✻✻✻ Ce matin, en se réveillant, Thea était convaincue qu'elle allait passer une belle journée. Elle avait pris un congé, afin de se reposer et de pouvoir faire le ménage de son appartement. Il fallait avouer que, depuis quelques jours, la graphiste avait oublié de faire le ménage, alors il y avait de la poussière, sans parler de son bac à linges sales qui commençait à déborder, dans la salle de bain. Bien que faire du ménage n'était pas son activité préférée, elle n'avait pas le choix de le faire. Thea détestait vivre dans un endroit sale. Pour bien débuter la journée, elle avait décidé de se faire un petit-déjeuner digne d'un restaurant. Désirant faire des pancakes, elle ouvrit son réfrigérateur, afin de prendre du lait pour les pancakes. Toutefois, elle constata qu'il ne lui en restait plus. Si les proches de la jeune femme savaient quelque chose, c'était bien le fait que Thea ne pouvait pas vivre sans lait. Elle n'avait qu'une solution. Faire les courses. De plus, elle devait acheter d'autres choses, puisque son garde-manger commençait à se vider, sans oublier son congélateur. Toujours en pyjama, elle retourna dans sa chambre pour se changer. Elle n'aurait qu'à prendre sa douche un peu plus tard. Après tout, ce n'était pas la fin du monde, si elle ne prenait pas ce matin. Une fois changée, elle s'attacha les cheveux en une queue-de-cheval et ne prit pas la peine de se maquiller. Thea n'allait qu'au super-marché. Ce n'était pas comme si elle allait à un défilé de mode ou à un concert. Une fois prête, elle enfila des chaussures et pris son sac à main. La jeune femme sortie de chez elle, prenant bien soin de barrer la porte. Thea faisait confiance à ses voisins, mais elle ne pouvait jamais savoir ce qu'il pouvait se produire. Une fois dans sa voiture, la jeune femme la partit et se mit à rouler jusqu'au supermarché. Elle espérait sincèrement que ça n'allait pas lui prendre beaucoup de temps, puisque son ménage allait l'occuper durant une bonne partie de la journée. Du moins, c'était ce qu'elle croyait. Thea aimait prendre son temps pour bien faire les choses, comme le ménage. Perdue dans ses pensées, la graphiste arriva au supermarché. Le stationnement n'était pas trop plein, alors ça signifiait qu'il n'y avait pas une tonne de personnes qui faisaient leurs courses. C'était un jour de semaine, alors ce n'était pas vraiment étonnant. Une fois stationnée et sortie de la voiture, Thea marcha jusqu'à la porte du supermarché et entra. Elle aimait bien venir ici. Il y avait une grande quantité de fruits et de légumes, de quoi satisfaire la végétarienne en elle. La jeune femme venait de commencer, lorsqu'elle vit une femme qu'elle reconnue immédiatement. Sociable comme elle était, Thea décida d'aller la saluer. « Ariane, salut! »
Ça avait commencé simplement. Un marathon de Masterchef Australia à Food Network qui joue en trame de fond, l’ordinateur portable sur les jambes, la tasse de thé fumante sur la table basse. J’aimais bien bosser avec un son quelconque, et avec le silence dans lequel l’appartement était plongé depuis des semaines - l’absence de Sofia commençait nettement à se faire sentir - j’avais besoin de plus que la symphonie de klaxons et de moteurs qui vrombissent que la rue d’en bas me renvoyait. Au départ, j’écoutais d’une oreille distraite, levant parfois la tête entre quelques lignes tapées frénétiquement au clavier pour voir ce que la mousse au siphon avait donné, si le braisé était aussi horrible que ce que les juges pouvaient avancer, si la casserole avait le fond cramé au possible ou si c’était juste du drame pour faire de la bonne télé. Puis il y avait eu le spécial sur la boulangerie, puis celui sur les desserts. J’avais complètement oublié où j’en étais dans ma traduction à remettre pour le lendemain à la fac que je bavais comme une affamée devant la recette de loukoums qu’on venait de montrer, et qui sentait bon jusqu’ici. Ça avait pris à peine plus pour que je ressente ma dent sucrée faire des siennes, et pour que je me téléporte en vitesse grand V de l’appart à ma bagnole, puis de la voiture jusqu’au supermarché. Ne restait plus qu’à dévaliser le rayons des gâteaux et autres délices, avec l’envie de cuisiner 14 desserts d’affilés tellement j’abusais. La cuisine avait toujours été l’un de mes échappatoires préférés, et comme tout allait particulièrement bien actuellement, j’appréciais franchement le fait que rien ni personne ne me faisait chier pour que j’ai envie de me foutre la tête dans les fourneaux le tête d’oublier sous les meringues et les cupcakes. Juste cuisiner pour le plaisir de, et 15 minutes plus tard mon panier débordait de gras trans, de sucre raffiné et d’ingrédients transformés. La trinité de mes groupes alimentaires préférés.
Pour faire voeu de bonne conscience, pour m’assurer que je ne finirais pas vieille fille obèse sur mon canapé - ce qui en soit ne me dérangerait pas plus que ça puisque cela signifierait que personne jamais ne m’aura empêché de me gaver de brownies et de milkshake jusqu’au diabète, j’arpente à contre coeur l’allée des fruits et légumes. Une pomme par ci, une orange par là, un poivron. Ça fait de la couleur, ça passera peut-être mieux pour Sofia qui ne se gênera pas pour critiquer mon mode de vie lorsqu’elle s’absente à outrance. Et on me reconnaît - merde, ça y est, c’est parti pour une séance de remontrances à la vue de la malbouffe qui compte pour 95% de mes courses. « Hey. » bon, Thea. Y'a espoir qu'elle se mêle de ses affaire. Elle est cool, elle est pas trop casse-pied, elle sait se gérer, elle s’incruste à peine. « T’es pas au boulot? » parce que mine de rien, jour de semaine, la gamine devrait s’y trouver, non? On n’était que très peu à avoir des horaires coupés, à pouvoir se permettre des journées de travail à la maison aussi - pour la dynamique, blablabla, comme le disait si bien Jamie. « T’inquiètes, je dirai pas que tu troques tes heures de bons et loyaux services pour venir satisfaire ton vice. » clin d'oeil entendu à la fausse rebelle qu’elle était, de se cacher au rayon maraîcher. On était loin des années folles à fumer un joint dans la ruelle derrière le commerce où on cumulait du temps pour payer nos dettes d’études.
✻✻✻ Thea n'avait jamais vu Ariane en-dehors du travail. Les deux femmes se connaissaient et se parlaient de temps en temps dans les bureaux, mais ça s'arrêtait là. Elles n'étaient pas des bonnes amies et elles ne se parlaient pas à tout les jours. Thea appréciait Ariane comme collègue. Elle était efficace et elle travaillait bien. Pour la jeune femme, c'était important de bien s'entendre avec les collègues. Lorsqu'elle allait au travail, elle était toujours de bonne humeur, puisqu'elle savait que ses collègues étaient géniaux. Il y en avait quelques-uns qui étaient un peu débiles, mais ils n'étaient pas insupportables, bien au contraire. De toute manière, Thea aimait tout le monde et ça lui a causé des problèmes, lorsqu'elle était jeune. La graphiste avait appris à être un peu moins gentille avec tout le monde. Il ne fallait plus qu'elle accorde trop facilement sa confiance aux inconnus. Ainsi, elle allait bien s'en sortir. En ce qui concernait les hommes, c'était plus difficile que prévu, mais c'était une toute autre histoire. « J'ai pris une journée de congé. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Jamie a accepté, mais je crois que ça sera la seule et unique fois. On verra bien. » Elle haussa les épaules, regardant sa collègue. Oui, il était rare que le nouveau rédacteur en chef accepte de donenr des congés. Il fallait croire que Thea avait eu de la chance et que, cette journée-là, elle ne s'était pas levée du pied gauche, comme aujourd'hui. « Le seul vice que j'ai c'est que j'aime un peu trop manger. » Thea a toujours été une grande gourmande. Lorsqu'elle a décidé de devenir végétarienne, ses proches se demandaient comment elle allait satisfaire ses envies en nourriture. La jeune femme avait vite trouvé des solutions, dont prendre des cours de cuisine végétarienne. Thea se débrouillait parfaitement pour manger comme elle le voulait, tout en mangeant des bonnes choses. « Jamie t'a également donné une journée de congé? » Voir Ariane, en-dehors du travail allait probablement lui permettre de pouvoir lui parler encore plus, puisque les deux femmes n'avaient pas souvent l'occasion d'avoir des longues discussions. Au travail, elles étaient très occupées, alors c'était compréhensible qu'elles ne puissent avoir des conversations qui pourraient être intéressantes.
La petite blonde qui piaille et qui me rappelle de suite la silhouette toujours avenante, toujours souriante qu'elle arbore au bureau. Alors c’était pas juste son masque de jeune professionnelle tant inspirée de bosser dans un magazine à saveur GQ, c’était vraiment son type au quotidien - ou alors elle portait le déguisement avec brio. « Contre rien, rien du tout? » et j’effleure volontairement la jeune femme des yeux, comme pour provoquer la réflexion, comme pour sous-entendre quelque chose qui me fait bien rire, qui a le potentiel de la rendre un peu plus mal à l’aise. « Fais gaffe. La première dose est toujours gratuite ; c’est après que ça se gâte. » c’était pas que pour la cocaïne ce genre d'avertissement, et elle serait bien naïve de croire que Jamie a le congé facile. Oui, oui, on y croyait tous à son envie de faire les choses bien mieux. Mais restait qu’il était un bourreau de travail, tout comme la majorité des gens au bureau, et que Thea serait tout sauf à sa place si elle en faisait une habitude. Je parle de vice, elle rebondit en désignant candidement son panier et le garde-manger de fruits et de légumes qui s’y étale. « Et à ce que je vois, tu succombes pas mal. » entre le kale et les carottes, tout juste avec le tofu et les agrumes, je me doute qu’elle est du genre à brouter de l’herbe, ou à être fort probablement végétarienne. Ça va, ça passe, ça colle parfaitement à son profil, la jolie blonde au sourire parfait, à l’humeur lisse, au corps vif. Pour ma part, c’est la cata alimentaire qui s'affiche à son oeil averti, et ce n’est pas sans dire que la comparaison m’amuse. Disons que si le cholestérol était un aliment, il se ferait une place de choix dans mes placards. « Oh, je suis à taux horaire en fait. » croisez un collègue hors du boulot, faites comme si vous aviez une vie, comme si vous étiez le moindrement un humain à part entière et pas que la pro de la sauvegarde de fichiers et de l’économie d’espace, et on finissait toujours par reprendre les mêmes sujets, par caresser les mêmes ambitions. « Peu de gens le savent, mais quand on m’a embauché, c’était sur une base d’heures, et non de jours. » ça remonte à il y a 3 ans, quand j’étais encore une rebelle dans l’âme, dégoûtée par les horaires fixes, par la simple idée d’avoir un patron autre que ma tête dure. On avait donc passé mon dossier aux ressources humaines pour s’assurer qu’on voulait vraiment se prendre les os pour mon cas, et de la réflexion avait émergé cette proposition. « Du coup, ça arrive que je bosse sur des jours différents, tant que je cumule le taf selon les heures demandées. » et une confession professionnelle, une. Thea était tout de même encore récente à GQ et je serais étonnée si elle me disait qu’elle avait creusé les conditions de contrat de toute l'équipe. Étonnée, mais aussi alarmée - y’avait nettement plus intéressant à apprendre sur le cas des employés, laissez-moi vous dire.
✻✻✻ Ça semblait surprendre Ariane que Jamie lui ait donné une journée de congé. En toute honnêteté, ça l'a également surpris Thea qui ne s'était pas douté qu'il allait accepter que la graphiste ait une journée à elle pour se reposer, faire du ménages et des courses. Thea l'avait donc remercié à plusieurs reprises, lui promettant qu'elle n'allait pas demander un autre congé. Du moins, pas dans l'immédiat. Thea adorait son emploi, alors ça ne la dérangeait pas vraiment de ne pas avoir beaucoup de congés. « Moi aussi ça m'a surprise, mais je lui ai promis de ne pas demander d'autres congés dans l'immédiat. Il faut croire que j'ai eu de la chance. » Thea regardait sa collègue, ne sachant pas réellement ce qu'Ariane pensait. Elle ne la connaissait pas en-dehors des bureaux. « Je te crois. » Elle rit timidement, prenant alors des oranges, pour ensuite les mettre dans son panier qui se remplissait tranquillement. Thea faisait très attention à son alimentation. Depuis qu'elle était végétarienne, elle surveillait souvent ce qu'elle mangeait. La graphiste faisait attention pour ne pas manger de viande et de fromage. Bien qu'elle buvait de temps en temps du lait de vache, Thea commençait tranquillement à boire du lait de soya. Il fallait seulement qu'elle s'habitue au goût. « Je succombe aux fruits et légumes, c'est vrai. » La jeune femme sourit timidement. Lorsqu'elle était adolescente, l'idée de manger cinq fruits et légumes par jour la faisait rire. Elle mangeait beaucoup de croustilles, de chocolat et de bonbons. Bref, des aliments qui ne faisaient plus parti de son alimentation. De temps en temps, Thea mangeait du chocolat noir, mais sans plus. La jeune femme ne pouvait pas se passer de fruits comme dessert. Des bonnes fraises et des bananes la rendaient très heureuse, lorsqu'elle regardait un film à la maison ou lorsqu'elle avait une petite faim. « Oh, d'accord. Ça doit être génial. » Thea en apprenait un peu plus sur Ariane, ce qui était bien à ses yeux. La graphiste a toujours aimé en apprendre plus sur les gens qu'elle côtoyait, mais elle ne savait pas si sa collègue avait envie de la connaître davantage. « D'accord. Du coup, tu as plus de temps pour toi. Je suppose. » Thea ne savait pas du tout si Ariana allait devenir une amie, mais l'idée de lui parler dans une épicerie lui permettait de savoir comment elle était en-dehors des bureaux. « C'est bien alors. » La jeune femme était au GQ Magazine depuis seulement deux ans, alors elle ne connaissait pas toutes les horaires des employés et, de plus, ça ne l'intéressait pas réellement d'en savoir plus, sur ce sujet. Ça ne la regardait absolument pas.
Elle s’enthousiasme presque, c’est mignon. La plupart des gens m’envoient chier sachant que mon horaire se fie à mes envies, mes disponibilités. Une autre moitié se demande pourquoi je finis toujours par travailler d'arrache-pied les week-ends et la majorité des soirées en plus de tout le reste. Pas grand monde ne comprend les moments où je suis en train de bosser, mais que j’exhibe mon plus beau pyjama, sur le canapé de l’appartement. Tout est une question d’investissement. « C’est difficile sur la productivité, mais ça se tolère. » quand Nadia rapplique avec du vin. Quand Hugo décide qu’il veut changer le monde - et qu’il m’embarque à bord. Quand les délais serrés me gardent réveillée pour 3 nuits d’affilé. « J’avais un blogue avant. C’était un peu mon gagne-pain ; et ça m’a habituée à faire mes propres horaires. » que j’explique, distraitement, les pupilles qui lorgnent sur un étalage en particulier, me disant que des framboises pourraient tout de même apporter un peu de couleur à mes slutty brownies, et à ma bonne conscience. Thea qui parle de temps et d'horaire à nouveau, et je laisse échapper un petit rire, parce que c’est bien ce dont tout le monde manque toujours au final. Jamais assez que 24 heures dans une journée, et des livres et des conférences et des plans sur 30 jours pour arriver à mieux s’organiser qui pullulent sur le web, et qui rendent des dizaines de gourous bien riches chaque année. Tout est relatif, au fond. « Du temps pour m'empiffrer, ouais. » la preuve réside dans le petit panier de métal que j’agite nonchalamment, assumant tout de même la crise de diabète que j’ai prévue pour célébrer cet article particulièrement coriace que j’ai fini par boucler en début de semaine. « Végétarienne, j’me trompe? » à elle de vider son sac, et je pouvais pas faire mieux dans le rayon des blagues de premier degré. Un simple regard dans la direction de ses victuailles m’a confirmé plus tôt qu’elle était du genre santé et tout le tralala. Je parie que le beurre lui fait peur, le gluten tout autant. « J’arriverais pas à me passer d’un gros burger dégoulinant de gras. » que je soupire, en voyant un paquet de galettes de protéines de soya trôner juste là, sous ses brocolis. L’enfer à mes yeux, pour $7,99.
✻✻✻ Thea n'était pas jalouse de l'horaire de sa collègue, bien au contraire. La graphiste préférait travailler au bureau avec des heures fixes. La jeune femme travaillait comme ça depuis longtemps que ça lui convenait parfaitement. Ariana semblait à l'aise avec son horaire de travail et c'était tant mieux pour elle. « Tant que tu te sentes à l'aise avec tout cela. » Elle sourit timidement. Thea ne serait pas capable de faire cela. Probablement parce qu'elle ne prendrait pas le temps nécessaire pour travailler. Être au bureau toute la semaine durant ses heures de travail lui permettait de bien travailler et d'être à son affaire. « Oh, c'est cool! C'était un blogue sur quoi exactement? Je suis désolée, si je suis un peu trop curieuse. » La curiosité a toujours fait partie de la personnalité de la graphiste. Elle était ainsi depuis son enfance et elle allait toujours être curieuse. Du moins, c'était ce qu'elle se disait. Parfois, ça pouvait être un vilain défaut, mais elle s'en fichait un peu. Thea rit aux paroles de sa collègue, regardant alors ce qu'il avait dans le panier de celle-ci. « Ce n'est pas une mauvaise chose de s'empiffrer. Ça m'arrive de le faire de temps en temps. » Bon, elle s'empiffrait dans les fruits, les légumes, le chocolat végan et le tofu, mais elle mangeait quand même beaucoup. Thea adorait la nourriture et, depuis qu'elle était végétarienne, elle appréciait davantage ce qu'elle mangeait. « Je le suis depuis deux ans, oui. » Thea sourit timidement. La jeune femme était fière d'être végétarienne. Maintenant qu'elle ne mangeait plus de viandes depuis deux ans, elle serait incapable d'en manger à nouveau, si on lui en offrait. La brunette était heureuse de manger du tofu et plus des légumes, sans oublier les fruits qui faisaient partie de son quotidien. « Je me suis dit la même chose, au début, mais j'ai fini par m'adapter à ce changement. Je ne demanderai jamais à quelqu'un de devenir végétarien. C'est mon choix à moi, pas celui des autres. » La graphiste le pensait sincèrement. Ça ne la regardait absolument pas, si sa collègue préférait manger de la viande que devenir végétarienne. Elle avait le droit de faire ce qu'elle désirait.
Thea questionne, elle est loquace la petite, et ça change, plus qu'en bien, de la nana que je connaissais du travail, de celle qui se refermait sur elle-même, qui évitait trop souvent les contacts, qui jouait sur sa timidité pour se sauver du reste. Pas qu’elle soit difficile à côtoyer au contraire, mais elle n’était pas non plus connue pour sa verve grandiloquente ou pour être particulièrement extravertie. En même temps, si on la comparait au personnage que je pouvais être, les ressemblances et atomes crochus étaient totalement absents. À croire qu’elle était plus à l’aise en one on one que confrontée à un groupe. « Sur le sexe, les relations de couple, l’amour en gros. » que je réponds, au sujet du blogue que j’avais avant que tout ça débute, que je me retrouve en charge du courrier du coeur, du podcast éponyme. À l’époque où je bossais encore pour la troupe de théâtre, où je pouvais voyager un peu partout à travers Brisbane, le monde même. C’était cool jadis, c’était la liberté que j’accusais, et qui me manquait parfois au quotidien. Ce pourquoi je ne me gênais pas, lorsque j’avais besoin d’air, pour prendre un jour ou deux hors du boulot. « C’est un peu le truc derrière mon podcast à GQ. » le blogue, l’ancien. C'était ma carte de visite, mon portfolio en quelque sorte, qui avait piqué la curiosité de Conde Nast, qui avait provoqué leur intérêt, leur envie de daigner jeter un coup d’oeil à mon résumé, voulu me rencontrer, m’offrir un poste dans l’un de leurs médias papiers. « Ça, c’est cool comme discours. Keep it up. » de mon expérience de travail on passe maintenant à son style de vie, et la réponse qu’elle me balance sur son végétarisme m’arrache un hochement de tête convaincu. Même si elle avait l’air fragile la petite, y’avait du nerf enfoui, et j’aimais bien. Pas sûre qu’elle soit du genre à en venir aux crocs et aux griffes si on la confrontait sur ses choix alimentaires, mais le simple fait qu’elle demande la paix face à ce qui se trouve dans son assiette me la rendait un peu plus sympathique. « Et sinon… t’étais où avant, toi? » elle a l’air de vouloir discuter encore un peu, à errer dans les allées au même rythme que mes pas. Autant faire amende honorable et lui rendre la pareille un peu. « T’as déjà songé à faire du graphisme en freelance? » que je demande de but en blanc, me souvenant que son travail était pas du tout gênant, et qu’elle arriverait sûrement à accumuler une bonne somme de son côté si elle complétait son boulot de jour de quelques contrats à part. « Question de te retrouver avec de l’extra pour te payer plus de brocoli. » et une vanne, un sourire, un clin d’oeil.
✻✻✻ Thea n'avait jamais eu la chance de discuter avec Ariane, en-dehors du travail. Il fallait dire qu'au bureau, Thea était très occupée et elle se faisait discrète, afin de se concentrer sur ce qu'elle devait faire et, du coup, elle ne parlait pas souvent à ses collègues. Elle devrait peut-être changer cela et devenir un peu plus sociable, au bureau. En-dehors de son emploi, Thea était une personne complètement différente et elle le savait. Cela devait donc surprendre Ariane de voir sa collègue parler autant, alors, qu'habituellement, elle ne le faisait pas. « Oh, c'est super. » La jeune femme n'était pas la meilleure personne pour parler des relations amoureuses et du sexe. Elle était surtout connue pour être un peu naïve et ne pas remarquer que les hommes à son travail la regardaient et s'intéressaient à elle. Bref, Thea n'avait pas assez d'expériences pour en parler sur un blog, mais ça l'intéressait réellement. Elle pourrait apprendre certaines choses et, ainsi, être meilleure dans ce domaine. « Alors tu as toujours été passionnée par les médias, c'est ça? » Peut-être que ses questions énervaient Ariane, mais sa collègue ne disait rien, alors Thea supposait que ça ne la dérangeait pas réellement. « Merci! » La jeune femme sourit timidement. Elle était fière d'être végétarienne, mais elle ne le criait pas sur tous les toits. De temps en temps, elle faisait des manifestations pour les droits des animaux, mais elle ne pouvait pas demander aux gens de devenir végétariens. Il fallait que ça soit leur choix et non celui de la graphiste. « J'étais à Sydney. GQ Magazine est mon premier emploi, alors je me dis que j'ai eu beaucoup de chance d'avoir trouvé cet emploi. » La jeune femme n'avait pas travaillé dans un autre magazine ou ailleurs. Thea adorait ce qu'elle faisait et ne comptait pas quitter le magazine pour lequel elle travaillait depuis deux ans déjà. Le temps passait très vite. « J'y ai déjà pensé, mais je ne sais pas si j'ai assez de temps pour cela. Mon boulot actuel occupe une grande place, mais ça m'a toujours intéressé. » Évidemment que Thea aimerait faire du graphise en freelance, mais elle aimait le GQ Magazine et, pour le moment, ça lui convenait parfaitement. « Ça ne serait pas nécessairement du brocoli. Ce ne sont pas les légumes qui coûtent le plus cher. » Elle rit timidement, souriant par la suite. « Disons que le tofu coûte cher, alors je m'en prendrais plus. »
Je ne me reconnaissais pas trop à taper la discussion entre les allées du supermarché, sauf peut-être par soucis de professionnalisme. Au boulot, je faisais un effort pour bien me comporter en société, pour rire quand il faut - ou quand c’est drôle du moins, pour pas être chiante comme au quotidien. Thea n’a jamais vraiment été ennuyante en soi, elle est sympa, simple, et elle ne mérite pas que mon envie mortelle de slutty brownies lui vaille des soupirs à la chaîne alors qu’elle me parle de son amours pour le fer et la bêta carotène. « Yep, depuis que j’ai réalisé qu’un clavier était plus rapide qu’un cahier pour partager mon opinion. » parce que dans les coulisses du théâtre, c’était mon portable qui me suivait le plus longtemps, petit blogue mis sur pied pour me distraire, pour m’occuper les journées où j’avais l’impression que ma vie se résumait à brancher des fils de courant et à corriger des fautes d’accord. Thea me parle elle aussi de son passé, et de ses origines. Sydney, ah ouais. J’y avais mis les pieds quelques jours avec Kane pendant notre roadtrip, ville sympa, pas mal trop touristique à mon goût, mais les attractions avaient leur charme. « Cool - d’être partie de là-bas pour venir ici. La transition est pas trop chiante, juste assez. » elle m’a l’air tout de même bien intégrée, bien enracinée. Une bonne raison pour peut-être étendre son talent à d’autres niveaux, et voir si la possibilité de faire des contrats à l’externe lui plaît. « Bah, un contrat par ci, par là. Pas besoin de te surmener non plus. » petite Thea qui panique un brin face à ma suggestion, que je calme tout de suite. C’était pas nécessaire d’en faire tout un plat, elle pourrait facilement s’amuser en prenant quelques mandats, se permettre de choisir puisqu’elle a toujours un boulot permanent qui l'attend sagement chez GQ. « J’ai un pote, c'est un auteur. Si tu veux faire de l’illustration pour ses trucs, tu me dis et je vous mets en contact. » pour être sympa, pour faire la conversation, pour déléguer Thea à Hugo quand je sais pertinemment que mon pote allait être tout indiqué pour discuter avec elle et son calme olympien. L’heure tourne, mon estomac s’active, un dernier regard à la collègue qui a toujours une petite liste à cocher et c’est le moment pour moi de m’envoler vers de nouvelles aventures. « Bon, je dois y aller. Masterchef recommence dans une petite trentaine de minutes. » les priorités, tout ça. Signe de main, révérence d’usage même, et je file vers les caisses. Note mentale : lui demander lundi si elle a fait une folie et qu’elle a hypothéqué à nouveau son appartement pour acheter du tofu.
✻✻✻ Qui aurait cru que Thea discuterait dans une épicerie avec une collègue à qui elle parlait à peine? La jeune femme était agréablement surprise et ça lui faisait du bien de discuter avec Ariane, en-dehors du boulot. Ça lui permettait de la connaître davantage, même si, en fin de compte, elle n'en savait pas plus. Tout ce qu'elle venait d'apprendre, c'était qu'Ariane n'était pas une grande fan des légumes, mais cela ne dérangeait pas Thea, puisque les goûts étaient dans la nature. Du moins, c'était ce qu'elle pensait. La jeune femme rit timidement. « J'avoue que c'est plus rapide sur un ordinateur. C'est comme le graphisme. La technologie fait des miracles. » Évidemment, Thea adorait également faire des dessins sur un cahier avec des crayons de toutes les couleurs, mais un ordinateur était mieux et ça lui permettait de faire plus de choses. Sa créativité s'était intensifiée, depuis qu'elle travaillait sur un ordinateur, à son plus grand bonheur. Thea adorait ce qu'elle faisait et changer d'emploi n'était même pas envisageable pour la jeune femme qui était heureuse au sein de GQ Magazine. « Ce n'était pas vraiment chiant. J'adore Brisbane, alors ça me fait plaisir de vivre ici. » Sydney manquait beaucoup à Thea, mais venir vivre à Brisbane était une chance qu'elle ne voulait pas manquer, alors, lorsqu'elle a eu une offre d'emploi comme graphiste, elle en a profité et a sauté sur l'occasion. « Oui, c'est vrai. J'avoue que ça serait super de faire du freelance. » Ariane avait raison. Elle n'était pas obligée de faire une dizaine de contrats. Juste deux petits contrats par mois pouvait être une très bonne idée. Thea allait prendre tout le temps nécessaire pour réfléchir, mais elle avait réellement envie de faire du graphisme en-dehors du magazine. « Oh, ça serait super! Je veux bien que tu me mettes en contact avec lui. Merci! » Ariane venait de faire un très beau geste aux yeux de la jeune femme. Ça allait lui permettre de se lancer en freelance et, ainsi, elle allait se faire connaître. « Aucun soucis! On se voit au boulot, j'imagine. » Elle salua Ariane et continua de faire ses courses, avant de retourner chez elle. Thea était définitivement heureuse de cette conversation avec sa collègue.