En Australie, le mois de décembre rhymait avec soleil et beau temps, sans l’ombre d’un seul flocon de neige au sol. Leonardo avait toujours connu de la neige jusqu’à ses 18 ans, que ce soit à Londres ou New York ; depuis le temps il s’était habitué à fêter Noël avec un barbecue sur la plage, mais ça lui manquait de faire des bonhommes ou des anges de neige. En revanche, ça ne le dérangeait pas des masses de se promener en shorts et t-shirt en plein mois de décembre, en quête des quelques cadeaux qui lui manquaient à l’appel. Il avait notamment besoin de quelque chose pour ses frères et sa sœur, surtout en sachant que Nunzio et Milena allaient partir pour New York pour retrouver leurs parents pour Noël. Pendant ce temps-là, Leonardo allait rester à Brisbane et sûrement se retrouver autour d’une bière avec des amis et collègues, se crajolant doucement sous le soleil australien. Il allait sûrement rentrer avec une sale brûlure, mais ça faisait maintenant partie de ses Noëls. Perdu dans ses pensées, il se retrouva devant un magasin de disques coincé entre deux bars qu’il ne connaissait pas. Il s’arrêta un instant pour en regarder l’intérieur, se demandant s’il ne pouvait peut-être pas y trouver quelque chose pour Milena… ou lui-même. Après un bref instant de reflexion, il y rentra, espérant y trouver ce qu’il cherchait.

Leonardo se promenait tranquillement dans les rayons, passant distraitement de titre en titre, cherchant la pochette qui lui donnerait envie d’en savoir plus ; c’était peut-être superficiel comme approche, mais en règle générale ça marchait assez bien. Il n’y avait pas grand-monde dans la boutique, mais l’heure devait y être pour quelque chose. Ça ne le dérangeait pas vraiment, parce qu’au moins comme ça il pouvait se promener dans les rayons en paix ; il commandait la plupart de ses cadeaux de Noël sur internet justement parce qu’il avait horreur de devoir se frayer un chemin dans une foule impatiente et colérique. En revanche, il avait sous-estimé sa maladresse légendaire, parce que même avec aussi peu de monde présent, il fut quand-même capable de se cogner contre une inconnue, ne l’ayant tout simplement pas vue marcher à côté. « Oh, pardon, je suis désolé. Je cherchais un CD et… j’ai pas fait attention. Encore désolé. » En relevant la tête pour regarder contre qui il avait bien pu se cogner, Leonardo ne put s’empêcher de foncer les sourcils. Il croyait reconnaître vaguement cette tête, mais c’était beaucoup trop improbable pour être vrai, et il n’y avait rien qui semblait corroborer son hypothèse. Rencontrer des gens célèbres en allant faire ses courses ou en sortant son chien, c’était le genre de chose qui arrivait toujours au voisin du fils de son collègue, jamais à lui-même. Et enfin, détail non négligeable – il n’aurait jamais osé demander "Oh, tu n’serais pas telle chanteuse par hasard ?". C’était beaucoup trop gênant à ses oreilles, et il serait mort de honte dans un cas comme dans l’autre, que ce soit juste ou non. Alors, il restait planté là comme un chou, en attendant de voir la réaction de l’inconnue qui se tenait devant lui. Peut-être que c’était juste un sosie ?

Le Triffid n’est pas encore ouvert mais je suis dans le coin alors je me suis un peu baladé. J’ai fait un crochet par le disquaire parce que j’aime trop passer des heures à mater les albums dans les rayons. C’est pas aussi grand que le HMV qu’il y avait sur Oxford Street à Londres y’a quelques années, mais ça se défend plutôt pas mal. Oui j’ai été bluffé par ce HMV, j’ai même pris des photos tellement il y avait des rayons de CDs. Je prenais plaisir à parcourir les rayons pour voir s’ils ont le plus improbable des CDs et le pire c’est qu’ils l’avaient. Ici c’est autre chose, je m’amuse toujours à faire le tour pour le plaisir de parcourir les allées, mais souvent ils n’ont pas le CD que je cherchais. Je ne comptais pas l’acheter parce que généralement je l’ai déjà. Mais là j’ai rien de mieux à faire alors je m’éclate comme je peux. J’ai un disque dans les mains, le dernier album de 5 Seconds of Summer « Sounds Good Feels Good ». Je le connais déjà bien évidemment, mais je ne l’avais pas dans ma collection personnelle. J’aime bien encourager les groupes australiens, même si eux n’ont clairement pas besoin de mon achat. Ils ont une énorme fanbase. Ils marchent du tonnerre. Je fais un petit tour vers les disques « rock » et plus particulièrement ceux qui commencent par la lettre L. Oui, pour Livingstone. Je trouve mes disques et je regarde ce qu’ils ont. Le premier album, le dernier. Rien entre les deux ? Rude. Mais bon on va dire que c’est déjà ça. On peut même dire que les autres ont été vendu récemment. Ouais j’aime bien cette théorie. En tout cas y’en a pas beaucoup dans les stocks, j’espère qu’ils se fournissent régulièrement. Y’a un type qui me rentre dedans et je fais une tête bizarre. Je m’y attendais pas, je suis surprise. Est-ce qu’il aurait fait exprès ? Non. Il s’excuse bien rapidement et il a l’air tout mignon ce jeune. Il est sincèrement désolé.

« C’est rien. »

Je ne veux pas le mettre dans l’embarras. Il a dit qu’il cherchait un disque ? Je prends les deux qui sont de moi et je les lui montre.

« Ceux là ils sont pas mal. Le premier est rock, l’autre plus doux. Acoustic. »

Oui j’ai eu une période guitare sèche voix et j’ai voulu en faire un album, pour changer un peu. Le rock c’est le pied mais toucher à plusieurs horizons c’est sympa. Même si certains fans ont râlé. Certains n’aiment pas l’évolution. Qu’ils se rassurent, la suite redeviendra rock parce que c’est ce que je préfère au fond. Seulement je n’ai pas pu leur dire ça, il faut qu’ils s’arment de patience.

Il n’y a pas mon visage sur mes albums, c’est pour ça que j’ose faire cette démarche.

« C’est en toute objectivité que je te conseils ces albums là bien sûr. »

Pas du tout. D’ailleurs ça me fait sourire ce petit jeu.

« Je bosse pas pour la boutique. Je viens faire mon shopping aussi. Je suis juste une mélomane. »

Je lui montre le disque que j'ai dans la main, celui de 5SOS pour lui montrer que je suis effectivement qu'une cliente. Mais il a l'air de m'avoir reconnu, il va sûrement comprendre mon côté mélomane.

Si c’était juste un sosie et pas la vraie Sam, elle en était tout de même vachement ressemblante. Peut-être qu’il n’avait pas trop vu de ses photos récemment, mais il devait avouer que plus il la regardait, plus il était convaincu que c’était sûrement la célèbre Livingstone. Il se rappelait des titres qu’il écoutait dans sa pré-adolescence en essayant de se donner un style un peu intéressant, sans vraiment en comprendre les paroles. Il était retombé dessus par pur hasard, des années plus tard ; en allant de playlist en playlist sur YouTube il était tombé sur quelque chose du genre "90's Kids Nostalgia". Piqué par sa curiosité, il avait cliqué dessus et avait été transporté par ses souvenirs en entendant des chansons qu’il avait tout simplement oublié depuis le temps. Il y avait les compositions les plus connues de Sam, et avec la maturité qu’il n’avait pas à 13 ans, il avait pu comprendre ce qu’elle chantait au lieu d'hôcher bêtement la tête au rythme des instruments. « Hm, je pense que je vais prendre les deux dans ce cas. En toute objectivité, bien sûr. » Il chantouilla timidement le début du refrain de Smoke, titre issu de l’un des albums qu’elle venait de lui proposer. Pour avoir grandi avec des photographes qui tournoyaient autour de sa famille, il savait à quel point ça pouvait briser les gens. Et il savait aussi que ce qu’il avait vécu à cette époque-là n’était pas grand-chose par rapport à ce que les vraies célébrités vivaient chaque jour de la vie, ne serait-ce qu’en sortant de chez eux pour chercher des chips à la supérette du coin. Alors, il s’était contenté de ce petit clin d’œil pour lui faire comprendre qu’il l’avait reconnue sans paraître trop envahissant. Elle leva un autre album qu’elle tenait à la main, Sounds Good Feels Good, et Leo’ ne put s’empêcher d’hausser délicatement des sourcils – de un parce qu’il ignorait l’existence de cet album, et de deux parce qu’il n’aurait jamais imaginé Sam écouter ça. « En revanche, je savais pas du tout que les 5SOS avaient sorti un deuxième album. » En tant que bon cliché de fan de pop, il avait bien évidemment connu leur premier album, ainsi que ce qu’ils avaient fait de plus célèbre. Il fredonna alors le début de Don’t Stop, histoire de continuer dans sa lancée. Si on pouvait facilement reconnaître le titre qu’il avait en tête, on ne pouvait pas vraiment dire que c’était le meilleur des chanteurs. D’un côté ça ne le dérangeait pas trop, essentiellement parce qu’il chantait surtout sous la douche, quand personne ne pouvait l’entendre rater deux notes sur trois. « Je sais, y’a bien une raison pour laquelle j’ai jamais percé dans le milieu. » Non pas qu’il ait jamais essayé, à vrai dire – même enfant, c’était un rêve qui ne l’avait jamais intéressé. En revanche, il était très sensible à l’art en général, et la musique faisait bien évidemment partie de ses faiblesses, et ça depuis toujours. « Mais je suis vachement impressionné par ceux qui y arrivent, ça doit prendre tellement de courage. » Depuis sa naissance, Leo’ avait tout simplement été plongé dans un monde qui tournait essentiellement autour de l’argent et de la richesse. Alors, il était tout simplement fasciné par ceux qui se tournaient au contraire vers leurs passions, notamment quand ça se rapportait aux arts – et Sam en était un exemple parfait. Et puis, il fallait avouer que ses morceaux étaient sacrément bons.

J’y crois pas, il prend les deux disques. Il doit sûrement blaguer. Mais non. Pas quand je l’entends fredonner Smoke. Y’a rien qui pourrait me faire plus plaisir que de tomber sur des gens qui connaissent ma musique. Il connait même les paroles. J’ai un large sourire collé aux lèvres, j’apprécie trop son attention et sa discrétion. Un type bien quoi. Oui, je décrète que c’est un type bien même si je ne le connais pas du tout. Son petit clin d’oeil, c’est comme si on était déjà complice tous les deux. Je sens un bon feeling avec ce jeune. Il a l’air d’aimer chanter parce qu’il recommence après m’avoir parlé de 5SOS.

« L’album date pourtant. Y’en a un troisième qui va sortir début 2018. Ils arrêtent pas de teaser les fans. »

Il dit avec d’autres mots qu’il chante mal et je fais non de la tête.

« Déjà t’as l’envie, c’est déjà beaucoup. Y’en a qui savent chanter et qui ne veulent pas le faire. »

Un peu comme moi au début. Je me cachais derrière mes textes. C’est un ami à moi qui m’a dit que je savais chanter. Je m’en étais jamais réellement rendue compte. Je chantais ouais. Mais rien d’extra ordinaire, parce que je n’avais pas essayé de faire plus. Quand je m’y suis mise pour du bon, c’est vrai que y’avait de quoi faire avec ma voix.

C’est vrai que ça demande pas mal de courage de se mettre à nu et chanter tout ce qu’on a dans le coeur. Surtout quand tu chantes des textes qui ont un sens pour toi.

« Je sens que tu pourrais le faire. Je t’imagine bien t’éclater à des karaoké. »

Oui je me fais mes films alors que je ne le connais pas du tout. C’est qu’une impression que j’ai, peut être que j’ai vu juste. Si c’est le cas je me lance tout de suite dans la voyance.

« En tout cas t’as l’air d’avoir de bons goûts en matière de musique. »

Je lui fais un clin d’oeil à mon tour, parce que ça y est, il est devenu mon complice du jour. Je l’aime bien ce petit jeune.

« Et ne t’obliges pas à acheter mes disques. Je plaisantais. Même si ça ferait un très beau cadeau. »

Oui je suppose que c’est pour Noël. C’est la période après tout. Tout le monde est dans les boutiques pour trouver de quoi aux gens qu’on aime.

« C’est comment ton nom ? Parce que tu connais le mien mais la réciproque n’est pas vraie. »

On entendait souvent des histoires très négatives sur les rencontres avec des célébrités ; il fallait croire que Leo’ avait énormement de chance, parce que Sam était plus abordable que des gens avec qui il traînait depuis des années, pour être honnête. Elle aurait pu prendre la grosse tête et s’attendre à ce qu’on lui déroule un tapis rouge où qu’elle se promène, mais ils étaient là en train de parler de l’album à venir des 5SOS. « J’ai l’impression de me prendre un énorme coup de vieux. Il y a genre dix ans, j’aurais sûrement été du genre obsédé avec. » De son adolescence, il avait suivi le moindre pas des McFly – différente époque, différents boysbands. Il avait encore tous leurs albums, toujours cachés dans un carton. Ça lui arriver de les écouter encore de temps en temps, mais souvent ça évoquait d’assez mauvais souvenir pour lui, et il n’avait pas envie d’y plonger tête la première. « Mouais. On peut dire ça comme ça. » Il savait très bien qu’il ne serait jamais chanteur ou célèbre, et ça lui allait très bien comme ça. S’il avait besoin que les autres partagent leur vécu et leurs ressentis dans l’art, il n’aurait jamais pu en faire de même. Il ne put s’empêcher de rire quand Sam lui dit qu’elle le voyait bien tout déchirer au karaoké. « Pour me voir chanter au karaoké, il faut que je sois vraiment torché. Du coup, c’est pas terrible à voir. » Et oui, il parlait d’expérience. L’employé sur lequel il avait tout regurgité était d’accord avec lui, pour le coup. Il fit un petit clin d’oeil à la chanteuse quand elle évoqua ses excellents goûts musicaux. « On me le dit souvent, oui. » S’il avait eu une longue chevelure, il aurait peut-être pu hairflip en toute grâce et élégance, mais ce n’était pas le cas. « J’ai un faible pour les CDs en format physique, et il se trouve que j’ai toujours pas ceux-là… » Fallait juste qu’il se souvienne d’acheter une bonne petite étagère pour ses disques, mais Smoke et Fall Out Line n’allaient pas faire tâche dessus, loin de là. « En revanche, je sais pas trop ce que ma sœur écoute. J’imagine qu’elle doit aimer… l’indie-folk ? » Alerte frère indigne du jour. Il n’avait aucune idée de ce que Milena pouvait bien aimer, et il n’avait jamais ne serait-ce que pensé à lui poser la question. C’était un peu cliché que de penser de suite à l’indie-folk, mais il n’avait rien de mieux en tête. « Moi c’est Leonardo, orthophoniste anonyme. Enchanté. » Il lui tendit la main, histoire d’officialiser la présentation. Il avait légèrement oublié ce petit détail, et ça devait être plus que déroutant que de parler à des gens sans même pas savoir leur nom. M’enfin, mieux vaut tard que jamais, non ?

Je me demande quel âge il a quand il parle de coup de vieux. Il n’a pas l’air très âgé. Je lui donne la vingtaine. Il ne peut pas déjà parler de coup de vieux à cet âge là. Je dis sûrement ça parce que j’ai le double de son âge. Je ne fais pas de remarque supplémentaire à ce sujet. Je ne compte pas lui demander toute son identité, même si son prénom serait pas mal.

Il ne chante que sous l’emprise de l’alcool apparemment. Au karaoké en tout cas, parce que là, aujourd’hui, il m’a fait deux petites prestations qui sont plutôt plaisante. J’aurai  bien aimé en entendre plus. Oui les gens qui chantent ça me touche. Ca m’inspire souvent aussi. Je veux bien le croire que ça doit pas être si bien en mode « torché ». Ca doit être fun, mais il n’y a pas de véritable intention derrière à part celle d’amuser la galerie et de chanter ses chansons favorites avec un tas de fausses notes. J’ai déjà fait un show bourré étant plus jeune. Ca n’est pas passé inaperçu. Ma voix était pas bonne du tout.

Je suis contente de l’entendre parler des CDs en format physique. Je suis comme ça moi aussi. Il a dû le deviner vu que j’ai de quoi acheter dans ma main. Il avoue ne pas avoir ces deux albums de moi. Je me demande si ça veut dire qu’il en a d’autre… J’aime bien croire que oui. Il connait Smoke, c’est déjà énorme de mon point de vue. Je suis touchée.

Il parle de sa soeur qui aime « peut être » l’indie folk. Je fais une moue pensive. Je vais sûrement trouver de quoi lui proposer pour sa soeur. J’apprends enfin son prénom, mais pas que. Il me dit son métier. Orthophoniste. Intéressant. Non je déconne. Un peu boring pour dire la vérité. Rien de rock n roll là dedans, mais il en faut.

« Enchantée. »

Je lui fais un sourire.

« Suis moi j’ai un bon groupe à te conseiller pour de la indie folk. »

Oui j’étais encore en train de penser à ça. On se faufile dans les rayons et à la lettre C on tombe sur « City and Colour »

« Ca c’est vraiment bon. Tu peux prendre celui que tu veux les yeux fermés. Même si j’ai un faible pour ‘Sometimes’ mais il est pas là. Il date de 2005. »

Victime de son succès ou trop vieux ? Mon coeur balance pour l’explication qu’il pourrait y avoir là dessous.

« Sinon y’a… Le grand Damien Rice. »

On est pas dans le coin de ces CDs mais j’ai pensé à lui d’un coup alors je le mentionne.

« Mais je partirai plutôt sur City and Colour si j’étais toi. Une valeur sûre. »

Leonardo suivait Sam dans les rayons, guidé par ses conseils et ces musiciens. Il devait avouer que l’indie-folk n’était pas vraiment sa spécialité – elle aurait pu sortir quelques noms au hasard et il n’aurait pas pu la contredire. En revanche, il y avait quelque chose dans son attitude qui suggérait qu’elle aimait vraiment la musique, et qu’elle savait de quoi elle parlait. Ça semblait presque logique venant d’une musicienne, mais il n’était pas naïf au point de croire que tout chanteur était uniquement intéressé par l’art. D’une certaine manière, ça se ressentait dans sa personne que Sam soignait ses textes et ses compositions pour elle-même et ses fans plus que pour la célébrité ; si elle n’avait été intéressée que par la perspective de richesse et reconnaissance, elle ne serait sûrement jamais venue dans le magasin de CDs en premier lieu. Quand quelqu’un n’était pas vraiment intéressé par son métier, c’était assez visible aux yeux du jeune brun. Tout cela n’était qu’une hypothèse – peut-être bien qu’il était à côté de la plaque avec toutes ces idées, mais c’était l’impression qu’il avait de la chanteuse. « Damien Rice, ça m’évoque très vaguement quelque chose, mais je ne saurais pas dire quoi. » Il avait peur de savoir pourquoi il connaissait son nom mais sans plus. Très vraisemblablement, c’était un artiste dont il avait entendu parler dans sa jeunesse ou adolescence, et en savoir plus lui aurait rappelé à quel point le temps passait vite. Il s’approchait de plus en plus de la trentaine, mais il se sentait aussi mature qu’un étudiant sortant tout juste du lycée, perdu face au monde des adultes. Il prit le CD de City and Colour proposé par Sam, le tournant pour regarder la tracklist. « Mais je vais suivre tes conseils, t’as l’air de t’y connaître bien plus que moi en la matière. » S’il n’était pas vraiment à sa place dans les débats de l’indie-folk, il avait une connaissance encyclopédique de Britney Spears et sa discographie – mais ça faisait presque tâche de parler de Womanizer alors que ce n’était pas du tout le même genre musical. Peut-être que Sam aimait bien aussi, qui sait ? « Au moins je ne repartirai pas chez moi les mains vides, pour le coup. » Il fit une note mentale pour se rappeler d’écouter le CD avant de le donner à Milena – mais s’il ne lui plaisait pas, de toute façon, il avait préparé d’autres cadeaux bien plus significatifs. « T’étais venue chercher quelque chose en particulier, toi ? Je peux peut-être pas t’aider autant que tu l’as fait, mais quand-même. » Il était content d’avoir trouvé ce qu’il cherchait, et encore plus d’être tombé aussi au hasard sur la Livingstone. S’il ne l’avait pas bousculée par hasard, à vrai dire, il n’aurait jamais imaginé qu’elle aurait pu parcourir les mêmes étagères à CD que lui, bien au contraire. Le monde était étonnamment petit, parfois.

Il connait Damien Rice de nom. Ca ne m’étonne pas vraiment, il a fait beaucoup parlé de lui cet homme. Même aussi loin qu’en Australie. Parce qu’il est Européen ce grand chanteur. Il jette son dévolu sur City and Colour et j’en suis bien contente. Un large sourire s’affiche sur mes lèvres. Faire découvrir la musique que j’aime à des gens c’est toujours un grand moment. Qu’il achète ce disque sous mes conseils me fait réellement plaisir. J’espère que sa soeur va apprécier la musique autant que moi. Mais je ne m’inquiète pas vraiment. C’est tellement du bon son City and Colour.

« Tu le regretteras pas. »

Il dit qu’il a trouvé son cadeau et mon grand sourire montre à quel point j’en suis satisfaite. J’adore qu’on m’achète des disques, même si ça commence à être compliqué de m’en acheter un que j’ai pas déjà. J’ai une belle collection chez moi. Il me demande si j’étais venu pour quelque chose de précis et je fais non de la tête.

« Je voulais juste quelques disques de plus. Je regardais ce que j’avais pas déjà. Je crois que je vais prendre juste celui là pour aujourd’hui. »

Oui parce que j’achète des disques assez régulièrement. Pas forcément ici, mais Amazon est mon ami.

« A moins que… »

Je le regarde, un sourire mystérieux aux lèvres.

« … Y’a un disque que tu me conseillerais de prendre ? Un de tes favoris ? Ca fait longtemps que j’ai pas acheté un disque sans avoir aucune idée de quoi m’attendre. »

Je trouve ça fun d’acheter des disques sous les conseils d’autres passionné. Je le faisais très souvent étant jeune avec mes amis mais on ne prend plus le temps à présent. Ce qui est dommage. J’ai bien évidemment beaucoup d’amis mélomanes et on parle musique, mais on ne fait pas de descente dans des disquaires, alors que je trouve ça tellement fun. Je prends note de ramener Jack ici un de ces jours. Je suis sûr qu’on pourrait y passer des heures à nous deux.

« T’as twitter ? Je te donnerai mon feedback après l’avoir écouté. »

Je marche beaucoup avec Twitter quand je rencontre des gens. J’aime bien garder contact comme ça.

Leonardo fit une note mentale pour se rappeler d’écouter l’album sur internet avant de l’emballer et le poser avec les autres cadeaux. Il faisait confiance aux goûts de l’Australienne, mais ça n’allait pas le tuer de tester lui aussi, bien au contraire. « Je m’en fais pas pour ça. » Il lui fit un clin d’œil complice, espérant que Milena allait apprécier le disque autant que la musicienne. Celle-ci mentionna qu’elle ne cherchait pas vraiment quelque chose d’autre, mais qu’elle était ouverte à d’autres propositions du brun. Il réfléchit un petit instant, essayant de penser à quelque chose que la Livingstone pourrait difficilement connaître. « J’ai peut-être une idée, j’espère juste qu’ils aient ce CD en stock. » Heureusement, ils en étaient déjà à la lettre C avec City and Colour, donc ils n’eut pas à aller bien loin pour chercher son petit bijou. Il fut presque étonné de le trouver parmi tous ces disques, et il le sortit tout fier de sa trouvaille. « Et voilà. Coco, de Colbie Caillat. Tu connais peut-être, mais elle n’a pas non plus eu un succès monstre, donc… » Autant Leonardo était sûrement le plus grand fan de Britney de toute l’Australie, autant Colbie était bien plus proche de son âme, d’une certaine manière. Il se retrouvait beaucoup dans la douceur de sa voix et la simplicité de ses textes, qui restaient quand-même très touchants. « Ma préférée de cet album c’est sûrement Battle. Tu me diras ce que t’en penses. » En règle générale, c’était dur de détester sa musique, mais parfois certains la trouvaient assez redondante, toujours pareille à elle-même. L, tiret du bas, Grimes. J’y suis pas très souvent, donc c’est un peu vide, mais voilà. »[/color] Au risque de passer pour un vieux grand-père, Leonardo avait du mal à comprendre le principe de ce réseau social. Il s’y était essentiellement inscrit parce que tout le monde semblait s’être roué dessus, et tout semblait passer par là. Du coup, il n’y allait que de temps en temps, et la plupart du temps il se contentait de partager des photos d’animaux mignons, rien de plus. « On passe à la caisse ? » Il ne savait pas si elle allait craquer pour sa proposition ou pas, mais ce n’était pas bien grave – de toute façon, il avait trouvé son cadeau. Et visiblement, elle n’allait pas repartir bredouille non plus.

J’espère aussi qu’ils ont le CD en stock parce que maintenant qu’il a une idée en tête, je suis curieuse d’écouter ça. Je pourrais toujours le faire sur Spotify, mais ça n’a pas le même charme. Commander sur Amazon non plus. Même si des fois je suis bien obligé de passer par là. Je suis Leonardo dans le rayon, pas bien loin et il trouve le CD. Un large sourire se forme sur mon visage, même si je ne sais pas encore de quoi il s’agit, je sais que je vais l’acheter et l’écouter dès que je serai chez moi. Coco de Colbie Caillat. Je ne connais pas l’album mais je connais l’artiste.

« Elle chante Lucky avec Jason Mraz c’est ça ? »

Je ne pense pas me tromper mais ça remonte à tellement loin le succès de cette chanson que ma mémoire me fait peut être défaut. Je prends bonne note de sa chanson préféré. Battle. Je prends le disque dans mes mains, je regarde la pochette qui est plutôt très simple. je tourne le disque pour analyser la liste des chansons. 14 titres, c’est pas mal pour un album. J’hoche la tête quand Leonardo me demande mon feedback à son propos.

« Ce sera fait avec plaisir ! »

J’adore débattre de la musique avec des gens qui aiment ça autant que moi. Je prévois de lui faire un petit compte rendu de mon écoute. J’écrirai dans un message privé mes pensées au fil de la chanson, à la première écoute, ainsi qu’à la cinquième, pour me mettre la chanson un peu plus dans la peau. J’ai tout de suite pensé à Twitter et il me donne son username. Je sors mon téléphone pour le chercher aussitôt sur l’app et le suivre tout de suite.

« C’est bon je te suis. »

Je ne suis pas dérangé que son profil soit vide. L’important c’est qu’on ait un moyen de communication après cette interaction chez le disquaire. Il propose de passer à la caisse et j’hoche la tête, prenant le chemin. Y’a pas d’attente et je passe la première pour payer mes achats. Le caissier ouvre de grands yeux en me regardant. Ca doit être un nouveau parce que c’est pas la première fois que je viens ici. Je me contente de lui faire un sourire tout en payant mes achats par une carte bleu. J’attends Leonardo quand c’est son tour et je vois le caissier qui fait des va et viens avec ses yeux entre Leonardo et moi. Est-ce qu’il est en train de nous prêter une relation ? Peut être. On verra si ça parle sur le net dans les jours qui arrivent.

Une fois dehors avec Leonardo je lui montre la droite.

« Je vais par là. »

Et c’est tout naturellement que je vais lui faire une petite accolade. Je suis du genre tactile comme femme.

« Je te dis à très vite sur Twitter Leo. »

Je suis aussi du genre à donner des surnoms très rapidement aux gens. C’est affectueux. Je lui fais un large sourire et on est chacun en chemin pour continuer notre journée de notre côté.

Leonardo était surpris d’apprendre que Sam connaissait Colbie, même si c’était pour sa chanson le plus célèbre – un featuring, qui plus est. Elle avait eu un certain succès à l’époque, et ça ne le rajeunissait pas particulièrement. « Oui, c’est bien elle ! Elle a aussi fait Bubbly, mais c’était encore avant Lucky. » Elle avait très bien marché elle aussi, et si ses souvenirs étaient bons ça datait de 2007 ; il s’en rappelait parce que c’était l’année de son arrivée, et c’était bien à Brisbane qu’il avait entendu cette chanson pour la première fois. Il ne lui restait plus qu’à espérer qu’elle allait l’aimer autant que lui, parce que c’était peut-être bien ce qu’il y écoutait de plus personnel. La Livingstone venait de le suivre sur Twitter, et quelques secondes plus tard la petite notification apparut sur son téléphone – merci l’humanité d’avoir inventé la 4G. « Et moi de même ! » Il n’avait pas eu à la suivre, tout simplement parce que c’était déjà le cas ; sinon, ça aurait peut-être donné un moment relativement embarrassant pour l’un comme pour l’autre. Les deux mélomanes prirent ensuite leur chemin vers la caisse, où Leonardo ne put s’empêcher de voir l’employé ouvrir grand des yeux en voyant Sam. Il dut se retenir de pouffer de rire, mais la femme était sûrement très habituée à ce genre de réactions. Quant à lui, il était bien content de vivre dans l’anonymat. À sa place, il n’aurait sûrement pas réussi à supporter des regards constants, et c’était déjà assez dur de vivre en tant que parfait inconnu – donc il ne jalousait pas la chanteuse pour sa renommée, loin de là. Avec le jeune brun, le caissier fut tout aussi courtois, mais bien moins étonné ou ahuri. Une fois leurs achats terminés, ils prirent la direction de la sortie, où Sam l’informa de la direction qu’elle allait prendre. Manque de pot, ce n’était pas la sienne. « Et moi par là. » Il avait bien envie de profiter encore un peu de l’air frais, et ça ne pouvait pas lui faire de mal pour le coup. « À bientôt Sam ! » Décidement, Brisbane c’était sacrément petit comme ville.