J'aimais vraiment mon travail même si j'avais toujours cette peur de voir débarquer quelqu'un que je connaissais, quelqu'un que j'aimais pendant mon service, j'avais cette peur depuis un très bon moment maintenant, je suppose que c'est normal lorsque l'on voit des horreurs chaque jour dans le cadre professionnel, non ? Cet homme qui avait prit une balle par accident dans un règlement de compte, ça pourrait être Liam. Celui là qui était tombé dans les escaliers et qui avait maintenant un énorme trou béant à l'arrière du crâne, ça aurait pu être Cory, il avait tellement la tête dans la lune. Ce jeune homme brûlé au second degré, ça pourrait être Mickey... Le danger était partout. Cette femme, allongée sur un lit dans la salle d'attente, amenée par les pompiers il y a quelques minutes, visiblement inconsciente... Une minute. Cette femme, je la connaissais même si je ne savais pas d'où, peut être était-elle déjà patiente ?
Je continuais ma tournée des patients, sortant de ma rêverie lugubre avec un soupir à fendre un cœur d'huissier. J'arrivais enfin à la fin de ma tâche, allant vaquer à mes autres occupations ensuite lorsque mes yeux se focalisèrent sur la femme que j'avais aperçue dans la salle d'attente tout à l'heure. La porte de sa chambre était ouverte, elle semblait avoir reprit conscience et être perdue. Je n'arrivais pas à croire qu'elle veuille bouger, de ce que j'avais entendu sur son cas, elle ressentait une énorme douleur, il était peu probable que la douleur ait disparue d'un seul coup. « Ne bougez pas. Vous allez vous faire plus de mal, reposez vous. » Doucement, je forçais la jeune femme à se rallonger dans son lit, lui souriant gentiment.
Elle se résignait et je remettais la couverture sur elle, elle devait garder de la chaleur, sur son dossier était marqué qu'elle avait été admise transie de froid, ce qui était anormal pour la saison. J'effectuais les contrôles de rigueur alors qu'elle m'observait. Je sentais son regard sur moi, il était assez fréquent qu'il faille gagner la confiance d'un patient pour pouvoir s'en occuper pleinement, ce qui était tout à fait normal, après tout les infirmiers se transformaient souvent en une sorte de confident, essayant de sonder la vie privée de leurs patients.
Je me tournais vers la jeune femme et lui souris, ses signes vitaux étaient bon. « Est-ce.. que vous pouvez me dire pourquoi je suis ici s'il vous plaît ? Je ne me souviens plus très bien ce qui m'est arrivé, même si j'ai ma petite idée. Dites, j'ai... est-ce que j'ai saigné ? » Ses propos me mirent la puce à l'oreille. « Vous ne vous souvenez plus ? Vous avez été admise aux urgences inconsciente, vous vous êtes évanouie en pleine rue, un passant à appeler les pompiers. Arrivée ici, vous avez eu des moments de réveil partiels où vous vous plaigniez à chaque fois d'une vive douleur. Quant aux saignements... » Je n'avais pas vu ça sur sa fiche mais je vérifiais à nouveau. Son nom me frappa en même temps. « Non, il n'y a rien qui indique que vous ayez saigné. Zelda, comme la princesse ? » J'hésitais un moment, le visage de la jeune femme ne me semblait pas ouvert à la conversation. Je souris à nouveau. « Ecoutez, si vous savez quelque chose qui pourrait nous permettre de vous aider, ce serait bien de le dire. Un évanouissement peut arriver mais en ajoutant la sensation de froid et la douleur, ce n'est pas anodin. Mon but n'était évidemment pas de la forcer ou de porter un quelconque jugement mais ses questions, en particulier les saignements, m'avaient l'air ne pas sortir de n'importe où.
J'avais essayé de détendre l'atmosphère un minimum pesante dans la chambre avec une remarque sur son prénom, mon humour avait beau être une valeur sûre, de ce que je pensais, force était de constater que cette fois-ci ça n'avait pas tellement fonctionné. J'essuyais une réponse un peu sèche. « Oui, comme la princesse du jeu-vidéo, mes parents n'ont pas eu beaucoup d'imagination sur ce coup-là. » Je comprenais tout de fois, le contexte de l'hôpital n'était pas le plus agréable des contextes et j'étais prête à parier qu'elle ne comptait plus les fois où on lui avait posé cette même question. Je ne l'avais pas vraiment joué réfléchie sur ce coup. « Au contraire, je trouve ça très joli, c'est original. Disons que même ici, je n'ai pas entendu ce prénom souvent. C'est rafraîchissant. »
Une chose me chiffonnait depuis que j'avais aperçue ma patiente dans le couloir, son visage continuait à m'être familier. « Je peux vous poser une question ? Depuis que je vous ai vue tout à l'heure, j'ai l'impression de vous connaître, ou du moins de vous avoir déjà vue quelque part, encore plus maintenant que je vous vois bouger. Il est possible que l'on se connaisse ? » J'épluchais sa fiche de renseignements, dans l'espoir de mettre le doigt sur un détail qui pourrait expliquer son état premièrement et de trouver une réponse à ma question, optionnellement. Pour les explications je n'eus pas à attendre très longtemps. « Je suis atteinte d'endométriose profonde. Celle-ci peut me donner des nausées jusqu'à vomissements ainsi que des grosses fièvres et aussi des évanouissements. » Je trouvais une chaise du bout des doigts dans mon dos et m'asseyais. Bien sûr, ce n'était pas le cas de maladie le plus horrible que j'avais entendu ici mais c'était l'attitude de cette jeune femme qui me perturbait.
Combien de mauvaises nouvelles telle que celle là j'avais annoncé à des personnes qui n'avaient rien demandé ? Elles avaient toujours la même réaction, la peur, la tristesse. Zelda, elle, était si calme, on aurait dit que c'était une fatalité. « Et plus je vieillis et plus cela devient insoutenable voir invivable. Et c'est aussi pour ça que je vous ai demandé si j'avais eu des saignements, mais faut croire que mon cycle n'a pas encore commencé. » J'observais un temps de silence, me remémorant mentalement ce que j'avais appris sur cette maladie. « Ceci explique cela. Je l'ai noté sur votre dossier, un médecin viendra s'occuper de vous un peu plus tard. » J'inscrivais tout ce qu'elle venait de me dire sur sa fiche, ça aurait pu avoir l'air intrusif si ça ne nous permettait pas de sauver des vies.
« Une chose m'échappe. Êtes vous prise en charge pour ça ? Vous voyez un médecin ou un gynécologue régulièrement pour contrôler ? » Vu comment elle en parlait, elle le savait depuis un moment et pire encore, il était apparemment assez régulier qu'elle s'évanouisse comme ça. « Les évanouissements, les saignements, ça vous arrive souvent ? » Si c'était le cas, comment se faisait-il que je n'avais presque pas d'archives la concernant ?
J'avais exprimé le fond de ma pensée par politesse, me sentant obligée de me justifier mais je sentais bien que la jeune femme me répondait uniquement pour ne pas me froisser, je décidais donc de laisser tomber le sujet de son nom et enchaînais avec ce qui me trottais en tête depuis tout à l'heure, cet air familier que je lui trouvais. « Je suis mannequin, vous m'avez sûrement vu à la télé pour des publicités ou sur des grandes affiches dehors. » Je la regardais plus attentivement, évidemment. Elle avait tout ce qu'il fallait pour être une mannequin. « Oh. » Consciente de ma réponse sèche, je lui souris pour rectifier le tir. « Je veux dire, oui, j'ai du vous voir de là. C'est une bonne explication. » A dire vrai, j'avais eu tellement de cas d'anorexie, d’hyper stress, de boulimie entre autres choses lorsque j'étudiais les troubles psychologiques, les hommes et femmes de ce milieu étaient constamment à la recherche de la perfection, tellement qu'ils se faisaient du mal. Je n'avais cherché à savoir si j'avais pu, ou pas, être mannequin, contrairement à beaucoup de filles de ma génération. Je ne pensais pas qu'il était très sain d'évoluer dans un monde pareil avec une telle maladie mais ce n'était pas mon rôle de penser ça, je me taisais donc.
J'observais Zelda. C'était triste qu'une femme si jeune, qui était censée avoir la vie – qu'elle voulait – devant elle, avait une maladie comme l'endométriose. Même à l'école, ils n'en avaient pas beaucoup parlé. C'était une de ses maladies qui restaient sans solution malheureusement malgré la recherche. On pouvait dire qu'elle avait du courage de vivre avec pourtant personne ne lui avait demandé son avis. « ... » J'ouvrais la bouche mais rien ne sortait, quelque chose me disait qu'elle prendrait une quelle conque remarque pour de la pitié, ce que je ne voulais surtout pas qu'elle pense. Je lui posais donc des questions sur ses traitements médicaux à la place, bien que même un suivi régulier ne pourrait rien pour elle et sa douleur. « Je dois voir à "vie" mon médecin traitant et gynécologue puisqu'ils n'existent pas, à l'heure d'aujourd'hui de réel traitement pour l'endométriose si ce n'est les opérations chirurgicales afin d'atténuer la douleur. J'y ai eu recours plusieurs fois, mais la douleur restait toujours la même alors j'ai laissé tomber, tout simplement. En ce qui concerne les évanouissements c'est assez fréquent je dirais. Pas souvent, mais j'en ai eu pas mal chez moi. Et les saignements.. bah c'est parce-que j'ai les règles. Quand j'ai mal comme ça c'est signe que mon cycle va commencer ou bientôt commencer.
J'écoutais attentivement, un témoignage en direct était toujours bon à prendre d'autant plus sur une maladie comme celle-ci. « D'ailleurs, pouvez-vous me passer un tampon ou une serviette hygiénique s'il vous plaît ? On ne sait jamais avec les règles. » Elle avait raison et pour le coup, on ne savait jamais même si l'on était en parfaite santé. J’acquiesçais en hochant la tête et m'approchais du chariot que je trimbalais avec moi pour prendre un tampon. Je m’apercevais que la réserve était vide. « Je reviens tout de suite. » Je m'éclipsais pour aller trouver ce qu'elle demandait et en profitait pour prendre une des bouteilles d'eau à disposition pour les patients, je revenais dans la chambre avec et tendit les deux objets à la jeune femme. « Tenez, ça vous fera du bien. Vous avez besoin d'aide pour vous lever ? » Je me doutais bien qu'elle allait avoir besoin d'aller aux toilettes pour mettre la protection hygiènique.
Si j'avais la batmobile, je pourrais aider encore plus les gens, plus que ce que je ne faisais au sein de l'hôpital, combattre le crime, arrêter des méchants, dans mon enfance j'avais eu une période où j'avais voulu devenir policière, pendant de nombreuses années, là où les autres enfants voulaient être professeurs, rugbyman ou princesses, moi je voulais avoir un insigne et résoudre des affaires. Jusqu'à apprendre la vérité sur Jude, sur la mort de mon frère. A partir de ce moment là, j'avais voulu devenir médecin. Aujourd'hui, je me contentais de faire ce que je pouvais pour que les séjours des patients se passent le mieux possible, pour les garder en vie quand ils étaient admis aux urgences, en attendant qu'un de mes collègues, médecin, s'en occupe.
Actuellement, j'aidais Zelda, la jeune femme me semblait si fragile à cet instant. Je savais qu'elle reprenait des forces, elle venait de se réveiller après tout, mais à ce moment je me sentais obligée d'être là pour elle. Au delà de mon métier, j'avais envie de lui apporter mon aide, c'était quelque chose qui me dépassait. Heureusement pour moi que le flux de patients s'était calmé depuis l'arrivée de la mannequin, autrement je me serais fait remonter les bretelles. Elle s'excusait alors que je la soutenais, je chassais ses excuses d'un geste de la main. « Pas besoin d'excuses, ce n'est pas de votre faute. » Son passage aux toilettes terminé, je lui proposais à nouveau mon aide, qu'elle déclinait cette fois. Je comprenais tout à fait. « C'est gentil, mais je peux marcher seule maintenant. » Je me tenais prête pour lui prêter main forte si elle en avait besoin mais effectivement, elle récupérait assez vite.
De retour dans la chambre de la jeune femme, je la voyais regarder l'heure, sans doute qu'elle commençait à en avoir marre d'être ici. « Quand pourrais-je rentrer chez moi ? » Bingo. Alors que j'ouvrais la bouche pour lui donner sa réponse, elle enchaînait. « Je pourrais appeler mon manager pour qu'il vienne me chercher d'ailleurs... où sont mes affaires ? » Je m'éclipsais un instant, ses effets personnels étaient certainement dans les casiers prévus à cet effet mais je voulais vérifier. Je trouvais sans mal une pochette étiquetée 'Zelda T.', sans aucun doute ses affaires. Je prenais juste son téléphone portable, le reste devait attendre l'autorisation de sortie du médecin. Je retournais voir la jeune femme et lui expliquait la situation. « Il vous faut l'aval d'un médecin pour sortir et récupérer vos affaires, il ne devrait pas tarder à venir faire les derniers examens d'usage. Tenez, prenez votre téléphone en attendant, vous pourrez appeler votre manager comme ça. C'est mieux que quelqu'un vienne vous chercher, effectivement. »
J'attendais l'arrivée du fameux médecin, elle aussi, il était plus attendu que le messie. J'hésitais un instant à aller voir si les admissions étaient débordés à nouveau ou pas mais mon bipper demeurait muet, c'était donc plutôt calme, autrement je n'aurais même pas eu le temps de me poser cinq minutes. « Tu, enfin, cela fait combien de temps que tu es infirmière ? On a sûrement le même âge et puis, tu peux aussi me tutoyer, ne t'en fais pas. » La voix de Zelda me tira de mes pensées, je souriais, je savais grâce à son dossier qu'elle avait trente ans, j'allais y venir aussi dans peu de temps. « J'ai bientôt 27 ans, en avril. Officiellement, je suis infirmière diplômée depuis 6 mois mais j’exerçais dans le cadre de mes études il y a déjà 6 ans, dans ma ville natale. J'ai fais un stage ici pendant un peu moins de 3 ans. » J'avais d'ailleurs envie de voir ma famille, ça faisait pourtant peu de temps que j'étais à Brisbane. « Ce n'est pas un boulot difficile ? » J'haussais les épaules avec une moue. « Pas plus qu'un autre, tu sais. Chaque travail a ses difficultés. Là, c'est surtout les émotions qui jouent, quand parfois on ne peut pas sauver nos patients... Ma gorge se sert, en comparaison avec le nombre qui arrive chaque jour, le ratio est minime, pourtant ça fait toujours mal. « Ça n'arrive pas très souvent, si on regarde le total des patients, mais c'est une vie humaine que l'on a pas réussi à garder. C'est une famille à qui on va devoir annoncer une mauvaise nouvelle. » C'est pas un burger qu'on a raté, par exemple.
Le médecin arrive enfin dans la chambre. « Dr Jones. Voici Zelda Trân, une patiente atteinte d'endométriose, elle a été admise pour un malaise en pleine rue. Il ne reste plus que votre autorisation pour qu'elle puisse rentrer chez elle, avec quelqu'un qui viendrait la chercher. » Il prend le dossier de la jeune femme et je lui explique plus en détails ce que j'ai marqué, avant qu'il ne fasse des examens à Zelda.