Le garde meuble renferme plus que des cartons remplis de babioles. Pourtant, lorsque la grande porte métallique coulisse au-dessus de ma tête, debout sur un tabouret afin de la caler à bout de mes maigres bras -histoire qu'elle ne glisse pas sur ma tête, ou pire, m'enferme dans le noir ; lorsque la lumière du jour peut à nouveau s'enfoncer à l'intérieur et faire fuir les araignées et autres insectes et boogiemen, c’est sur onze mètres carrés de vide que mon regard nostalgique se pose. Car le garde meuble renferme plus qu'un vieux vélo et une batterie poussiéreuse. Il renferme des souvenirs, et c'est ce qui demeure de plus précieux. Qui paye pour cet endroit désormais ? Pour notre vieux QG, là où les Streets sont nés, et là où nous avons répété, jammé, et bien sûr teasé pendant des heures, parfois des jours, installés sur un canapé de fortune, de gros poufs, ramenant tout ce qui nous passait sous la main, des vieux cheetos, un djembé troué, une paire de claquettes, une poêle rouillée. Tout pour subvenir à deux besoins fondamentaux ; manger, et produire de la musique. N’importe quelle musique, par tous les moyens. Une mélodie peut suffire, brute, sauvage, brouillon. Un rythme, un boum régulier, un tintement de métal sur du verre. Les mains qui claquent dans leurs paumes, sur les cuisses, le torse, les jours. Les pieds qui tapent, suivent le tempo, dansent comme le feeling leur dit de danser. Ce n’est pas un garde meuble, c'est une grande boîte à musique, et il est temps d'en remonter le ressort pour en faire sortir de belles choses à nouveau. Je saute du tabouret et arrive fièrement sur mes deux jambes, déterminée à effectuer ce brin de ménage avant que mes compères n’arrivent. L'invitation s'est résumée à un sms, boucherie orthographique pleine de raccourcis et de voyelles portées disparues. Typique. J’attache mes cheveux en un pseudo chignon improvisé qui ne ressemble à d'autre qu'un plat de spaghetti sur le sommet de mon crâne, et les mains sur mes hanches -comme Queen B dit qu'il faut le faire pour se donner confiance en soi- je jauge l’ampleur de ma tâche du jour. Les grands ménages permettent de se nettoyer de l'intérieur et de mettre de l'ordre dans sa vie qu'ils disent dans un de ces bouquins de coaching de vie que je dévore comme des poignées de chips depuis ma sortie de cure. J’ai tous les outils avec moi ; un balai piqué au type de l'accueil, des chiffons, et de l'huile de coude. Ça va le faire. Ça va carrément le faire. Ça va tellement le faire que Tad et Elio vont en avoir la mâchoire qui touche le sol. Ouais. Allez. C'est parti. “Qu'est-ce c’est que c-AAAAAH !!” Un mutant à huit pattes saute de derrière la vieille batterie, le genre de bestiole à douze yeux que personne ne souhaite croiser un jour, et pourtant, en Australie, baby, c’est nous qui vivions chez elles et non l'inverse. Elle se fige, je la fixe. Combat de regard épique, je retire doucement ma ballerine de mon pied, prête à dégainer, à lui sauter dessus, à l'éclater, à partir en courant. Soudainement, sans peur, la créature des enfers avance vers moi à toute allure, tous crocs dehors. Je bondis, je touche le plafond, me réfugie au sommet de mon tabouret, là où je me sens soudainement tant en sécurité. La bête abandonne. Demi-tour, elle retourne dans un coin sombre de la pièce. Là, tapie tel un prédateur, je le sais, si je pose le pied par terre, je suis foutue, elle ne fera qu'une bouchée de moi, l'araignée de trois centimètres. Je reste là, je ne bouge pas, hors de question. Je crèverai sur ce tabouret. Le regard apeuré, terrifié, les minutes passent et la paranoïa ne fait que grandir dans mon petit crâne trop plein d'imagination qui fait voir l'insecte partout, ses yeux brillants ici et là, faisant le tour du garde meuble pour réunir ses semblables et préparer l'assaut. Mon dieu, mon dieu… “Oh mon dieu merci, t’es là !” C'est Tad qui apparaît, et qui me pousse à me demander depuis combien de temps je suis perchée là. “Y’a un putain de Godzilla au fond du garde meuble, immense et velu et noir et ignoble. Va la tuer.” j’ordonne en pointant le dernier endroit où j’ai aperçu -ou cru apercevoir- la bestiole immonde, l'erreur de la nature, mon bourreau. “Et pas avec mon tambourin Tad, j’vois venir la connerie !” Et pendant qu'il fait l'homme, je me contorsionne du sommet de mon perchoir avec autant d'équilibre et de dextérité que je peux en avoir pour récupérer ma chaussure abandonnée par terre à un peu moins d'un mètre de moi. Lorsque une ombre se dessine sur le sol en béton du boxe, mon regard se lève et frôle l’imposante silhouette d'un second jeune homme -et, vu à quel point ma mise hors circulation a décimé le groupe, le dernier arrivant. “Elio ! T’as pu venir alors.” Je me redresse. Debout sur l'assise, je suis à la bonne hauteur pour l’étreindre affectueusement. “Tad est parti à la chasse au dragon. Ça devient long d'ailleurs, Tad ! Eh, sois mignon, attrape-moi mon sac.” dis-je en indiquant à Elio le fourre-tout en bandoulière que j’ai amené avec moi, à côté de mon nouveau banjo acheté six sous d'occasion. J'en tire un paquet en papier bruyant qui fait autant de bruit qu'un feu d'artifice un jour de fête nationale lorsque je l'ouvre sur mes genoux. Puis, avec une satisfaction immodérée, je prends une de ces lamelles frites qui ressemblent à des copeaux de taille crayon multicolores et la porte à ma bouche. “C’est des chips de carottes et de betterave bio, t’en veux?”
Dans l’air, on entend que le sifflotement que s’échappe dans ses lèvres. Il circule à travers les rangées de garde meuble, main dans les poches avec sa guitare sur le dos. Tad est plutôt content, comme peut le faire comprendre les petites mélodies qu’il produit en attendant d’avoir rejoint l’antre secrète du Street Cats dans ce couloir un peu éloigné afin que ça n’isole que mieux le bruit qui s’en échappe. Il a la tête en l’air et ses pieds retrouvent sans problème le chemin qu’il n’a pourtant pas pu faire depuis des mois. Ouais, Tad est de bonne humeur parce qu’aujourd’hui, il reprend du service. Seulement, un bruit de fracas vient de le tirer de sa rêverie. Cela vient justement de leur fief, alors il se précipite au cas où il se serait passé quelque chose. C’est mort de rire qu’il découvre une Lou recroquevillé sur un tabouret pour absolument no reason. « Oh mon dieu merci, t’es là ! » « Oui, c’est comme ça qu’on m’appelle. » ajoute t-il, toujours en riant avant de poser sa guitare dans un coin. « Y’a un putain de Godzilla au fond du garde meuble, immense et velu et noir et ignoble. Va la tuer. » « Et ce sera tout pour vous ma dame ? » Il ne cesse de ricaner comme un débile. Il n’avait pas revu Lou depuis un sacré moment, et en y pensant, il a l’impression qu’elle n’a pas changé d’endroit depuis tout ce temps. Toujours à se planquer des araignées. « Et pas avec mon tambourin Tad, j’vois venir la connerie ! » « Ouais ouais. » dit-il, comme s’il l’avait écouté. Qu’y peut-il si dans le feu de l’action, il se saisit toujours du premier objet qu’il trouve sous la main. Au moins, on ne pourra pas lui dire qu’il manque d’efficacité. Enfin, toujours est-il que là, la présence de la grosse bête ayant effrayé Lou n’est pas traçable. Il tente bien d’y mettre un peu de bonne volonté et déplace quelque carton en espérant trouver la bête. En faisant toute sa traque, il y’a la voix d’Hassan dans sa tête qui lui implore de ne pas tuer d’être innocent mais il sait très bien qu’il n’y aura aucune répétition si Lou ne voit pas le cadavre de l’animal. Elle ne lui laisse même pas l’opportunité de mentir. “Tad est parti à la chasse au dragon. Ça devient long d'ailleurs, Tad ! Eh, sois mignon, attrape-moi mon sac.” Entend-il, après que l’arrivée d’Elio soit parvenu jusqu’à lui. « Je suis occupé là ! » crie t-il avant de lancer un gros coup de pied sur le sol en hurlant « CREVE SALOPERIE » Une grimace apparait sur son visage en sentant le corps de la bête sous son pied, mais bon les choses sérieuses vont enfin pouvoir reprendre.«J'espère que t'es contente, j'ai peut-être fait des orphelins » Il revient vers ses deux acolytes, tape dans la main d’Elio pour le saluer et pose les yeux sur Lou qui a l’air de manger un truc sain. Il grimace à nouveau. « C’est des chips de carottes et de betterave bio, t’en veux? » Il hausse les sourcils. Bien sûr que non qu’il n’en veut pas. La question parait aussi absurde que le fait qu’elle mange un légume. « Okay. Ginny, sors de ce corps. » Bon, ce qui est tout aussi absurde, c’est de penser que Ginny ait pu passer par là. Lui, il pensait que le but de la désintox, c’était juste d’apprendre à arrêter de jouer avec les aiguilles, pas manger n’importe quoi. « Tss, t’as changé ! » dit-il comme si c’était plus un reproche qu’une blague.
Je vais être en retard, ce n’est pas que ça soit vraiment étonnant me connaissant mais je sens déjà que je vais avoir le droit à une réflexion. Ce n’est pas faute pourtant d’avoir pris la peine de mettre une alarme, d’avoir prévenu tout le monde que je ne serais pas là et préparé ma trottinette à l’avance. Mais je me suis fait déconcentré par la course Mario kart et surtout mon neveu qui osait me battre et me voilà maintenant à pousser comme un dératé sur ma trottinette pour gagner une pauvre minute et pouvoir dire que j’étais « presque à l’heure » plutôt minable mais c’est ce à quoi se résume ma vie il faut croire. Pourtant, quand je passe la porte de notre petit studio - qui n’a pas vu la lumière du jour depuis clairement trop longtemps - personne n’est là pour me faire la remarque. Je regarde ma montre, presque à l’heure et du toute façon c’est un Lou entrain de se contorsionner d’une bien étrange façon que je retrouve. « Tu t’essayes à la danse contemporaine ? » Parce que si c’est le cas j’ai meilleur temps de faire demi tour - mon corps est très bien dans une position basique. « Elio ! T’as pu venir alors. » Hochement de tête alors que je me rapproche d’elle, la brune toujours perchée sur son tabouret sans que je ne sache trop ce qu’elle est entrain de faire. « Je trouverais toujours un peu de temps pour vous. » C’est presque romantique dit comme ça. »Tad est parti à la chasse au dragon. Ça devient long d'ailleurs, Tad ! Eh, sois mignon, attrape-moi mon sac. » Pas besoin de connaitre Lou depuis longtemps pour comprendre qu’une araignée est venue troubler son confort, je ramasse tout de même le sac non sans me moquer gentiment d’elle. « CREVE SALOPERIE » La voix de Tad douce et tendre qui me vient aux oreilles alors qu’il s’occupe de la pauvre bête sans défense. « Tad et la poésie, on devrait écrire à ce propos. » Et à bien y penser, encore heureux qu’il ne soit pas notre parolier. «J'espère que t'es contente, j'ai peut-être fait des orphelins » Lou semble en tout cas se détendre un peu, assez pour fourrer un truc qui a l’air immonde dans sa bouche sous nos regard médusés, pour ne pas dire limite dégoutés. « C’est des chips de carottes et de betterave bio, t’en veux? » Le sachet d’abord tendu vers Tad puis vers moi alors que je grimace comme un gamin à qui on propose une fournée d’épinard. « Plutôt mourir je crois… » Et apparemment Tad est du même avis que moi, elle va se garder ses chips bio. « Tss, t’as changé ! » J’opine du chef pour montrer mon soutien à mon acolyte masculin cette fois. « C’est sûr… T’as pas plutôt… » J’aurais bien dit une bonne bière mais je suis pas très claire sur les termes exactes de sa désintox donc dans le doute… « Des chips à la pomme de terre comme tout le monde ? » Parce que malgré tout le son du croustillant dans sa bouche me donner faim. Je jette alors un coup d’oeil aux environs avant de reposer mon regard sur la brune. « T’avais pas prévu de faire un peu le ménage ? » Non parce que je sais bien que Lou c’est pas le genre fée du logis qui va nous faire un cocon douillet mais là c’est plus tempête de poussière sur mars.
Au cri de guerrier de Tad et au bruit de sa semelle qui écrabouille le familier du démon, il ne manque que le cri d'agonie du monstre à huit pattes et une bande originale à la hauteur de son héroïsme. Il faudra se contenter de mon cri de joie, digne d'une gagnante de concours de mini-Miss, tandis que je tape frénétiquement dans mes mains, presque trop enthousiaste d'en voir le cadavre tâcher le sol de sang rouge, orange, vert ou bleu -qu’importe tant qu'il y en a partout. « J'espère que t'es contente, j'ai peut-être fait des orphelins ». La simple idée qu'un nid gonflé à bloc de centaines de bébés araignées transparentes et dégueulasses prêtes à tout dévorer sur leur passage dont leurs propres frères et sœurs soit dans le coin, sous n'importe quel babiole ou meuble, me retourne franchement l'estomac. Qu'ils crèvent tous. Note à moi-même, acheter de l'insecticide. Ce n’est pas ce qu'il manque en Australie. “Tu vas me faire pleurer.” dis-je en pinçant les lèvres, le menton froissé. Pas sentimentale pour un sou, je gobe quelques chips sans plus m'attarder sur le sort des bébés monstres. Ma très généreuse proposition de céder quelques uns de mes copeaux de taille crayon aux soit disant légumes se retrouve rejetée et moi, dévisagée. « Plutôt mourir je crois… » Quelle ingratitude. “Si tu continues à bouffer des cochonneries ça sera le cas et plus rapidement que tu le crois.” dit celle qui vendrait sa mère pour un burger au bacon, des potatoes, un énorme coca bourré de sucre et un milkshake chocolat-banane et beurre de cacahuètes. « Okay. Ginny, sors de ce corps. » Le regard noir que je jette à Tad lance des flammes arrachées à Satan en personne. “J’ai rien de cette greluche, ta gueule.” Le seul bon souvenir que j'en ai, c'est de l'entendre chialer de l'autre côté de la porte du placard de la classe de sciences où on l'avait enfermé avec Bob, le squelette. « Tss, t’as changé ! » Pas tant que ça quand on y pense, mais si j'en donne l'illusion ça me va tout autant pour le moment. Ça finira bien par être vrai. Il le faut. « C’est sûr… T’as pas plutôt… Des chips à la pomme de terre comme tout le monde ? » Est-ce que j'ai l'air d'avoir des chips de pomme de terre, grand demeuré aux abdos saillants ? “Moi non, mais je suis sûre qu'il reste un paquet vieux d'un an ou deux là-dedans. Tu veux t'y essayer ?” Tad avait forcément une réserve personnelle de cochonneries à bouffer qui soit constamment à portée de main, il ne peut pas en être autrement, alors non seulement des chips doivent se cacher mais aussi du chocolat, des bombecs et des vieilles parts de pizza abandonnées dont les rats ont fait leur lit de mort. Bon appétit. « T’avais pas prévu de faire un peu le ménage ? » Qu'ils ne viennent pas se plaindre si j'en prends un pour taper sur l'autre. Ou si je les étouffe dans mes bras parce que ces deux nazes m'ont manqué. “Sérieux ? C’est ce que tu dis à toutes les nanas que t’as pas vues depuis des mois ?” Ah, non, pour ça il faudrait qu’il les revoit, déjà. Fort théâtrale, je saute de mon refuge improvisé et effectue une très gracieuse révérence en face d’Elio, Seigneur des machos. “Well, Milôôôrd, je commence en faisant briller ma plus belle caricature d’accent british, toutes voyelles dehors, certes j'eusse été supposée d'user de ces doigts de fée afin de faire briller notre humble petit logis, hélas ! je fusse attaquée et dûs me réfugier dans les hauteurs du Mont Tabouret suite à une courte escarmouche avec la créature diabolique dont le preux Taddeus nous a tous sauvés.” Et alors que je narre ces folles aventures et qu’il ne me manque qu’une lyre pour enchanter mon audience réduite de quelques accords simples tous les deux mots, je vole, d’un pas léger et naf, vers la réserve de bouffe, le paquet de chips devenues pâles et molles manipulé avec précaution ; et de retour sur le tabouret, je l’ouvre en grand et je vide sur la tête de Tad, m’exclamant; “Qu'on le couvre d'or !” Avant de lui filer entre les pattes en courant pour qu’il ne me tire pas les oreilles.
« Tad et la poésie, on devrait écrire à ce propos. » balance Elio, fraichement débarqué que Tad ait accompli le méfait commandé par Lou. Sa conscience en aura gros quelques instants et la culpabilité s’envole dès que viens le moment de se la raconter. « Je suis sûr qu’on tiendrait là notre plus grand tube. J’ai toujours trouvé que j’étais un super sujet d’écriture. » déclare t-il, sourire aux lèvres tout en checkant son pote dans ce qui s’apparente à des retrouvailles brève et rapide. S’étant vu la semaine passée, les deux hommes n’avaient pas foule de matière à partager, hormis peut-être leur avis sur ces choses vertes que Lou a en main. “J’ai rien de cette greluche, ta gueule.” Argue t-elle quand Tad lance une comparaison avec Ginny. « Lou ! » répond t-il, l’air de lui dire d’user d’un autre langage quand elle parle de son amie, si ça n’avait jamais été l’amour fou, il était temps que Lou arrête au moins de se comporter comme une peste. « C’est sûr… T’as pas plutôt… » enchérit Elio, Tad n’avait de toute manière pas l’intention de se lancer dans un sermon. « Des chips à la pomme de terre comme tout le monde ? » “Moi non, mais je suis sûre qu'il reste un paquet vieux d'un an ou deux là-dedans. Tu veux t'y essayer ?” Il hoche la tête, en observant de loin le placard où renferment ses anciens trésors. Pas sûre que tout cela soit encore très frais. Mais là encore une fois, il se contente de croiser les bras. « T’avais pas prévu de faire un peu le ménage ? » « Elio ! » réagit Tad comme si Elio avait dit la pire des infamie. Peut-être pas jusque-là, mais sa question manque très certainement de classe et bon, dire ça à une fille comme Lou, c’est dangereux. “Sérieux ? C’est ce que tu dis à toutes les nanas que t’as pas vues depuis des mois ?” . « Seulement à celle qu’il n’a pas mis enceinte. » « Well, Milôôôrd » Voilà que mademoiselle se lance rapidement sur ses grands chevaux et entame une envolée lyrique. « certes j'eusse été supposée d'user de ces doigts de fée afin de faire briller notre humble petit logis, hélas ! je fusse attaquée et dûs me réfugier dans les hauteurs du Mont Tabouret suite à une courte escarmouche avec la créature diabolique dont le preux Taddeus nous a tous sauvés. » Il ne comprend pas ce qu’elle fait, pourquoi elle va de droite à gauche, ni même ce qu’elle cherche dans son placard. Tad fronce les sourcils et ce n’est que trop tard, quand il la voit ouvrir le paquet bien trop près de lui qu’il comprend ce qu’elle tente de faire. Aucun geste de recul n’arrive à prévenir la suite. « Qu'on le couvre d'or ! » Elle lui renverse le contenu du sachet de chips sur la tête. « LOU ! » Il crie. Il fait un grand pas pour l’attraper, mais en vain, elle est plus rapide et lui ne se préoccupe que de chasser tout ce qu’il a sur la tête. « De toute façon, tu fais mieux de courir, tes carottes te feront pas perdre le gros cul que t’as gagné dans ton asile. » Il est possiblement un peu énervé. Gosh, c’était Elio qui lui a fait une réflexion sur le ménage. « Et en plus, t’es même pas sûre que je l’ai vraiment tuée l’araignée ! »ajoute t-il, une fois débarassé des miettes, guitare en main, prêt à enfin commencé la répèt. « Tu sais quand les autres arrivent ? »
Cela faisait combien de temps au juste ? Les Street Cats c'était de l'histoire ancienne, sympa le temps que ça avait duré, mais c'était mort et enterré maintenant … Et c'était ça, ce qui lui avait traversé l'esprit en premier lorsque le numéro de Lou s'était affiché sur son téléphone. Et c'était pas vraiment ce à quoi il s'attendait, quand il avait décroché, plutôt à devoir la sortir d'une situation de merde dans laquelle elle se serait engluée, et de toute façon il ne fallait pas non plus se leurrer, si le groupe en était arrivé à un tel état de dissolution c'était entièrement de sa faute à elle. Mais non, y'avait pas de situation foireuse qui tienne et pas non plus de bourde à rattraper, juste à se pointer dans LE garde-meubles comme au bon vieux temps, comme si de rien n'était. Anwar avait une théorie à propos des junkies de la trempe de Lou, s'ils voulaient s'en sortir fallait qu'ils fassent une croix sur tout ce qui les avait accompagné durant leur descente aux enfers : les gens, les lieux, les habitudes. Alors y'avait aucun doute à ses yeux, leur donner rendez-vous dans ce garde-meubles miteux et les voir tous rappliquer la gueule enfarinée comme s'ils revenaient au bercail après des vacances, ça sonnait le début de la fin de ses potentielles bonnes résolutions. Mais il était là pourtant, il avait trouvé une place où garer sa voiture au bout de la rue et était tranquillement remonté jusqu'au garde-meubles les mains dans les poches de son jean et un bonbon à la pomme coincé sous la langue. La dernière fois qu'il avait remonté cette rue Tarek vivait toujours avec lui et il avait encore l'espoir de sauver quelque chose de la relation qui le liait à sa mère ; C'était peut-être pour ça que cela lui semblait faire une éternité. « …-ment tuée l'araignée ! » La voix de Tad lui était apparue la première distinctement depuis le bout de l'allée, avant qu'il ne quitte son ton haut perché pour demander – à Lou, probablement « Tu sais quand les autres arrivent ? » Difficile de savoir qui englobait les autres, au juste, autant Annie ne s'étonnait pas que Tad ait répondu présent et se soit pointé le premier, autant pour ce qui était du reste … « Mec, qu'est-ce que tu as fait à tes cheveux ? » Il était un peu spécial le rouquin, on ne va pas se mentir, mais pas au point qu'Annie ne se sente pas au moins un peu étonné de le trouver des restes chips dans la tignasse. « C'est juste Lou qui a ses règles et qui se prend pour Gwyneth Paltrow. » avait justifié Elio d'un air goguenard, les bras croisés dans un coin de la pièce tandis que Lou se tenait toujours juchée sur son tabouret « C'est ouf, perchée là-dessus tu fais presque la taille de Tad. Comment on se sent à hauteur respectable ? » Et pas la peine de s'offusquer, si y'avait bien un des trois hommes de cette pièce qui pouvait se permettre de faire ce genre de taquinerie à la demi-portion c'était lui. « Bébé ! » Il était presque certain d'avoir vu le petit gabarit de la jeune femme s'offusquer à nouveau, mais pourtant non, c'était bien à sa batterie qu'il s'était adressé en allant soulever un peu le drap qui la recouvrait. Que d'émotion. Reprenant son sérieux il avait questionné « On attend encore quelqu'un d'autre … ? » Façon polie de demander si les pièces manquantes comptaient venir ou si elles avaient envoyé Lou se faire foutre cordialement. Elle avait pas trop mauvaise mine d'ailleurs, pour une junkie reprenant de mauvaises habitudes. Les Street Cats, c'était une mauvaise habitude, pour elle, c'était sûr.
La tête perdue entre ce disquaire à gauche que j’ai reconnu d'un après-midi passé à errer sur la 2e rue avec Ellie, et ce café qui sert un pain imbibé de sirop d’érable presque comme à la maison, aussi cliché soit-il. J’ai les pieds qui se traînent sur le bitume comme toujours, les mains dans les poches, l'adresse civique du local qui hésite entre une dizaine plus tôt, et une dizaine après. Les yeux plissés, les sourcils froncés. C’était bien aujourd’hui, mhm? C’était bien à Toowong? Je sais plus, je prends une chance et ce n’est pas pour mal faire. Mon regard qui dérive sur les arbres, les bâtiments, les voitures, les passants. L’air éparpillé et pas juste. « J’suis bien au bon… » qu’on m’entendra mollement murmurer, les mots qui s'envolent, la tête qui passe la première dans l’embrasure de la porte qu’on m’avait décrite à la va vite au téléphone quelques jours plus tôt. Les instruments pêle-mêle, les quelques notes que j’entends gratter à droite, les diverses silhouettes qui s’affairent tout autour. Ça me confirme que j'ai bien trouvé. Ça me manquait, aussi. Elles étaient à des millénaires, les années douces, le groupe, l'ancien, mes premiers pas dans ce qui deviendrait ma passion, ma drogue. « Ah ouais, clairement. » un sourire accompagne ma révélation alors que j’entre, que je fais presque comme chez moi. J’ai la stature un peu malhabile, gênée - c’est que ça remonte, que ça date. Si on pouvait dire de moi que j’étais clairement le plus vieux parmi toute cette ribambelle de gamins qui s’affairent sous mes yeux, je n’étais pas non plus le moins intéressé. Déjà, j’entends une corde qui aurait bien besoin d’être ajustée, une cymbale qui devrait nettement être resserrée. Je serai pas chiant, je serai pas difficile, juste, je serai utile. « Jack. » que je finis par me présenter, à un, à tous. Et un sourire de bonhomme plus tard, je sers la main des mecs, renvoie un regard sympathique vers la demoiselle, qui a des airs d’Ellie, à peine, suffisamment. « On s’est parlés au téléphone. » c’est à elle que je statuerai l’échange, que je rappellerai les quelques mots qu’elle a pu me dire, m’expliquer le je m’en foutisme du groupe, les horaires qui reprenaient, l’historique. Elle est allée au sens large, elle n’a pas vraiment enrobé les courbes et je ne suis pas curieux, j’ai laissé passer. Ils font un retour sur scène, ils cherchaient un mec à tout faire, je m’ennuie de la musique, de celle qu’on joue et pas qu'on écoute ni qu'on analyse, j’ai 10 doigts et une tête qui déborde de mélodies. On était fait pour s’entendre, i guess. « J’ai des frites. » l’échantillonnage de chips au sol me confirme que c’est pas tout à fait ça, côté snacks. Offrande de sympathie, pour bien lancer mon arrivée impromptue, surtout pour rassasier mon appétit lorsque j’aurai oublié de me foutre quelque chose sous la dent et que les dépendances remonteront pour me faire la morale. Déposant le sac de papier kraft brun sur un tabouret, j’étudie au mieux l’endroit, le local, les instruments à disposition. Je ne suis pas à plaindre, et je finis par ouvrir mon étui installé au sol, en sortant ma basse. Il y a aussi un ukulele qui s'y camoufle, un banjo, quelques clés allant sur ma trompette, un harmonica, bref, l’artillerie lourde choisie pour l'occasion. « Et aussi une partie de ma collection, au cas où. » Ellie était facilement agacée par tout ce que je laissais traîner à la maison, du salon à la cuisine, de la salle de bain au jardin. Une guitare, un accordéon, un piano, un clavier. J’avais avec moi ce qui se glissait bien dans le sac, autrement, c’était un orchestre entier qui m’attendait sagement chez moi. Pour la prochaine fois.
« LOU ! » Le doux son de la protestation, de l'agacement, me rappelle toutes les fois où ma mère a hurlé mon nom de la même manière, petit rappelle que certaines choses ne changent pas. Et autant de fois j'ai ri, fière de mon coup comme à cet instant, gloussant quelques mètres plus loin tandis que Tad retire toutes les petites particules de chips de sa précieuse tignasse, roi du monticule de miettes à ses pieds. « De toute façon, tu fais mieux de courir, tes carottes te feront pas perdre le gros cul que t’as gagné dans ton asile. » Ça pique un peu, pour le coup, et mon rire s'estompe alors que je fais mine, comme toujours, que ce n’est rien, que rien n’est vraiment important, pas même ça. Tad est indélicat, et nos joutes de vannes font partie de notre marque de fabrique ; cela n’est jamais bien méchant. “Au moins tu pourras différencier mon devant de mon derrière maintenant.” je réplique en me tournant pour lui donner le dos et claquer mon fessier sous ses yeux. Du reste, je crois bien que rien ne pourra changer ce que la puberté a oublié de me donner. « Et en plus, t’es même pas sûre que je l’ai vraiment tuée l’araignée ! » Mon regard par dessus mon épaule le fusille. Joue pas à ça. Une partie de moi sait qu'il cherche juste à me faire douter pour m'embêter, l'autre tombe complètement dans le panneau, et alors que je me mets à préparer tous les câblages nécessaires, des micros, des baffles, des amplis, je me surprends à croire que j'aperçois la tâche noire velue à huit pattes un peu partout. « Tu sais quand les autres arrivent ? » … s'ils viennent, je pense tout bas. J’hausse les épaules. Je ne suis pas leur mère, l'invitation à été lancée, à eux de se ramener ou non. Sinon, ça ne sera que Tad et moi, comme au bon vieux temps. J’ajuste son micro devant sa bouche, à nouveau sur mon perchoir pour être à bonne hauteur, quand une troisième voix familière s'invite à la fête. « C'est ouf, perchée là-dessus tu fais presque la taille de Tad. Comment on se sent à hauteur respectable ? » Je pourrais soupirer lourdement si c'était pas lui, mais en réalité je suis heureuse que Anwar réponde de présent. Je n’aurais jamais parié sur une pseudo amitié avec un flic avant de le croiser, et aujourd'hui, je crois bien que nous faisons tous les deux abstraction, au mieux, de nos petits défauts pour le groupe. “Tu sais qu'est-ce qui n’est pas à hauteur respectable ? Ton humour.” j’envoie en battant des cils. « Bébé ! » Mes yeux sortent de leurs orbites. “Comment tu m’as…” Et je le vois qui file à toute allure vers la batterie poussiéreuse dans un coin du garde meuble, alors une fois que j'en ai terminé avec Tad, je passe un chiffon au poulet et j’installe la cage en plexiglas autour de l’instrument. L’idée, c’est qu’on ne finisse pas tous sourds à cause de sa cogne de bourrin. « On attend encore quelqu'un d'autre … ? » “Ouais, ta mère, elle a appelé pour dire qu'à partir de maintenant tu devras appeler Tad “papa”.” Le rouquin et moi échangeons un high five. Elio a des crises d’autisme, le nez collé à son téléphone. Je roule des yeux. Quelques minutes plus tard, on entend tous ce qui nous pendait au nez depuis que ses sourcils avaient soudainement froncé face à un texto, qu’il doit y aller, que c’est les jumeaux, et ils ont franchement bon dos, les jumeaux. Ma réaction se résume à un gros soupir ; tout ceci n’a clairement pas l’air aussi important pour lui que ça l’est pour moi, et à dire vrai, mon instinct me souffle qu’on ne le reverra plus au garde meuble, ni sur scène. Parce qu’il a une vie, et d’autres priorités. Parce qu’il a toujours été un peu trop bien pour nous, non ? Qu’importe, je reprends ma course de petite souris qui s’affaire à la sono à toute allure, sautillant ici et là, ne laissant pas la futilité d’Elio entacher ma bonne humeur et mon enthousiasme. Du sang neuf se joint finalement à nous ; Jack, qu’il se présente auprès de chacun d’entre nous. « On s’est parlés au téléphone. » Je m’en souviens, je l’avais bien aimé, je le trouvais posé, pas prise de tête mais digne de confiance, et il y avait un truc en plus, un truc qui ne s’explique qu’une fois que je le détaille physiquement, en personne. Ce qu’il dégage, ce qui me titille le sixième sens ; les gens qui ont eu ou ont toujours des ennuis, les catastrophes ambulantes, les poisseux dans notre genre se reconnaissent entre eux. “Ah ouais, le facteur d'explosion de notre moyenne d'âge. Bienvenue.” On donne la couleur ; avec nous, mieux vaut laisser son égo sur le paillasson, parce que ça fuse, ça pique, ça joute, ça blague noir, amer, ça secoue comme l’expresso du matin. Et lui, le petit nouveau, le vieillard de la troupe, risque de passer sur le grill pour notre plus grand plaisir. “Jack va être à la basse, obviously, que j’annonce à Tad et Anwar, et on trouvera un nouveau clavier plus tard, sauf si l'un de vous s'est découvert des bras de poulpe en mon absence. Grincheux est à la batterie, et Poil de carotte à la gratte. J'allais finir de préparer tout ça, tu peux t'installer. Pour de plus amples présentations, un morceau vaut mille mots. Tu sais jouer quoi de Bowie ?” Question importante, mais pas de piège, car toute réponse est une bonne réponse à condition qu’il ne crache pas sur mon Ziggy. Je comptais nous mettre en jambe avec ça, voir à quel point nous sommes tous rouillés avant d’attaquer à nouveau nos petites compos personnelles auxquelles, désormais, Jack pourra apposer sa patte lui aussi. Il dégaine sa malle, sa caverne d’Ali Baba, déjà l’air d’être là pour rester. “BANJO.” je m’écrie en apercevant mon instrument fétiche, juste là, mon bébé qui me manque tant. S’il en a un, c’est forcément un type bien. “Je peux, je peux, je peux ?” Je trépigne dans mes souliers vernis, les doigts frétillants. Depuis que le mien a été cassé par une cinglée en désintox, je n’y ai pas touché. Et les priorités budgétaires sont malheureusement ailleurs, ce qui est le pire des constats pour tout être à l’âme un tant soit peu artistique.
Y’a pas à dire, il préférait largement Lou à l’époque où elle trainait avec des gars un peu trop à fond sur le kit du petit chimiste que maintenant, au moins, la Lou d’avant n’avait jamais porté atteinte à l’intégrité de sa chevelure. Ce n’est pas cool de le penser, mais sous l’effet de la colère, ça passe. Il ne tarde pas à répliquer tout en retirant les bribes de miettes dans ses cheveux. De savoir qu’elle passera la soirée sans être réellement assurée de la réalisation du méfait qu’elle lui a commandé quelques minutes plus tôt sera sa maigre satisfaction. De toute, s’il se venge, elle va bouder et ils seront encore partis pour six mois sans répèt. « Mec, qu'est-ce que tu as fait à tes cheveux ? » demande Anwar en entrant dans le local, ce qui n’est pas sans rouvrir la plaie fraîchement du saccage de sa chevelure de bronze mais Tad virilise, désigne Lou du doigt, parée à combattre elle-même l’araignée s’il le faut. « C'est juste Lou qui a ses règles et qui se prend pour Gwyneth Paltrow. » résume Elio rapidement, Tad de son côté persiste à vouloir les dégâts. « C'est ouf, perchée là-dessus tu fais presque la taille de Tad. Comment on se sent à hauteur respectable ? » A cet instant, Tad pourrait écrire une chanson sur tout l’amour qu’il ressent pour Anwar et la façon incroyablement admirable dont Lou se prend un vent juste après sa vanne. Le « Bébé ! » éclipse, Tad se marre et Elio semble dans son coin à pianoter sur son téléphone. . “Comment tu m’as…” Cette ambiance de fête à la maison un repas de Noël, ça lui a manqué. Alors qu’Anwar est en plein préliminaire avec son instrument (ndlr :sa batterie) Tad fait le compte de ce qui reste du band après plusieurs mois sous le radar. Quatre personnes. En soi, c’est plus que la moitié, ce qui n’est pas si mal. Peut-être même mieux que ce qu’il imaginait. « On attend encore quelqu'un d'autre … ? » Anwar refait surface, Tad sort de ses pensées et non sans avoir certainement oublié de renvoyer sa vanne de tout à l’heure, Lou réplique. “Ouais, ta mère, elle a appelé pour dire qu'à partir de maintenant tu devras appeler Tad “papa”.” Okay. Celle-là est drôle. Il accepte d’enterrer la hache de guerre sur ça et tape dans la main de Lou alors que la suite de l’échange de vanne est interrompue par Elio qui explique une excuse qu’ils connaissant tous par ici, à un point qu’on pourrait presque le mettre sur doublage. Tad ne réagit pas, il hausse les épaules, serre la main de son pote en lui souhaitant une bonne soirée, l’idée même qu’il déserte n’étant pas là. Le gars parti, un vent de sérieux passe puisque chacun s’occupe à préparer la répèt comme il faut. « J’suis bien au bon… » Il est interrompu, lève la tête vers l’âme en peine qui vient de faire son apparition dans l’antre de la porte, un coup d’œil à Lou pour savoir si elle sait de quoi il s’agit. A ce moment, son inquiétude, ce serait que la location du local ait expiré en leur « absence ». Mais malgré l’air penaud du gars, Tad sent bien qu’il n’est pas là pour de la thune. Un coup d’œil à l’étui qu’il traîne avec lui le confirme. « On s’est parlés au téléphone. » Nouveau regard sur Lou, si elle pouvait expliquer la situation. Il savait qu’ils allaient avoir à recruter, mais ils ne savaient pas qu’elle avait déjà commencé à rassembler des têtes. “Ah ouais, le facteur d'explosion de notre moyenne d'âge. Bienvenue.” C’était là le discours d’intronisation de la jeune femme, autant dire que ça annonce la couleur et que le vieux a intérêt à être gavé en humour parce que ce groupe ne tient uniquement grâce à l’autodérision. Tad s’avance, offre une poignée de main au nouveau avec son prénom en prime « Tad, bienvenue. » tandis que Lou entre dans les explications. “Jack va être à la basse, obviously, et on trouvera un nouveau clavier plus tard, sauf si l'un de vous s'est découvert des bras de poulpe en mon absence. Grincheux est à la batterie, et Poil de carotte à la gratte. J'allais finir de préparer tout ça, tu peux t'installer. Pour de plus amples présentations, un morceau vaut mille mots. Tu sais jouer quoi de Bowie ?” Bon, il aurait préféré qu’elle lui demande ce qu’il connaissait de Céline, mais Tad doit admettre qu’il est préférable de se mettre en jambe avec un bon standard du rock alors, il ne réplique pas. « J’ai des frites. » Qu’il annonce, en sortant le paquet. Une bonne chose que Lou se soit mise à tailler des buissons pour manger, ça se partagera qu’à trois. « Et aussi une partie de ma collection, au cas où. » Qu’il ajoute en sortant l’attirail. Tad se fait la remarque que si le gars n’a pas d’humour, il a quand même les arguments pour se faire des amis dans le coin. Le compliment monte pour sortir, mais c’était sans compter sur la gamine du groupe. “BANJO.” C’est trop aigu. Effrayant un peu aussi, mais le type ne semble pas avoir pris peur pour sa vie. “Je peux, je peux, je peux ?” Le regard de Tad vaut mille mots, ceci est un test et parce que le gars a l’air cool, il le conseille immédiatement. « Elle te demande pour la forme, même si tu lui dis non, elle le prendra, donc fais toi bien voir. » Le premier conseil est gratuit. Le menton qui désigne Lou, Tad demande. « J’espère que t’aimes les enfants. Tu viens de rejoindre un quatuor de baby-sitter. » Allusion à la jeune fille qui se comporte comme un matin de Noël. « Tu penses mettre combien de temps à t’accorder ? » Autant entrer dans le vif du sujet, ça fait déjà un moment qu’ils sont là et que rien ne se passe.
L’air boudeur de Tad tandis qu’il désignait outrageusement Lou du doigt pour expliquer l’état de sa chevelure avait arraché à Annie un mouvement amusé de la tête, et avec lui l’impression familière de faire garderie dès qu’il était question que les Street Cats se réunissent. Du moins ce qu’il en restait, mais soit. Balançant sans ménagement à Lou une habituelle réflexion sur sa taille réduite en guise d’échauffement, il avait effectué une courbette moqueuse lorsqu’elle avait répliqué « Tu sais qu’est-ce qui n’est pas à hauteur respectable ? Ton humour. » et presque aussitôt reporté son intérêt sur la batterie qui avait trop longtemps pris la poussière. Okay, c’était peut-être pas la plus judicieuse des idées de revenir de ce côté-là, et peut-être que ça foutrait en l’air les maigres tentatives de Lou pour se racheter une conduite, mais le plus égoïstement du monde cela faisait un bien fou. Attrapant le chiffon qu’elle lui tendait avec l’impatience d’un môme devant sa part de dessert, il s’était vaguement inquiété de savoir s’ils attendaient encore quelqu’un ou si les Street Cats avait désormais des allures de quatuor bancal, mais pas décidée à faire preuve de bonne volonté la demi-portion n’avait su que balancer « Ouais, ta mère, elle a appelé pour dire qu’à partir de maintenant tu devras appeler Tad "papa". » et arraché à Anwar un léger soupir tandis que Tad et elle s’auto-congratulaient de leur connerie mais ne répondait pas à sa question. Soit, et voilà que pour couronner le tout le quatuor venait de se transformer en trio au rythme des excuses bien senties, bien rôdées d’un Elio qui prenait la poudre d’escampette et laissait Anwar un brin pensif. Pas totalement capable de lui en vouloir parce qu’il savait bien ce que c’était, lui, les urgences du genre quand on élevait tout seul ses mômes, mais qu’il lui avait malgré tout trouvé dans la voix un quelque chose de malhonnête, un regard fuyant, un ton incertain. « On s’est parlés au téléphone. » Et voilà que le trio redevenait un quatuor, donnant au garde-meuble de soudaines allures de moulin tandis que le nouveau venu montrait patte blanche en rajoutant « J’ai des frites. » et donnait l’impression de débarquer qu’une autre planète en portant sa maison sur son dos. Au regard dubitatif qu’il avait provoqué avait-il d’ailleurs jugé utile de se justifier « Et aussi une partie de ma collection, au cas où. » avant qu’à la suite du « Ah ouais, le facteur d’explosion de notre moyenne d’âge. Bienvenue. » d’une Lou que la délicatesse n’étouffait toujours pas Tad le premier ne balance un « Tad, bienvenue. » pour faire au moins un peu illusion quant à la capacité d’amabilité et de bienséance de leur petite bande. « Anwar. Jolie collec’. » Et ce serait à peu près tout ce à quoi s’en tiendraient les présentations pour le moment, le gnome du groupe ne tenant plus en place et sautillant comme un cabri en annonçant avec le déferlement d’engouement qu’on lui connaissait parfois « Jack va être à la basse, obviously, et on trouvera un nouveau clavier plus tard, sauf si l’un d’entre vous s’est découvert des bras de poulpe en mon absence. » A peine la porte passée et déjà enterré, le Elio, donc. La loi de la jungle, ici. « Grincheux est à la batterie, et Poil de Carotte à la gratte. J’allais finir de préparer tout ça, tu peux t’installer. Pour de plus amples présentations, un morceau vaut mille mots. Tu sais jouer quoi de Bowie ? » Et puisque la conversation venait subitement de prendre un ton en tant soit peu sérieux, Annie s’était fait violence pour retrouver le sien également bien que cette petite sauterie lui fasse bien plus penser au premier acte d’un Vaudeville qu’à une véritable répétition. « BANJO. » Seigneur. « Je peux, je peux, je peux ? » Glissant ver Tad un regard plein de tout ce qu’il se garderait de dire à voix haute, Anwar avait reporté son attention sur le dénommé Jack, à qui le rouquin du groupe avait distribué son conseil le plus avisé lorsqu’il était question de Lou et de ses couinements intempestifs « Elle te demande pour la forme, même si tu lui dis non, elle le prendra, donc fais toi bien voir. J’espère que t’aimes les enfants. Tu viens de rejoindre un quatuor de baby-sitters. » En voilà au moins un qui n’avait pas enterré Elio, ou pas encore au moins. Et d’y aller de son propre commentaire sarcastique « Elle a quand même ses moments de fulgurance parfois, faut savoir les saisir au vol. » les deux hommes donnant l’impression de parler comme si Lou n’était pas actuellement dans la même pièce qu’eux. Les banalités l’ennuyant généralement rapidement, Annie n’avait pas attendu plus longtemps pour aller s’installer derrière sa batterie, chiffon à nouveau en main pour tenter d’effacer ce que le temps et l’immobilité avait fait subir à ce garde-meuble tout entier. « Tu penses mettre combien de temps à t’accorder ? » La question à nouveau dirigée vers le nouveau venu ressemblait à un test au même titre que la mention de Bowie en avait été un de la part de Lou, et l’espace d’un instant le policier s’était demandé s’il était supposé trouver lui aussi une question piège à balancer à l’homme-orchestre. Mais fallait pas non plus déconner, il conduisait déjà suffisamment d’interrogatoires dans son boulot, et l’idée n’était pas de brusquer dès le départ celui grâce à qui il ne serait plus la vieille branche de cette troupe. « Bon si personne veut de tes frites moi j’me dévoue, hein. » C’était le problème du gnome si elle préférait manger des légumes, lui ça ne le dérangeait pas de mourir d’une artère bouchée, c’était plus enviable que de mourir en service, anyway. Piochant ni une ni deux dans la barquette de frites, il avait plissé les yeux en s’approchant de Jack et en reniflant ce qui n’était clairement pas une odeur de cigarette, mais pris sur lui de ne pas faire de commentaire pour l’instant. Il n’était pas au boulot, c’était pas ses oignons. Mais si cela chatouillait les mauvaises habitudes de Lou ? Plus tard, plus tard. « Oh, mais, t’es canadien ? » La question lui était finalement venue pour noyer le poisson, et en posant les yeux sur la feuille d’érable cousue sur le sac du vieux. « Ça va, on est safe. » avait-il alors haussé les épaules en jetant un regard vers Tad et Lou « Parait qu’ils sont tous gentils. » Il avait failli dire inoffensif, mais pas sûr que le concerné aurait apprécié.
C’est un joli studio, rien de bien glorieux, mais chaleureux malgré ses toiles d’araignées et ses caisses de bois éparses. C’est le squat d’un groupe qui se targue d’être inclusif, de ne pas se voiler la face, de faire dans le simple, le correct, le cool, tout sauf tape-à-l’oeil. J’avais eu un bon pressentiment en parlant précédemment à la Lou qui s’agite à mon arrivée, et si sa voix haut perchée et ses exclamations semblent donner le tournis aux autres musiciens présents, elle m’arrache un sourire, regard amusé, lorsqu’elle use de Bowie pour cerner whatever she needs. « De 74 à 83. » à savoir le registre le plus amusant à gratter à la guitare vous diront certains, les années folles renchériraient d’autres. Y’avait du bon avant, tout autant après, mais c’était le sweet spot et la nostalgie qui avaient jeté mon dévolu sur cette période en priorité. Call me old school, et ce ne serait même pas étonnant, offusquant. Ce qui tombe bien aux vues de leur discours, maintenant que la chanteuse pique sur mon âge, que la vanne ne me fait pas un pli pour savoir déjà ce dans quoi je m’incluais en rejoignant leur groupe, en m’y greffant. Fallait dire que malgré ma quarantaine je ne m’étais jamais vraiment considéré comme un adulte, et mes vieux os mélangés aux lignes de vécu sillonnant mon visage suffisaient à lui donner raison sans m’en vexer. « Fais comme chez toi. » que ma voix concède, sans même que Lou n’ait attendu quoi que ce soit, et elle farfouille dans la malle au trésor avec la tête d’une gamine au matin de Noël. C’est presqu’attendri que je la regarde faire ; et les deux autres, Tad et Anwar comme présentés quelques secondes plus tôt, me font l’effet de la complicité, de ceux qui sont là pour les bonnes raisons, et qui s’en amusent en le cachant sous les piques nombreuses à l'intention les uns des autres. « Merci du tuyau. » les mains dans les poches et mon intérêt alterne entre les mains baladeuses qui dérobent le banjo de son étui respectif, et les frites qui déjà ont trouvé plus que preneurs. On parle de babysitting et de jeunesse dorée, la mention me rappelle de suite Ellie et mon statut actuel de père plus que discutable. Pour la peine, j’hocherai de la tête avant d’hausser les épaules, pas particulièrement abattu, juste neutre. Comme dans n’importe quelle sphère de ma vie, au final. « Ça va, j’ai l’habitude. » que ce soit au boulot, que ce soit à la maison, ou maintenant ici, semblerait que malgré mes tares et mon syndrome du bohème éparse, j’étais voué à être la figure d’autorité. La blague. Tous se mettent en place, tous retournent à leur poste en trottinant, maintenant que rien ni personne ne semble manquer à l'appel avant de passer aux choses sérieuses. Tad, resté à mes côtés, s’installe doucement, maintenant que je me penche pour récupérer ma quatre cordes comme tant d’autres fois avant, concentré, mais attentif. « Quelques tours, à peine. Tu veux que je fasse la tienne en même temps? » que je propose, parce que j’y suis déjà, parce que mes doigts usés l’ont fait des centaines de fois avant par automatisme, parce que j’entends une note chez lui qui craque et qui me déplaît, parce que je veux me rendre utile. Le jeune homme y prendra ce qu’il voudra, sans que je ne m’offusque de la finalité du choix. C’est Anwar qui finit par attirer mon regard en réalisant quel est mon pays d’origine - et le préjugé entendu des centaines de fois qui sonne toujours aussi doux à mes oreilles. Contrairement aux américains et la longue liste de leurs soucis, que les canadiens soient reconnus pour être des good guys, c’était pas un défaut en soi. « On a quand même exporté Bieber. » que je laisse aller, le ton trop sérieux pour ne pas être prit en riant, et les lèvres se retroussant en un sourire amusé qu’ils remarqueront juste s’ils portent attention. « Des covers déjà au registre? » c’est le moment de s’y mettre, c’est le plat principal, c’est la musique et tout ce que j’aime, tout ce dont j’ai besoin, tout ce que je veux. Je m’intéresse, sachant que peu de détails avaient été mentionnés au téléphone par Lou quelques jours auparavant. « Ou vous faites dans les compos? » l’un ou l’autre me plaît, qu’on passe du test ultime sur Bowie ou qu’ils improvisent, je saurai m’adapter. « Que je vois où je peux m’inclure. » si habituellement je n’étais pas très loquace, les mélodies et les rythmes avaient ce pouvoir inspirant sur moi qui rendait ma verve un peu plus active.
J’aurais peut-être pu les prévenir avant, que Jack allait se joindre à nous. J’aurais aussi pu leur demander leur avis et poser mes fessus sur une chaise pendant des heures à faire défiler les candidats pendant des auditions histoire que le choix soit unanime, mais j’ai vraiment un bon feeling concernant le nouveau venu. Je suis sûre que Tad et Anwar vont l’apprécier, qu’ils vont voir ce que j’ai vu… au téléphone. Il a l’air pro, il a l’air cool, tant pis qu’il est vieux. Je veux des gens qui prennent ça, le groupe, la musique, autant au sérieux que moi. Pas d’un autre Elio qui croit qu’il peut tirer un trait sur ses engagements comme si ce n’était rien. C’était la grande réunion, les retrouvailles. S’il n’est pas là aujourd’hui, alors il est out. Jack ne m’a pas l’air d’avoir quoi que ce soit à prouver, et pourtant, il s’ouvre tout de suite à nous, profil bas, curieux, tâtonnant le terrain. Il connaît ce qu’il faut de Bowie et sûrement qu’un tas d’autres artistes qui étaient cultes quand je n’étais pas née, et ça me plaît, j’aime l’esprit. Il ne s’offusque pas quand je me transforme en gremlin dès que la forme d’un banjo apparaît au coin de mon œil, et il me laisse même me servir. L’instrument est accordé, je peux immédiatement faire danser mes doigts sur les cordes à toute allure sur un bout d’intro d’Alabama Monroe. Orgasme auditif. « J’espère que t’aimes les enfants. Tu viens de rejoindre un quatuor de baby-sitter. » Je m’interrompt pour lancer un regard noir au rouquin. « Va chier, Tad. » J’ai parfaitement conscience que dans ma caboche, je suis loin d’assumer mon âge. J’aimerais avoir vingt-deux ans toute ma vie, abuser de l’alcool, manquer de sommeil, manger n’importe quoi avoir le corps qui suit tous mes caprices. J’aimerais pouvoir encore hausser les épaules face à mes conneries et rejeter la faute sur quelqu’un d’autre ou simplement sur la jeunesse. Mais ce n’est pas le cas. Pas besoin de le souligner. Jack a pas l’air de prendre parti, et d’un autre côté, mon comportement n’a pas donné tort aux deux autres, alors je prends sur moi en continuant de bichonner le banjo. Que le nouveau soit canadien ou pakistanais, moi, je m’en balance. « Plus de covers que de compos, je réponds concernant le registre du groupe qui se cherche, qui ne s’est jamais complètement trouvé, sûrement par ma faute étant moi-même introuvable pendant un moment. Disons qu’elles sont… Pas abouties. » C’est des idées sur du papier, des accords qu’on aime bien, des ponts, des intros, mais rien qui match ensemble, jamais un bout à bout correct. On a tous des influences différentes et une idée propre de ce à quoi doit ressemble un morceau qui crie « Street Cats », mais pas encore de consensus. Cette réunion est peut-être l’occasion, maintenant que nous avons tous du recul et, désormais, du sang neuf. « Et si jamais toi, ou moi, ou Tad ou Anwar est inspiré par un jam, suffit de lancer, les autres suivent. » Avant, nous avions un bon flow, de la cohésion, le même genre de connexion qu’ont les jumeaux ; les uns savent terminer les impros des autres, et ça peut durer de longues minutes en allant de style en style jusqu’à ce que les doigts crient à l’aide et que le sérieux s’étiole. A la volée, je file les partitions de nos classiques à Jack, l’exemplaire de l’ex-lui qui n’en aura plus besoin. J’ai abandonné le banjo, retrouvé mon micro. « Ok, on part sur Heroes, pour se mettre en jambe, et on verra la suite. » Décompte, les premiers accords sonnent tout de suite ; je n’ai pas besoin de plus que cette intro pour savoir que Jack m’a conquise, que Tad et lui sont calés, et qu’Anwar mène la mélodie où je n’ai plus qu’à m’immiscer, la voix bien moins profonde que celle de Bowie mais le coeur dans chaque mot. Ca va d’un titre à l’autre avec la fluidité des vieux jours, comme si c’était hier, toujours les querelles et les rigolades qui ponctuent les quart d’heures, les bouteilles d’eau qui se vident tantôt dans le gosier tantôt sur le crâne de quelqu’un. Et quand les doigts sont usées, les pieds fatigués, les têtes pleines de mélodies qui ne se dissocient plus, vient le moment de prendre une pause, de sortir et dépoussiérer les deux fauteuils du fond du débarras, et attraper une bière chacun. « Vous m’avez manqué, les gars. » dis-je en me laissant tomber dans du vieux cuir troué à la mousse et ressors apparents, anciennement tapissé de crottes de souris et ayant sûrement abrité une portée ou deux -ça se reproduit à une vitesse, ces machins. Je suis même plutôt sûre qu’une bête s’est laissée mourir dessus vu l’odeur qu’un simple coup de chiffon n’a pas pu ôter. La prochaine fois, je ramène de l’encens. « Allez, tournée générale. » Et un jour, tournée dans le monde. Ca n’a jamais été l’ambition, mais ça ne fait pas de mal d’en rêver un peu. Je lève les jambes et pose mes pieds sur les cuisses de Tad. « Pose tes fesses et dis-nous c’est quoi ton histoire, papy. » je lance à Jack, curieuse.
Et c’est qu’il serait peut-être temps de s’y mettre, parce que Tad n’est pas venu chasser les araignées. Et surtout maintenant qu’il se retrouve avec des cheveux gras et plein de chips, ça l’arrange bien de se dire que ça grouille partout ici. Au moins pour avoir la satisfaction de voir Lou bondir de trois mètres de haut dès que l’une d’elle apparaîtra. « Quelques tours, à peine. Tu veux que je fasse la tienne en même temps? » lui répond Jack en pointant sa propre guitare, son propre regard suit, évalue sa réponse avant de la donner. Il allait le faire lui-même, mais après tout, n’est-ce pas un bon moyen de voir ce qu’il vaut en matière d’instrument. « Si ça peut t’faire plaisir. » Il lui tend la guitare, grand sourire aux lèvres, car après tout, c’est ça de moins à faire et ça va lui permettre de glandouiller dans son coin en attendant que tout l’monde soit prêt. « Bon si personne veut de tes frites moi j’me dévoue, hein. » intervient Anwar, chose qui ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd, l’arrivée tout en effet de Jack avait totalement évincé l’offrande qu’il était venu leur faire et sournoisement, Tad ne manque pas de se glisser aux côté d’Anwar pour choper une partie du butin. « Oh, mais, t’es canadien ? » remarque alors le batteur alors que Tad a les doigts dans la bouche, qu’il affiche une tête du gars qui ne comprend pas où il veut en venir. « Ça va, on est safe. » Et il poursuit. « Parait qu’ils sont tous gentils. » Et sans attendre, une fois les frites avalées, le rouquin ne s’empêche pas de rire devant le cliché abordé par Anwar et la pensée qu’il faudra un jour qu’il présente la gars à Ariane, au moins pour qu’elle puisse lui sortir tout son éventail de vanne qu’elle a sur les canadiens à force de regarder des sitcoms. « On a quand même exporté Bieber. » annonce Jack, un peu sous forme de mea culpa qui veut briser le cliché. « Mais vous avez donné naissance à Céline. » ajoute Tad, observant le plafond comme s’il observait le ciel, l’ampoule du garage qui clignote lui faisant rebaisser le visage. « Et ça, c’est beau putain. » Bon, maintenant, l’heure est à juger ce que Jack pense de Céline et Tad l’attend au tournant parce que, bien plus que l’accord de sa guitare, c’est ça le vrai test. Test qu’Anwar n’avait réussi haut la main, sans avoir pour autant échouer. Tad lui fait bien rapidement le regard l’invitant à ne pas donner trop vite à Jack la bonne réponse à fournir. « Des covers déjà au registre? » demande Jack, les intruments enfin opérationnels. « Ou vous faites dans les compos? » Et là, c’est la grimace, les yeux qui observant Lou parce que well, il ne sait pas trop comment lui amener le passif du band. « Que je vois où je peux m’inclure. » « Plus de covers que de compos » Qu’elle finit par répondre, objectivement, sans non plus se lancer dans des explications, ce qui n’est peut-être pas trop mal. « Disons qu’elles sont… Pas abouties. » Si c’est ça la version officielle. « Ouais, on a eu des soucis d’emploi du temps, mais si ça te branche, je pourrais te montrer ce que j’ai dans mes cahiers. Vu que tu gères la guitare aussi, y’a moyen qu’on se comprenne. » Qu’il propose, de bon cœur et puis, parce que si le gars demande, c’est qu’il doit être en capacité de lui donner un sacré coup de pouce. « Et si jamais toi, ou moi, ou Tad ou Anwar est inspiré par un jam, suffit de lancer, les autres suivent. » Qu’elle ajoute, ce qui attire un acquiescement de sa part. Le Street Cat, c’est beaucoup de feeling, beaucoup de cohésion, beaucoup d’impro aussi. Et finalement, chacun se place à son poste, prêt à commencer ce pour quoi ils sont venus ici. Lou annonçant le top départ. « Ok, on part sur Heroes, pour se mettre en jambe, et on verra la suite. » Et personne ne dit rien, Le 5,4,3,2,1 est récité, les premières notes tombent et pour des gens qui n’avaient pas joués ensemble depuis des mois, pour un p’tit nouveau qui doit se faire à une dynamique de groupe déjà existante, c’est pas si mal. C’est même que ce qu’il s’était imaginé, qu’il avait appréhendé. Et le temps file, y’a sûrement moulte bestiole qui ont fui le vieux garage pendant le jeu à cause du bruit. Sûrement. C’est pas comme si Tad avait attention. Puis le temps passe, la fatigue se ressent et ils en viennent à la pause. « Vous m’avez manqué, les gars. » admet Lou en s’jetant dans le canapé, bière à la main. « Depuis quand tu dis des trucs gentils toi ? » fait remarqué Tad, avant de la suivre et de poser ses fesses à ses côtés. « Allez, tournée générale. » Qu’elle invite, avant de prendre plus d’aise sur lui, qui ne dit rien. Trop habitué sans doute à ce qu’elle soit sans gêne. « Pose tes fesses et dis-nous c’est quoi ton histoire, papy. » Qu’elle balance à Jack, très discret, pas très bavard, un peu timide. Peut-être encore un peu trop pour se dévoiler à des inconnus. Il ne sait pas, il essaie de voir ce que son regard traduit. Puis, à la minute d’après, il pense à autre chose, lève une fesse pour dégager un gros pet à l’adresse de Lou, juste par plaisir de faire chier. « Arf, et celui là, il m’a bien brûlé où il faut. » Signe qu’il est odorant. Et il éclate de rire, avant de balancer en terminant sa bière. « Et sinon, si on allait manger quelque chose avant de reprendre ? » Qu’il demande, parce que c’est pas les trois frites qu’il a piqué à Jack, alors que le reste est froid, qui vont le faire tenir la soirée. « Il y’en a parmi nous qui ont besoin de manger plus que des carottes. Pas vrai Annie ? J’invite même. » Ouais, c’est jour de fête en quelque sorte. Tad se sent généreux.
Presque mal à l’aise pour Jack du côté bête curieuse qui lui était ainsi affublé en étant la cible de toutes les interrogations et de tous les commentaires, Anwar s’était vu piocher dans les frites et se donner ainsi une contenance tandis que Lou … était Lou. Et que Tad tentait de la canaliser, le policier le laissant faire bien volontiers en décrétant qu’il le faisait déjà suffisamment en dehors de ce débarras. La plaisanterie sur les canadiens fuse, volonté de s’en tenir à des broutilles en attendant que la musique redevienne le centre de la conversation, et la musique justement était revenue s’installer là où on ne l’attendait pas tandis que le Jack mentionnait « On a quand même exporté Bieber. » presque désolé qu’un compatriote ait causé du tort à la musique et à certaines modes capillaires douteuses. « Mais vous avez donné naissance à Céline. » Oh, seigneur. « Et ça, c’est beau putain. » Avant même de croiser celui de Jack le regard d’Annie avait croisé celui de Tad et compris que s’il espérait encore pouvoir lui gratter une bière ou des dragibus à l’occasion il avait plutôt intérêt à la boucler et laisser le Canada boy se débrouiller tout seul. Rude. « Je vais … retourner voir comment ça se passe du côté de la batterie. » Très loin du cataclysme potentiel que pourrait provoquer un désaveu de Céline. Et dieu merci il avait finalement été temps de revenir au principal sujet de cette petite réunion afin de faire en sorte qu’elle ne soit pas simplement « en souvenir du bon vieux temps » mais bien dans l’optique d’en tirer autre chose que du vieux. « Des covers déjà au registre ? Ou vous faites dans les compos ? Que je vois où je peux m’inclure. » Lou de secouer la tête, Tad de grimacer dans son coin, et Annie de soudainement se faire tout petit derrière ses percussions. « Plus de covers que de compos. » avait fini par expliquer mini-pouce. « Disons qu’elles sont … pas abouties. » C’était pas un mensonge au fond, simplement une question de point de vue, et probablement suffisant pour le nouveau venu. « Ouais, on a eu des soucis d’emploi du temps, mais si ça te branche, je pourrai te montrer ce que j’ai dans mes cahiers. Vu que tu gères la guitare aussi, y’a moyen qu’on se comprenne. » Et puisque cela ressemblait à un tour de table et qu’Anwar pouvait déjà qu’on l’attendait au tournant pour être le prochain à sortir une excuse ou proposer quelque chose, il s’était soudainement renfrogné et s’était contenté de marmonner un « Je passe mon tour. » laconique qui passait sous silence les pages noircies de pattes de mouches qu’il aurait volontiers partagé à une époque, comme il l’avait fait avec plaisir avant que les Street Cats ne prennent l’eau … et comme il n’était plus décidé à le faire, désormais. Chapitre suivant, et Lou proposait au nouveau venu « Et si jamais toi, ou moi, ou Tad ou Anwar est inspiré par un jam, suffit de lancer, les autres suivent. » Signe de la tête du policier, à qui le « Ok, on part sur Heroes, pour se mettre en jambe, et on verra la suite. » avait fait office de signal et lui avait machinalement fait retourner sa casquette à l’envers puis tourner l’une de ses baguettes entre ses doigts avec impatience. Le reste avait enchaîné avec une habitude et des réflexes qu’il n’aurait pas soupçonné, mais auxquels il trouvait un côté rassurant. Comme un vieux tube qu’on n’avait pas écouté pendant longtemps mais qui revenait en tête avec clarté dès les premières notes, transformant les secondes en minutes et les minutes en quarts d’heure, avec les réflexes qui revenaient et le plaisir d’être là qui s’immisçait à nouveau dans les veines et estompait la dubitation du départ. « Vous m’avez manqué, les gars. » S’échouant sans grâce sur le canapé poussiéreux – et pas que – du local, Lou avait été interceptée par le « Depuis quand tu dis des trucs gentils toi ? » balancé par Tad, et s’expatriant près du canapé avec son tabouret Annie avait argué d’un ton faussement accusateur « Elle essayait d’avoir l’air gentille pour mettre Mr. Canada en confiance avant qu’il ne découvre sa vraie nature, et tu viens de tout gâcher. » bien vite regretté lorsque Lou, l’absence de tact habituelle, enchaîne « Allez, tournée générale. Pose tes fesses et dis-nous c’est quoi ton histoire, papy. » Et en parlant de fesses, Tad avait utilisé les siennes à autre chose et ricané fier de lui-même en signalant « Arf, et celui-là, il m’a bien brûlé où il faut. » - « Y’a pas que chez toi qu’il brûle. » qu’il avait rétorqué en grimaçant, laissant à Jack le soin de réaliser que certains des baby-sitters ici présents avaient aussi besoin d’être baby-sittés. « Et sinon, si on allait manger quelque chose avant de reprendre ? Il y en a parmi nous qui ont besoin de manger plus que des carottes. Pas vrai Annie ? J’invite même. » Remettant sa casquette à l’endroit avec théâtralité, le brun avait répondu dans un sourire entendu « Maintenant j’me rappelle pourquoi ça a toujours été toi mon préféré. » et validé cette idée, d’autant plus qu’il n’avait pas eu le temps de manger le midi et s’était simplement nourri de graines de tournesol salées chapardées sur le bureau de sa collègue pendant qu’elle était sortie téléphoner. « T’inquiète, Papa t’aime toujours quand même. Je te laisserai la salade de mon burger. » qu’il avait alors lancé à Lou en battant des cils, la possibilité qu’il s’enfile un burger en réalité assez mince, à moins qu’il ne soit végétarien.
Ma question semble semer la zizanie sans vraiment le faire, et j’en prends note mentale de ne plus trop baratiner sur leur avant, même si leur historique m’intéresse. Lou parle de chansons pas tout à fait terminées, Tad renchérit en justifiant le reste, Anwar se concentre sur sa batterie et j’hoche nonchalamment de la tête. Pas mes affaires, de toute façon. « Ça n’aboutit jamais vraiment, en fait. » que je finis par répondre distraitement, finissant d’accorder mon instrument et m’installant aux côtés du guitariste qui lui-même semble être prêt à jouer. C’était bien là la beauté de la chose, de ne jamais vraiment vouloir mettre un point à une compo, de toujours avoir envie de la peaufiner, la changer, l'améliorer, la faire évoluer même. Un vrai calvaire lorsqu’on est trop perfectionniste. Heureusement, la majorité des artistes finissaient toujours par oser relayer la mélodie au fur et à mesure que les doigts l'assimilaient, que la voix la jouait. Pendant que la chanteuse se prépare, y'a Tad qui en profite pour me glisser un mot sur ses notes, ses cahiers, ce qu’il a déjà de rédigé, et c’est une foutue grande porte dans son intimité qu’il m’ouvre là, vieil inconnu que je suis qui vient à peine de passer la porte du local. Je sais bien que d’avoir la même nationalité que Céline semble m’avoir fait gagner banco à ses yeux, néanmoins c’est vachement honoré que j’accepte, faisant un oui bien affirmé de la tête. « Sans problème, on regardera ça plus tard. » si je pouvais me rendre utile d’une quelconque manière, si mon expérience pouvait aider à peaufiner quoi que ce soit, ce serait avec plaisir que je me plongerais dans ce qu’il a composé, que j’y apporterais ma touche créative avec humilité. Puis, on joue. Et là y'a rien ni personne qui pourrait compter le nombre de notes qu’on enfile, les morceaux qui se mélangent, les minutes qui passent, des heures peut-être. Il y avait rarement des choses dans la vie qui me gobaient tant toute mon attention que la musique, que l’art. J’en oublie le reste, je laisse le flot monter, lorsque j’en ressens le besoin je me retire même, observe sagement focus sur l’une, sur l’un. Ils se connaissent depuis plus longtemps que quelques mois à mon sens, ils ont une chimie un peu rouillée mais qui semble repartir sur de bonnes intentions, et si je me fie aux quelques informations que Lou m’a données précédemment au téléphone, et à ce que les autres ont pu me dire depuis mon arrivée, y’a du beau qui se trame, y’a du vrai qui se place. Ils se diminuent, ils se disent petit band sans prétention, mais ce n’est pas l’importance dans les palmarès qui compte, mais l’harmonie, le je-ne-sais-quoi, le détail qui rend la musique si pure, si vraie. J’ignore à quel moment je me retrouve sur le canapé entouré d’eux, encore dans les vappes d’être retombé dans la musique juste pour en faire, et non pour l’analyser. Ça fait du bien, ça respire mieux. « Merci. » la bouteille de bière dans la paume, j’en prends une longue lampée avant d’entendre la voix de Lou enjouée qui renchérit, son attention vrillée sur moi, prunelles étincelantes, et les vapeurs du pet de Tad qui rendent la scène particulièrement conne, mais normale, ambiance typique de tournée qui me reprend de plein fouet. Je rigole à la vanne de l’un, me replace dans mon siège devant la pression de l'interrogation qui précède. « De toute façon, si vous voulez la version longue, ça risque d’être… long. » c’est Tad qui est venu à la rescousse, voyant mon malaise, ou plutôt, mon incapacité à savoir vraiment d’où commencer, ce qui pourrait être intéressant, ce qui est banal, déjà vu, ennuyeux. Ça parle d’aller manger, et les restes des frites froides amenées plus tôt qui sont bien loin dans le'estomac des musiciens. Je me lève, suivant le groupe, ne perdant pas de vue le carnet que je vois dépasser du sac de Tad, ce dont il a parlé tout à l’heure. Et curieux mais poli, je demande tout de même. Parce que c’est une partie de lui tout ça, et que même s’il l'a mentionné plus tôt, y’a rien de pire que de bafouer ce genre de jardin secret. « C’est là-dedans que la magie se cache? » du menton, je pointe les feuille cornées, voyant déjà des bribes de ses gammes apparaître entre les lignes. Et ça me donne une idée, une mélodie, une envie de noter deux ou trois accords, qu’on pourrait pratiquer plus tard. À entendre la voix de Lou, le coup d’Anwar, le rythme de Tad, y’aurait moyen. « Partez devant, j’arrive. » toujours plus lent que les autres, toujours à la bourre, toujours la tête perdue dans un monde et un autre, je reste derrière le temps d’écrire le tout d’un trait de stylo dans ma paume. Pour le propre, on verra après le lunch.