nice'n'easy Life is good and that's the way it should be ∆ ∆ ∆
Les fêtes étaient définitivement les moments où Kelly était déchaînée. Et par déchaînée, entendez que la jeune femme en faisait plus que d'habitude, pour ne pas dire qu'elle en faisait des caisses, en matière de décoration, nourriture et activités entre amis. Impossible de ne pas remarquer sa maison à des kilomètres à la ronde dans Logan City, et quelques voisins lui avaient tout de même demandé de, s'il vous plaît, éteindre les guirlandes lumineuses, clignotantes, les rennes, l'igloo, le pingouin, l'ours blanc en LED, histoire de leurs chambres ne soient pas éclairées de nuit comme en plein jour. Et bien que cela lui brisait le coeur à chaque fois, Lee avait docilement éteint ses décorations extérieures tous les soirs à partir de vingt-deux heures. Votre imagination suffit sûrement à vous donner une idée du christmas spirit que dégageait chaque pièce de la maison, mais non ; non vous ne pouvez pas vous figurer seuls Rudolph vous souhaitant la bienvenue sur un tapis dans l'entrée, le houx qui ornait toutes les portes, cadres photos, miroirs, la collection de santons sur les étagères, la grande crèche sur le buffet, les plaids assortis aux motifs adéquats, le chapeau de lutin sur la tête de Tobey le Beagle, les bougies aux senteurs de cannelle et de vin chaud qui donnaient l'impression de vivre dans une maison en pain d'épice, et bien sûr, le clou du spectacle, ce sapin touchant le plafond, décoré comme s'il sortait d'une vitrine, suivant tous les ans un thème précis, et le tout, bien entendu, selon un code couleur prévu des mois à l'avance. Rien au monde ne pouvait arracher l'esprit de Noël du coeur d'enfant de Lee. Elle aimait Noël, elle vivait Noël, elle respirait Noël et transpirait Noël par tous les pores de sa peau. Elle en avait été privée une grande partie de sa vie ; en accord avec leurs croyances, ses parents ne le fêtaient pas. Pas une décoration, pas d'arbre, pas de cadeaux. Si son Père et sa Mère lui demandaient, elle répondait que non, elle ne le célébrait toujours pas, elle non plus, quelle idée, franchement, voyons. Pour cette raison, malheureusement, Kelly n'avait pas les chance de passer les fêtes en famille. Tous les ans, elle chassait cette solitude en compagnie d'autres malchanceux, et sa table, fastueusement ornée et débordante de petits plats concoctés tout l'après-midi durant, accueillait la famille que l'on se choisit ; ses amis. Elle adorait chacune de ces traditions qui s'étaient faites une place dans sa vie avec le temps, et elle savait que sans elles, elle serait perdue. Les fêtes de fin d'année étaient toute la magie dont elle avait besoin, ce truc en plus qui, pendant deux semaines, une fois par an, lui donnait l'impression d'être plus qu'une coquille vide trop pensive.
Il y eut quelque chose en plus cette année-là. Un texto. Sa cousine, Leena, qui lui proposait de se voir et de profiter des festivités proposées par la ville pour passer un moment ensemble, en famille. Kelly n'eut pas à y réfléchir une seule seconde et le rendez-vous fut donné en moins de deux. Et elle avait le coeur gonflé de joie comme rarement à l'idée de renouer avec une personne qui lui était cher. C'était, à ses yeux, son petit miracle de Noël de l'année, et le plus beau cadeau qui puisse tomber du ciel. Néanmoins, le jour J, cela ne l'empêcha pas d'avoir une véritable crise d'angoisse, là, assise sur son lit où elle avait étalé quasiment la totalité de sa garde robe à la quête de la tenue idéale, morte de peur à l'idée d'en faire trop, pas assez, d'être moins jolie de sa cousine, ou trop jolie ; elle se rongeait les ongles, bousillait sa manucure, et cela l'angoissait plus encore. Une bonne heure fut nécessaire afin qu'elle se sorte de ce tourbillon intérieur. Le maquillage fut beaucoup moins périlleux, et malgré tout, la jeune femme quitta son chez elle à l'heure. Sur place, elle fut entièrement absorbée par les décorations, les lumières et les installations qui rendaient les lieux si magiques ; absorbée par son téléphone aussi, et les rafales de photos qu'elle prenait afin de s'en inspirer pour l'année prochaine. Il manqua de lui glisser des mains lorsque le vibreur s'enclencha tout à coup, le nom de Leena apparaissant sur l'écran, et Kelly jongla avec l'appareil comme avec un bout de savon mouillé pendant quelques secondes avant de parvenir à le caler maladroitement sous son oreille, assez certaine d'avoir failli renverser le verre de quelqu'un au passage. « Allô ? Oui, je suis à l'entrée de l'espace jazzy, avec des fauteuils et tout. Il y a un peu de queue, mais c'est bientôt mon tour, je nous prendrai une table. Où tu es ? » Embouteillages, trafic, beaucoup de circulation et d’affluence dans le coin à cause de l'événement, pas de places où se garer, la cause habituelle de retard en soi, et Lee n'était ni surprise ni vexée. Elle se contenta d'être patiente et de demander une table pour deux, comme prévu, puis elle passa le temps en pianotant sur son écran, en descendant infiniment et indéfiniment bas dans ses fils d'actualités, likant compulsivement toutes les publications au passage afin qu'on lui rende la pareille lorsqu'elle posta à son tour une photo des lieux. Elle débouta le serveur qui vint lui demander si elle avait choisi, car non, Kelly n'était pas capable de se décider parmi tous les cocktails proposés, et elle préférait attendre Leena, non seulement par politesse, mais aussi pour se contenter d'un « comme elle » au moment de la commande.
Noël en famille : l'horreur sur terre, ni plus ni moins. C'était tellement plus facile, à Londres, loin de tout : Leena faisait d'immenses fêtes avec ses amis, était invitée dans les familles des uns et des autres, et on lui servait d'ailleurs toujours les menus traditionnels pour faire découvrir à la petite Australienne loin de chez elle les merveilles de la culture britannique. Fait qui était devenu une blague récurrente dans son groupe d'amis, Leena finissait toujours, lors de ses soirées, par verser des larmes d'émotions, tant la façon dont les gens l'impliquaient et la faisaient se sentir chez elle, redoublant d'efforts rien que pour elle, la touchait. Elle avait de toute façon la larme facile — l'alcool n'aidant en rien sa sensibilité bien prononcée. Il y avait eu parfois, au début, des questions du genre mais tu ne rentres pas chez toi pour les fêtes ? car on lui connaissait des parents, là-bas, en Australie ; elle les évitait toujours, disait oh non, se mettait à rire pour autre chose, changeait habilement de sujet. Oh non. Sûrement pas. Aujourd'hui, c'était une autre histoire : la proximité rendait la fuite impossible, et quand Leena s'en rendit compte un matin en s'éveillant, elle fut bonne pour une crise de panique comme elle en avait à répétitions, imaginant absolument tout, du pire à l'inimaginable, clouée dans son lit à essayer de respirer calmement. La journée se solda par un échec total : elle ne put rien avaler à part du thé, tout lui donnait la nausée, et les quatre bijoux qu'elle devait terminer restèrent en plan, tandis qu'elle réussit à peine à faire une lessive, seule action du jour. Pathétique. Mais cela la dépassait complètement : c'était plus fort qu'elle. La perspective de devoir passer du temps avec ses parents et de fêter quelque chose, quand l'un était devenu l'ombre de lui-même et n'attendait les repas que pour boire, sans dire un mot, quand l'autre était bloquée en arrière, dans le passé, ne vivait que pour ce fils disparu sans accorder la moindre importance à sa fille, toujours présente, à part pour lui lancer des piques sur, au choix : son apparence/son poids/son métier/son célibat... était quelque chose de particulièrement éprouvant. Le seul point positif de cette journée se résuma en un prénom, qui émergea à l'esprit de Leena : Kelly. Sa cousine, toujours à Brisbane, à qui elle n'avait pas encore fait signe — pas par manque d'envie mais de temps, parce qu'elle s'installait peu à peu et reprenait ses marques. Se jetant sur son téléphone, elle lui envoya un message immense (pardon de pas t'avoir prévenue plus trop, super envie de te voir, comment tu vas, viens on va se promener, tu me maaanques ma cousinette) ponctué de !!! un peu partout et de smileys (essentiellement mignons). Pour des raisons très différentes, Kelly était aussi à l'écart de sa famille, et si Leena avait toujours été proche d'elle car elles avaient presque le même âge et avaient grandi ensemble, le temps et leurs situations familiales bancales les avaient encore plus rapprochées.
Le jour du rendez-vous, il faisait un temps splendide et Leena s'amusa beaucoup à se préparer, revêtant une robe d'un rouge vif ornée de quelques détails dorés, ondulant ses cheveux, choisissant des taons confortables qu'elle noua autour de ses chevilles. En guise de bijoux elle mit une simple chaîne en or mais un bracelet manchette épais et orné de petites pierres, qu'elle avait fait d'ailleurs pour sa collection spéciale fêtes de fin d'année. Puis elle attrapa son sac et s'assura que le cadeau pour Kelly y était bien, et sortit par la porte de derrière pour prendre son vélo au passage. C'était son mode de transport préféré avec le skate, mais sa tenue ne lui permettait pas ce soir d'utiliser sa planche ; tranquillement elle se mit en chemin, en direction du point de rendez-vous. Elle était d'humeur plutôt légère — voir Kelly lui faisait énormément plaisir et elle avait une foule de choses à lui raconter, même si elle voulait faire attention que Kelly soit bien à l'aise aussi et puisse lui parler de tout et de rien — bien qu'une ombre plane au-dessus de ses pensées, sans qu'elle parvienne à la chasser. Cette ombre c'était évidemment leurs casseroles familiales, les choses dont on ne veut pas trop parler (pourquoi ce retour, Rhett, etc) mais qu'on sait devoir aborder à un moment ou à un autre, et le mal qu'on a à leur faire face. Mais après tout c'était la période de Noël, et Leena était bien décidée à garder le moral.
Alors même qu'elle se félicitait d'avoir pris son vélo au vu des embouteillages sur la route, un homme garé le long du trottoir sortit trop brusquement de sa voiture et elle dut freiner en urgence, mais son pneu heurta le trottoir et le bruit sec indiqua que la chambre à air avait cédé — ce qui la laissa dans un état de nerfs entre l'énervement et la lassitude ; pourquoi fallait-il toujours que ces choses-là arrivent quand on était pressé ?! Elle appela Kelly tout de suite — c'est long, y'a des embouteillages, pas de bus, mon vélo a crevé, blablabla J'ARRIVE AU PLUS VITE — et enchaîna son vélo à un poteau avant de finir à pieds, elle n'était plus très loin heureusement. Elle se dirigea vers l'endroit qu'avait indiqué sa cousine, marchant d'un bon pas, se délectant des décorations en même temps ; elle était déjà venue ici pour faire un shooting et ne se lassait pas des jeux de lumière, des ambiances, de l'esprit festif qui lui réchauffait le coeur, quelque part. Enfin elle apperçut Kelly, installée à une table, et finit les quelques mètres qui les séparaient en courant. « Kellyyyyy ! Oh je suis trop désolée, c'était l'enfer avec tout ce monde, heureusement je n'étais pas loin quand j'ai crevé ! Je suis trop contente de te voiiiiir ! » Tout sourire, elle avait pris Kelly dans ses bras pour la serrer contre elle, avant de se laisser tomber sur la chaise, un peu essoufflée. La carte des boissons était posée devant elle, elle y jeta un coup d'oeil. « C'est hyper joli ici hein ? J'étais sûre que ça te plairait ! Tu étais déjà venue ? Moi je peux te dire que ça me change de l'esprit londonien, il faisait pas loin de trente degrés de moins... » Elle se mit à rire, toute heureuse d'être enfin avec sa cousine. Le serveur arrivait vers elles pour prendre leurs commandes, et Leena prit les devants, connaissant les habitudes de sa cousine, qui préférait suivre le mouvement que le lancer : « On va prendre deux cocktails spécial Noël, ils ont l'air cool ! Merci ! » Un regard vers Kelly avait suffi pour avoir son accord. Leena sortit alors un petit paquet de son sac — il contenant un collier et une bague qu'elle avait confectionnée pour sa cousine, dans les tons qu'elle aimait et avec des tous petits motifs de flocons pour rappeler cette période qu'elle aimait, ainsi qu'une petite boule à neige rapportée de Londres — et le posa sur la table. « Tiens ! Oh là là, j'adore ta tenue... C'est encore toi qui l'a faite, hmm ? » Du bout des doigts elle toucha le tissu, admirant la création. « Alors dis-moi, comment tu vas et comment ça se passe ces derniers temps ?? Le boulot et tout ? Avant que je me mette à trop parler comme d'habitude et que tu puisses pas en placer une... » conclut-elle avec un éclat de rire. Heureusement que Kelly était là pour lui rappeler que la famille n'avait pas que des mauvais côtés.
Dernière édition par Leena Scofield le Sam 27 Jan 2018 - 1:37, édité 1 fois
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Alertée par le claquement hâtif de petits talons entre les fauteuils et les tables, la brune releva les yeux de son téléphone et aperçut la silhouette de Leena accourir vers elle. Rapidement, elle quitta son siège afin de réceptionner la jeune femme dans ses bras. Il y avait entre elles un écart de taille considérable, si bien que Kelly eut à courber le dos pour offrir une accolade dans les règles à sa cousine. Elle avait toujours l’air d’une géante à côté d’elle, mais Leena était un petit modèle à hauteur d’épaule de la plupart des gens. Ce qui ne l’empêchait pas d’avoir bien plus de prestance que la majorité d’entre eux. Il fallait dire que son sourire et ses grands yeux y étaient pour quelque chose, de même que cette gentillesse qui émanait d’elle et que Kelly lui enviait, elle qui ne savait que feindre ce genre d’aura. A côté d’elle, bon nombre de ses faussetés lui paraissaient mises en lumière tandis que Leena avait le don de l’éclipser avec une facilité naturelle. Elle savait que cela n’était pas son intention, mais elle le constatait. Sa cousine était tout simplement plus belle qu’elle sous toutes les coutures, et Lee avait appris à s’en accommoder sans s’encombrer de jalousie. Il n’y avait jamais eu d’amertume entre elles, jamais de grosses disputes. A dire vrai, de toute sa famille, peut-être que Leena était celle qui saisissait le mieux Kelly. « Moi aussi, je suis si heureuse ! » répondit-elle alors le plus sincèrement du monde, elle qui savait si bien avoir l’air enthousiaste pour chaque rencontre sans que cela ne soit forcément vrai ; pour sa cousine, cela l’était forcément. Elles prirent chacune place autour de la table et la jeune femme fit mine de consulter une énième fois la carte de cocktails alors qu’elle n’attendait que Leena ait fait son choix. Pendant ce temps, elle approuva son choix de lieu pour ces retrouvailles familiales ; sous le charme de l’ambiance, du décor, elle trouvait que le tout avait un côté féerique qui se prêtait fort bien au moment. « C’est adorable, oui. Je savais que la ville organisait quelque chose, mais je n’y avais pas encore jeté un œil. Maintenant je me dis que ça aurait été vraiment dommage de rater ça. » Dommage pour elle, et dommage pour son Instagram. Sans au moins une photo de cet endroit, pour quel genre d’habitante serait-elle passée auprès de ses abonnés ? Kelly eut un petit sourire amusé à la remarque de Leena sur l’hiver européen. Elle se demande intérieurement si elle arriverait à se faire aux Noëls enneigés, et se dit rapidement que oui, car partout où se trouvait l’esprit de Noël, elle était capable de se sentir chez elle, que ce soit sous la neige ou sur le sable, devant une fondue ou un barbecue. La commande de boissons fut passée pour elles deux et Lee eut cette profonde gratitude pour sa cousine qui n’avait pas eu besoin de lui demander son avis pour savoir d’avance qu’elle préférait se reposer sur les choix d’autrui. Une preuve supplémentaire qu’elle la connaissait par coeur, ce qui avait quelque chose de particulièrement réconfortant. Kelly savait faire fi des airs estomaqués de ceux qui ne comprenaient pas qu’il soit possible de ne pas savoir mettre des mots sur ses propres goûts et savait balayer toutes les questions insistantes par bon nombre de pirouettes qui lui permettaient d’éviter des « je ne sais pas » mal à l’aise. Oui, elle avait appris à contrôler toutes les situations afin que les zones vides de son caractère soient bien dissimulées, mais avec Leena, c’était une pression dont elle pouvait libérer ses épaules pour quelques heures. Celle-ci déposa un paquet sur la table -un cadeau- et s’empressa de complimenter la robe de Kelly avant que celle-ci ne puisse se pencher sur ce présent. Elle eut un petit rire nerveux, comme à chaque fois que l’on se penchait sur ses humbles créations. Il était rare qu’elle admette qu’une tenue avait été confectionnée par ses propres mains. « C’est gentil. Je suis passée devant ce tissu un jour et je trouvais la couleur plutôt jolie. Je n’étais pas convaincue par les manches, mais si tu penses que ça fait bien... » C’étaient pourtant des manches courtes tout ce qu’il y avait de plus simple, un brin bouffantes, ce qui lui avait fait craindre d’avoir une carrure de catcheuse en comparaison avec ses mollets de poulet. Depuis que Leena avait validé, donc à l’instant, elle avait alors décrété que la robe n’avait pas de défauts et qu’elle l’aimait tel quel. Pendant que sa cousine continuait de dominer le temps de paroles, Kelly s’était enfin penchée sur son cadeau. Elle avait commencé à défaire le paquet avec bien trop de méticulosité, cherchant les bouts de scotch et essayant de les décoller du bout des ongles sans rien abîmer. « C’est parce que tu as plus de choses intéressantes à raconter que moi et que j’aime t’écouter en bonne fan numéro un. » répliqua-t-elle avec un sourire, malgré toute la concentration nécessaire au déballage du paquet. La brune n’aimait pas spécialement parler d’elle et, en effet, estimait avoir peu ou pas de sujets intéressants à aborder. Son travail n’avait pas changé, ses clients étaient ravis, elle savait qu’elle était bonne à ce qu’elle faisait et, étrangement, pour tous les rares domaines dans lesquels elle avait un brin de talent, Kelly n’aimait pas s’étaler dessus. Mais elle ne voulait pas se plaindre non plus, trouvant la pratique peu élégante. « Je vais bien. C’est mon premier Noël de célibataire depuis… longtemps. » Cela lui pesait plus qu’elle ne pouvait l’admettre et elle ressentait quelques difficultés à s’adapter à la vie après le divorce. « Je compte préparer une petite fête entre amis, pour ceux qui ne font pas Noël en famille pour X raison. Tu pourras venir si tu veux. » reprit-elle, trouvant son compte dans sa situation, comme à chaque fois. Enfin, elle arriva au bout de l’emballage de son cadeau et pu dévoiler les bijoux que sa cousine lui avait crées de ses propres mains ainsi que la boule à neige -un peu kitch mais adorable. Elle eut un sourire touché et souffla ; « Oh, Leena, c’est si joli... » Naturellement, elle se pencha au-dessus de la table afin de déposer un baiser sur ses joues roses. « Merci beaucoup, tu es un amour. » Sans plus attendre, elle enfile la collier et la bague, estimant que le tout s’accommodait plutôt bien avec sa tenue et que cela ferait sûrement plaisir à Leena de voir le résultat porté. Aussi, elle se prit au jeu de quelques poses aux moues exagérées lorsqu’elle lui demanda ; « De quoi j’ai l’air ? Une princesse, n’est-ce pas ? » Kelly, en tout cas, conféra immédiatement à ces bijoux une grande valeur sentimentale, comme tous ceux que sa cousine avait fait pour elle et qu’elle chérissait beaucoup. Puis elle se pencha vers son sac et tendit à son tour un paquet à Leena. Sans surprise, il s’agissait d’une robe, mais Kelly avait passé bien des heures à broder fleurs sur le jupon et perles sur le buste afin de créer quelque chose qui sortait de ses standards habituels -un défi en quelque sorte, pour une tenue de plus haut standing. « Tiens, à ton tour. »
Les choses avaient toujours été simple avec Kelly. C’était drôle en un sens, « simple » n’était pas l’adjectif qui qualifiait leur(s) famille(s), elles étaient peut-être propres sous toutes les coutures, mais ça restait en surface. Kelly avait toujours été la petite fille parfaite et pour quelqu’un de complexé comme Leena, les rapports auraient pu être difficiles, mais il n’en était rien. Il y avait quelque chose d’idéal chez Kelly, cette platitude qui semblait la caractériser, Leena l’avait toujours trouvée apaisante et motivante, parce qu’elle donnait envie de faire un pas vers la perfection. Elle se souvenait de la petite fille qu’elle était, trop ronde et trop bavarde et trop maladroite parfois, à essayer d’être parfaite pour plaire à ses parents – Kelly de son côté suivait son chemin, comme si rien ni personne ne pouvait l’entraver, et Leena trouvait toujours qu’il était plus simple de respirer à ses côtés. Rien n’était compliqué. Avec les années, bien sûr, elles avaient évoluées – Kelly avait été là au moment de la disparition d’Adam et puis Leena était partie loin, il y avait aussi eu le difficile cape de l’adolescence, le harcèlement de Leena, et combien de fois s’était-elle rendue de compte de la taille de mannequin de sa cousine quand elle luttait contre les petite grosse et les sale moche qui lui tombaient dessus ? Mais malgré tout cela, Kelly n’y était pour rien, et Leena était trop loyale. La loterie de la vie ne faisait jamais trop de cadeaux, elle avait fini par l’accepter sans en être énervée à chaque fois.
Faisant glisser ses doigts sur le tissu de la robe et les coutures des manches, Leena se perdit un instant dans l’étude du vêtement, toujours parfaitement exécuté évidemment. « Il est vraiment beau, oui. Et puis tu vois, justement, le détail des manches est bien trouvé ! Si tu ne les avais pas fait bouffer un peu ça aurait manqué de volume, là ça met bien le buste en valeur. » C’était toujours un peu drôle cet effet miroir entre elle, Leena la créatrice de bijoux qui n’osait pas se lancer ouvertement dans la création de vêtements, et Kelly toujours sur la retenue à propos de ce qu’elle confectionnait et qui méritait le coup d’œil. Leena lui lança un petit sourire complice sans s’épancher sur le sujet. On leur apportait leurs cocktails, et Leena attrapa son verre pour trinquer avec sa cousine. Elle ne put s’empêcher de sourire – qui était réellement la fan numéro un des deux finalement ? – et posa une seconde sa tête sur l’épaule de Kelly. « C’est pas parce que tu es restée ici que ta vie ne m’intéresse pas pour autant, Lee ! » Fait étrange, on surnommait peu Leena Lee dans leurs familles, c’était Kelly qui en avait hérité ; pour tout le monde Leena avait gardé son surnom de Baby, que son père lui avait donné depuis qu’elle était petite. Avec le temps et en évoluant dans des sphères bien différentes, Leena s’était rendue compte que les gens avaient tendance à l’appeler Lee naturellement, et cela lui faisait toujours un peu bizarre, car elle ne se reconnaissait jamais et pensait toujours à sa cousine. « Oh… Je vois. C’est jamais facile le moment des fêtes. Mais ton moral, ça va quand même ? Oh oui c’est une super idée, j’aimerais trop venir !! J’ai cru comprendre que Papa et Maman s’imaginaient que j’allais le passer avec eux parce que j’étais revenue à Brisbane mais… Aucune envie. Tu imagines l’ambiance… » Elle haussa les épaules. Pas de besoin de faire un dessin à Kelly, elle savait bien. Les rapports entre Leena et sa mère n’avaient jamais été simples, et l’alcoolisme de son père n’était un secret pour personne, il était l’ombre de lui-même et semblait continuellement englué dans une tristesse sans nom. « Tu crois que je pourrais venir avec Tess ? Et… Et Rhett si il veut ? » Elle se sentit rougir, coula un regard vers sa cousine, éclata de rire. « Oui, bon, je sais, c’est compliqué avec lui, je te raconterai. » Ce n’était peut-être pas le meilleur moment de lui étaler ses questionnements de cœur sous le nez alors que Kelly souffrait de sa solitude. Heureusement, l’ouverture des cadeaux lui permit ce rebondissement. Ravie que la bague et le collier lui plaisent, Leena sortit son téléphone pour immortaliser le moment et photographia Kelly sous son meilleur profil : « Une vraie princesse !! » Ce fut à son tour ensuite d’ouvrir le paquet, chose qu’elle fit avec beaucoup moins de méticulosité et beaucoup plus d’empressement que sa cousine. Les yeux brillants, elle déplia la robe et la fit pendre devant elle, sans retenir des petits wouaaaah d’admiration et d’excitation. « Mais c’est tellement joli ! Oh là là, ces perles, ça a du te prendre un temps fou… C’est magnifique, j’adore, c’est chic en plus, je sais déjà quand je vais la mettre, je dois rencontrer des jeunes créateurs pour le boulot, je vais être au top… Merciii ! » Elle se jeta sur Kelly et la serra dans ses bras pour la remercier, aux anges. « J’avais peur de perdre un peu de toute la vie trépidante de Londres en matière de création et de nouvelles lignes, mais je me suis inscrite à une newsletter pour les jeunes créateurs dans l’art en Australie, et ça m’a mis en contact avec plein de gens dans la région ! Je suis contente. J’ai déjà presque trouvé des collaborations pour mettre mes bijoux en avant dans quelques boutiques, c’est cool non ? » Elle but une nouvelle gorgée de son verre, replia la robe avec soin et la glissa de nouveau dans son papier, non sans difficultés, puisqu’elle l’avait pas mal déchiré. « Bon, et comment va Tobey ? Et laisse-moi au moins te poser des questions à ton boulot, puisqu’il faut te tirer les vers du nez » (elle rit gentiment, juste pour la taquiner) « tu connais des nouveaux vins intéressants ? Tout se passe bien avec tes clients ? Rien de neuf chez Sirromet ? »
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Leena était la bouffée d'air frais dont elle avait besoin, elle en fut totalement convaincue à peine la conversation engagée. Il n’y avait pas de rôle à jouer avec cette cousine qui la connaissait sur le bout des doigts, et seulement des sourires à échanger, de l'énergie à partager. La petite brune savait comment parler à Kelly, comment rassurer chaque insécurité, comment la faire parler d'elle et lui inspirer de l'intérêt pour tout ce qui lui passe habituellement bien au-dessus de la tête. La jeune femme se reposait beaucoup sur elle, il est vrai. Sur ses avis, sur ses regards, tout ce qui comptait pour elle. Leena était une forme d'exemple, le genre de personne que Lee aspirait à être, ou en tout cas paraître. Sorte d'objectif inatteignable qu'elle effleurait du bout des doigts. Son approbation d'un simple détail du quotidien avait plus de valeur que le jugement de quiconque, et si elle disait que les manches de sa robe allaient, alors les manches allaient. Elle aimait déjà un peu plus sa tenue, de fait. “Mon moral va très bien, ne t'en fais pas.” rassura-t-elle sa cousine, omettant au passage de mentionner ses journées de léthargie avec Tobey et un pot de glace devant “Les choix de l’amour”, et sa pratique de la pâtisserie tournée à l’obsession qui finira bien, un jour, par lui coûter une taille de pantalon. Kelly n’allait pas parfaitement bien, mais il y avait toujours pire, et elle n’aimait pas se plaindre, pas du tout. Encore moins à cet instant. Elle savait que si elle avouait la pointe de mal-être qui la touchait depuis la signature du divorce, Leena serait une oreille attentive et une bonne épaule pour elle. Pas un instant ne doutait-elle de sa fiabilité de leur fibre familiale. Néanmoins, Lee ne voulait pas faire tourner la conversation autour d’elle, encore moins autour de sujets déprimants. ce dont elle avait besoin, c’était de songer à autre chose, et non de ressasser. Elle se montrait positive, optimiste, comme toujours et ce même dans les pires moments. Le dîner de Noël à venir, qu’elle organisait, était un excellent moteur et gardait son esprit occupé de même que ses dix doigts. Elle espérait offrir une belle soirée, s’entourer d’autant de monde que possible, et remplir son salon et son ventre faute de pouvoir remplir son coeur. Leena accepta l’invitation à se joindre à elle ce jour spécial, surtout pour échapper à sa famille, ces parents qui vivent dans le passé et s’éloignent de plus en plus des aspirations de leur fille. Une tragédie, oui, un gâchis de ce portrait de famille si épanouie, brisée en un claquement de doigts. Lee acquiesça, elle comprenait, et à ses yeux Noël était trop important pour véhiculer autre chose que des émotions positives. Avec sa cousine, elle savait qu’elle passerait un bon moment, et à elles deux elles feraient de cette nuit quelque chose de bien. Celle-ci demanda à être accompagnée de Rhett, et immédiatement Kelly arqua un sourcil curieux. “Et je veux tous les détails.” spécifia-t-elle, trépignant déjà d’impatience. Car s’il était une chose qu’elle aimait plus que les dramas télévisés, c’étaient les Feux de l’amour en direct live au sein de son propre entourage. Cela lui donnait l’impression d’avoir un rôle dans quelque chose de grand, même si cela n’était que de la figuration ; elle faisait partie de l’histoire, elle la voyait, la vivait, et en témoignerait plus tard à qui voudra l’entendre -et même qui ne le voudra pas. “Mais bien sûr, emmène qui tu veux, c'est open christmas.” Lee se félicita de son jeu de mot et observa sa cousine terminer de déballer son cadeau. Elle prit cet air modeste et humble, un brin timide qu’on lui connaissait bien, celui de celle qui sait parfaitement qu’elle fait des miracles mais qui s’en étonne lorsque d’autres les soulignent. Elle n’était pas fausse, pas à ce point, mais elle ne s’envoyait pas de fleurs, jamais. “Oh, ce n’est rien, ça m’a bien occupée quelques temps c'est tout, et je voulais m'essayer à quelque chose de nouveau. Je suis contente qu'elle te plaise.” Encore une fois, la jeune femme ne mentionnait pas toutes les piqûres d’aiguille à coudre, toutes les fois où elle avait recommencé un motif, ni le nombre de jurons qu’elle avait lâché tandis qu’elle se promettait de ne plus jamais tisser de perles de sa vie -rapidement raisonnée par le résultat sur la robe dont elle fut étonnement satisfaite. Leena était enthousiaste, il ne lui en fallait pas plus. D’une certaine manière, il semblait que cette tenue rimait avec succès. La petite brune se voyait déjà époustoufler ses prochains partenaires de business. “C’est super ! Bientôt les célébrités tomberont sous le charme de tes créations, puis l'un d'eux tombera sous ton charme et tu deviendras une célébrité à ton tour. Fortune, gloire, et tout ce qui s'en suit, et tu n’auras plus le temps de voir ta chère cousine.” Elle fit la moue, comme si tout ceci était demain, comme si c’était la dernière fois qu’elle voyait Leena, puis elle lâcha un petit rire, consciente d’en faire trop, d’aller trop loin trop vite. Elle ne songeait pas vraiment à Rhett dans ses paroles, elle n’avait jamais donné beaucoup de crédit à cette relation entre lui et sa cousine, quand bien même tentait-elle de se montrer pleine de soutien. Elle se gardait de donner tout son avis sur la question, bien trop affirmé pour quelqu’un qui ne connaissait cet homme ni d’Eve ni d’Adam, ou encore pour une femme n’ayant jamais rien ressenti d’amoureux pour qui que ce soit. Au final, tout ceci la dépassait de loin, et tout ce qu’elle souhaitait, c’était que Leena ne se brûle pas. Elle avait ce côté maman poule, et peut-être que les enfants qu’elle n’aura jamais se félicitent de ne pas avoir à subir cela. Elle se rabattait sur son chien. “Tobey se porte comme un charme. Tu sais, il n’est plus tout jeune, mais il reste encore un chiot dans sa tête parfois. Et son dernier check-up était bon, alors je pense qu'il va me supporter encore quelques temps.” Les papouilles à profusion, la gamelle constamment pleine, les longues balades dans le parc en bas de la rue ; oui, la vie de Tobey était difficile. Leena continua d’insister à ce que Kelly se livre un peu plus à propos de son quotidien, et sachant parfaitement que son travail était l’un des rares sujets pour lesquelles celle-ci avait une vraie passion, c’est à ce propos qu’elle l’interrogea. Lee se demanda s’il arrivait à sa cousine d’être moins adorable, juste une seconde par jour dans sa vie, histoire qu’elle puisse lui trouver l’ombre d’un défaut. Mais elle ne parvenait même pas à l’accuser de faire semblant de s’intéresser au monde du vin dans lequel elle baignait tant elle semblait sincèrement curieuse. “Si tu insistes. J'ai quelques nouveaux clients, pas mal de restaurants ouvrent en ce moment et ils ont tous bien besoin de conseils. Comme un par exemple, dont je ne peux pas te dire le nom mais il est sur Grey Street, qui allait proposer du merlot de Californie pour une carte de poissons. Tu imagines le désastre ?” Sûrement pas, mais Leena pouvait la croire sur parole, c’aurait été dramatique. “Anyway, j’essaye de me tourner vers des établissements qui ont un vrai intérêt pour ce que je fais, un peu plus classieux parfois. Pas juste ceux qui attendent que je leur ponde une carte des vins toute cuite dans les mains, même ceux-là paient le loyer.” A terme, le jeune femme souhaitait se dédier uniquement aux établissements de luxe, aux lieux qui rejoignaient ses exigences de princesse, et cette finalité ne lui paraissait pas totalement hors de portée. Comme elle disait toujours, le jour où les propriétaires l’appelleront au lieu qu’elle ait à composer leur numéro elle-même, elle aura réussi. “Oh, quand tu viendras, je te ferais goûter ce blanc sud africain que l’ami d'un ami m’a fait goûter. C'est comme boire du concentré de soleil, assez sirupeux et bourré d’agrumes, même la robe est d'un doré superbe, une merveille.” Et surtout, il se marierait si parfaitement avec le canard à l’orange qu’elle avait prévu de servir ce soir-là qu’elle en salivait d’avance. Maintenant que la curiosité de Leena devait être satisfaite, tandis que celle de Kelly grandissait de minute en minute suite à sa demande d’être accompagnée d’un plus un bien particulier, il était temps que les rôles s’inversent. Mais contrairement à la sa cousine, la jeune femme ne se contenta que d’une question, courte, concise, sa paille de con cocktail au bord des lèvres et le regard inquisiteur ; “Et alors… Rhett ?”
Aussi bien qu’elle connaissait sa cousine, il y avait toujours un moment où Leena ne savait plus sur quel pied danser : parfois Kelly était comme un petit bibelot très fragile et très délicat posé sur une étagère bancale. Leena voulait la pousser doucement pour la sauver de la chute mais elle ne savait jamais si c’était la meilleure chose à faire… Rester sans rien faire pour ne pas risquer de manquer son geste et de la faire basculer ? Ou bien agir et forcer le sort pour la sauver ? Kelly savait donner le change, à la perfection, parfois elle ne voulait pas s’épancher et Leena pouvait le comprendre, c’était une bonne tactique aussi de ne pas s’appesantir sur ce qui plombe, donner de l’importance à ses problèmes pouvaient parfois les amplifier. Mais chez Kelly ce mécanisme était quasi un réflexe, cela demandait en face une bonne dose d’analyse et de connaissance de sa personne pour savoir quelle attitude adopter. Leena lui coula un regard mi-compréhensif mi-interrogateur. Vraiment, tout allait bien ? Pas une ombre au tableau ? Elle en doutait, elle connaissait assez Kelly pour savoir que son divorce n’était en rien un soulagement. Mais elle ne poussa pas plus, du moins, pas pour le moment. L’instant était trop appréciable pour le gâcher en y allant trop fort et puis, les deux jeunes femmes avaient du temps devant elles, rien ne pressait. Leena savait très bien que les confidences soulageaient bien plus quand elles tombaient au moment où on le choisissait. Néanmoins elle se mit à rire devant la question empressée de Kelly et, rien que pour l’embêter un peu, fit un petit sourire mystérieux. Elles avaient ça, aussi, en commun : parler des histoires autour d’elles, entre les gens, des relations, et Leena adorait passer du temps avec sa cousine pour ça puisqu’elle savait pouvoir lui confier absolument tous les derniers détails de sa vie sociale. Puis les cadeaux vinrent un instant couper la discussion. Aux mots de sa cousine, Leena eut un petit sourire gêné, mais flatté. Elle dut retenir sa première réaction : jamais ce genre d’histoire ne pourrait arriver elle n’était pas de cette trempe-là, mais l’idée lui faisait chaud au cœur et la faisait rire. Les contes de fée de Kelly faisaient toujours envie, alors pourquoi s’empêcher de rêver ? En revanche au mot célébrité elle pensa évidemment tout de suite à Rhett – n’en était-il pas une après tout – mais ce qui déclencha évidemment sa réaction, c’est la fin de la phrase, et elle leva les yeux au ciel, faisant mine d’être énervée. « Je te signale que dans tout ça… Si je porte des tenues faites par tes soins, toutes les célébrités vont me demander qui m’habille ainsi. Ça va être la gloire et la fortune pour nous deux, ma chère cousine ! »
Parfois, évidemment, Leena se plaisait à s’imaginer qu’un jour sa marque serait connue, peut-être même qu’on la choisirait pour habiller et créer des bijoux pour telle ou telle personne, elle n’aurait plus à s’inquiéter d’un petit boulot à trouver à côté, elle aurait un vrai atelier à son nom, elle pourrait même former des gens pour l’aider dans ses créations, etc, etc. Depuis toute petite elle rêvait de ça, pas tant pour la gloire ou la richesse mais pour la réussite, pour se convaincre de son talent, et pour en convaincre les autres aussi. C’était comme si elle avait toujours en tête les regards désapprobateurs de sa mère lorsqu’elle évoquait son « travail » qu’elle dénigrait gentiment dès qu’elle le pouvait, qu’elle ne considérait en rien que sa fille avait un poste véritable et qu’elle pouvait décemment envisager de vivre de ses créations, sans rougir qui plus est. « Au moins, j’en connais une à qui ça ferait les pieds » ajouta-t-elle un peu plus maussade, et avec une colère perceptible, ce qui dénotait chez elle – toujours joyeuse, aimable, gentille, de bonne humeur. Puis elle haussa les épaules, sachant que Kelly comprendrait très bien à qui elle faisait référence et qu’elle ne s’en formaliserait pas. Il était toujours difficile pour Leena d’expliquer à son entourage la complexité de ses rapports familiaux.
Kelly parla alors un peu plus d’elle ; de son chien pour commencer, de son travail, tandis que Leena l’écoutait avec un intérêt véritable, même si elle ne comprenait pas forcément tous les détails de la chose. Elle ne s’en cacha pas en écarquillant un peu les yeux à propos du Merlot – il ne fallait pas, c’est ça ?... – mais fut en tout cas enchantée d’entendre les ambitions plutôt haut de gamme de sa cousine, qu’elle admira encore un peu plus. « Je suis sûre que ton expertise va te mener là où tu veux ! Ouah, ce serait la classe… Et évidemment pour ce nouveau vin, je suis trop curieuse d’essayer, même si je sais d’avance que je ne vais pas sentir la moitié des saveurs et que tu vas être blasée… » Elle se mit à rire de bon cœur. « Je te signale que moi mon truc c’est la bière alors pour le luxe on repassera ! » Pour le coup, elle était plutôt pas mal calée en bières et s’y intéressait d’ailleurs bien plus volontiers qu’en matière de vins. Et puis : Rhett. Le sujet tant attendu par sa cousine – que Leena faisait un peu traîner, à la fois par envie de suspens, mais aussi à cause d’un mélange d’anxiété et de pudeur. Elle reposa son verre et fit tourner la paille à l’intérieur du verre, sentant ses joues se parer de rouge et de chaleur. « Oh là lààà… » se maudit-elle à haute voix ; elle en avait marre de rougir à chaque fois et de se vendre ainsi aux yeux des autres. « C’est compliqué, accroche-toi. » Elle ne croyait pas si bien dire : littéralement accrochée à sa paille, Kelly la fixait de son regard intense et avide d’en savoir plus. Leena eut un petit sourire amusé. « Bon, tu sais bien que ça fait un an qu’il est rentré, après son accident. Pendant tout ce temps loin de lui j’ai carrément douillé, et je me suis un peu rendue compte que ce n’était pas que son amitié qui me manquait, tu vois. » Nouveau rougissement. « Du coup depuis que je suis revenue… Je sais pas, c’est bizarre. On s’est retrouvés comme si de rien n’était ! On est super contents de passer du temps ensemble, on fait plein de trucs, on va boire des coups, voir des matchs, on sort, on se balade, et souvent je passe la nuit chez lui… Vraiment, c’est comme avant. J’ai juste l’impression d’être beaucoup plus investie, et de lui dire des choses plus intimes, quand il me manque, etc. Mais Rhett… Ben c’est Rhett quoi, c’est un gros nounours adorable et plein de douceur, mais il n’est pas très expansif sur ce genre de choses, et sur ses sentiments. Résultat : je suis un peu perdue. Mais je ne suis pas malheureuse » ajouta-t-elle pour ne pas inquiéter Kelly. « Qu’est-ce que tu en penses ? » Un peu anxieuse, elle attendit l’avis de sa cousine qui pouvait parfois avoir des positions très tranchées. « J’ai quand même hâte que tu le rencontres, et si il cuisine comme un pied je sais d’avance que tu vas le conquérir direct avec tes petits plats ! »
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Ce repas de Noël était le grand projet du moment. Pas une chaise vide et surtout, pas un centimètre de table libre ; des plats à ne plus savoir par où commencer, de quoi boire pour tous les goûts, et bien sûr, une décoration impeccable. Kelly avait fait l'acquisition de tout le nécessaire, du chemin de table aux petites étoiles qui joncheraient la nappe, de nouvelles coupes de champagne, de jolis photophores. Aucune fausse note ne serait tolérée, supportée par ces nerfs qui donnaient l'air de pouvoir en supporter bien plus que cela n'était réellement le cas. Savoir que sa cousine ferait partie des invités mettait Lee particulièrement en joie, et tous ceux qu'elle souhaitait inviter à son tour étaient les bienvenus. Même Rhett. “Personne ne résiste à ma cuisine, ma chère.” répondit-elle, empruntant sans hésiter le détournement de sujet tendu comme une perche par Leena. Mais elle ne le connaissait pas et n'avait jamais soulevé particulièrement d'intérêt pour le garçon en lui-même plus que son impact sur la vie de la petite brune. Oh, souvent lorsqu'elle l'avait eu au téléphone à des heures indécentes depuis Londres, Kelly avait noté que sa cousine n'avait que ce prénom à la bouche. Et s'il était évident qu'il était ce qui la garderait en Angleterre aussi longtemps, voire indéfiniment, il s'était également révélé être l'un des facteurs de son retour au pays. Lee l'avait Googlé, une fois. Elle voulait mettre un visage sur le nom, se faire un premier avis. Elle avait parcouru les photos, les vidéos, en profondeur. Même s'il était connu que le profil en ligne d'une personne ne suffisait pas à la cerner, Kelly avait jugé qu'elle n'avait pas besoin d'en savoir plus. C'était un bel homme, elle en convenait. Le regard, le sourire étaient agréables. Autrement dit, elle comprenait amplement le béguin de Leena. Avec attention, comme toujours, elle l'écoutait la mettre à jour sur les nouveaux développements de cette relation, qui ressemblait de trop près à ce que Kelly avait déjà entendu de la bouche d'autres connaissances. Ce besoin d'engagement, d'officialisation, allant dans un sens unique. Une fille amoureuse, un garçon frileux, le tout ficelé approximativement souvent par des ébats satisfaisant partiellement les deux partis. Ce qui aboutit parfois sur une perte de temps commune de plusieurs années. Lee n’avait aucune connaissance en psychologie de quelque sorte que ce soit, mais elle savait lire les gens, avec bien plus d'aisance qu'elle ne pouvait se lire elle-même. Leena disait que tout allait bien ; ce que sa cousine voyait, c'était le regard qui se détournait, les épaules qui se haussaient, la résignation face au manque d'options, la peur du choix, du pas de trop qui ferait fuir son prince charmant. Kelly avait terminé son cocktail en attendant et jouait machinalement avec sa paille. “Tu sais, je ne sais pas si ce que j'en pense devrait vraiment compter. Et pour ce que je m'y connais en relations amoureuses…” Lee n'avait jamais eu confiance en son charme, elle n’avait jamais dragué, et pour le peu de fois où un représentant du sexe opposé lui avait plu, la honte de ses rougissements et de ses bégaiements la poussaient à garder ses distances et regarder d'autres tenter leur chance avec plus de courage qu'elle n'en aurait jamais. Elle savait qu'elle n'était objectivement pas laide. Il y avait pire. Et il y avait mieux. En cela il y avait une vérité pour Kelly ; elle était moyenne, en tout, et donc, invisible. “Au final, je n'ai quasiment toujours connu que Chad, mais je sais que ce n’était pas comme ce que les films décrivent, le grand amour qui soulève des montagnes. Il a toujours été mon meilleur ami avant toute chose.” C'était l'accord, cela leur avait convenu pendant des années. Jusqu'à ce que ça n'aille plus. “Je crois… que je n’ai jamais été amoureuse. Alors comment pourrais-je te conseiller ?” conclut-elle en haussant les épaules. Elle eut des béguins, des acteurs dont elle avait les posters, des boys bands qui l'avaient faite vibrer. Mais elle demeurait imperméable à la véritable passion qui rendait stupide, illogique et heureux. “Écoute ça, quelle égoïste je fais. On parlait de toi et Rhett, et voilà que je ramène tout à moi, je suis désolée.” Plutôt que de s'enfoncer dans sa chaise et ses épaules, la jeune femme se redressa et glissa ses cheveux derrière son oreille, comme à chaque fois qu'elle se réunissait afin de garder contenance, sa parfaite façade, balayant le reste d'un revers de la main comme si strictement rien n'était vraiment important la concernant. Elle reprit donc, à propos de sa cousine, pesant ses mots, les sélectionnant avec précaution, comme si elle n'avait pas le droit, comme si le chemin était pentu et la pente savonneuse. “Tout ce que j'en pense c'est que tu n’as pas l'air malheureuse, c'est vrai, mais ça n’a pas l'air de te convenir non plus, sinon tu ne serais pas perdue. Tu pourrais lui en parler, peut-être, je ne sais pas...” Parler est toujours le meilleur conseil, le plus facile aussi. Cela serait l'option que tout le monde choisirait si la manœuvre était facile. Mais cela demandait du courage, de se jeter à l'eau, de s'ouvrir et risquer de se prendre une porte sur le coin du nez. Kelly se trouvait donc de pauvre assistance, néanmoins elle avait confiance en Leena pour prendre soin d'elle-même et de son cœur, bien qu'à regarder autour d'elle, il semblait si simple d'offrir quelque chose d'aussi précieux que l'amour à n'importe qui.
Ça sentait les vacances et ça sentait l'été, cette petite soirée, dans cet endroit si féérique. Leena était encore réglée au rythme européen mais l'odeur de l'air et un petit quelque chose dans le fait d'être si tranquillement installées en terrasse à boire des cocktails lui rappelait immanquablement des souvenirs de l'époque où, adolescente, elle avait commencé à sortir, à s'aventurer hors de son cocon, à fuir d'ailleurs sa vie familiale. Comment oublier toutes ces premières soirées sur la plage avec Tess, celles qui leur avaient donné l'impression que tout d'un coup elles tenaient le monde au creux de leurs mains ? Malgré tout, malgré leurs histoires de vie et les épreuves qu'elles avaient traversé, il y avait toujours ces petits moments heureux et lumineux qui redonnaient le sourire à Leena et lui avaient permis de garder le cap depuis son adolescence. Il y en avait avec Kelly aussi, même si son voyage les avait séparées et qu'elle n'avait pas pu partager autant qu'elle aurait pu avec sa cousine - heureusement que la technologie permettait de garder le contact. Mais parfois quand elle voyait Kelly se renfermer un peu (cela ne se voyait pas mais elle se sentait parfois, l'habitude) elle s'en voulait toujours un peu, comme si c'était de sa faute. Peut-être que si elle avait traîné beaucoup plus avec elle, qu'elle avait été pour Kelly comme Tess l'était pour elle, elle aurait été différente ? Leena détestait savoir combien Lee se trouvait banale alors qu'elle aurait pu lui citer plein de petites choses pour lui prouver que non ; mais quand quelqu'un a une idée en tête, il était difficile de lui faire entendre le contraire, même avec toute la volonté du monde. Elle avala plusieurs gorgées de con cocktail, elle avait la bouche sèche de parler, et jeta un petit sourire coupable à sa cousine - le niveau de son verre était clairement proche du fond. « Ce n'est pas à Londres que j'ai perdu l'habitude de lever le coude en tout cas ! » souffla-t-elle avant de se mettre à rire.
En parlant de Rhett elle avait inconsciemment senti que Lee serait assez juste dans son analyse des choses... Et que ça ne serait pas forcément exactement dans son sens. Leena le savait très bien au fond, mais elle mettait un mouchoir dessus et refusait de le soulever et d'étudier ce qui se cachait en dessous. Tess avait plusieurs fois fait comprendre que cette situation l'énervait et que Rhett aussi, par la même occasion ; Leena essayait à chaque fois de l'excuser et de lui trouver des circonstances atténuantes et puis elle passait à autre chose, elle se justifiait, elle se disait que oui, de toute façon, la situation était compliquée, ils étaient amis depuis si longtemps, rien ne suivait les codes entre eux, et c'était ça qu'ils aimaient aussi. Elle hocha la tête pour encourager sa cousine à continuer - si, ses conseils étaient toujours plutôt bons, et après tout pourquoi avait-on besoin d'être un expert de l'amour pour se permettre de conseiller les gens ? Kelly avait vécu son histoire avec Chad tout de même, et ce n'était pas parce qu'elle n'avait pas eu de nombreuses relations dans sa vie qu'elle ne pouvait pas en parler. Leena hocha la tête - mon dieu, se dit-elle, c'est totalement comme dans les films, il a beau être mon meilleur ami dès que je le vois mon coeur a des ailes, quelle idiote. « Mais non, tu sais très bien que ça m'intéresse aussi ton histoire, et de toute façon tes conseils sont toujours bons à prendre. C'est pas parce que tu penses n'avoir jamais été amoureuse que tu ne peux pas me conseiller, moi tu me connais par coeur ! » lui dit-elle avec un petit sourire sincère. Une question lui brûla les lèvres, qu'elle n'osa pas tout de suite poser à Kelly. Parfois elle avait peur d'être trop pour Kelly, trop exubérante trop directe trop intime, et elle ne voulait pas la mettre mal à l'aise. Et puis Kelly réfléchit quelques secondes et reprit d'une façon plus mesurée, exposant globalement ce que Leena avait déjà entendu et qu'elle refusait de prendre réellement en compte. « Hmmm... Je ne sais pas, c'es un peu tôt pour juger ! Je suis revenue récemment, on se retrouve seulement, après tout. Il faut bien qu'on reprenne nos marques ! » Elle sourit de nouveau, cette fois pour prouver à Kelly qu'elle était, oui, pas malheureuse. « Tu verras bien qui est Rhett quand on viendra à Noël, c'est difficile de lui parler vraiment, il a un super contact mais il est très pudique et dès que ça touche à ses émotions et tout ça, il faut insister... Je ne sais pas. Je n'en ai pas envie pour l'instant. » C'était totalement faux : elle avait juste peur du résultat, mais elle était trop forte en matière de déni. Elle le pratiquait très souvent. Au lieu de ça elle préférait croire qu'elle, comme Rhett, s'arrangeait très bien de la situation pour le moment. Cette fois elle termina son verre, mais quelque chose lui laissa un amer dans la bouche : Kelly avait vu juste en à peine quelques minutes au sujet de toute cette histoire, et cela avait quelque chose de formidablement frustrant se de sentir cernée en deux temps trois mouvements quand elle essayait tant bien que mal de garder la tête hors de l'eau avec tout ça. Elle finit par prendre son courage à deux mains pour demander ce qui lui trottait dans la tête - espérant que Kelly comprenne que ce n'était pas pour la mettre mal à l'aise mais pour lui permettre d'en parler si elle le souhaitait et surtout, l'aider à comprendre un peu plus. Après tout, qu'est-ce qui voulait exactement dir qu'on était amoureux ? « Tu penses vraiment que tu ne l'as jamais aimé, Chad ? Ou bien juste que ça ne correspondait pas à ce que tu t'imaginais comme sentiments ? Après tout il y a tellement de manières d'aimer les gens... Je ne sais pas, tu penses que si tu étais amoureuse de quelqu'un bientôt ce serait différent ? »
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Pas convaincue d'être complètement de bons conseils, Lee songeait qu'elle n’en offrait pas non plus que des mauvais, pour les rares qu'elle se permettait d'articuler. C'était un degré d'influence sensible, à ses yeux. Donner un conseil, et que celui-ci soit potentiellement suivi, c'était avoir un rôle dans la suite des événements, une part de responsabilité. Or, il n'était qu'une chose que Kelly redoutait plus qu'un choix, et c'étaient les conséquences de celui-ci. Car c'était également un choix, pour elle, d'ouvrir la bouche afin de servir une science qu'elle n’avait pas, une simple intuition. Que ferait-elle, si elle s'avérait être le déclencheur de la chute de multiples dominos menant au malheur de Leena ? Si c'était son conseil, basé sur le très grand rien de son expérience personnelle, et la simple influence dans les pensées de sa cousine, qui l’éloignaient du bonheur qu'elle méritait ? Cette idée lui tordait l'estomac. Pourtant, quand la belle brune lui assura qu'elle était libre de donner son avis, de dire ce qu'elle croyait être le plus adéquat afin de l'aider, Kelly se contenta de hocher la tête. “Tu as raison.” Elle pouvait la conseiller, elle en avait le droit, mais la responsabilité l’angoissait. Alors elle fut brève, un peu vague. À vrai dire, elle se basait sur une constatation purement logique qui, au final, n'impliquait pas réellement de part subjective de sa part, et rendait ses épaules moins lourdes. Si Leena ressentait le besoin de parler, c'était qu'elle attendait deux choses de la part de sa cousine ; soit de la rassurer, la conforter dans sa situation actuelle, soit de soulever ce qui clochait à sa place. Dans les deux cas, il était question de doutes de sa part, que Lee avait donc soulevés, comme un voile sur un miroir. Du reste, elle demeura silencieuse et acquiesça d'un signe de tête à l'évocation du dîner de Noël qui lui permettrait de faire plus ample connaissance avec le fameux Rhett. “Très bien. Mais ne lui cherche pas des excuses, Leena, ni pour toi. Vous finiriez étouffés dans les non-dits et ce que vous avez, quoi que ce soit, pourrait tourner en eau de boudin.” Attendre et repousser plutôt que de faire face, la peur, en soi, était pour Kelly un véritable poison. Elle en faisait l'expérience au quotidien. Sa crainte d'être hors du cadre, hors des cases, de s'éloigner de ce qu'elle avait toujours connu, de s'arracher de temps en temps à une vie bien rangée, ordonnée. Ce sentiment ne devenait que plus fort avec le temps, paralysant. Puis il se transformait en amertume, en rancœur. C'était l'une des raisons de son divorce avec Chad. Elle devait s'en séparer avant de ne plus être capable de poser les yeux sur lui sans n'y voir que le grotesque de sa vie. La curiosité de Leena était piquée ; Kelly s'épanchait rarement sur sa vie privée, encore moins la fin de son mariage avec Chad. Et surtout pas de ses états d'âme à ce sujet. Mais la brune avait confiance en sa cousine qui lui avait toujours inspiré, après quelques minutes à son contact, la capacité de s'ouvrir un peu plus. Elle se pinça les lèvres, à la recherche de ses mots. Elle n’avait jamais dit à qui que ce soit que cette union n’était pas un mariage d'amour. Plutôt une alliance arrangée. Arrangée par eux. “Je ne sais pas ce que je ressentais pour Chad, admit-elle. J'aimais sa présence, qu'il soit là pour moi. Je pouvais me confier à lui, ou ne rien dire, et il savait quoi faire. Et j'aimais lui rendre la pareille. Nous étions bien assortis, aussi.” C'était sot pour n'importe qui d'autre, c'était primordial pour elle. Jamais n'aurait-elle supporté de ne pas trouver leurs photos de couple harmonieuses. Il n'y avait pas plus triste que deux personnes qui se condamnaient à la laideur éternelle. “Nous avons vécu des choses similaires, alors nous pouvions nous comprendre plus facilement.” reprit-elle, entendant par là toutes les similitudes entre leurs deux familles, l'environnement qui les avaient forgés et donc rapprochés tout naturellement. “C'était facile, oui. C'était doux au quotidien. J'adore tous les souvenirs de nos années ensemble. Mais je n’ai jamais eu, tu sais, ces papillons dans le ventre en pensant à lui, le cœur qui palpite. Ni de frissons à son contact, ou même le besoin viscéral de l'être.” Nul besoin d'évoquer la rareté de leur vie sexuelle, réactivée par le nécessité d'avoir un enfant afin de parfaire le tableau de leur univers sans faux plis, et morte dans l'œuf à l'annonce de la stérilité de madame. Kelly songea que cela ne lui avait pas manqué, et qu'un coït par mois faisait parfaitement son affaire dans le simple but de respecter un devoir conjugual traditionnel. Néanmoins, elle ne s'était jamais penchée sur ce que Chad en pensait. Ce qu'il serait bien étrange de lui demander de but en blanc. “Je lui ai dit que nous marier était une suite logique.” dit-elle en réalisant la froideur de ce choix de mots. Le détachement presque scientifique vis à vis de cette étape qui anime normalement tant de passions. C'était ainsi qu'elle l'avait perçu, à la fin de l'Université ; de la pure logique. “Alors c'est ce que nous avons fait..” Pas de sentiments. Cependant elle n'était pas la plus à plaindre, et comme elle le disait plus tôt, elle estimait que les années partagées avec Chad étaient parfaites. Certes, elle le portait avec la plus infinie tendresse dans son cœur. Cela n'avait jamais fait d'elle une amoureuse. “Enfin… Je ne prévois pas de tomber amoureuse bientôt. Peut-être que ce n’est tout simplement pas pour moi, tu sais, et ce n’est pas grave.” Bien sûr que cela l'était. Derrière ses épaules qui se haussaient, ses pommettes rosies et son large sourire, Kelly se laissait dévaster par l'idée d'arriver à la fin de ses jours seule, mais surtout, sans n’avoir jamais pu deviner les battements de son propre cœur ailleurs que dans le creux de son poignet.
Kelly avait toujours beaucoup de douceur envers sa cousine, même si elle ne mâchait pas forcément ses mots ; de ce fait parfois les vérités qu'elle prononçait, sans aucune méchancetés, avaient tout de même quelque chose d'un peu sec, comme si c'était une vérité que rien ne pouvait altérer et que Leena était bien bête de n'avoir pas compris avant. Ce fut un peu le cas quand elle conclut le début sur Rhett, et Leena se sentit comme une petite fille prise sur le fait d'une bêtise, elle baissa les yeux instinctivement, s'accrocha à son verre de cocktail pour se donner une contenance. Plus d'excuses. Eau de boudin. Oui, elle le savait très bien évidemment, pourquoi sa cousine avait-elle le besoin de le souligner ? Elle aurait été de mauvaise foi elle lui aurait fait remarquer, mais ce n'était pas le cas, et elle était parfaitement consciente de la situation. Leena fermait simplement les yeux et reculait pour mieux sauter, juste parce qu'elle avait peur. Et c'était stupide. Elle se félicita mentalement de n'avoir pas mentionné la meilleure amie d'enfance de Rhett à Kelly, elle aurait été encore plus sans pitié. Au fond cela rendait Leena un peu triste : parfois quand elle expliquait totalement la situation et se confiait, les gens finissaient toujours par rejeter la faute en partie sur Rhett, et elle détestait savoir que les gens ne pouvaient pas l'aimer. « Hmmm. » Elle haussa les épaules. Trop de questions l'entraînaient toujours dans des abysses de doutes et de dilemmes. « Parfois j'aimerais que les choses soient aussi simples que quand on allait à la plage avec Adam quand on était gamines et qu'on passait des heures à construire des forts de sable contre les vagues ! » Elle eut un petit sourire en direction de Kelly, plein de tendresse et de nostalgie. Malgré leurs vies et leur famille compliquées, elles avaient tout de même passé de bons moments, que Leena chérissait tout particulièrement. Kelly était l'une des rares, avec Tess, avec qui elle pouvait évoquer Adam sans que son coeur se brise de nouveau ; c'était tellement précieux de partager des souvenirs de lui avec des gens qui l'avaient bien connu, et pas seulement des gens qui ne connaissaient que l'histoire et ne voyait en lui qu'un petit frère disparu.
L'histoire avec Chad lui apparaissait un peu plus claire, avec ces explications — non pas qu'elle n'ait rien suivi mais Kelly pouvait être si secrète, si pudique, que Leena savait qu'elle passait à côté des choses parfois au sujet de sa cousine, sans le vouloir. Elle hocha la tête en l'écoutant parler, pensive. En vérité elle la comprenait bien, les sentiments amoureux s'étaient avérés pour elle bien plus complexes et bien moins merveilleux qu'elle avait pu se l'imaginer petite fille. À part au sujet de Rhett, depuis quelques années, elle n'avait jamais clairement ressenti un coup de foudre, une passion, de l'amour contre lequel on ne peut pas lutter ; oui elle avait été attirée par des hommes mais non seulement elle était trop timide sur ce plan-là pour faire le premier pas, mais en plus même quand tout se passait bien, elle n'avait jamais senti battre son coeur pour quelqu'un au point que l'on lit dans les livres ou que l'on voit au cinéma, cette aliénation totale qui paraît si fabuleuse, qui rend si heureux. Il lui semblait que la vie véritable était autrement plus terre à terre, même si elle ne désespérait secrètement pas de ressentir un jour « le grand amour ». « Tu sais je pense que ce n'est pas si rare que ça, ce genre de situation ; il y a des gens qui choisissent quelqu'un pour la stabilité et le confort, pas forcément pour les étincelles et la passion. Et au fond... Pourquoi pas ? » La seule chose qu'elle ne voulait pas, c'est que Kelly soit malheureuse de tout ça, ou doute, ou désespère pour la suite. Et c'était un détail qu'elle avait du mal à lire précisément, entre les lignes. « Ha ha, si ça se trouve tu ne le prévois pas mais ça arrivera ! Je suis sûre que si tu le souhaites ça viendra, peut-être pas tout de suite, mais un jour. Après tu as aussi le droit de ne pas vouloir... Et on peut finir ensemble dans une maison avec nos cinquante chiens, ça peut être folklorique aussi » Elle se mit à rire et serra brièvement sa cousine dans ses bras, parce qu'elle en avait envie. « En tout cas j'ai hâte de voir ton chez toi, qui doit être magnifiquement agencé, telle que je te connais ! » Il y en avait tout de même, des points positifs de ce retour à Brisbane : cela faisait des années que les deux cousines communiquaient beaucoup à distance, mais elles n'avaient pas eu l'occasion de se voir énormément, Leena revenant très peu en Australie. « Il va falloir que tu me fasses tout redécouvrir de Brisbane ! Ça va être chouette ! » Si elle se laissait un tout petit peu porter par ses souvenirs, elle pouvait presque retrouver l'insouciance de quand elles étaient plus jeunes et que rien ne comptait vraiment à part les heures qui passaient et qu'elles occupaient à leurs jeux d'enfants. Et c'était agréable : comme un retour à la maison.
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Le temps béni du confort de l'enfance était loin derrière elles. Les après-midis passées l'une chez l'autre, les jeux, les tracas inexistants. Pas de questions existentielles, pas de peur de rater sa vie ; le bonheur simple de prendre chaque jour tel qu'il était. Déjà petite, on pouvait qualifier Kelly de particulière. À cette époque, la doctrine de ses parents était plus vive encore et s'inscrivait fraîchement dans son esprit. Porte à porte, samedis de lecture de la Bible dans le cocon de ce cercle très fermé dont elle n’avait ni frère ni sœur pour se faire le complice d'échappées furtives dans un monde juvénile ; ses activités et ses priorités n'étaient d'or et déjà pas celles de toutes les petites filles de son âge. Rapidement, Lee avait attrapé le virus du perfectionnisme, l'obsession des règles et des rituels. Après tout, le salut de son âme était en jeu. Dans ces années se développa la crainte de ses regards de travers qui l'avaient scrutée toute sa scolarité, la paranoïa, le besoin de se fondre dans le moule. La fin des temps n'était pas venue, quel gâchis d'innocence. Elle ne savait plus quoi croire à ce sujet. Tous les versets et les sermons étaient, eux, bien ancrés dans son crâne. Leena fut son alliée à cette période. Quand vint le temps, Kelly devint la sienne à son tour. Présente pour l'épauler après la disparition de son frère. “Il ne voulait jamais admettre que mes châteaux étaient les plus beaux.” Certes, pas les plus solides ni les mieux taillés pour faire face à l'envahisseur, mais les mieux apprêtés avec leurs coquillages et leurs drapeaux en feuilles. Elle esquissa un fin sourire. Ces souvenirs étaient précieux pour Leena, et ils vivaient en elle avec une immense tendresse. Bien sûr, la blessure ne se refermait pas. Kelly n'avait toujours souhaité que le meilleur pour sa cousine, d'autant que l'on pouvait dire qu'elle était l'un des rares êtres vivants à avoir une véritable valeur à ses yeux. À la liste s'ajoutait Tobey et Chad, peut-être même dans cet ordre. Quant à ses parents, ils étaient peu à peu devenus ces silhouettes uniformes, ces visages sans traits. Elle les appréciait avec une certaine forme d'obligation, une tendresse forcée et une reconnaissance machinale. Mais la vie faisait d'elle une étrangère dans les yeux de sa propre communauté, et eux dans les siens. Son divorce était un coup fatal, une faute impardonnable. En un an, les retours à Toowoomba furent calamiteux. Remarier Kelly le plus vite possible avait rapidement pris la forme d'une question d'honneur, et comme tout, de salut de son âme. Cependant, il n’était pas question que la brune troque une mascarade pour une autre, et à ce sujet, sa position était ferme et définitive ; elle attendait l'amour. Plus de confort, plus de facilité ; cela la terrorisait autant que cela la fascinait. C'était ça ou rien, et Lee voyait bien, se connaissant, que le rien risquait de l'emporter sur ses espoirs. Sa cousine relativisait avec humour, les imaginant vieilles filles solidaires dans l'échec, leur affection dédiée à une tripotée de boules de poils. “J’ai déjà hâte !” commenta Kelly dans un rire. Après tout, Leena le vendait si bien qu'elle songea que cela n'était même pas la pire des finalités. Encore une fois, la métaphore lui échappait un brin. Sans aucun doute, la version plus âgée d'elle-même serait en charge de l'aménagement de leur intérieur. Comme toute ménagère en herbe qui se respectait, elle maîtrisait l'art de transformer une pièce en véritable espace à vivre tout droit sorti d'un catalogue de mobilier suédois. Il était primordial que quiconque mettant un pied chez elle laisse un compliment à ce sujet. “Quasiment tout est neuf d'ailleurs, répondit-elle. En emménageant j'ai refait la peinture… enfin, pas moi, j'ai payé quelqu'un pour garder ces mains délicates à l'abri.” Vous savez combien coûte une french absolument impeccable, duh. “Et j'ai racheté une foule de meubles, de décoration… c'est mon nid douillet à cent pour cent maintenant.” Peut-être un avantage de son célibat retrouvé, entre autres dont elle n’avait pas encore eu le plaisir de faire l'expérience, s'ils existaient. Les verres des deux cousines étaient vides depuis quelques minutes maintenant, si bien que lorsque Leena se projeta dans leurs futures balades en ville afin de lui indiquer tous les nouveaux endroits à connaître et partager les souvenirs qu'elle avait manqués depuis l'autre hémisphère, Kelly en profita pour suggérer, entre les lignes, de libérer la table ; “Commençons par ce parc. Allons profiter de toutes ces jolies installations !” Car après tout, tel était le but de l'événement, et tandis que le soleil continuait de baisser au fur et à mesure que la soirée s'installait, les lumières dans les arbres partout dans le parc semblaient plus brillantes et fascinantes.
Sans l’ombre d’un doute, Leena pouvait imaginer l’intérieur de Kelly parfaitement ordonné et parfaitement agencé ; comme un magazine de déco dont on s’inspire, parce qu’il fait rêver. Si les deux cousines partageaient des sensibilités artistiques, Kelly était de loin la plus appliquée et la plus organisée. Leena nota mentalement dans un coin de sa tête de bien faire attention le jour où Kelly viendrait la voir dans sa colocation, car si elle aimait elle aussi la décoration et les belles pièces, sa chambre était plus souvent en désordre qu’en ordre. À sa décharge, l’immense pièce qu’elle occupait lui servait aussi de bureau puisqu’elle y avait installé son établi, et de ce fait tout un tas de boîtes et d’étagères contenant ses matériaux de créations ; le reste en revanche, le côté affaires personnelles, aurait globalement pu être mieux entretenu, mais elle faisait ce qu’elle pouvait. Elle était malheureusement victime de son moral, et les jours où elle se réveillait anxieuse et mal dans sa peau, la dernière des choses dont elle était capable était de mettre de l’ordre dans ses affaires. Mais elle admirait ces personnes capables de garder tout en ordre jusque dans l’intimité de leur maison, et elle hocha vigoureusement la tête pour répondre à Kelly : elle avait hâte de voir toutes les belles décorations de sa cousine. Elle accepta également de se promener un peu, remit les affaires dans son sac et se leva ; la perspective de cette petite promenade l’enchantait. Elle n’avait pas eu l’occasion de tout découvrir par ici, son photoshoot avec Lola avait été assez millimétré. « Tu as vu toutes ces guirlandes de lumière qu’ils ont mis partout ? J’adore, ça rend tellement bien ! Je rêverais d’avoir ça dans mon jardin… Quand j’aurais un jardin » ajouta-t-elle avec un sourire. Sa situation ne lui laissait pas le loisir d’avoir beaucoup de biens matériels pour l’instant, mais elle s’en fichait pas mal, c’était l’avantage. Il lui semblait qu’il était tellement trop tôt pour tout cela – une maison, une famille, des enfants – et pourtant à la fois quand elle y pensait trop ou que la conversation s’appesantissait là-dessus elle ressentait une certaine anxiété, un genre de pression débile, comme si elle avait raté sa vie alors qu’elle avait encore tout le temps devant elle. Tout le temps… Elle se retint de soupirer, ce genre de pensées l’amenaient automatiquement vers Rhett, vers leur situation pas du tout claire, et si jamais elle avait de toute façon voulu s’installer sérieusement, elle n’était de toute façon pas certaine que celui que son cœur choisirait aurait les mêmes envies et attentes qu’elle.
Quand Kelly se fut levée, Leena glissa son bras sous celui de sa cousine, et elles se mirent en marche tranquillement. Les organisateurs n’avaient pas fait les choses à moitié : tout était parfaitement décoré. Du petit pont illuminé sous la voûte des arbres scintillants, des fleurs, des petits bancs en bois çà et là, il y avait une ambiance à la fois festive et douce, particulièrement féérique. Le petit chemin serpentait dans le parc, et elle avait l’impression d’être Alice au pays des merveilles, s’attendant à trouver à chaque tournant une scène plus surprenante et bucolique que la précédente. « J’ai fait un shooting l’autre jour ici, avec une bloggeuse, pour illustrer ma dernière collection, les photos sont magnifiques ! La lumière est dorée et ce n’est pas du tout trop étincelant ou trop clair, ça reste dans les tons ocres et bruns, en plus elle avait les cheveux roux donc c’est hyper chaleureux. Je n’ai jamais réussi autant un shooting ! Et le mieux c’est que ma collection a plu à un festival, je vais sans doute faire un partenariat avec eux… C’est fou comme ça tombe vite, je ne pensais pas qu’en revenant j’aurais des trucs qui tomberaient de tous les côtés comme ça ! » Car c’était le risque : passer de la vie artistique trépidante de Londres à celle plus mesurée de Brisbane était un pari. Sans doute que si elle l’avait trop réfléchi, elle ne l’aurait pas fait, mais les autres choses qui motivaient son départ avaient pris le dessus. « Je n’ai jamais bossé pour un festival, à Londres j’ai travaillé avec un théâtre je faisais les accessoires, c’était chouette mais un festival c’est plus moderne et ça colle plus à ma ligne, ça me tente tellement… J’espère que ça va bien se passer ! » La crainte n’était jamais bien loin, surtout lorsqu’il s’agissait de ses créations, mais elle chassa ce petit nuage de sa tête. « Et j’aimerais trop pouvoir assortir des lignes de vêtements un jour, pfiou… Tu ne voudrais pas me donner des cours un peu ? Quand je vois ce que tu es capable de faire… » Voilà qu’elle s’était encore laissée emporter à monopoliser la conversation ! Elle sourit à sa cousine et se tut un instant, profitant du spectacle qui les entourait en silence, et de la compagnie si agréablement familière de Kelly.
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Elles décidèrent de libérer leur table pour les clients suivants qui s'alignaient en une queue sage à l'entrée du petit jazz-bar éphémère. Après avoir réglé leurs cocktails et récupéré leurs affaires -avoir une petite veste sur soi était toujours de rigueur au cas où les soirées d'été se fassent soudainement traîtres- c'est sac sous un bras et cousine sous l'autre qu'elles quittèrent l'esprit doux et cosy de cet espace afin de s'enfoncer dans le parc. Kelly était habituellement perchée sur de hauts talons, ainsi, bien que ses robes s'arrêtaient pudiquement autour de ses genoux, il était aisé de deviner qu'elle avait de belles jambes élancées. Mais les escarpins n'étant pas particulièrement appropriés pour une balade dans ce cadre, elle avait opté pour une paire de ballerines au cuir troué comme de la dentelle qui enveloppait ses pieds délicatement. Elle avait le pas léger, toujours, comme flottante sur un petit nuage qui stationnait sous ses pieds très légèrement au-dessus du sol. Son dos était droit, sa cambrure inexistante. Elle paraissait fort haute à côté de Leena, maintenant qu'elles étaient toutes deux debout. Les cousines vaquaient ici et là en suivant un petit chemin terreux en alternant droite et gauche aux intersections pour ne pas tourner en rond et faire durer la promenade. Au-dessus de leurs têtes, chaque arbre était somptueusement décoré de guirlandes lumineuses de toutes formes, toutes couleurs. Tombantes, s'élevant, formant des arabesques entre les branches, laissant l'imagination y voir des formes comme l'on devine des animaux dans les nuages, Kelly trouvait tout ceci féerique. Entre les troncs, dans les espaces de terre plate, on pouvait croiser des installations tantôt lumineuses, d'autres fois de miroirs, de sculptures, et des jeux pour les enfants. À cette heure, les plus petits dormaient au fond de leurs poussettes -la brune en avait repérés quelques uns, la tête adorablement posée sur leurs joies généreuses- et les grands commençaient à fatiguer. Le parc se visait donc doucement des familles, et s'emplissait d'amoureux, d'amis, et d'autres dont elle se demandait parfois qu'elle était l'histoire avec cette curiosité qui la caractérisait. Lee devinait sur le visage de sa cousine qu'elle s'émerveillait autant qu'elle de cet environnement tout spécial, des anges en diodes, des petites butes animées par des serpentins de fibre optique -et tout ce qu'elles n’avaient peut-être même pas remarqué alors que la conversation reprenait son cours, mais dont l’ambiance calquaient des sourires sur leurs visages. Leena était une bavarde, et ce n’était pas quelque chose qui dérangeait Kelly ; elle aimait l’écouter et narrer ses mille-et-un projets, l’encourager avec un sourire, un coup de coude complice, avec le menton haut de cousine fière. “Les gens savent reconnaître le talent, on ne peut pas le leur reprocher. Je suis certaine que ce n’est que le début.” répondit-elle au sujet de la collaboration de la petite brune avec une blogueuse, puis un festival à venir, le tout l’excitant comme une véritable pile électrique. Et Lee était aussi heureuse pour elle, sincèrement. Elle lui souhaitait du succès, du fond de son coeur, que ses ambitions soient fructueuses et qu’elle puisse bientôt entièrement vivre de cette passion qui l’animait. Elle le méritait, c’était évident; Qu’elle soit sa cousine ou non, Kelly pensait faire preuve d’une certaine objectivité au sujet de son talent -si en revanche elle n’affectionnait pas ses petites pièces d’art, elle se garderait bien évidemment de le dire. Et puis, Lee estimait avoir bon goût, l’art du bon goût même, et ce qui était plaisant à ses yeux devait l’être à tous ceux sachant faire preuve du même raffinement. “Ca se passera parfaitement bien. Aies confiance en toi, tu gèrera très bien.” ajouta-t-elle, déposant une main bienveillante sur le bras de Leena et lui adressant un fin sourire. Celle-ci continuait de voir toujours plus loin, de pousser ses objectifs avec un enthousiasme admirable qui remontaient ses mignonnes pommettes charnues sur ses joues poudrées. Ce nouveau départ australien, ce retour à la maison, semblait lui inspirer bien des projets ; des vêtements, maintenant, disait-elle, nécessitant les conseils de Kelly. Elle pinça ses lèvres, gênée, flattée. “C’est gentil, mais c’est tout à fait à portée de n'importe qui, tu sais.” Elle trouvait ses patrons sur internet, et parfois, elle s’en procurait de très anciens -vintage- sur Ebay. Elle aimait les jupons classiques mais trouvait que les coupes de buste actuelles conféraient plus de panache. Sa bête noire était les manches, dont elle n’était jamais pleinement satisfaite. Et les finitions de chaque tenue relevaient de la question de vie ou de mort ; à la fin, pas un fil ne dépassait, pas une couture n’était de travers, et l’ensemble semblait sortir d’un magasin à la marque inconnue. Kelly n’avait jamais songé à rendre cette activité plus concrète. C’était un passe-temps, un hobby, et sûrement son unique trait créatif emprunt malgré tout de beaucoup de technique. Les mètres de tissus s’entassaient chez elle dans l’attente de nouveaux projets qui feraient passer plus rapidement les week-ends. Demeuraient des vestiges de ses différentes crises de motifs ; les pois, les rayures, les fleurs -en ce moment, c’était le vichy qu’elle utilisait à foison, mais par petites touches afin de ne pas ressembler à une nappe de pique-nique emportée par le vent. “Mais si tu demandes gentiment, reprit-elle, et que tu me paies en bon vin, je suppose que je pourrais éventuellement t’initier aux secrets de la machine à coudre.” Elle avait pris un petit air suffisant dont le rictus malicieux au coin des lèvres trahissait la plaisanterie au-dessous. Tout ce qu’elle espérait, c’était qu’à terme, sa cousine continue à avoir besoin d’elle, de ses conseils, de ses encouragements. Car elle avait ce besoin de se sentir utile, indispensable, notamment pour sa famille. Elle s’estimait chanceuse d’avoir une cousine telle que Leena, quelqu’un avec qui elle se sente en harmonie. Kelly avait ajusté son pas à celui de la jeune femme, ses foulées plus courtes forçant une rythme plus lent qui lui donnait l’impression de traîner, flâner, d’un tableau à l’impressionnisme contemporain à l’autre. Et c’était agréable, de prendre le temps en bonne compagnie.