| | | (#)Mar 14 Nov 2017 - 20:04 | |
| Elles sentent bon l’encre et le papier fraîchement sorti de l'imprimerie, les toutes nouvelles cartes de visite de Brody & Associés. Sauf que l'adresse est celle d'une boîte postale de location faute de locaux et qu'il n'y a pas encore le moindre associé. Mais il est bien connu que je n’ai pas mon pareil pour la jouer à l'envers, et même si cette stratégie de lancement laisse grandement à désirer, je sais que je peux m'en sortir avec quelques pirouettes, créer un écran de fumée en attendant que tout se concrétise, et retomber sur mes pieds avec un sourire comme si de rien n'était. Adviendra que pourra. En attendant que de réels clients fassent appel à mes services, je reste l’un des loyaux commis d'office du tribunal de Brisbane, paré pour une nouvelle journée de défense de la veuve et de l'orphelin, du proxénète et du dealer, du fraudeur aux aides sociales et du braqueur à main armée. Tout ceci est loin d'être aussi noble que l’on peut se l'imaginer. Mon travail consiste essentiellement à faire en sorte que les coupables puissent sortir de prison à temps pour rencontrer leurs petits-enfants avant de casser leur pipe, ou qu'ils n'aient pas à hypothéquer leur maison une troisième fois pour payer une amende exorbitante. Dans mes bons jours, j'arrive même à leur faire passer les nuits précédent leur procès dans leur propre lit, chez eux, et non en détention. Tout ce petit monde de l'autre côté des barreaux, dans cette salle où les dossiers s'enchaînent à une vitesse inhumaine, constitue tout ce que le système décide d'occulter depuis toujours -jusqu’à ce qu'ils se retrouvent là, et qu'on leur fournisse un avocat comme pour demander pardon de n'en avoir rien à cirer plus tôt. Mais j'ai cessé de me voir comme un preux chevalier il y a longtemps. Si le néo-nazi voleur de sacs de mémés a deux enfants à charge depuis la mort de leur mère toxicomane, tant mieux pour lui, je ne m'émotionne plus ; c'est uniquement une information bonne à jouer pour son capital sympathie et pitié afin de diviser sa caution par deux. Au bout de plusieurs années à voir défiler des déchets humains, on s'en détache. Triste mais vrai. On ne peut pas aider tout le monde, on ne le veut même pas. L’attention, l'énergie concentrée sur un cas, c’en est autant moins pour le suivant. Ça s'appelle la justice, ce n’est pas pour rien. Quoi qu'il en soit, la journée est bonne. L'exercice ressemble à de la pêche à la ligne ; on jette des arguments comme appâts, ça mord, ça mord pas, et au suivant. Le substitut du procureur face à moi est un mou du genou à moitié endormi à cause d'un bon début de grippe qui me laisse absolument toutes les portes ouvertes. Lorsque sonne l'heure du déjeuner, je suis convaincu qu'à cette allure, je peux considérer que la journée est bouclée pile à temps pour aller chercher Adam à la sortie de l'école -et pêcher quelques mères célibataires au passage. Quand le moment de retourner dans la salle d'audience préliminaire arrive une heure plus tard, je déchante. On a remplacé mon adversaire malade par un autre simplet du bureau du procureur. Pire, une silhouette familière ; Dean. Un Dean que je n'avais affronté qu'une ou deux fois en simulation d'audience pendant nos études, mais surtout, un Dean apparu comme par magie après des années de silence radio, de dos tournés de part et d'autre, d'amitié déchue, gâchée, enterrée. Je me fige, je bug comme un vieux Windows, le détaillant et prêt à me pincer pour m'assurer que ce n’est pas une illusion. Mais il est là, dieu sait pourquoi, dieu sait comment. Il est là, et nos retrouvailles ont lieu sur fond de rivalité. Trop perturbé par sa présence, il passe l'après-midi à me laminer, et ce tribunal qui était ce matin le théâtre de mon one man show devient la place publique de ma lapidation. Mon cerveau s'est arrêté, le cours de mes pensées a tout simplement cessé, et je reste paralysé par la présence du fantôme installé côté partie civile. Je rends les armes plus tôt que je ne l'aurais voulu, lâchant le dossier suivant à une collègue commise d'office. Tout ce que je veux, c'est canaliser cette frustration en butant du zombie nazi sur Call of Duty ou en crachant des bananes à gogo sur le circuit de l'étoile. Adam comprend facilement que c'est un soir où il doit laisser son père tranquille. Le lendemain, je retourne au tribunal avec une appréhension qui me tord l'estomac. Est-ce qu'il sera encore là ? La réponse me parvient rapidement tandis que nous tombons face à face devant la machine à café. Et je pourrais l'ignorer, comme cela a été le cas ces dernières années, si la curiosité n’était pas plus forte que tout ; “Qu'est-ce que tu fais ici ?” |
| | | | (#)Mer 29 Nov 2017 - 16:58 | |
| Dean était arrivé à Brisbane à la fin du mois d’août, sur les conseils de son amie Cora. La pétillante rousse lui avait rappelé que plus rien ne le retenait à Sydney, et elle avait raison. Après huit ans de vie commune, sa fiancée, Heidi, était partie du jour au lendemain, sans aucune explication. Le meilleur ami de Dean, Ben, n’avait pas tardé à faire de même afin de se rapprocher de son fils. Le jeune homme avait énormément souffert de ces abandons. En dehors de ses parents, Ben et Heidi étaient les personnes les plus importantes pour Dean, celles sans qui il n’imaginait pas sa vie. Il avait d’ailleurs considéré leurs relations respectives comme acquises, une amitié et un amour immuables. Mais c’était une erreur, une énorme erreur qu’il avait payé au prix fort. Depuis leur départ, Dean avait effectué un travail important sur lui-même, principalement grâce à l’aide de Cora. Le jeune homme avait alors pris conscience de ses erreurs, au moins en partie. Ainsi, il n’avait pas été présent pour Heidi lorsqu’elle avait eu à affronter l’épreuve la plus terrible de sa vie, celle de la disparition de son frère. Effrayé par tant de chagrins, il n’avait su trouver les mots et n’avait pas su être à ses côtés, espérant que le temps ferait son œuvre. Quant à Ben, c’était sans doute le côté supérieur de Dean qui avait brisé leur amitié. Ben menait une vie de débauche, enchainant les fêtes et les coups d’un soir. Dean, lui, était plus sérieux, et pensait déjà à la maison qu’il habiterait avec Heidi et leurs enfants. Le jeune homme n’avait ainsi cessé de juger son ami et de le prendre de haut. Et lorsque Ben avait appris qu’il avait un fils, Dean ne l’avait pas soutenu dans les changements importants qui devaient intervenir dans sa vie.
Dean ne savait ce qu’il ressentait au jour d’aujourd’hui pour Heidi. Il ne pouvait dire s’il la détestait pour le mal qu’elle lui avait fait ou s’il l’aimait encore. Etait-ce elle, l’amour de sa vie ? Mais Dean savait parfaitement que son amitié avec Ben lui manquait et qu’il désirait renouer avec son ami d’enfance. Ben était d’ailleurs l’une des raisons de l’installation de Dean à Brisbane. Pourtant, depuis plus de trois mois qu’il était en ville, le jeune homme n’avait toujours pas eu le courage d’aller trouver son ancien meilleur ami. Il savait pourtant où il habitait et où il travaillait, grâce à Cora. Mais la vérité, c’est qu’il avait peur. Peur d’être repoussé et rejeté. Certes, il le mériterait sans doute, mais il ne pouvait dire s’il le supporterait. Il s’accrochait depuis son arrivée en ville à l’idée que les jeunes hommes pourraient reconstruire leur amitié brisée.
Ce jour-là, Dean n’était pas de permanence. Ce n’était pas à lui d’assurer les audiences. Il était d’ailleurs bien trop occupé sur son enquête du tueur en série, un homme ayant déjà assassiné cinq jeunes femmes. Il n’avait pas de temps à perdre à aller enfoncer des prévenus devant un juge lassé de ce spectacle. Mais, à la pause de midi, l’un de ses collègues malade sollicita la permission d’être remplacé. Devant l’absence de volontaires, le Procureur avait désigné Dean pour assurer l’audience de l’après-midi. Le jeune avocat avait voulu protester, mais le Procureur lui avait assuré que cela lui ferait du bien de changer d’air et de s’aérer un peu l’esprit avec des affaires de tout-venant.
Dean rejoignit la salle d’audience bien en avance et potassa les dossiers de son collègue, des affaires qu’il ne connaissait pas. Pour une fois, il serait sur la même longueur d’onde que les avocats commis d’office, qui découvraient le jour de l’audience leurs clients et les dossiers. Rapidement, il retrouva ses réflexes d’avocat pénaliste et trouva dans les dossiers de quoi convaincre le juge. Il se détendit petit à petit. Mais lorsque Dean leva la tête au début de l’audience, il fut surpris de croiser le regard de Ben, son ancien meilleur ami. Merde ! Il aurait tant voulu aller le voir de lui-même, avant qu’ils ne se croisent par hasard, mais il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même d’avoir fait traîner les choses. S’il fut surpris et gêné de revoir Ben dans de telles conditions, ce fut ce dernier qui fut déstabilisé. Dean n’avait certes pas affronté souvent Ben dans un prétoire, mais il l’avait déjà vu plaidé et avait déjà entendu parler de ses exploits : il était évident qu’il pouvait s’en sortir bien mieux que ça. D’ailleurs, excédé, Ben quitta l’audience avant la fin, refilant son dernier dossier à une consœur. Dean fut déçu de ne pouvoir discuter avec son ancien ami un fois son boulot terminé. Il voulait pourtant s’expliquer sur son comportement d’autrefois et sur sa venue à Brisbane.
Le jeune homme fut donc soulagé de croiser Ben à la machine à café, le lendemain matin. Ce dernier ouvrit le bal, demandant froidement à Dean ce qu’il faisait ici. Le ton de cette question inquisitrice fit mal au jeune homme, mais après tout, ne l’avait-il pas cherché. Il avala lentement une gorgée de café, comme pour réfléchir à ce qu’il allait dire. Il ne voulait pas tout gâcher.
« Tu veux dire, à part te laminer en audience ? »
Dean esquissa un sourire taquin.
« Je suis là pour toi, Ben, pour reconquérir ton cœur ! Tu es l’ami de ma vie ! »
Les paroles de Dean avaient beau être déclamées sur le ton de l’humour, elles n’en demeuraient pas moins vraies. Mais le jeune homme préférait se cacher derrière le rire que d’ouvrir réellement son cœur. Pourtant, il redevint sérieux.
« Je suis désolé Ben. Je me suis comporté comme un con. »
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| | | | (#)Mar 26 Déc 2017 - 19:04 | |
| Ce café a beau être le pire des jus de chaussettes de toute l'histoire de l'humanité, aromatisé aux effluves de jus de tomate, de chocolat froid et de thé à la menthe écœurant, ceux qui se retrouvent devant la machine sont ceux qui ne peuvent pas s'offrir leur Tall de cappuccino Starbucks dédicacé tous les matins, et on fait avec. La touillette ne tombe pas une fois sur deux, et parfois, il en atterrit toute une poignée. Le gobelet est trop fin, les doigts brûlent et se perchent au sommet, sur le petit rebord du plastique, d'où il est si facile de trop serrer ou de laisser tomber. Boire son café en faisant des économies, c'est un saut périlleux de chaque instant, et ce trois fois par jour au minimum. En boire un relève plus de l'automatisme que du véritable plaisir, et je ne suis même plus convaincu que cela change quoi que ce soit à ma fatigue ; ce que je sais, c'est que cette odeur et ce goût font partie de ces rituels qui rythment la journée -début, moitié, fin- et qui me permettent d'avoir d'autres contacts humains qu'avec mes clients du jour. Ce qui n'était pas prévu au programme, c'est lui ; Dean en chair et en os, tenant le même gobelet que moi, sous mes yeux. La question est simple, directe, sans fioritures et pas spécialement agréable, mais j'avoue que le ton employé est le cadet de mes soucis contrairement à celui du brun qui ne se gêne pas pour fanfaronner. « Tu veux dire, à part te laminer en audience ? » Je roule des yeux. On a déjà vu meilleure stratégie pour reprendre contact que d'enfoncer le clou dans l'ego d'un type qui fonctionne pas mal à ce genre de moteur. « Oh, bravo, quelle finesse. » La prochaine fois sera différente, me dis-je. La prochaine fois, je le laminerais à mon tour, je lui mettrais une belle déculottée en audience. Ce n'était pas vraiment moi, hier, ce n'était pas mon état normal et Dean en est l'unique cause. Il peut tout aussi bien devenir une motivation. Mais dans le fond, je nourris l'espoir que mon ancien ami ne soit pas là pour rester, car comme le qualificatif l'indique, nous n'avons certainement plus rien à nous dire. « Je suis là pour toi, Ben, pour reconquérir ton cœur ! Tu es l’ami de ma vie ! » L'ami de sa vie qui était si ridicule, si pathétique à ses yeux pendant qu'il jouissait de ce qu'il appelait une vie parfaite. L'ami de sa vie qu'il a jugé et blessé, préférant parfaire son image de parfait premier. L'ami de sa vie qu'il a laissé partir parce qu'il n'en avait rien à cirer. Je ne suis pas de ceux qui clament que lorsque l'on tient à quelqu'un, il faut savoir le laisser partir. Et je me suis longtemps accroché à mon amitié avec Dean avant de me rendre compte de sa toxicité à un moment de ma vie où je ne pouvais plus m'en encombrer. « Je suis désolé Ben. Je me suis comporté comme un con. » qu'il ose me servir comme si j'étais là pour lui accorder l'absolution, et je m'entends lui répondre avec une totale spontanéité ; « C'est toujours le cas. » Il débarque, allez savoir depuis quand, sans prévenir. Il réapparaît en traître en pleine salle d'audience. Il se vante sous mon nez alors qu'il devrait avoir la queue entre les pattes, les genoux à terre et la larme à l'oeil. Si l'idée était d'immédiatement démontrer que Monsieur continue de péter au-dessus de son cul, c'est une réussite ; pour l'opération séduction, on repassera. « Tu viens pour Heidi c'est ça ? Elle sait que t'es dans le coin ? Parce que si c'est le cas, tu perds ton temps, elle est passée à autre chose. » dis-je, blasé d'avance de subir ce genre de scénario bateau et frustrant, d'être interposé entre un vieux pote et son ex qui, elle, ne m'a jamais failli. Si cela venait à se produire, mon camp serait tout indiqué, et c'est ce qui est le plus triste lorsque l'ami en question a partagé votre vie depuis le berceau, car je ne plaiderai pas sa cause. |
| | | | (#)Mar 26 Déc 2017 - 23:43 | |
| Aïe. Dean ne put s’empêcher de grimacer aux réactions de son ancien meilleur ami. Alors que le jeune homme tentait de faire de l’humour pour détendre l’atmosphère électrique, il ne réussit qu’à envenimer davantage les choses. Mince, le Ben qu’il connaissait était beaucoup plus marrant ! Mais le Ben qu’il connaissait n’avait pas été jugé et snobé par son ami d’enfance, et il ne s’était pas retrouvé du jour au lendemain à devoir s’occuper d’un enfant. Son ancien ami avait changé, sans doute au fur et à mesure des épreuves. Et Dean devait se rendre à l’évidence : Ben n’était plus la personne qu’il avait connu. Mais le jeune avocat avait lui aussi changé et évolué. Il avait lui aussi traversé des épreuves, et avait également appris de ses erreurs. Et c’est parce qu’il avait pris conscience de son comportement et qu’il avait effectué un travail sur lui-même qu’il se permettait de tenter à nouveau sa chance avec Ben.
Dean tenta une nouvelle approche en levant les mains en signe d’apaisement.
« Je sais que je me suis mal comporté, et je le regrette sincèrement. Je n’avais pas conscience de mon attitude vis-à-vis de toi et d’Heidi. C’est sans doute ça le pire d’ailleurs … »
Le jeune homme détourne un instant le regard, comme plongé dans des souvenirs douloureux.
« Cora m’a aidé à comprendre et à apprendre de mes erreurs. Elle m’a permis de changer. Elle ne m’aurait pas convaincu de venir m’installer à Brisbane si je n’étais pas prêt, je le sais ! Et tu sais aussi que Cora a fâcheuse manie d’avoir toujours raison ! Laisse-moi une chance de te prouver que je ne suis plus le petit snobinard venant de terminer la fac ! »
Dean leva la main, comme pour interrompre Ben avant qu’il ne réponde : il n’avait pas terminé.
« Avant que tu ne refuses, me disant que je ne mérite pas d’autre chance … Tu as peut-être raison, je ne la mérite pas, mais toi, si. Tu mérites des excuses, des explications, et peut-être la possibilité de retrouver ton ami. Si je suis toujours le même, tu n’auras qu’à me le dire, et je m’en irai. »
Dean ne savait s’il se sentait mieux de pouvoir enfin présenter des premières excuses auprès de son ami ou s’il se sentait honteux d’être aussi suppliant. C’est alors que Ben l’acheva sans vergogne, lui affirmant qu’Heidi était passée à autre chose. Le jeune avocat recula d’un pas, comme si son ancien ami lui avait asséné un coup de poing. La tristesse et la douleur qui passèrent sur son visage étaient bien réelles, la plaie de sa rupture avec Heidi étant toujours bien présente. Dean réussit à articuler quelques mots, comme s’il chuchotait.
« Je … je ne suis pas venu pour Heidi. » |
| | | | (#)Ven 5 Jan 2018 - 11:47 | |
| Il y a peu de choses que je prenne réellement au sérieux. Et l’on dira ce que l’on veut à mon sujet, que je suis immature, irresponsable, un mauvais exemple pour mon fils, un coureur de jupons invétéré, j’ai conscience d’être loin de la perfection, mais d’avoir pour moi au moins une qualité essentielle ; je suis quelqu’un sur qui mes proches peuvent compter. Je serai en retard, maladroit, narcissique, mais je serai là. Je ne dis pas que Dean me doit quoi que ce soit, et je considère que je ne lui doit rien non plus, mais dans cette amitié, j’estime avoir donné bien plus que lui. Malheureusement j’ai compris un peu tard que celui que je considérais comme un frère n’avait à m’offrir que l’ombre de sa soit-disant réussite. « Je sais que je me suis mal comporté, et je le regrette sincèrement. Je n’avais pas conscience de mon attitude vis-à-vis de toi et d’Heidi. C’est sans doute ça le pire d’ailleurs … » Je pouffe de rire, amère et ironique. “Oh non, c’est la seule chose qui ne fait pas de toi un trouduc fini.” Car s’il avait eu conscience de son comportement, cela aurait été bien pire. Bien que ce soit presque trop facile d’avancer un “je n’ai pas fait exprès” pour toutes les erreurs que l’on peut commettre, je veux bien croire (je préfère le croire) que Dean ne savait pas que son attitude allait résulter à sa solitude. « Cora m’a aidé à comprendre et à apprendre de mes erreurs. Elle m’a permis de changer. Elle ne m’aurait pas convaincu de venir m’installer à Brisbane si je n’étais pas prêt, je le sais ! Et tu sais aussi que Cora a fâcheuse manie d’avoir toujours raison ! » Je tique. Cora a la fâcheuse manie d’être une princesse moralisatrice, mais ce n’est pas tant ça qui enfonce le cas de Dean. “Tu fais dans les ex des potes maintenant, de mieux en mieux.” je murmure avant de prendre une gorgée de café pour mieux digérer l’info. A croire que la moindre parole du brun cherchant à se racheter a l’effet parfaitement inverse. Il faut dire que je ne suis pas particulièrement bien disposé à lui donner la seconde chance qu’il réclame. « Avant que tu ne refuses, me disant que je ne mérite pas d’autre chance … Tu as peut-être raison, je ne la mérite pas, mais toi, si. Tu mérites des excuses, des explications, et peut-être la possibilité de retrouver ton ami. » Sourcils froncés, je ne peux m’empêcher, dans un élan de mauvaise foi, de songer que la phrase est bizarrement tournée, comme si j’étais celui qui méritait que lui me fasse l’honneur de m’accorder son attention, et que cela me conforte dans l’idée que, non, Dean n’a pas changé. “Je n’ai pas besoin d’un pseudo ami qui jugera tous mes faits et gestes, non merci.” je décline malgré son insistance. J’aimerais lui donner le bénéfice du doute, quand bien même lui ne m’en a pas fait cadeau à l’époque, mais je ne suis pas un Saint, et le pardon se mérite avec plus qu’un “j’ai pas fait exprès”. L’ironie, c’est que cela ne serait pas pour Dean, je ne prendrais pas la peine de faire un foin de cette histoire. Mais la rancune est à la hauteur de l’importance qu’il a eu dans ma vie, et de la déception qu’il a causée. « Je … je ne suis pas venu pour Heidi. » qu’il précise, et je roule des yeux au ciel, lâchant spontanément un ; “Non, tu es venu pour Cora visiblement.” Et tant mieux s’il parvient à faire croire à la rouquine qu’il a changé grâce à elle, et tant pis pour elle si elle tombe dans le panneau, mais je ne serai pas une nouvelle fois le dommage collatéral d’un type qui se voile la face. Considérant que la farce a assez duré, je tourne les talons et emporte mon café. Dean n’a pas besoin de mon autorisation pour essayer de se racheter, mais il devra s’attendre à courir, au moins autant que j’ai couru après notre amitié tandis qu’il me tournait le dos. |
| | | | (#)Mer 10 Jan 2018 - 14:17 | |
| Dean tâchait de retenir un soupire. Il avait l’impression de s’enfoncer. Chaque phrase qu’il prononçait semblait aggraver la situation. Etait-ce réellement lui qui était si maladroit, ou Ben qui était fermé à toute tentative de discussion ? Sans doute un peu des deux … Le jeune homme s’excusait de son comportement, affirmant qu’il n’avait pas conscience de son attitude vis-à-vis de Ben et d’Heidi. Son ancien meilleur ami pouffa.
« Oh non, c’est la seule chose qui ne fait pas de toi un trouduc fini. »
Dean secoua la tête.
« Non, ce n’est pas ce que je voulais dire … J’aurais dû m’en rendre compte de moi-même, sans que vous ayez besoin de quitter Brisbane tous les deux pour que je prenne conscience de mes torts. Ce n’est qu’après votre départ que j’ai commencé à réaliser que je m’étais mal comporté … »
Le jeune homme évoqua ensuite Cora, celle qui était devenue son amie après le départ de Ben et Heidi. Quand le quatuor était encore réuni, la pétillante rousse et Dean se côtoyaient régulièrement, mais jamais sans leurs meilleurs amis respectifs. Et s’ils s’entendaient bien, ils n’avaient pas réellement développé une amitié qui était censée résister à l’envol de Ben et Heidi pour Brisbane. Néanmoins, quand ces derniers quittèrent Sydney, Cora resta avec Dean pour le soutenir. Sans elle, le jeune homme ne savait pas ce qu’il serait devenu. Elle lui avait non seulement évité de perdre la tête, mais c’était également grâce à elle qu’il avait pris conscience de ses erreurs. Elle l’avait aidé à supporter la tristesse et le chagrin, et lui avait ouvert les yeux sur son mauvais comportement. Cora était donc une personne indispensable dans la vie de Dean, qu’il n’hésita pas à mentionner comme référence. Néanmoins, Ben grimaça.
« Tu fais dans les ex des potes maintenant, de mieux en mieux. »
Dean fronça les sourcils, surpris. Il ne comprenait pas les propos de Ben et ne trouva donc rien à répondre à cette pique. D’ailleurs, son ancien meilleur ami enchainait déjà.
« Je n’ai pas besoin d’un pseudo ami qui jugera tous mes faits et gestes, non merci. »
Dean encaissa. Il l’avait bien mérité. C’était en effet ce qu’il avait été : quelqu’un qui se disait ami avec Ben mais qui le jugeait pour sa vie qu’il avait estimé décadente. Alors que Dean rêvait d’une vie rangée, avec un travail stable, une femme et des enfants élevés dans une maison en banlieue, Ben préférait l’amusement, les soirées et les coups d’un soir. Ce dernier avait ainsi subi le jugement de son ancien meilleur ami, qui l’avait snobé pour son mode de vie qui n’était pas en accord avec le sien. Néanmoins, Dean avait changé, il le savait, il en était certain. Il ne jugeait plus les gens. Quand bien même il en aurait envie, il lui aurait suffi de jeter un coup d’œil sur sa propre vie pour que cette envie lui passe. Après tout, depuis le départ d’Heidi, il était seul et loin d’avoir la vie qu’on aurait pu désirer. Qui voudrait d’un homme qui s’était fait plaquer par sa fiancée après plus de huit ans relation, qui s’était fait jeter par son meilleur ami, qui préférait compenser ces manques par une assiduité hors norme au travail et qui squattait chez une amie comme un adolescent en fugue ? Mais Dean désirait aussi changer de mode de vie, et lui qui était si sérieux depuis de nombreuses années tentait de rattraper le temps perdu et de s’amuser. Carpe diem était son nouveau credo. Enfin, c’était ce qu’il désirait, car il n’était pas si facile de lâcher prise, de sortir jusqu’à pas d’heure et de ramener chez lui des inconnues. Néanmoins, il en avait bel et bien besoin.
« Tu as raison, tu n’as pas besoin d’une personne comme ça dans ta vie. Mais peut-être aurais-tu besoin d’un ami ? De quelqu’un qui a grandi avec toi et qui te connaissait par cœur ? Tu as sans nul doute beaucoup évolué depuis nos dernières sorties, après tout tu as un fils maintenant ! Mais moi aussi j’ai changé, Ben. Laisse-moi une chance de te le prouver. Si je me trompe, tu pourras me mettre ton poing dans ma figure. Je sais que t’en crèves d’envie. »
La conversation s’enchaîne sur les ex.
« Je … je ne suis pas venu pour Heidi. - Non, tu es venu pour Cora visiblement. »
Après cette réplique cinglante, Ben tourna les talons et s’éloigna. Dean n’hésita pas un instant et le rattrapa dans le couloir pour se placer face à lui, sans prendre le risque de le toucher : il ne savait pas à quel point son ancien meilleur ami était prêt à lui coller un poing dans la figure. Dean s’emporta dans un premier temps.
« Alors là, non, Ben ! J’ai beau avoir été un vrai connard qui snobait les autres, ma connerie a des limites ! Il n’y a absolument rien entre Cora et moi et il n’y aura jamais rien. Je ne suis pas attiré par elle, et c’est totalement réciproque ! »
Dean fixa un instant ses chaussures puis regarda Ben. Il haussa les épaules et fit la moue avant de se lancer.
« Je suis sincèrement venu pour retrouver mon meilleur ami. Mais, et oui, tu vas me trouver pitoyable, il est possible que j’ai envie de revoir Heidi. Je ne sais pas, je … Non oublie que j’ai dit ça ! » |
| | | | (#)Sam 20 Jan 2018 - 16:04 | |
| Son discours de repenti n’a rien de convainquant et Dean ne parvient pas à changer son image à mes yeux. Il a poli pendant tant de temps cette face de snobinard que je ne sais pas s’il est sincère ou s’il ne veut cette rédemption que pour sa conscience. Est-il vraiment là pour moi, ou pour lui-même ? J’ai l’impression que nous sommes deux personnes totalement différentes l’un face à l’autre désormais, alors qu’il me semble avoir toujours été fidèle à moi-même. C’est mon rapport à lui qui a changé du tout au tout, cette amertume que je ne pensais pas ressentir un jour à son égard. Et ça me brise le coeur que nous en soyons là, les deux frères que nous étions qui se déchirent, pourtant je ne peux pas simplement faire table rase du passé comme il me le demande, avoir une foi aveugle en lui. Non, je n’ai pas vraiment envie de lui coller mon poing dans la figure, cela n’a jamais été le cas. Je n’ai toujours été que profondément dépité vis à vis de Dean, pas en colère à ce point. J’ai été blasé, blessé, vexé par les regards bien hauts perchés qu’il me jetait, cette impression de valoir moins que lui et que son amitié était une fleur qu’il me faisait. Et malheureusement, il n’y a même pas de satisfaction à tirer de constater qu’aujourd’hui les rôles s’inversent, et que le jeune homme semble avoir plus besoin de moi que moi de lui. Je suis capable de lui tourner le dos, j’aurais préféré que cela ne soit jamais possible. Et j’aurais préféré que lui me rattrape bien avant ce jour. « Alors là, non, Ben ! J’ai beau avoir été un vrai connard qui snobait les autres, ma connerie a des limites ! Il n’y a absolument rien entre Cora et moi et il n’y aura jamais rien. Je ne suis pas attiré par elle, et c’est totalement réciproque ! » Cora, malgré ses défauts, est comme un bonbon pour les yeux ; délicieuse. Je ne peux pas blâmer qui que ce soit qui puisse s’intéresser à elle, puisque je suis passé par là. Elle est gentille, et elle fait joli pour accompagner au cinéma ou en soirée. L’ancienne vedette est de celles qu’il fait plaisir d’avoir sur son tableau de chasse, encouragé d’un coup de coude par les potes. « Je m’en fous, Dean. Tu fais ce que tu veux avec elle. Cora et moi ça a jamais rien été de plus qu’une bêtise, mais c’est le principe. » Est-ce qu’il y avait du sentiment ? Non. Est-ce que ça me froisse que Dean se tourne vers elle pour demander conseil ? Carrément. Les amis de mes amis sont mes amis, et les ex de mes potes sont des jouets usés ; c’est ainsi que ça devrait marcher. « Je suis sincèrement venu pour retrouver mon meilleur ami. Mais, et oui, tu vas me trouver pitoyable, il est possible que j’ai envie de revoir Heidi. Je ne sais pas, je … Non oublie que j’ai dit ça ! » Je roule des yeux. « Pitoyable, comme tu dis. » Ca aussi, ça me contrarie. Parce que Heidi vit sa vie parfaitement sans Dean depuis son retour à Brisbane, qu’elle a eu d’autres chats à fouetter, qu’elle a ses propres projets désormais, et qu’elle n’a pas besoin qu’un fantôme du passé vienne la ramener au jour où elle a décidé de tout plaquer sans rien dire. Elle n’a pas besoin de cette culpabilité, des explications que son ex-fiancé va réclamer d’une manière qui va la clouer au piloris. J’ai peur de l’effet que cela aura sur elle, si la page n’est pas encore complètement tournée et que l’ancien court-circuite le nouveau. Mais je suppose que je ne peux pas demander à Dean de rester à l’écart, ou que même si je l’exigeais, rien ne l’obligerait à le faire. Du coup, j’use de l’habituel « c’est pas mes oignons » pour détourner le regard de ce problème. En revanche, quoi que je fasse, j’ai Dean sous les yeux avec cet air de chien battu sous la pluie qui réclame mon affection comme s’il la gagnerait en scandant qu’il a changé. Et moi qui ne sait toujours pas quoi en faire, entre l’espoir de retrouver un frère, et le goût laissé par la précédente désillusion. « Qu’est-ce que tu attends de moi, Dean ? Que je t’adoube comme ami, que je te donne l’autorisation d’agir comme tel ? » je demande en haussant les épaules. La confiance, ça ne se gagne pas en claquant des doigts et en priant très fort. « Je m’en sors très bien sans toi dans ma vie depuis des années, j’aime lui souligner, histoire qu’il n’aille pas se croire indispensable. Si tu me connaissais autant par coeur que tu le prétends, tu n’aurais pas agi comme le dernier des abrutis. Tu veux me prouver que t’es le chic type avec qui j’ai grandi ? Vas-y. Mais ne compte pas sur moi pour te considérer comme un ami tant que ça ne sera pas mérité. » Et quand à l’art et la manière de procéder, je n’ai pas de manuel à lui donner. Je ne peux pas faire mieux que de lui accorder un peu de patience pour voir ce que ça donne, le Dean nouveau, mais j’ai bien trop de choses sur le feu dans ma vie pour perdre mon temps avec lui s’il ne s’en montre pas digne. |
| | | | (#)Jeu 15 Fév 2018 - 15:05 | |
| Dean a l’impression de tourner en rond et de se heurter à un mur. Il ne sait pas s’il arrivera à redevenir le meilleur ami de Ben, mais il se doit d’essayer, car Ben lui manque, ainsi que leur amitié perdue. Les deux jeunes hommes ont forcément changé, durant ces quelques années, et Dean n’est même pas certain que la vie aurait permis à leur amitié de subsister, mais il veut y croire. Malgré les épreuves, malgré les chemins de vie différents, une telle relation ne s’efface pas ainsi. Dean se battait ainsi pour tenter de reconquérir l’amitié de Ben, tout en essuyant refus sur refus. Il ne s’en plaignait pas, il l’avait mérité, et il connaissait Ben : celui-ci pouvait être particulièrement borné. Il aurait été surpris et déstabilisé si le jeune homme l’avait accueilli les bras ouverts et avait tout pardonné d’un seul regard. Dean allait galérer, et il le savait ! Il continuait donc à se battre, tachant d’éviter les piques verbales lancées par Ben. Les attaques actuelles visaient l’amitié qui unissait Dean et Cora, Ben soupçonnant visiblement ces derniers d’avoir une liaison. Le jeune avocat s’en défendit, mais devant l’insistance de Ben, préféra baisser les bras : s’il ne voulait pas le croire sur parole, il ne savait ce qu’il pourrait y faire.
La conversation dévia sur Heidi, pendant que Dean avouait à Ben qu’il aimerait revoir son ex-fiancée. Il ne savait s’il était encore amoureux de la jeune femme ou s’il la détestait, mais il avait besoin d’obtenir des réponses à certaines questions qu’il se posait encore pour pouvoir avancer et être capable de commencer une nouvelle relation sérieuse, avec Heidi ou avec une autre femme. Le départ précipité d’Heidi, du jour au lendemain, après huit de relation, sans aucune explication, ne pouvait être justifié par le mauvais comportement de Dean au cours de leur idylle. Et le jeune homme estimait avoir droit à des explications pour pouvoir enfin tourner la page. Ben fit écho à ses paroles et lui dit qu’il était pitoyable, ce que Dean ne pouvait nier. Il se contenta donc de hausser les épaules et d’encaisser.
Ben semblait excéder par le comportement de son ancien meilleur ami, mais Dean espérait avoir au moins réussi à avoir gagné un peu de terrain et à faire flancher quelque peu ses barrières.
« Qu’est-ce que tu attends de moi, Dean ? Que je t’adoube comme ami, que je te donne l’autorisation d’agir comme tel ? Je m’en sors très bien sans toi dans ma vie depuis des années. Si tu me connaissais autant par coeur que tu le prétends, tu n’aurais pas agi comme le dernier des abrutis. Tu veux me prouver que t’es le chic type avec qui j’ai grandi ? Vas-y. Mais ne compte pas sur moi pour te considérer comme un ami tant que ça ne sera pas mérité. »
Dean vit là une occasion, et il n’hésita pas plus longtemps pour s’engouffrer dans la brèche.
« Je sais qu’on n’est plus amis. On a trop changé, tous les deux. Passons un peu de temps ensemble, voyons si le courant passe toujours, et après, on avisera. »
Dean haussa les épaules et tenta de prendre un air détaché.
« Un verre dans un bar ce soir ? Ou bien on pourrait aller à la fête foraine avec Adam ? Il aime les manèges ? On pourra toujours boire une bière entre deux attractions et se gaver de sucre ! »
Dean savait que le fils de Ben tenait une place primordiale dans sa vie, mais il ne savait pas s’il accepterait que l’avocat le rencontre enfin. Après tout, ce n’était pas comme s’il allait lui présenter sa future maman. C’était juste deux potes, deux anciens amis, passant quelques heures ensemble. Le jeune homme avait très envie de faire la connaissance du mini-Ben, de celui qui avait changé la vie de son ancien meilleur ami et qui devait occuper presque toutes ses pensées. |
| | | | (#)Dim 25 Fév 2018 - 14:52 | |
| Le Ben rancunier, amer, le type qui tourne le dos à un vieil ami avec qui il a tant vécu, ce n’est pas moi. Je le sais bien, et Dean s’en doute aussi, je crois. Parce qu’à force de persévérer, oui, il ouvre une brèche, il craquelle la surface, adoucit la rancoeur qui protège, qui masque la crainte d’une nouvelle déception. Je ne savais pas où était passé le Dean de mon enfance, celui avec qui on piquait des bières dans le pub des parents pour aller dans le terrain vague à la sortie de notre petite ville près de Dublin, j’ai du mal à croire qu’il puisse être devant moi à cet instant. Mais j’imagine que si je ne laisse pas une chance, si je me ferme comme une huître, alors je ne le saurais jamais. « Je sais qu’on n’est plus amis. On a trop changé, tous les deux. Passons un peu de temps ensemble, voyons si le courant passe toujours, et après, on avisera. » Je soupire. C’est ce que les gens normaux font, oui, et il n’y a pas mille et une manières de procéder si ce n’est petit à petit. Pas sûr d’avoir le temps ou la patience pour ça, de parvenir à me désenclaver du mode défensif dans lequel je me suis muré, pourtant je me résigne. La capitulation qui se devine dans une micro-expression, un léger signe de tête, un regard de côté, vaincu. « Un verre dans un bar ce soir ? Ou bien on pourrait aller à la fête foraine avec Adam ? Il aime les manèges ? On pourra toujours boire une bière entre deux attractions et se gaver de sucre ! » Le Ben bourré de rancoeur veut lui répondre qu’évidemment un gosse de sept ans aime les manèges, abruti. De préférence ceux qui secouent, qui ramènent l’estomac au bord des lèvres et mettent la tête à l’envers. Plus la sensation d’être dans un mixeur est palpable, mieux c’est. Le Ben qui flanche se dit que c’est un bon programme, et qu’il se gaverait bien de barbe-à-papa en balançant un maximum de dad jokes à son fils jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus de honte. « C’est pas dit qu’il te reconnaisse, tu sais. » dis-je, l’air de me défiler, grattant du temps de réflexion et demeurant à l’affût de la réaction de Dean. Ca fait des années maintenant, et je n’ai pas spécialement nourri le souvenir de cet ami qui m’a laissé tombé quand j’en avais besoin, pas même pour inculquer une leçon de vie à Adam. En venant à Brisbane, j’ai tiré un trait sur un ami et j’ai banni son nom. Nous n’en parlions pas avec Heidi non plus. Ces années étaient une parenthèse qui n’existait que parce qu’elle nous avait permis de nous rapprocher -pendant que mon meilleur ami et moi nous éloignions toujours plus. « Par contre je suis sûr que je te bats toujours au tir à la carabine. » j’ajoute avec un sourire en coin. Je tire mieux que lui dans tous les sens du terme de toute manière. Dean à mes côtés, je continue de faire quelques pas dans le palais de justice en direction du bureau des commis d’office. J’attrape les dossiers de ma part d’affaires du jour, les mêmes noms qu’hier, le devoir qui appelle et le tic-tac du délai de réflexion qui prend fin. Alors je me tourne vers Deanle regard nous lourd, le sourire moins cynique ; « Demain. Là j’ai… un cambriolage, deux vols à main armée et un cas de violences domestiques qui m’attendent. » Que des joyeusetés en perspective, mais si le monde était parfait nous n’aurions pas de travail. « T’auras le droit d’y aller fort sur celui-là, le mec est un vrai trouduc. » j’ajoute en tapotant sur le dossier du type pris en train de coller une droite à sa femme. Pour la cinquième fois. Pour le coup, je n’ai rien d’autre à plaider que l’hypothèse que cet homme ait été bercé trop près du mur et qu’il ait trouvé ça drôle. Je n’aurais rien à perdre sur ce cas et serais même plutôt content de perdre. Enfin, de laisser gagner Dean. Quoi qu’il en soit, le rendez-vous est pris pour demain. Lui, moi, Adam, nos estomacs bien accrochés. « A tout à l’heure en audience, alors. » |
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