« C'est correct, t'façon notre vie romantique est bien assez remplie par les films de comédie romantique qu'on regarde ensemble. » Il n’avait pas tort du tout ; à force d’en regarder aussi régulièrement, il vivait sa vie sentimentale presque par procuration, transporté qu’il l’était par des aventures aussi rocambolesques qu’improbables, alors qu’il était toujours dans son petit studio de Redcliffe. « Exactement – qui a besoin d’un copain quand tu peux regarder une énième comédie avec Colin Firth ? » Et surtout, deux amis en or comme Danny et Seung-Jin. Malgré sa malchance en amour, il devait avouer être plus que chanceux en amitié, et sur le long terme c’était bien ce qui comptait le plus. Et en parlant de cela… « Je suis soulagé de savoir que ma présence n'était pas cause de problème. Tu sais, j'espère que tu trouveras quelqu'un de bien et qui t'apprécie vraiment. Et je me forcerais à prendre l'habitude de te prévenir avant de débarquer pour éviter les moments gênants. » Il était honnêtement touché par les paroles de son ami, mais il ne craignait que celui-ci soit trop prudent et décide d’arrêter de le visiter dès qu’il aurait quelqu’un ; or, être en couple mais sans amis n’était pas le but recherché par le Grimes, loin de là. Mais il fallait avouer que Seung-Jin était pas mal altruiste sur l’affaire, peut-être même trop. « Merci, vraiment. Mais il faut pas non plus que tu t’empêches de venir ou débarquer, c’est un peu ce qui fait qu’on est amis, là. Je te dirai si besoin est, mais – quoi qu’il se passe, ma porte sera toujours ouverte, copain ou harem ou rien du tout. » Ce qu’il craignait le plus, c’était que ses amis ne s’entendent pas avec son éventuel, possible, futur fiancé ou vice-versa. Pour avoir été dans une telle situation, il avait à quel point c’était éreintant pour lui, et le contraire aurait facilité la vie de tout le monde. M’enfin, si on veut regarder le côté positif de la situation à ce moment-là c’était pas de copain et pas de soucis. « Je parle avec quelqu'un via une de ses applications. J'aurai peut-être dû te demander avant de me lancer, parce que c'est vraiment pas terrible comme truc ... » Leonardo ne put s’empêcher de pouffer doucement de rire, essentiellement parce qu’il était pareil que lui à son arrivée en Australie, à quelques détails près. Il s’était aussi d’abord lancé sur des sites de rencontre, et il y avait bien une raison pour laquelle ça n’avait pas marché. Il mit sa main sur l’épaule de Seung-Jin, essayant de le réconforter comme il pouvait. « Je te le fais pas dire. C’est peut-être pas le meilleur des départs, mais au moins ça peut difficilement empirer après coup. » Oh qu’il avait tort, le petit. Il aurait peut-être dû se taire, parce que le Lee en avait pas terminé avec ses expériences, et le meilleur arrivait toujours pour la fin. « Enfin, y'a pas que ça. J'ai découvert que Danny est amoureux de quelqu'un et pas de la meilleure façon... J'ai embrassé le mec qu'il aime, mais j'en savais rien, moi. Donc pour te prévenir si tu croises un Andy photographe, tiens toi loin, Danny est déjà dessus. » Leonardo ne manqua de s’étouffer sur ce qui lui restait de sa glace. Dans d’autres circonstances, il aurait essayé de consoler son ami pour le rassurer au sujet, et lui faire comprendre qu’en soi, il n’était pas fautif. Mais… le nom du concerné fut une sorte de choc pour le pauvre Anglais, qui venait enfin d’ajouter la dernière pièce au gros puzzle de ce beau p’tit merdier. « Oh putain. » Il était bien rare d’entendre le Grimes jurer ainsi – éducation bourgeoise oblige – mais quand ça arrivait, c’est qu’il n’était vraiment pas bien. Il n’osait pas vraiment regarder Seung-Jin, du coup son regard était perdu vers les arbres au loin. « Je… je crois que j’ai merdé aussi, pour le coup. » Même sans romance, leur vie ressemblait à une mauvaise comédie romantique, du style Friends With Benefits, mais en pire. « Brun, petit accent espagnol, mâchoire à en couper du beurre ? » Il avait retourné son regard vers son ami en espérant se tromper sur toute la ligne, mais à en juger de sa réaction il avait bel et bien raison. « Et bien… disons que je l’ai connu de très près. » Il fit une petite pause avant de reprendre la parole, sa voix ayant entre-temps monté d’une bonne octave. « … à deux reprises. » Dont une à moitié éméché, et l’autre dans son studio – mais il garda ces deux petits détails pour lui-même, jugeant que la situation était déjà bien assez catastrophique. « Je savais pas qu’il était lié à Danny, et il m’en avait encore pas encore parlé, et je l’ai plus revu depuis le temps, mais… merde, quoi. » En effet, il ne lui en avait parlé que quelques mois plus tard – il s’en souvenait, essentiellement parce que c’était le jour où Khloé avait annoncé sa grossesse – et il ne lui avait pas donné de nom, ni de photo, ni d’autres détails qui lui auraient permis de faire le lien. En revanche, maintenant qu’il savait avec qui Danny fricotait – dans les deux sens du terme – il ne pouvait s’empêcher d’éprouver de la peine pour lui. À ce moment-là, il comprenait un peu mieux la détresse de son ami, et il s’en voulait d’en avoir inconsciemment rajouté une couche. Il passa sa main sur son visage, soupirant doucement de dépit. « Faudra que je lui en parle. J’ai pas envie de me trimballer ça sur la conscience en lui mentant par omission. » Il finit sa glace, ne restant qu’avec un petit bâtonner à jeter dès qu’ils croiseraient une poubelle. Essayant d’alléger un peu la situation, il taquina Seung-Jin de son coude, un triste sourire sur ses lèvres. « Eh, au moins, maintenant on sait qu’on a tous les trois les mêmes goûts en matière de mecs. Si Danny daigne encore nous – m’enfin, me – parler après ça. » Même s’il n’aurait jamais pu prévoir le coup… ça n’allait sûrement pas être agréable pour le pauvre King d’apprendre la nouvelle, à tel point que Leonardo ne craignait de se faire envoyer bouler, pour dire ça gentiment. Mais d’un autre côté, lui cacher la vérité maintenant qu’il était au courant n’aurait fait qu’empirer le coup après, et il tenait bien trop à leur amitié pour risquer ça. Et pour le coup, elle valait largement plus que deux maigres parties de jambes en l’air avec un inconnu, et il regrettait d’avoir eu aussi peu de jugeote. M’enfin, il ne pouvait pas changer le passé – maintenant, il ne lui restait plus qu’à trouver le courage d’en parler à Danny.

La réaction de Seung-Jin face à sa révélation n’était peut-être pas des plus chaleureuses, mais Leonardo ne pouvait sûrement pas le blâmer ; après-tout, ce n’était pas vraiment quelque chose qu’on s’attend souvent à entendre de la bouche d’un ami. C’était plutôt le discours d’un méchant de telenovela, rôle qu’il n’aurait jamais voulu endosser. Et le jeune s’en connaissait pas mal du tout dans le domaine, amateur qu’il était de tout ce qui était romantique et dramatique ; de plus, ces séries lui permettaient de ne pas oublier l’espagnol, donc c’était du gagnant-gagnant. M’enfin, tout cela n’était pas le cœur de sa discussion avec Seung-Jin, malheureusement ; ça aurait été bien plus agréable pour tout le monde, mais c’était bien trop tard pour faire marche arrière. « Oh… je vois … » Il aurait presque préféré le voir en colère tellement il était… illisible. Il n’arrivait pas à déchiffrer ce qu’il pensait vraiment de toute la situation, et c’était quelque chose d’extrêmement frustrant pour le pauvre Anglais. Seung-Jin grimaça légèrement, avant de le prévenir que ça n’allait pas être une agréable discussion avec le pauvre King. « Bon courage d'avance, Danny m'a quasi menacé quand je lui ai parlé que j'avais touché une fois les lèvres de son ... sexfriend ? semi-mec ? fréquentation ? je sais pas le terme exact de leur relation... Mais il est mature, il devrait passer par dessus, surtout si ça remonte à longtemps ton .. heu passage ? avec lui. » Parler de ses exploits avec Andy ne l’enchantait pas trop, et visiblement il en était de même du côté de Seung-Jin, ce qui se comprenait bien ; la situation était déjà assez gênante et embarrassante sans qu’ils ne remuent le couteau dans la plaie, donc Leonardo s’abstint de donner plus d’informations qu’ils n’en avait déjà données. Il soupira doucement, pensent essentiellement au bien-être de leur ami commun. Qu’est-ce qu’il pouvait bien trouver au photographe pour y être aussi attaché, au point d’en menacer Lee ? « Je t’avoue que j’ai aucune idée de leur relation, mais je pense que même Danny n’en sait absolument rien. Ce qui n’est vraiment pas une bonne chose pour lui, malheureusement. » Maintenant qu’il savait quel genre de personne était le fameux garçon dont il lui avait parlé, il comprenait un peu mieux pourquoi son ami en souffrait autant, mais il était bien plus perplexe quant à son choix. Clairement, Andy faisait partie de ces gens avec qui Leonardo ne se voyait pas créer quoi que ce soit, encore moins un couple sur le long terme. Danny et lui étaient sûrement bien différents sur la question, et peut-être que c’était le genre de personne dont l’Australien avait besoin dans sa vie, mais il en doutait quelque peu.

Visiblement Seung-Jin n’aimait pas trop la tension de la discussion, parce qu’il essayait de changer l’atmosphère bien trop lourde après toutes ces révélations. « J'aurais préféré qu'on apprenne ça, en faisant des comparaisons d'acteurs qu'on aime bien, plutôt que comme ça ... En tout cas, je sais maintenant que je rentre pas du tout dans tes critères, mais hey, je parle espagnol si ça peut te charmer. » Si le Grimes avait des critères en matières de conquêtes il n’en était pas au courant, mais peut-être qu’il était inconsciemment sensible à cette langue, qui sait ? « Sí, seduceme en castellano cariñito. » Leonardo ne savait absolument pas si c’est bien ce qu’on disait en espagnol quand il était question de drague ; il avait déjà assez de mal avec l’anglais pour tenter l’exploit en une autre langue. « Mi gallina es la gallina más hermosa del mundo, y eres muy hermosa también… Alors, ça fonctionne ? » Seung avait pris sa meilleure voix de casanova, ce qui contrastait pas mal avec sa véritable personne, rendant donc la situation bien plus comique qu’elle ne l’était déjà. « Franchement, si t’avais pas mentionné Eggsy j’aurais déjà dû me jeter dans le lac froid pour me calmer tellement ça fonctionne. » Et en parlant justement du diable, elle était là en train de sociabiliser avec d’autres poulettes, mais elle ne tarda pas à se rendre compte qu’ils étaient enfin de retour, après l’avoir lâchement abandonnée à son destin. D’un autre côté, elle n’avait pas l’air de se porter très mal, au contraire. « Coucou Eggsy, tu nous as manquée ! » Leonardo s’était baissé pour l’inviter à venir dans ses bras, mais la poulette semblait bien décidée à plutôt retrouver son cher Seung-Jin, ce qui se comprenait ; après tout le Grimes était l’ex-maître du chat qui avait failli la dévorer, mais il espérait tout de même regagner son cœur un jour. « J’ai l’impression qu’elle a ses petits préférés entre nous deux. Si je vous gêne je peux partir, hein. Même sans voiture. » Il ne pouvait pas y aller sans Seung-Jin, tout simplement parce qu’il n’aurait jamais eu la foi de marcher jusqu’à chez lui par une telle chaleur, encore moins avec tous ses bols et tupperwares dans les mains. Accessoirement, ça aurait voulu dire qu’ils s’étaient disputés, idée qu’il n’avait même pas envie d’envisager, encore moins au vu de tout ce qui s’était passé. Il se releva alors, avant de rejoindre son ami et sa chère protégée. « Tu sais s’ils se réunissent régulièrement pour les poulettes ? Parce que si t’as encore besoin d’être accompagné et que je suis libre, ce serait avec plaisir. » Malgré la bombe qui avait été lâchée pendant leur promenade, la journée s’était quand-même très bien passée jusqu’à ce moment là. Et l’idée de traîner avec le Lee plus régulièrement était bien alléchante, surtout dans d’aussi bonnes conditions. « Et Eggsy a effectivement l’air très contente ici. » C’était vrai qu’ils étaient théoriquement venus pour son bien-être à elle en premier lieu, et même si Leonardo n’y connaissait rien en psychologie des poules, elle avait vraiment l’air heureuse entourée de ses semblables. Et aux dernières nouvelles, son ami n’était pas encore prêt à transformer son pauvre appartement en ferme à poules.

La journée s’achevait doucement, et les participants emballaient tranquillement leurs affaires, se préparant tous à rentrer chacun sa poulette sous le bras. Et en parlant de cela, Eggsy s’était pratiquement jetée dans les bras de Seung-Jin, ignorant complètement le pauvre Grimes, au plus grand amusement de son maître. « Non, reste, tu fais une très jolie chandelle entre nous. » Leonardo se contenta de tirer la langue, faisant mine d’avoir été vexé par un tel comportement, comme un enfant capricieux qui voulait toute l’attention. La poulette semblait bien paisible, ce qui le rassura tout de même un peu – après tout ça aurait été dommage pour elle s’ils avaient été les seuls à profiter d’une telle sortie, surtout s’ils comptaient bien y retourner. « Oui, tous les mois. Je suis content que ça t’ait plu, malgré l’absence de chat. Je viendrais te kidnapper encore vu que tu as l’air consentant. » Leonardo ne put s’empêcher de pouffer de rire, tout en rangeant peu à peu ses tupperwares et ses saladiers, maintenant complètement vides. Il n’était pas peu fier du succès de ses plats, et il espérait que ça ne change pas de sitôt. « Techniquement parlant, tu vas juste m’accompagner. Mais c’est vrai que c’est si joliment dit de ta façon. » Ils n’eurent pas tellement le temps de rebondir dessus, parce que tout le monde commençait à se dire au revoir. Tout le monde semblait avoir pu trouver son compte, et il avait bien hâte de tous les revoir le mois d’après.

Les deux amis marchaient en direction de la voiture, Seung-Jin gardant une Eggsy heureuse mais sûrement bien fatiguée dans ses bras. « Elle a vraiment l’air d’avoir aimé. Finalement, je crois que ça me dérange pas d’être membre officiel de la secte des poules. » Leonardo baissa doucement la voix, histoire de la taquiner encore un peu sur la frayeur qu’ils avaient eu avant de découvrir que ça avait été bien inutile de se tracasser avec ça. « C’est vrai, elle a l’air bien plus contente que ce matin. Et finalement, on n’a même pas eu besoin de dire kiwi. Comme quoi… » Assez vite, il se retrouva avec Eggsy sur les genoux ; même s’il y avait déjà eu droit à l’allée, il était tout de même un peu nerveux, et il espérait bien qu’elle n’ait pas une soudaine envie de le picoter de partout. « C’est correct si je te ramène tout de suite chez toi ? Je t’aurais bien proposé qu’on aille encore quelque part, mais je bosse ce soir et faut que je dorme avant… » Il haussa les épaules, montrant que ce n’était pas gênant pour lui. Il comprenait bien que les horaires de Seung n’étaient pas des plus pratiques, et il n’allait pas le fâcher d’avoir envie d’être en forme pour son travail. Et puis, ça allait lui faire bien de se reposer à lui aussi, même s’il ne comptait pas sortir de la nuit, bien au contraire. « T’en fais pas. Si t’avais pas proposé de le faire je t’aurais engueulé de toute façon. C’est important le sommeil, t’sais. » Même si le travail de nuit devait sûrement jouer un rôle, son petit doigt lui disait qu’il n’y avait pas que ça derrière sa fatigue, et il se promit de garder un œil plus attentif sur son ami, histoire de vérifier que tout allait bien. Assez rapidement, ils arrivèrent au niveau de son immeuble, qui n’était en fin des comptes pas trop éloigné de Kangaroo Point. Après lui avoir caressé la tête en guise d’au revoir, Leonardo posa la poulette à sa place, fermant la porte avant qu’elle n’ait eu le temps de partir – non pas qu’elle en ait eu envie, visiblement. Il passa sa tête par la fenêtre ouverte, avant de s’adresser une dernière fois au Lee. « Essayer de bien dormir avant de partir. Et fais gaffe en rentrant, promis ? » Il agissait peut-être comme un père sur-protecteur, mais il comptait bien trop sur ses amis pour ne pas s’en soucier. Après un dernier au revoir, il disparut dans son immeuble, comptant déjà les jours jusqu’à la prochaine rencontre de l’adorable secte des poules.