Il faisait chaud à l’intérieur du bar, trop chaud. Les températures étaient en hausse à Brisbane et Leena était partie de Londres au moment où les beaux jours tiraient leur révérence ; quelque part les voir repointer le bout de leur nez lui faisait bizarre, son corps ne s’y acclimatait pas encore totalement, notamment le soir : elle s’habillait toujours trop chaudement, comme si la nuit anglaise allait surgir d’une minute à l’autre. S’étant résolue à ôter sa veste pour se retrouver en débardeur, un peu ample et d’un bleu nacré, elle se sentit brusquement mal à l’aise. Ce n’était pas la proximité forcée avec les gens dans un tel lieu, plein de rires et d’odeur de bières, qui la gênait, mais plutôt les regards des autres sur ses épaules dénudées et son décolleté. Depuis l’adolescence son rapport à son corps était compliqué et, par périodes, particulièrement difficile ; depuis son séjour à Londres elle avait senti qu’elle s’était un peu apaisée de ce côté-là, sans se débarrasser pour autant de ses vieux démons. Il lui semblait que les mots « petite grosse » et « sale moche » dansait encore quelque part dans sa mémoire, toujours prêts à resurgir, alors que cette période sombre du collège était révolue et qu’elle avait pourtant appris à tirer un trait là-dessus. Mais tout commençait avec l’alimentation : si ses troubles alimentaires, eux aussi, s’étaient énormément améliorés, il y avait encore parfois des jours où elle se levait et se retrouvait incapable d’avaler quoi que ce soit, même un pauvre yaourt, et ensuite tout dégringolait. Le miroir lui renvoyait une image déformée, elle se sentait extérieure à son corps et le jugeait sans pouvoir être objective, elle se trouvait horrible et pouvoir encore moins manger, jusqu’à ce qu’enfin le cycle se termine et qu’elle reprenne du poil de la bête.
Aujourd’hui était un de ces jours : Leena s’était réveillée toute ensuquée, mal à l’aise, nauséeuse, même son thé lui avait retourné l’estomac, et quand elle s’était rendue compte que la journée avançait sans qu’elle n’ait rien avalé, elle avait décidé de manger une compote et avait mis une demi-heure, cuillère après cuillère, le cœur au bord des lèvres. Elle en aurait presque pleuré de rage (ce n’était pas un état d’esprit dans lequel elle aimait se voir – c’était comme si elle revenait en arrière, sur tous ses efforts et toutes ses victoires) mais comme elle s’était lancé dans une nouvelle création elle avait oublié tout le reste, noyant ses idées noires dans la fabrication de ses bijoux. Finalement, quand l’heure était venue de retrouver ses amis, elle s’était préparée et habillée en évitant de se regarder dans le miroir, sauf pour se maquiller, et en évitant encore plus de se dire que d’aller boire était la dernière des bonnes idées. Mais elle refusait de se laisser dicter par ce qu’elle appelait ses « petits problèmes » et après avoir discuté un peu avec Andy, elle avait quitté la maison et s’était approchée du cœur de la ville.
Elle avait senti sa tête s’aérer un peu en retrouvant ses amis, qu’elle connaissait en partie d’avant Londres, et avait commencé par une bière avant d’alterner avec un soda pour éviter le pire. Mais la soirée avançait et tout son corps lui semblait de plus en plus léger – elle riait, discutait avec tout le monde, dansait avec quelques-unes des filles du groupe, riait encore. Bien entourée, elle oubliait facilement le reste. Elle se surprit à chercher Rhett dans la foule – mais ce soir il ne pouvait pas, et son cœur désespérait de ne pas le voir, comme à chaque seconde qui passait. Mais cela… c’était une autre histoire, et c’était sans doute plus raisonnable de ne pas le voir dans cet état, sans avoir mangé et un peu soûle, avec quelques bières au compteur. Elle s’imaginait lui sauter au cou et ne plus le lâcher.
Après avoir dansé un bon quart d’heure, assoiffée, elle se dirigea vers le bar et se posa sur l’un des grands tabourets en attendant que le barman puisse la servir ; il était débordé. À côté d'elle, une fille attendait visiblement son tour elle aussi. Leena lui fit un grand sourire. « Pfiou ! Qu'est ce qu'il fait chaud, si je ne bois pas une bière maintenant je vais sûrement me dessécher ! » La tête lui tournait un peu quand elle riait. Elle continua, toute contente qu'elle était de parler à une inconnue et de faire de nouvelles rencontres : « Moi c'est Leena, et toi ? Tu viens souvent par ici ? Il paraît que leurs cocktails sont les meilleurs du coin mais j'ai tellement été habituée à leurs bières avec mon budget d'étudiante à l'époque que... Je n'y ai toujours pas goûté ! »
✻✻✻ La journée de Théa a été parfaite. La jeune femme a bien travaillé et elle avait tout terminé à temps, ce qui l'a grandement soulagé. Parfois, Thea avait tendance à être perfectionniste. Il fallait que tout soit parfait, surtout dans sa vie professionnelle. Étant graphiste, elle ne désirait pas décevoir les gens pour qui elle travaillait et surtout pas Jamie, le nouveau rédacteur en chef. Bien qu'elle ne l'appréciait pas plus qu'il le fallût, elle ne lui causait pas de problèmes. Ils avaient une bonne entente au travail et ça s'arrêtait-là. Thea ne savait pas grand chose sur lui et c'était probablement mieux comme ça. À la fin de sa journée, la jeune femme avait proposé à une collègue d'aller boire un verre, au bar. Toutefois, elle avait refusé, disant qu'elle était épuisée et qu'elle allait dîner chez ses parents. Thea avait donc décidé de se rendre en solitaire, au bar. Cela ne la dérangeait pas, puisqu'elle ne comptait pas rester seule toute la soirée. Les bars étaient le bon endroit pour faire des nouvelles rencontres. Thea était très sociable, alors elle n'allait avoir aucun problème à socialiser avec des nouvelles personnes. Thea sortie du bureau et se rendit chez elle. Bien qu'elle avait pris sa douche le matin, elle avait eu chaud et ne comptait pas se rendre dans un bar en sueur. Le simple fait d'y penser la dégoûtait plus que d'autres choses. Après une douche rapide, elle en sortie et se sécha. Elle ne prit pas de temps à choisir sa tenue. Thea n'aimait pas se compliquer la vie, en ce qui concerne les vêtements. Par moment, ça lui arrivait, mais pas ce soir. Une fois sa robe enfilée, elle se lissa les cheveux et se maquilla. Après s'être parfumée et avoir enfilé des chaussures, elle prit son sac à main et sortie de son appartement. Il était alors vingt et une heure. C'était l'heure parfaite pour se rendre dans un bar. La jeune femme s'y rendit rapidement. Elle entra alors dans le bar, regardant autour d'elle. Il y avait une excellente ambiance, mais il faisait très chaud. Ce n'était pas surprenant. C'était le printemps, à Brisbane, alors la température augmentait. Bien que ça ne dérangeait pas trop Thea, avoir trop chaud l'énervait. La jeune femme se rendit tout de suite au bar et s'assit. Elle entendit alors une voix à côté d'elle. Thea se retourna et rit. « C'est la même chose pour moi. La chaleur ne me dérange pas trop, mais j'ai mes limites. » C'était la première fois que la graphiste voyait cette femme. « Je m'appelle Thea, enchantée. Oui, j'ai goûté à leurs cocktails et ils sont délicieux. Tu devrais essayer. » La jeune femme sourit. « J'ai été dans la même galère que toi, durant mes études universitaires. » Thea était enchantée de pouvoir discuter avec Leena qui semblait être très gentille et toute douce. « J'ai cru entendre un accent, dans ta voix. Est-ce tu es Britannique? »
Thea paraissait volontiers prête à discuter et Leena lui rendit son sourire, sentant ses pensées tout de même un peu altérées par l'alcool qu'elle avait déjà consommé. Mais ce n'était pas désagréable, au contraire ; le point de non-retour n'était pas atteint, et elle savait d'ailleurs qu'elle devait faire attention. Le peu qu'elle avait mangé aujourd'hui ne supporterait pas une trop grande quantité de verres, elle en était bien consciente, bien que son côté fêtard refusait tout de même l'idée de devoir se restreindre, surtout à cause de problèmes de la sorte. Cela lui était déjà arrivé plusieurs fois, à Londres, de faire n'importe quoi et de le regretter ; la dernière en date était quand Rhett (comme quoi, tous les chemins menaient à lui) était rentré en Australie et qu'elle s'était sentie si seule sans lui, qu'elle n'avait pas réussi à manger pendant deux jours et qu'elle avait fait la fête pour se changer les idées... Le résultat, en toute logique, avait été fatal : elle s'était évanoui en plein milieu de la soirée et avait passé les heures suivantes à vomir et à essayer de dormir, mais les murs tournaient trop autour d'elle. Elle avait passé une journée affreuse ensuite, se sentant trop faible pour quoi que ce soit et trop nauséeuse pour manger — le cercle vicieux. Il était hors de question de recommencer cette bêtise à nouveau. Il fallait qu'elle mange et elle le savait, mais la manière de faire était déjà plus problématique.
« Tu me conseilles lequel, alors ? J'aime bien les trucs acidulés, mais pas trop sucrés ! » C'était drôle de constater que pour l'instant, elle semblait avoir des petites habitudes communes. Le barman arriva pour enregistrer leur commande et Leena lui demanda une assiette de frites en plus, sans s'accorder le droit de réfléchir. Il fallait qu'elle prenne cela comme quelque chose de totalement naturel, qu'elle fasse comme si de rien n'était, qu'elle grignote en mangeant, et son corps n'y verrait que du feu. « Tu pourras en prendre si tu veux ! Je commence à avoir un petit creux » se justifia-t-elle en souriant, pour cacher son trouble.
Puis la question de Thea la fit rire pour de bon cette fois ; ce n'était la première fois qu'on lui demandait récemment et c'était si étrange cette histoire d'accent presque réversible ! En arrivant à Londres cela n'avait échappé à personne qu'elle n'était pas anglaise, car son accent australien ressortait trop du lot, à chaque fois — mais depuis qu'elle était revenue les gens d'ici remarquaient d'abord les intonations et les prononciations qu'elle avait prises à Londres, par habitude, et la pensait étrangère. Parfois, elle avait l'impression d'être ni d'ici ni de là-bas, et ça lui faisait tout drôle. « Oh, non, je suis australienne et née à Brisbane... Mais j'ai passé huit ans à Londres, j'en suis revenue il y a deux mois à peine. Il paraît que j'en ai pris l'accent, c'est drôle, je ne m'en rends pas compte ! Mais ça me fait plaisir, comme quoi j'ai emporté un peu de Londres avec moi. J'aimais beaucoup la vie là-bas, ça me manque un peu ! » Elle saisit son verre et trinqua avec Thea, puis attrapa une frite qu'elle ne regarda même pas. En la mâchant elle sentit sa bouche s'emplir d'acidité mais elle se força à vider son esprit, avala, fit couler avec une gorgée de cocktail. « Hmm, super bon ! Et toi alors, tu es d'ici ? J'imagine que tu as fini tes études si tu peux te payer des cocktails... » Elle lui lança un sourire amusé. « Tu viens souvent dans ce bar ? Et tu fais quoi dans la vie ? » Toute pleine de questions, elle ne faisait que commencer — elle aimait trop discuter avec les gens — et elle attrapa une deuxième frite qu'elle réussit à avaler avec un peu moins de difficulté cette fois.
✻✻✻ Thea était une jeune femme très sociable et peut-être même un peu trop. Parfois, il lui arrivait de discuter avec des gens qui n'étaient pas forcément des bonnes personnes. Du coup, lorsqu'elle les connaissait un peu mieux, elle découvrait qui ils étaient réellement. Thea essayait d'être moins naïve et de ne pas donner facilement sa confiance. D'ailleurs, lorsqu'elle était au lycée, elle donnait trop rapidement sa confiance aux gens, si bien qu'ils s'en servaient contre elle. Maintenant qu'elle avait vingt-sept ans et qu'elle était plus mature, elle était moins naïve. Toutefois, elle l'était encore un peu. Elle le sera toujours, mais elle fait plus attention. Lorsqu'elle a croisé le regard de Leena, elle a tout de suite su que cette femme était adorable et gentille. Il y avait quelque chose chez elle qui lui disait qu'elle pouvait lui faire confiance. Thea était donc heureuse de discuter avec elle. La jeune femme était curieuse d'en apprendre plus sur Leena. Elle semblait être Britannique, puisqu'elle avait un accent Anglais. Peut-être que la graphiste se trompait. Dans tout les cas, elle allait probablement finir par le savoir. « Je te conseille celui-là. Il est délicieux. » Thea montra un cocktail sur le menu des cocktails. Elle y avait goûté, lorsqu'elle était venue, il y a deux semaines. Depuis, ce cocktail fait parti de son top trois. La graphiste n'était pas une grande buveuse d'alcool, mais, dès qu'elle sortait, elle ne se gênait pas à boire un peu. En toute modération, bien évidemment. Thea vit ensuite Leena recevoir une assiette de frites. Elles semblaient être délicieuses. Par chance que c'étaient des patates. Depuis qu'elle était végétarienne, Thea faisait très attention à ce qu'elle mangeait. Elle devait s'informer des ingrédients. Toutefois, des frites c'était des patates, alors elle n'avait pas à se poser de questions. « Oh merci, c'est gentil. » La graphiste sourit et prit une frite, la mangeant. Elle était délicieuse, mais elle n'allait pas en reprendre, sachant qu'elle était très gourmande. Thea allait se faire une salade de quinoas, lorsqu'elle retourna à son appartement. La jeune femme venait de lui demander si elle était Britannique. Elle eu sa réponse, lorsque Leena lui dit qu'elle était née à Brisbane, mais qu'elle a vécu huit ans à Londres. « Oh, d'accord. Je suis jalouse. J'aimerais bien y aller un jour. Il faut juste que j'économise et que j'ai le temps d'y aller. » Elle rit, passant une main dans ses cheveux. Thea commanda alors une bière au barman, venant de se rappeler qu'elle était venue au bar pour boire un verre. Elle se retourna ensuite vers Leena. « En fait, je viens de Sydney, mais ça fait deux ans que je vis ici. Oui, j'ai terminé mes études il y a quelques années. » D'ailleurs, ses études ne lui manquaient pas, même si ça l'a été des belles années. « Je viens de temps en temps, mais pas trop souvent. Je suis graphiste pour le GQ Magazine. Et toi alors? »
Comme c'était facile, de succomber à la pression du regard des gens — comme c'était facile que tout d'un coup ils pensaient comme on se l'imaginait. Leena en faisait les faits à chaque fois ; il suffisait qu'elle soit un peu sensible et qu'elle se soit levée du mauvais pied, il suffisait que ce soit une journée sans et que qu'elle évite son reflet dans le miroir ou ne sache pas quoi ou comment manger pour que son cerveau se mette à surinterpréter tout ce qui se déroulait autour d'elle. Un regard, un geste, une parole : il suffisait de presque rien. Leena se souvenait comme si c'était hier de ces repas qui dans ses souvenirs duraient des heures, des remarques de sa mère à chaque plat (tant de calories pour celui-là, tant pour celui-ci, eh bien ma chérie tu es sûre que tu veux reprendre du gâteau alors que tu n'as pas voulu plus de haricots verts ?, tu sais bien ce qu'on dit de la gourmandise, j'ai vu la fille des voisins tout à l'heure c'est terrifiant comme elle a pris du poids je n'aimerais pas être à sa place) et de cet étau invisible qui lui écrasait un peu plus les épaules à chaque minute, à chaque regard de sa mère, à chaque parole. Il lui avait fallu du temps pour comprendre que c'était une obsession malsaine de la part de sa mère, il lui avait fallu du temps pour accepter que si elle avait été trop ronde dans son enfance c'était à cause de cela, et il lui avait surtout fallu énormément de temps pour prendre de la distance et ne plus y penser, ne plus souffrir de tout cela, et faire son chemin, toute seule. Les remarques immanquables de sa mère à propos de son apparence, les rares fois où elle la voyait, étaient toujours au rendez-vous ; la seule différence résidait en Leena, puisqu'elle les laissait glisser sur elle sans leur accorder d'importance — du mieux qu'elle pouvait.
Voilà pourquoi quand Thea accepta gentiment son offre de partager les frites mais qu'elle n'en prit qu'une et du bout des doigts, Leena se sentit tout d'un coup terriblement mal — les pensées déferlaient dans sa tête : elle n'en mange pas parce que c'est gras, elle doit se dire que je ne mange que ça, elle doit me trouver grosse, je dois la dégoûter. Dans ces moments-là tout partait trop vite trop loin, et agrippée au comptoir elle s'efforça de ne pas perdre pieds et de revenir à la réalité. Elle se sentait toujours stupide ensuite. Heureusement que Londres était un sujet sur lequel elle ne tarissait jamais ; elle l'attrapa donc en plein vol : « Ça vaut vraiment le coup, j'espère que pourras y aller un jour ! En plus il y en a pour tous les styles : que tu aimes sortir, te balader dans des parcs, la culture, les soirées, c'est vraiment une ville très diversifiée... On ne s'en lasse pas. De toutes les capitales européennes que j'ai visitées, c'est vraiment celle qui m'a le plus charmée. Parce qu'en fait après avoir fini le lycée j'ai bossé deux ans et je suis partie faire un tour de l'Europe avec ma meilleure amie, voilà pourquoi j'en suis arrivé là » expliqua-t-elle avec un sourire. Parfois les gens restés ici se demandaient ce qu'elle était partie faire, quelle idée saugrenue l'avait prise. C'était quelque chose qu'elle n'aimait pas forcément en Australie, surtout dans les endroits éloignés des grandes villes : ils ne s'intéressaient pas au reste. Alors qu'avec le recul, aujourd'hui, elle était persuadé que ce voyage, sac sur le dos et sans trop d'argent en poche, avait été la meilleure chose qui lui était arrivée. « Tu as déjà voyagé, toi ? » Thea avait déjà connu d'autres horizons en tout cas, puisqu'elle venait de Sydney. Leena lui fit un sourire en apprenant qu'elle était graphiste — elle était toujours heureuse de rencontrer des gens qui avaient des sensibilités artistiques. « Oh, c'est super intéressant, et ça te plait ? Tu es venue à Brisbane pour le boulot ou c'était prévu ? Pour ma part je fais plusieurs choses à la fois ; j'ai monté une boutique sur Internet, j'y vends des bijoux que je fabrique. Ça marche plutôt bien mais j'ai tout de même gardé un job à côté, je travaille en complément dans une boutique d'antiquités ! Tu la connais peut-être, elle est à Pine rivers. C'est vraiment sympa ce qu'il y a ! » Tout en buvant son cocktail, acidulé et rafraichissant, elle picorait quelques frites tout en se défendant de trop les regarder ou d'y prêter attention. « Et alors, c'est vrai ce qu'on dit, dans la presse c'est des gros fêtards ? L'ambiance est cool ? Je suis allée une fois à une soirée GQ avec une amie quand j'étais plus jeune, je ne me souviens de pas grand chose... À part qu'on a dansé toute la nuit !! » Elle se mit à rire de bon cœur à se souvenir, tout en continuant de siroter son cocktail, dont le niveau baissait sensiblement.
✻✻✻ En venant dans ce bar, Thea espérait faire des nouvelles rencontres et passer une belle soirée. C'était justement ce qui était entrain de se produire, à cet instant précis. La graphiste discutait avec une jeune femme qui se prénommait Leena. Elle semblait être une bonne personne et elle était adorable. Elle semblait également être très sociable, puisqu'elle parlait avec aisance en présence de Thea. Par chance, les deux femmes avaient quelques points en commun. Elles étaient sociables et elles aimaient parler. Lorsqu'elle était plus jeune, l'Australienne s'était fait surnommer la Pie. Sa mère lui disait souvent de moins de parler, trouvant que sa fille unique parlait sans arrêt. La jeune femme riait à chaque fois que sa mère la surnommait ainsi. Pour elle, c'était un surnom adorable et elle aimait se faire appeler ainsi. À vingt-sept ans, Thea se considère toujours comme une Pie, mais, à ses yeux, elle parle un peu moins. Il fallait dire que la graphiste avait toujours peur de ce que les gens pouvaient en penser. Alors, lorsqu'elle discutait avec quelqu'un, elle faisait attention. Thea laissait donc plus parler les gens que lorsqu'elle était jeune. Leena lui parlait de Londres, cette ville d'Angleterre qui semblait sincèrement être magnifique. D'après ce que la jeune femme lui disait, ça faisait tout simplement rêver Thea qui aimerait un peu plus voyager. « Maintenant que tu m'en parles, je m'imagine à Londres et j'ai hâte d'y aller. Oh, c'est super! Voyager partout en Europe doit être une belle expérience. » La jeune femme sourit, passant une main dans ses cheveux. Oui, la graphiste était jalouse de Leena. Du moins, ce n'était pas négatif, bien au contraire. Leena avait visiblement vécu de belles expériences en Europe et ça faisait envie à Thea qui n'avait jamais quitté l'Australie. Elle économisait un peu, afin de pouvoir faire des voyages, lorsqu'elle aura le temps. Son travail l'occupait énormément, alors ça n'allait pas être tout de suite. Peut-être dans deux ans, mais elle ne le savait pas encore. Thea ne pouvait jamais savoir ce que l'avenir allait lui réserver. « Malheureusement, pas vraiment. Par contre, j'aimerais sincèrement voyager. » La jeune femme avait envie de visiter d'autres endroits, de découvrir des nouvelles cultures et de vivre des aventures. « Je suis venue pour le boulot, mais je dois avouer que j'adore cette ville. Du coup, je suis bien heureuse de vivre à Brisbane. Oh, j'aimerais bien voir tes bijoux. Oui, je connais bien cette boutique. Je n'y vais pas souvent, mais, lorsque j'ai l'occasion, j'aime aller y faire un petit tour. » Thea aimait les antiquités. De nature curieuse, elle désirait toujours en apprendre plus sur les antiquités, comme d'où venait l'objet et depuis quand il existe. Bref, des questions qui pouvaient sembler stupides pour les autres, mais qui ne l'était pas pour la jeune graphiste. « Ce n'est pas nécessairement des gros fêtards, mais les soirées sont toutes géniales. » Elle rit, buvant ensuite une gorgée de sa bière. « Sinon, as-tu des passions? » Évidemment qu'elle devait avoir des passions, mais ce fut la seule question qui lui est venue à l'esprit.
Parfois Leena avait l'impression que parler ainsi de ses voyages, de son tour de l'Europe était un peu prétentieux ou faisait elle une gosse de riches ; aussi elle évitait de trop en rajouter, surtout quand les dessous de son voyage étaient beaucoup moins glamour : fuir Brisbane et fuir sa famille, et les deux années de petits boulots qu'elle avait dû faire pour mettre de l'argent de côté, au détriment du reste. Heureusement, Thea paraissait de bonne composition là-dessus et son intérêt était sincère ; heureusement aussi qu'elle avait visiblement autant envie de discuter que Leena, ce qui aidait celle-ci à se concentrer sur autre chose que la nourriture, qu'elle continuait à picorer. « C'est vrai que Brisbane est cool aussi, surtout avec la proximité de la mer... Au final je ne connais pas grand chose d'autre de l'Australie de toute façon ! Et alors, tu préfères Sydney ou Brisbane ? C'est quoi les différences ? » C'était drôle en un sens ; elle connaissait probablement plus de choses à l'extérieur de son pays et plus de villes différentes qu'au sein même de l'Australie. Ses parents n'ayant jamais eu la fibre du voyage, ils n'avaient jamais trop quitté Samsonvale. « Oui, la boutique est vraiment chouette et en plus elle a un petit côté moderne et pas forcément tout poussiéreux qui est assez original ! N'hésite pas à y passer la prochaine fois que tu es dans le quartier, je te servirai un petit thé ! » Elle sourit et leva son verre à l'intention de Thea, comme pour sceller cette agréable nouvelle rencontre. « Oh, attends, je vais te montrer... J'ai un site internet, tu peux voir les photos de mes collections. » Joignant le geste à la parole elle sortir son téléphone et fit rapidement apparaître la page internet de son site, simple et épurée, où les photos étaient mises en valeur. « Enfin, si ça t'intéresse évidemment ! » Elle avait toujours une certaine appréhension au moment de montrer ses créations — pas parce qu'elle voulait plaire à tout prix, mais parce qu'elle était perfectionniste et qu'elle savait que chaque critique était bonne à prendre. Mais ses créations étaient l'une des choses dont elle était vraiment fière et ne doutait pas.
Laissant Thea regarder, elle réfléchit une seconde à la questions que celle-ci venait de lui poser — et qui lui donnait un peu l'impression d'être à un entretien d'embauche mais l'idée la faisait sourire, surtout que l'alcool décontractait ses muscles peu à peu. « Des passions, hmm... Le voyage et l'art, pour commencer... Et aussi le sport, je sais que c'est pas forcément évident quand on me voit mais j'adore le skate et le vélo et je suis très souvent dehors à me promener et à me dépenser ! Même à Londres, alors que le climat n'est pas aussi sympathique, je passais toujours du temps dehors. Et puis sinon... J'ai clairement une passion pour danser et faire la fête, et parfois un peu trop pour l'alcool ! » Elle se mit à rire de bon coeur. Son verre étant presque terminé (l'ennui avec les cocktails c'était ça : ils filaient trop vite) elle héla le barman pour recommander. « Tu veux quelque chose d'autre ? Et toi, c'est quoi tes passions ? N'importe lesquelles... Mêmes les passions amoureuses si tu veux ! » Elle lui lança un petit sourire complice — après tout entre deux nouvelles copines on pouvait bien se parler de tout, et puisque le sujet était lancé !...
✻✻✻ Thea aimerait faire des voyages. Elle rêvait souvent de partir à l'aventure et de découvrir d'autres pays. La jeune femme rêvait surtout d'aller en Angleterre, à Bali et également en Grèce. Thea savait que les voyages n'étaient pas gratuits, alors, depuis quelques mois, elle économisait un peu d'argent, afin que, lorsqu'elle allait avoir le temps, ce qui n'allait pas être bientôt, elle puisse faire ses valises et quitter Brisbane durant quelques mois, voire une année complète. La graphiste avait des rêves plein la tête, mais allaient-ils tous se réaliser? Elle l'ignorait, mais, secrètement, elle espérait que oui. Après tout, il fallait croire en ses rêves, n'est-ce pas? « L'Australie est magnifique. Je n'ai pas visité toutes les villes, mais il y en a qui sont extraordinaires. Honnêtement, je dois avouer que j'ai une préférence pour Brisbane, même si j'adore Sydney. Il n'y a pas beaucoup de différences. Ce sont deux villes qui se ressemblent sur beaucoup de points, mais j'ai vu plus de kangourous à Sydney qu'à Brisbane. » Elle rit, buvant une gorgée de sa boisson alcoolisée. Bientôt, elle allait finir sa bière et elle allait commander un cocktail. Thea ne voulait pas trop boire, mais deux verres ne faisaient de mal à personne, surtout pas à la jeune femme qui n'était pas sortie depuis longtemps. Autant en profiter pleinement. « Je viendrai avec plaisir. En plus, j'adore le thé, alors j'accepte ta proposition. » Elle sourit, heureuse de se faire une nouvelle amie. Du moins, elle pensait que Leena allait devenir une bonne amie. Thea avait un bon pressentiment avec elle. « Évidemment que ça m'intéresse! » La graphiste adorait les bijoux, mais elle n'en portait pas assez souvent à ses yeux. Voir les créations de Leena allait peut-être la convaincre d'en acheter et d'en porter plus souvent. Thea écouta les passions de Leena, souriant. Cette femme avait effectivement plusieurs passions. « Je veux bien le cocktail que tu viens de terminer. Je l'adore en plus. » Elle sourit à nouveau, aimant la tournure que la soirée prenait. « Et bien, je suis passionnée par mon métier. J'adore aussi les animaux, les voyages, même si je n'en fais pas beaucoup. Sinon j'adore la nature, la lecture, la nourriture végétarienne. » Thea rit timidement, passant une main dans ses cheveux. « Oui, je suis végétarienne depuis deux ans environ et je ne regrette pas du tout ce choix. Est-ce que tu es végétarienne? »
Tout était fluide — le fil de la discussion l'amenait peu à peu à se détendre et à mettre de côté les idées noires qui lui dérangeaient l'esprit depuis ce matin. Leena avait même presque terminé les frites, et l'appel du cocktail suivant se faisait sentir. C'était pour cela qu'elle aimait tant les gens, les relations humaines : elle oubliait tous ses tracas et profitait de l'instant présent, en le partageant avec d'autres, et pas uniquement dans sa tête, toute seule, à se débattre contre ses vieux démons. Elle se mit à rire de la blague de Thea sur les kangourous et, toute emportée par la discussion, recommanda donc deux fois le même cocktails, un pour elle et l'autre pour Thea. Le courait passait bien et c'était si agréable qu'elle en avait presque oublié que cette soirée ne ressemblait pas à ce qui était prévu à l'origine, mais c'était tout aussi bien : l'imprévu avait toujours un petit goût particulièrement pétillant. Elles trinquèrent de nouveau et Leena écouta sa nouvelle copine lui parler de ses passions et de ses aspirations — c'était pour le moins original qu'elle place ses engagements alimentaires en avant, et cela éveilla curiosité de Leena : « Ah oui ? C'est une décision que tu as prise pour quelles raisons, si ce n'est pas indiscret ? J'admire les gens comme toi, je sais qu'il faudrait faire attention aux animaux... Mais je crois que je n'aurais pas la force d'arrêter complètement la viande » confia-t-elle avec un petit rire. « J'aime bien ça, de temps en temps, même si je n'en mange pas beaucoup. En fait... » Elle se tut un instant, hésita, goûta une gorgée du nouveau cocktail, le même en plus frais, délicieux. Dire ou ne pas dire ? Après tout, ça n'était pas le plus gros des secrets — même si c'était toujours un peu particulier de livrer des choses intimes. « En fait j'ai eu longtemps des troubles du comportement alimentaire, et même si ça va globalement mieux à présent, j'ai parfois du mal à manger normalement, alors si je m'interdis la viande et que j'en ai envie, ça complique encore plus les choses. » Cette fois elle eut un petit sourire un peu crispé, et haussa les épaules. C'était comme ça : elle avait appris à faire avec, et ne s'attardait plus sur les raisons (les mots dans son sac à dos, dans son casier, sur sa table, petite grosse, tu es moche, et puis les remarques de sa mère, depuis toujours, insidieuses à souhait). « Désolée, c'est pas très joyeux comme aveu ! » Elle sourit franchement, bien décidée à ne pas laisser sa bonne humeur se tarir. Autour d'elles, dans le bar, la fête battait de plus en plus son plein, des groupes parlaient fort et riaient, d'autres entamaient même quelques pas de danse au milieu de la salle, mais la place n'était pas suffisante. « Et sinon, tu as quelqu'un dans la vie ? Non mais parce que si on part sur les confessions intimes, autant le faire jusqu'au bout ! » reprit-elle avec un regard d'oeil complice en guise de ponctuation.
✻✻✻ Thea connaissait Leena depuis seulement quelques heures, mais elle l’appréciait déjà. C’était une femme exceptionnelle qui méritait de se faire connaître. La jeune femme ne voyait pas une once de méchanceté chez Leena. Elle était toute douce et adorable. C’était donc un pur bonheur pour la graphiste de passer du temps avec cette femme qu’elle venait tout juste de rencontrer. La conversation était agréable et ça coulait de source. La jeune femme se sentait à l’aise en présence de Leena et elle ne désirait pas aller discuter avec une autre personne. Leena recommanda deux cocktails. Le barman donna un cocktail à Leena et un à Thea. Les deux femmes trinquèrent et la jeune graphiste but une gorgée de sa boisson alcoolisée. Le goût était délicieux et enivrant. La jeune femme ne buvait pas de l’alcool à tout les jours, mais, quand elle sortait, elle se le permettait de temps en temps. « En fait, je me suis informée sur le végétarisme et j’ai entendu tellement d’histoires horribles à propos de comment ils maltraitaient les animaux, alors ça n’a pas été une décision qui a été difficile à prendre. Au début, ne pas manger de viande n’était pas évident, mais j’ai fini par bien m’en sortir et je ne mange plus de viande désormais. J’aimerais bien devenir végétalienne un jour, c’est-à-dire ne pas manger de produits animaliers. Un jour, je le ferai probablement, mais pas tout de suite. » Elle sourit doucement, passant une main dans ses cheveux. « Je ne te jugerai jamais. Je ne peux pas forcer les gens à arrêter de manger de la viande. Je respecte le choix des autres. » Thea faisait de temps en temps des manifestations pour les droits des animaux, mais elle n’était pas du genre à convaincre les gens d’arrêter de consommer de la viande. Elle l’a fait une fois avec un homme qui mangeait un hamburger, mais ce fut la seule fois. La jeune femme fut triste d’apprendre que Leena avait eu des troubles du comportement alimentaire. Thea en avait souvent entendu parler et ça ne devait pas être agréable. « Oh, je comprends. Ça ne doit pas être facile à traverser. Ce n’est pas grave, ne t’inquiète pas. La vie n’est pas toujours joyeuse, alors on doit l’accepter, n’est-ce pas? » Thea sourit timidement, regardant Leena. Les gens vivaient tous des moments difficiles au moins une fois dans leur vie. D’autres personnes en vivaient plus que d’autres, mais c’était comme ça. « Non, je n’ai personne dans ma vie. J’aimerais bien rencontrer quelqu’un, je ne dis pas le contraire, mais je suis bien célibataire, pour le moment. » La jeune graphiste était le genre de femme à se plaindre de ne pas trouver le prince charmant, surtout lorsqu’on lui offrait un verre. Elle était probablement trop naïve, mais c’était comme ça. « Et toi alors ? As-tu quelqu’un dans ta vie? »
Leena ne pouvait que comprendre le discours de Thea sur les animaux – elle même n’était jamais à l’aise lorsqu’elle songeait à la viande et à la maltraitance animale – et admirait que l’on fasse ce choix, même si elle ne s’en sentait pas capable. Mais c’était appréciable la façon dont Thea avait d’évoquer le sujet, sûre d’elle sans faire de prosélytisme pour autant, ce qui aux yeux de Leena accordait une plus grande importance encore à son engagement. Il y avait toujours des gens qui, parce qu’ils étaient corps et âme dévoués à une cause, semblaient l’imposer aux autres ou les juger s’il ne la suivait pas, et ce genre de situations créaient toujours un malaise que Leena n’aimait pas ressentir. Elle préférait l’échange d’idées plutôt que la propagande, car chaque partie en ressortait finalement un peu plus enrichie. « C’est cool que tu le prennes comme ça, je trouve ça beaucoup plus intéressant ! Je t’admire en tout cas, je trouve que c’est un choix qui n’est pas facile à faire. » La tête commençait à lui tourner légèrement et c’était agréable – sans doute d’ailleurs n’aurait-elle rien dit sur ses troubles du comportement alimentaire si l’alcool ne commençait pas un peu à délier sa langue. Mais elle avait confiance en Thea, d’instinct ; la timidité et la douceur qui émanaient d’elle donnaient envie de se fier à elle et de se confier et Leena fut touchée de sa réaction. La vie n’est pas toujours joyeuse alors on doit l’accepter. C’était peut-être l’alcool qui parlait mais Leena trouva dans cette remarque quelque chose de beau et de triste à la fois, et surtout de très vrai. Elle était bien placée pour savoir qu’on n’avait pas le choix, de toute façon, que d’accepter et de continuer. Comment faire sinon ? Les drames et les mésaventures du quotidien ne cesseraient pas d’exister même si on les laissait nous submerger, alors il fallait bien continuer à garder la tête hors de l’eau. Une vague de mélancolie s’abattit alors sur elle, qu’elle s’efforça de chasser en se reprenant, et en buvant une nouvelle gorgée d’alcool. Elle était toujours triste lorsqu’elle repensait à son histoire, sa famille, à Tess et ce qu’elle avait traversé, à Rhett et son rêve brisé… Mais ce n’était ni l’heure et ni le moment ; ce soir elle voulait se changer les idées et elle se força à sourire, tout en acquiesçant sans rien dire. « C’est vrai que ça a ses avantages aussi, le célibat ! » Tout le monde n’attendait pas forcément de rencontrer quelqu’un, après tout. « Hmm, moi… C’est un peu compliqué » concéda-t-elle avec un sourire. « Si tu veux tout savoir, j’ai quelqu’un en tête, mais je ne suis pas sûre que ça donne quelque chose. C’est mon meilleur ami, je l’ai rencontré à Londres et on a passé des années à traîner tout le temps ensemble… Et tout ça » — ce qui voulait clairement dire qu’ils avaient déjà fini sur l’oreiller – « Et j’ai l’impression que j’ai de plus en plus de sentiments pour lui, même si je ne fais pas trop la part des choses, car on a toujours eu une relation très fusionnelle. Et puis, je n’ai aucune idée de ce qu’il en pense de son côté. On verra bien, encore faut-il que je lui en parle un jour ! » C’était drôle comme elle pouvait se confier absolument sur tout à Rhett et qu’il pouvait lire en elle si facilement, et qu’il subsiste des sujets qu’ils n’abordaient jamais, que chacun gardait secret. Son verre était presque terminé. Comme la perspective de trop penser à Rhett pouvait la mettre dans un état un peu fébrile, elle prit le parti de ne pas traîner sur le sujet. « Tu fais quelque chose après ? Je sais que j'ai des amis qui voulaient aller danser, mais je ne sais pas si je suis motivée... » Laisser les options ouvertes était toujours la meilleure des choses à faire. « Si ça te dit en tout cas, on peut s'échanger nos numéros. Ça me ferait plaisir de te revoir après ce soir ! » Elle offrit un sourire sincère à Thea en buvant une nouvelle gorgée du contenu de son verre.
✻✻✻ Thea détestait les gens qui forçaient les autres à ne plus manger de viande. La jeune femme a fait ce choix pour elle-même, mais elle n'allait pas faire ce choix pour Leena ou pour une autre personne. La brunette acceptait amplement que Leena mange de la viande. Elle n'était pas offusquée et n'allait pas arrêter de lui parler à cause de cela, bien au contraire. " C'est vrai que ce n'est pas un choix facile à prendre et à exécuter, mais, quand on le veut, on peut le faire et je le voulais sincèrement. " Thea but une gorgée de sa boisson alcoolisée, déposant ensuite son verre sur le comptoir. La jeune femme s'amusait sincèrement. Elle n'avait pas besoin de danser pour avoir du plaisir ou d'être en compagnie d'un homme. Thea pouvait s'amuser en discutant avec quelqu'un et en buvant un verre. D'ailleurs, c'était ce qu'elle faisait, à ce moment précis. " Ça l'a ses avantages, mais, par moment, c'est bien d'être en couple. " Thea passa une main dans ses cheveux, riant timidement. La jeune femme aimait son célibat, mais elle se plaignait souvent du fait qu'elle ne trouvait jamais son prince charmant. Elle était trop naïve et aveugle pour remarquer les regards des hommes sur elle, là où elle travaille. Thea espérait seulement qu'elle n'allait pas finir vieille fille avec une vingtaine de chats. Elle adore les chats, mais elle préférait avoir la présence d'un homme dans sa vie. " C'est toujours compliqué, lorsqu'il s'agit de son meilleur ami. Je ne l'ai jamais vécu, mais j'imagine que ce n'est pas facile. Oui, ça serait important que tu lui dises. Au moins, tu auras un poids de moins sur les épaules et tu sauras ce qu'il en pense. " Leena était une femme adorable et méritait tout le bonheur du monde. Elle espérait que tout se passe bien pour elle. " Je ne fais rien. Je vais aller chez moi, je crois. Disons que ce n'est pas moi qui va danser. J'aime danser, mais je ne suis pas dans le bon état d'esprit pour bouger mes fesses sur la piste de danse. " Elle rit à nouveau et fut ravi de pouvoir donner son numéro de téléphone à Leena. " Avec plaisir! Moi aussi, je serais heureuse de te revoir, après cette soirée. " Ça semblait être le début d'une nouvelle amitié avec Leena, à son plus grand bonheur.
Leena se joignit au rire discret de Thea, dont les gestes un peu timides et plein de retenue la touchaient. Elle qui pouvait avoir une personnalité plutôt exubérante et un peu bruyante parfois, surtout dans ce genre de soirées, aimait particulièrement les gens dont la retenue était plus importante, qu'elle soit liée à un contrôle volontaire ou de la timidité. Il y avait quelque chose de reposant, d’apaisant chez eux, et pour des personnalités comme Leena qui avait parfois besoin d'être rassurée ou freinée quand son cerveau s'emballait un peu trop, c'était un excellent équilibre. Elle haussa les épaules à propos d'être en couple — à vrai dire elle ne savait pas trop, elle n'avait jamais eu l'envie ou le besoin furieux d'être avec quelqu'un, au contraire de tous ses amis. Parfois elle se sentait un peu bizarre, hors-norme à ce sujet, et elle le mettait tristement sur le compte de ce qui la rongeait, au fond, la mauvaise estime qu'elle avait de son corps, de son image. Parfois, dans les bons jours, elle se disait tout simplement que c'était son bon droit, qu'elle n'en était pas à ce moment-là de sa vie. Et puis, quand elle pensait à Rhett, tout se retrouvait bouleversé ; il était le premier à déclencher chez elle une foule de questions, auxquelles elle était pour l'instant bien incapable de trouver des réponses. Elle termina son verre et le reposa, puis rebondit à ce qu'avait dit Thea : « C'est vrai, il faudra bien que je me libère de ça à un moment ou à un autre. Le problème, c'est que l'enjeu est différent quand c'est un véritable ami avant tout... » Tout aurait été peut-être plus simple si Rhett et elle avaient été amants dès le début. Mais aurait-il pu alors gagner toute sa confiance aussi facilement ? Leena savait bien que non, et tout le paradoxe de ce qu'elle ressentait se nichait dans ce petit détail.
Comme Thea lui indiqua qu'elle ne souhaitait pas forcément aller danser, Leena aquiesca. Elle aussi préférait rentrer tranquillement, au fond, elle avait du travail le lendemain, et pas mal de sommeil en retard. «[color:1db6=#coral] D'accord, je vais rentrer aussi, on peut faire un peu de chemin ensemble si tu veux ! » Après avoir réglé leurs boissons, elles quittèrent le bar. Une fois dehors, Leena goûta avec plaisir aux températures peu basses, qui la changeait de l'hiver londonien. « En plus il va faire de plus en plus beau maintenant, on pourra aller se promener un jour si ça te dit ! » Souriant à Thea, elle se mit en route, heureuse de cette rencontre qui clôturait cette belle soirée.