(FORTITUDE VALLEY, LOGEMENTS). Quelque chose lui a échappé. Un indice, une phrase, un regard, peu importe la forme que cela a pu prendre au moment x, il n’a pas su l’interpréter, il n’a pas même su le voir. Car c’est bien la seule explication qui justifie le fait qu’il soit resté ignorant aussi longtemps. Bryn a tenté de lui dire, probablement plus d’une fois, mais elle n’y est jamais parvenue. Par peur de sa réaction (à juste titre), parce que ce n’était jamais le bon moment, peut-être, ou parce qu’elle s’attendait à ce qu’il comprenne sans qu’elle n’ait besoin d’être explicite, tout simplement. La troisième option lui apparaît comme étant la plus crédible, parce que tout ceci ne peut pas été délibéré, non, ça c’est réellement une option impensable qu’il se doit d’effacer de son esprit au plus vite. Et pourtant. Elle s’accroche, cette idée, depuis quelques jours déjà, et elle ne le quitte plus, hante ses nuits et alourdit ses journées. Les « et si ? » façonne son humeur et dicte sa consommation d’alcool du jour et les « elle n’aurait jamais fait ça » l’empêche de partir à l’affrontement pour obtenir des réponses qui seraient douloureuses, mais pourtant nécessaires. Et si Bryn a réellement repris contact avec Danielle au cours des derniers mois ? Et si cette dernière s’est effectivement occupée de la carrière de sa plus jeune fille ? Et si ces quelques lignes sur lesquelles Finn ne cessent de poser les yeux ne relèvent pas, pour une fois, d’un scoop sensationnel et arrangé, mais bel et bien d’une vérité qui, au-delà d’être brutale, est tout simplement inacceptable ? Non. Elle n’aurait jamais fait ça.  

Et pourtant, à mesure que son regard se porte sur la page froissée du magazine devant lui et que sa troisième bière de l’après-midi commence à bousculer ses pensées, l’idée se fait de plus en plus réelle, presque évidente. Son voyage aux États-Unis, un peu précipité, son refus déguisé en compassion pour sa phobie lorsqu’il avait enfin envisagé d’assister à une compétition, ces conversations futiles, dernièrement, sur sa carrière alors que quelques mois plus tôt il fallait calmer ses ardeurs lorsqu’elle évoquait sa passion. Ils étaient là, les signes, depuis quelques temps déjà. Seulement, ils ne sont pas venus de Bryn et, de son côté, il n’a jamais cherché à interpréter ce qui ne semblait pas avoir besoin de l’être.

Le fait que Bryn ait pactisé avec le diable, doux surnom Danielle, n’est pas le plus dérangeant, bien que cela reste difficilement acceptable après tout ce que la matriarche a fait (ou plutôt, n’a pas fait). Mais Finn n’attend plus rien d’elle depuis longtemps, c’est pour cette raison qu’il a coupé tout contact avec sa génitrice voilà maintenant quelques années, et qu’il est totalement indifférent lorsqu’il découvre les manigances de Danielle, qu’elles concernent Cora il y a une dizaine d’années ou Bryn, à l’heure actuelle. Mais que cette dernière puisse en faire partie, qu’elle ait pu accepter de s’associer avec leur mère (que ce mot est irritant) au nez et à sa barbe sans jamais ciller en sa présence, en se moquant ouvertement de lui durant des semaines, probablement même des mois, ça, il n’arrive pas à l’accepter. Il n’a jamais été strict avec Bryn, Finn, il a toujours pris soin de lui laisser une liberté qui lui permettrait de s’épanouir, mais il y avait une condition. Une seule condition. Ne pas laisser Danielle entrer dans sa vie, pour ne pas qu’elle soit traitée comme il l’a été avant elle, pour ne pas qu’il se retrouve à tenter de réparer les pots cassés par Danielle lorsqu’elle se lasserait de son nouveau jouet, comme ça avait déjà été le cas après les premiers mois de Bryn. C’était cruel, ce n’était pas à lui de décider d’une telle chose, il l’a toujours su, mais il espérait qu’un jour, Bryn comprendrait. De toute évidence, ce n’est pas le cas.

Ses yeux se heurtent une nouvelle fois aux quelques lignes qui mettent à mal la confiance qu’il accorde à sa petite sœur (rectification : qu’il accordait), ses mains se resserrent autour de l’évier alors qu’il ferme les yeux et tente de se calmer. Il n’est pas violent, Finn, mais il est colérique, une colère froide, discrète, mais bien envahissante. Et à défaut de retourner son mobilier, il préfère noyer cette agressivité difficile à contenir dans un verre, puis un autre, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il soit incapable de se souvenir de la raison qui l’a dirigé, en premier lieu, vers ce réconfort. Et alors qu’il jette le magazine en boule dans un coin de sa cuisine, il termine rapidement sa bière avant d’ouvrir son frigo pour y choisir la bouteille qui saura faciliter l’acceptation de la trahison de Bryn.

Pour autant, il n’a pas le temps de porter son choix sur l’une d’entre elles qu’on frappe à la porte, et après un instant d’hésitation, le rouquin décide tout de même d’aller ouvrir. Un sourire froid, traduisant un certain amusement face à l’ironie de la situation, naît à la commissure de ses lèvres lorsqu’il fait face à sa cadette. Le hasard a un sens de l’humour douteux. « Je pensais justement à toi. » Il annonce, alors qu’il se décale pour laisser entrer Bryn. Son ton se veut presque chaleureux, traduisant la maîtrise dont il fait preuve dans l’immédiat, pour mieux lancer les hostilités par la suite. Le calme est revenu instantanément, parce qu’il se prépare à attaquer le premier. « Comment tu te sens ? Avec toute cette histoire autour de Cora et Danielle… » Il questionne, alors qu’il se dirige vers la cuisine pour faire chauffer de l’eau. Dos à sa sœur, Finn reste impassible, hésitant pendant un presque instant, parce qu’après tout, il s’agit de Bryn. La seule personne contre laquelle il n’imaginait jamais diriger sa colère et qui est pourtant à l’origine d’une hostilité telle qui ne l’a pas ressentie depuis longtemps (pas même envers Cora). Finalement, après quelques instants de silence, il se décide à briser celui-ci. « J’imagine que ça ne doit pas être évident de perdre son agent à la veille d’une compétition aussi importante. » Il reste dos à Bryn encore quelques instants, avant de se retourner et s’appuyer contre le comptoir pour lui faire face. Impassible, les bras croisés sur son torse, affrontant sa cadette du regard de celui qu’il réserve habituellement à Cora, plongé désormais dans le silence, Finn se veut calme malgré ses mots tranchants. Il l’a toujours été. Et c’est peut-être ça, le plus effrayant.  

Mon cœur se serre, ma main tremble. Je dois joindre mes doigts dans ma paume pour tenter de me contrôler, pour essayer de me faire entendre par mon frère à l’intérieur. Frappant contre le bois de la porte, chaque coup résonnent comme mon dernier souffle. En acceptant ce contrat il y a un an, j’ai signé la fin de ma relation avec Finn. Je ne pensais pas qu’elle arriverait si vite, je ne pensais pas qu’elle serait réelle. Pourtant, face à cette porte qui m’a vu grandir, j’ai le ventre en vrac, le cœur à l’envers et la mâchoire plus crispée que jamais.

Voilà une semaine à peine que Cora a dénoncé Danielle aux forces de l’ordre. Presque une semaine que celle-ci subit probablement une batterie de questions pour en venir à une conclusion : cette femme est la pire mère de tous les temps. Quelques jours qui ont été un enfer. L’annonce a été faite la veille d’une compétition tournante pour moi. L’arrestation, ce même jour m’a mise hors de moi. Rapidement dans la chambre de ma sœur, j’ai dû lui annoncer de force cette nouvelle. J’ai dû lui expliquer que j’ai fait ce que je lui reproche depuis tant d’années. Cora est une chose, qu’elle me juge si elle le souhaite. Finn en est une autre. J’espère que sa jumelle ne lui a rien dit. Je pense que c’est le dernier point qu’elle souhaite aborder avec lui. Moi aussi. La révélation, la discussion avec ma sœur et la compétition se sont enchaînées et je n’aurais pas dû. Sans manager et sans sommeil, je suis partie alors que je n’étais pas dans le bon état. Risquant ma carrière mais également ma vie, jamais, je n’aurais dû mettre un pied dans l’eau les trois jours qui ont suivi. Alors que ma rage m’a porté le premier jour, m’amenant à un niveau que j’ai rarement espéré, ma colère a pris le dessus le lendemain et a risqué ma vie le dernier jour des épreuves. Pensant à tout sauf à ma position, je n’ai pas fait attention à mon pied qui déviait, je n’ai pas regardé devant moi, je ne pensais qu’à une chose : je suis un monstre et j’ai fait le pacte le plus horrible que je puisse faire pour obtenir un contrat avec Billabong. Malgré mes grands airs, je ne dois donc pas me faire une si grande confiance, pour penser que sans Danielle, je ne pourrait décrocher un tel contrat. Est-ce grave de garder son âme et de finir moyenne au lieu d’exceptionnelle ? Je ne dors plus, je n’ai plus des cernes mais bien des valises sous les yeux et mon esprit me cri une seule et unique chose : Finn doit être mis au courant avant qu’il ne l’apprenne par un autre biais. Une fois calmée de ma cinquième crises de panique de la semaine – moi qui me targuer de ne plus en faire ces derniers temps…-, exténuée , je me suis décidée à partir lui annoncer, prendre mon courage à deux mains et affronter ce que j’aurais dû faire il y a des mois…

Son visage apparait, un sourire étrange affiché sur ses lèvres, mon frère est là mais je ne suis pas pour autant soulagée. « Je pensais justement à toi. » Je souris timidement, bien différemment de mon habitude. Je plisse le nez. Mon dieu, il sent l’alcool à plein nez, qu’est-ce qu’il s’est passé, ici ? Pas d’embrassade, rien, mon frère n’est pas entièrement lui-même et cela me panique au plus haut point. « Comment tu te sens ? Avec toute cette histoire autour de Cora et Danielle…» Son inquiétude me fait chaud au cœur mais mes sens sont en alerte. J'hausse les épaules pour toute réponse. Il sait. Je ne sais pas comment mais il est au courant. Figée, je suis incapable de bouger, ni même de respirer, que répondre, que faire ? Feindre l’innocence ? Ça ne servirait à rien et m’amènerait simplement dans un nouveau mensonge. Le laisser continuer et m’amener où il le souhaite, voilà une solution lâche qui me parait faisable. L’eau chauffe et mon corps se refroidit à la même vitesse. Il me tourne le dos mais j’ai l’impression qu’il me fusille du regard. Comme si un mur c’était hissé entre nous, comme si le froid glacial qu’il réservait au reste de notre famille m’était maintenant adressé. Comme si d’un coup, tout le reste s’envolait et que seul ce détail compte plus que tout le reste. « J’imagine que ça ne doit pas être évident de perdre son agent à la veille d’une compétition aussi importante. » Mes yeux s’ouvrent grands. Ma respiration me fait mal et mes sourcils se haussent. Oui. Ce n’est pas évident. Il se retourne et moi je n’ai toujours pas bougé. Mon cœur raisonne jusqu’à mes tympans et son regard me clou au sol. Même en m’ayant élevé, il n’a jamais eu ce regard sur moi. Jamais je n’ai vu cette rage dans ses yeux, pas même après une visite de notre sœur, pas même en parlant de notre mère. Je suis donc pire que les deux réunies ? « Je vois que les nouvelles vont vite… » Je souffle cette phrase et le regrette immédiatement. Je ne sais comment agir, j’ai peur et en même temps je m’en veux. Tout m’agace et pourtant, je suis la fautive de l’histoire, celle que l’on doit mettre au pugilat mais face à son comportement, je le refuse. Je fronce les sourcils à mon tour et m’avance un peu, sans savoir d’où je trouve cette force. Pourquoi je n’arrive pas à tenir tête à ma sœur sur ce sujet mais face à mon frère, je le fais alors que je devrais être accablée de honte ? Peut-être un reste d’adolescence, tout ce que je ne lui ai pas fait vivre… « Si ça peu te rassurer, j’ai perdu et bien. » Je sers les dents. Le bleu sur mon dos peut parfaitement en attester. « Mais je vois que tu n’as pas attendu que je te l’annonce pour te venger sur la boisson. » Je suis sèche mais ce n’est pas la première fois que je rentre ici alors que l’environnement est infesté par l’alcool et je ne supporte plus l’idée qu’il y soit accro. Pourtant, je reste coupable et je reste sa sœur, celle pour qui il est tout. Je me mords la lèvre, je m’en veux de lui avoir répondu ainsi et aussi froidement. Mes doigts s’emmêlent et mon regard s’adoucit tout aussi vite. « Je suis désolée Finn, je voulais te le dire depuis le début mais… » Mais c’est tout simplement impensable et impossible. Et sa réaction me le prouve à nouveau, nous sommes dans un cercle vicieux que j’ai commencé, mais je ne sais comment le rompre et en sortir, je ne sais comment me racheter maintenant que le mal est fait… Et je suis incapable de prononcer un nouveau mot.

C’est un Finn qui tente de contenir la colère qui le submerge qui ouvre la porte à sa cadette, cachant son malaise afin d’éviter de se donner en spectacle au milieu du couloir, mais aussi parce qu’il était bien plus aisé de s’imaginer le genre de discours qu’il adresserait à Bryn lorsque celle-ci n’était pas face à lui. Malgré la fureur qui l’anime, il ne peut s’empêcher d’avoir un pincement au cœur à l’idée de confronter sa sœur, parce qu’il sait pertinemment que certaines choses qui seront dites dans les minutes qui suivent auront des répercussions au-delà du cadre de cette dispute, mais il ne parvient pas à se raisonner suffisamment pour agir avec un calme qui ne l’a jamais caractérisé lorsque cela concerne Danielle. Il aurait voulu préserver Bryn de ce type d’échange habituellement réservé à Cora, pourtant aujourd’hui elle en semble être la victime toute désignée, bien plus que Cora ne l’a jamais été. Parce que Cora a eu l’avantage de ne pas reproduire des erreurs dont elle avait été mise en garde ; contrairement à Bryn. Et c’est bien ça, le plus douloureux. Ce n’est pas tant qu’elle ait fait confiance à Danielle, ni même le simple fait d’avoir repris contact avec elle, c’est de recréer ce schéma qui avait tant fait souffrir Finn en faisant appel à la même antagoniste qu’il y a une décennie alors même qu’elle a été avertie à de nombreuses reprises de ne pas lui laisser de place dans sa vie. Finnley a toujours laissé un maximum de liberté à Bryn, tout d’abord parce qu’officiellement il n’est pas son père, mais également parce qu’il a très vite compris que sa sœur cadette a ce caractère rebelle qui tend à la pousser vers l’interdit. Alors c’était la seule exception, la seule qu’il a toujours refusé de négocier. Ne pas chercher à connaître Danielle. Et c’est peut-être lui, le problème, et cette incapacité qu’il a eue à considérer que cet interdit-là pourrait suffisamment intriguer Bryn pour la pousser dans sa direction. D’avoir été incapable de considérer que, contrairement à lui, elle voulait une mère et elle a sauté sur l’occasion lorsque celle-ci s’est présentée. Il s’en fiche bien de savoir si c’était par amour, ou simplement par intérêt, le résultat est le même : elle l’a laissée entrer dans sa vie, et par extension, dans la sienne alors qu’il a mis tant d’énergie à l’en faire sortir.    

Il se contente d’évoquer vaguement l’affaire, alors que durant une fraction de seconde il hésite à revenir en arrière et à oublier son besoin d’explications pour ne pas fragiliser cette relation autant que celle qui l’unit avec Cora. Car peu importe l’issue de la conversation, peu importe à qui découle la responsabilité, peu importe les justifications des deux partis, c’est le résultat qu’ils obtiendront. Mais Finnley a besoin de comprendre, plus qu’il n’a besoin d’excuses. Comprendre pourquoi Bryn n’a jamais jugé utile de lui en parler, plus que de comprendre pourquoi elle a eu besoin de l’aide de Danielle. Ça, il l’a très bien compris grâce à ce torchon qu’il a feuilleté, et même sans ce dernier il est forcé d’admettre que Danielle, à défaut d’être une bonne mère, a toujours été une excellente femme d’affaires (particulièrement lorsqu’il est question de monnayer ses propres enfants). Il parvient à justifier le raisonnement de Bryn, mais pas à le comprendre et il a besoin de son aide pour cela, même si cela implique probablement des explications hurlées qui résonnent dans la cuisine et des claquages de porte à en faire trembler les murs.
Il n’hésite plus et lance finalement les hostilités, non sans ressentir encore une fois ce pincement au cœur à l’idée d’user de ce ton si froid adressé à la mauvaise sœur. Mais cette sensation disparaît rapidement, lorsqu’il songe une nouvelle fois à ces quelques lignes écrites dans le magazine qui traîne encore dans un coin de la pièce. Des mois et des mois que Bryn n’est plus celle qu’elle prétend être, des mois et des mois qu’elle se joue de lui en copinant avec la personne qui lui a fait le plus de mal, des mois et des mois qu’elle lui ment à chacune de leurs rencontres – alors qu’elles sont loin de se compter sur les doigts d’une main.

Lorsque Bryn ouvre finalement la bouche alors qu’il la fusille du regard, ce ne sont pas excuses, ni même une tentative de se justifier qui en sort, mais ce qui ressemble à de l’agacement, non pas dirigée envers ses actes, mais envers le fait que ce secret n’en soit plus un. « Pas assez, visiblement. » Il rétorque immédiatement, tandis qu’à l’avancée de Bryn, lui préfère reculer pour garder une certaine distance, un mécanisme de défense qu’il a adopté depuis longtemps avec Cora et qu’il applique désormais à Bryn. Il n’a pas le temps de préciser qu’il s’en fiche bien de son résultat à la fameuse compétition qu’elle l’attaque à son tour. C’est justifié, dans un sens, parce qu’il ne s’est pas gêné quelques instants plus tôt, mais c’est brutal. Trop brutal, peut-être, et sur son visage, la colère a fait place à la déception. Ce commentaire, ce ton presque accusateur, ce n’est pas Bryn. Ça ne peut pas être Bryn, pourtant c’est bien elle qui se tient face à lui. C’est elle qui se permet de lui parler ainsi, et loin d’être une question de respect, c’est le détachement dont elle semble faire preuve face à la situation qui le choque. Comme si elle n’en a rien à faire, comme si ce n’est pas important qu’il apprenne sa trahison (puisqu’il est question de ça, dans l’immédiat, à ses yeux) via la presse plutôt qu’en face-à-face, comme si cette addiction dont il a à peine conscience peut être traitée sur le ton de la vengeance plus que d’un véritable problème. Et ce pincement au cœur surgit à nouveau, plus violent, plus désagréable, plus lié à la colère mais à la peine, alors qu’il s’oblige à maintenir le regard de sa sœur quand bien même il n’a qu’une envie : le détourner pour qu’elle n’apparaisse même plus dans son champ de vision. « C’est ça, ta stratégie ? Détourner la conversation et faire mon procès ? Très bien, allons-y. » Quittant enfin sa cadette du regard, il fait le tour de la cuisine pour balancer un coup de pied dans la poubelle contenant le verre pour la faire glisser (ou plutôt tomber) aux pieds de Bryn alors qu’il lui fait désormais face depuis l’opposé de la pièce. Bryn reprend la parole pour s’excuser, mais ça ne suffit pas pour calmer Finn, car malgré le fait que ce soit le genre de réactions qu’il attendait, elle arrive trop tard. « Les preuves sont là, on passe aux faits, maintenant ? À quel moment j’ai merdé pour que tu copines avec Danielle ? Je me suis pas assez occupé de toi ? J’ai été un frère indigne ? Pas assez de cadeaux de Noël ? Trop sévère ? Il est où le problème, pour que tu en arrives là ? » Songeant aux excuses de sa sœur, il tente de reprendre son calme, même si son précédent commentaire lui reste en tête (et probablement qu’il le restera toujours). « Pourquoi tu l’as pas fait, me le dire depuis le début ? Peut-être que… j’sais pas, peut-être que j’aurais pu comprendre, non, il n’aurait jamais pu, si tu voulais tellement un agent, tu aurais dû me le dire, on aurait trouvé une solution, n’importe quoi, pour que tu te retrouves pas à aller demander l’aide de Danielle. » Si elle lui en avait parlé, il aurait demandé à faire des heures supplémentaires au boulot sans hésiter une seconde, tout comme il n’aurait pas hésité à trouver un autre emploi pour assumer les frais que demande un agent. Si c’est ce dont elle avait besoin, il aurait trouvé un moyen pour qu’elle puisse en bénéficier. Il a toujours trouvé un moyen pour que Bryn obtienne ce qu’elle veut. « Comment… comment t’as pu me mentir durant tout ce temps ? » Il finit par demander, avant de baisser la tête. Il admet que sa réaction puisse avoir été un facteur, mais ce n’est suffisant pour justifier que ce mensonge ait duré aussi longtemps.

Face à lui, je suis à nouveau cette petite fille qui tremblait la nuit en ayant besoin de son frère pour la rassurer. Je suis fragile, instable et surtout je perds toute la confiance en moi que je peux vendre tous les jours. Face à Finn, je suis la vraie Bryn, celle qui ne sait pas ce qu’elle fait, ce qu’elle dit et celle qui a toujours besoin d’un guide, d’un mentor, de cette personne qui me montre le chemin depuis toujours. Seulement, jamais je n’ai prévu cette situation. Celle où mon frère n’est pas mon pilier mais bien la personne qui souhaite me voir six pieds sous terre pour ce que je lui fais vivre. Il connait cette vérité que j’ai toujours voulu lui cacher pour sa propre protection. Je ne sais pas comment mais il est au courant et mon agacement est grand. Je suis celle qui devait le lui annoncer. Comme une merveilleuse nouvelle, ce genre d’annonce doit se faire en face à face et par la bonne personne. Seulement, voilà, il l’avait appris seul dans son appartement et avait eu le temps de ruminer dessus et cela n’engendre rien de bon… « Pas assez, visiblement. » Je pense que c’est une question de point de vu. Tout cela peut-être entendu, je comprends sa colère. Je m’en rends pourtant compte lorsqu’en avançant, il recule comme si m’avoir proche de lui était intenable. Alors que je fais partie de cette scène, je revois parfaitement les visites de notre sœur à l’appartement où elle tentait de s’approcher, d’être avec lui et où jamais il ne la laissait entrer dans sa zone personnelle. Cette comparaison me fend le cœur et je prends enfin conscience de mes actes, de la suite et de tout ce que je vais devoir faire pour regagner la confiance perdue de mon frère. Le regard de mon frère me gèle sur place alors que j’évoque sa vengeance soudaine sur la boisson alors que le soir est loin de faire son apparition. Je ne l’ai jamais vu ainsi, jamais. Même en parlant de Cora, même en mentionnant Danielle. Jamais je n’ai vu mon frère haïr une personne autant qu’il peut sans doute le faire à l’heure actuelle avec moi. J’ai envie de fuir, de partir en courant, de me cacher à jamais pour ne plus pouvoir le faire souffrir. Pourtant, je reste, droite et probablement irritante à ses yeux. « C’est ça, ta stratégie ? Détourner la conversation et faire mon procès ? Très bien, allons-y. » Je serre les dents, je ne craquerais pas. Pas cette fois. Une c’est déjà trop à mon goût et face à lui, je ne peux le faire. Parce qu’il doit pouvoir me détester et je le laisserais faire, il est en droit car j’ai fauté mais qu’il ne rejette pas sa faute pour autant. « Je n’ai pas de stratégie et je ne comptais pas de faire un procès. C’était une simple constatation. » Une qui commence sincèrement à me mettre des doutes et à m’énerver. Mon frère pourrait avoir tous les défauts je lui pardonnerais. Celui de flinguer sa vie pour une connerie pareille ne passera jamais. Comme pour confirmer mes propos et me donner raison, il shoot dans la poubelle laissant la bouteille vide rouler à mes pieds. J’ai envie d’hurler, de lui faire comprendre qu’il agit parfaitement pour prouver que Danielle a gagné mais je n’en ferais rien. Rien parce qu’elle a gagné. A voir le tableau d’aujourd’hui et ironiquement, seul Cora s’en sort et pas si indemne que ça. En plus d’avoir réduit la confiance de mon frère à néant et ma carrière en même temps, j’ai zappé toutes les croyances que j’avais pour pactiser avec elle simplement parce que je ne pensais pas être à la hauteur et parce que j’avais envie de croire qu’elle pouvait se racheter. Mon frère se laisse pousser dans le vide et les tréfonds de l’alcool parce qu’il a tenu probablement trop longtemps des reines qu’il n’aurait pas dû prendre en charge par sa faute à elle. Cora traine sa mère en justice pour retrouver son fils perdu. Nous sommes tous dans cette situation avec un dénominateur commun : Danielle. Ou comment être élue mère du siècle.

Nous n’irons pas bien loin par des confrontations et je suis là pour autre chose : des excuses. Je les débute mais Finn n’a pas l’air de les accepter. « Les preuves sont là, on passe aux faits, maintenant ? À quel moment j’ai merdé pour que tu copines avec Danielle ? Je me suis pas assez occupé de toi ? J’ai été un frère indigne ? Pas assez de cadeaux de Noël ? Trop sévère ? Il est où le problème, pour que tu en arrives là ? » Je me mords l’intérieur des joues en secouant la tête de droite à gauche. Comment peut-il même penser que c’est sa faute à lui ? « Arrête, tu dis n’importe quoi. » Je n’ai même pas le temps de réellement finir ma phrase qu’il continue et même si son ton est plus calme son regard et sa distance en disent toujours aussi long. « Pourquoi tu l’as pas fait, me le dire depuis le début ? Peut-être que… j’sais pas, peut-être que j’aurais pu comprendre. Si tu voulais tellement un agent, tu aurais dû me le dire, on aurait trouvé une solution, n’importe quoi, pour que tu te retrouves pas à aller demander l’aide de Danielle.» Cette boule déjà immense dans mon ventre s’agrandit me donnant envie de vomir et de fuir à nouveau. Réaction pleine de courage mais montrant parfaitement mon état actuel face à la déception de mon frère. « Comment… comment t’as pu me mentir durant tout ce temps ?» J’ouvre la bouche mais aucun son n’en sort. Comment ? Je n’en sais rien. Comment aurais-je pu le lui dire ? Au tour d’un chinois ? A mon retour des US ? Par Skype alors que cela venait de se passer ? La problématique n’est pas de ne pas lui avoir dit mais bien de l’avoir fait… J’ai honte, terriblement honte et ma voix se fait bien plus cassée que ce que je n’aurais souhaité. L’agent je l’avais, Danielle, je ne l’avais pas. Au fond de moi, je le sais. Bien plus qu’un agent hors norme, Danielle est ma mère et je reste cette petite fille qui a toujours voulu voir sa mère la regarder de la même manière qu’elle le faisait pour Cora, voici la raison profonde de mon acceptation à sa demande plus que forte. « Je… Je n’ai jamais réussi à te le dire, j’avais trop peur de ça. De ce regard, de te décevoir. » Même si au final, je le déçois tout de même et d’autant plus. « Je ne suis pas allée demander de l’aide à Danielle. C’est elle qui est venue me trouver. Elle m’a tenu au corps pendant un mois avant d’arriver avec une offre que je ne pouvais refuser et … » Je baisse les yeux ne supportant même plus ma propre présence. « Je pense avoir cru qu’elle pouvait changer, que je pouvais la faire changer… » Et au départ, j’y ai cru. J’ai cru qu’elle voulait réellement mon bien. Celui de ma carrière, je ne doute pas, le mien, je n’en suis pas certaine… Ma relation avec ma mère est tout de même devenue une relation durant cette année et non ce néant qui existait depuis ma naissance. « Elle avait enfin remarqué ma présence. » Et ça, comment j’aurais pu le lui dire à lui ? Lui qui a tout fait pour faire oublier à Danielle ma présence pour me protéger d’elle et des situations comme celle que je suis en train de vivre ? « J’ai merdé, même plus que ça. » Je lève les yeux au ciel comme si c’était une évidence. « Comment je pouvais te dire ça, Finn ? » Comment lui annoncer que j’avais rayé tous ses efforts en une simple signature ?

Au fond de lui, Finn a toujours pensé que s’il est incapable d’accorder son pardon à Cora, il aurait toujours été en mesure de passer l’éponge sur les actes de Bryn, peu importe leur gravité ou leur valeur morale. Cora pourrait écraser par inadvertance un oiseau que Finn parviendrait à lui faire son procès ; Bryn pourrait tuer un homme à mains nues qu’il l’aiderait à cacher le corps. Son seuil de tolérance a toujours été (bien) plus élevé pour sa petite sœur que pour sa jumelle, et si jusqu’ici Bryn n’a jamais mis celui-ci à l’épreuve, elle a, dès son premier essai, outrepassé la limite imaginaire qu’il a fixée. Il aurait été en mesure de lui pardonner tant de choses qu’elles sont impossibles à toutes énumérer, mais il y a une chose sur laquelle il se sent incapable de passer l’éponge : le fait qu’elle ait laissé entrer Danielle dans sa vie. Pourtant, ce n’est pas sa vie, c’est pour cette raison que dès que Bryn fut en âge de voler de ses propres ailes Finn l’a laissée faire ses propres choix, sans jamais intervenir ou faire part de son opinion (du moins, pas dans le but de la dissuader de faire ses propres expériences). Danielle, c’est le seul sujet sur lequel il se serait permis de demander un droit de regard, quand bien même il est le premier à ne pas apprécier ce rôle de juge. Et en fin de compte, il s’agit de Bryn, le temps aurait fait son effet et il aurait été en mesure de lui pardonner tôt ou tard. Mais au fur et à mesure qu’il se mure dans ce silence après avoir lancé les accusations contre sa sœur, il réalise que le véritable problème n’est pas tant qu’elle ait souhaité partager quelque chose avec cette mère qui n’a jamais su remplir ce rôle, le problème est que Bryn a continué de faire comme si de rien n’était, alors qu’elle avait parfaitement conscience qu’elle abimait un peu plus chaque jour sa relation avec son frère, jusqu’à finalement atteindre la frontière après laquelle elle ne pourrait plus être réparée.

Elle a continué, pourtant. Et elle continue encore, à en croire cette presque condescendance avec laquelle elle accueille les accusations et cette fausse tentative de trouver un nouvel accusé. Qu’elle ne s’y trompe pas, à cet instant précis c’est elle qui doit rendre des comptes. Et viendra le jour où lui aussi, mais pas aujourd’hui, pas dans ces circonstances et certainement pas à elle, pas à cette Bryn-là. Cette Bryn qui s’apparente à une inconnue. Au-delà de ses actes, c’est sa voix et ses paroles qu’il ne reconnaît pas, qu’il ne parvient pas à identifier comme étant réellement les siennes. « Je me passe volontiers de tes constatations. » Il rétorque, paradoxal, alors qu’il lui les offre sur un plateau d’argent et qu’il les a même demandées quelques secondes auparavant. Son avis ne vaut pas grand-chose à cet instant précis, c’est la raison pour laquelle il s’ose enfin à lui donner une preuve de ce mal qui le ronge depuis des semaines, alors que jusqu’ici il s’évertuait à le dissimuler, pour ne pas décevoir sa sœur. Mais puisque la déception de l’autre semble être d’actualité, plus rien ne le retient, et peu importe s’il se contredit, peu importe s’il ne réfléchit plus ; Bryn n’a pas non plus fait preuve de beaucoup de réflexion concernant ses propos, ils peuvent ainsi prétendre lutter à armes égales.

Les excuses débutées par Bryn ne sont pas suffisantes pour calmer la colère de Finn, parce que sa sœur les a reléguées au second plan, et que Finn comprend qu’elle n’a finalement pas beaucoup plus d’estime pour lui qu’elle en a pour Cora ou même qu’elle en avait pour leur mère il y a encore un an. Peut-être parce que c’est lui le problème, peut-être qu’il a exercé une tyrannie sur Bryn sans même s’en rendre compte. Il est conscient qu’il ne lui a pas offert la meilleure éducation qui soit malgré tous ses efforts, parce que lui-même n’avait pas terminé la sienne. Parce qu’il est difficile de donner des règles à sa sœur quand on est soi-même incapable de les suivre, parce qu’il est difficile d’accepter le rôle d’homme sans être passé par la case intermédiaire qu’est l’adolescence. « Il doit y avoir un fond de vérité, pourtant. » Pour qu’elle ne retienne pas la leçon qu’il lui a si longtemps enseignée.

Son ton se veut plus calme quand il imagine une situation où il aurait été mis au courant dès le départ des attentes de Bryn, une situation qui n’aurait pas débouché à ce moment, une situation où il aurait peut-être dû enchaîner les gardes et les boulots mal payés, mais où sa relation avec Bryn n’aurait pas été mise à mal. Une situation où elle n’aurait pas eu à lui mentir durant tout ce temps, car c’est bien ce qu’il ne parvient pas à justifier. Elle le connait suffisamment pour savoir qu’il n’est pas colérique de nature, Finn, qu’il est loin d’être violent et qu’il aurait été incapable de la sortir de sa vie comme il l’a fait avec Cora. Il obtient un semblant de réponse, qui le convainc peu. « Et tu vois où on en est, maintenant. » C’est pas seulement de la déception, c’est aussi de la colère, de l’incompréhension, un cocktail de sentiments avalé d’une traite et dont la gueule de bois risque de faire mal pendant longtemps.

Aux paroles de Bryn, il comprend toutefois que sa colère est orientée sur la mauvaise personne. Pendant quelques instants, elle est dirigée contre lui, contre le fait de ne pas avoir laissé le bénéfice du doute à sa petite sœur et d’avoir supposé d’entrée de jeu qu’elle est celle qui a initié ce nouveau partenariat, quand il s’agit en réalité de Danielle. C’est une évidence, en fin de compte, que celle-ci ne se souvienne de ses enfants que lorsque ceux-ci sont susceptibles d’alourdir son porte-monnaie, Bryn n’échappe pas à la règle. Ça ne change rien à la problématique principale qu’est ce mensonge si longtemps caché, mais sa colère s’oriente sur une toute autre personne, laissant à Bryn un certain répit – probablement de courte durée. « Je vais la tuer. » Qu’il marmonne, avec un lourd soupir. S’il a déjà émis ce souhait auparavant et qu’il n’a jamais caché le fait qu’il aurait préféré que Danielle y reste plutôt que leur père, ce vœu ne lui est pas revenu en tête depuis un certain temps, parce que Danielle n’est pas intervenue dans leur vie durant ce certain temps. Du moins, c’est ce qu’il croyait jusqu’à aujourd’hui. Affichant une mine moins renfrognée à mesure que Bryn évoque la présence de Danielle de sa vie, Finn avance d’un pas, prêt à prendre sa petite sœur dans ses bras avant de se raviser. Il est incapable de passer l’éponge en une dizaine de minutes seulement, mais il n’en est pas moins touché par les paroles de Bryn. Briser cette distance, même un peu, est un moyen de lui signifier que, malgré tout, il est désolé pour elle. Désolé qu’elle ait cru que Danielle pouvait changer, désolé qu’elle ait espéré, désolé qu’elle se soit rendu compte du caractère immuable de leur mère de la pire des façons. « Je sais pas, mais ça aurait dû venir de toi et pas de ce torchon à scandales. » Il soupire, en jetant un coup d’œil au magazine par terre. En vue des ressentiments qu’il a envers Danielle, il n’y avait pas de bon moyen d’annoncer la chose, mais il l’aurait mieux accepté si Bryn avait eu l’honnêteté de le lui annoncer, peu importe la façon. « J’ai merdé aussi. » Il admet toutefois, toujours de son coin de la pièce. « Je suis pas ton père et elle… elle reste ta mère, c’était pas à moi de décider de t’en tenir éloigné durant toutes ces années. Même si ça m’a semblé être la chose à faire, et que ça me le semble toujours, c’est pas le genre de décision que j’aurais dû prendre pour toi. » Toutefois, il n’en est pas désolé. Parce qu’il vient d’avoir la preuve que c’était la chose à faire, et s’il devait le refaire, il le referait sans hésiter. Mais c’est plus complexe que ça, et il a conscience qu’il n’aurait pas dû imposer son opinion à Bryn. « J’espère au moins que ça t’a servi de leçon quant au fait qu’elle ne changera jamais. » Son ton se veut à nouveau froid, envieux de faire comprendre à Bryn que faire amande honorable ne lui permet pas de passer l’éponge si facilement. « Tu comptes continuer à avoir des contacts avec elle ? » Réalisant que la réponse risque de lui déplaire, il se ravise rapidement. « Non, oublie. Je crois que je préfère ne pas savoir. » L’ignorance, c’est la meilleure option. Et ça lui a réussi, jusqu’ici. « Cora est au courant ? J’imagine que c’est avec son argent que tu as payé Danielle. » Car il peine sérieusement à imaginer qu’elle puisse travailler bénévolement, même pour sa propre fille. L'accord financier qu'ils ont passé stipule que Cora doit payer les études de Bryn, mais rien ne l'empêche de lui fournir un genre de bonus, ni à Bryn d'en faire un autre usage. Et là-aussi, il ne sait pas s’il préfère rester dans l’ignorance ou non, dans le cas où la réponse serait affirmative, il risque de regretter sa question. Et Bryn sa visite.

Spoiler:

Être assise dans un tribunal pour meurtre avec une condamnation à perpétuité ou même à la chaise doit être plus réjouissant que cette tension régnant entre mon frère et moi. Si j’ai toujours voulu lui avouer, je n’en ai jamais trouvé la force et si même je l’avais trouvé est-ce que cette conversation n’aurait pas eu lieu ? Je n’arrive plus à penser clairement, là devant lui, trouvant le moindre indice pour me retourner sur lui et comme à mon habitude éviter que la conversation s’axe sur ma petite personne. « Je me passe volontiers de tes constatations. » Mes lèvres me brûlent, j’ai envie de lui crier ses quatre vérités à la figure mais me retient. Il reste l’être que j’aime le plus au monde et cet homme qui a toujours été un modèle à mes yeux. Un sage torturé que je ne saurais enfoncer davantage, pas aujourd’hui, pas maintenant, et peut-être même jamais. La déception doit parfaitement se lire dans mon regard mais il n’en prend compte comme si son but actuel était de me blesser autant que ce que j’ai pu faire en accordant vainement ma confiance à notre génitrice. Je me déteste pour ça et je pense qu’il n’a pas besoin de tant d’efforts pour me faire de mal, juste son regard posé sur moi suffit. Je l’ai trahi et j’ai l’impression que jamais je ne pourrais retrouver cette confiance que nous avions.

Alors qu’il prend la faute sur lui en justifiant que l’éducation qu’il m’a donnée est la cause de cet acte, je ne peux que le reprendre. Il réfléchit et je sais au fond de moi qu’il se fustigera quoi qu’il en soit, quoique j’en dise. Je ne sais pas comment lui faire comprendre que ce n’est pas contre lui, pas à cause de lui que j’ai accepté l’aide de Danielle mais bien pour une toute autre raison. Seulement, il ne peut le voir car à cet instant, il ne voit que par la haine qu’il éprouve pour cette personne et la déception voire la répugnance que je lui évoque. « Et tu vois où on en est, maintenant. » J’en tremble. Cette voix, ce regard, jamais ils ne m’ont été adressé, je ne les ai même jamais aperçus. Je souhaite sincèrement lui faire comprendre mais c’est un acte vain, je ne vois pas comment m’en sortir et la détresse doit maintenant avoir pris possession de mes iris. Pourtant, je tente, j’essaye de lui expliquer le comment du pourquoi, la raison de cette implication, comment j’en suis simplement arrivée à faire un pacte avec le diable. « Je vais la tuer. » Un air froid parcours mon échine, ne sachant pas entièrement si cette phrase m’est destinée ou plutôt à la femme qui se trouve actuellement derrière les barreaux. Rapidement, je me rends compte qu’elle est la personne visée mais je sais parfaitement que je ne serais pas sans reste, loin de là. Pourtant, je continue dans ma lancée, tentant de lui donner les détails nécessaires même si je sais pertinemment qu’ils ne suffiront pas. Alors que mon frère fait un pas en avant, mon instinct me crie de faire le même en arrière mais mon cœur d’avancer à mon tour. Ma raison gagne le combat, je ne bouge pas laissant pourtant mon cœur tenter de vaincre cette décision en allant de l’avant par des battements toujours plus intenses. Je rêve qu’il me tende les bras que je puisse enfouir ma tête sur son torse, mais je ne suis pas assez naïve, il a besoin de temps, il ne fait pas parti de ces personnes qui pardonnent facilement, je le sais, je suis comme lui… « Je sais pas, mais ça aurait dû venir de toi et pas de ce torchon à scandales.» Je baisse le regard, honteuse. Le dernier filet d’estime que je pouvais avoir de moi s’envole avec ses paroles, tandis que mes pieds tentent de trouver un chemin pour s’enterrer profondément. « Je suis désolée… » Je ne le dirais jamais assez mais c’est ce sentiment qui m’habite le plus. Désolée de tout mais surtout de ne pas avoir agis à sa hauteur à lui, de l’avoir déçu et d’avoir trahi la seule demande qu’il n’ait jamais eu. « J’ai merdé aussi. » Intriguée, un sourcil relevé et l’autre froncé, je relève doucement la tête pour attraper son regard. « Je suis pas ton père et elle… elle reste ta mère, c’était pas à moi de décider de t’en tenir éloigné durant toutes ces années. Même si ça m’a semblé être la chose à faire, et que ça me le semble toujours, c’est pas le genre de décision que j’aurais dû prendre pour toi.» Ma main joue douloureusement avec le meuble sur lequel je m’appuie alors que ma gorge se fait sèche. Mes paupières embuées ne lâchent toujours rien et bien heureusement pour elles, seulement, cette boule qui me prend depuis tout à l’heure se fait de plus en plus douloureuse. « J’espère au moins que ça t’a servi de leçon quant au fait qu’elle ne changera jamais. » Je me mords la lèvre. Peut-être. Je n’en sais rien. Je sais que ma mère n’est pas une femme bien, loin de là, elle est même probablement en compétition avec le diable mais… Je crois en l’être humain et même si elle s’intéressait à moi pour l’argent que je pouvais rapporter, elle prêtait attention et faisait en sorte que je sois bien, ça je ne pourrais pas lui enlever. Je me conserve tout de même de l’avouer à mon frère pour éviter de me retrouver banni de cet appartement et de ne plus jamais le voir de ma vie. Doucement, j’acquiesce donc en hochant la tête vers la droite. « Tu comptes continuer à avoir des contacts avec elle ? » Mon cœur bat à tout rompre, que puis-je dire ? Mentir à nouveau ou lui dire la vérité, lui avouer mon incertitude face à cette question et rompre à tout jamais le lien que j’ai avec lui ? « Non, oublie. Je crois que je préfère ne pas savoir. » Je soupire, soulagée de ce revirement. Il a compris. Je me mords les joues. Je veux parler mais me rend compte que ma gorge est trop sèche, il ne m’entendra même pas. Pourtant, je me tousse et réussi à balbutier avant de reprendre un véritable débit. « J’ai compris et je sais aussi maintenant que si c’était à refaire, je ne laisserais pas ma carrière briser tout le reste. Ce n’est pas assez… important. » Parce que même si le surf est presque tout pour moi, mon frère est bien plus encore et à choisir, je préfère perdre le sport que lui, ce que j’ai pourtant risqué à la perfection sur ce coup. « Et… tu es peut-être pas mon père Finn, mais tu as surement pris la bonne décision, il fallait que quelqu’un le fasse. Bien qu’elle n’aurait de toute manière pas émit d’intérêt pour moi avant l’adolescence… » Tant que je n’avais pas le surf, ma mère me voyait simplement comme une erreur, je le savais et avant qu’elle ne vienne vers moi, je commençais à l’accepter. « Tu n’avais peut-être pas le titre officiel, mais bien que ça n’arrangera rien actuellement, tu dois arrêter de te reprendre, tu as été le meilleur père que je puisse avoir. » Et loin de moi l’idée de le lui dire pour l’adoucir, c’est simplement la pure vérité, celle qui quoiqu’il arrive, ne changera pas.

« Cora est au courant ? J’imagine que c’est avec son argent que tu as payé Danielle. » Cette fois-ci, surprise, je le regard les yeux écarquillés. Alors que j’ai passé ma vie à participer à ce lynchage facile sur notre sœur, m’être rapproché d’elle complique la tâche. Cette accusation gratuite envers sa jumelle me fait presque mal pour elle. A vrai dire, ça me fait mal pour elle, le presque a disparu. Je me rappelle la patience dont elle a fait preuve, ses gestes attentionnés envers moi, cette joie en parlant de papa et surtout cette douleur dans ses yeux lorsque nous la rejetons. « Non. » Je le regarde froidement cette fois-ci. Je ne peux défendre Danielle, elle ne le mérite pas, Cora cependant a le droit au pardon, j’en suis aujourd’hui persuadée. « Enfin. Elle est au courant mais seulement depuis quelques jours. » Six pour être exacte. « Jamais elle ne m’aurait donné son argent pour ça. Elle m’aurait tout autant que toi, demandé de ne pas le faire. Par contre, elle regarde à l’heure actuelle pour me trouver un nouvel agent. » Parce qu’elle est passée au-dessus de mon erreur, acte peut-être plus simple pour elle que pour lui, puisqu’elle avait vécu cette fourberie de Mme Coverdale. « Et je n’ai pas besoin de Cora pour payer un agent, elle gagnait bien assez sur mes com’… » Presque autant que moi d’ailleurs… J’aurais aimé ne pas lui en parler comme ça, mais l’argent de Cora, bien que très utile pour payer mes études, n’est plus utile à mon quotidien, je gagne assez bien ma vie par les compétitions ou les contrats de sponsoring que je peux faire. Seulement, j’aurais aimé ne pas le lui dire avant d’avoir atteint mon but : réunir assez pour qu’à son tour, il puisse réaliser ses rêves. « J’avoue mettre bien trompée sur Danielle et d'avoir merdé sur toute la ligne, mais… tu devrais peut-être laissé une chance à Cora, Finn… » Après tout, elle est sa sœur jumelle, bien qu’elle l’ait fait souffrir au plus haut point, son coté de l’histoire vaut la peine d’être entendu et elle ne demande rien d’autre que cela… Je sais que je lui en demande beaucoup, surtout avec le sujet que nous avons sur le feu, mais quitte à être dans les révélations…

Spoiler:

Une partie de lui a, évidemment, envie d’entendre les explications de Bryn. Dans un premier temps, son besoin de comprendre est plus fort que sa colère. Comprendre comment elle a pu lui cacher cette information durant tout ce temps, s’empêtrer dans ce mensonge en sachant pertinemment que le jour où la vérité éclaterait serait synonyme de rupture brutale du lien qui les unit (le dernier lien entre deux membres de la famille Coverdale, par ailleurs), comment elle a pu en arriver là, comment ils ont pu en arriver là. Pourtant, quand Bryn prend la parole, ce n’est pas pour justifier l’enchevêtrement de ses mauvaises décisions à elle, qui les a amené ici, mais pour critiquer ses mauvaises décisions à lui, qui l’amène à un seuil de tolérance bien plus bas que le normal. Raison pour laquelle une autre partie de lui souhaite que Bryn se mure dans un mutisme ne permettant aucune justification, mais se voulant bien moins douloureux, et franchisse le seuil de cette porte pour disparaître, quelques jours, quelques semaines, il n’est pas encore fixé sur le sort qu’il lui réserve même si la seconde option semble prendre l’avantage. Il se passe volontiers de ses contestations, c’est la version officielle, officieusement il comprend qu’il a atteint un point de non-retour qui n’est pas négligeable. Il a toujours mis un point d’honneur à sauver les apparences face à sa petite sœur : lorsque leur père est mort, lorsque les factures s’accumulaient parce que Danielle n’envoyait pas assez d’argent, lorsque le départ de Bryn pour l’université a sonné une profonde remise en question pour Finn et désormais ; le fait que cette remise en question passe par une addiction à l’alcool qui prend toujours plus de place dans sa vie. Lui n’emploierait pas ce terme, préférant minimiser les faits concernant « ce petit problème », mais le résultat reste le même : Bryn a compris que quelque chose cloche, peut-être même avant lui. Et c’est problématique, peut-être au même niveau que le sujet Danielle, parce que ça lui fait peur. Alors oui, il se passe de ses constatations, pour mieux se complaire dans sa mauvaise foi.

Alors qu’il parvient à mettre celle-ci de côté pendant un court instant lorsqu’il daigne écouter les explications (valides, mais toutefois insuffisantes) de Bryn quant à la peur de le décevoir, la colère reprend rapidement le dessus. D’abord dirigée envers lui-même, cette colère se dirige bientôt vers celle qui a fait naître, la première, un tel sentiment en Finn : Danielle. Si cela n’excuse en rien le fait que Bryn a menti durant tout ce temps, cela lui permet d’offrir un court instant de répit entre deux accusations envers cette dernière. Il se fiche bien de savoir si c’est acceptable ou non de parler de cette façon de celle qui lui a donné la vie, mais son rôle de mère s’arrêtant-là, Finnley n’a aucune honte à émettre le souhait que celle-ci croupisse six pieds sous terre. Il l’a déjà formulé par le passé, il le formulera probablement dans le futur ; il persiste à voir une forme d’injustice quant au fait que Danielle soit toujours là, tandis que leur père leur a été enlevé beaucoup trop tôt. Même si Finn ne l’admettra jamais, il y a une autre raison derrière cette colère : Danielle a jugé Bryn suffisamment intéressante pour tenter par tous les moyens de se refaire une place dans sa vie, alors qu’elle ne s’est pas formalisée quand Finn l’a évincé de la sienne.  

Instinctivement, il réduit la distance entre eux lorsqu’elle évoque le fait que Danielle avait, enfin, remarqué sa présence. Il voudrait continuer à en vouloir à Bryn, mais à cet instant précis il n’en est pas capable. Car il ne sait que trop bien à quel point chaque geste de Danielle envers ses enfants est précieux, et que réussir à attirer l’attention de la matriarche est une victoire indescriptible. Une victoire qui a certes un goût amer, mais qui procure un instant de joie inestimable, une sensation dont il a privé Bryn sans que ce ne soit pourtant son rôle. Alors qu’elle formule des excuses qui se veulent enfin sincères et appréciables, il affiche un maigre sourire au coin des lèvres, avant de faire, à son tour, son mea-culpa. Elle n’est pas la seule qui doit des excuses aujourd’hui, il en prend conscience même s’il campe sur ses positions : la tenir éloignée de Danielle lui semblait la chose à faire et il le referait sans hésiter. Parce que Bryn a affronté la déception que leur mère représente en ayant les armes pour le supporter, ce qui n’aurait pas été le cas il y a quelques années. Elle sait à quoi s’attendre désormais, et elle est suffisamment grande pour prendre ses propres décisions. Même s’il n’est absolument pas d’accord avec certaines d’entre elles, c’est quelque chose qu’il doit accepter. Comme la possibilité qu’elle continue à avoir des contacts avec Danielle, et la simple idée que ce soit le cas tend chacun de ses muscles, tandis que la non-réponse de Bryn avant qu’il ne se rétracte lui fait serrer le poing. Ses décisions à elle, oui, mais ça ne l’empêche pas de ressentir à nouveau de la déception. Son seul réconfort, il le trouve dans le fait que Danielle va très probablement passer de longues années derrière les barreaux, et rien que de l’imaginer en tenue orange et malmenée par les autres (parce qu’avec son caractère, elle le sera), lui dessine un sourire sur les lèvres. Un sourire qui ne disparaît pas immédiatement, lorsque que Bryn le rassure quant à l’éducation qu’il lui a donnée. Il reste muet, n’étant pas forcément à l’aise avec les grandes déclarations, mais Bryn le connaît suffisamment pour comprendre la signification derrière ce sourire discret, mais sincère.  « Ta carrière est importante, Bryn. Tu as l’opportunité de faire ce qu’il te plaît vraiment, ce n’est pas donné à tout le monde. Jamais je ne t’empêcherai de réaliser ton rêve, peu importe ce que ça peut coûter. » Il s’est déjà sacrifié pour elle, il est capable de le refaire à tout moment, peu importe l’état de leur relation. Bryn a l’opportunité de vivre la vie dont elle rêve ; et il n’est que trop bien placé pour savoir que ça ne se refuse pas.

Pour la première fois depuis qu’ils ont cette conversation, les tensions semblent s’apaiser. C’est sans compter sur Finn qui, incapable de se contenter des réponses de surface, réalise que si Danielle a été arrêtée, il est envisageable que Cora soit au courant. Tout comme il est encore plus probable que l’argent qu’elle verse pour les études de Bryn serve également à financer les services d’agent de la matriarche. Paradoxalement, même s’il est le plus grand soutien de sa petite sœur, le fait est qu’il n’assiste pas à ses compétitions (pas en direct, en tout cas), et qu’il la laisse gérer sa carrière : il n’a donc aucune idée de l’argent qu’elle peut amasser ou, à l’inverse, perdre. Le regard froid qu’elle lui adresse ne le chamboule pas, la réponse qui suit l’agace profondément. « Donc elle était au courant avant moi. » Il dit, stoïque, tandis qu’elle a essayé de noyer l’information en enchaînant les explications. « Y’a quelqu’un dans cette ville qui n’a pas été mis au courant avant moi ? » Il soupire, sans pointe de colère, mais plutôt désabusé par la situation. Danielle et Bryn travaillent ensemble, Cora et Bryn font amie-amie, et il y a lui, toujours en dehors du schéma familial, dont on ne se préoccupe que lorsqu’il y a nécessité ou obligation. Ce n’est évidemment pas la vérité, mais c’est son point de vue, emplit de mauvaise foi. Bryn lui confirme qu’elle gagne bien assez sans avoir à demander de l’aide à Cora, et il ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil à l’appartement autour de lui. Et Cora qui lui cherche un nouvel agent. Il soupire, réalisant que cette pensée qu’il ne lui était pas revenu en tête depuis un certain temps tend à se confirmer : Bryn suit les traces de Cora et d’ici quelques années, mois si tout se passe bien, elle sera devenue quelqu’un, et leurs contacts se limiteront à un appel de temps à autre, si elle a le temps entre deux voyages à travers le monde. « Peut-être, oui. » Il admet par la suite quand la possibilité de laisser une chance à Cora se présente. Que Bryn ne pense pas qu’il n’y a jamais réfléchi, bien-sûr qu’il y pense régulièrement, mais ce n’est pas simple. Rien n’est jamais simple dans la famille Coverdale, aujourd’hui en est encore une preuve. Et s’il tente de garder son calme, il n’apprécie pas d’apprendre qu’en plus de Danielle, Bryn s’est rapprochée de Cora. C’est trop d’informations pour lui, trop à avaler d’un seul coup. Il a besoin de se calmer, il a besoin d’un verre. « Mais j’ai assez donné concernant les femmes Coverdale pour mériter une pause. » Il soupire, tandis qu’il fait quelques pas en direction de Bryn, seulement pour lui passer à côté et lui ouvrir la porte d’entrée.