité. Quatre ans puis un an au Vatican, un an dans une ville au nord de Brisbane, a quelques centaines de kilomètres d’ici, considérant que c’était un stage. Puis, me revoilà. C’est mon choix. J’ai toujours voulu revenir à Brisbane, j’aime cette ville. J’y ai ma famille. J’ai voulu être prêtre quelques années après avoir perdu mon père. Enfin, les circonstances m’ont amené vers la religion. » Ils entrèrent enfin dans le café en question et allèrent s’installer à une table. « Pourquoi êtes-vous revenu ? Je n’ai pas l’impression que votre place soit vraiment ici… » Il ne savait pas s'il pouvait vraiment se permettre de lui dire et il appréhendait aussi sa réaction. La jeune demoiselle était déjà à fleur de peau et il n'avait pas non plus envie que ce soit pire. Mais parfois, il faut savoir poser les bonnes questions au bon moment pour permettre une réelle remise en question. |
| | | | (#)Lun 15 Jan 2018 - 18:45 | |
| Lorsqu’il se mit à parler de lui, Leena sentit que cela l’apaisait et lui changeait vraiment les idées ; elle avait tellement l’habitude des échanges avec les autres que de parler uniquement d’elle la mettait face à une vérité qu’elle n’avait pas pour usage d’affronter. Comme si elle était mise à nu, quelque part, sans qu’on lui ait demandé son avis. Elle l’écouta sans rien dire, hochant la tête, essayant d’entrevoir le genre de vie qu’il menait. Bien qu’il lui livre quelques faits, ils restaient succincts ; Owen n’était pas ce genre de personne qu’on pouvait aisément lire et en un sens c’était bien logique, sa vocation était d’être dédié aux autres, pas de se mettre en avant. Leena en ressentit une sensation étrange — quelle vie ce devait être ? Et surtout, pourquoi ? Est-ce qu’il se cachait, quelque part, lui aussi ? Elle brûlait d’envie de lui demander, mais ne pouvait décemment pas le faire. On leur apporta leur boisson et elle se servit du thé, le faisant machinalement tourner quelques secondes dans sa tasse avant d’en boire une gorgée. A cup of tea solves everything, comme disaient les anglais, et la sensation de l’eau chaude et du parfum des feuilles lui donna effectivement cette impression ; ce n’était pas pour rien que cette boisson était sa préférée. « Ce doit être très particulier, le Vatican ! Ça vous a plu ? » demanda-t-elle, avec une curiosité sincère. Elle avait trop voyagé pour ne pas être attirer par n’importe lequel des récits qui l’emmenaient à l’étranger — loin d’ici. « Oh, je vois… Vous avez toujours cru en Dieu ? » Elle releva les yeux vers lui, un peu gênée d’être probablement allée trop loin. Mais si elle ne savait pas comment rebondir sur la perte de son père, le mystère de la foi était quelque chose qui l’intéressait trop pour qu’elle retienne sa question. « Enfin, vous n’êtes pas obligé de me dire, je sais que c’est quelque chose de très personnel. » Elle lui servit un pauvre sourire et se traita mentalement d’idiote : il était si gentil et prenait du temps pour elle, et voilà qu’elle mettait les pieds dans le plat. Cela dit, Owen avait aussi une façon plutôt directe de s'adresser à elle, et quand il lui demanda pourquoi elle était revenue ici, elle se sentit rougir légèrement, comme une enfant prise en faute. Il n'en avait pas l'impression ? Elle non plus, à vrai dire. Les jours passaient et cette impression ne s'effaçait pas, mais il y avait quelque chose pourtant qui la maintenait à flots, qui lui indiquait de continuer. Et puis : il y avait Rhett. « À vrai dire... Je ne sais pas trop. Mais j'ai l'impression qu'il faut parfois arrêter de fuir... Non ? Si le passé me fait autant de mal — et mes parents avec — c'est que je n'ai rien réglé, et je crois qu'inconsciemment je cherche quelque chose en revenant ici. Bien que je n'ai pas l'impression d'y trouver de réponses, pour l'instant. » Un peu amère, elle haussa les épaules. Tout était flou de nouveau. Est-ce que son retour à Brisbane était stupide, finalement ? « C'est aussi que j'ai fait le tour de ce que Londres avait à m'apporter, je voulais tenter autre chose. Et puis... Vous allez sans doute me prendre pour une idiote, mais je suis aussi revenue ici pour quelqu'un. Rhett. Il me manquait trop. Voilà. » Cette fois rouge comme une tomate, elle but une nouvelle gorgée de thé pour se donner une contenance, même si au fond la situation ne manquait pas de comique : perler de sa vie sentimentale avec un prêtre était pour elle quelque chose de particulièrement inédit. |
| | | | (#)Lun 29 Jan 2018 - 13:38 | |
| Owen n’avait sans doute pas imaginé que son passage à Samsonvale allait se passer de la sorte mais finalement, il ne passait pas non plus un moment désagréable. Il était venu ici pour apporter son soutient à la famille Scofield et même si la cible qu’il avait visé à la base était la mère, il pensait qu’en étant avec Leena, sa mission serait accomplie. Il aurait bien le temps de tenir compagnie à sa mère une autre fois, maintenant qu’il était de retour à Brisbane, ce serait bien plus simple. « Ce doit être très particulier, le Vatican ! Ça vous a plu ? » Owen hocha la tête. « à vrai dire, le Vatican est intriguant, rempli de mystères. C’est une chance de pouvoir se promener dans ses murs, d’avoir accès à tout ce dont les touristes ne peuvent pas voir. D’être dans les coulisses… Mais, entre le Vatican et Rome, il n’y a qu’un pas. J’ai tout autant profité de la capitale Italienne que de la cité du pape. » il lui lança un clin d’œil. Owen avait cette volonté de désacraliser les prêtres et de faire comprendre à tout à chacun qu’ils avaient aussi une vie en dehors de l’église et qu’eux aussi pouvait sortir, aller au restaurant, au cinéma, boire des verres entre amis, faire du sport et autre loisirs… Owen se considérait comme quelqu’un de normal avant d’être un fidèle représentant de Dieu. « Oh, je vois… Vous avez toujours cru en Dieu ? » Il balança sa tête un coup à droite puis à gauche. « Enfin, vous n’êtes pas obligé de me dire, je sais que c’est quelque chose de très personnel. » Il n’avait rien à cacher, après tout, il avait dû répondre à ces questions des dizaines et des dizaines de fois. « Eh bien non. J’ai été élevé dans la famille la plus athée qu’il puisse exister. Je dirai même que ma famille a longtemps rejeté la religion… et moi aussi d’ailleurs, mais je n’avais aucune connaissance sur la question. Je n’étais pas fermé mais je ne m’y intéressais pas. J’ai rencontré une femme qui m’a invité à la suivre dans des groupes de paroles. Sans savoir de quoi il s’agissait en réalité et petit à petit j’ai trouvé ma place dans le christianisme et voilà où j’en suis. » Owen ne regrettait en aucun cas cette fameuse rencontre, bien qu’aujourd’hui, il n’a plus aucun contact avec cette jeune femme… Owen aimait mettre les personnes qu’il rencontrait face à ce qu’il était vraiment et face à ce qui les poussaient réellement à agir comme il le faisait. C’est pour cette raison qu’il demanda à Leena pourquoi elle était revenue et surtout qu’il se permis de lui dire que pour lui, elle n’avait pas sa place ici. C’était une forme de provocation, poussant à puiser la réponse au fond de soi. C’était une manière de délivrer la parole. Certains se bloquaient mais en générale, ça soulevait au moins quelques réponses. « À vrai dire... Je ne sais pas trop. Mais j'ai l'impression qu'il faut parfois arrêter de fuir... Non ? Si le passé me fait autant de mal — et mes parents avec — c'est que je n'ai rien réglé, et je crois qu'inconsciemment je cherche quelque chose en revenant ici. Bien que je n'ai pas l'impression d'y trouver de réponses, pour l'instant. C'est aussi que j'ai fait le tour de ce que Londres avait à m'apporter, je voulais tenter autre chose. Et puis... Vous allez sans doute me prendre pour une idiote, mais je suis aussi revenue ici pour quelqu'un. Rhett. Il me manquait trop. Voilà.» Cette dernière confession étira les lèvres d’Owen, laissant apparaitre un sourire sincère. Et bien tant mieux pour elle si elle était aussi là pour retrouver un homme qui lui manquait, espérant seulement que ce soit réciproque. « Nous n’avons plus qu’à souhaiter très fort que vous lui manquez également ! »
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| | | | (#)Mar 30 Jan 2018 - 18:03 | |
| Il lui fit un clin d'oeil et elle ne put s'empêcher de sourire en retour — décidément, Owen l'entraînait de surprise en surprise. Enfermée dans une vision des prêtres très cliché, Leena se prit à penser qu'en l'écoutant la vie de prêtre n'était pas si perchée, peut-être qu'on pouvait vivre normalement et profiter des choses, avec juste cette histoire de foi en plus. « J'ai été un peu à Rome aussi, c'est une très belle ville, bien que vraiment trop touristique à mon goût ! Mais l'Italie a été une très bonne surprise lors de mon voyage en Europe. » Elle se souvenait avec plaisir de leurs moments là-bas avec Tess, la dolce vita comme on l'imagine, le temps toujours clément, les apéros en terrasse, les longues soirées d'été et les beautés de la campagne italienne. Elle l'écouta ensuite attentivement, curieuse de tenter de comprendre un peu plus le mystère de sa vocation. Ce n'était pas si commun de finir prêtre après avoir grandi dans une famille athée, et elle se dit qu'Owen devait avoir une force de caractère inébranlable, malgré la grande douceur qu'il dégageait. Leena se demanda ce qu’il en aurait été si elle avait eu cette foi qu’apparemment rien ne pourrait ébranler ; si elle l’aurait fait tenir, lui aurait donné espoir, même si tout pouvait décourager. Elle avait la triste certitude que rien n’aurait pu changer cela : au fond, et elle le savait très bien, elle était quelqu’un de trop terre à terre pour supporter ce genre de discours. Buvant à sa tasse de nouveau, elle se sentit alors plus soulagée d’avoir vidé son sac à cet homme à qui il était finalement si facile de confier ses doutes et ses peines. Un peu gênée — après tout il s’agissait de sa vie amoureuse — elle sourit en retour, haussant les épaules en même temps. « Oui, il n’y a plus qu’à !... » Le cas de Rhett la plongeait toujours dans des abîmes de questions et d’excitation à la fois. « En tout cas c’est très gentil de votre part de m’avoir écoutée, et accompagnée jusqu’ici. Je pense que la prochaine fois, je me préparerais un peu plus avant d’affronter ma famille, histoire de ne pas craquer à chaque fois. Et je suis contente de savoir que mes parents peuvent compter sur un homme comme vous. » Car elle était certaine qu’Owen était aussi compréhensif et rassurant avec sa mère qu’il l’avait été avec elle, et quelque part, cela lui ôtait un petit poids de ses épaules. |
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